COMENCINI, Francesca [ROME 1961]

Réalisatrice et scénariste italienne.

Après des études de philosophie, Francesca Comencini décide de se consacrer à l’écriture et s’installe en France en 1982. Elle écrit un scénario qu’elle réalise dans la foulée : Pianoforte, l’histoire d’amour tragique de deux drogués, sort en 1984 et gagne le prix De-Sica du Festival de Venise. En 1987, elle coscénarise Un enfant de Calabre (Un ragazzo di Calabria), l’un des derniers films de son père, Luigi Comencini, avant de réaliser son second film : La Lumière du lac (1988). Ces deux premières œuvres, marquées par une écriture littéraire et des personnages torturés, incitent la critique à la ranger dans la case « cinéaste cérébrale », contrairement à sa sœur Cristina Comencini* dont les films (notamment ses comédies) s’inscrivent dans un cinéma plus populaire. Après l’échec d’Annabelle partagée (1991), elle se tourne vers la télévision et réalise Elsa Morante*, un documentaire pour la collection « Un siècle d’écrivains ». Sa carrière prend un tournant plus politique en 2001, lors des émeutes anti-G8 de Gênes. Présente avec une vingtaine de cinéastes italiens venus réaliser un documentaire collectif, Un altro mondo è possibile, elle est profondément choquée par la mort de Carlo Giuliani, militant altermondialiste de 23 ans tué par un carabinier. Elle réalise alors Carlo Giuliani, ragazzo (2002), un documentaire poignant qui connaît un grand retentissement, et provoque la colère du gouvernement qui avait orchestré une campagne visant à faire passer Giuliani pour un dangereux anarchiste. F. Comencini poursuit dans la veine sociale et politique en abordant avec J’aime travailler (Mi piace lavorare, 2004) le thème du harcèlement au travail à travers le chemin de croix d’une mère célibataire placardisée à la suite du rachat de son entreprise. Deux ans plus tard, elle s’attaque à la corruption des milieux financiers milanais avec A casa nostra (2006), une charge à peine déguisée de l’Italie berlusconienne. Là encore, la critique socio-politique est vue à travers la trajectoire d’une femme pugnace (une capitaine de brigade financière jouée par Valeria Golino). Son dernier film, Un giorno speciale, a été sélectionné au Festival de Venise 2012. Auteure versée dans l’autofiction nourrie de littérature, elle est passée au cinéma politique, façonnant une œuvre qui a su mûrir au gré de ses expériences de femme et de citoyenne.

Jennifer HAVE

COMESAÑA SANTALICES, Gloria [VIGO, ESPAGNE 1946]

Philosophe vénézuélienne.

Établie en 1965 au Venezuela, Gloria Comesaña Santalices en acquiert la nationalité en 1970. En tant que professeure à l’Université, elle propose un séminaire sur Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir* en 1973. En 1977, elle accède au grade de docteure de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne avec une thèse sur « l’Altérité chez Sartre et les rapports femme-homme », publiée sous le titre Alienación y libertad : la doctrina sartreana del Otro (1980) et suivie, en 1984, de A puerta cerrada. Análisis de las figuras femeninas en el teatro sartreano. Au Venezuela, elle fonde La Ligue féministe de Maracaibo (1978), la Maison de la femme et la Chaire libre de la femme (1984), qu’elle dirigera jusqu’en 2010. De 1991 à 2001, elle produit l’émission Todas a Una pour la radio universitaire. Outre Heidegger et Husserl, les féministes radicales et marxistes exercent une influence sensible sur son œuvre. À partir de 1989, elle se consacre à l’œuvre d’Hannah Arendt*. Elle envisage les luttes des femmes d’un point de vue philosophique, dans une perspective latino-américaine, sans rejeter les apports de la philosophie occidentale. Selon elle, il convient de parler de philosophie féministe tout comme on parle de philosophie existentialiste ou latino-américaine. Elle a notamment publié en 1991 un ouvrage sur les femmes, le pouvoir et la violence, et, en 1995, sur le féminisme et le changement social.

Eyda MACHIN

Análisis de las figuras femeninas en el teatro sartreano, Maracaibo, EDILUZ, 1991 ; Filosofía, feminismo y cambio social, Maracaibo, EDILUZ, 1995.

COMIQUES EN SOLO [depuis le XXe siècle]

À la Belle Époque, les actrices qui se produisent en solo appartiennent à deux univers opposés. Dans les salons, les sociétaires de la Comédie-Française détaillent des monologues humoristiques, signés d’académiciens comme Henri Lavedan. Dans les cafés-concerts, les « diseuses » soulignent les sous-entendus de textes coquins. Plus tard, avec la vogue du music-hall, de jeunes actrices habillées en soubrettes disent des textes, parfois en vers de mirliton, qui introduisent les numéros des vedettes. Ainsi, au début des années 1940, Suzanne Flon* présente Édith Piaf*. À la même époque, chez les chansonniers parisiens, Oléo passe la nuit au poste pour s’être moquée d’un Allemand en uniforme. Après la guerre, une autre chansonnière, Anne-Marie Carrière*, plaît par sa bonne humeur et ses rondeurs.

Dans les années 1960 apparaissent les cafés-théâtres. Malgré leur nom, ce ne sont en général ni des cafés ni des théâtres, mais de petites salles qui, parfois, n’accueillent pas plus de 20 personnes. Une génération nouvelle de comiques s’y révèle. Sylvie Joly* passe des bourgeoises aux vendeuses amoureuses de Johnny. Dominique Lavanant raconte sa vie d’« aubergine » chargée de mettre des contraventions. Zouc* fait valoir son étrange personnalité ; Marianne Sergent affirme son autorité. Marie-Pierre Casey se moque des grenouilles de bénitier ; Colette Maire use de son accent méridional. À partir des années 1990, les actrices comiques occupent les plus vastes salles, notamment Mimie Mathy*, Muriel Robin*, Michèle Laroque, Valérie Lemercier*, Michèle Bernier. Malgré une rude concurrence, les prétendantes se multiplient, aidées par la télévision qui en fait une consommation effrénée. Les comiques nouvelles traitent avec dérision les problèmes des femmes, se moquant de la guerre des sexes et des conflits de générations. Anne Roumanoff*, Florence Foresti*, Armelle, Agathe de La Boulaye, Virginie Lemoine, Noëlle Perna (Mado la Niçoise) connaissent une popularité immense auprès du public, des jeunes en particulier.

Une nouvelle génération d’actrices comiques en solo se font connaître au début du XXIe siècle : elles ont la trentaine, écrivent leurs propres textes et se produisent aussi bien à la télévision que sur scène. Premier Prix du Conservatoire de Bruxelles, Virginie Hocq se raconte dans ses monologues : Dis oui ! , Qui a dit faible ? , C’est tout moi et Pas d’inquiétude. Chantal Ladesou, à la personnalité électrisante, passe du comique en solo aux scènes des boulevards. Sophia Aram s’attaque aux clichés idéologiques dans Crise de foi. Elle assure des chroniques à France Inter. Audrey Lamy obtient un grand succès avec Dernières avant Vegas. À la télévision, elle incarne quotidiennement Marion dans Scènes de ménages. Christelle Chollet rend un hommage décalé à É. Piaf dans L’Empiafée. Emma la Clown* aborde la psychanalyse (Emma sous le divan), et raconte son périple dans Emma la Clown en Afghanistan. Océanerosemarie ose rire de sa vie privée dans La Lesbienne invisible.

Bruno VILLIEN

COMMANDANTE KAFTAR VOIR HABIBI, Aïcha

COMPAGNONS DE LA LIBÉRATION [France Seconde Guerre mondiale]

Après la Seconde Guerre mondiale, seules six femmes, sur 1 038 personnes, ont été faites compagnons de l’ordre de la Libération, créé en novembre 1940 par le général de Gaulle pour « récompenser les personnes ou collectivités, militaires et civiles, qui se seront signalées dans l’œuvre de libération de la France et de son Empire ».

Berty Albrecht* (1893-1943), militante féministe au sein de la Ligue des droits de l’Homme, se lance en 1940 dans la Résistance et deviendra « l’âme du mouvement Combat » créé par Henri Frenay. Arrêtée le 28 mai 1943, torturée et incarcérée, elle se donne la mort par pendaison.

Laure Diebold (1915-1965), Alsacienne et patriote, fut agente de liaison du réseau clandestin Mithridate et secrétaire personnelle de Jean Moulin sous le pseudonyme Mado. Arrêtée en 1943, elle connut la torture puis la déportation. Gravement malade et promise au four crématoire, elle fut sauvée par un médecin tchèque, avant d’être libérée des camps par les Américains, en avril 1945.

Refusant elle aussi l’armistice de juin 1940, la jeune archéologue Marie Hackin (1905-1941), alors en mission en Inde avec son mari Joseph Hackin, directeur du musée Guimet, envoya un message d’adhésion au général de Gaulle et s’engagea dans les Forces françaises libres. Dès décembre 1940, sous le grade de sous-lieutenant, elle organisa à Londres le Corps féminin de la France libre. Mais, le 24 février 1941, lors d’une nouvelle mission en Inde, les époux Hackin disparurent tragiquement en mer après que le cargo qui les transportait eut été torpillé.

Marcelle Henry (1895-1945), chef de bureau au ministère du Travail, subit la défaite comme un choc et, prenant position contre la collaboration, développa une atmosphère de résistance au sein du ministère. Puis elle rejoignit les Forces françaises libres et opéra en tant qu’agente de liaison au circuit d’évasion VIC prenant en charge les militaires alliés. Dans ce cadre, elle assura aussi l’hébergement des évadés lors de leur passage à Paris. Arrêtée en juillet 1944 par la Gestapo, puis torturée, elle est déportée à Ravensbrück le 16 août 1944 à bord du dernier convoi au départ de Paris. Libérée par la Croix-Rouge et rapatriée en France, elle décède le 24 avril 1945 à l’hôpital Claude-Bernard des suites des privations et des mauvais traitements.

Enfin, Simone Michel-Lévy (1906-1945), rédactrice au centre de recherches et de contrôles des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT), fournit dès 1940 à Londres des renseignements sur l’occupant. Au sein du réseau Action PTT, elle était chargée de l’acheminement du courrier et installait des postes émetteurs, en particulier ceux des réseaux de la confrérie Notre-Dame (CND) et de l’Organisation civile et militaire (OCM). Arrêtée en novembre 1943, torturée et déportée au camp de Flossenbürg, elle y poursuivit son action de résistante et s’y pendit le 13 avril 1945, quelques jours avant la libération du camp, fidèle jusqu’au bout à la devise de sa Franche-Comté natale : « Comtois, rends-toi ! Nenni ma foi. »

Quant à Émilienne Moreau-Evrard (1898-1971), déjà combattante héroïque durant la Première Guerre mondiale à Loos (Nord-Pas-de-Calais), c’est tout naturellement qu’elle se retrouve à l’avant-garde de la Résistance en 1940. Agente de liaison à Libération-Nord puis dans le réseau Brutus, traquée par la Gestapo, elle échappe de justesse à plusieurs arrestations et rejoint Londres en août 1944 après plusieurs tentatives. De retour en France, continuant à incarner pour tous l’engagement des sans-grades dans la Résistance, elle devient, dans sa région du Pas-de-Calais, membre du comité directeur du parti socialiste puis présidente de la fédération des anciens combattants républicains.

Dans leur ouvrage Dans l’honneur et par la victoire, les femmes compagnons de la Libération (2008), les historiens Guy Krivopissko, Christine Levisse-Touzé et Vladimir Trouplin rappellent que le général de Gaulle avait exprimé sa tristesse qu’aussi peu de femmes résistantes et déportées aient été distinguées comme compagnons. Ils réparent cette ingratitude de l’histoire en s’intéressant de près aux parcours de ces six femmes résistantes, qui n’avaient pas plus que d’autres une prédisposition à la notoriété nationale mais qui ont été amenées à s’engager dans la voie de l’action et du combat par la gravité des circonstances.

Elisabeth LESIMPLE

COMPAIN, Louise [1867-1940]

Journaliste et romancière française.

Louise Compain fait partie du mouvement féministe né dans le sillage des réformes éducatives des années 1880. Son premier et plus grand succès littéraire, L’Un vers l’autre (1903), met en question les principes du mariage moderne et suggère que l’égalité entre les sexes est aussi fondamentale au mariage heureux que l’amour et la passion. Après son deuxième roman, L’Opprobre (1905), elle s’oriente vers le journalisme et l’action sociale, se concentrant sur le droit de vote et le travail des femmes. Membre fondatrice de l’Union française pour le suffrage des femmes, elle participe aux congrès féministes en France et à l’étranger, et contribue fréquemment à La Française. Elle vise un public plus large en écrivant aussi pour Le Matin, Les Idées modernes, La Grande Revue, la Revue socialiste et La Petite République, où elle est éditorialiste. Particulièrement intéressée par le sort de la femme travailleuse, elle publie La Femme dans les organisations ouvrières (1910). Le thème du mariage surgit de nouveau dans son essai important et controversé, « Les Conséquences du travail de la femme », où elle se félicite de la liberté conquise par la femme moderne. Dans son roman L’Amour de Claire (1913), elle dresse le portrait subtil et émouvant d’une jeune femme déchirée entre le travail professionnel, l’amour physique et l’institution du mariage. Elle fonde en 1918 le Foyer des compagnes, organisme qui vise à la reconstruction des provinces en créant des maisons communautaires pour les paysans. Elle se tourne vers la religion avec La Robe déchirée (1929), qu’elle dédie à son père Louis Massabiau, ancien professeur à la faculté de théologie protestante de Paris. Si elle propose dans ses écrits une image de la femme qui rompt avec le passé, c’est toujours dans une perspective optimiste, qui inscrit le progrès féminin dans une évolution aussi naturelle que nécessaire. Soucieuse de préserver son intimité, L. Compain nous a laissé très peu de traces de sa vie personnelle ; aucune biographie ne lui a été consacrée.

Rachel MESCH

COMPANEEZ, Nina [BOULOGNE-BILLANCOURT 1937]

Réalisatrice, scénariste, auteure dramatique et metteuse en scène française.

Fille du scénariste et dialoguiste Jacques Companeez, très actif de 1936 à 1956, Nina Companeez est d’abord scénariste et monteuse des 11 premiers films de Michel Deville, de 1960 à 1970. Elle écrit et réalise trois films qui n’ont pas de succès, malgré la présence d’Isabelle Adjani* (Faustine et le bel été, 1972) ou de Brigitte Bardot* dans sa dernière apparition (L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise, 1973). Elle se spécialise alors dans les séries télévisées de prestige : Les Dames de la côte (1979), où Edwige Feuillère*, Fanny Ardant* et Marilù Marini* jouent en costumes Belle Époque, remportent un immense succès (François Truffaut y découvre F. Ardant, qui va devenir l’héroïne de ses derniers films). N. Companeez récidive avec un feuilleton sur la Révolution – joué notamment par Ludmila Mikaël* –, puis avec la saga Voici venir l’orage (2008), où elle raconte la vie de ses ancêtres juives russes, aux destins tumultueux. L’Allée du roi (1996, d’après le roman de Françoise Chandernagor*) relate les liens entre Françoise de Maintenon* (Dominique Blanc*) et Louis XIV (Didier Sandre). La réalisatrice fait de nouveau appel à ces deux acteurs dans À la recherche du temps perdu (2011, d’après l’œuvre de Marcel Proust) ; sa fille, la fine Valentine Varela, y tient le rôle d’Oriane de Guermantes. Au théâtre, N. Companeez a fait jouer une comédie historique à Paris (Le Sablier, 1984), et mis en scène à Genève l’opéra comique Le Postillon de Longjumeau (1989).

Bruno VILLIEN

COMPIUTA DONZELLA [XIIIe siècle]

Poétesse italienne.

Rares sont les données biographiques sur Compiuta Donzella, poétesse toscane dont il ne nous reste, dans le Canzoniere Vaticano (« chansonnier du Vatican »), que trois sonnets d’une tenson (genre poétique médiéval) avec un poète anonyme (peut-être Chiaro Davanzati). C’est la plus ancienne versificatrice en vulgaire connue. Ses contemporains la surnommaient « divine Sibylle » et la louaient pour sa culture. Selon certains, Compiuta Donzella pourrait être un pseudonyme, et la signature des trois sonnets cacherait un dispositif littéraire.

Marta SAVINI

COMPOSITRICES [Chine XXe-XXIsiècle]

Un événement a précédé de quelques mois les Jeux olympiques de Pékin en 2008. Il s’agit du 2008 Beijing International Congress on Women in Music, organisé par l’International Alliance for Women in Music et le China Conservatory of Music. Comprenant des concerts et des colloques, ce congrès privilégie les musiciennes venant du monde entier, mais surtout les compositrices asiatiques. Cette situation est très encourageante pour la création des compositrices du continent chinois, car ce n’était pas le cas auparavant.

En 1905, la Chine des Qing fonde des écoles publiques à l’occidentale. Ces écoles dispensent des cours de musique, pendant lesquels sont étudiées des chansons écrites dans le style classique européen. Le conservatoire de Shanghai, première école musicale officielle et indépendante en Chine, fut établi en 1927. Les instruments de l’orchestre classique y étaient enseignés aussi bien que les instruments traditionnels. Des pièces pour piano, de la musique de chambre, des symphonies furent écrites par des musiciens chinois comme Zhu Jian’er, ou Luo Zhongrong, qui avait utilisé le folklore à la façon de Bartók. Tous deux enseignèrent ensuite la composition, l’un à Shanghai, l’autre à Pékin, et formèrent la génération suivante. Des musiciens juifs, fuyant la montée du nazisme, firent connaître en Asie les théories de Schoenberg. Les premières œuvres atonales chinoises apparurent en 1947. Mais avec l’arrivée au pouvoir de Mao, en 1949, les compositeurs perdirent une grande partie de leur liberté et furent chargés de créer une musique nationale populaire à partir du folklore, en utilisant le langage harmonique du XIXe siècle. Durant la période noire que fut la Révolution culturelle, toute musique occidentale fut interdite et les conservatoires fermèrent leurs portes. De nombreux artistes fuirent le pays, soit en Asie vers Hong Kong et Taïwan, soit en Occident, le plus souvent en France ou aux États-Unis.

Lorsqu’en 1978, le conservatoire de Pékin rouvre ses portes, Luo Zhongrong y reprend ses cours de composition. Les qualités exceptionnelles requises pour réussir le concours d’entrée (17 000 candidats pour 100 places) expliquent le nombre étonnant de compositeurs d’envergure internationale sortis de ce conservatoire au début des années 1980. La plupart des étudiants demandèrent une bourse pour partir à l’étranger étudier les nouvelles techniques de composition. Ces compositeurs ont été regroupés sous l’étiquette « Cinquième génération » ou « New Wave ». Il existe aussi des musiciens regroupés sous le nom de « branche américaine », dont Chou Wenchung (1923) est un personnage central et déterminant. Compositeur et enseignant à l’université de Columbia, il a fondé en 1978 un centre pour les échanges entre la Chine et les États-Unis. Plusieurs compositrices y ont bénéficié d’une bourse d’études, dont Chen* Yi, qui jouit maintenant d’une reconnaissance internationale.

Parmi les musiciens nés dans les années 1960, Xu* Yi, figure emblématique de cette génération qui a peu vécu les troubles de la Révolution culturelle, fut d’abord professeure au Conservatoire de Shanghai avant de poursuivre ses études en France, où elle est maintenant l’une des compositrices chinoises les plus connues. Les séjours à l’étranger sont parfois prolongés en résidence définitive, comme c’est le cas pour la compositrice Dong* Kui, émigrée aux États-Unis en 1991 et actuellement professeure au Dartmouth College.

Les jeunes musiciens, âgés de 20 à 30 ans actuellement, ont grandi dans une Chine où le relâchement du contrôle politique est favorable aux artistes, mais où l’argent entre en force dans le monde de l’art. Les chansons populaires de Taïwan et de Hong Kong, le rock, ont remplacé la musique traditionnelle et les hymnes politiques. Paradoxalement, le départ à l’étranger est, pour cette génération, un moyen de trouver un public intéressé par les racines de la civilisation chinoise. C’est le cas de Tian* Leilei, arrivée en France en 2001 et qui y réside depuis.

Une caractéristique commune à l’ensemble des musiciennes chinoises est la mondialisation et le désir de toucher un public le plus vaste possible en fusionnant la sensibilité issue de la culture d’origine et les techniques occidentales. Et cela ne s’observe pas seulement par des mélanges instrumentaux. En effet, les racines taoïstes qui avaient fait la grandeur de la Chine ancienne se retrouvent presque toujours dans la création musicale métissée. Confucius ou le Yijing n’étaient pas enseignés à l’école maoïste, et ceux qui s’y réfèrent ont souvent étudié ces ouvrages en autodidacte. L’opposition des contraires dans la recherche d’unité est l’essence du yin* et du yang, du Plein et du Vide, et la mutation perpétuelle des sons correspond à la mutation éternelle du monde codifiée dans les hexagrammes du Yijing. Le temps cyclique est dessiné par des sons et formes en spirale. Le détachement du zen, contradictoire avec la métrique régulière dont les Occidentaux ont été bercés, est sous-jacent à ces rythmes étirés, non mesurés, qui font flotter hors du temps. L’œuvre de la compositrice Xu Yi Le Plein du vide (1997) est une parfaite illustration de cet aspect, mais toutes les compositrices partagent le même goût du détail minuscule et des inflexions microtonales, issu de la langue chinoise elle-même et de la musique traditionnelle classique.

CHEN HUI-MEI

COMPOSITRICES [Corée du Sud XXe-XXIe siècle]

Les années 1880 représentent pour la Corée une époque d’ouverture à la civilisation occidentale, comparable avec celle de Meiji au Japon. Pendant les années 1885-1909, les missionnaires occidentaux ont établi 40 écoles, au sein desquelles l’enseignement inclut des cours de musique. Le nombre plus important d’écoles de filles que d’écoles générales ou de garçons constitue un des caractères des écoles d’évangélisation. Plusieurs chœurs de femmes sont fondés à cette époque. Cependant, c’est principalement à travers l’occupation japonaise (1910-1945) que le pays a vécu une véritable propagation de la musique occidentale, avec un enseignement systématique de la musique dans les écoles. Les jeunes Coréens désirant apprendre la musique occidentale se rendaient souvent au Japon pour faire leurs études, et ce jusqu’après la Seconde Guerre mondiale.

À la différence du Japon, où les femmes composent en même temps que leurs compatriotes dès la première génération, il faut attendre les années 1970 pour voir les femmes coréennes s’affirmer dans ce métier. Très marquée par le confucianisme, la société coréenne instaure une infériorité chez la femme. Pour obtenir une égalité dans une telle société, les femmes doivent combattre très énergiquement et sans relâche. Malgré cette situation, Kim Sunae (1920), considérée comme pionnière parmi les femmes compositrices en Corée, a déjà créé ses pièces instrumentales telles que Quatuor à cordes, Sonate pour violon et Sonate pour piano en 1942, avant l’indépendance de la Corée. Issue de l’école de filles Ewha, fondée par les missionnaires américaines, dont l’enseignement musical fut renommé, elle a composé surtout des chansons après avoir présenté ses pièces instrumentales. En 1973, elle a créé une œuvre orchestrale, intitulée Symphonie.

Issue de la même école, Yi Yongja (1931) s’est perfectionnée au Conservatoire de Paris, à la Manhattan Music School de New York et a terminé ses études au Conservatoire royal de Bruxelles en 1972. Il n’est pas étonnant donc, après un tel parcours, que sa musique reflète une forte influence de la musique européenne. Ses œuvres principales comportent une symphonie orchestrale écrite en 1972, même année de composition que sa Sonatina pourpiano, un Concerto pour piano en 1973, une symphonie en 1992, Trois chansons d’amour pour harpe et piano en 1992, Reflexion pour flûte et clarinette en 1998, etc. Enseignante en composition dans son école de formation, aujourd’hui devenue l’université des filles Ewha, Yi Yongja a assuré la fonction de présidente de l’association des compositrices coréennes et de la branche coréenne de l’Asian Composers League (ACL), ainsi que celle de la communauté musicale coréenne.

De la génération des musiciennes coréennes nées dans les années 1940, quelques compositrices, après leurs études en Corée, sont allées se perfectionner dans un pays occidental. Parmi elles, citons So Kyongson (1942), formée à l’Université nationale de musique de Séoul et à l’université du Massachusetts aux États-Unis. Yi Chanhae (1945), après ses études à l’université de Yonsei à Séoul, a obtenu son doctorat aux États-Unis à la Catholic University of America. O Sukja (1941) est issue de l’université de Kyung Hee à Séoul, du Conservatory of Peabody aux États-Unis puis de l’Universität Mozarteum à Salzbourg en Autriche. Hong Songhu (1939) a reçu une formation à la Ewha Womans University et à la Hohchschule für Musik de Cologne. Ces compositrices, après leur retour au pays natal, assurent parallèlement des activités d’enseignement et de composition. D’autres résident actuellement dans un pays occidental et jouissent d’une reconnaissance internationale, telles Pagh-Paan*Younghi (1945) et Unsuk* Chin, établies toutes deux en Allemagne. Ainsi, les compositrices en Corée du Sud deviennent de plus en plus nombreuses et actives à partir des années 1970, telle Kim* Jin-Hi.

CHEN HUI-MEI

COMPOSITRICES [Hong Kong XXe-XXIe siècle]

Colonie britannique à partir de 1842, rétrocédée à la Chine en 1997, Hong Kong demeure fondamentalement différente du reste de la République populaire de Chine. Les activités musicales dans la dernière moitié du XIXe siècle s’y sont limitées aux communautés anglaises. Après la guerre sino-japonaise, la Chine voit s’enchaîner la guerre civile entre le parti Guomindang et le parti communiste. De nombreux musiciens juifs et russes séjournant alors à Shanghai partent pour Hong Kong avec d’autres musiciens chinois. Ils y ont apporté une contribution importante à l’apprentissage de la musique occidentale. Plus tard, après le fondement de la nouvelle Chine communiste, les compositeurs formés en Chine, mais ayant effectué leurs études de composition en France ou en Allemagne, se sont enfuis à Hong Kong et y ont apporté le langage dodécaphonique. Ils sont considérés comme la première génération des compositeurs à Hong Kong. Une autre vague d’immigrés est arrivée pendant la Révolution culturelle. Parmi ces musiciens, certains sont des maîtres de la musique traditionnelle chinoise. Ils y ont fondé des orchestres de musique traditionnelle qui ont joué un rôle important dans le langage des compositeurs de ce pays.

Mais les documents écrits sur l’histoire du développement de la musique occidentale à Hong Kong ne mentionnent guère les compositrices, même si elles sont aujourd’hui nombreuses. Seule compositrice d’avant-garde de la première génération, Lam Manyee (1950) a été très active durant les années 1970 et 1980. Elle a composé également beaucoup de musique de film et de la musique populaire, avant de se détourner de la composition pour s’orienter vers le bouddhisme et la médecine naturelle. Lai Sheung-Ping (1961) est actuellement professeure titulaire au département de la culture et des arts créatifs à l’Institut de l’éducation de Hong Kong. Elle est presque la seule compositrice de la deuxième génération encore active sur la scène musicale et qui continue à composer. Étudiante, elle a été récompensée par un prix de composition à Hong Kong, puis elle a poursuivi ses études aux États-Unis et obtenu un doctorat en composition à l’Ohio State University. Sa création s’étend de la musique électronique à la musique traditionnelle, théâtrale, d’avant-garde ou encore populaire.

À partir des années 1980, on assiste à un essor des compositrices de la jeune génération, à l’exemple de Cheung Puishan (1976), qui fait partie de la direction de la Hong Kong Composers’Guild, et dont l’œuvre fait déjà l’objet de deux CD publiés aux États-Unis. Ces compositrices composent pour orchestre occidental comme pour orchestre chinois, pour ensemble de musique de chambre utilisant des instruments occidentaux ou chinois, et elles mélangent les deux genres très naturellement. Parmi elles, citons encore Lai Ada Ngating (1975), récompensée par des prix locaux, qui a obtenu un doctorat en composition musicale à l’université de Melbourne. Elle compose principalement de la musique de chambre. Tang Waichung (ou Joyce Tang), diplômée en composition et musique électro-acoustique à l’université Baptiste de Hong Kong, a obtenu un doctorat en musicologie à l’université de Hong Kong en 2006, et a approfondi ses études à l’Ircam à Paris. Elle compose également des œuvres électroniques et pour voix. Tang Lokyin a été récompensée par le premier prix du concours pour jeunes compositeurs du Festival Asie-Pacifique et a reçu une bourse Fulbright en 2007. Très prolifique, elle compose aussi de la musique électroacoustique et multimédia, et a réalisé quelques pièces pour la danse ou le cinéma. Lam Lanchee (1982) a obtenu un doctorat en composition musicale à l’université de Toronto, Canada. Parmi ses nombreux prix, citons dernièrement le prix New Generation (2009). Elle compose aussi pour la voix, pour la danse et pour le théâtre.

CHEN HUI-MEI

COMPOSITRICES [Hongrie XXe siècle]

La musique ayant toujours été l’apanage des filles dans l’éducation traditionnelle, des interprètes virtuoses sont aussi devenues compositrices. Impossible d’évoquer ces Hongroises sans les situer par rapport à l’école et à la méthode de Zoltán Kodály, d’autant plus que leur histoire ne commence qu’au XXe siècle et que la première à s’imposer est l’épouse de ce dernier, Emma Sándor (1863-1958), traductrice, compositrice et ethnomusicologue, disciple de Béla Bartók, puis de Kodály en composition à l’Académie de musique. Pianiste virtuose ayant obtenu des prix de composition prestigieux lors de grands concours internationaux (Londres, Paris), elle renonce à sa propre carrière, peut-être pour mieux servir celle de Kodály, épousé en 1910. Elle travaille comme ethnomusicologue pour collecter des chansons folkloriques ; parmi ses notations musicales, les numéros 34 et 35 de la série fabuleuse de Magyar népzene (« trésor du folklore musical hongrois »), qui publie les portées des chansons enregistrées et transcrites par Bartók et Kodály, entre autres. Plusieurs de ses thèmes musicaux ont été repris et arrangés par les grands compositeurs de l’époque (Ernö von Dohnányi, Bartók et Kodály). Comme traductrice, elle a diffusé en allemand les paroles des ballades et chansons folkloriques, ainsi que le livret (de Béla Balázs) de l’opéra de Bartók Le Château de Barbe-Bleue. Parmi ses propres œuvres, les plus importantes sont une Berceuse, un Scherzo, et des Variations.

D’autres disciples de Kodály sont devenues d’éminentes compositrices, dont la plus connue est Erzsébet Szőnyi (1924), en partie grâce à ses activités de pédagogue. Elle étudie la musique à l’académie Franz-Liszt (1942-1947) pour devenir compositrice, chef de chorale et pédagogue musicale. Elle se perfectionne au Conservatoire de Paris (1947-1948) avec Olivier Messiaen, puis enseigne à l’Académie de musique de Budapest (1948-1981, à partir de 1960 comme chef de département). Membre de nombreuses sociétés musicales hongroises et internationales, dont le Kodály Musical Training Institute (Hartford, États-Unis) et la société française Kodály, dont elle est présidente honoraire, elle s’est consacrée à la diffusion de la méthode de solfège dite « Kodály », qui lui vaut un prestige international. Elle est auteure de plusieurs opéras peu joués, dont une comédie musicale (1961) d’après Le Malade imaginaire de Molière. Elle a aussi composé des contes musicaux pour enfants, un chant de lamentations, des chœurs, maintes œuvres religieuses dont une Missa misericordiae (1966). Parmi ses nombreux livres, abondamment traduits, la A zenei írás-olvasás módszertana (« méthodologie du savoir-lire et écrire en musique », 1954) et Kodály’s Principles in Practice (1973).

Dans la jeune génération, c’est Katalin Pócs (1963) qui continue la grande tradition de Bartók et de Kodály. Elle s’intéresse à la composition dès l’école primaire et construit une carrière d’éditrice ethnomusicologue et de compositrice. Elle étudie à l’Académie de musique et obtient son diplôme de compositrice en 1988. Elle enseigne le piano et l’art de l’improvisation, sa spécialité, et remporte plusieurs prix de composition en Hongrie comme dans le monde entier. Ses œuvres sont diffusées et jouées en Amérique aussi bien qu’en Europe. Parmi ses pièces musicales, Méditation, Hommage et Harpa hungarica ont été éditées en CD. Plusieurs artistes et compositrices formées à l’Académie de musique de Budapest se sont distinguées dans l’art de l’improvisation, dont Melinda Kistétényi (1926-1999), légendaire improvisatrice sur orgues, Timea et Ilona Meskó (cette dernière également chef d’orchestre).

Zsófia Tallér (1970), cofondatrice de l’atelier de composition Novus en 1992, enseigne à l’Académie de musique Franz-Liszt et au Conservatoire de l’art du comédien. Spécialisée dans l’arrangement de musiques de films et de spectacles théâtraux, elle a aussi créé plusieurs opéras. Sa collaboration avec le jeune réalisateur Kornél Mundruczó lui vaut une renommée internationale (leur film-opéra Johanna est présenté au Festival de Cannes en 2005). Judit Varga (1989) a elle aussi obtenu de nombreux prix de piano et de composition. Après ses études à la même Académie musicale Franz-Liszt de Budapest, puis à Vienne (1999), elle se spécialise dans la composition et l’arrangement de musique de spectacles et de films et donne récitals de piano et concerts dans le monde entier. Elle vit à Vienne depuis les années 2000 et s’oriente vers les spectacles multimédias.

Dans le domaine de la musique folklorique, la violoniste tsigane Panna Czinka (1711-1772), figure légendaire, a été la première primás (« premier violon ») féminine. Elle a fondé avec sa famille d’instrumentistes virtuoses le premier orchestre tsigane, devenu célèbre en 1728 ; c’est elle qui, selon la légende, aurait écrit la fameuse Marche de Rákóczi, reprise par Berlioz. De nombreuses légendes entourent cette grande musicienne, remarquable compositrice, à qui on attribue, par exemple, la chanson Czinka Panna, et qui, dit-on, faisait le ménage et fumait la pipe tout en jouant du violon. Parmi les autres interprètes les plus connues à l’étranger : Johanna Martzy (1924-1979), originaire de Transylvanie (auj. en Roumanie), qui, après des études de violon à Budapest, est devenue la plus célèbre virtuose hongroise ; Annie Fischer* (1914-1995), élève d’Arnold Székely et d’Ernö Dohnányi à Budapest, est considérée comme la plus grande pianiste de Hongrie. Mentionnons sa série complète des sonates de Beethoven (éditée à titre posthume par Hungaroton sur CD) et des enregistrements célèbres avec Otto Klemperer et George Szell. Elle n’a jamais enseigné mais a soutenu les jeunes pianistes en créant une bourse d’études à son nom.

Autre disciple de Kodály, Júlia Hajdú (1925-1987) a abandonné la musique classique et folklorique pour devenir compositrice de musique populaire. Pianiste et compositrice formée à la grande école de Budapest, elle s’est initiée au jazz avec György Ránki. Elle a écrit plusieurs centaines de chansons, de couplets et composé des musiques de films d’opérette. Parmi ses chansons sur Budapest, sa ville adorée, la plus célèbre sert aussi de titre à un film musical : Pest megér egy estet (« Pest vaut bien une soirée », 1960).

Ilona KOVÁCS

COMPOSITRICES [Japon XIXe-XXIe siècle]

Au début de l’ère Meiji (1868-1912), durant laquelle l’occidentalisation du Japon fut globale et totale, le goût musical des Japonais s’est occidentalisé à travers l’enseignement obligatoire du chant dans le système éducatif. Quant aux musiciens professionnels, ils commencèrent d’abord par la pratique instrumentale, le chant et le solfège, la théorie musicale et l’histoire de la musique. Il faut attendre vingt ans plus tard pour voir naître la composition musicale en tant que véritable action de la créativité au Japon.

Soucieux du manque de musiciens professionnels compétents en musique occidentale, l’administrateur du Bureau de l’inspection de la musique (Ongaku Torishirabe Gakari, fondé en 1879), se décide à envoyer les musiciens dans les pays occidentaux pour suivre les études nécessaires au développement ultérieur de l’enseignement musical au Japon. C’est ainsi que Taki Rentaro (1879-1903) et Koda* Nobu ont été envoyés dans un pays européen. Avec Yamada Kosaku (1886-1965), ils constituent les premiers compositeurs japonais à écrire pour des instruments occidentaux dans le style romantique allemand. Yamada, dont le catalogue est abondant, fut presque le seul protagoniste sur la scène de la création musicale du Japon de la période du milieu de l’ère Meiji jusqu’à la fin de l’ère Taishō (1912-1926). À la même époque, malgré une activité comparable à celle de leurs compatriotes masculins, les créatrices japonaises ont été laissées dans l’oubli. Il faut attendre l’année 1999 pour voir la parution d’un chapitre traitant des compositrices japonaises de la première génération, intégré dans un ouvrage biographique sur quelques compositrices, surtout occidentales (Kobayashi 1999).

Les compositrices japonaises pionnières sont nées dans l’ère Meiji (Matsushima* Tsune, Kanai* Kikuko) et Taishō (Yoshida* Takako, Sotoyama* Michiko et Wataru* Kyoko). Si la musique de Yoshida et de Kanai reflète profondément l’évolution de la société de leur époque, celle de Matsushima, de Sotoyama et de Wataru montre en revanche une recherche sur la perfection de l’écriture, et leur style est plutôt lyrique. Néanmoins toutes ces premières compositrices possèdent, chacune à sa façon, une personnalité forte. Les œuvres vocales occupent une place très importante dans leur catalogue. Avec une technique et un langage musicaux plutôt classiques, leur musique semble dégager un message plus humain et refléter une préoccupation plus profonde à l’égard de la société de leur temps.

Les générations suivantes, qui connaissent peu la guerre et encore moins la musique traditionnelle, absorbent avec passion les nouvelles techniques et théories d’avant-garde comme le dodécaphonisme, la musique concrète, la musique électronique, etc. Les compositrices ont réussi à perfectionner une technique compositionnelle irréprochable, dans les courants les plus avant-gardistes. Ce n’est qu’au moment où elles ont été interrogées par leurs maîtres occidentaux à réfléchir sur leurs racines qu’elles ont commencé à poser leur regard sur la musique traditionnelle. Parmi elles, citons Kubo* Yoko (1956), Hagi* Kyoko, Fujiie* Keiko, Hisada* Noriko, Saiki* Yumi, Kaneko* Hitomi, Harada* Keiko, ou encore Mochizuki* Misato, sans doute la plus connue au niveau international.

CHEN HUI-MEI

TSUJI H., « Nihon no josei sakkyokuka : Meiji kara Showa shoki made », in KOBAYASHI M. (dir.), Josei sakkyokuka retsuden, Tokyo, Heibonsha, 1999.

COMPOSITRICES [Taïwan XXe-XXIe siècle]

Même si les écoles construites par les missionnaires chrétiens ont joué un rôle important pour l’introduction de la musique occidentale à Taïwan comme en Corée, c’est principalement à travers l’occupation japonaise (1895-1945) que le pays a vécu une véritable propagation de la musique occidentale. Le gouvernement colonial importa le modèle éducatif développé au Japon depuis 1872 et systématisa ainsi l’enseignement de la musique dans les écoles. Durant cette période, la plupart des jeunes musiciens étaient instrumentistes. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’apparaît la première génération de compositeurs taïwanais. Au début, seuls les jeunes hommes apprenaient l’art de composer. Mais la situation a changé très rapidement. Selon le professeur et compositeur reconnu Ma Shuilong (1939), sa classe de composition à l’Académie nationale des arts de Taïwan (à l’époque, un des rares établissements supérieurs sur l’île qui proposent cette formation) est déjà, en 1957, composée à parts égales de filles et de garçons. Dès lors, le nombre de filles étudiant la composition ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui elles sont beaucoup plus nombreuses que leurs collègues masculins, réalité comparable à celle des pays voisins.

Des « classes expérimentales de la musique », dédiées à l’apprentissage de la musique classique occidentale, ont été instaurées dans les écoles à Taïwan dès les années 1970, époque où le pays connaît un essor économique. Dès le début, les filles y sont beaucoup plus nombreuses. De plus en plus de départements de musique occidentale sont ensuite fondés dans les établissements d’enseignement supérieur, d’où proviennent les compositrices depuis 1980. Hsiau Chingyu (1966), actuellement enseignante de composition à l’Université nationale normale de Taïwan, est une ancienne élève de composition de Yoshihisa Taïra à l’École normale de musique de Paris et d’Édith Lejet* dans la classe d’écriture du XXe siècle du Conservatoire de Paris. Selon elle, dans la progression des études, les filles acceptées dans les universités locales sont beaucoup plus nombreuses que les garçons car elles sont en général plus disciplinées et assidues que leurs camarades masculins. Cependant, beaucoup de compositrices, une fois mariées et mères de famille, s’occupent de leur famille au détriment de leur ambition professionnelle et de leur désir de créer. La plupart des compositrices reconnues au niveau international demeurent célibataires.

Au début des années 1980, plusieurs jeunes diplômées sont parties dans des pays européens ou américains pour approfondir leurs études en composition. Zhang Hweili (1957) a perfectionné ses études en Allemagne et y est restée. Pan Shyh-Ji (1957) a obtenu un doctorat en composition de l’université de Columbia à New York, Ying Kwangi (1960) un doctorat en composition de l’université du Maryland, et Chen* May-Tchi, qui réside actuellement aux États-Unis, un doctorat en composition de l’université de Cincinnati. Tu Wenhui (1964) s’est perfectionnée à Vienne à la Hochschule für Musik und darstellende Kunst. Citons également Chen* Shih-Hui, dont le nom figure dans le New Grove Dictionary of Music and Musicians. Ses œuvres sont jouées par des interprètes internationaux, et elle a été récompensée par des prix prestigieux. Plusieurs compositrices actuellement actives à Taïwan ont été formées dans la classe de Yoshihisa Taïra à l’École normale de musique de Paris. Citons encore Su* Fanlin, Wang* Miaowen (1963), Hung* Chienhui, Wang* Sueya, Chiang Chiachen (1973), Kuo Shuyi, Tseng Hsiaowen (1975) et Liao Linni (1977).

Actuellement, on dénombre environ 70 compositrices d’origine taïwanaise qui ont accompli leurs études supérieures dans un pays occidental et qui sont actives comme compositrices ou enseignantes en composition. L’essor récent et important des universités de l’île qui proposent des classes de composition musicale, dont plusieurs sont dirigées par des femmes, ne permet pas de toutes les nommer. Nous citerons seulement celles qui occupent un poste à plein temps d’enseignante en composition dans les universités : Pan Shyh-Ji à l’Université nationale des arts à Taipei, Chang Shiaowen (1970), diplômée de la Hochschule für Musik und Theater de Hambourg dans la classe d’Alfred Schnittke en 1995, à l’Université nationale des arts à Tainan, Ying Kwangi à l’université nationale Sun Yat-Sen à Kaohsiung, Hsiau Chingyu et Chao Chinwen (1973) à l’Université nationale normale de Taïwan. Cette dernière, docteure en composition de l’université de Stanford où elle a étudié avec Jonathan Harvey, Brian Ferneyhough et Chris Chafe, a créé une œuvre pour percussion et électronique à Radio France en juin 2008.

CHEN HUI-MEI

COMPOSITRICES DE BERNE [Suisse XIXe siècle]

L’almanach Die Alpenrosen (Berne, 1811-1830) comporte des lieder de trois musiciennes, toutes de Berne, qui sont aussi parmi les premières pièces connues de compositrices de Suisse alémanique à avoir été publiées. Après la fin de l’Ancien Régime, la bourgeoisie réorganise la vie musicale à Berne. L’influence des musiciens allemands, dont le talent supplée aux carences qui prévalent en Suisse dans le domaine de la formation musicale, est omniprésente dans cette ville : les trois femmes qui ont publié dans Die Alpenrosen en ont bénéficié.

Charlotte Otth-Wiedemann (1774-1845), née à Brunswick, épouse un bourgeois de Berne et voit trois lieder publiés dans l’almanach Die Alpenrosen, sous le pseudonyme de Lotte : Die Taubenpost (« la messagerie des pigeons voyageurs », 1817), Vergissmeinnicht (« rappelle-toi », 1822) et Die Morgengabe (« la dot », 1829). Margarethe Meisner-Fueter (1781 ? -1838) est issue de la bourgeoisie bernoise et chante régulièrement dans des concerts publics. Son mari, Karl Friedrich Meisner, arrivé de la région de Hanovre, est professeur de sciences naturelles à l’Académie de Berne. Le couple contribue beaucoup à animer la vie musicale locale. K. F. Meisner est aussi coéditeur de l’almanach Die Alpenrosen. Trois lieder de M. Meisner-Fueter y paraissent entre 1815 et 1816 : Vergissmeinnicht (« rappelle-toi »), Frühlingsklage (« complainte printanière ») et Margareth. Karoline Gering (ou Gehring) (vers 1790 ? - après 1836) publie un seul lied dans l’almanach, Fritzchens Morgenlied (« la chanson du matin du petit Frédéric »), en 1812. Son père, immigré de Vienne, était le maître de musique du gymnase de la ville. Pianiste, elle figure parmi les maîtres de musique de Berne en 1836.

Les trois musiciennes ont en commun qu’aucune autre pièce de leur plume ne soit connue que celles de l’almanach Die Alpenrosen. Alors que les deux premières sont des amateures et signent leurs pièces soit d’un pseudonyme, soit d’initiales, la troisième gagne sa vie avec la musique et signe son lied de son nom complet. L’intérêt de leur évocation réside dans leur rôle de pionnières dans un environnement musical suisse aux structures précaires, où les compositrices, mais aussi les compositeurs, sont encore rares.

Irène MINDER-JEANNERET

COMPOSITRICES DE MUSIQUE DE FILM [XXe-XXIsiècle]

Compositrice connue, unique femme du célèbre groupe des Six, Germaine Tailleferre* a été la première à composer pour le cinéma. Sans toutefois que son nom y restât particulièrement attaché, elle a toujours proclamé son attirance pour le septième art. Figurent à son actif une cinquantaine de courts métrages et quelques longs métrages. Parmi les cinéastes qui ont fait appel à elle, citons Yves Allégret, Jean Valère ou André S. Labarthe, pour qui elle compose la musique de Impression soleil levant (1969), documentaire sur l’impressionnisme produit par Universal. Interrogé sur cette collaboration, le cinéaste français précise avoir pris soin d’utiliser la musique pour la mettre en valeur, le plus souvent sur un « noir », c’est-à-dire sans concurrence avec l’image, comme le fera fréquemment Jean-Luc Godard.

Elsa Barraine* a composé la partition musicale de Au cœur de l’orage (1946), film de Jean-Paul Le Chanois sur le maquis du Vercors, ainsi que de deux films de Jean Grémillon, Pattes blanches (1949) et L’Amour d’une femme (1953), admirable de modernité, et de deux courts métrages documentaires de Jacques Demy : Le Sabotier du Val de Loire (1955) et Ars (1959). Une autre compositrice française mérite d’être citée : Paulette Zevaco (1928-1970), personnalité de la vie musicale de son temps, connue surtout pour avoir été la collaboratrice directe de Vincent Scotto, le compositeur entre autres de Marcel Pagnol. Elle signa également les musiques de quelques films du producteur et réalisateur bordelais Émile Couzinet. Une compositrice s’impose à cette période dans le milieu anglo-saxon, la Britannique Doreen Carwithen (1922-2003), qui signa notamment quelques « scores » pour la compagnie anglaise Hammer Productions dans les années 1950. Cependant, dans la période des grands studios américains où chaque Major a son propre orchestre, les femmes apparaissent peu. On peut toutefois mentionner Eleanor Aller Slatkin (1917-1995), violoncelliste réputée de l’orchestre de Max Steiner.

Dans les productions cinématographiques plus récentes et pour la télévision, des compositrices américaines sont souvent sollicitées. C’est le cas de Lolita Ritmanis, Shirley Walker, Cynthia Millar ou Miriam Cutler. À côté de quelques Canadiennes, dont Dolores Claman et Nathalie Boileau, ou de la Péruvienne Selma Mutal, l’Australienne Nerida Tyson-Chew se spécialise, elle, dans les films d’horreur. Au Japon, la production de films d’animation suscite une forte demande musicale, à laquelle sont appelées à répondre Yoko Kanno, Michiru Oshima ou Yoko Shimomura. Dans la seconde moitié du XXe siècle, plusieurs Britanniques prolifiques sont reconnues, telles Ilona Sekacz, qui signe beaucoup de musique pour la télévision, Debbie Wiseman, Angela Morley, dont la carrière débute dans les années 1950 avec de nombreuses séries télé et qui a reçu deux nominations aux Oscars, Jennie Muskett, et Anne Dudley, qui a obtenu un oscar en 1998 pour la comédie The Full Monty et a écrit la partition de Black Book (2006). Travaillent aussi beaucoup pour le cinéma l’Italo-Américaine Suzanne Ciani, les Allemandes Silke Matzpohl et Annette Focks – qui a connu en 2007 un succès international avec Quatre minutes –, la Polonaise Joanna Bruzdowicz*, dont le compagnonnage avec Agnès Varda* (cinq films ensemble dont Sans toit ni loi) a été fructueux.

En France, la compositrice Béatrice Thiriet a collaboré avec Pascale Ferran* pour trois films : Petits arrangements avec les morts, L’Âge des possibles et le récent multi-césarisé Lady Chatterley.La première femme à avoir obtenu l’oscar de la meilleure musique de film dans la catégorie comédie est la Britannique Rachel Portman en 1997, pour Emma, l’entremetteuse de Douglas McGrath. Deux nominations suivront en 2000 et 2001, juste reconnaissance de sa grande élégance, notamment dans l’instrumentation. Quant à la Britannique Jocelyn Pook, son travail sur Eyes Wide Shut (1999), ultime film de Stanley Kubrick adapté d’une nouvelle d’Arthur Schnitzler, l’a rendue célèbre. Bien que le recours fréquent à des grands noms classiques dans les films de S. Kubrick ait comme corollaire de limiter le nombre de compositeurs vivants impliqués, on compte néanmoins parmi ceux-ci plusieurs femmes, outre J. Pook : Wendy (ex-Walter) Carlos et Rachel Elkind pour The Shining (1980), Abigail Mead (pseudonyme de Vivian Kubrick, fille de Stanley) pour Full Metal Jacket (1987). J. Pook, diplômée de la Guildhall School of Music and Drama de Londres où elle étudie l’alto, témoigne d’un parcours multiple. Membre fondatrice du groupe The Communards, cofondatrice du sextet féminin Electra Strings, elle a collaboré comme altiste ou arrangeuse à plusieurs albums. Parallèlement, elle compose une œuvre personnelle où se mêlent tendances classiques et expérimentales. C’est l’album Déluge qui la fit connaître à S. Kubrick. Les quatre thèmes composés par la musicienne pour le film s’inscrivent parfaitement dans le voisinage de Chostakovitch, Ligeti et, de façon plus anecdotique, Mozart dans un court extrait du Requiem. J. Pook a ensuite été remarquée par Martin Scorsese (Gangs of NewYork, 2002), a travaillé avec Laurent Cantet (L’Emploi du temps, 2001) et Sébastien Lifshitz (Wild Side, 2004).

Plusieurs compositrices de musique de film viennent des domaines du rock ou de la pop. Émilie Simon (La Marche de l’empereur, 2005) ou Olivia Bouyssou (L’Empire des loups, Camping sauvage et The Passenger, 2005) du groupe The Do peuvent être considérées aujourd’hui comme des artistes pop qui trouvent dans la musique de film un moyen d’expression entre deux albums « personnels ». La chanteuse australienne Lisa Gerrard, ex-membre du groupe Dead Can Dance, a participé activement à la création vocale de Gladiator (2000) avec Hans Zimmer, et a composé pour The Insider (1999) et Ali (2001) du réalisateur Michael Mann. Björk*, la célèbre rock-star islandaise, fut remarquée pour sa première composition pour le cinéma dans Dancer in the Dark, qui a valu au film une Palme d’or et un prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2000. Cependant, la relation houleuse qu’elle a eue avec le réalisateur danois Lars von Trier pendant le tournage laisse peu d’espoir à une nouvelle expérience dans ce sens. On ne peut négliger Beth Gibbons*, la chanteuse anglaise du groupe « trip-hop » Portishead, Jill Wisoff ou Maud Geffray, qui a composé la musique du film de Zoe Cassavetes Broken English (2008).

Née en 1978 d’un père ingénieur du son, Émilie Simon* s’oriente très tôt vers le chant lyrique au conservatoire national de Montpellier puis étudie la musicologie à Paris-Sorbonne, l’électronique à l’Ircam et obtient un DEA de musique contemporaine. Parcours atypique pour quelqu’un qui allait devenir une chanteuse d’électro-pop au succès considérable et loin des standards de sa « chapelle » d’origine. Après le succès de son premier album en 2003, elle entreprend, à la surprise générale, de composer la musique du film animalier de Luc Jacquet, soit près de 70 minutes à composer. La musicienne a réussi une parfaite adéquation de la partition à son sujet grâce au choix de l’instrumentation (captures sonores, cordes, voix de la chanteuse parfois plaintive, percussions, texture cristalline ou ouatée, instrument ancien, etc.). Elle a aussi utilisé deux instruments peu connus : un glass harmonica et un cristal Baschet, instrument inventé par les frères Baschet en 1952 et composé de lames de verre disposées comme sur un clavier. La musique d’É. Simon rapproche le spectateur-auditeur de ce milieu étranger qu’est l’Antarctique, et le rend familier de l’étonnante façon de marcher de ces manchots empereurs.

Philippe BIRABEN

COMPTON-BURNETT, Ivy [PINNER, MIDDLESEX 1892 - LONDRES 1969]

Romancière britannique.

Ivy Compton-Burnett reçoit son éducation à la campagne avec ses frères et sœurs, puis étudie les classiques au Holloway College, à Londres. À la mort de son père, sa mère tombe dans la névrose, ses deux sœurs se suicident ensemble et son frère meurt à la guerre. Elle s’installe à Chelsea avec Margaret Jourdain, spécialiste d’art décoratif. En 1911, elle publie son premier roman, Dolores, histoire d’une jeune fille qui se sacrifie devant l’égoïsme paternel, thème qui va devenir récurrent dans ses œuvres. De par la technique qu’elle instaure, elle est considérée comme la pionnière du Nouveau Roman français, et reconnue comme telle par Nathalie Sarraute*. Davantage que les personnages, elle s’intéresse aux relations entre eux, à cet espace intermédiaire où se développent le mal absolu, la monstruosité ordinaire qui culmine dans une totale négation, d’où les titres duels de ses romans (Frères et sœurs, 1929 ; Des hommes et des femmes, 1931 ; Une famille et une fortune, 1939). Elle établit un diagnostic moral sans discours métaphysique, sans ironie, sans réalisme, dans une sorte de nudité de la dénonciation sociale et familiale. Incestes, adultères, homosexualité, obsession de l’argent et du pouvoir sont les thèmes de ses 20 romans dans lesquels Jane Austen* rencontre Marx et Freud. L’écriture est tout en dialogues, stylisée, artificielle même, car dans cette rupture avec les structures héritées du passé, elle ne peut que renvoyer à son statut même de fiction.

Michel REMY

Frères et sœurs (Brothers and Sisters, 1929), Paris, 10-18, 1992 ; Des hommes et des femmes (Men and Wives, 1931), Paris, Gallimard, 2008 ; Une famille et une fortune (A Family and a Fortune, 1939), Paris, Phébus, 2008.

GODDEN J., Ivy Compton-Burnett, Basingstoke, Macmillan, 1993.

COMTESSE DE DIE [DIE fin XIIe siècle]

Trobairitz (ou femme troubadour) française.

Les quelques lignes de la vida de la comtesse de Die posent manifestement la question de la relation entre fait et fiction, qui caractérise les biographies de troubadours rédigées au XIIIe et début du XIVe siècle. Le texte nous dit qu’elle fut l’épouse de Guilhem de Poitiers, information qui ouvre plusieurs possibilités : était-elle Béatrice de Viennois, femme de Guillaume Ier de Poitiers, comte de Valentinois, qui possédait des terres près de Die dans la Drôme ou bien celle de Guilhem de Peytieux dont la famille obtint le titre de comte de Die en 1307, ou bien encore la fille du comte Isoard de Die ? Quant au Raimbaut d’Orange dont elle fut amoureuse, on s’accorde généralement à l’identifier comme le grand poète avec qui elle échangea une tenson, bien qu’on ne puisse exclure l’hypothèse qu’il se soit agi de son petit-neveu. L’approche historique restant incertaine, certains ont considéré que l’auteur de sa vida aurait voulu associer la poétesse à deux grands troubadours : Guillaume IX de Poitiers et Raimbaut d’Orange. Si l’on s’en tient aux quatre cansos qu’elle a composées, leur analyse formelle les situe dans la seconde moitié du XIIe siècle ; elles permettent aussi de lier la comtesse de Die aux poètes Raimbaut d’Orange, Bernard de Ventadour et Azalaïs de Porcairagues*. La place prépondérante qu’elle a occupée peut se mesurer au nombre de manuscrits qui reproduisent ses chansons, à celui des miniatures qui offrent son portrait, et au fait qu’elle est la seule trobairitz dont on conserve une mélodie : celle de la cansó, A chantar m’er de çò qu’ieu non volria (« Il me faut chanter ce que je ne voudrais point chanter »).

Madeleine JEAY

BEC P., Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock, 1995 ; BOGIN M., Les Femmes troubadours (1976), Paris, Denoël, 1978.

HUCHET J.-C., « Trobairitz : les femmes troubadours », in Voix de femmes au Moyen Âge, savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XIIe-XVe siècles, RÉGNIER-BOHLER D. (dir.), Paris, R. Laffont, « Bouquins », 2006.

CONAN, Laure (Félicité ANGERS, dite) [LA MALBAIE 1845 - MONTRÉAL 1924]

Écrivaine canadienne.

Élevée chez les Ursulines à Québec, Félicité Angers, grande lectrice, se passionne pour les auteurs classiques français et québécois. En 1862, elle rencontre Pierre-Alexis Tremblay, de dix-huit ans son aîné, qui lui paraît un très honorable prétendant. Mais la demande en mariage tarde ; le prétendant évoque un étrange vœu de chasteté, idée qui n’est pas pour plaire à la jeune fille. Tremblay se marie finalement avec une autre femme en 1870. Félicité n’oubliera jamais cet échec amoureux, qui la conduit à se détacher de la société et à s’interroger sur les conventions sociales et la destinée. Sous le pseudonyme de Laure Conan, elle est l’auteure de 11 ouvrages, qui mettent au premier plan la famille et la religion. En 1878, La Revue de Montréal publie Un amour vrai, une nouvelle ; avec Angéline de Montbrun (1882), elle écrit le premier roman psychologique canadien. Après À l’œuvre et à l’épreuve (1891) et L’Oublié (1900), elle publie en 1919 deux courtes nouvelles sous forme de journal intime (La Vaine Foi ; L’Obscure Souffrance). Son dernier roman, La Sève immortelle, paru un an après sa mort, n’a pas l’accent de ses premières œuvres. L. Conan meurt isolée, incomprise et sans obtenir la reconnaissance littéraire qu’elle aurait méritée.

David A. POWELL

Œuvres romanesques, 3 vol., Le Moine R. (dir.), Montréal, Fides, 1974-1975.

HAYWARD A., « Angéline de Montbrun, essai de sociopsychocritique », in Littérature québécoise, voix d’un people, voies d’une autonomie, Dorion G., Voisin M. (dir.), Bruxelles, Éd. de l’université de Bruxelles, 1985, 33-54.

CONCELLO, Antoinette (née COMEAU) [QUÉBEC 1910 - BLOOMINGTON 1984]

Trapéziste canadienne.

Antoinette Comeau est encore aujourd’hui une référence pour l’histoire du trapèze volant. Sur le point de prendre le voile, elle rend visite à sa sœur Gertrude, trapéziste dans la troupe des Flying Wards, à Bloomington, et rencontre un autre voltigeur de la troupe, son futur mari, Arturo M. Vasconcellos. À cette époque, les trapézistes volants mobilisent leurs forces pour tenter de renouveler l’exploit d’Ernest Clarke qui réussit le triple saut périlleux en 1909. A. Concello travaille à son tour. Douée, persévérante et légère, elle réalise peu à peu le double saut périlleux de bâton à porteur, puis le « double » avec demi-vrille, et tente le double et demi, véritable challenge pour les femmes qui, selon les hommes volants, ont une morphologie qui leur interdit tout simplement ces prouesses. À la mort d’Eddie Ward, Arturo rachète l’école de trapèze et, avec Antoinette et Gertrude, forme la troupe des Flying Concellos. Ils partent en engagement au cirque Ringling Bros. and Barnum & Bailey (1930), au Cirque d’Hiver de Paris (1933), à la Scala de Berlin (1934), chez Bertram Mills à Londres (1935). Arturo réussit enfin le « triple » et Antoinette le double et demi. De retour aux États-Unis en 1937, au cirque Ringling Bros. and Barnum & Bailey, la trapéziste tourne enfin un incontestable triple saut périlleux avec Edward Ward junior comme porteur. Elle est proclamée première femme au monde à réussir cet exploit… en attendant la divulgation de l’exploit réussi par Lena Jordan* en 1896 à Sydney. En 1942, elle est nommée aerial director dans le même cirque géant pour former et encadrer 50 acrobates et créer des ballets aériens présentés sur les trois pistes en même temps.

Marika MAYMARD

COUDERC P., « Le “triple” au trapèze volant », in Le Cirque dans l’univers, no 54, 1964.

CONCEPCION, Mercedes B. [MANILLE 1928]

Sociologue et démographe philippine.

Mercedes B. Concepcion est considérée comme la « mère » des études démographiques en Asie. Elle entre en 1955 comme enseignante-chercheuse au Statistical Training Centre de l’université des Philippines. En 1963, elle soutient sa thèse de sociologie à l’université de Chicago. Ses travaux de recherche et ses publications portent sur la population, le planning familial, le vieillissement, les politiques démographiques et le développement aux Philippines et en Asie. En 1964, M. B. Concepcion crée et dirige l’UP Population Institute, centre de recherche et de formation en démographie dont elle devient la doyenne (1970-1984), puis elle fonde le Philippine Social Science Council (PSSC), qui regroupe toutes les associations professionnelles philippines en sciences sociales, et le Philippine Social Science Center en 1983. Nommée professeure à l’université des Philippines en 1988, elle entre à l’Académie nationale des sciences et technologies en 1992. Outre ses travaux de recherche, elle a été consultante pour de nombreuses organisations internationales telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et diverses agences des Nations unies. Elle a également reçu de nombreux prix prestigieux : National Social Scientist Prize en 1993 ; Prix des Nations unies en matière de démographie en 2005 ; National Scientist Prize en 2010.

Asuncion FRESNOZA-FLOT

« Why population growth is still an issue in the Philippines », in Selected Essays on Science and Technology for Securing a Better Philippines, Diliman, Quezon City, University of the Philippines Press 2008.

« Asian wins United Nations Population Award for 2005 », in Population Headliners, no 306, 2005 ; « From Mexico to Cairo and beyond : twenty years of population challenges and development goals », in Asia Pacific Population Journal, vol. 21, no 2, 2006 ; « Dr. Mercedes Concepcion is the 33rd National Scientist from UP », in The UP Newsletter, no 4, avr. 2010.

CONCEPTION ET NAISSANCE – ANTHROPOLOGIE

Au questionnement sur la création des êtres humains, la filiation et les ressemblances, les hommes ont donné de multiples réponses. Ce que constatent les anthropologues, en comparant ces conceptions de la vie et de sa transmission, c’est la permanence d’une recherche de réinterprétation de la nature par des artifices culturels. Si l’engendrement relève de la nature, la procréation biologique ne suffit pas à faire un enfant : les diverses représentations de la conception humaine tendent à marquer l’emprise d’une intervention autre que naturelle et, le plus souvent, à attribuer aux hommes un rôle qu’ils n’ont pas naturellement. Les pratiques visant à faire naître l’enfant non seulement au monde, mais à la vie sociale, confortent cette construction culturelle.

Représentations de la conception

Si la réalité biologique est la même pour tous, les représentations varient d’une culture à l’autre. Selon la conception inuit par exemple, l’union sexuelle est indispensable à la fabrication du fœtus. Le sperme du père fabrique les os, tandis que le sang de la mère donne la chair et la peau de l’enfant. La forme que prend le fœtus, sa ressemblance avec l’un ou l’autre parent, dépend de la force vitale de chacun. Mais à ce stade, il n’est pas encore un enfant. Il faut pour cela l’intervention d’un être supranaturel, Sila, le maître de l’univers, qui introduit une âme principe de vie sous la forme d’une bulle d’air dans le corps de l’enfant (Bernard Saladin d’Anglure, 1980).

On retrouve souvent, dans les différentes conceptions relevées de par le monde, la nécessité qu’au-delà de l’union du couple de géniteurs intervienne un tiers ou un ensemble de facteurs dont, en dernier ressort, dépend la réussite de l’opération. Ainsi, dans de nombreuses sociétés africaines, le coït ne saurait être suffisant sans l’aval des ancêtres, la bénédiction des responsables lignagers et le respect strict d’interdits bien précis. Des rôles différents peuvent être attribués aux procréateurs. Pour les Trobriandais de Mélanésie (Bronisław Malinowski, 1929 ; Annette B. Weiner, 1979), la part des femmes domine. Dans cette société matrilinéaire, l’enfant est conçu à partir de la rencontre d’un enfant-esprit (esprit d’un mort) et du sang menstruel d’une femme. Le mort ayant décidé de se réincarner pénètre sous forme d’esprit le corps d’une femme de son clan, qu’il féconde. Mais l’homme joue aussi un rôle car dès que la femme se sait enceinte, son mari doit multiplier les rapports sexuels afin de nourrir le fœtus de son sperme et de lui donner forme par l’action de son pénis, qui fonctionne comme un outil. Le père n’intervient pas au niveau de la conception, mais c’est grâce à lui que l’enfant prend forme humaine, avec notamment un visage qui ressemble au sien.

La prééminence féminine peut également être illustrée par le cas des Na de Chine, qui ont pu être qualifiés de « société sans père ni mari » (Cai Hua, 1997). En effet, l’organisation sociale repose sur la seule matrilignée. Les femmes élèvent avec leurs frères les enfants qu’elles ont grâce aux amants de passage qui leur rendent visite. Aucun lien n’est établi entre un enfant et son géniteur. En revanche, dans d’autres sociétés comme les Baruya de Nouvelle-Guinée (Maurice Godelier, 2004), dont le système de parenté est patrilinéaire, si l’union entre l’homme et la femme est considérée comme nécessaire à la conception, c’est le sperme du père seul qui est responsable de la fabrication des os, de la chair et du sang de l’enfant, la mère n’apportant rien d’elle-même. Elle n’est que la détentrice du « sac » dans lequel le père dépose le sperme qui permet à l’enfant de se développer. Durant toute la grossesse, le père devra nourrir l’enfant à naître en multipliant les rapports sexuels et, après la naissance, c’est encore grâce au sperme paternel que l’enfant trouve du lait dans les seins de sa mère. S’il reste un peu de sang dans l’utérus maternel, l’enfant pourra ressembler à sa mère. Mais tout lui vient du côté paternel.

Ces représentations sont multiples, souvent complexes. Elles reposent sur l’observation, mais aussi sur des récits mythiques ou des explications parfois circonstancielles, en fonction des questions posées par les anthropologues. Plusieurs systèmes explicatifs peuvent coexister dans une même société, des influences extérieures venant parfois interférer avec les conceptions locales, et les femmes peuvent avoir une conception différente de celle des hommes. La cohérence de ces systèmes explicatifs repose sur des visées culturelles plutôt que scientifiques.

Naître parmi les humains

Il ne suffit pas de venir au monde pour avoir existence humaine. L’enfant devra également être reconnu comme tel et, pour cela, recevoir la vie sociale, ce qui peut se faire de différentes manières. Dans de nombreuses sociétés, cette naissance sociale est en partie assurée par l’attribution d’un nom, à l’instar du baptême dans la tradition chrétienne. Pour reprendre l’exemple inuit, le fœtus devenu enfant suite à l’intervention de Sila n’est pas encore un être social : il doit pour cela recevoir un ou plusieurs noms (B. Saladin d’Anglure, 2006). Le choix du nom, s’il est laissé aux parents de l’enfant, est inspiré par un défunt, dont l’âme nom aspire à revenir dans le cycle de la vie. La cérémonie de dation du nom confère à l’enfant son existence sociale et l’inscrit dans une généalogie imaginaire qui vient doubler la généalogie biologique, car en recevant le nom d’un mort c’est aussi son identité qu’il fait revivre. Les âmes noms relient entre eux les individus, l’enfant recevant avec le nom l’expérience de ceux qui l’ont porté avant lui. Cette conception transparaît de manière tangible dans l’usage de travestir en fille, jusqu’à sa puberté, le garçon qui a reçu un nom porté auparavant par une femme (et vice versa), ainsi que dans les termes d’adresse utilisés envers l’enfant mais renvoyant à son éponyme. La pratique de ce que les anthropologues ont appelé « la couvade » est un autre fait significatif visant à donner à l’enfant une existence sociale et non seulement biologique. Il s’agit de « l’ensemble ritualisé des notions et des conduites associées à la naissance qui entraîne pour le père qu’il renonce à ses activités ordinaires ».

Ainsi, chez les Txikáo du Brésil central (Patrick Menget, 1979), l’être humain n’est nullement formé à la naissance. Sa conception est exclusivement masculine, le sperme étant seul actif dans la fabrication de l’embryon. Il est nécessaire alors de multiplier l’apport de sperme et il est bien rare qu’un homme suffise : l’enfant a un petit groupe de géniteurs, dont le mari de sa mère fait généralement partie. S’il reçoit une âme dans les heures qui suivent sa naissance, il faut attendre plusieurs semaines avant qu’il tienne sa tête, signe qu’il n’est pas encore formé. Alors seulement, il recevra son nom. Entre-temps, il aura commencé à boire le lait maternel, substance qui prend le relais du sperme dans la formation de l’enfant. Après la naissance, des restrictions d’activité, la diète et la continence s’appliquent à la mère comme au père et aux cogéniteurs, toutes les personnes impliquées dans la formation de l’enfant étant soumises aux mêmes restrictions, sous peine d’empêcher son bon développement ou de tomber elles-mêmes malades.

Pour que l’être qui naît puisse être considéré par la société comme un être humain, les lois de la nature sont bien souvent masquées par des lois culturelles qui donnent aux hommes (père, mais aussi prêtre ou médecin) des rôles indispensables à la formation complète de l’enfant et la relation femme-enfant n’est pas toujours reconnue comme première. Les manuels de puériculture et les principes inculqués par les médecins au cours du siècle dernier en France peuvent aussi être interprétés comme des exemples révélateurs de la volonté d’emprise masculine. Les recommandations, mais aussi les pressions morales, s’exerçaient d’abord sur le lien incontestable qui unit naturellement mère et enfant, pendant la grossesse et l’allaitement (Geneviève Delaisi de Parseval* et Suzanne Lallemand 1998).

Cécile LEGUY

DELAISI DE PARSEVAL G., LALLEMAND S., L’Art d’accommoder les bébés, cent ans de recettes françaises de puériculture, Paris, Odile Jacob, 1998 ; GODELIER M., Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004 ; HUA C., Une société sans père ni mari, les Na de Chine, Paris, Presses universitaires de France, 1997 ; MALINOWSKI B., La Vie sexuelle des sauvages du Nord-ouest de la Mélanésie (1929), Paris, Payot & Rivages, 2000 ; MENGET P., « Temps de naître, temps d’être, la couvade », in IZARD M., SMITH P. (dir.), La Fonction symbolique, essais d’anthropologie, Paris, Gallimard, 1979.

CONCOURS DES ACADÉMIES LITTÉRAIRES ET SCIENTIFIQUES [France XVIIIe siècle]

En France, les académies littéraires et scientifiques offrent aux femmes une ouverture importante sur le monde intellectuel et artistique au XVIIIe siècle. Peu d’entre elles acceptent des membres féminins mais les concours annuels que ces institutions proposent en poésie, en éloquence, et sur des questions scientifiques et morales, permettent néanmoins aux femmes de contribuer aux activités académiques puisque l’envoi des manuscrits est obligatoirement anonyme. Les statuts de l’académie des Jeux floraux de Toulouse vont jusqu’à préciser que « toutes les personnes de quelque qualité qu’elles soient, de l’un et l’autre sexe, pourront aspirer aux prix [… ] ». Certes, même dans ce milieu relativement protégé, l’ambition littéraire féminine comporte des risques ; les périodiques sont parfois cruels dans leur critique des écrits soumis par les femmes. Dans d’autres cas, les concours représentent une véritable consécration officielle, véhiculant l’intégration de la femme auteur dans la culture littéraire locale.

La participation des femmes aux concours ne se limite pas au domaine des lettres. Cependant, le cas d’Émilie du Châtelet*, qui envoie sa Dissertation sur la nature et la propagation du feu à l’Académie royale des sciences en 1738, est plutôt exceptionnel. Pour la plupart, ce sont les concours poétiques et les sujets littéraires ou moraux qui attirent les femmes auteurs. À ce titre, la carrière de Jeanne Ségla de Montégut est exemplaire. Bornant ses activités à l’académie des Jeux floraux, elle ne publie aucun ouvrage de son vivant, hormis des poèmes qui paraissent dans les recueils annuels de cette académie. Elle est nommée maîtresse des Jeux floraux en 1741, grâce à ses multiples triomphes ; au moment de sa mort en 1753, elle est encensée lors de la distribution des prix. De même, l’académie de l’Immaculée Conception de Rouen se montre particulièrement ouverte à la participation des femmes, perpétuant ainsi un précédent qui remonte au XVIIe siècle. Vers la fin du siècle suivant, quelques-unes des figures les plus illustres de la littérature féminine sont tentées par les concours, y compris Marie-Jeanne Phlipon (future Mme Roland*) qui envoie une dissertation sur l’éducation des femmes à l’académie de Besançon en 1777, et Isabelle de Charrière* qui concourt pour le prix d’éloquence à l’Académie française en composant un Éloge de Jean-Jacques Rousseau en 1790. Tout aussi intéressant à cet égard est le concours dédié à l’éloge d’une femme (la marquise de Sévigné*), parrainé par l’académie de Marseille en 1778 et remporté par la présidente, Denyse Brisson.

John IVERSON et Marie-Pascale PIERETTI

CONDE, Carmen [CARTHAGÈNE 1907 - MADRID 1996]

Écrivaine espagnole.

Première femme à être nommée à l’Académie royale de la langue espagnole, Carmen Conde y prononce son discours de réception, « Poesía ante el tiempo y la immortalidad » (« poésie face au temps et à l’immortalité »), en 1979. Elle fonde en 1931, avec son mari, Antonio Oliver Belmás, l’Université populaire de Carthagène. En 1934, un an après la mort de sa fille – qui l’ébranle profondément –, elle publie Júbilos (« joies »). Pendant la guerre civile, elle collabore activement, au côté de son époux, avec l’armée républicaine. À la fin de la guerre civile, elle est la première écrivaine à affirmer ne pas croire à la différence entre les littératures féminine et masculine : pour elle, le langage est un outil commun à tous et capable de rendre compte des différentes expériences. Après le conflit, les années 1940 sont très productives pour le couple, malgré une séparation forcée ; l’auteure utilise plusieurs pseudonymes, dont Magdalena Noguera et Florentina del Mar. Réuni en 1945, le couple s’installe à Madrid, où elle travaille dans des maisons d’édition et des organismes officiels. Elle publie Ansia de la Gracia (« désir de grâce », 1945) et Mujer sin Edén (« femme sans paradis », 1947). La violence de la guerre a changé pour toujours sa conception de l’écriture. Ce changement est sensible dans El arcángel (« l’archange », 1939) ou Mientras los hombres mueren (« tandis que les hommes meurent », 1953). À partir de 1982, les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer se manifestent ; elle continue cependant à travailler et remporte notamment le Prix national de littérature enfantine et juvénile pour Canciones de nana y desvelo (« berceuses et chants d’insomnie », 1985). En 1992, elle lègue à la ville de Carthagène l’ensemble de son œuvre littéraire ainsi que celle de son mari. Elle est l’auteure de plusieurs biographies (Gabriela Mistral*, les sœurs Brontë*, Rubén Darío, entre autres), de deux livres de mémoires (Empezando la vida, memorias de una infancia en Marruecos, « début de la vie, mémoires d’une enfance au Maroc », 1955 ; Por el camino, viendo sus orillas, « depuis la route, regardant le rivage », 1986), d’ouvrages de réflexion sur la littérature et sur la poésie féminine, et d’une vingtaine de pièces de théâtre, dont une majorité pour enfants.

Àngels SANTA

CONDÉ, Maryse (Marise Liliane Appoline BOUCOLON, dite) [POINTE-À-PITRE 1937]

Écrivaine guadeloupéenne.

À 16 ans, Maryse Condé quitte son île pour poursuivre ses études de lettres à Paris. Après son mariage en 1960, elle part en Guinée. Son expérience africaine (au Ghana et au Sénégal) écorne le mythe de l’Afrique mère, cher à la négritude. Lorsqu’elle revient en France en 1973, elle soutient un doctorat en littérature antillaise. C’est une saga historique, Ségou (Les Murailles de terre, 1984 ; La Terre en miettes, 1985), qui lui donne sa notoriété. Le roman suivant confirme son succès : Moi, Tituba, sorcière noire de Salem (1986) emprunte aux procès de Salem du XVIIe siècle la figure de la « sorcière » noire, dont elle invente le passé et l’avenir dans un récit d’une grande puissance, à la fois réaliste et magique. À partir de 1982, elle enseigne aux États-Unis et fonde le Centre d’études françaises et francophones de l’université Columbia où elle exerce une intense activité d’écriture critique. Auteure prolixe, elle est habile en machines romanesques. Son style efficace emporte l’adhésion d’un large public. La Vie scélérate obtient le prix de l’Académie française en 1988 et son ouvrage autobiographique, Le Cœur à rire et à pleurer, contes vrais de mon enfance, le prix Marguerite-Yourcenar (décerné à un écrivain de langue française vivant aux États-Unis) en 1999. En 2008, à Paris, le Trophée des Arts afro-caribéens (catégorie fiction) couronne Les Belles ténébreuses. Auteure de nouvelles, elle a écrit également des pièces de théâtre dont certaines ont été jouées conjointement en France et aux États-Unis, et des récits pour la jeunesse dont Haïti chérie, réédité sous le titre Rêves amers. Écrivaine engagée dès ses premiers ouvrages, elle a été la première présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage de 2004 à 2008.

Christiane CHAULET ACHOUR

CONDORCET, Marie-Louise-Sophie DE GROUCHY, marquise DE [MEULAN 1764 - PARIS 1822]

Écrivaine et salonnière française.

Michèle CROGIEZ

CONG XUAN VOIR DING LING

CONLON, Evelyn [MONAGHAN 1952]

Nouvelliste et poétesse irlandaise.

Après avoir vécu plusieurs années en Australie et beaucoup voyagé en Union soviétique puis en Asie avant de revenir en Irlande, elle est d’abord remarquée pour ses nouvelles, rassemblées dans les recueils My Head is Opening (1987), Taking Scarlet as a Real Colour (« il faut voir l’écarlate comme une vraie couleur », 1993), dont le texte ayant donné son titre au recueil est adapté pour le festival de théâtre d’Édimbourg, et Telling : New and Selected Stories (2000). Elle a aussi écrit plusieurs romans, dont Stars in the Daytime (« des étoiles qui brillent le jour », 1989) et Mots croisés (1998). Ses écrits sont profondément ancrés dans la réalité historique et politique de son temps, mais dépassent les limites de l’Irlande. Ainsi, en 1995, elle publie les écrits de réfugiés bosniaques vivant en Irlande. En 2004, elle publie une anthologie de poèmes et de textes en prose, Later On (« plus tard »), destinée à commémorer le trentième anniversaire de l’attentat de Monaghan, perpétré par des paramilitaires loyalistes en 1974. Le roman Skin of Dreams (« la peau des rêves », 2003) a pour thème les conséquences de la peine de mort. Records on Globe Street (« archives de Globe Street », 2011) évoque le déchirement vécu par de jeunes Irlandaises envoyées en Australie pour échapper à la famine des années 1845, à jamais séparées de tout ce qui leur était familier, confrontées à des mariages forcés, ou à des vies de servitude.

Sylvie MIKOWSKI

Mots croisés (A Glassful of Letters, 1998), Arles, Actes Sud, 1999.

CONNOLLY, Maureen Catherine [SAN DIEGO 1934 - DALLAS 1969]

Joueuse de tennis américaine.

Un météore. Elle n’avait pas 20 ans lorsqu’elle joua son dernier match. Mais en quatre saisons à peine, Maureen Catherine Connolly avait fait le tour de la question, signant un exploit encore inédit. Enfant, sa mère n’ayant pas les moyens financiers de lui payer les cours d’équitation dont elle rêve, elle opte pour le tennis, car l’accès aux courts de San Diego est gratuit. Remarquée à 12 ans, elle est aiguillée vers l’ancienne coach d’Alice Marble, Eleanor « Teach » Tennant, qui accepte de l’entraîner, faisant de cette gauchère naturelle une droitière et lui inculquant sans relâche un esprit des plus combatifs. En 1951, peu avant son dix-septième anniversaire, elle remporte ainsi les Internationaux des États-Unis. Au printemps 1952, elle s’envole à la découverte de l’Europe. Durant le tournoi de Wimbledon, elle s’affirme à plusieurs titres avec une étonnante autorité : dans ses rapports directs avec la presse, par sa voix qui en un instant peut devenir impérieuse, et parce qu’elle s’affranchit brusquement de la tutelle de son mentor E. Tennant ; ainsi que sur le gazon anglais où elle s’assure le privilège d’ouvrir le bal des vainqueurs. À Forest Hills, elle s’adjuge le tournoi pour la deuxième fois. En 1953, épaulée par l’aimable Nell Hopman, elle commence l’année par des Internationaux d’Australie victorieux. Puis c’est l’Europe, avec quelques difficultés à Rome, mais deux succès indiscutables à Roland-Garros, puis à Wimbledon. Enfin, elle triomphe pour la troisième fois consécutive à Forest Hills, bouclant ainsi ce « Grand Chelem » demeuré jusqu’alors mythique, apanage chez les messieurs du seul Don Budge en 1938. Son jeu, qui semble simple, vise à l’essentiel ; son extrême concentration va de pair avec une régularité sans faille éclairée de montées au filet judicieuses et décisives. Si elle ne se rend pas en Australie au début de l’année 1954, elle remporte de nouveau sans coup férir Roland-Garros et Wimbledon. Dix-sept jours après, le 20 juin 1954, son cheval Merryboy – car elle a réalisé ses désirs d’enfant – la jette contre un camion. Elle ne rejouera plus jamais en compétition. Mariée, mère de deux filles, celle qui fut une femme-enfant reine du tennis resta très active jusqu’à la fin de sa vie.

Jean DURRY

HUMPHRIES R., TINLING T., Love and Faults, Personalities who have Changed the History of Tennis in my Lifetime, New York, Crown Publishers, 1979.

CONNOR, Linda [NEW YORK 1944]

Photographe américaine.

Connue comme photographe de paysage, Linda Connor réalise des images au noir et blanc soigné, à la fois exotiques et spirituelles. Cette photojournaliste de renom a également fait des essais de photographies astronomiques au Lick Observatory, en Californie. Elle a enseigné au San Francisco Art Institute à partir de 1969. Formée auprès de Harry Callahan à la Rhode Island School of Design de Providence, puis d’Aaron Siskind à l’Institute of Design de Chicago (1969), elle parcourt le monde pendant ses études : Inde, Mexique, Thaïlande, Pérou, Népal, Égypte, Hawaï et sud des États-Unis, en photographiant hommes et paysages. Elle s’intéresse aux ruines, aux mégalithes, aux grottes, et, plus particulièrement, aux lieux sacrés comme les temples, les cathédrales, les sculptures bouddhistes ou les pyramides. Lors de son séjour en Inde et au Népal (1979-1980), elle est fascinée par la pauvreté, la spiritualité et la fusion entre l’homme et la nature. Après 1978, elle met en scène les grottes américaines comme des formes visuelles du sacré. L’artiste est aussi réputée pour ses photographies presque irréelles du Machu Picchu (cité inca du Pérou, 1984) ou pour ses plans rapprochés d’arbres (Tree Decorated with Ceremonial Cloth, « arbre décoré d’un linge cérémonial », 1991). Parce qu’elle travaille avec une grande chambre photographique et des plaques de verre, les contours sont estompés et les tons atténués, comme à travers un filtre. Elle a d’ailleurs souvent recours à un vieil appareil, une chambre 8 x 10 et un objectif soft-focus. Elle développe elle-même ses photographies, dans son jardin, à la lumière naturelle, conférant à ses images une esthétique qui rappelle la photographie du XIXe siècle et le pictorialisme. Elle dit souhaiter « explorer les frontières culturelles entre la nature et le sacré ». En marge de sa modernité, liée à son style documentaire et à sa technique, son sens du spectaculaire et son enthousiasme pour les différentes cultures en font l’héritière des grands photographes américains de paysage que sont Frederick Sommer et Robert Adams.

Anne REVERSEAU

Solos, Millerton, Apeiron Workshops, 1979 ; avec ADAMS R., GOWIN E., Odyssey : The Photographs of Linda Connor, San Francisco, Chronicle Books, 2008.

LA CONQUÊTE SPATIALE [depuis 1963]

Le 16 juin 1963, la Soviétique Valentina Terechkova* devenait la première femme à voyager dans l’espace. Au 12 avril 2011, 54 femmes seulement lui avaient succédé, soit 10 % des 519 voyageurs de l’espace.

Une première, dictée par la propagande

Le 12 avril 1961, le vol du premier homme dans l’espace, Iouri Gagarine, un « fils du peuple » soviétique, produisit un retentissement formidable à travers le monde. De ce fait, Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS, demanda, à la fin de l’année, qu’une femme d’origine prolétarienne vole à son tour. Le recrutement fut facilité par les nombreuses candidatures spontanées reçues après le vol du second Soviétique dans l’espace, Gherman Titov, en août 1961. Cinq aspirantes, âgées de 20 à 28 ans, toutes civiles et pratiquant le parachutisme en aéroclub, furent ainsi sélectionnées. Elles débutèrent leur entraînement de cosmonaute en mars 1962 et ce n’est qu’à son issue, quinze mois plus tard (et douze jours avant le lancement), que fut désignée celle qui entrerait dans l’histoire : V. Terechkova, élue car elle était ouvrière du textile.

La Mouette, nom de code du vaisseau Vostok 6 à bord duquel elle prit place, s’envola le 16 juin 1963, deux jours après le lancement de Vostok 5, occupé par le cosmonaute Valeri Bykovsky. Les deux vaisseaux se croisèrent à une distance de 6 kilomètres et une liaison radio fut établie entre les cosmonautes. Mais le vol, d’une durée de trois jours, ne fut pas exempt de problèmes : V. Terechkova aurait soit souffert de claustrophobie, soit pris de mauvaises initiatives ; après l’atterrissage, le constructeur principal, Sergueï Korolev, se serait exclamé : « Qu’on ne me parle plus de nanas ! » Malgré ces propos, le projet d’expédier un équipage uniquement féminin et de réaliser la première marche féminine dans l’espace réapparut en 1965. Les doublures de V. Terechkova, Valentina Ponomariova et Irina Soloviova, furent affectées à ce vol qui se heurta à une très forte opposition de la part des cosmonautes masculins. Transformé en séjour de longue durée (15-20 jours), il fut abandonné à la mort de S. Korolev, en janvier 1966. Il faudra attendre dix-neuf ans après le vol de V. Terechkova pour qu’une femme puisse à nouveau emprunter la voie du cosmos…

Le rendez-vous manqué des Mercury 13

Si l’URSS a été le pays le plus rapide à envoyer une femme dans le cosmos, un médecin de la Nasa avait été le premier à l’envisager. En effet, en février 1960, alors que s’entraînaient les célèbres astronautes du programme Mercury, Randolph Lovelace lança, sans renfort de publicité, le projet Pensacola. Soutenu financièrement par la femme d’affaires et pionnière de l’aviation Jackie Cochran, il souhaitait démontrer la plus grande capacité des femmes à supporter les contraintes d’un voyage spatial. Dans sa clinique d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, il mit ainsi à l’épreuve 25 femmes pilotes. Elles subirent les mêmes batteries d’examens et de tests difficiles, voire cruels, que ceux endurés par leurs homologues masculins. Âgées de 20 à 40 ans, 13 candidates réalisèrent des performances stupéfiantes, parfois supérieures à celles des hommes. Animées d’une motivation incroyable, elles furent surnommées les Mercury 13. Cependant, non militaires et dénuées d’expérience quant aux avions à réaction, elles se heurtèrent à la décision finale du gouvernement qui s’opposa à la poursuite du programme. L’une des plus brillantes recrues, Jerry Cobb, âgée de 31 ans, tenta de mobiliser la presse et organisa, en juillet 1962, un débat au Congrès, en vain. Elle retenta sa chance trente-six ans plus tard, lorsque la Nasa annonça son intention de faire participer John Glenn (de 10 ans son aîné) à une mission de la navette. Mais elle ne fut pas sélectionnée.

Deuxième manche soviétique

En janvier 1978, dans la perspective de son programme de navette spatiale, la Nasa présenta sa première sélection mixte d’astronautes : 29 hommes et 6 femmes, toutes docteures. Aussitôt, les Soviétiques lancèrent un appel à candidature et recrutèrent 8 femmes en juillet 1980. Parmi elles figurait Svetlana Savitskaïa, la première femme pilote d’essai soviétique, surnommée la Femme de fer. Elle fut désignée pour séjourner une semaine à bord de la station Saliout 7 en août 1982, grillant la politesse à ses homologues américaines. Puis elle effectua un second vol spatial en juillet 1984, durant lequel elle fut la première femme à travailler dans le vide de l’espace. Mais la dynamique s’arrêta là : contrairement à la dizaine d’Américaines qui séjournèrent dans l’espace entre 1984 et 1994, aucune Soviétique ne réitéra l’expérience à la même période.

L’aubaine de la navette

C’est donc l’arrivée du nouveau système de transport spatial américain qui permit réellement aux femmes de s’émanciper dans l’espace. La physicienne Sally Ride* fut la première Américaine à séjourner une semaine autour de la Terre à bord de la navette Challenger en juin 1983. Elle fut rapidement suivie par ses camarades de promotion, puis par d’autres, jusqu’à ce que l’intégration de femmes dans les équipages des navettes devienne quasi systématique.

La montée en puissance des vols de navettes à la fin des années 1980 fut même favorable aux projets d’ouvrir l’espace au plus grand nombre. La Nasa lança ainsi les programmes Teacher in space, puis Journalist in space, accessibles aux enseignants et aux journalistes de n’importe quel sexe. L’explosion de Challenger, le 28 janvier 1986, et la disparition de l’institutrice Christa McAuliffe qui se trouvait à bord, stoppèrent brutalement l’accès aux astronautes non professionnels. C’est en février 1995 qu’une femme, Eileen Collins, occupa pour la première fois la place de pilote d’une navette, à l’occasion du premier rendez-vous avec la station russe Mir. Lors de son troisième vol en 1999, elle accéda au rang de commandant de bord d’une navette – consécration ultime pour les pilotes de la Nasa. Une seule autre femme, Pamela Melroy, a obtenu une telle affectation en 2007.

Femmes de tous les pays

C’est encore à l’Union soviétique que revint l’honneur d’inviter la première étrangère à bord de l’un de ses vaisseaux spatiaux. Alors que la Nasa envisageait le vol d’une Canadienne à bord de la navette, l’URSS s’empressa d’inviter l’Anglaise Helen Sharman, diététicienne de 27 ans, pour un séjour d’une semaine à bord de la station Mir en novembre 1990. Par la suite, les autres étrangères ne furent pas légion : la Française Claudie Haigneré*, la femme d’affaires irano-américaine Anousheh Ansari et la Sud-Coréenne Yi So-Yeon à bord de vaisseaux soviétiques ou russes, les Canadiennes Roberta Bondar et Julie Payette et la Japonaise Mukai Chiaki à bord de navettes américaines.

80 % des femmes de l’espace sont donc américaines, ce qui ne doit pas faire oublier que le secteur spatial américain reste dominé par une culture masculine. Malgré leurs hautes qualifications (ingénieures, chercheuses, médecins, pilotes) et leur comportement régulateur (un facteur-clé de la réussite des vols de longue durée), reconnu au sein d’équipages mixtes, aujourd’hui encore, les femmes doivent redoubler d’efforts pour s’imposer. Ainsi, la Russe Elena Kondakova, première femme à effectuer un vol de longue durée à bord de la station Mir, déclarait en 1995 : « Ce que j’ai retenu de ces cinq années de formation, c’est qu’à qualités égales, une femme doit doublement faire ses preuves dans un domaine réservé aux hommes. »

Pierre-François MOURIAUX

CONRAD-MARTIUS, Hedwig [BERLIN 1888 - STARNBERG 1966]

Philosophe allemande.

Fille du célèbre médecin Friedrich Martius qui a dirigé la clinique de l’Université de Rostock, fondateur de la recherche moderne sur la physiologie, Hedwig Martius a été l’une des premières femmes en Allemagne à suivre des études universitaires. Après des études de littérature et d’histoire à Rostock et à Fribourg, elle se consacre à partir de 1909 à Munich à la philosophie avec Moritz Geiger. Au semestre d’hiver 1911-1912, elle entre en contact avec le cercle des élèves de Husserl à l’université de Göttingen. Edith Stein* et Gerda Walther* la suivent. Peu de temps après, elle est directrice de la Société philosophique nouvellement fondée. À ce cercle, appelé plus tard « München-Göttinger-Phänomenologen-Schule », appartiennent de nombreux représentants de la vie intellectuelle de l’époque. À partir de 1937, elle vit avec son mari à Bad Bergzabern où ils exploitent une plantation de fruits. Pendant les mois d’hiver, elle continue ses recherches philosophiques (un temps freinées par l’interdiction de publication du régime nazi). Elle reçoit la visite d’Edith Stein, ce qui renforce leur amitié. Après la Seconde Guerre mondiale, elle enseigne la philosophie naturelle et devient professeure honoraire à Munich en 1955. Parce qu’elle pense que la phénoménologie transcendantale et idéaliste de Husserl ne répond pas véritablement au phénomène du réel (Realontologie, 1923), H. Conrad-Martius développe ce qu’elle appelle une « phénoménologie ontologique », ontologie réelle qui sera également la base de ses recherches ultérieures concernant la philosophie de la nature, la cosmologie, ainsi que ses études sur le temps et l’espace (Die Zeit, « le temps », 1954 et Der Raum, « l’espace », 1958). Elle a créé une philosophie de la nature en la confrontant aux sciences de son temps et surtout à la physique (plus particulièrement aux résultats de la mécanique quantique et à la théorie de la relativité). Elle a repris la notion de téléologie d’Aristote. En tenant compte des pensées de la philosophie de la vie et du vitalisme (Hans Driesch), H. Conrad-Martius établit une conception non vitaliste de l’entéléchie, qu’elle présente comme un processus organique fondé sur une totalité naturelle (Selbstaufbau der Natur, « l´autogenèse de la nature », 1944).

Martin HÄHNEL

PFEIFFER AE., Hedwig Conrad-Martius, eine phänomenologische Sicht auf Natur und Welt, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005 ; AVÉ-LALLEMANT E., « Hedwig Conrad-Martius (1888-1966) », in Zeitschrift für philosophische Forschung, 31/2, 1977.

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME [Québec depuis 1973]

Créé en 1973, le Conseil du statut de la femme (CSF) est le principal organisme du gouvernement du Québec ayant mandat de définir, de défendre et de promouvoir les intérêts et les droits des Québécoises ainsi que le principe de l’égalité des sexes. « Condition féminine Canada » est son vis-à-vis fédéral. Le Conseil remplit plusieurs rôles : entre autres, mener des études afin de cerner les conditions de vie des Québécoises ; conseiller le gouvernement du Québec sur toute question relative aux femmes ; alimenter les mobilisations des groupes de femmes ; informer la population ; faire le pont entre le gouvernement et les groupes de femmes au chapitre des politiques publiques. Présent partout au Québec, le Conseil relève de la ministre responsable de la Condition féminine, qui en est la responsable politique au sein du gouvernement du Québec. La gestion quotidienne de l’organisme est assumée par la présidente du CSF, aidée d’un comité de dix membres qui témoignent des conditions de vie diverses des femmes du Québec. Au fil des ans, le Conseil a traité un large et riche éventail de questions liées à la condition féminine, telles la diversité culturelle et la liberté religieuse, l’égalité économique, la mondialisation ou encore les violences sexuelles envers les filles et les femmes.

Manon TREMBLAY

CONSEILLÈRES FÉDÉRALES [Suisse depuis 1848]

Depuis 1848, la Suisse est gouvernée par un Conseil fédéral, composé d’un collège de sept membres élus par le Parlement pour un mandat de quatre ans renouvelable. La présidence du Conseil est assurée par l’un de ses membres pour un an. Les femmes peuvent y être élues depuis 1971. Le Conseil fédéral est assisté par le chancelier fédéral, parfois appelé « huitième conseiller fédéral ».

Parmi les présidentes, en 1999 et en 2007, les conseillères fédérales socialistes Ruth Dreifuss (1940) et Micheline Calmy-Rey (1945) sont les premières femmes présidentes du collège gouvernemental. La troisième femme à devenir présidente du Conseil fédéral est Eveline Widmer-Schlumpf (en 2012).

Parmi les conseillères fédérales, Elisabeth Kopp-Ikle (1936), avocate, conseillère nationale du Parti radical, est la première élue au Conseil (1984-1989) ; puis ce sera Ruth Metzler-Arnold (1964), de 1999 à 2003, pour le Parti démocrate-chrétien ; Doris Leuthard (1963), avocate proche des milieux économiques, présidente du même parti élue en 2006. Après les élections de 2007, le Conseil fédéral compte trois femmes, et, en plus, Corina Casanova (1956), nommée vice-chancelière en 2005, élue chancelière fédérale en décembre 2007, et réélue en 2011 pour un nouveau mandat de quatre ans Simonetta Sommarruga (1960), la dernière élue, entre tôt en politique pour le Parti socialiste ; conseillère nationale (1999-2003), puis conseillère aux États (2003-2010). Elle est élue conseillère fédérale en 2010.

René LEVY

CONSTANCE DE CASTILLE [SORIA V. 1405 - MADRID 1478]

Mystique et écrivaine espagnole d’expressions castillane et latine.

D’ascendance royale, Constance de Castille a pour père le fils d’un premier mariage annulé de Pedro Ier, dit le Cruel (1334-1369). Elle reçoit la protection de sa cousine Catherine de Lancaster (1373-1418), dont la première femme de chambre et conseillère est Leonor López de Córdoba*. Elle entre très jeune dans la vie religieuse, au couvent de Santo Domingo el Real de Madrid. Elle est nommée prieure en 1416, responsabilité qu’elle assume jusqu’en 1465. Elle entretient de bons rapports avec les autorités ecclésiastiques et en reçoit des faveurs qui lui permettent à la fois de renforcer son autorité et d’apporter des améliorations au réfectoire, au cloître et à la chapelle du couvent, où elle-même sera inhumée. À une date imprécise, entre 1465 et 1474, elle « compose et ordonne », selon ses propres termes, une compilation de dévotions, méditations et prières écrites, pour la plupart, en espagnol ou en latin, ces dernières étant accompagnées de leur traduction en espagnol. Ce groupe de textes est conservé sous la forme d’un codex de vélin, incluant 13 cahiers − soit 113 pages manuscrites en écriture gothique – ; il contient des compositions dans la tradition des hymnes chrétiens, et des prières de sa propre création, dans lesquelles elle utilise diverses figures stylistiques, comme la métaphore ou le dialogue. Le thème central s’articule autour de la vie et de la passion du Christ, et accorde un rôle essentiel à la Vierge Marie, s’attachant à exprimer son irrépressible douleur devant la mort de son fils. L’œuvre, clairement didactique, s’adresse aussi bien à la communauté des religieuses qu’aux fidèles qui pourraient la lire. Elle réfléchit sur les faiblesses humaines et en appelle à l’éloignement des vices qui lient l’être humain au monde extérieur, considéré comme dangereux pour la vie spirituelle des femmes.

María José VILALTA

HUÉLAMO SAN JOSÉ A. M., « El devocionario de la dominica Sor Constanza », in Boletín de laAnabad, t. 42, no 2, 1992 ; ID., « La dominica Sor Constanza, autora religiosa del siglo XV », in Revista de literatura medieval, n° 5, 1993 ; RUCQUOI A., « Lieux de spiritualité féminine en Castille au XVe siècle », in Via Spiritus, n° 7, 2000.

CONSTANCE DE RABASTENS [RABASTENS V. 1340 - ID. V. 1386]

Visionnaire française.

Le peu d’informations que nous détenons sur Constance de Rabastens vient des Révélations qu’elle a dictées à son confesseur Raymond de Sabanac de 1374 à 1386. Elle appartient sans doute à la bourgeoisie de Rabastens, ville située entre Toulouse et Albi, et se présente comme illettrée. Elle reçoit ses premières visions au moment de la mort de son mari qui la laisse seule avec deux enfants, dont un fils, futur moine bénédictin. Elle témoigne à plusieurs reprises de l’influence que les franciscains ont exercée sur elle et sur les laïcs dévots de la ville, et que l’on entrevoit lorsque la « voix » avec laquelle elle dialogue sans cesse dans ses visions demande qu’on lui lise l’Apocalypse. Cette lecture marque de façon déterminante la nature de ses révélations. Constance prend en effet parti sur les deux crises majeures de l’époque : le Grand Schisme et la guerre de Cent Ans. Hostile au pape d’Avignon, elle défend malgré tout Charles VI. Dans la lutte de ce dernier contre le roi d’Angleterre, elle provoque les Armagnacs et fait valoir le soutien que lui apporte Gaston Fébus, traduisant ainsi les conflits de pouvoir régionaux. Avant que l’inquisiteur de Toulouse ne l’interroge sur la validité de ses visions et n’y mette fin, elle intervient auprès du conseil municipal de Rabastens et est consultée par des notables. L’intérêt fondamental de l’expérience de Constance est de fournir un témoignage précieux sur la façon dont l’information politique et les connaissances théologiques étaient transmises aux laïcs, en particulier aux femmes sans accès à une formation scolaire ; ce parcours montre surtout comment celles-ci s’appropriaient un savoir qu’elles ne se contentaient pas d’absorber passivement. On peut noter à cet égard le rôle qu’a joué l’image dans les visions de Constance, qu’il s’agisse des fresques de l’église Notre-Dame-du-Bourg de Rabastens ou des illustrations des apocalypses. Enfin, comme pour d’autres visionnaires de la période telles Marie Robine* et bien sûr Jeanne d’Arc*, l’exemple de Constance met en évidence la fonction de guide auprès des grands, dévolue à ces femmes du peuple.

Madeleine JEAY

CABIÉ R. (éd. et trad.), Révélations de Constance de Rabastens, Barcelone/Toulouse, Facultat de teologia de Catalunya/Institut catholique de Toulouse, 1995.

JEAY M., « Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes », in Le Petit Peuple dans l’Occident médiéval, BOGLIONI P., DELORT R., GAUVARD C. (dir.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.

CONSTANT, Paule [GAN, PYRÉNÉES-ATLANTIQUES 1944]

Écrivaine française.

Jusqu’à sa trente et unième année, Paule Constant vit dans différents pays d’Afrique et d’Asie, avant de s’installer dans le sud de la France, où elle enseigne comme professeure de littérature à l’université. Son œuvre, élaborée avec précision, selon une démarche presque balzacienne, se tisse et se déploie avec des jeux d’échos dans les thèmes et les décors, le retour de personnages, la reprise de scènes. À ce titre, et bien qu’ils puissent être lus indépendamment, plusieurs textes forment des trilogies, sans que soit pris en compte l’ordre de publication : se dessine ainsi la trilogie américaine emblématique du monde occidental ou encore une trilogie africaine qui confronte l’Afrique coloniale et la postcoloniale. La place qu’occupent dans les romans ces deux continents dit assez la fascination qu’ils exercent sur l’écrivaine ; mais, au-delà du simple décorum, les lieux appellent une réflexion sur ces sociétés, leurs cultures, leurs mœurs et leurs travers. Plus explicitement engagées, les autres trilogies concernent l’éducation des filles et ses absurdités, ou la justice et le monde carcéral. Dans l’ensemble, les ouvrages sont caractérisés par une unité de lieu, des huis clos aux atmosphères étouffantes où les protagonistes portent en eux exil, souffrances et humiliations : ainsi de la figure de l’enfant aux prises avec la cruauté du monde des adultes, qui revient d’une œuvre à l’autre. Usant d’une veine satirique féroce ou portant un regard tendre et amusé sur ses personnages, l’écrivaine raconte sans complaisance la violence des rapports humains, avec le désir d’aller au-delà des apparences. Ses romans ont été couronnés par des prix littéraires : White Spirit a reçu le Grand Prix de l’Académie française en 1990 ; Confidence pour confidence est élu prix Goncourt 1998. Ces succès lui valent d’être traduite dans le monde entier. Outre sa collaboration à plusieurs documentaires télévisuels, elle est également jury de nombreux prix littéraires, notamment du Goncourt.

Marie-Anne LENOIR

Ouregano, Paris, Gallimard, 1980 ; Propriété privée, Paris, Gallimard, 1981 ; La Fille du Gobernator, Paris, Gallimard, 1994 ; Sucre et secret, Paris, Gallimard, 2003 ; La Bête à chagrin, Paris, Gallimard, 2006.

CONSTANTINE, Murray VOIR BURDEKIN, Katharine

LES CONTAT, UNE DYNASTIE D’ACTRICES [France XVIIIe-XIXe siècle]

Louise Françoise, dite Contat aînée (1760-1813), débute à la Comédie-Française en 1776 dans l’emploi des ingénues, avant d’aborder les rôles d’amoureuses, de coquettes et de « jeunes mères ». Nommée sociétaire en 1777, elle interprète les rôles de son emploi – Célimène, Elmire, Philaminte –, mais le rôle de Suzanne du Mariage de Figaro en 1782 est le plus brillant d’une longue carrière au cours de laquelle elle ne connaîtra que le succès. Surnommée Thalie pour sa grâce et sa gaîté, elle est l’interprète idéale de Beaumarchais et de Marivaux. Après la tardive consécration de l’auteur à la Comédie-Française, elle crée le rôle d’Araminte des Fausses Confidences en 1793. Protégée par la reine Marie-Antoinette, elle est rangée dans le camp des comédiens monarchistes emprisonnés en 1793. Sauvée de l’échafaud par la réaction thermidorienne et par l’intervention de Talma, acquis à la Révolution, elle réapparaît au théâtre en août 1794. En 1799, elle fait partie de la troupe reconstituée de la Comédie-Française, ainsi que sa jeune sœur Émilie, que sa protection avait fait admettre à la Comédie-Française.

Émilie Contat (1770-1846) fait une carrière discrète dans l’emploi des soubrettes. En 1784, à peine âgée de 15 ans, elle joue Fanchette dans le Mariage de Figaro. Sociétaire dès 1785, elle se maintient à la Comédie-Française jusqu’en 1815.

Louise Contat, tout au contraire, laisse le souvenir d’une femme d’esprit, fine et séduisante. Elle prend sa retraite en 1809, après avoir joué devant la famille impériale. Sa fille, connue sous le nom de Mlle Amalric (vers 1788-1865), débute à la Comédie-Française en 1805, dans le rôle de Dorine de Tartuffe ; elle est reçue sociétaire la même année. Dotée de talent mais jalousée, elle est limitée dans des rôles de second plan et quitte la Comédie en 1808, un an avant sa mère. Mariée avec J.-F. Abbéma, elle est la mère de la peintre Louise Abbéma*, qui portraitura Sarah Bernhardt*, à laquelle elle vouait, dit-on, une admiration saphique.

Noëlle GUIBERT

DUSSANE B., La Célimène de Thermidor, Louise Contat (1760-1813), Paris, Charpentier, 1929.

LE CONTE ET SES MÉTAMORPHOSES [Suède XIXe-XXe siècle]

Les dernières décennies du XIXe siècle voient apparaître en Suède une étonnante littérature pour enfants qui s’inspire à la fois du conte populaire et du conte tel qu’il était pratiqué par H. C. Andersen. Le nouveau conte conserve la trame du conte populaire, ses péripéties, ses personnages et en partie son merveilleux, mais introduit un enfant « ordinaire », qui, pour une raison ou une autre, se retrouve dans le monde enchanté. Zacharias Topelius, écrivain finlandais d’expression suédoise, fut un pionnier du genre. Sous le regard de l’enfant, les terribles trolls perdent de leur cruauté, les métamorphoses deviennent moins effrayantes, les conflits s’atténuent et changent de nature. Une forte composante didactique fait obligatoirement partie de ce conte d’un genre nouveau. Ce type d’ouvrage connaît en Suède une popularité sans précédent.

Plusieurs facteurs ont contribué à l’élaboration du genre : d’une part, l’avènement d’une nouvelle pédagogie, plus ludique et plus attentive aux besoins du jeune public, due à Ellen Key*, notamment à son Siècle de l’enfant (1900), et, d’autre part, la vague néoromantique qui submerge les arts à partir des années 1890. La vaste campagne pour l’instruction populaire menée à cette époque a pour effet la création de plusieurs publications périodiques dans lesquels collaborent des auteurs et des illustrateurs de tout premier ordre. Par la suite, beaucoup de ces contes sont repris dans des recueils, comme : En sagokrans (« une couronne de contes », 1903) et Sagor (« contes », 1907), de Helena Nyblom (1843-1926) ; Anna Wahlenbergs sagor (« les contes d’Anna Wahlenberg », 1908) et Guldhönan och andra sagor (« la poule d’or et autres contes », 1923), de Anna Wahlenberg (1858-1933) ; De sju ljusen (« les sept lumières », 1913), de Anna Maria Roos (1862-1938) ; Sagor och visor (« contes et chansons », 1910), de Jeanna Oterdahl (1879-1965).

La célébrité d’Elsa Beskow (1874-1953), auteure et illustratrice, repose d’abord sur ses nombreux albums, parmi lesquels La Ballade de la petite, petite grand-mère (1897) ou encore Les Aventures de Peter au Pays des myrtilles (1901). Kistan på herrgårdsvinden (« le coffre du manoir », 1926), Bubbelemuck och andra sagor (« Bubbelemuck et autres contes », 1944) sont des contes plus longs, plus élaborés, où les images ne jouent qu’un rôle secondaire ; s’adressant à un public plus âgé, ils traitent de problèmes plus complexes, mais offrent aussi des histoires drôles, de fines analyses psychologiques, beaucoup d’humour et une grande élégance de style.

Le sommet du genre est atteint avec Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson (1907), de Selma Lagerlöf*. Ce livre de plus de 400 pages, aux innombrables péripéties, présente toutes les composantes du conte, y compris le didactisme (il s’agissait d’une commande du ministère de l’Éducation, souhaitant disposer d’un livre de lecture en géographie). Mais à partir des années 1910, le conte commence à donner des signes d’essoufflement ; incapable de se renouveler, il se parodie lui-même, les trouvailles de jadis se transforment en clichés. Le jeune public le délaisse au profit d’histoires réalistes qui prédominent dans l’entre-deux-guerres, même si les recueils de contes continuent à être publiés. Le renouveau ne viendra qu’après 1945, avec Astrid Lindgren* : Fifi Brindacier ou Lillebror och Karlsson på taket témoignent d’une rupture radicale avec l’époque précédente. Il s’agit de récits qui pourraient être qualifiés de réalistes si la présence d’un personnage merveilleux ne leur conférait un aspect fantastique, voire absurde. Les œuvres plus tardives d’A. Lindgren, telles que Les Frères Cœur-de-lion et Ronya, fille de brigand, renouent avec la tradition du conte traditionnel, en reprenant la totalité de ses traits distinctifs. L’univers enchanté des Moumines, de Tove Jansson*, est celui du conte amplifié à l’extrême : il absorbe le réel et se substitue à lui. L’absurde naît du mélange entre les objets de la vie quotidienne et des attributs magiques, du contraste entre l’apparence fantastique des personnages – dérivés des trolls et autres créatures surnaturelles du conte traditionnel – et leur comportement humain et leur ancrage dans un milieu socioculturel précis. Entre le premier ouvrage de la série, Une comète au pays de Moumine (1946), et le dernier, Sent i november (« tard en novembre » 1970), un mouvement impressionniste vise à saisir au vif les états d’âme des personnages, leur vie intérieure, leurs relations. Et le conte n’est plus qu’un déguisement, un prétexte.

Elena BALZAMO

BALZAMO E., Le Conte littéraire suédois, évolution d’un genre, Lille, université de Lille-III, 1989.

ID., « Génétique de l’imaginaire, du troll” à moumine-troll” », in Germanica, n° 3, 1988 ; ID., « Du vilain petit canard à l’oie sauvage (Z. Topelius et S. Lagerlöf) », in Germanica, no 4, 1988 ; ID., « Elsa Beskow, le conte sur mesure », in Germanica, n11, 1992.

CONTESSA LARA (Evelina CATTERMOLE MANCINI, dite) [FLORENCE 1849 - ROME 1896]

Poétesse italienne.

Fille d’un Anglais et d’une Russe, Evelina Cattermole Mancini reçut une bonne éducation et vécut dans un milieu cultivé. À l’âge de 18 ans, soutenue par Francesco Dall’Ongaro, ami de sa famille, elle put publier un premier livre de vers intitulé Canti e ghirlande (« chants et festons »). Après un mariage qui ne dura que quelques années et s’acheva en tragédie (son mari tua en duel son amant) en 1875, elle vécut à Florence et à Rome. En 1883, elle publia, grâce à Mario Rapisardi, un deuxième recueil de poésie, Versi (« vers »), sous le pseudonyme de Contessa Lara. En 1886 parut E ancora versi (« encore des vers »). Elle collabora aux revues les plus à la mode et s’occupa également d’une rubrique féminine pour la Tribuna Illustrata ; elle écrivit des romans comme L’innamorata (« l’amoureuse », 1892), le recueil Storie d’amore e di dolore (« histoires d’amour et de souffrance », 1893) et des livres pour enfants. Ses aventures sentimentales rocambolesques, son choix d’une vie indépendante, la mort violente qu’elle subit par la main de son dernier amant – le peintre Giuseppe Pierantoni – entourèrent son personnage d’un halo de mystère et d’équivoque. Gabriele D’Annunzio se serait inspiré d’elle pour son personnage féminin du Triomphe de la mort. Benedetto Croce n’apprécia guère ses vers. Le recueil de poésie lyrique esthétisante Ultimi versi (« derniers vers », 1897) parut à titre posthume.

Marta SAVINI

Poesie, Rome, Ed. del’Oleandro, 1998 ; Tutte le novelle, Rome, Bulzoni, 2002.

DE CARLI M., « La poesia di Contessa Lara », in ID., PASQUI M., MAGAGNIN M. (dir.), Scrittura e scrittrici tra’800 e’900, s.l., Casa di cristallo, 1996 ; SPERONI G., La contessa Lara, breve e scandalosa vita di una poetessa malata d’amore, Milan, Scheiwiller, 2003.

CONTESSO, Geneviève [SAINT-MARTIN-VÉSUBIE 1932 - PARIS 2002]

Médecin histopathologiste et statisticienne française.

Après une enfance meurtrie par la maladie – une poliomyélite contractée à l’âge de 12 ans –, Geneviève Contesso garde toute sa vie une paralysie invalidante et douloureuse. Après des études secondaires scientifiques à Marseille, elle s’inscrit en 1951 à la faculté de médecine de Paris, puis retourne à Monaco pour deux années d’internat. Son certificat d’études spécialisées en anatomo-pathologie obtenu, elle effectue un stage de plusieurs mois à Berlin, référence dans le domaine. De retour à Paris, elle entre à l’Institut du cancer, qui deviendra plus tard l’institut Gustave-Roussy, qu’elle ne quittera plus. L’anatomie pathologique des tumeurs, et en particulier des cancers du sein, constitue son sujet principal de recherche. Elle s’attache à définir les bases objectives du diagnostic des tumeurs et en quantifie les éléments du pronostic. Sa thèse, en 1965, porte sur l’histopronostic des cancers et lui vaut son immense réputation. L’acquisition d’un certificat de statistiques lui permet d’aborder son sujet avec une approche quantitative. Elle ne néglige aucun ganglion, dépiste les territoires de nécrose, chiffre le nombre des mitoses. Elle applique plus tard ses méthodes à l’étude des tumeurs des os et des parties molles. Son expérience devient immense, inégalée, irremplaçable, et oriente la mise en place du traitement par les médecins oncologistes et les chirurgiens. Bien qu’elle n’ait eu aucune reconnaissance universitaire, G. Contesso a fondé une véritable « école » dont les adeptes habitent les laboratoires du monde entier. Après sa retraite, elle a continué à fréquenter l’Institut tous les mercredis pour des confrontations anatomo-cliniques avec ses élèves et ses amis. Sa vie a magnifiquement illustré une phrase de Gustave Roussy : « Le succès d’une carrière tient en grande partie à l’accomplissement consciencieux du devoir quotidien. »

Yvette SULTAN

Avec TROJANI M., COINDRE J. M. et al., « Soft-tissue sarcomas of adults : study of pathological pronostic variables and definition of a histopathological grading system », in International Journal of Cancer, vol. 33, no 1, 1984 ; avec NEZELOF C., GUINEBRETIÈRE J.-M., « Anatomie et cytologie pathologiques en cancérologie : hier, aujourd’hui et demain », in Bulletin du Cancer, vol. 87, no 1, janv. 2000.

CONTEUSES ARABOPHONES ET BERBÉROPHONES [Maroc XXe siècle]

À l’origine, les femmes qui se découvraient une âme de conteuse exerçaient cette activité à l’intérieur de la famille, du clan, voire de la tribu, le plus souvent à la demande des plus jeunes et avec l’agrément des plus âgés. Les conteuses publiques, issues des écoles et des universités, sont apparues plus tard sur la scène du conte ; elles restent peu nombreuses à exercer cette activité, en dehors des milieux du théâtre et des arts dramatiques.

Les conteuses familiales

Les conteuses du Rif sont pour la plupart originaires des campagnes et des régions montagneuses, même si les plus jeunes vivent dans les villes de la région. Les plus âgées sont analphabètes et parlent le dialecte amazigh (ou berbère) rifain ; les plus jeunes, qui ont bénéficié de l’instruction publique ou des campagnes d’alphabétisation, parlent le rifain et l’arabe marocain. Le répertoire oral est composé de contes merveilleux, de contes d’ogres et d’ogresses, de contes d’animaux et de contes réalistes, parfois de contes humoristiques, comme les histoires de Mqidesh, personnage du patrimoine oral de Kabylie que l’on retrouve dans le conte rifain du Maroc, auxquels s’ajoutent des anecdotes, des devinettes et des proverbes, et parfois des comptines pour enfants.

Les conteuses de Marrakech sont des citadines, instruites pour la plupart, vivant en exerçant les métiers de l’artisanat traditionnel urbain : couture et broderie, poterie décorative, peinture, etc. Leur répertoire comprend des légendes, des contes spirituels, religieux, merveilleux ou réalistes, des histoires d’animaux, d’ogres et d’ogresses. Il comporte aussi des contes humoristiques, des contes à énigmes, des anecdotes, des proverbes, des comptines, des chants religieux et les chants du Malhoun (poésie populaire rédigée en arabe dialectal), d’origine andalouse.

Leur dénominateur commun réside dans la nature de la transmission. Ce patrimoine oral est transmis de génération en génération et s’enrichit de caractéristiques socioculturelles nouvelles à chaque étape historique qu’indiquent l’onomastique, la toponymie, les figures de style et le lexique. La différence se manifeste dans le style des narrations, sobre et dépouillé pour les conteuses rifaines, recherché et enjolivé par des figures rhétoriques, avec des effets dans la voix et dans la gestuelle chez les conteuses de Marrakech et de Meknès.

Souad Aidat (Tchouket, née en 1975) est titulaire du baccalauréat et tient son répertoire de sa grand-mère et de ses tantes. Latifa el-Assimi (Marrakech, née en 1968) travaille dans l’enseignement et s’intéresse à la culture savante et populaire pour se constituer un répertoire varié. Noufissa el-Assimi (Marrakech, née vers 1918) est experte en artisanat traditionnel féminin et enrichit son répertoire de contes avec des maximes et des proverbes. Roukia el-Kasri (Marrakech), femme au foyer, exerce la couture et la broderie. Issue d’une famille gardienne du rite soufi du mausolée Moul L-Ksour, elle tient son répertoire de sa famille. Lalla Khadija Semlali (Marrakech, née en 1936) est mère de sept enfants. Elle est la conteuse du recueil des Contes populaires de Maknassa (Maroc) (2005). Son répertoire très étendu comprend des contes facétieux et humoristiques, des anecdotes et des comptines, reflétant l’interdépendance des mondes culturels arabophone et amazighophone. Zhour Khireddine-Guernaoui (Marrakech, née vers 1908) est issue d’une famille d’artisans traditionnels. Son répertoire est composé de contes à énigmes, de contes merveilleux et de comptines. Latifa Louisa (Tchouket, née en 1955) est illettrée et ne parle que tarifit, dialecte amazigh du Rif marocain. Son répertoire se compose de contes merveilleux, animaliers et réalistes, de comptines et de proverbes. Fatma Nemhend (Tchouket 1936-2002) ne parle que tarifit et tient son répertoire de contes de sa mère. Fadhma Nerhaj-Abdelkader (Izizaoun 1940) est illettrée et ne parle, elle aussi, que tarifit, avec des notions d’arabe dialectal. Fatma Nerhaj-Abdelkader (Tchouket, née en 1954) qui a vécu pendant dix ans en Espagne, où elle a appris le catalan, conte également en tarifit, de même que Zineb Nerhaj-Abdelkader (Tchouket, née en 1950). Samira Quirat (Tchouket, née en 1980) vit en Espagne. Elle parle le tarifit, l’arabe marocain et le catalan, et s’intéresse au patrimoine oral rifain traditionnel. Son répertoire englobe des chants religieux, des contes spirituels et légendaires, des contes merveilleux, des contes d’ogres et d’ogresses, des contes réalistes, des maximes et des proverbes. Yamina Quirat (Tchouket, née en 1958) est illettrée et ne parle que tarifit. Elle tient ses contes de type merveilleux, animalier et réaliste, de sa grand-mère et de sa mère. Kenza Seni-Sliten (Marrakech, née vers 1948) est issue d’une famille connue pour son savoir religieux ; elle s’adonne aux arts manuels traditionnels et cultive un répertoire de contes varié. Fatma Thaouarighitch (Thamsaman, née en 1945) ne parle que tarifit et dispose d’un répertoire de contes, de comptines, de chants et de proverbes.

Les conteuses publiques

À l’inverse, les conteuses publiques, instruites et diplômées, se produisent dans les institutions socio-éducatives, les établissements publics et les universités. Elles participent à la formation de jeunes ainsi qu’à l’animation de festivals culturels. Certaines font du contage une expression dramatique de grande portée symbolique, d’autres transposent le conte de l’oralité à l’écrit en faisant paraître des textes ou des recueils de textes choisis. Si les conteuses familiales perpétuent la tradition orale par la conservation des récits et leur transmission de génération en génération dans une forme quasi immuable, les conteuses publiques apportent un nouveau souffle à une tradition orale en perte de vitesse devant l’écrit et surtout l’audiovisuel. L’écriture et les nouvelles formes dramatiques au théâtre, au cinéma, à la radio, à la télévision et sur Internet offrent des possibilités insoupçonnées pour la perpétuation de ce patrimoine immatériel, son renouvellement et son enrichissement. Le répertoire des contes populaires marocains est aujourd’hui illustré par une pléiade de conteuses.

Ilham Bakal (Maroc) découvre l’art du contage dès l’âge de 5 ans. Elle fait ses études en France et obtient un diplôme de comédienne du Conservatoire d’art dramatique d’Orléans. Son répertoire est riche et diversifié, regroupant des contes marocains, juifs, maghrébins, soufis et africains. Elle les interprète, en français et en arabe, dans une langue imagée et savoureuse. Myriam el-Yamani (Maroc, née en 1983) est née d’un père marocain et d’une mère française. Elle se produit dans de nombreux festivals consacrés à la culture orale et populaire. Elle a fondé en 2002 la Nuit internationale du conte en Acadie et créé deux spectacles collectifs, L’Acadie des terres et L’Acadie de la mer. Meriem Hachimi (Rabat, née en 1985) conte en français et en arabe. Elle a fait ses études à la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat avant de poursuivre en France. Elle a publié un texte illustré, Hammam Lalla Taja (2005). Khadija Hassala (Maroc) anime des séminaires et des ateliers d’écriture et de contage à l’université et dans les établissements éducatifs. Elle rapporte des contes en français et en arabe marocain, tous issus du patrimoine oral marocain et maghrébin. De même, Amal Khizioua (Maroc) tient des séminaires et des ateliers d’écriture, de contage ou de mise en scène de contes dans les établissements éducatifs et universitaires du pays. Elle récite également des contes en français puisés dans le patrimoine marocain. Zohra Zryeq (Maroc) est enseignante et dirige des ateliers d’écriture et de contage dans les lycées et les universités. Elle conte en arabe et dispose d’un répertoire varié.

El Mostafa CHADLI

CONTEUSES FRANCOPHONES [XXe siècle]

Le conte fut d’abord oral, très vite transcrit, puis créé pour l’écrit. À la fin du XVIIe siècle, alors que Charles Perrault réunissait Les Contes de ma mère l’Oye, célèbres dans le monde entier, un orientaliste, Antoine Galland, traduisait des contes arabes dont la fortune a été étonnante : racontées par un personnage de fiction, Shéhérazade, Les Mille et une nuits sont venues nourrir l’imaginaire de toutes les cultures. Alors que nombreuses étaient les conteuses dans l’oralité, ce sont majoritairement des hommes qui ont effectué les retranscriptions écrites : ainsi des deux précédents mais aussi d’Hans Christian Andersen ou des frères Grimm, et, plus tard, la traduction en français de contes africains comme ceux de Birago Diop. Toutefois, les femmes qui ont eu accès à l’école coloniale ont aussi apporté leur contribution à cette moisson d’oralité comme le fit Marguerite Taos Amrouche*. La tradition existait déjà dans de nombreux pays d’Europe où des écrivaines ont pris ce genre en main, publiant des recueils mis le plus souvent au service des enfants et de la littérature pédagogique. L’irrévérence, la subversion et la liberté du conte ont sans doute pâti de la jeunesse de ce lectorat visé ; ce geste de conservation a souvent figé la créatrice dans le rôle de gardienne de la tradition faisant écran à son élan d’innovation.

Au XXe siècle, les conteuses écrivent, mais vont toujours puiser dans les traditions orales comme Anne Duguël (1945), dite Gudule, Annie Messina ou Janine Teisson (1948), qui signe El Djanina ses contes inspirés des Nuits. L’objectif n’est pas de reproduire fidèlement les histoires héritées mais de jouer une autre mélodie à partir de récits mémorisés. Le conte devient ainsi, par excellence, un espace privilégié de l’interculturalité. Les « néo-conteuses », comme leurs partenaires masculins, ne cessent d’augmenter depuis une quarantaine d’années ; il suffit d’aller sur Internet pour apprécier l’ampleur du phénomène. Celles-ci vont de l’écrit à l’oral redécouvert, chacune se créant son répertoire, bricolé au carrefour de plusieurs cultures et de différentes langues. Elles renouent avec la parole conteuse, recréant le lien social et assurant une cohésion avec un bagage important de culture écrite, ce qui leur donne une grande liberté de choix. Mémoire, transmission et innovation sont leurs maîtres mots : puisant dans les récits venus de sociétés patriarcales où le conte est chargé de stéréotypes misogynes, elles sont contraintes au dépoussiérage (Anne Lopez, Fatiha Berezak ou Mimi Barthélémy [1939]). Elles introduisent de la subversion, mais doivent trouver un équilibre pour que chacun se retrouve à l’instant du contage en reconnaissant le « scénario-fossile », le public exerçant un rôle de censeur et de garant de la transmission des archétypes qui entretiennent la mémoire collective.

Elles se rapprochent en cela de la troisième catégorie, celles des romancières-conteuses, qui sont aussi dans la transmission, mais dans une totale subversion, battant en brèche le noyau patrimonial. Dans un rapport différé au public et dans une démarche d’écriture moins dépendante de l’héritage ancestral, elles sont plus libres et le conte nourrit leur imaginaire. Le phénomène est particulièrement sensible chez les écrivaines francophones : Antillaises et Haïtiennes, Maghrébines et Africaines, Canadiennes et Latino-Américaines viennent de sociétés où la parole contique est vive et transmise par les femmes. Plusieurs d’entre elles originent leur désir d’écrire et de raconter des histoires dans la voix de la grand-mère expulsant le quotidien prosaïque pour entraîner vers un lointain merveilleux. Les fictions de Hawa Djabali*, Assia Djebar*, Malika Mokkedem (1949), Évelyne Trouillot*, Maryse Condé*, Simone Schwartz-Bart*, Nancy Huston*, Isabel Allende* bruissent d’allusions à ces contes du passé, repris dans une dynamique narrative nouvelle dont le résultat est souvent subversif.

À travers la variété de ces pratiques contiques se dessine en filigrane une interrogation sur l’écriture au féminin dans les sociétés et sur la position de la créatrice qui, s’appropriant les trésors de la tradition, donne de nouvelles orientations et offre de nouvelles perspectives.

Christiane CHAULET ACHOUR

CALAME-GRIAULE G. (dir.), Le Renouveau du conte, Paris, CNRS éditions, 1991 ; CHAULET-ACHOUR C., Conte et narration au féminin, Paris, Le Manuscrit, 2006 ; LA GENARDIÈRE C. de (dir.), Encore un conte ? Le Petit Chaperon rouge à l’usage des adultes, Paris, L’Harmattan, 1996.

CONTI, Anita (née CARACOTCHIAN) [ERMONT 1899 - DOUARNENEZ 1997]

Voyageuse et océanographe française.

Parce que son père, chirurgien fortuné d’origine turco-arménienne, est un adepte de l’hygiénisme, courant médical qui prône la santé par le sport et le grand air, Anita Conti n’ira jamais à l’école. Elle est éduquée par ses parents sur la côte nord de la Bretagne, et les accompagne dans leurs voyages en Méditerranée. Encouragée à exercer une profession, elle est relieuse d’art avant d’épouser un diplomate français, Marcel Conti, et de devenir journaliste pour la presse féminine. Les articles sur la mer deviennent sa spécialité. Repérée par l’Office scientifique et technique des pêches maritimes (OSTPM, ancêtre de l’Ifremer), elle est engagée comme « chargée de propagande », c’est-à-dire responsable des relations publiques. Elle demande bientôt à participer aux missions du Président Théodore Tissier, premier navire de recherche océanographique financé par l’État français, et se voit confier prélèvements, mesures et observations. La croisière la conduit à Terre-Neuve, en Islande, au Spitzberg. Lorsque la guerre éclate, elle met au service de la marine son étude des courants pour une mission particulièrement délicate : une campagne de déminage sur des bateaux de pêche reconvertis – une dérogation unique, signée par décret, était nécessaire pour qu’une femme puisse monter à bord des bâtiments militaires. Après la défaite, elle rejoint les territoires non occupés d’Afrique. De 1941 à 1943, officiellement missionnée par l’OSTPM, mais en réalité mandatée par le gouvernement d’Alger, elle cabote le long des côtes africaines sur les navires de pêche chargés d’approvisionner en poissons les populations et les armées alliées. En 1947, A. Conti songe à lancer une pêcherie, puis renonce : elle préfère vivre en bateau-stoppeuse, d’un chalutier à l’autre, de Terre-Neuve à Dakar, de Venise à Conakry. Chaque campagne de pêche est l’occasion de multiplier les photoreportages et les observations. À la fin des années 1950, tentée à nouveau de rester au port, elle accepte une collaboration proposée par le commandant Cousteau dans le cadre du Musée océanographique de Monaco, avant de se rétracter et de repartir en mer. À 80 ans passés, elle cesse de naviguer et coule une retraite solitaire et discrète jusqu’à ce que le peintre de marines Laurent Girault-Conti découvre l’incroyable collection de 40 000 photographies qu’elle garde chez elle. Des livres et des expositions rendront enfin hommage à cette grande dame de la mer. À sa mort, un capitaine terre-neuva, Jean Richer, dira d’elle : « Anita, c’est la grande sœur des marins. Une grande sœur qui aurait élevé une famille nombreuse après la disparition d’une mère. »

Christel MOUCHARD

REVERZY C., Anita Conti, 20 000 lieues sur les mers, Paris, O. Jacob, 2006.

Anita Conti, femme océan, Babeth Si Ramdam, 26 min, 1995.

CONVENTION ON THE ELIMINATION OF DISCRIMINATION AGAINST WOMEN (CEDAW)ONU [1979]

Adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 18 décembre 1979, dans le cadre de la « Décennie de la femme » proclamée en 1975, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) constitue une véritable déclaration universelle des droits des femmes. Représentant la norme la plus élevée parmi les instruments internationaux de l’Onu, elle demeure à ce jour le seul texte concernant les femmes qui assortit les droits proclamés de mécanismes de mise en œuvre. Tout en réaffirmant le principe d’égalité entre les sexes, elle établit un véritable programme d’action avec des mesures visant à permettre aux femmes de participer pleinement à tous les aspects de la vie de leur société et à leur assurer leurs droits génésiques.

Dans son article premier, la Convention donne en ces termes la première définition jamais formulée de la discrimination envers les femmes : « Toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits humains et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. » En 2011, sur les 193 États membres des Nations unies, 187 l’ont ratifiée et 2 l’ont seulement signée, dont les États-Unis. Seuls parmi les grands pays, la Somalie, le Soudan et l’Iran ne l’ont pas signée. Mais, la Convention permettant une ratification assortie de réserves, nombreux sont les États qui, invoquant une incompatibilité avec leur religion, leurs traditions ou leur culture, en particulier avec la Charia et les lois islamiques, ont assorti leur signature de tant de restrictions qu’ils l’ont littéralement privée de toute portée. Certaines réserves vont même à l’encontre du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui est pourtant proscrit par le texte. Tous les quatre ans, néanmoins, les États doivent soumettre au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, constitué de 23 experts en droits des femmes, un rapport sur les mesures adoptées dans leur société en application de la Convention, ce qui constitue une incitation non négligeable. Ainsi, le Costa Rica, après avoir ratifié le texte en 1986, a mis en place des mécanismes obligeant les hommes à assurer un soutien économique à leurs ex-épouses dans les situations de violence familiale. La Guinée, qui a ratifié la Convention en 1982, a voté en 2006 une loi qui sanctionne et punit d’emprisonnement toute personne auteure de mutilations sexuelles. Dans le cas de l’Égypte, la ratification, datant de 1981, a encouragé une efficace campagne nationale d’alphabétisation des filles. Des sociétés se relevant d’un conflit armé ont également pu profiter d’une transition électorale pour inclure les principes de la Convention dans la Constitution et la législation d’un nouvel État, comme au Timor oriental, en 2003.

Nouvel instrument permettant à la Convention d’être plus efficacement utilisée par les femmes du monde entier pour faire pression sur leur gouvernement en vue d’une amélioration de leur statut, un protocole additionnel a également été adopté et est entré en vigueur en 2000. Il habilite le Comité à recevoir et à examiner des communications et des pétitions émanant de particuliers ou de groupes de particuliers qui affirment être victimes d’une violation des droits protégés par la Convention. Le Comité peut également ordonner des enquêtes de terrain, comme cela a été le cas en 2003 au Mexique, à propos des enlèvements, des viols et des meurtres de femmes à Ciudad Juarez.

Nadine PUECHGUIRBAL

CONWAY, Anne (née FINCH) [LONDRES 1631 - ID. 1679]

Écrivaine et philosophe britannique.

Fille posthume de sir Heneage Finch et de sa deuxième femme, Anne Finch grandit dans ce qui est maintenant Kensington Palace et reçoit de toute évidence une éducation très poussée, apprenant le latin, le grec, l’hébreu et la philosophie antique, puisqu’elle devient l’une des très rares femmes philosophes du XVIIe siècle. Associée aux platoniciens de Cambridge, en particulier le cartésien Henry More qui lui transmit un enseignement par lettres étant donné l’interdiction faite aux femmes de fréquenter l’université, elle est connue pour son traité Principles of the Most Ancient and Modern Philosophers (« principes des plus anciens philosophes et des modernes »), publié anonymement et à titre posthume en 1692, ce qui explique son manque de notoriété. Elle se marie avec le vicomte de Conway, dont la bibliothèque était l’une des plus remarquables du royaume, et il l’encourage dans sa recherche. Dans son traité, elle avance une théorie de la monade inspirée de la Kabbale et d’Origène et anticipe Leibnitz (qui possédait son ouvrage). Pour elle, l’esprit de Dieu s’est mué en particules de substance créée en constante mutabilité, clé de la perfectibilité de l’homme dont les souffrances, en se muant, l’aideront à atteindre la perfection morale. Réfutant le dualisme cartésien de More, elle répond ainsi à Hobbes et Spinoza qu’elle accuse de matérialisme panthéiste. Convertie au quakerisme, elle fait de sa maison un centre de réunions quaker, initiative dangereuse pour l’époque.

Michel REMY

PARAGEAU S., Les Ruses de l’ignorance, la contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2010.

COOK, Eliza [LONDRES 1818 - WIMBLEDON 1889]

Poétesse britannique.

Eliza Cook fréquente l’école du dimanche locale et, encouragée par le fils de son professeur de musique, elle publie ses premiers poèmes politiquement engagés dans le Weekly Dispatch, puis dans The Literary Gazette et le New Monthly. Compagne du mouvement chartiste, elle prend ses distances avec O’Brien et O’Connor, les leaders historiques, pour militer avec la Société des amis, tenants de l’éducation de soi par soi. À 17 ans, elle publie son premier volume de poèmes, Lays of a Wild Harp (« les lais d’une harpe sauvage », 1835) et de 1849 à 1854, écrit, édite et publie Eliza Cook’s Journal, hebdomadaire où, dans des textes à la fois divertissants et parsemés de conseils utiles, elle diffuse ses idées de liberté politique et sexuelle. Son insistance sur la nécessité qu’ont les femmes de s’améliorer par l’éducation la rend populaire auprès des classes ouvrières. Les éditions de l’université de Toronto ont réédité, en 2009, The Poetical Works of Eliza Cook (1872).

Michel REMY

COOKSON, Catherine (née MCMULLEN) [SOUTH SHIELDS, TYNESIDE 1906 - NEWCASTLE-UPON-TYNE 1998]

Romancière britannique.

Catherine Cookson est probablement la plus lue des romancières anglaises du XXe siècle, avec plus de 100 millions d’ouvrages vendus, et ce en contraste total avec sa fuite devant la popularité. Fille illégitime d’un père bigame et joueur et d’une mère célibataire et alcoolique, dont elle a cru longtemps qu’elle était sa sœur, elle grandit dans un environnement de docks, pontons, voies ferrées, entrepôts et ateliers. Élevée par des grands-parents illettrés, elle fuit déjà son milieu en écrivant à 11 ans une histoire, quitte l’école à 13 ans, travaille à l’hospice de Marton comme blanchisseuse en 1924, prend la direction de la blanchisserie de l’hospice de Hastings en 1930, achète une petite maison à force de travail et, en 1940, se marie avec un professeur de collège, Tom Cookson. Quatre fausses couches sont suivies de quinze ans de dépression qu’elle traverse avec l’aide de son mari. En réaction, fuyant Londres et les milieux littéraires, elle se met à écrire en contact direct avec la misère de sa région natale. À son actif, on compte plus de 100 romans (dont certains sous le nom de Catherine Marchant ou Katie McMullen) et plusieurs ont été portés à l’écran, à la scène, à la radio et à la télévision. Anoblie en 1993, elle fait d’énormes dons à l’université de Newcastle, à sa bibliothèque, à la recherche médicale et à plusieurs organismes, dont une fondation, qui s’occupent de la jeunesse.

Michel REMY

Cissie (The Dwelling-Place, 1971), Paris, France loisirs, 1982 ; Le Fil invisible (The Invisible Cord, 1975), Paris, Presses de la Cité, 1982 ; L’Âme sœur (The Cultured Handmaiden, 1988), Paris, Presses de la Cité, 1990.

COOMBS, Margaret (née Margaret Gwendoline HARRIS) [MUDGEE, NOUVELLE-GALLES DU SUD 1945 - SYDNEY 2004]

Écrivaine australienne.

Fille d’un médecin installé dans une petite ville de Nouvelle-Galles du Sud, Margaret Coombs s’attache au traitement littéraire de la petite folie de tous les jours, de la fragilité émotionnelle des femmes, de leur pulsion de vie, et surtout de leur vision de l’homme, plus encore de l’homme-médecin, comme guérisseur, sauveur, gourou et maître à penser. Regards to the Czar (« mes salutations au tsar », 1988) – sa première œuvre de fiction – est un recueil de nouvelles brèves et percutantes, des tranches de vie de femmes-filles toujours en proie à l’un de ces « tsars » qui s’imposent à elles et réveillent en elles la honte et la culpabilité d’être femmes.

The Best Man for This Sort of Thing (« le meilleur homme pour ce genre de chose », 1990) est un roman relatant le cheminement d’une jeune femme en quête de celui qui la prendra en charge ; presque par jeu et beaucoup par ennui, Helen Ayling (dont le nom signifie « souffrante ») se love entre les mains d’un psychiatre qu’on lui dit être « le meilleur pour ce genre de chose ». Elle est consciente du mal qui lui est fait dans cette relation et devient pourtant de plus en plus dépendante de l’homme-médecin-père de substitution, puis malade jusqu’à la folie et au suicide. Le rythme du texte épouse la cadence du délire de la femme qui s’égare. La phrase perd ses mots et sa structure, et la pensée s’accroche aux « grands textes » et aux « grands penseurs ». Les encadrés et citations sont en contrepoint de la narration, de sorte que le texte fonctionne comme un métatexte poignant, un feu d’artifice de pensées et d’émotions dans un corps-esprit de plus en plus souffrant, jusqu’à la déraison. L’originalité de M. Coombs réside dans la façon dont elle aborde le rôle que jouent les femmes dans leur propre servitude. Ce traitement de la folie n’a cependant pas trouvé grâce aux yeux des féministes de son époque. Néanmoins, si leur représentation dans les écrits de l’auteure est nettement négative, il est aussi paradoxalement mis en évidence que leur faiblesse n’a plus lieu d’être, pour peu que les femmes le décident, par et pour elles-mêmes.

Chantal KWAST-GREFF

BARTLETT A, Jamming the Machinery : Contemporary Australian Women’s Writings, Toowoomba, Association for the Study of Australian Literature, 1998.

COOPER, Diana [GREENWICH, CONNECTICUT 1964]

Dessinatrice et artiste multimédia américaine.

Née de deux parents artistes, Diana Cooper a étudié l’histoire et la littérature au Harvard College, puis au département d’art du Hunter College à New York. Son médium principal est le dessin, appréhendé dans un champ élargi. L’artiste a, dans un premier temps, développé un travail de peinture. À la fin des années 1990, elle décide d’abandonner la peinture à l’huile pour des feutres et objets divers. Ses formats s’agrandissent alors, dans une œuvre sensible, fondée sur une pratique du dessin entre automatisme et structure, qui élabore des systèmes faits de réseaux et d’éléments diffractés. Dans toutes ses œuvres, le « gribouillage » (doodling), selon le mot qu’elle emploie, joue un rôle primordial : il sert de point de départ à une construction parfaitement contrôlée sur le plan de l’échelle et de la structure. Ainsi, le grand dessin The Black One (1997), associant matériaux divers tels que feutres, bandes d’aluminium, cure-pipes, développe un ensemble très composé de cellules noires sur la toile et sur le mur. Elle se réclame d’une abstraction qui intègre des images du réel, inventant un genre hybride capable de suggérer des éléments du monde. Son œuvre relève d’une abstraction, dans la mesure où celle-ci peut se définir comme extraction et métamorphose de ces éléments, que D. Cooper transforme par une énergie qui émane de toutes ses réalisations. Du point de vue d’une histoire de l’abstraction, avec laquelle elle reconnaît des affinités, elle s’intéresse à des œuvres singulières, telles que Brooklyn Boogie Woogie de Mondrian ou certains dessins de Sol LeWitt. Parallèlement aux dessins, dont les formats peuvent atteindre plusieurs mètres de haut et de large, elle pratique des installations qui développent un vocabulaire proche de celui des dessins : des images de la nature et de la technologie, des cellules, des trames géométriques forment un ensemble de lignes. Certaines prennent la forme de véritables machines à voir, comme l’impressionnant All Our Wandering (« toute notre errance », 2007), assemblage de parallélépipèdes rectangles rouges de tailles décroissantes, dont l’intérieur est entièrement recouvert de réseaux dessinés dans la même couleur. Dans les œuvres les plus récentes, le dessin de la ligne est remplacé par des photographies, le plus souvent retravaillées par ordinateur. Lorsqu’elle réalise ses installations et ses dessins, elle collecte un grand nombre d’images, dans lesquelles elle cherche des formes géométriques, des symétries. La juxtaposition de ces photographies crée des ensembles à mi-chemin entre des mécanismes multimédia ultrasophistiqués et des formes biologiques. D. Cooper est représentée par la Posmasters Gallery aux États-Unis. Elle expose dans des musées et institutions aux États-Unis et en Europe.

Marion DANIEL

Hew Locke (catalogue d’exposition), Londres, Drawing Room, 2004 ; Beyond the Line : The Art of Diana Cooper (catalogue d’exposition), Cleveland/New York, MoCA/DAP, 2007.

MCFARLANE K., STOUT K., The Drawing Book : A Survey of Drawing, Kovats T. (dir.), Londres, Black Dog Publishing, 2006.

COOPER, Edith Emma VOIR FIELD, Michael

COOPER, Lisa [MONROVIA, LIBERIA 1963]

Médecin et chercheuse en santé publique américaine.

D’origine libérienne, Lisa A. Cooper effectue sa scolarité en Suisse et rejoint les États-Unis à l’âge de 17 ans. C’est une bourse qui lui permet d’effectuer ses études de médecine. Elle reçoit le grade de docteure en médecine de l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill en 1988. En 1993, après un master en santé publique, elle devient professeure de médecine interne et de santé publique à l’université Johns Hopkins à Baltimore, dans le Maryland. L. Cooper a identifié le rôle crucial de l’ethnicité et du sexe dans la relation médecin-malade. Elle a fait prendre conscience que, dans le cas de patients appartenant à des catégories défavorisées, le médecin impose plus fortement sa décision. Elle a établi le lien direct existant entre la réussite des traitements et interventions chirurgicales et la participation du patient aux décisions et choix thérapeutiques. Forte de ces résultats, elle a mis au point des programmes de communication médecin-malade en fonction du degré d’éducation des patients. La prise en charge des traitements de l’hypertension artérielle et de la dépression chez les Afro-Américains par des médecins formés aux programmes qu’elle a élaborés a donné des résultats très supérieurs à ceux obtenus par des médecins non formés : les patients honorent leurs rendez-vous et sont plus assidus dans le suivi de leur traitement. Elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix de la fondation MacArthur en 2007.

Yvette SULTAN

Avec ROTER D. L., JOHNSON R. L. et al., « Patient-centered communication, ratings of care, and concordance of patient and physician race », in Annals of Internal Medicine, vol. 139, no 11, déc. 2003 ; avec BEACH M. C., JOHNSON R. L. et al., « Delving below the surface. Understanding how race and ethnicity influence relationships in health care », in Journal of General Internal Medicine, vol. 21, supp. 1, 2006.

COOPER, Muriel [BROOKLINE 1925 - ID. 1994]

Graphiste américaine.

Diplômée du Massachussetts College of Art en 1952, Muriel Cooper devient, en 1963, la première directrice artistique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), et elle en réalise d’ailleurs le logo. Elle fait figure de pionnière dans l’utilisation des nouvelles technologies en matière de design sur écran, dans le graphisme comme dans la typographie. En 1973, cinq ans après avoir découvert l’informatique lors d’un cours donné au MIT par Nicholas Negroponte, et consciente d’avoir découvert de nouveaux champs de possibilités créatrices, elle fonde avec Ron MacNeil le Visible Language Workshop au MIT. Elle y enseigne, jusqu’à sa disparition, et exerce une grande influence sur toute une génération de designers informatique, dont Lisa Strausfeld et John Maeda, ouvrant les portes de la collaboration entre informaticiens et designers. Elle réalise et conçoit pour le MIT Press près de 500 livres, dont bon nombre seront primés. Citons parmi eux : The Bauhaus, de Hans M. Wingler, en 1969 ; Learning from Las Vegas, de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Stephen Izenour, en 1972 ; Is Anyone Taking Any Notice ? de Donald McCullin, en 1973. Membre de l’Alliance graphique internationale (AGI), elle a dirigé le Muriel Cooper Media Design de Cambridge depuis sa création, en 1958. En 1994, elle présente ses travaux lors d’un congrès sur les nouvelles technologies (TED5), mettant l’accent sur la manière d’appréhender une grande masse de données tout en restant fonctionnel et parfaitement lisible.

Margo ROUARD-SNOWMAN

COOPER, Selina Jane (née COOMBE) [CALLINGTON 1864 - NELSON 1946]

Suffragiste et socialiste britannique.

Ouvrière textile à 11 ans, à peine scolarisée, Selina Cooper adhère une fois adulte au syndicat des ouvriers du textile (1889) et à l’Independent Labour Party (ILP). Elle épouse le fondateur local de la Social Democratic Federation (SDF), marxiste, et est élue à la présidence de l’association locale des Coopératrices (Women’s Cooperative Guild). En 1901, elle organise une pétition pour le suffrage féminin qui sera portée en délégation au Parlement. Là, elle rencontre Millicent Garrett Fawcett* de la National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS) et la socialiste Isabella Ford. Elle est ensuite élue au Comité local d’aide aux indigents sous l’étiquette ILP/SDF, organise le Comité suffragiste des ouvrières du textile du Lancashire, puis la Société suffragiste de Nelson. Cependant, elle n’arrive pas à faire accepter le suffrage féminin dans le programme travailliste. En 1912, socialisme et suffragisme semblent à nouveau aller de pair grâce à l’accord entre la NUWSS et le Parti travailliste. À l’entrée en guerre, S. Cooper, pacifiste, participe bravement aux défilés de la Women’s Peace Crusade. Elle perd plusieurs élections municipales parce qu’elle prône le pacifisme, le socialisme et le contrôle des naissances. Néanmoins, elle est élue au Comité d’aide aux indigents et à la magistrature, en tant que juge de paix au plan local. Dans les années 1930, elle rappelle le droit au travail des épouses et signale que les ouvrières du Nord sont menacées. Elle s’oppose au fascisme et au nazisme et rejoint un groupuscule antifasciste du parti communiste, ce qui lui vaut, en 1940, d’être exclue du Parti travailliste après quarante années de militantisme. S. Cooper, comme Sarah Reddish et Hannah Mitchell, ouvrières, syndicalistes et socialistes, ont contribué courageusement et durablement à l’émancipation des femmes.

Myriam BOUSSAHBA-BRAVARD

CRAWFORD E., The Women’s Suffrage Movement. A Reference Guide, 1866-1928, New York, Routledge, 2001 ; LIDDINGTON J., The Life and Times of a Respectable Rebel : Selina Cooper, 1864-1946, Londres, Virago, 1984 ; ID., NORRIS J., One Hand Tied Behind Us. The Rise of the Women’s Suffrage Movement, Londres, Virago, 1993.

COOPER, Susan FENIMORE [MAMARONECK 1813 - COOPERSTOWN 1894]

Écrivaine américaine.

Issue d’une grande famille de la période coloniale et fille du célèbre romancier James Fenimore Cooper, Susan Augusta Fenimore Cooper mène une carrière littéraire conforme au modèle dominant de l’époque qui confine les femmes à la sphère domestique. Si elle vit essentiellement dans l’État de New York, elle passe les années 1826-1833 en Europe, recevant une éducation solide auprès de précepteurs ou dans des pensionnats, acquérant une connaissance de l’histoire et de la culture européennes et rencontrant des personnalités comme le marquis de La Fayette, l’écrivain Walter Scott, les sculpteurs Horatio Greenough et David d’Angers. De retour aux États-Unis, sa famille s’étant définitivement installée dans son fief historique de Cooperstown (New York), elle est la secrétaire de son père, qui meurt en 1851, puis son exécutrice testamentaire. À ce titre, elle écrit des textes célébrant le souvenir du grand homme ainsi que de nombreuses introductions à ses romans. Parallèlement, elle mène une carrière d’écrivaine prolifique, publiant pendant un demi-siècle, dans les magazines les plus en vue, des nouvelles, des contes pour enfants, des esquisses biographiques et des articles sur divers sujets. Mais c’est surtout pour son évocation attentive des beautés naturelles de la Nouvelle-Angleterre rurale dans Rural Hours (« heures campagnardes », 1850) qu’elle reste connue comme écrivaine. Construite autour du déroulement des saisons et de l’observation de la vie des oiseaux et des plantes comme de la communauté humaine, cette œuvre devenue un classique de la tradition américaine de littérature de la nature est aussi une célébration du bonheur de la vie simple à la campagne. S. F. Cooper est apparue depuis comme l’une des pionnières de la préservation de l’environnement, puisqu’elle plaide pour le respect des paysages et un usage raisonnable des ressources naturelles. Dans « A lament for the birds » (« complainte pour les oiseaux »), publié en 1893 dans la revue Harper’s, elle déplore la disparition ou la raréfaction de plusieurs espèces d’oiseaux de la région du lac Otsego (New York). D’un esprit très religieux, elle œuvre en faveur d’organismes de bienfaisance et prône divers progrès sociaux (hygiène, qualité de l’eau), mais s’oppose farouchement à l’extension des droits civiques aux femmes, lui préférant leur rôle plus conventionnel d’inspiratrices morales.

François SPECQ

JOHNSON R., PATTERSON D. (dir.), Susan Fenimore Cooper : New Essays on Rural Hours and Other Works, Athens, University of Georgia Press, 2001.

COPE, Wendy [ERITH, KENT 1945]

Poétesse britannique.

Après avoir fréquenté la Farrington’s School à Chislehurst et étudié à Oxford, Wendy Cope est institutrice pendant quinze ans, éditrice en 1981 pour Contact, le magazine destiné aux enseignants, et se consacre à l’écriture à partir de 1986 comme écrivaine indépendante et critique au Spectator jusqu’en 1990. Elle publie quatre recueils de poèmes, neuf anthologies de vers intitulées tour à tour poésie comique, heureuse, humoristique, poésie pour s’endormir et deux recueils de poèmes pour enfants. À l’image de son premier recueil, qui connaît un grand succès, Making Cocoa for Kingsley Amis (« en faisant du chocolat chaud pour les amis Kingsley », 1986), sa poésie est légère, dans la mesure où elle concerne le quotidien, les désirs, frustrations, espoirs et confusions qui sous-tendent les relations intimes de tout moment – une légèreté qui ne cache pas un désespoir retenu et l’absurdité foncière de l’existence. En une sorte d’auto-ironie, dans ce même recueil, elle s’invente un double pathétique, Jason Strugnell, « poétastre » ambitieux et prétentieux qui mélange le quotidien et le noble. Elle écrit des parodies de T.S. Eliot et des sonnets de Philip Sidney, montrant là aussi son refus du sentimental et du sérieux, sagesse triste, mais aussi position politique de l’écriture postmoderne.

Michel REMY

COPPEL, Jeanne [GALAȚI, ROUMANIE 1896 - PARIS 1971]

Peintre française.

Très tôt, dès 1910, Jeanne Coppel a appris le métier de peintre : préparer ses toiles, savoir comment les pigments se tolèrent ou se combattent. Elle a gardé ces bonnes habitudes professionnelles : on est souvent étonné par la fraîcheur et la conservation de ses tableaux. En 1912, elle poursuit ses études à Berlin. Ses professeurs sont Michel Larionov et Natalia Gontcharova*, qui viennent d’inventer le rayonnisme, où les objets ne sont pas représentés par leurs formes, mais par les rayons qu’ils échangent. J. Coppel est donc une des pionnières de la peinture non figurative (peinture abstraite). En 1916, la Roumanie étant entrée en guerre, elle est contrainte de se réfugier dans un village de Moldavie où il n’y a pas de matériaux pour peindre. Ayant trouvé un lot de papiers de soie colorés, elle fait des collages « rayonnistes », mais la technique est différente, et le style de ses œuvres s’éloigne de celui de ses premiers maîtres. En 1919, revenant à Paris, elle s’inscrit à l’atelier Ranson où ses professeurs sont Édouard Vuillard, Maurice Denis et Paul Sérusier. En 1920, elle épouse Théodore Coppel et a un fils, Georges, en 1922. Entre figuration « nabi » et abstraction, J. Coppel hésite jusque vers 1936. Pendant la guerre, la famille se réfugie d’abord à Marseille, puis à Aix. En 1942, dans une situation proche de celle qu’elle a vécue en 1916, J. Coppel revient aux collages, avec une plus grande liberté. Au point de vue formel, les compositions sont plus complexes. Quant aux matériaux, elle a écrit comment leur variété peut inspirer la création picturale. De retour à Paris, en 1946, elle reprend le pinceau et réalise des tableaux très subtils à l’huile, tout en continuant les collages. Son style, d’abord très rigoureux, évolue vers des formes de plus en plus libres. Elle a beaucoup contribué au Salon des réalités nouvelles, fondé par Robert et Sonia Delaunay* en 1939. Jusqu’à la fin de sa vie, son esprit n’a cessé d’imaginer une peinture nouvelle.

Georges COPPEL

Jeanne Coppel (monographie), Gindertael R. van, Gentilly, Prisme, 1974 ; Jeanne Coppel (catalogue d’exposition), Ramond S., Bliard T. et al., série « reConnaître », Colmar/Paris, Musée d’Unterlinden/RMN, 2001 ; Jeanne Coppel (catalogue d’exposition), Coppel G., Paris, F. Livinec, 2010.