AGLAONICÉ (ou AGANICÉ) [THESSALIE VIe-Ve siècle aV. J.-C.]

Astronome grecque.

Considérée comme la première femme astronome, Aglaonicé était capable, grâce à ses connaissances, de prédire les éclipses de lune. Selon le témoignage de Plutarque (Moralia, 145c et 417a), Aglaonicé aurait fait croire qu’elle avait le pouvoir de faire descendre la lune par ses sorcelleries. De là serait née la légende concernant les femmes de Thessalie, réputées pour leurs pouvoirs magiques (Aristophane, Les Nuées, v. 749 ; Platon, Gorgias, 513a).

Marella NAPPI

AGLAURO CIDONIA VOIR MARATTI, Faustina

AGNANT, Marie-Célie [PORT-AU-PRINCE 1953]

Romancière canadienne d’expression française.

D’origine haïtienne, installée depuis 1970 à Montréal, où elle anime des ateliers d’écriture, Marie-Célie Agnant développe un intérêt particulier pour la condition des femmes d’une culture à l’autre. Toute son œuvre renvoie aux thèmes de l’exil, de l’injustice, du racisme et de la solitude. « La littérature m’a sauvée de ce monde inhumain », affirme-t-elle. Dans son roman Le Livre d’Emma (2001), une patiente antillaise internée dans un hôpital psychiatrique à Montréal pour le meurtre de sa fille, n’accepte de se confier qu’à une interprète de même origine qu’elle sur ce qui l’a conduite à l’infanticide. Un alligator nommé Rosa (2006) présente les séquelles que garde Haïti plusieurs années après la fin du régime de François Duvalier. Ella a également publié des nouvelles, Le Silence comme le sang (1997), des contes, La Nuit du Tatou (2008) et un recueil de poésie, Balafres (1994). Son écriture ciselée, imprégnée de poésie, demeure pour elle un exutoire, un moyen de montrer sa solidarité envers les plus démunis, une occasion de rompre en outre avec une situation qui a trop longtemps privé la femme haïtienne d’un accès à la parole publique et à l’écriture.

Farah GHARBI

FRÉDÉRIC M., « Espace en déshérence, la terre déclinée par Marie-Célie Agnant », in DUPRÉ L., LINTVELT J., PATERSON J. (dir.), Sexuation, espace, écriture : la littérature québécoise en transformation, Québec, Nota bene, 2002.

AGNELLO HORNBY, Simonetta [PALERME 1945]

Écrivaine italienne.

Avocate de formation, depuis 1972, Simonetta Agnello Hornby vit à Londres, où elle a été présidente du tribunal Special Educational Needs. En 2002, elle publie son premier roman, L’Amandière, qui retrace l’histoire d’une jeune fille travaillant à la cueillette des amandes dans les années 1950, violée à 13 ans par le fils du chef de la Mafia locale. Ce dernier est puni, et la jeune fille est placée dans une famille aisée qu’elle va servir jusqu’à sa mort, à l’âge de 56 ans, et dont elle va administrer les biens, ce qui la sauve de la ruine. La Tante marquise, qui paraît en 2004, poursuit des visées identiques en proposant le récit d’une femme à la vie singulière. Issue d’une famille noble, l’héroïne de ce roman, dont l’action se situe dans la seconde moitié du XIXe siècle, en Sicile, devient l’administratrice du patrimoine familial après que ses demi-frères, jugés incompétents, ont été déshérités. Contrairement aux usages de l’époque, elle choisit elle-même son mari. Mais celui-ci, attiré par les femmes de chambre, est longtemps incapable de tout rapport physique avec elle. Lorsqu’il y parvient, elle l’éloigne, le soupçonnant d’adultère. Cependant, elle scandalise en accueillant chez elle l’enfant né de la relation entre son mari et une domestique. En 2007, S. Agnello Hornby publie Boccamurata.

Graziella PAGLIANO

L’Amandière (La Mennulara, 2002), Paris, Liana Levi, 2003 ; La Tante marquise (La zia marchesa, 2004), Paris, Liana Levi, 2005.

AGNÈS B. (Agnès TROUBLÉ, dite) [VERSAILLES 1941]

Styliste de mode française.

Issue d’une famille nombreuse de la bourgeoisie versaillaise, Agnès Troublé rêve de devenir conservateur de musée mais choisit d’entrer à l’école des beaux-arts de Versailles. À 17 ans, elle épouse l’éditeur Christian Bourgois ; elle gardera l’initiale de son nom pour son enseigne. Ils divorcent trois ans plus tard et la jeune femme est obligée de gagner sa vie. Son style très personnel séduit le magazine Elle qui l’engage comme rédactrice de mode junior en 1964. De 1967 à 1975, elle apprend le métier de styliste chez Dorothée Bis, Pierre d’Alby et Cacharel puis ouvre, en 1975, la première boutique Agnès b., 3, rue du Jour à Paris. Ses créations pour femme sont suivies, en 1981, par des collections pour enfant et pour homme. Le succès la conduit à ouvrir de nombreuses boutiques en province et à l’étranger. En 1995, elle lance, pour le Club des créateurs de beauté, une ligne de cosmétiques et ouvre, en 1996, les premières boutiques Sport b. Sans publicité, Agnès b. est l’une des premières à imposer sa griffe sur le marché du prêt-à-porter, grâce à ses boutiques qui ont l’exclusivité de la marque, au nombre de 234 en France et dans le monde. Outre son métier de styliste, Agnès b., mère de cinq enfants, est collectionneuse d’art, mécène et productrice. Elle est, par ailleurs, engagée dans plusieurs causes politiques et humanitaires. Simples et faciles à porter, les créations d’Agnès b. veulent permettre à chaque personnalité de s’exprimer. Les coupes épurées frappent à la fois par leur fraîcheur et leur élégance. La créatrice privilégie les couleurs subtiles, sombres ou délavées, relevées parfois de tons vifs, et préfère en général les matières naturelles comme le coton ou le lin ; mais elle utilise volontiers des synthétiques pour leurs propriétés, tel le Nylon extensible. Imaginées dans la durée, ses créations sont des intemporels, des « basiques », comme en témoigne le célèbre cardigan à pressions, créé en 1979, qui est devenu le vêtement phare de la marque. Agnès b. a inventé des vêtements hors mode et c’est sans doute pour cela qu’elle se situe à la marge de cet univers. En 2014, la créatrice réalise sous son vrai nom son premier film, Je m’appelle Hmmm…, un sombre huis clos familial.

Zelda EGLER

JONES T., RUSHTON S., Fashion Now, Cologne, Taschen 2005 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

SCHILLING A., « Agnès b. mythe de la mode », in Jalouse, no 105, nov. 1997.

AGNESI, Maria Gaetana [MILAN 1718 - ID. 1799]

Mathématicienne italienne.

Dans l’Europe du XVIIIe siècle, au temps des Lumières, l’accès aux études supérieures reste interdit aux femmes, sauf en Italie où des « filles de bonne famille » peuvent recevoir une instruction identique à celle des garçons et accéder à l’université. À cette époque, l’université de Bologne, la plus ancienne du monde occidental, se distingue par son nombre d’étudiantes et d’enseignantes. Parmi elles, Maria Gaetana Agnesi, nommée à une chaire de mathématiques en 1750. M. G. Agnesi est née dans une famille de la haute bourgeoisie milanaise. Son père, amateur d’arts et de sciences, offre à ses 21 enfants les meilleurs précepteurs. Elle se révèle particulièrement brillante puisque, très jeune, elle maîtrise le latin, le grec et l’hébreu ainsi que le français, l’allemand et l’espagnol. Elle a 15 ans lorsque son père commence à l’inviter dans son salon fréquenté par des intellectuels italiens et étrangers, où elle débat, le plus souvent en latin, de sujets philosophiques ou scientifiques. En 1738, elle publie un recueil de 191 essais sur la philosophie et les sciences, Propositiones philosophicae, regroupant certaines des thèses qu’elle a soutenues lors de ces joutes oratoires, parmi lesquelles des théories scientifiques récentes, dont celle de Newton. Elle y aborde aussi la question de l’instruction des femmes. Dès 1739, lassée des mondanités, elle manifeste sa volonté de se consacrer à la vie spirituelle et à la méditation, et d’entrer au couvent. Après de longues discussions avec son père, elle parvient à un compromis : rester dans la maison mais vivre une existence retirée et s’occuper de ses frères et sœurs, dont elle est l’aînée. En 1740, le moine et mathématicien Ramiro Rampinelli devient son professeur. Avec lui, elle étudie l’Analyse démontrée (1707) de Charles René Reyneau et entre en contact avec les mathématiciens italiens de l’époque qui travaillent sur le calcul infinitésimal, en particulier Jacopo Riccati. Elle entreprend la rédaction des Institutions analytiques qu’elle soumet à ce dernier. Commence alors une correspondance fructueuse, qui dure de 1745 à 1749. Le pape Benoît XIV, qui avait étudié les mathématiques, la félicite personnellement et la nomme lectrice en analyse à l’université de Bologne. Nommée à la chaire de mathématiques de cette université en 1750, elle n’y a jamais enseigné mais elle est la première femme à en avoir eu l’opportunité. L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, à qui elle avait dédié son livre, la récompense en lui offrant des joyaux. Après la mort de son père en 1752, elle interrompt ses activités mathématiques, quitte la maison familiale, renonce à ses biens et s’installe à l’Ospedale Maggiore de Milan. En 1768, l’archevêque de Milan la nomme responsable de la doctrine chrétienne, et à sa demande, en 1771, elle prend la direction du département des femmes dans une institution caritative nouvellement créée. Elle y meurt dans le dénuement.

En 1748, M. G. Agnesi publie les deux volumes des Instituzioni analitiche ad uso della gioventù italiana (« institutions analytiques à l’usage de la jeunesse italienne »). Cet ouvrage constitue une synthèse éclairée et pédagogique des connaissances dans un domaine des mathématiques récent et en plein développement. L’ouvrage se caractérise par sa structure progressive et contient de nombreuses illustrations. Premier texte de mathématiques publié par une femme, il est devenu le texte de référence pour l’étude de l’analyse et du calcul infinitésimal pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle en Europe. Pour le rendre plus accessible, elle l’a écrit en italien, contrairement à ses contemporains, qui publient encore en latin. Elle emploie le langage de Leibniz : « différentiel », « infinitésimal », toujours en usage aujourd’hui, plutôt que les « fluxions » de Newton. Le second tome a été traduit en français par d’Anthelmi en 1775 sous le titre Traités élémentaires de calcul différentiel et intégral. Le premier tome se termine sur trois courbes qui préparent l’introduction au calcul infinitésimal développé dans le deuxième. L’une de ces courbes, la cubique d’Agnesi, est devenue célèbre sous le nom de Witch of Agnesi (« sorcière d’Agnesi »), probablement à cause d’une erreur de traduction en anglais par Colson qui aurait confondu versiera (« tourner ») avec avversiera (« sorcière »). Les Institutions analytiques publiées, M. G. Agnesi se consacre de plus en plus à la religion et à l’aide aux pauvres et aux malades, particulièrement des femmes. Pourtant, sa notoriété et les sollicitations continuent à se développer.

Annick BOISSEAU

DUBREIL-JACOTIN M.-L., « Figures de mathématiciennes », in Les Grands Courants de la pensée mathématique, F. Le Lionnais (dir.), Paris, Hermann, 1962.

« Maria Gaetana Agnesi », in Revue de la Société mathématique européenne, Newsletter no 31, mars 1999.

AGNODICE [IVe siècle aV. J.-C.]

Médecin et gynécologue grecque.

Dans la Grèce antique, avant le Ve siècle, les femmes ne sont pas autorisées à exercer la médecine et elles sont accouchées par des parentes ou voisines. Certaines d’entre elles, particulièrement habiles, sont les maia ou sages-femmes ; elles sont détentrices d’un savoir et d’une expérience, non seulement sur les accouchements, mais aussi sur toutes les maladies des femmes. À la fin du Ve siècle, cette tradition disparaît, la gynécologie est reprise en main par des hommes exclusivement, en raison semble-t-il de leur inquiétude quant à leur paternité. On ne sait pas grand-chose de la vie d’Agnodice. La plupart des informations proviennent de l’auteur latin du Ier siècle Hyginus. La légende rapporte que, pour pouvoir étudier la médecine auprès d’Hérophile, célèbre médecin d’Alexandrie, Agnodice se coupe les cheveux et porte des vêtements masculins. Une fois ses études terminées, alors qu’elle veut aider une femme qui accouche, celle-ci refuse, pensant avoir affaire à un homme. Elle soulève alors sa robe, pour montrer qu’elle est une femme, et elle est acceptée. Elle finit par être vénérée, les femmes feignant même la maladie, dit-on, pour recevoir ses soins. Victime de son succès, elle attire la jalousie de ses confrères et doit faire face à un procès où elle révèle son identité et encourt la peine de mort. Mais face à la montée des protestations des femmes, les magistrats l’acquittent. L’année suivante, le conseil athénien autorise l’étude et la pratique de la médecine pour les femmes. D’après Antiqua Medicina, il y a peu de chances pour que le récit d’Hyginus soit fondé sur des faits réels. Il est possible qu’Agnodice soit une résurgence du mythe de Baubo, dont il existe de nombreuses représentations en terre cuite. Ces figurines représentent une femme avec une figure peinte sur son ventre, qui retrousse ses jupes par-dessus sa tête en dansant, et ce dans le but d’amuser Déméter, la déesse grecque de la fertilité, en lui montrant son sexe. Malgré les doutes sur son existence, elle reste la première figure de femme gynécologue de l’histoire.

Yvette SULTAN

AGOULT, Marie D’ (née Marie-Catherine-Sophie DE FLAVIGNY, dite Daniel STERN) [FRANCFORT-SUR-LE-MAIN 1805 - PARIS 1876]

Femme de lettres française.

Romancière, essayiste, journaliste, sociologue, historienne, critique d’art et auteure dramatique, Marie d’Agoult exerce son influence intellectuelle à travers son salon et ses nombreux écrits. Ce salon où elle reçoit sous la Restauration et la monarchie de Juillet des personnalités du monde littéraire et artistique (Sand*, Sainte-Beuve, Lamennais, Lamartine, Vigny, Ingres, Chopin, Rossini), devient politique sous le Second Empire. Républicaine modérée et démocrate, elle se lie alors avec la jeune génération républicaine (Carnot, Simon, Tocqueville, Olivier). Féministe, elle promeut l’éducation des femmes sans toutefois adhérer au féminisme radical des Vésuviennes ou des Femmes libres de 1848. À partir de 1841, elle se consacre au journalisme (Émile de Girardin publie ses premiers articles dans La Presse) et à l’histoire. Sa contribution la plus notable dans ce domaine est son Histoire de la révolution de 1848, publiée de 1851 à 1853. Elle fait connaître les auteurs étrangers ; et elle est la première en France à écrire sur Ralph Waldo Emerson (Revue indépendante, 25 juillet 1846), mais du fait de ses origines allemandes, elle privilégie les auteurs allemands, comme Georg Herwegh et Bettina von Arnim*, qu’elle révèle aux lecteurs français dans la Revue germanique et française. Sa position sociale lui permit de transcender les restrictions imposées à son sexe, mais sa vie mouvementée, et surtout les dix années de sa liaison passionnelle avec Franz Liszt, qu’elle décrit dans son roman à clef Nélida (1846), ont souvent obscurci, pour la postérité, son effort moderne pour se construire une carrière et une vie indépendantes.

Véronique CHAGNON-BURKE

Essai sur la liberté, Paris, Amyot, 1847 ; Pensées, réflexions, maximes, histoire de la Révolution de 1848, Paris, G. Sandré, 1851-1853 ; Mémoires, souvenirs et journaux de la comtesse d’Agoult, Dupêchez C. F (dir.), Paris, Mercure de France, 2007.

DESANTI D., Daniel, ou le visage secret d’une comtesse romantique, Marie d’Agoult, Paris, Stock, 1980.

AGREST, Diana [BUENOS AIRES 1945]

Architecte, urbaniste et théoricienne américano-argentine.

Aujourd’hui considérée comme la plus importante femme architecte de stature internationale en Argentine, Diana Agrest est diplômée de la faculté de Buenos Aires en 1967. Elle suit à Paris les enseignements du Centre de recherche d’urbanisme et de l’École pratique des hautes études, et intègre en 1970, avec Mario Gandelsonas (1938), le nouvel atelier de sémiologie architecturale fondé par son maître, César Jannello (1918-1985), pionnier des recherches sur les relations entre linguistique, sémiotique et structuralisme dans l’architecture. Puis, en 1971, à New York, c’est le début d’une carrière ininterrompue mêlant enseignement, recherches théoriques, projets et constructions. D’abord lectrice à Princeton University (1974), elle intègre l’IAUS (Institute for Architecture and Urban Studies) dirigé par Peter Eisenman (1932) – qui deviendra une référence internationale primordiale. En 1975, elle y invite Aldo Rossi (1931-1997) et son idée de « cité analogue » reliant l’histoire des villes et leur conception contemporaine par le biais de la typologie et de la morphologie urbaines. En 1978, elle dirige des ateliers, recherches et études dans diverses universités prestigieuses des États-Unis, d’Argentine et de France et développe une méthode selon laquelle l’architecture est produite comme une transformation liée à une « lecture » de la cité, ainsi abordée de divers points de vue produisant de multiples significations. En 1980, elle fonde une agence avec M. Gandelsonas et conçoit de nombreuses réalisations, dont plusieurs complexes d’habitations et plans directeurs pour des ensembles de résidences familiales ainsi que des projets d’aménagement intérieur dans divers pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Elle commence à publier des essais critiques dès 1970, dont plusieurs coécrits avec M. Gandelsonas, autour du structuralisme et de la sémiotique, construisant une approche personnelle qui pose en termes humanistes et genrés les problèmes architecturaux soulevés par les modes de vie urbains et les comportements sociaux. Dans Architecture from Without : Theoretical Framings for a Critical Practice (1991), qui a reçu un écho international, elle analyse les conditions de la femme dans la théorie architecturale, exclue parce qu’elle « n’appartient pas à l’ordre symbolique », point de vue qui n’est pas pour elle un constat d’échec comme elle l’expose dans The Sex of Architecture (1996). Elle s’est également intéressée aux relations entre cinéma et architecture urbaine et travaille depuis des années à un projet de film sur l’IAUS.

Titulaire de nombreux prix et distinctions, elle dirige des projets dans le monde entier, des États-Unis à la Chine en passant par la France, touchant aux plans d’aménagement, aux parcs publics et aux édifices.

Claudia SHMIDT

Avec CHANIN I. S., A Romance with the City, New York, Cooper Union Press, 1982 ; avec GANDELSONAS M., Agrest and Gandelsonas Works, New York, Princeton Architectural Press, 1995.

« Para Aldo, con el cariño de una Argentina », in Block, no 3, déc. 1998.

VALLEJO G., « Agrest y Gandelsonas », in ALIATA F. LIERNUR J. F., Diccionario de Arquitectura en la Argentina, Buenos Aires, Clarín, 2004.

AGRIPPINE LA JEUNE [15-59 apr. J.-C.]

Impératrice romaine.

Iulia Agrippina, dite Agrippine la Jeune (Agrippina Minor), pour la distinguer de sa mère Vispasiana Agrippina, dite Agrippine l’Aînée (Agrippina Maior, 14 av. J.-C. - 33 apr. J.-C.), était la fille du général Germanicus. À l’instar de sa mère qui eut beaucoup d’influence sur elle, Agrippine était une femme brillante, ambitieuse et cruelle, témoin d’une époque dominée par les rivalités personnelles au sein des affaires de l’État. Comme beaucoup d’autres femmes engagées dans la politique (Fulvie, Messaline), Agrippine est décrite dans les sources anciennes comme une femme de très mauvaise réputation, virile, dominatrice et farouche, privée des vertus féminines traditionnelles. Elle fut la première femme à être fille, sœur, épouse et mère d’empereurs (Tacite, Annales, XII, 42). Entrée dans l’histoire pour avoir fait empoisonner son mari et oncle, l’empereur Claude (qu’elle avait épousé en 49 apr. J.-C., grâce à un décret du Sénat qui, pour l’occasion, abolit la loi interdisant le mariage entre oncles et nièces), Agrippine fut la seule femme romaine dont les Mémoires autobiographiques (aujourd’hui perdus) furent publiés. Son rôle politique justifiait sans doute le choix d’un tel genre littéraire, habituellement pratiqué par des hommes guidés par l’ambition politique. Selon le témoignage de l’historien Tacite (Annales, IV, 53) qui se servit de ces commentarii, Agrippine racontait dans son ouvrage les malheurs de sa famille et l’histoire de sa vie, où se croisent les destins de trois empereurs romains : Caligula, son frère, Claude, son (troisième) mari et Néron, son fils unique, né de son premier mariage.

Marella NAPPI

LAZZERETTI A., « Riflessioni sull’opera autobiografica di Agrippina Minore », in Studia historica, historia antigua, vol. 18, 2000.

AGRUPACIÓN DE MUJERES ANTIFASCITAS VOIR MUJERES CONTRA LA GUERRA Y EL FASCISMO

AGRUPACIÓN FEMENINA SOCIALISTA DE MADRID [Espagne 1906-1927]

Ce groupe, fondé en 1906, affirme vouloir éduquer les femmes afin qu’elles aient conscience de leurs droits et de leurs devoirs sociaux, définis par le parti socialiste. Ses conférences, veillées littéraires en direction des paysannes et des travailleuses urbaines, ont davantage pour but le recrutement féminin au parti socialiste que l’éducation des femmes en vue de leur émancipation. Ce constat conduit l’écrivaine Carmen de Burgos*, favorable à l’égalité des sexes, à quitter l’organisation, qui disparaît en 1927.

Yannick RIPA

Nash M., Rojas. Las Mujeres republicanas en la guerra civil, Madrid, Taurus, 1999.

AGUILAR, Grace [LONDRES 1816 - FRANCFORT 1847]

Écrivaine britannique.

Née dans une famille marrane, Grace Aguilar est surtout connue pour ses écrits sur le judaïsme et la foi juive (Spirit of Judaism, 1842, publié aux États-Unis avec succès ; The Jewish Faith, 1845, The Women of Israel, 1847) et quelques romans. Entre une mère cultivée et très religieuse et un père très pratiquant, elle écrit à 12 ans une pièce de théâtre, Gustavus Vasa, et à 14 ans ses premiers poèmes. Elle les publie à 19 ans, puis enchaîne de nombreux textes inspirés de l’histoire du peuple juif (Vale of Cedars, « la vallée des cèdres », 1850) ainsi que des romans domestiques très moralisateurs, tous constituant de véritables plaidoyers pour une meilleure connaissance de la spiritualité juive. Elle est, dans la première moitié du XIXe siècle, la voix féminine qui s’élève avec le plus de force pour demander aux mères juives de perpétuer la connaissance de l’hébreu, défendre le retour à la lecture des textes sacrés et dissuader les juifs de se convertir.

Michel REMY

GALCHINSKY M., Grace Aguilar : Selected Writings, Peterborough, Broadview Press, 2003.

AGUIRRE, Isidora [SANTIAGO DU CHILI 1919 - ID. 2011]

Dramaturge chilienne.

Au milieu du XXe siècle, l’œuvre d’Isidora Aguirre Tupper amène une importante rénovation du théâtre chilien, alors marqué par le réalisme. Elle est l’une des principales figures de la Génération de 57, qui se distingue par son théâtre au réalisme psychologique, dont la dramaturgie s’appuie sur les revendications populaires et la critique des institutions bourgeoises. Pour aborder le monde des plus défavorisés et les conflits sociaux, sa production dramatique reprend trois modèles formels : la comédie, la comédie musicale et le drame social. Son théâtre cherche non seulement à créer une conscience dans les couches moyennes de la société, mais aussi à toucher les classes populaires. Elle parvient à conjuguer préoccupations sociales et popularité en faisant appel à des personnages historiques et à des ressources folkloriques. Invitée par Marta Brunet* à prendre en charge la rubrique enfants du magazine Familia (« famille »), elle commence sa carrière littéraire à 15 ans. Ses premiers textes sont recueillis dans Ocho cuentos (« huit nouvelles », 1938), suivis du roman Wai Kii (1948). Elle fait ensuite des études de cinéma à Paris, avant des études de dramaturgie, de 1951 à 1953. Ses premières pièces sont une critique, comique, de l’univers des privilégiés. Comme dans Dos más dos son cinco (« deux et deux font cinq », 1957), ou avec les spectacles Los locos años veinte (« les folles années vingt », 1974) et La dama del canasto (« la dame au panier », 1965). Dans ces opérettes métisses, elle dévoile les utopies compensatoires qui permettent aux couches les plus défavorisées et à la classe moyenne de surmonter le choc de la modernisation. Plus tard, elle développera la question de la marginalité sociale et se rapprochera du documentaire. L’auteure se réapproprie le théâtre épique brechtien avec une langue et une esthétique populaires, comme dans Población Esperanza (« localité Espérance », 1959), écrite avec Manuel Rojas, Los papeleros (« les papetiers », 1963) et Los que van quedando en el camino (« ceux qui restent sur le chemin », 1969). Son œuvre la plus célèbre, La pérgola de las flores (« la pergola des fleurs », 1960), est représentée de nombreuses fois et adaptée. Inspirée d’événements réels, elle met en scène un groupe de fleuristes qui s’opposent à un projet d’urbanisation de Santiago pour conserver leurs stands. I. Aguirre reprend des épisodes historiques qui révèlent des traits de l’identité chilienne mais surtout l’origine des inégalités et des structures d’oppression. C’est le cas dans ¡Lautaro!, epopeya del pueblo mapuche (« Lautaro !, épopée du peuple mapuche », 1982), où elle met en scène la lutte de cette ethnie pendant la conquête espagnole et répond à la promulgation d’une nouvelle loi indigène ; ou encore dans Retablo de Yumbel (« retable de Yumbel », 1986), écrite sur commande par les familles de 19 détenus disparus pendant la dictature militaire. I. Aguirre a également publié des œuvres narratives.

Macarena ORTÚZAR VERGARA

JEFTANOVIC A., Conversaciones con Isidora Aguirre, Santiago du Chili, Frontera Sur, 2009 ; MÁRQUEZ MONTES C., Isidora Aguirre, entre la historia y el compromiso, Séville, Université de Séville, 2008.

AGUIRRE, Pilar [NICARAGUA 1910 - ID. 1997]

Actrice nicaraguayenne.

Pilar Aguirre est célèbre pour ses nombreuses interprétations au théâtre et à l’opéra : Don Juan Tenorio, de José Zorrilla ; La Verdadera Historia de Pedro Navaja, de Pablo Cabrera ; Madame Butterfly, de Giacomo Puccini ; Los árboles mueren de pie (« les arbres meurent debout »), de Alejandro Casona. Jouant également beaucoup pour la télévision, la radio et le cinéma, elle apparaît dans les premières productions nationales, notamment Rapto al sol (« extase au soleil », 1956), de Fernando Méndez, et La Llamada de la muerte (« l’appel de la mort », 1960), d’Antonio Orellana, aux côtés de Carlos López Moctezuma, puis dans les films Manuel (1985) et Únanse tantos vigores dispersos (1986) de Rafael Vargas, enfin dans les courts-métrages Cinema Alcázar (1997), récompensé au Festival de Berlin, et Betún y sangre (« cirage et sang », 1990), de Florence Jaugey. Ses nombreuses tournées en Amérique centrale ont contribué à sa reconnaissance, qui culmine lors de l’hommage qui lui est rendu à l’occasion de ses 50 ans de scène. Elle interprète alors le rôle principal de Las cosas de papá y mamá, de Alfonso Paso, sous la direction de Jaime Alberdi, au Teatro de Cámara de Managua (1982). P. Aguirre collabore avec la plupart des compagnies du pays et participe à la fondation de la troupe Talía en 1989. Elle reçoit de nombreux prix : Junior de Plata de la meilleure actrice (1961), Orden Rubén-Darío (1990), El Güegüense de Oro et le prix posthume Premio Nacional de Humanidades pour son apport à l’art et à la culture du Nicaragua. L’école nationale de théâtre porte son nom.

Stéphanie URDICIAN

AGUIRRE Y GIL DE BIEDMA, Esperanza [MADRID 1952]

Femme politique espagnole.

Diplômée en droit, mariée et mère de deux enfants, Esperanza Aguirre y Gil de Biedma intègre la filière d’État du tourisme, Cuerpo de técnicos de información y turismo, puis, à partir de 1983, occupe divers postes à la mairie de Madrid ; elle en devient maire adjointe et porte-parole. En 1987, elle adhère à l’Alianza popular (puis Partido popular, PP). Élue sénatrice en 1996, elle est cette année-là la première femme ministre de l’Éducation et de la Culture. Elle quitte ce poste pour devenir en 1999 la première femme présidente du Sénat, réélue en 2002. Candidate du PP à la présidence de la Communauté de Madrid, elle remporte l’élection de 2003, devenant la première présidente d’un gouvernement autonome. Très populaire, elle est réélue en 2007.

Yannick RIPA

JONES C., Las 1 001 Historias de la historia de las mujeres, Barcelone, Grijaldo Mondadori, 2000.

AGUS, Milena [GÊNES 1959]

Écrivaine italienne.

C’est à l’âge de 10 ans que Milena Agus retrouve la Sardaigne dont est issue sa famille et où elle enseigne aujourd’hui, à Cagliari, les lettres et l’histoire. À l’image de l’île, elle écrit de courts romans, sauvages et mystérieux, sur « des gens qui n’avaient ni chance ni amour dans leur vie », pour, dit-elle, racheter le réel, à la fois « misérable et merveilleux », « pitoyable et comique », et sauver de la mort et de l’oubli les personnes et les émotions. À Cagliari ou à l’ombre de petits villages sardes, entre la mer bleue et le maquis, évoluent des êtres baroques, fragiles, excentriques, à l’existence douloureuse. Décalés, les personnages sont souvent des femmes. Le récit est confié à des voix innocentes, celle de l’enfance, celle de la dépression ; elles captent les bizarreries et rugosités des comportements villageois dans un environnement qui se délite. Confrontées au départ des enfants, à la convoitise des promoteurs mais aussi simplement à la solitude amoureuse, les figures féminines ne renoncent jamais à chercher l’amour. Parfois crue, souvent drôle quoique mélancolique, la langue conserve de la Sardaigne la chaleur de ses idiomes. L’écriture est vive et jubilatoire. C’est la traduction en français, un an après sa publication en italien, de son deuxième roman, Mal de pierres (2006), qui lance la carrière littéraire de M. Agus, dont l’œuvre a reçu de nombreux prix littéraires (prix Elsa-Morante, prix Forte Village et prix Relay pour Mal de pierres, dont les droits ont aussi été achetés pour le cinéma par Nicole Garcia*). Son œuvre est traduite en 26 langues.

Fleur D'HARCOURT

Mal de pierres (Mal di pietre, 2006), Paris, Liana Levi, 2007 ; Battements d’ailes (Ali di babbo, 2007), Paris, Liana Levi, 2008 ; Mon voisin (Il vicino, 2008), Paris, Liana Levi, 2009 ; Quand le requin dort (Mentre dorme il pescecane, 2005), Paris, Liana Levi, 2010 ; La Comtesse de Ricotta (La contessa di Ricotta, 2009), Paris, Liana Levi, 2012.

AGUSTINI, Delmira [MONTEVIDEO 1886 - ID. 1914]

Poétesse uruguayenne.

Issue d’une famille de la nouvelle bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, Delmira Agustini émerge de façon précoce dans le monde littéraire, laissant exploser des ambivalences surprenantes : intelligente, audacieuse, belle, respectueuse des normes et des conventions sociales de son époque, elle a une histoire personnelle tragique, dont s’emparent les journalistes et critiques littéraires. À l’âge de 28 ans, quand son ex-mari, redevenu son amant, la tue, elle a déjà publié trois recueils de poèmes. Après avoir reçu une éducation réservée aux jeunes filles des classes privilégiées, elle se transforme peu à peu en symbole du modernisme. L’une des caractéristiques de ce mouvement est son ambiguïté : l’esthétique moderniste s’oppose à la perspective bourgeoise dominante en ouvrant des espaces culturels à ceux qui se sentent exclus d’un certain contexte social, délimité par les autorités de l’époque. Mais le mouvement a aussi l’ambition d’être intégré parmi les rangs des classes qui détiennent le pouvoir. D. Agustini est la seule poétesse reconnue dans les meilleures anthologies du modernisme latino-américain. Avec celle du Nicaraguayen Rubén Darío, son œuvre est emblématique du modernisme. Sa langue poétique maîtrisée et raffinée capte les préoccupations intellectuelles et artistiques de l’époque. Elle trouve dans la poésie un moyen d’affronter les changements qui s’opèrent dans la répartition des rôles entre les sexes. L’érotisme lui permet de s’approprier la sensualité moderniste et de prendre une place centrale dans les lettres hispaniques. Dans El libro blanco (1907), elle cherche à briser les normes qui contraignent les individus, la langue et l’art. Le changement et la complexité structurent la pensée poétique de la jeune D. Agustini et lui permettent de prendre possession du langage de la sexualité et de l’érotisme, avec lequel elle répond aux images sexuelles de la poésie de R. Darío. Dans Cantos de la mañana (« chants du matin », 1910) et Los cálices vacios (« les calices vides », 1913), sa poésie acquiert son originalité. Dans ces recueils de poèmes, la narratrice devient séductrice et actrice de sa propre sexualité.

María Rosa OLIVERA-WILLIAMS

AHARONIAN-MARCOM, Micheline [ARABIE SAOUDITE 1968]

Romancière américaine.

Née d’une mère arménienne et d’un père américain, Micheline Aharonian-Marcom grandit en Californie, dans une sereine ignorance de l’histoire des Arméniens. Talentueuse et non-conformiste, elle enseigne la littérature contemporaine au Mills College et découvre tardivement le génocide arménien, thème qu’elle transforme en argument littéraire et convertit en art. Elle fait un début remarqué avec Three Apples Fell From Heaven (« trois pommes tombées du ciel », 2001), réédité en 2002 et en cours d’adaptation cinématographique. Le titre est la traduction de la sentence finale de la plupart des contes arméniens : « Trois pommes tombent du ciel : une pour le narrateur, une pour l’auditeur, la dernière pour celui qui dit que ce conte est un mensonge.» Exempt de souvenirs personnels, ce roman est une œuvre d’imagination et une construction littéraire singulière par son écriture. Il débute par : « C’est l’histoire que la rumeur raconte. » Le lecteur arménien reconnaît en « la rumeur » l’État turc, qui nie le génocide. Le récit se déroule entre 1915 et 1917 en Turquie ; sous forme de brefs chapitres, les personnages racontent ce qu’ils vivent – qu’il s’agisse d’Anaguil, la jeune Arménienne cachée sous un voile ou de Sarkis, un garçon déguisé en fille, tapi dans le grenier de sa mère, du consul américain Davis, témoin impuissant de l’horreur ou du « bon gendarme », et même des chiens de Bozmachène ! Dans The Daydreaming Boy (« le garçon qui rêve éveillé », 2004), dont la sombre narration est récompensée d’un Pen Award, la romancière met en scène Vahé, un Arménien dont la mère a été violée et tuée lors du génocide de 1915. Après une enfance âpre dans un sordide orphelinat, malgré son aisance matérielle dans le Beyrouth des années 1960, il reste sujet à des hallucinations et à une sexualité œdipienne conditionnée par la disparition maternelle. Avec Draining The Sea (« assécher la mer », 2008), un livre dérangeant, l’écrivaine poursuit à Los Angeles sa quête des effets de la violence politique, à travers les relations d’un descendant de survivants du génocide arménien, et d’une jeune femme, hantée par la tragédie du peuple maya et le souvenir de la guerre civile dans le Guatemala des années 1980. Son ouvrage, The Mirror in the Well (« le miroir au fond du puits », 2008), raconte le brutal éveil sexuel d’une épouse et mère de famille entre les bras de son amant : une histoire banale, mais traitée de façon provocante, à la frontière de la pornographie tant visuelle que langagière. En quelques années, grâce à son style, sa langue et son imagination, la romancière s’est classée parmi les grands écrivains américains contemporains.

Anahide TER-MINASSIAN

VOLLMANN W. T., « Relire Micheline Aharonian-Marcom », in Transfuge, no 21, mai-juin 2008 ; YÉRAMIAN M., « Le thème du massacre chez les écrivains arméniens d’expression anglaise dans la littérature américaine », in Haratch, suppl. littéraire, sept. 2005.

AHLGREN, Ernst VOIR BENEDICTSSON, Victoria

AHLSTRÖM, Anna [1863-1943]

Linguiste suédoise.

Première femme à obtenir un doctorat de linguistique en langues romanes à l’université d’Uppsala en Suède (1899), Anna Ahlström est reconnue pour ses travaux en romanistique aussi bien qu’en linguistique. Elle a fait des études sur la langue française moderne (Flaubert).

Thomas VERJANS

Étude sur la langue de Flaubert, Mâcon, Protat frères imprimeurs, 1899.

AHMED AL-HUSSEIN, Loubna [OMDURMAN 1973]

Journaliste et militante soudanaise des droits des femmes.

Issue d’un milieu pauvre et traditionnel, Loubna Ahmed al-Hussein devient, après des études en agronomie, une chroniqueuse impertinente dans un journal de gauche, qu’elle doit quitter en 2007 sous la pression de la censure. Elle épouse en 2003 un journaliste soudanais et, prématurément veuve, refuse la coutume de l’enfermement pendant le deuil. Elle travaille au service de la communication de la mission de l’Organisation des Nations unies au Soudan quand elle est arrêtée le 3 juillet 2009 dans un restaurant de Khartoum, en même temps qu’une douzaine d’autres femmes, pour avoir porté un pantalon, vêtement interdit. Ce délit est puni de 40 coups de fouet par l’article 152 du Code pénal. L. Ahmed al-Hussein refuse de plaider coupable, démissionne de son poste afin de renoncer à son immunité diplomatique et, dans le quotidien Al Sahafa, se fait porte-voix des « 20 000 jeunes filles et femmes » arrêtées pour raisons vestimentaires depuis que Omar al-Bachir a imposé la charia au Soudan. Condamnée le 8 septembre 2009 à un mois de prison dans un procès qu’elle a souhaité public en invitant 500 confrères, elle sera libérée : l’Union des journalistes soudanais, proche du pouvoir, a payé l’amende qu’elle refusait de régler afin de médiatiser son combat depuis sa cellule. Impulsé par son exemple, un collectif « Non à l’oppression des femmes » s’est créé pour l’abolition de lois iniques qui les humilient. Menacée, elle a quitté clandestinement le pays et continue d’alerter l’opinion internationale sur la situation des femmes au Soudan. Elle a écrit un premier livre où elle parle également de son excision à l’âge de 7 ans, puis un essai en collaboration avec Djénane Kareh Tager, ancienne rédactrice du Monde des religions

Annie SCHMITT

Avec KAREH TAGER D., 40 coups de fouet pour un pantalon, Paris, Plon, 2010 ; ID., Suis-je maudite ? La femme, la charia et le Coran, Paris, Plon, 2011.

AHMETI, Mimoza [KRUJË 1963]

Poétesse albanaise.

Diplômée en littérature de l’université de Tirana, Mimoza Ahmeti se fait connaître dès la parution de son premier recueil poétique Bëhu i bukur (« deviens beau »), en 1986. Cette reconnaissance se confirmera deux ans plus tard avec la sortie de son deuxième recueil Sidomos nesër (« surtout demain »). Dans un climat littéraire encore tendu par les événements politiques, sa liberté d’être et de s’exprimer, sa sincérité ont su conquérir et fidéliser un large public de jeunes albanais avides de vrai et d’insolite. Delirium, paru en 1994, la consacre comme poétesse des sens, ne cessant de surprendre par ses hardiesses et son esprit inné de rébellion. Cette poétesse au prénom odorant offre une poésie faite de sentiments partagés entre l’ironie crue et le don total de soi. Baptisée la Sappho* albanaise, suave et tumultueuse à la fois, provocatrice à souhait, M. Ahmeti représente l’une des rares plumes de sa génération à avoir résisté à l’emprise du politique sur l’artistique, tant avant qu’après la chute du régime en place. Galvanisée par la passion de vivre et de créer que lui insuffle son « diable rouge » – du nom qu’elle donne à son inspiration créatrice –, elle introduit dans la poésie albanaise la prévalence de la subjectivité sur l’emprise de la communauté. Pour elle, l’acte créatif consiste à la fois à créer et à se créer soi-même. Prônant la beauté au sens le plus large et l’homme en tant que spiritualité nue, elle considère l’idéologie et les idées reçues comme les tares d’une société traditionnellement machiste et s’emploie à les combattre par l’extravagance, la volonté du beau, l’exubérance du verbe et le délire poétique. Également peintre et éditrice, elle s’est essayée à la prose, dans un type de récit méditatif aussi particulier que le titre de son ouvrage L’Absurde coordinatif. Ses textes poétiques sont régulièrement cités dans les choix anthologiques de poésie albanaise.

Ardian MARASHI

Ça va Albanie ? (bilingue), Paris, La Promenade, 1998 ; L’Absurde coordinatif (Absurdi koordinativ, 1996), Paris, A. Peyrère, 2002.

CENTRE NATIONAL DU LIVRE (dir.), 13 écrivains d’Albanie, les Belles Étrangères, Paris, Centre national du livre, 1998 ; ZOTOS A. (dir.), Anthologie de la poésie albanaise, Chambéry, Comp’Act, 1998.

AH ! NANA – MAGAZINE DE BANDE DESSINÉE [France XXe siècle]

« Des femmes dessinent, imaginent, racontent. Des femmes parlent de 77, 78, du sexe et des petites filles, de la France cruelle, de l’homosexualité, bref des tabous et des contraintes qui nous étouffent. » Tel était le slogan inscrit en couverture du second et dernier recueil de ce magazine singulier, organisé par des auteures femmes pour des lectrices femmes. Dirigé par Janic Guillerez, femme de Jean-Pierre Dionnet, l’un des fondateurs de Métal hurlant, Ah ! Nana offrait à la fois des bandes dessinées, des articles et des dossiers sur des sujets percutants pour l’époque, et qui s’inscrivaient dans l’intention de ne plus « devoir assumer les phantasmes masculins déguisés en règle d’or de la presse » (éditorial du numéro 1). À la croisée de comics books américains (It ain’t me, babe comix, Wimmen’s comix) et de revues littéraires françaises (Sorcières), Ah ! Nana exprimait des préoccupations liées à la condition féminine et les créations dessinées étaient apparentées aux discours féministes que les mouvements naissants soulevaient alors. Les Françaises Florence Cestac*, Olivia Clavel, Nicole Claveloux*, Aline Issermann*, Keleck, Chantal Montellier* et Marie-Noëlle Pichard, les Américaines Shary Flenniken, Trina Robbins* et Sharon Rudhal, l’Italienne Cecilia Capuana ont ainsi évoqué dans leur récits les violences faites aux femmes, le plaisir au féminin, le choix de leur orientation sexuelle, la prostitution. F. Cestac y a réalisé ses premières bandes dessinées, C. Montellier y a imaginé Andy Gang, un flic de la brigade antigang, macho sûr de lui et grand spécialiste de la bavure. « L’expérience d’Ah ! Nana a constitué une aventure hors du commun », selon l’historienne Blanche Delaborde, une aventure « révélatrice de son époque, et en particulier des rapports de pouvoir entre hommes et femmes dans un milieu masculin tel que celui de la bande dessinée ». Mais ce trimestriel eut une vie éphémère avec neuf numéros, d’octobre 1976 à septembre 1978. L’arrêt fut aussi bien assené par la maison d’édition (Les Humanoïdes Associés), qui fit le choix de continuer à publier Métal hurlant exclusivement, que par la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à la jeunesse, cette dernière infligeant à Ah ! Nana une interdiction aux mineurs de moins de 18 ans à la suite de la sortie du numéro 8, consacré à l’homosexualité et à la transsexualité.

Christian MARMONNIER

AHRWEILER-GLYKATZI, Hélène [ATHÈNES 1926]

Historienne gréco-française.

Descendante d’une famille grecque chassée d’Asie Mineure, Hélène Ahrweiler-Glykatzi participe activement à la Résistance puis s’inscrit, juste après la guerre, à la section historique de l’université d’Athènes et suit les cours du byzantiniste grec Dionyssios Zakythinos. Boursière du gouvernement français, elle poursuit ses études historiques à l’École pratique des hautes études après une brève expérience professionnelle au Centre d’études d’Asie Mineure à Athènes (1950-1953). En France, elle mène de front une carrière de chercheuse au CNRS et une thèse de doctorat d’État publiée sous le titre Byzance et la Mer (1966). Ce travail, qui s’inscrit dans la lignée des études sur les institutions administratives de Byzance, l’impose dans le monde universitaire et lui permet d’être nommée à la Sorbonne en 1967. Après un séjour de recherche à Dumbarton Oaks au début des années 1970, elle publie un nouveau livre, L’Idéologie politique de l’Empire byzantin (1975), où elle tente de montrer que grécité et orthodoxie devinrent progressivement la base de l’idéologie byzantine et servirent à fonder jusqu’à nos jours la continuité grecque. La notion de continuité, élargie à l’espace européen, est également traitée dans deux livres parus en 2000, The Making of Europe et Les Européens, recueil d’études qu’elle codirige avec Maurice Aymard. Cet ouvrage, véritable voyage dans le temps, de l’Antiquité au XXe siècle, s’inscrit dans une problématique transnationale : le but est de cerner l’Europe pluriculturelle, qui n’en reste pas moins « une et reconnaissable » sous tous ses aspects. H. Ahrweiler-Glykatzi devient la première femme présidente de la Sorbonne (1976-1981) puis rectrice de l’Académie de Paris (1982-1989), avant de présider le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (1989-1991). Spécialiste de l’époque byzantine, mais tout autant versée dans l’étude de l’Antiquité et de la Grèce contemporaine, elle contribue par ses travaux historiques au renforcement de la conscience européenne. Hellène par naissance, Européenne par conviction, elle est partie prenante d’une Europe vue comme « une seule grande patrie ».

Loukia EFTHYMIOU

AHTILA, Eija-Liisa [HÄMEENLINNA 1959]

Artiste multimédia finlandaise.

Eija-Liisa Ahtila appartient à la génération d’artistes des années 1990, dont la pensée se situe dans cet état antérieur-postérieur des images de cinéma à travers la télévision. Son projet indique des modes de circulation entre le petit et le grand écran, de la salle de projection à celle de l’exposition. Le cinéma qu’elle produit est une recherche sur la structure de l’image et de la langue, sur différents clivages entre les espaces collectifs et individuels. Il exhibe sa propre jouissance à produire du montage, du rythme, du son, à faire communiquer d’un écran à l’autre, et dans sa langue d’origine, les mots de l’enfance, de la mémoire, de la sexualité, à raconter des histoires d’attachement, de chute ou de désastre. À travers ses premiers films courts, elle expérimente des procédures de narration syncopée. Dans la série des « drames humains », les trois parties de Me/We, Okay, Gray (1993) prennent pour sujet l’univers déséquilibré de la famille, l’adolescence, la confusion des désirs, la séparation. On y voit déjà à quel point elle joue, de manière singulière, entre les héritages des démarches conceptuelles et alternatives des années 1960 et les conventions du cinéma commercial, des sitcoms et de la publicité. En 1999, l’installation Consolation Service radicalise cette esthétique, prise entre le réalisme documentaire et le cinéma fantastique. Ce récit sur le divorce d’un jeune couple introduit magistralement un autre élément majeur de l’œuvre : le thème de la mort, de la rupture, celui du temps et de sa révolution. L’installation est conçue pour deux écrans, avec différents niveaux de lecture entre l’image de droite, où les événements défilent, et celle de gauche, qui dévoile des éléments plus abstraits : un paysage, des émotions, l’imaginaire des personnages. La maison fait partie des figures récurrentes de l’univers d’ E.-L. Ahtila, sous la forme de maquettes, d’objets narratifs, d’espaces mentalisés, comme dans l’installation en trois écrans The House (2002) : l’enceinte du foyer devient alors le lieu d’un drame à plusieurs voix, d’un basculement schizophrène – la pièce a été réalisée à partir d’entretiens avec des femmes psychotiques. Avec une extrême sophistication et précision, ses pièces mettent en évidence des mécaniques d’illusions du cinéma et des conditions de production d’une image. Elles disent, sans la dévoiler, toute la complexité des relations humaines contemporaines, en restant toujours au bord d’une énigme, d’un secret infranchissable.

Stéphanie MOISDON

AIACH, Martine (née COUPEZ) [1945]

Hématologue française.

Née d’une mère diplômée de Sciences-Po et avocate et d’un père médecin, Martine Coupez fait ses études secondaires au lycée Victor-Duruy dans le 7e arrondissement de Paris. Après un bac de math élem, elle choisit la pharmacie, attirée par la chimie, les sciences naturelles et la physique. Elle veut d’emblée faire de la recherche. D’abord interne des hôpitaux de la région parisienne – ce qui lui procure une indépendance matérielle –, elle est ensuite interne pendant trois ans à l’hôpital Broussais à Paris, où elle rencontre son mari Gilbert Aiach, interne en chirurgie. Malgré trois enfants en trois ans, M. Aiach ne délaisse en rien sa vie professionnelle. Elle s’intéresse tout particulièrement aux mécanismes de la coagulation du sang appelés « hémostase », et s’entoure d’un petit groupe de collaborateurs. Cette équipe va s’étoffer au cours du temps jusqu’à comprendre de nombreux chercheurs qui l’accompagneront jusqu’à sa retraite. La réussite de ses recherches la conduit à postuler auprès de l’Inserm, avec d’abord un contrat jeune formation, puis une Unité Inserm (U 428) en 1995, rattachée à la faculté de pharmacie. Son domaine de recherche est celui des maladies thrombo-emboliques en pathologie veineuse ou artérielle. La survenue de ces accidents est souvent familiale, liée à des anomalies de structure de certains facteurs ou inhibiteurs de la coagulation. M. Aiach s’intéresse à l’aspect génétique des déficits en antithrombine, un inhibiteur de l’enzyme de la coagulation, la thrombine, dont le défaut est responsable d’accidents très mal connus jusque-là. Dans les années 1980, elle est pionnière dans la mise au point de la technique de PCR, qui permet d’identifier les modifications à l’échelon moléculaire ainsi que des mutations de l’ADN dans les familles de malades. Ces découvertes placent son équipe au tout premier plan de la compétition internationale, d’autant que ces recherches se font en collaboration avec de prestigieux laboratoires et dans de nombreux pays. La régénération vasculaire est un espoir que M. Aiach envisage dès 2002, et qu’elle poursuit actuellement en mettant en place un réseau de recherche sur les progéniteurs endothéliaux. Il faut également souligner son enseignement, qui contribue à la formation des docteurs en pharmacie pour l’industrie pharmaceutique, la recherche et l’officine. L’apport de M. Aiach dans la compréhension des maladies thrombo-emboliques héréditaires et l’établissement de leur base moléculaire a été reconnu par l’attribution du prix Gaston-Rousseau de l’Académie des sciences et par de nombreuses invitations à prononcer des conférences au niveau national et international. Elle a été doyenne de la faculté de pharmacie de l’université Paris-Descartes de 2007 à 2012, année de sa retraite.

Yvette SULTAN

AICHINGER, Ilse [VIENNE 1921]

Écrivaine autrichienne.

Deux publications parues dès la fin de la Seconde Guerre mondiale ont fait d’Ilse Aichinger l’une des fondatrices de la nouvelle littérature autrichienne après 1945. Son très bref et programmatique manifeste Aufruf zum Misstrauen (« appel à la méfiance », 1946) est alors une exhortation à refuser – individuellement, collectivement – les non-dits, quelle que soit leur nature. Dans Un plus grand espoir (1948), son unique roman largement autobiographique, cette jeune « juive catholique » issue d’un mariage mixte et élevée par des religieuses est parmi les premières à identifier la fiction comme le genre le plus approprié pour aborder la question de la persécution et de l’extermination des Juifs, alors complètement occultée dans son pays natal. Les deux textes annoncent déjà les lignes conductrices de son œuvre, bâtie pendant plus de soixante années de création : une méfiance viscérale envers les mots et leurs possibles abus se traduisant par un inlassable travail sur la langue et le langage, l’appel à une approche impérativement critique de l’histoire et l’absolue nécessité de la transmission de la mémoire. Très tôt, I. Aichinger conçoit aussi sa plus frappante stratégie pour renouveler les genres littéraires, sa théorie du récit « de la fin vers la fin ». Sa transposition dans Récit dans un miroir, récit à rebours d’un avortement raté, lui vaut, en 1952, le prix du Groupe 47. Son mariage avec l’écrivain Günter Eich marque le début d’une période de production féconde où naissent de nombreux récits, poèmes, pièces radiophoniques, aphorismes et micro-réflexions, discours et critiques littéraires, toujours novateurs tant sur le fond que sur la forme. À la fin des années 1990, l’auteure crée une fois encore la surprise en publiant dans le quotidien autrichien Der Standard une autobiographie tout à fait étonnante sous forme de rubrique hebdomadaire intitulée Journal des Verschwindens (« chronique de la disparition »). Lauréate des prix littéraires les plus prestigieux de l’espace germanophone, I. Aichinger vit aujourd’hui à nouveau à Vienne.

Ingeborg RABENSTEIN-MICHEL

AIDÉSIA [ALEXANDRIE Ve siècle apr. J.-C.]

Philosophe grecque.

Philosophe de l’école néoplatonicienne (comme Hypathie* et Sosipatra*), célèbre pour sa beauté et sa vertu, Aidésia vécut à Alexandrie au Ve siècle après J.-C. Après la mort de son mari Hermeias, elle se consacra à l’éducation de ses enfants, Ammonius (célèbre commentateur d’Aristote et de Platon) et Héliodore, et au secours des déshérités. Sur le conseil de son parent Syrianus, elle suivit ses enfants à Athènes, où elle étudia la philosophie comme élève de Proclos. Son oraison funèbre fut prononcée par Damascius, le dernier scolarque de l’école néoplatonicienne, qui admirait la piété et la charité d’Aidésia.

Marella NAPPI

GOULET R. (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. I, Paris, CNRS, 1989, no 55.

AIDOO, Ama Ata [ABEADZI KYIAKOR 1942]

Écrivaine ghanéenne.

Grande dame des lettres et arts ghanéens, Ama Ata Aidoo est née en milieu fanti, au centre sud du pays. Elle possède un répertoire varié qui va des écrits pour la jeunesse à l’écriture romanesque pour adultes, en passant par la poésie, le théâtre ou la critique littéraire. Représentées dans le monde entier, ses pièces de théâtre traitent de l’exploitation économique, sociale et sexuelle des femmes. Dans son travail, elle cherche à comprendre la tension qui sous-tend modernité et tradition. Sa première pièce, The Dilemma of a Ghost (« le dilemme du fantôme », 1965) est certainement la plus célèbre ; au travers d’un portrait de femme éduquée à l’occidentale mais restée proche des valeurs africaines, elle analyse la dichotomie, devenue classique, entre les valeurs occidentales et les traditions africaines. En 1977, elle publie Our Sister Killjoy, roman basé sur sa propre expérience. Elle y raconte l’histoire d’une jeune Africaine qui part faire ses études en Allemagne et tombe amoureuse d’une Allemande. C’est l’occasion pour la romancière de montrer une Africaine en lutte contre ses valeurs traditionnelles et son éducation occidentale. Son roman Désordres amoureux (1991), pour lequel elle obtient le Commonwealth Writers Prize for Best Book en 1992, explore le mariage à l’africaine, où les deux parties sont choisies sans leur consentement par les familles, qui se connaissent et entretiennent des rapports clairs et continus. Cependant, il y a toujours une histoire cachée qui remonte à la surface et force les protagonistes à réagir. Les problèmes commencent alors et n’en finissent plus. Outre deux recueils de nouvelles, No Sweetness Here (« pas de douceur ici », 1970) et The Girl Who Can (« la fille capable », 1997), A. A. Aidoo publie plusieurs recueils de poèmes, Someone Talking to Sometime (« quelqu’un à qui parler parfois », 1985), Birds (« oiseaux », 1987) et Angry Letter in January (« une lettre amère en janvier », 1992).

Frida EKOTTO

Désordres amoureux (Changes : A Love Story, 1991), Carouge, Zoé, 2008.

AIGLE, Caroline [MONTAUBAN 1974 - DIJON 2007]

Militaire française.

Polytechnicienne, première femme brevetée pilote de chasse dans l’armée de l’air française et championne militaire de triathlon, Caroline Aigle eut une vie aussi courte que grandiose. Fille d’un médecin des armées, elle a toujours baigné dans le milieu militaire. Après ses études au lycée militaire de Saint-Cyr puis au Prytanée militaire de La Flèche, elle intègre en 1994 l’École polytechnique et effectue son service militaire obligatoire (1994-1995) au 13e bataillon de chasseurs alpins. Puis elle choisit de servir dans l’armée de l’air, où elle découvre sa véritable vocation. Première femme à suivre la formation complète à l’École de l’air de Salon-de-Provence puis à l’École de l’aviation de chasse de Tours, elle reçoit son brevet de pilote de chasse en 1999 des mains du général Jean Rannou, chef d’état-major de l’armée de l’air. Entre-temps, sportive polyvalente et accomplie, elle est devenue championne de France militaire de triathlon (natation, vélo, course à pied) et championne du monde militaire de triathlon en équipe. Affectée à la base aérienne de Dijon, elle y réalise son rêve de piloter des Mirages 2000-5 et y gravit rapidement les échelons. En 2005, elle devient commandant d’escadrille. Puis elle est mutée au commandement des forces aériennes à Metz, où elle s’occupe de la sécurité des vols. En juin 2007, elle apprend qu’elle a réussi les épreuves écrites du concours d’entrée au Collège interarmées de défense (CID), mais voit au même moment sa vie prendre une tournure tragique. Mariée et mère d’un enfant, elle est enceinte d’un deuxième lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer de la peau. Contre l’avis des médecins, elle choisit de garder le bébé. Celui-ci naît par césarienne à trois mois et demi du terme, tandis qu’elle décède deux semaines plus tard, peu avant ses 33 ans. Une vague d’émotion submerge la communauté des pilotes de l’armée de l’air : le mythe C. Aigle est né. L’aviatrice est décorée de la médaille de l’Aéronautique à titre posthume par le président de la République, le 2 octobre 2007. Puis, dans le cadre de la Journée internationale des droits de la femme, le musée de l’Air et de l’Espace organise, le 8 mars 2008, une journée en son hommage, avec la participation d’une centaine de femmes pilotes. Enfin, le centre nautique de l’École polytechnique porte aujourd’hui le nom de cette chevalière du ciel et les élèves de l’école organisent chaque année le triathlon Caroline-Aigle pour saluer sa mémoire.

Elisabeth LESIMPLE

MERCHET J.-D., Caroline Aigle, vol brisé, Paris, éd. Jacob-Duvernet, 2009.

AIKEN, Joan [RYE 1924 - PETWORTH 2004]

Écrivaine britannique.

Joan Aiken fait ses études secondaires à Oxford entre 1936 et 1940, puis écrit des petites histoires, qui sont lues à la radio. Elle travaille ensuite pour la BBC en 1942 et 1943, puis comme bibliothécaire aux Nations unies de 1943 à 1949. Elle publie plusieurs nouvelles dans le magazine Argosy. Son écriture sait habilement passer de la littérature enfantine à la littérature de suspense, dont elle devient l’une des reines. Parmi ses ouvrages, les plus connus sont les « Chroniques des loups » rédigées entre 1960 et les années 2000, histoires décalées et imaginatives de l’Angleterre où des loups d’Europe centrale envahissent l’Angleterre par le tunnel sous la Manche, où les Hanovre ne sont pas sur le trône d’Angleterre et où certains habitants des États-Unis parlent le latin. J. Aiken a également atteint une grande notoriété par les aventures écrites d’Arabelle et de son corbeau Mortimer, pour la télévision, et par des romans qui prolongent les intrigues des œuvres de Jane Austen*. Elle a écrit plus de 100 livres, pièces de théâtre, poèmes mais aussi histoires de fantômes, dont l’atmosphère est en général très dense, non sans une certaine extravagance imaginative, rappelant un peu les romans de Dickens. Personnalité modeste et discrète, elle a marqué toute une génération d’enfants et d’adultes.

Michel REMY

Sylvia et Bonnie au pays des loups (The Wolves of Willoughby Chase, 1962), Paris, Éditions G.P., 1966 ; Le Corbeau d’Arabelle (Arabel’s Raven, 1972), Paris, F. Nathan, 1982 ; Mort un dimanche de pluie (Death on a Rainy Sunday, 1972), Marseille, Rivages, 1986 ; Le Bois des ombres (The Winter Sleepwalker and Other Stories, 1995), Paris, Gallimard jeunesse, 1995.

AIKI, Ellinor [TÕSTAMAA 1893 - TARTU 1969]

Peintre estonienne.

La vie d’Ellinor Aiki fut marquée par une tuberculose osseuse, contractée à l’âge de 6 ans, qui l’obligea à interrompre ses études. Après sa scolarité au lycée de Pärnu, elle travailla d’abord à Saint-Pétersbourg dans un hôpital pour enfants, séjourna dans un sanatorium en Ukraine, puis obtint en 1917 son diplôme d’institutrice à Tchavoussy, en Biélorussie, avant de revenir s’installer en Estonie. C’est seulement à 35 ans qu’elle décida de s’engager dans des études artistiques. Elle fut admise à la célèbre école Pallas de Tartu, où elle étudia jusqu’en 1936 la peinture et la gravure sous la direction de Nikolai Triik. Après s’être enfuie en Allemagne à l’automne 1944, juste avant la seconde occupation soviétique de l’Estonie, elle regagna son pays deux ans plus tard et vécut jusqu’à la fin de sa vie à Tartu. Son œuvre picturale se caractérise d’abord par des couleurs douces. Ses sujets de prédilection sont les fleurs, les portraits et les paysages urbains. À partir de la fin des années 1950, elle développe une technique plus personnelle : peignant désormais principalement au couteau, elle couvre ses toiles d’épaisses taches de couleur en relief qui leur confèrent une vibration particulière. Dans les années 1960, son œuvre se rapproche de l’art naïf (Jänes Otepää lähistel, « lièvre aux environs d’Otepää », huile sur toile, 1967-1968). Elle recourt à des associations de couleurs hardies, comme le rose, l’orange et le vert (Vaade Kalevipoja sängilt, « le lit de Kalevipoeg », huile sur toile, 1965-1968). Les formes se simplifient au point de confiner parfois à l’abstraction (Tartu vaade, « vue de Tartu », huile sur toile, 1958-1960). Cette dernière période de son œuvre témoigne d’une liberté créatrice remarquable dans le contexte artistique soviétique qui valorisait encore le réalisme socialiste.

Antoine CHALVIN

Ellinor Aiki Tartu Riiklikus Kunstimuuseumis 25. aprill - 8. juuni 1969, Tartu, Tartu Riiklik Kunstimuuseum, 1970.

AIKIN, Lucy (ou Mary GODOLPHIN) [WARRINGTON 1781 - HAMPSTEAD 1864]

Romancière britannique pour la jeunesse.

Née dans une famille d’écrivains, de théologiens et de médecins unitariens, éduquée par son père et sa tante, elle lit très jeune le français, l’italien et le latin, commence à écrire à 17 ans pour des revues et écrit de nombreux livres historiques sur Anne Boleyn (1827), Joseph Addison (1843), Elizabeth Ire (1818) et Jacques Ier (1822). Voulant développer la lecture chez les enfants, en parfaite victorienne progressiste soucieuse de leur éducation, elle compose plusieurs ouvrages d’aide à la lecture et réécrit, en en simplifiant le vocabulaire, le Pilgrim’s Progress de Bunyan et Robinson Crusoé ainsi que les Fables d’Ésope, dans la série « En mots d’une syllabe » sous le pseudonyme de Mary Godolphin.

Michel REMY

AIMÉE, Anouk (née Françoise DREYFUS) [PARIS 1932]

Actrice française.

Françoise Dreyfus est élevée surtout par sa mère à la suite du divorce de ses parents, acteurs de théâtre. Celle-ci l’emmène beaucoup au cinéma et donne son accord quand on propose à sa fille de 13 ans d’y faire ses débuts. Elle est renommée Anouk à la suite de son premier rôle et Aimée sur une suggestion de Jacques Prévert. Dans Montparnasse 19 de Jacques Becker, elle est Jeanne Hébuterne, la compagne de Modigliani (Gérard Philipe). Federico Fellini met en valeur sa beauté altière dans La dolce vita et Huit et demi. En 1966, le couple idéal qu’elle forme avec Jean-Louis Trintignant dans Un homme et une femme remporte un succès international, et elle tourne avec Claude Lelouch à de nombreuses reprises jusqu’à Ces amours-là, en 2010. Son charme mystérieux illumine Lola et Model Shop de Jacques Demy. Elle tourne beaucoup en Italie, avec Alberto Lattuada, Marco Bellocchio, Bernardo Bertolucci. En 2003, dans La Petite Prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens, Anouk Aimée incarne une survivante des camps. Elle renoue ainsi avec une part de sa mémoire, elle qui avait miraculeusement échappé, petite fille, à l’extermination. Désignée comme « juive » par ses compagnes à la sortie de l’école, elle avait été ramenée chez sa grand-mère par un soldat allemand resté anonyme. En 2011, elle joue dans Tous les soleils de Philippe Claudel. Sur scène, elle joue à ses débuts Sud de Julien Green ; plus récemment, la pièce américaine Love Letters, avec Bruno Crémer, puis Philippe Noiret et enfin Alain Delon. Elle a été mariée avec le cinéaste Nikos Papatakis, père de sa fille Manuella, puis avec le chanteur Pierre Barouh, et l’acteur Albert Finney. Engagée pour la protection de la nature et des animaux, elle est amie avec la primatologue Jane Goodall* et membre de l’institut Jane-Goodall France.

Bruno VILLIEN

BESNEHARD D., FLIS-TRÈVES M., Anouk Aimée, la beauté du geste, France 5, coll. « Empreintes », 2012.

GENET J., Journal du voleur, lu par Anouk Aimée, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1988 ; SAGAN F., Des yeux de soie, lu par Anouk Aimée, éd. cit., 2010.

AÏT MANSOUR AMROUCHE, Fadhma [TIZI HIBEL 1882 - BRETAGNE 1967]

Écrivaine algérienne.

Enfant naturelle, Fadhma Aït Mansour est la mère du poète Jean Amrouche et de Marie-Louise Taos Amrouche*, et fait partie des premières romancières algériennes d’expression française. Confiée en 1885 aux sœurs blanches des Ouadhias, mais retirée un an après pour mauvais traitements, elle rompt totalement avec sa famille après la mort de sa mère, et travaille à l’hôpital des Sœurs blanches d’Aït Mangueleth. Là, elle rencontre Belkacem Amrouche, catholique converti, avec lequel elle se marie. Sa propre conversion rend les relations difficiles avec la famille Amrouche, demeurée fidèle à l’islam, et oblige le couple à émigrer en Tunisie. La vie de l’écrivaine sera alors ponctuée de naissances, mais aussi de deuils : sur ses huit enfants, seuls trois seront encore en vie après la guerre, dont Jean et Taos. C’est avec eux qu’elle entreprend, à partir de 1930, de traduire les chants et contes kabyles hérités de ses ancêtres. Ces chants seront immortalisés par la voix de Taos, qui reproduira aussi les contes, proverbes et poèmes dans Le Grain magique (1966). En 1940, F. Aït Mansour compose des poèmes qu’elle dédie à la mémoire de ses trois fils disparus cette année-là. Son œuvre essentielle demeure cependant Histoire de ma vie, écrite en 1946 et publié en 1968, à titre posthume. À travers ce témoignage autobiographique, pudique et bouleversant d’une femme en quête d’elle-même et de ses origines, transparaît toute la violence de la colonisation.

Najet LIMAM-TNANI

DÉJEUX J., La Littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Karthala, 1994 ; CHIKHI B., Jean, Taos et Fadhma Amrouche, relais de la voix, chaîne de l’écriture, Paris, L’Harmattan, 1998.

BOURAOUI H., « Histoire de ma vie de Fadhma Aith Mansour, une vie aux répercussions poétiques et romanesques », in Présence francophone, no 5, 1972.

AITON, Norah [LONDRES 1903 - JERSEY 1988]

et

SCOTT, Betty [IVER, BUCKINGHAMSHIRE 1904 - LONDRES 1983]

Architectes et designers britanniques.

Bien que leur œuvre ne figure pas dans l’histoire traditionnelle du modernisme, Norah Aiton et Betty Scott ont conçu le plus ancien bâtiment industriel du mouvement moderne britannique : les bureaux de l’usine Aiton & Co (Derby 1930-1931). Après avoir entamé des études à la Cambridge School of Architecture (1924-1926), N. Aiton les achève à l’Architectural Association de Londres (1926-1929), où elle rencontre sa future partenaire professionnelle, B. Scott. Celle-ci y étudie de 1923 à 1928. Le modernisme est dans l’air, même s’il ne figure pas au programme d’études. N. Aiton visite l’Exposition universelle de Paris en 1925 et fait un tour du monde de l’architecture, pendant que B. Scott travaille pour un grand cabinet new-yorkais. Elles s’associent en 1930, et le père de N. Aiton leur confie la réalisation de son entreprise, vitrine des « nouveaux matériaux » – verre, acier et béton armé. Pour l’aménagement intérieur, d’une saisissante sobriété, elles conçoivent un escalier doté d’une rambarde courbe en acier et des bureaux assortis aux chaises en acier chromé de Marcel Breuer (1902-1981), sorties directement du catalogue de Thonet. L’architecture néerlandaise leur inspire l’utilisation d’autres matières : volumes interlocking (« emboîtables »), fenêtres métalliques et mobilier d’architecte. En façade, le rouge, le vert jade, le bleu, le gris et le blanc composent ce que N. Aiton appelle « ma version de la palette de couleurs du Stijl ». Ayant de la famille aux Pays-Bas, elle s’y rend fréquemment, travaillant comme stagiaire dans un cabinet d’architectes, et admire notamment la maison Rietveld-Schröder (Utrecht 1924). Refusant de se laisser cantonner à l’architecture domestique, N. Aiton et B. Scott ont également conçu des bureaux d’usine, une imprimerie, un crématorium, une église, un zoo privé, ainsi que des maisons individuelles, pour lesquelles, contrairement à leurs réalisations d’Aiton & Co, la décoration intérieure et le mobilier évoquent souvent l’art déco.

Lynne WALKER

« Girl architect’s ambition, buildings of glass and steel », in Derby Daily Telegraph, 15 juillet 1931 ; WALKER L., « The forgotten architecture of vision : Aiton & Scott’s factory office for Aiton & Co, Derby, 1930-31 », in Twentieth Century Architecture, vol. 1 (special issue, Industrial Architecture), 1994.

AJETI, Melihate [PRISTINA 1935 - ID. 2005]

Actrice kosovare.

Melihate Ajeti est considérée comme la prima donna du théâtre kosovar. Après des études primaires et secondaires puis dramaturgiques à Pristina, elle fait un stage à la Comédie-Française. Elle débute à 16 ans au théâtre du Peuple de Pristina dans une pièce de Svetozar Ćorović. Selon le critique Vehap Shita, « sa spontanéité et sa présence scénique révèlent un talent inné ». Avec le Groupe de théâtre albanais, elle tient une douzaine de grands rôles et, en 1963, celui de Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias lui vaut la plus haute récompense théâtrale du Kosovo. Au Kosovo et en ex-Yougoslavie, aussi bien au théâtre qu’au cinéma, elle est Desdémone, la vieille dame Nicë (adaptation du Général de l’armée morte d’Ismail Kadare), Anna Karénine, lady Macbeth, la reine Teuta (de Rexhep Qosja), Erveheja (d’Ahmet Qirezi). Elle est la plus demandée de toutes les actrices pendant le demi-siècle de son activité professionnelle. Dans les années 1990, tandis que le théâtre est sous le contrôle des responsables acquis à Milošević, elle reçoit moins d’engagements, et revient au théâtre seulement après la guerre. Elle est portée aux nues pour son interprétation dans Macbeth. Mariée au célèbre directeur de théâtre Muharrem Qena, dont elle divorce des années plus tard, elle tient quelques rôles dans ses mises en scène, dont celui de Erveheja, performance légendaire qui introduit au Kosovo une nouvelle esthétique. Elle a reçu de nombreux prix.

Jeton NEZIRAJ

AJRAM, Nancy [BEYROUTH 1983]

Chanteuse libanaise.

Nancy est encore pré-adolescente lorsqu’elle remporte ses premiers concours de chant, notamment Les Étoiles du futur qui lui permettent de s’illustrer auprès du public en interprétant la reprise d’une chanson classique d’Oum Kalsoum*. Après l’enregistrement de plusieurs albums, elle s’impose non seulement dans son pays mais aussi dans le monde arabe, grâce à un répertoire simple et original. Son troisième opus, Ya Salam, affermit sa renommée, érige cette jeune chanteuse en fierté nationale et en symbole du Liban. Sa popularité est à la mesure du nombre de ses disques vendus : plus de 10 millions. Égérie de Coca-Cola dans le Moyen-Orient, élue l’une des chanteuses les plus influentes du monde arabe selon le magazine américain Newsweek, elle poursuit sa toute jeune carrière en enregistrant en 2010 Nancy 7, un album où son lyrisme habituel est galvanisé par des sonorités électro-pop.

Anne-Claire DUGAS

Ya Salam, Virgin, 2008.

AKAROVA (Marguerite ACARIN, dite) [SAINT-JOSSE-TEN-NOODE 1904 - IXELLES 1999]

Danseuse et chorégraphe belge.

Après ses premiers cours de danse à l’âge de 13 ans, Marguerite Acarin étudie à Bruxelles auprès d’une élève d’Émile Jaques-Dalcroze et rejoint le corps de ballet de l’Opéra d’Anvers. En 1922, elle assiste aux conférences de Raymond Duncan, le frère d’Isadora Duncan*, où elle rencontre le peintre Marcel-Louis Baugniet dont elle devient modèle et qu’elle épouse en 1923. Celui-ci, engagé dans le courant constructiviste, auteur de peintures abstraites tout en s’intéressant aux arts appliqués, lui invente son nom de scène et dessine pour elle des costumes, collaboration qui se poursuit ponctuellement après leur séparation en 1928. En 1937, l’architecte Jean-Jules Eggericx construit pour elle une salle de spectacle à Ixelles qui ferme ses portes en 1957. Elle se consacre alors à la sculpture et à la peinture, la danse constituant un thème régulier de ses œuvres plastiques. Elle compose une cinquantaine de pièces chorégraphiques, pour la plupart des solos qu’elle interprète elle-même, se produisant en Belgique dans des théâtres ou des demeures privées et dans sa propre salle de 1937 à 1957. Elle fait appel aux musiques de ses contemporains dont Milhaud, Poulenc, Schmitt, Stravinsky, Ravel. Associant dynamiques rythmiques et hiératisme des poses, elle développe un principe de tableaux cinétiques où costumes et décors font écho aux idées de Baugniet : « La vertu de la forme est dans son rythme ». Dans un projet de synthèse des arts, jeux de lignes, de motifs, de couleurs construisent assonances et dissonances dans une danse envisagée comme « musique-architecture ». Grande figure de l’avant-garde belge de l’entre-deux-guerres, elle est mise à l’honneur à la fin de sa vie par deux films : J’aurais aimé vous voir danser, Madame Akarova (Michel Jakar et Thierry Génicot, 56 min, 1990) dans lequel elle explique sa gestuelle et la confronte à celle de jeunes chorégraphes belges ; Akarova/Baugniet, l’entre-deux-guerres (Jurgen Persijn et Ana Torfs, 50 min, 1991), documentaire très complet sur une période foisonnante pour l’invention des formes en Belgique.

Philippe LE MOAL

VAN LOO A. (dir.), Akarova, spectacle et avant-garde, 1920-1950, Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 1988.

AKATLI, Füsun [ANKARA 1944 - ISTANBUL 2010]

Essayiste turque.

Après un doctorat de philosophie à l’université de Hacettepe, Füsun Akatli quitte l’enseignement après le coup d’État de septembre 1980, travaille dans le secteur de la publicité, puis dans les théâtres municipaux d’Istanbul. Elle crée la section théâtre de l’université de Yeditepe. Mariée de 1966 à 1979 au poète Metin Altiok, elle prend avec lui une part active au courant socialiste de l’époque. F. Akatli collabore très tôt à de nombreuses revues littéraires et intellectuelles, et s’intéresse à l’ensemble de l’histoire culturelle. Dans ses essais, la philosophie est au service de l’analyse littéraire : Bir Pencereden (« d’une fenêtre », 1982), Edebiyat Defteri (« carnet de littérature », 1987) et Zamansız yazılar (« écrits intempestifs », 1994). Son premier ouvrage, Niçin Dialektik ? (« pourquoi la dialectique ? », 1977), s’interroge sur les enjeux de la littérature contemporaine et scrute l’état d’une culture où la philosophie existe mais s’exprime très peu. En 1998 et 1999, elle rassemble ses nombreux articles en trois volumes, consacrés à l’essai culturel, à la nouvelle contemporaine, au roman et à la poésie. Elle organise la publication posthume de textes inédits de l’un des fondateurs du modernisme turc, Bilge Karasu. Avec Müge Gürsoy, elle dirige l’ouvrage collectif Bilge Karasu aramızda (« Bilge Karasu est parmi nous », 1997). En 2004, le prix Memet-Fuat de l’essai lui est décerné. Son dernier livre s’intitule Rüzgara Karşı Felsefe (« la philosophie à contre-vent », 2007).

Timour MUHIDINE

« Temps, histoire et philosophie dans la poésie de Melih Cevdet Anday », in MUHIDINE T. (dir.), Offrandes, poèmes 1946-1989, Paris, Publisud/Unesco, 1998 ; « Le poète Nâzim et la prose narrative », in BOZDEMIR M., MUHIDINE T. (dir.), Nâzim Hikmet : Héritage et modernité, Paris, Pétra, 2010.

AKAZOME EMON [960-1045]

Poétesse japonaise de l’époque de Heian.

Akazome Emon se marie avec Ōe no Masahira, un célèbre poète et érudit, et devient la dame d’honneur de Rinshi, l’épouse principale de Fujiwara no Michinaga, le grand ministre d’État du Japon. Après la mort de son mari en 1012, Akazome Emon se désintéresse de l’éducation de ses enfants et entre au service de Rinshi et de Fujiwara no Sōshi (la fille de Fujiwara no Michinaga) en pratiquant la poésie waka. Elle serait également devenue nonne bouddhiste à cette époque, tout en continuant ses activités littéraires. Elle est présentée à la cour impériale à l’instar de sa contemporaine et consœur Izumi Shikibu et, en 1035 et 1041, elle concourt à des compétitions poétiques. Elle aurait réuni ses poèmes sur la demande de Fujiwara no Yorimichi, le fils de Michinaga et de Rinshi. On lui attribue la composition, entre 1030 et 1045, des 30 premiers chapitres du Eiga Monogatori (Conte de splendeur ou Dit de la magnificence), une épopée du clan Fujiwara, qui complète les Rikkokushi, des chroniques compilant l’histoire du Japon des origines jusqu’en 887. Plusieurs de ses tankas (forme traditionnelle de la poésie waka) sont publiés dans le Shinkokinshû, une anthologie impériale de poésie waka. Akazome Emon compte parmi les trente-six poétesses immortelles.

Marina MOURRIN

AKERMAN, Chantal [BRUXELLES 1950]

Cinéaste belge.

Pierrot le Fou, de Godard, est à l’origine de son envie de cinéma. Entrée très jeune à l’Insas, Chantal Akerman quitte l’école au bout d’un an, en 1967, estimant qu’elle perd son temps, et se lance dans la réalisation de son premier court-métrage : Saute ma ville (1968), un film burlesque où une adolescente (jouée par elle) s’adonne à des activités quotidiennes avant de faire sauter son immeuble. Un coup d’essai qui résonne comme un besoin vital de libération. Après un deuxième court-métrage inachevé (L’enfant aimé ou je joue à être une femme mariée, 1971), elle part aux États-Unis et découvre le cinéma d’avant-garde américain (Michael Snow, en particulier). Elle s’avise alors que le cinéma peut s’affranchir de la narration classique et que le temps est l’essence même d’un film. Dès ses premiers films, elle possède un sens singulier de la temporalité, un goût pour le formalisme, travaillant le temps et l’espace hors de tout psychologisme. Ce sont les gestes les plus quotidiens, les espaces habités qui traduisent l’identité et l’histoire de ses personnages, le plus souvent des femmes. Son cinéma nous révèle que la complexité de nos vies prend sa source dans le quotidien. La Chambre (1972) en est un parfait exemple : un plan-séquence panoramique de onze minutes la fixe sur son lit dans différentes attitudes et moments de vie, alors que le décor environnant ne change pas. Ses expérimentations et son amour de New York donnent lieu à un moyen-métrage, Hôtel Monterey (1972), une description fragmentaire, ascensionnelle et sans récit, d’un hôtel miteux, mais plus encore la vision d’une exilée. Revenue en France, C. Akerman réalise son premier long-métrage : Je, tu, il, elle (1976). Cette histoire de désir et de manque entre deux femmes va plus loin encore dans l’exploration de l’intériorité de l’héroïne (qu’elle interprète) et s’appuie sur une mise en scène radicale (longs plans fixes, monologue intérieur, travail sur la durée), héritée de son expérience américaine. Un style qu’elle va pousser encore plus loin avec Jeannne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), un film ouvertement féministe porté par Delphine Seyrig*. À l’aide d’un dispositif réaliste, cru et dépouillé, elle nous donne l’illusion de suivre en temps réel trois journées d’une mère de famille qui se prostitue. C’est passionnant et parfois ennuyeux, comme la vie. Ce film, radical par le fond (dénonçant l’aliénation des femmes au foyer) et la forme, apporte à C. Akerman la consécration internationale. Son film suivant, Les Rendez-vous d’Anna (1978), qui se teinte encore une fois d’autobiographie, nous invite à suivre les errances d’une réalisatrice, avec en filigrane une quête d’identité et des origines. Issue d’une famille juive polonaise (ses grands-parents et sa mère ont été déportés à Auschwitz), la cinéaste a souvent évoqué le lien entre son cinéma de l’errance, son exploration du vide et du non-dit, et le silence de sa mère sur la déportation. Ce motif est présent dans Demain on déménage (2004), une comédie sur les relations mère-fille où le burlesque opère comme une conjuration de la douleur et du souvenir de la Shoah. Au gré de plus d’une quarantaine de films, tenant à la fois du documentaire – par exemple, Histoires d’Amérique (1989, sur l’immigration juive aux États-Unis) ; De l’autre côté (2001, sur le sort des immigrés mexicains aux États-Unis) –, de la comédie musicale (Golden Eighties, 1986), de la comédie « à l’américaine » tendance Lubitsch (Un divan à New York, 1996), de l’adaptation proustienne mâtinée de Hitchcock (La Captive, 2000), du cinéma expérimental, du journal filmé, de l’installation vidéo, son œuvre n’a de cesse d’interroger les identités et les origines, de les recréer, de combler les manques et les silences, repoussant les limites entre le documentaire et la fiction – une frontière à laquelle la cinéaste ne croit pas. Ainsi Là-bas (2006), à l’origine une commande de documentaire sur Israël, est-il détourné en journal intime. De Tel-Aviv filmée de la chambre de C. Akerman on ne voit que peu de choses (encore moins Israël), mais ce film tout en plans fixes et voix off exprime avec une force peu commune l’exil, le repli sur soi, l’impossibilité de parler de la Shoah, les petites victoires du quotidien. Artiste pluridisciplinaire, C. Akerman expose à partir de 1995 des installations vidéo dans des musées, des galeries et des expositions d’art contemporain à travers le monde, notamment à la Biennale de Venise en 2001, lors de la rétrospective que le centre Pompidou lui a consacrée en 2004 ou encore à la Biennale de São Paulo à l’automne 2010. Elle a également mis en scène deux pièces de théâtres, Hall de nuit (1991) et Le Déménagement (1992).

Jennifer HAVE

Chantal Akerman, autoportrait en cinéaste, Paquot C. (éd.), Paris, Centre Pompidou/Cahiers du cinéma, 2004 ; Ma mère rit, Paris, Mercure de France, 2013.

ÅKESSON, Birgit [MALMÖ 1908 - STOCKHOLM 2001]

Danseuse et chorégraphe suédoise.

Formée à l’école de Mary Wigman* de 1929 à 1932, Birgit Åkesson abandonne son style expressionniste et commence à chercher sa propre forme de danse. Après une brève période d’étude chez Max Reinhardt à Berlin, elle fait ses débuts en solo à Paris, au Théâtre du Vieux-Colombier, dans un récital intitulé Danses modernes (1934), puis ouvre son école à Stockholm. Après un nouveau spectacle en 1936, la critique se montre aussi sévère qu’elle-même et, pendant dix ans, elle ne danse plus en public. En 1946, elle rompt le silence avec un nouveau récital où elle danse avec une extrême concentration, lentement, dans un flux ininterrompu de mouvements. Après Stockholm, elle conquiert une réputation internationale lorsqu’elle donne des récitals à Copenhague, à Prague, à Londres, à New York, à Paris, à Milan. L’artiste se sent plus proche des peintres et compositeurs contemporains, Picasso, Calder, Arp ou Hindemith, que des danseurs. Œil, sommeil en rêve est le résultat de sa collaboration avec le poète Erik Lindegren et le compositeur Karl-Birger Blomdahl (1953), suivi en 1957 par Sisyphus, à l’Opéra royal de Stockholm. Elle y produit sept ballets dont Minautor (1958), Rites (1960), Jeux pour huit (1962) et Icare (1963). À l’instar de ceux de Martha Graham* qu’elle a rencontrée aux États-Unis, ses ballets sont souvent inspirés par des mythes classiques, mais elle privilégie l’abstraction, écartant le goût du sang et les références de M. Graham à la légende américaine. Après avoir créé le solo Les Heures du jour pour Erik Bruhn à la télévision suédoise (1967), elle quitte la danse et réalise son premier voyage en Afrique pour étudier les danses rituelles. Elle y retourne plusieurs fois et, en 1983, publie le résultat de ses recherches. Elle conduit aussi des voyages de recherche en Chine et au Japon pour étudier les formes de danse en Asie. En 1989, elle crée deux solos pour le danseur Chiang Ching et recrée à l’Opéra de Stockholm, pour la jeune ballerine Marie Lindqvist, La Danse de Perséphone, solo de Sisyphus. Parfois nommée « Picasso de la danse », elle demeure l’une des pionnières de la danse moderne européenne du XXe siècle.

Erik NÄSLUND

Le Masque des eaux vives : danses et chorégraphies traditionnelles d’Afrique noire (Källvattnets Mask, 1983) Paris, L’Harmattan, 1994.

Att ge spår i luften (1992), Lund, Propexus, 1998.

PETER F.-M. (dir.), Birgit Åkesson. Postmoderner Tanz aus Schweden, Cologne, Wienand, 1998.

ÅKESSON, Sonja [BUTTLE, GOTLAND 1926 - HALMSTAD 1977]

Écrivaine suédoise.

De famille modeste, Sonja Åkesson doit quitter l’école tôt. Divorcée, remariée et mère de trois enfants, elle débute sa carrière de poétesse vers 30 ans, mais ce n’est que quelques années plus tard qu’elle acquiert sa notoriété, avec le recueil de poésie Husfrid (« la paix domestique », 1963) ‒ en particulier avec « Självbiografi » (« autobiographie »), une réplique au poème « Autobiography » de Lawrence Ferlinghetti, de la Beat generation ; et avec « Äktenskapsfrågan » (« la question matrimoniale »), qui ironise sur les rôles figés attribués aux deux sexes. Féministe, elle met en scène des personnages de femmes au foyer qui, malgré leur prospérité matérielle, souffrent d’angoisse et manquent d’assurance. Le recueil-collage Pris (« prix », 1968) dénonce la superficialité de la vision du monde donnée par la presse. En collaboration avec son mari, elle publie notamment Strålande dikter/Nej så fan heller (« poèmes brillants/non, que diable ! », 1967). Elle écrit sous forme de haïku japonais Sagan om Siv (« la saga de Siv », 1974). L’ironie est l’un de ses moyens d’agir les plus efficaces, avec des titres comme Ute skiner solen (« dehors il fait soleil », 1965), Man får vara glad och tacka Gud (« il faut être content et remercier Dieu », 1967) et Ljuva sextiotal (« les douces années soixante », 1970). Dans sa poétique, la vie commune des humains est parfois décrite en termes de cannibalisme, mais au jugement intransigeant de l’un succède l’empathie de l’autre. La raideur d’êtres campés dans l’autojustification est atténuée par l’humour, car l’auteure, malgré sa méfiance à l’égard de la langue, croit aux possibilités de la communication. Sa critique de l’État-providence suédois, de la commercialisation et de la publicité, ainsi que sa problématisation des attitudes féminines et masculines sont toujours d’actualité. Connue surtout comme poétesse, elle a également écrit en prose, pour le théâtre et le cabaret, ainsi que dans la presse suédoise.

Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU

BJÖRCK A., Sonja Åkesson, Stockholm, Natur och Kultur, 2008 ; LILJA E., Den dubbla tungan : En studie i Sonja Åkessons poesi, Göteborg, Daidalos, 1991 ; MARTIN B., Sonja Åkesson, Stockholm, Rabén och Sjögren, 1984.

AKHMADOULINA, Bella [MOSCOU 1937 - PEREDELKINO 2010]

Poétesse et traductrice russe.

Les débuts littéraires de Bella Akhatovna Akhmadoulina, en 1955, coïncident avec une période de dégel politique et social en URSS. En dépit de son non-conformisme et de la publication de certains de ses textes à l’étranger, au mépris de la censure, elle n’a été exclue de l’Union des écrivains que temporairement. Mais la critique soviétique a longtemps dédaigné son œuvre. On trouve dans ses recueils une grande variété de thèmes, l’amitié, rarement l’amour, et surtout la nature, lieu d’éveil et d’écriture. Dans le long poème « Histoire de pluie », la pluie est l’allégorie de l’inspiration. Son recueil de 1983, Taïna (« le secret »), définit la mission du poète ainsi : transcrire la beauté de quelques instants « miraculeux ». La dimension métapoétique est souvent présente dans ses textes, par des dialogues et des allusions aux poètes Anna Akhmatova*, Marina Tsvetaïeva*, Alexandre Pouchkine et Innokenti Annenski, dont elle se réclame. Comme chez A. Akhmatova, la structure de ses recueils – titres, agencement des poèmes – est travaillée pour former une trame narrative : la quête de la floraison entamée dans Taïna est poursuivie dans Sad (« le jardin », 1987) – la voix lyrique se déplace alors vers Moscou – et achevée dans Larets i klioutch (« le coffret et la clé », 1994), où reviennent les images des eaux primordiales des débuts poétiques. Dans ces mêmes recueils, ainsi que dans Oznob (« le frisson », 1968) et Nedoug (« la maladie », 1995), elle a développé le thème des affections. À la fièvre qui dévore le je lyrique s’ajoute la peinture des mourantes à l’hôpital et celle de pathologies sociales. Son style est marqué par la tendresse : l’élan lyrique est toujours contenu, raisonné par l’ironie, la dérision ou la modestie. Elle a également composé des textes autobiographiques en prose, notamment Moïa rodoslovnaïa (« ma généalogie », 1964) et un volume de Mémoires.

Marie DELACROIX

Histoire de pluie et autres poèmes (Skazka o dojde, 1962), Paris, Buchet-Chastel, 2009.

AKHMATOVA, Anna (Anna GORENKO, dite) [ODESSA 1889 - MOSCOU 1966]

Poétesse russe.

Anna Andreïevna Gorenko est née près d’Odessa en 1889, mais l’année suivante sa famille s’installe à Tsarskoïe Selo, près de Saint-Pétersbourg. C’est en réaction contre le scepticisme de son père face à sa poésie qu’Anna choisit pour pseudonyme le nom de son arrière-grand-mère, d’ascendance tatare. Elle fait ses études au lycée de Tsarskoïe Selo, indissolublement lié au nom de Pouchkine, où elle rencontre en 1903 Nikolaï Goumilev, qui deviendra son mari en 1910. Elle commence très tôt à écrire des poèmes, sous l’influence des poètes russes Valeri Brioussov, Alexandre Blok et Innokenti Annenski, qu’elle considère comme son maître, mais aussi de Baudelaire et Verlaine. Au printemps 1910, elle séjourne à Paris, où elle rencontre le peintre Modigliani, qui fait son désormais célèbre portrait au crayon. Jusqu’en 1917, elle passe tous les étés dans la région de Tver. Elle y découvre les paysages russes, la vie paysanne, la langue populaire, ses sources d’inspiration. En 1911, elle entre à l’Atelier des poètes, qui devient en 1912 le groupe des acméistes. Ceux-ci défendent le point de vue de la réalité concrète en poésie, par opposition aux symbolistes. C’est le premier recueil d’Anna Akhmatova, Le Soir, qui a en partie servi de fondement poétique aux déclarations acméistes. En 1912 naît son fils Lev, qui deviendra un célèbre géographe, fondateur de la théorie ethnologique. La gloire d’Akhmatova grandit après la publication de son recueil Tchotki (Le Rosaire, 1914). Des poètes comme Marina Tsvetaïeva, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak louent son art. Sa poésie lyrique, évoquant parfois le genre épistolaire ou le journal intime, sait aussi se faire l’écho de toute une époque. Après la révolution, elle n’émigre pas, mais elle sera toujours considérée par le pouvoir comme une poétesse de l’ancienne Russie, jusqu’aux critiques de Jdanov en 1946. Alors qu’il devient difficile de se faire publier, Akhmatova écrit de nombreuses études pouchkiniennes. Pendant les terribles années 1930, les répressions touchent sa famille : son fils est arrêté et déporté. La tragédie du peuple russe, qui est aussi sa tragédie personnelle, est le sujet de son long poème Requiem, qui ne sera publié intégralement qu’en 1987. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle écrit de célèbres poèmes patriotiques ; elle travaille aussi à sa grande œuvre, Le Poème sans héros, œuvre complexe par sa composition et son caractère chiffré, fresque épico-lyrique embrassant les temps et les lieux, depuis l’année 1913 jusqu’à la lutte de la Russie contre le nazisme. À partir de 1953 son œuvre commence à être publiée. En 1964, elle reçoit en Italie le prix Etna-Taormina, et en 1965 devient docteure honoris causa de l’université d’Oxford. En 1965 est publié son dernier recueil Bieg vremeni (« la Fuite du temps »), qui permet aux lecteurs de découvrir son œuvre. Anna Akhmatova meurt l’année suivante près de Moscou.

Florence CORRADO-KAZANSKI

Requiem et autres poèmes (Rekviem, 1940), Paris, Minuit, 2011 ; Le Soir (Vietcher, 1962), Paris, Nouveau Commerce, 1989 ; Le Poème sans héros et autres poèmes (Poema bez gueroïa, 1962), Paris, Gallimard, 2007.

MANDELSTAM N., Sur Anna Akhmatova, (texte inédit), Paris, Le bruit du temps, 2013.

AKIMOTO MATSUYO [YOKOHAMA 1911 - KAMAKURA 2001]

Dramaturge japonaise.

La vie d’Akimoto Matsuyo, sœur cadette d’Akimoto Fujio, célèbre poète de haïku, fut un constant combat contre la pauvreté et la maladie. De santé fragile, elle ne peut être scolarisée et dès lors les livres furent ses seuls vrais amis. Avec Miyoshi Juro, écrivain et scénariste, elle élabore des pièces de théâtre et des textes diffusés à la radio. À l’âge de 34 ans, elle écrit sa première pièce en un acte, Keijin (« poussière légère »), puis en 1948, Reifuku (« habit de cérémonie »), qui rencontre un succès considérable. En écrivant des pièces plus longues, son registre de sujets s’élargit avec notamment, en 1954, Monoiwanu onnatachi (« les femmes qui ne disent rien »), pièce sur la prostitution et, en 1960, Muraoka Iheijiden (« la biographie de Muraoka Iheiji ») sur un racoleur d’Asie du Sud-Est. En 1965, elle écrit pour la télévision Umiyorifukaki (« plus profond que la mer »), qui lui ouvre de nouvelles perspectives. En s’inspirant de divers mythes, Akimoto Matsuyo écrit des pièces originales dans un style propre au théâtre populaire. En 1975, elle reçoit, pour Shichininmisaki (« le cap des sept »), un prix qui la classe parmi les plus grands dramaturges. En 1979, Chikamatsushinjumonogatari (« histoire d’un double suicide d’amoureux de Chikamatsu ») est son premier vrai grand succès populaire. Cette pièce, mise en scène par Ninagawa Yukio, connaîtra maintes reprises. On y perçoit un des traits distinctifs des œuvres de l’auteure, qui est, en quelque sorte, un hymne à la vie.

ANAZAWA MARIKO

AKIN, Gülten [YOZGAT 1933]

Écrivaine turque.

Diplômée en droit de l’université d’Ankara, Gülten Akın suit son mari, sous-préfet en Anatolie, dans plusieurs villes où elle exerce brièvement son métier d’avocat, avant de s’établir à Ankara en 1972. Elle travaille à la Société de langue turque, participe à la Commisson des publications du ministère de la Culture et s’implique dans la création de la Société des droits de l’homme et de Dil Derneği, l’Association pour la langue. Dès 1952, elle publie ses premiers poèmes et devient collaboratrice de revues littéraires connues : Hisar, Varlık et Türk Dili. Dans cette dernière revue, elle publie trois courtes pièces dans les années 1960. Les civilisations anciennes, strates encore vivantes de l’esprit de l’Anatolie, hantent parfois ses textes, qui savent rester à l’écart de toute modernité factice et n’évoquent jamais la vie du citadin, pourtant privilégiée par nombre de ses contemporains.

De nombreux prix littéraires ont couronné son œuvre : celui de Türk-Dil Kurumu (1965), le prix de poésie Yeditepe (1977) et le Sedat-Simavi en 1992. Une partie de son œuvre est rassemblée dans les volumes Toplu Şiirler 1956-1991 (« poésies complètes », 1996), Şiiri Düzde Kuşatmak (« articles complets », 1996), et Toplu Oyunlar (« pièces de théâtre », 1997).

Timour MUHIDINE

« Les clés de la chambre soleil » (Güneş odasının anahtarları), in AQUIEN M., DINO G., CHUVIN P. (dir.), Entre les murailles et la mer, Paris, François Maspero, 1982 ; « Le Voyage d’hiver » (Kış yolculuğu), in Les Poètes de la Méditerranée, Paris, Culturesfrance/Gallimard, 2010.

COLLECTIF, J’ai vu la mer : anthologie de la poésie turque contemporaine, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu Autour, 2010.

BEHRAMOĞLU A. (dir.), « La Poésie turque contemporaine de Dağlarca aux années 1990 », in Anka, revue d’art et de littérature de Turquie, nos 24-25, déc. 1994.

AKINS, Zoé [HUMANSVILLE 1886 - LOS ANGELES 1958]

Scénariste américaine.

Poétesse, critique, dramaturge aux sujets audacieux, Zoé Akins ne connaît, dans un premier temps, que peu de succès. En 1930, elle devient scénariste en signant les dialogues de Sarah and Son, de Dorothy Arzner*. Les deux femmes collaborent sur trois autres films donnant à voir des personnages féminins forts et singuliers : Anybody’s Woman (1930), Working Girls (1931), La Phalène d’argent (Christopher Strong, 1933). Également fidèle à George Cukor, elle écrit pour lui Le Roman de Marguerite Gautier (Camille, 1936, adapté de La Dame aux camélias de Dumas) ; Zaza (1939) ; La Femme de l’autre (Desire Me, 1947). Malgré ces succès, Z. Akins arrête sa carrière de scénariste pour se consacrer exclusivement à l’écriture de pièces de théâtre. Récipiendaire en 1935 du prix Pulitzer du théâtre pour The Old Maid, une adaptation d’un roman d’Edith Wharton*, cette auteure d’une quarantaine de pièces ne verra quasiment aucune de ses œuvres reprise à Broadway.

Jennifer HAVE

AKKAMAHÂDÊVI [UDUTADI, KARNATAKA-SRISAILAM XIIe siècle]

Poétesse indienne d’expression kannada.

La voix d’Akkamahâdêvi, aussi appelée Mahadeviyakka, est, avec celles de Janâbâi* et de Mîrâbâî*, un exemple de ces expressions féminines paradoxales que permit le mouvement dévotionnel de la bhakti (« partage ») dans l’hindouisme médiéval. La bhakti se définit par la relation directe et fusionnelle du dévot à la divinité, quels que soient son sexe et sa caste, sans intermédiaire du prêtre. Participant ainsi à la contestation populaire et vernaculaire de l’orthodoxie brahmanique, les voix féminines de la bhakti n’en sont pas moins paradoxales car, comme dans toute mystique où il s’agit de se perdre en Dieu, l’individualité de chacun tend à se dissoudre, et la féminité semble, par-delà l’identité sexuelle du dévot, constituer le fond de son attitude d’amour et d’abandon. C’est peut-être toutefois dans l’indécence consentie et la crudité de l’expression que se situe la singularité de ces voix féminines. Akkamahâdêvi se rattache à un mouvement de bhakti particulièrement précoce, radical et durable, qui s’est développé au Karnataka, dans le sud-ouest de l’Inde, aux XIe et XIIe siècles : celui des Vîrashaiva (« shivaïte héroïque ») ou Lingayât (« qui porte le linga »). À la suite de Basavanna (1130 ? -1168), le fondateur, les Vîrashaiva s’élevèrent non seulement contre les fondements sociaux du brahmanisme, le privilège des brahmanes et le système des castes, mais aussi contre le principe même des œuvres, c’est-à-dire contre toute l’institution du religieux que le jaïnisme, bien implanté au Karnataka, pratiquait en multipliant les fondations de temples. À la place, les Vîrashaiva prônèrent la quête personnelle de l’Expérience (anubhava) d’un divin sans forme (nirguna), même s’il se voit appeler Shiva : rejetant le temple, les Lingâyat (qui existent encore aujourd’hui comme une secte de l’hindouisme) portent sur leur propre corps le symbole (linga) de Shiva. Révolutionnaire en un sens, le mouvement accueillit des femmes et des personnes des basses castes, se faisant prosélyte, contrairement à l’hindouisme. S’il y eut avec Basavanna une tentative de réforme sociale et religieuse lorsqu’il exerça les fonctions de ministre des Finances du roi Bijjala, les idées des Vîrashaiva furent essentiellement propagées par leurs « dits », ou vacana. Les vacana sont des objets littéraires malaisés à identifier : selon les auteurs, paroles rythmées, poèmes oraux en vers libres façonnés par les parallélismes syntaxiques, ou compositions combinant le rythme de la prose et la densité d’images de la poésie. Cette poésie paradoxale témoigne tout aussi paradoxalement d’existences dont, en leur absence, nous ignorerions presque tout. Il en va ainsi de Mahâdevî, dont la légende rapporte qu’elle fuit un mari, peut-être le roi Kaushika, pour se donner totalement à son amour pour Cennamallikarjuna, « le gracieux dieu blanc comme le jasmin » (dont le nom constitue en fin de vacana sa signature, ankita). Refusant tout lien conjugal terrestre, errant nue, dit-on, elle reçut le nom de Akka, « sœur aînée ». Mais elle se voulait en même temps épouse du dieu. La force extrême de la poésie d’Akkamahâdêvi réside précisément dans le rejet et la célébration simultanés de l’amour charnel, tantôt présenté comme souillure et dégradation, tantôt comme expression de son amour total pour Shiva. Le dieu lui-même devient tour à tour époux légitime et amant adultère. Ainsi entrechoquées, les métaphores amoureuses traditionnelles de la poésie dévotionnelle perdent leur caractère strictement littéraire pour revêtir une réalité violente, contradictoire, prosaïque. Akkamahâdêvi fut acceptée par les Vîrashaiva et reconnue par eux comme la plus poète d’entre eux. Elle n’était pas en quête toutefois de leur reconnaissance, mais de son dieu, qu’elle chercha et interpella jusqu’à sa mort, réclamant en même temps des hommes indifférence et hostilité.

Claudine LE BLANC

Akkana vacanagalu, BASAVARAJU L. (dir), Mysore, Geetha Book House, 1966 ; Speaking of Shiva, RAMANUJAN A. K. (dir.), New Delhi, Penguin Books India, 1973.

FILLIOZAT V., « Basava et les vacana kannada », in FILLIOZAT P.-S. (dir.), Dictionnaire des littératures de l’Inde, Paris, Presses universitaires de France, 2001.

AKSËNOVA, Ogdo [TOUNDRA D’AVAM 1936 - DOUDINKA 1995]

Poétesse dolgane russe.

Héritière de deux mondes qui se sont violemment affrontés dans les années 1930 lors de la soviétisation, Ogdo Aksënova est née dans une famille nomade. Elle découvre avec bonheur, à l’école-internat de Noril’sk, le monde des lettres et les auteurs de l’Union soviétique. Dès la troisième classe, elle compose dans la langue de Lénine quelques vers, des récits en prose, puis des poèmes, jusqu’à célébrer plus tard l’ouverture sur le monde que représente l’arrivée des tracteurs à Voločanka en 1953 : « Une caravane de traîneaux rugissants et lumineux. » Sa langue maternelle, quant à elle, fait l’école buissonnière, qui n’est pas encore normée par les autorités et demeure l’ornement de la littérature orale d’un peuple aux « fourrures plus légères que les nuages de l’été ». Institutrice, bibliothécaire et directrice d’un Čum rouge (« tente rouge », sorte de relais local du pouvoir placé sur l’itinéraire des nomades), dans différents villages du canton de Khatanga, elle collecte le patrimoine des siens tout en créant, dès 1960, des chants à partir de mélodies populaires et de la langue contemporaine, afin que la culture vivante dolgane échappe aux musées ethnographiques et à la folklorisation. Alors même que sa langue, pas encore fixée, est désormais frappée d’interdit dans les écoles, O. Aksënova publie des poèmes bilingues dolgane-russe (Baraksan, 1973) ; elle établit un abécédaire expérimental (Bèsèlèè bukvalar, « l’abécédaire gai », 1981) et un dictionnaire bilingue (Bisernaja boroda, « la barbe de perles de verre », 1992). En constituant une culture écrite pour les siens, elle s’adresse dès lors au monde russe d’égal à égal. Elle entre à l’Union des écrivains en 1976.

Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG

AKSONRANI VOIR WINITCHAIKUL, Wo

AKSU, Sezen (née SELEY) [SARAYKÖY 1954]

Chanteuse turque.

Après avoir entamé des études d’agronomie, Sezen Aksu bifurque vers sa première passion : le chant. Dans les années 1970, au milieu d’une scène rock foisonnante, elle débute dans un style mariant musique populaire turque et influences occidentales. La Turquie lui doit son intégration au concours Eurovision de la chanson, dans les années 1970. Utilisant sa renommée en faveur des droits des femmes et des réformes du système éducatif, la chanteuse triomphe dans les hit-parades turcs des années 1980 et 1990. Son succès gagne l’Occident et l’Allemagne, via les communautés immigrées et MTV, qui diffuse pour la première fois cette pop aux mélismes orientaux. En 1997, celle que l’on nomme « Minik Serce », « Petit Moineau », collabore avec Goran Bregović sur l’album Dügün ve cenaze (« mariages et enterrements »), rappelant l’apport culturel historique de la musique ottomane dans les Balkans.

Thierry SARTORETTI

Serce, Mod Yapim Gosteri Hizm, 1978 ; avec BREGOVIĆ G., Dügün ve cenaze, Raks-Polygram, 1996.

ALACSEAL, Virgili VOIR CATALÀ, Víctor

ALAIN, Marie-Claire [SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1926 - LE PECQ 2013]

Organiste française.

Comptant parmi les plus illustres organistes de sa génération, Marie-Claire Alain est la fille du compositeur organiste Albert Alain. Ses tournées de récitals à travers le monde entier lui apportent la réputation de l’une des plus grandes interprètes de Jean-Sébastien Bach, et, aux États-Unis, on la surnomme The First Lady of the Organ. Élève de Marcel Dupré, de Maurice Duruflé et de Simone Plé-Caussade au Conservatoire de Paris, elle obtient de nombreux prix, avant de remporter un grand nombre de concours internationaux, notamment le deuxième prix du Concours de Genève en 1950, tout en se perfectionnant avec Gaston Litaize et André Marchal. Elle a largement contribué à faire connaître l’œuvre de son frère Jehan Alain, compositeur et organiste, et a donné plus de 2 500 concerts, en récital ou en soliste avec orchestre. Les critiques sont unanimes à louer la clarté lumineuse de son jeu, la pureté de son style et sa maîtrise dans l’art de la registration. Pédagogue très recherchée, ce qui la conduit dans les plus prestigieuses universités américaines, japonaises, et dans tous les grands conservatoires européens, elle fonde son enseignement sur les études musicologiques approfondies qu’elle ne cesse d’effectuer dans les domaines de la littérature organistique et de l’exécution de la musique ancienne, romantique et symphonique. Elle a également été chargée du cycle de formation professionnelle pour organistes dans le cadre du Conservatoire de région de Paris de 1994 à 2000, après avoir enseigné au Conservatoire de région de Rueil-Malmaison de 1978 à 1994. En 1977, elle dirige la réfection des grandes orgues de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges. Cette même année, elle fonde l’académie Bach de Saint-Donat où elle enseigne tous les étés autour de l’orgue Schwenkedel jusqu’en 1991, et est l’invitée permanente de l’Académie d’orgue de Romainmôtier en Suisse depuis 1991 où elle dispense ses cours sur l’orgue restauré de la famille Alain. Elle est titulaire de l’orgue de l’église Saint-Louis de Saint-Germain-en-Laye, où elle a succédé à son père. Sa discographie compte plus de 200 références, dont les célèbres Intégrales Jean-Sébastien Bach, Dietrich Buxtehude, César Franck, Jehan Alain, qui lui ont valu plus de 15 Grands Prix du disque.

Bruno SERROU

ALAMUDDIN, Rima [LIBAN 1941 - ID. 1963]

Écrivaine libanaise d’expression anglaise.

Née d’un père druze et d’une mère protestante, Rima Alamuddin étudie à l’Université américaine de Beyrouth, avant de poursuivre au Girton College en Angleterre. Elle écrit son premier roman, Spring Into Summer (« du printemps à l’été »), à l’âge de 19 ans. Trois années plus tard, elle est assassinée par un soupirant éconduit, et ses œuvres sont publiées à titre posthume : The Sun Is Silent (« le soleil est silencieux », 1964), recueil de nouvelles ; et The Years of Youth (« les années de jeunesse », 1964), recueil de poèmes. Première femme du Proche-Orient à choisir l’anglais comme langue d’expression littéraire, elle met en scène des jeunes filles en quête d’elles-mêmes et critique une société libanaise en perte de repères, incapable de tout engagement national ou politique. Cherchant à explorer d’autres formes d’écriture et de représentation de l’espace, elle s’adonnera également à la peinture et à la musique, notamment au piano.

Jacqueline JONDOT

ALARCÓN FOLGAR, Romelia [COBAN 1900 - GUATEMALA 1970]

Poétesse et journaliste guatémaltèque.

Journaliste, Romelia Alarcón Folgar se situe dans le courant poétique qui démarre avec la « génération de 27 ». Elle transpose dans ses vers son monde intérieur, rempli de tendresse et des choses quotidiennes qui l’entourent, de telle sorte que le sujet le plus prosaïque devient une catégorie esthétique, rompant ainsi avec toute une tradition de thèmes poétiques et antipoétiques. Sa poésie engagée dénonce le manque de liberté des femmes et crée des images et des métaphores brillantes avec pour objectif la pleine réalisation de la femme dans le perfectionnement de la parole poétique. Autodidacte, elle se lie d’amitié avec des intellectuels et des artistes contemporains, ce qui lui permet de connaître les mouvements esthétiques d’avant-garde, qu’elle assimile à sa poésie sans perdre la touche personnelle de son style lyrique, et en créant un langage original qui rappelle les surréalismes européens et sud-américains. Ses œuvres poétiques comprennent notamment Llamaradas (« flambées », 1938), Viento de colores (« vent de couleurs », 1957), Día vegetal (« jour végétal », 1958), Vigilia blanca (« veille blanche », 1959), Claridad (« clarté », 1961), Poemas de la vida simple (« poèmes de la vie simple », 1963), Plataforma de cristal (« plateforme de cristal », 1964), Pasos sobre la yerba (« des pas sur l’herbe », 1966), Tránsito terrestre (« passage terrestre », 1970) et Tiempo inmóvil (« temps immobile », 1972).

Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH

BERRY-BRAVO J., Romelia Alarcón Folgar, palabra y poesía de Guatemala, Guatemala, Serviprensa Centroamericana, 1996 ; MÉNDEZ DE LA VEGA L., Mujer, desnudez y palabra, antología de desmitificadoras guatemaltecas, Guatemala, Artemis edinter, 2002.

ALATOUT, Samia [1959]

Romancière jordanienne.

Après des études supérieures de mathématiques, Samia Alatout travaille comme directrice adjointe de banque. Elle écrit dans divers journaux arabes tels que la revue Taiki, spécialisée en littérature féminine. Après un premier recueil de textes paru en 1986, suivront Tuqūs unthá (« rituels d’une femme », 1990), Tarbūsh Mūzārt (« Tarbush Mozart », 1998), Sirwāl al-fitnah (« le pantalon de la tentation », 2002), Qāriʻ al-ajrās (« le sonneur des cloches », 2008). Les héroïnes de ses romans sont souvent des femmes qui constatent la défaite de leur vie face à la société patriarcale. L’auteure montre une société masculine fermée, étouffant le moi féminin assoiffé de liberté et œuvrant pour l’acquérir. Tarbūsh Mūzārt met ainsi en scène des personnages féminins hantés par la peur, la perte et le dépaysement, mais qui, cependant, gardent une vision positive de l’autre. L’univers de la romancière oscille entre espaces d’amour et de haine, liberté et esclavage, vérité et mensonges qui entachent les relations entre hommes et femmes, le tout empreint de touches gracieuses à travers un style concis et dense. Elle représente l’une des voix féministes les plus importantes de l’histoire littéraire de la Jordanie.

Jamal AL-SHALABI

ALBA, Haydée [BUENOS AIRES V. 1950]

Chanteuse argentine.

Née dans le quartier de San Telmo à Buenos Aires, Haydée Alba commence très tôt l’étude du chant classique et complète son apprentissage par des études de théâtre et de musique populaire. À la fin des années 1970, elle parcourt l’Argentine pour s’initier au folklore du pays, étudie l’histoire du tango et travaille son répertoire avec de grands compositeurs comme Leon Bernaros et Homero Expósito. Elle débute sa carrière en chantant dans des théâtres de la capitale argentine et se fait également connaître en animant une émission consacrée à la musique sur la radio nationale. Arrivée à Paris en 1986, elle tient pendant trois mois l’affiche du club de tango Les Trottoirs de Buenos Aires, et mène depuis carrière en Europe. Après un premier album enregistré en 1990 pour le label Ocora de Radio France, elle se produit au Centre Pompidou dans un spectacle qui adapte en musique des poèmes de Jorge Luis Borges et réintroduit l’orgue de barbarie dans le tango. Ce répertoire fera ensuite l’objet d’un enregistrement. Le metteur en scène Alfredo Arias lui confie des rôles dans ses pièces Mortadela, qui remporte le Molière du meilleur spectacle musical en 1993, puis Faust argentin, en 1995. Ambassadrice du tango attachée à la tradition autant qu’à l’exploration de voies novatrices, elle est la première artiste de musique populaire invitée à chanter à l’Opéra Bastille, où elle offre une série de dix concerts en décembre 1999.

Yannis RUEL

Tango argentin, Ocora, 1990.

ALBANE, Blanche (Blanche Alice SISTOLI, dite) [1886-1975]

Actrice française.

Blanche Albane est l’épouse de l’écrivain Georges Duhamel, qu’elle a rencontré après une expérience communautaire au phalanstère de l’abbaye de Créteil en 1907, où elle était venue dire des vers, alors qu’elle s’apprêtait à entrer au Théâtre de l’Œuvre de Lugné-Poë. À l’Odéon, dirigé par André Antoine, puis au Théâtre du Vieux-Colombier, créé par Jacques Copeau en 1913, elle interprète des œuvres de G. Duhamel, mais aussi des pièces d’André Gide, de Roger Martin du Gard, de Jean Cocteau. Elle est la partenaire de Valentine Tessier*, de Charles Dullin, de Louis Jouvet, une période riche d’expériences, racontée par G. Duhamel dans Suzanne et les jeunes hommes, avant-dernier volume de La Chronique des Pasquier, paru en 1941. Une belle correspondance échangée avec G. Duhamel, médecin militaire de 1914 à 1919, a fait l’objet d’une publication. B. Albane a paru dans des films muets des années 1910. Elle quitta la scène pour se consacrer à la copie des œuvres de son mari.

Noëlle GUIBERT

Avec DUHAMEL G., Correspondance de guerre, 1914-1919, Paris, H. Champion, 2007.

ALBANI, Emma (Marie-Louise Cécile Emma LAJEUNESSE, dite) [CHAMBLY 1847 - LONDRES 1930]

Soprano canadienne.

Née de parents musiciens, Emma Albani fait ses débuts sur scène à 9 ans comme pianiste et chanteuse, à Montréal. Installée aux États-Unis, elle est engagée comme soliste, organiste puis chef de chorale de l’église Saint-Joseph d’Albany, capitale de l’État de New York. En 1868, l’évêque local réunit des fonds qui lui permettent de se rendre en Europe. Elle étudie ainsi à Paris, puis à Milan, et débute en 1870 à l’Opéra de Messine dans le rôle d’Amina de La Somnambule de Vincenzo Bellini, avant de triompher à Florence et à Malte. L’année suivante, elle est à Paris où elle travaille Mignon avec son auteur, Ambroise Thomas, avant de faire sa première apparition en 1872 au Covent Garden de Londres, où elle chantera tous les ans jusqu’en 1896. En 1873, elle chante pour la reine Victoria* dont elle devient l’amie et la confidente. De retour aux États-Unis, elle aborde le répertoire wagnérien, avant de revenir à Paris pour La Traviata de Giuseppe Verdi et la création d’Alma l’incantatrice que Friedrich von Flotow compose pour elle. En 1880, après de beaux débuts à la Monnaie de Bruxelles, elle est engagée à la Scala de Milan. Deux ans plus tard, elle participe à la création de Rédemption de Charles Gounod, qui écrit pour elle Mors et Vita qu’elle crée au Festival de Birmingham en 1885. La même année, sous la direction d’Antonín Dvořák, elle chante La Fiancée du fantôme et, en 1886, en présence de Franz Liszt, son oratorio La Légende de sainte Élisabeth. Après ses débuts à Berlin en 1887 dans Lohengrin et Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner, elle tourne en Europe et en Amérique du Nord, où elle est engagée au Metropolitan Opera de New York. Elle renonce à la scène en 1896, mais poursuit une carrière de concertiste jusqu’en 1911, après cinquante-cinq ans de carrière, tout en se consacrant à l’enseignement.

Bruno SERROU

ALBANIE ET KOSOVO – ACTRICES [XXE SIÈCLE]

Le cinéma s’est tardivement développé en Albanie. À la fin de 1944, on ne comptait que 17 salles de cinéma dans tout le pays. Avec l’inauguration, en 1962, du Conservatoire d’État à Tirana, devenu, en 1966, l’Institut des beaux-arts puis, en 1990, l’Académie des beaux-arts, et enfin, en 2011, l’Université des arts, plusieurs générations d’artistes ont été formées dans toutes les disciplines : musique, cinéma, théâtre, arts visuels.

Marie Logoreci (Shkodër 1920 - Tirana 1988) a joué un rôle dans le tout premier court-métrage albanais, Fëmijët e saj (« ses enfants »). Durant sa carrière, elle a incarné des rôles de femmes fortes, cyniques, fières, ou qui résistent à la douleur et à l’injustice. Elle est admirée pour la tonalité tragique qu’elle sait donner aux sentiments profonds ainsi que pour la ligne mélodieuse de sa voix.

Tinka Kurti* (Sarajevo 1932) a interprété le premier rôle féminin dans un long-métrage (Tana, 1958). Elle a réalisé quelque 300 rôles au théâtre et au cinéma. Pilier féminin du théâtre et du cinéma albanais pendant plus d’un demi-siècle, elle a joué sur tous les registres et créé des personnages aussi diversifiés que convaincants. Lauréate du prix de la carrière et du titre honorifique d’Artiste du peuple, elle voit son nom déjà figurer dans de nombreuses encyclopédies généralistes, tant indienne qu’égyptienne, hongroise, britannique ou américaine.

Melihate Ajeti* (Priština 1935 - id. 2005), figure du cinéma au Kosovo, multiplie les premiers rôles sur les planches comme au cinéma, après un séjour à la Comédie-Française à Paris (1963-1964). Parmi ses principales interprétations, on retiendra ses rôles dans Uka i Bjeshkëve të nemuna (« Uka des cimes maudites », 1968), Kur Pranvera vonohet (« quand le printemps est en retard », 1979), Gjurmët e bardha (« les traces blanches », 1980), Dorotej (« Dorothée », 1981), Lepuri me 5 këmbë (« le lapin à cinq pattes », 1982).

Parmi l’ancienne génération d’actrices albanaises ayant fait une brillante carrière en Albanie ou au Kosovo, d’autres noms s’imposent.

Violeta Manushi (Tirana 1926 - id. 2007), dotée d’un sens inné du comique, a su s’illustrer dans ce genre tant dans le théâtre que dans le cinéma albanais. Elle s’est rendue populaire en incarnant Ollga, vieille dame bornée et têtue mais au grand cœur, dans les films Zonja nga qyteti (« la dame de la ville », 1976) et Nje Shoqe nga fshati (« la dame du village », 1980).

Margarita Xhepa* (Lushnje 1934) a interprété plus de 150 rôles au théâtre et plus d’une trentaine au cinéma, dont, pour la plupart, des rôles principaux. Son articulation claire et la richesse de sa voix donnent à ses personnages une présence et une densité particulières.

Roza Anagnosti* (Shkodër 1943) est devenue très populaire tant pour son jeu remarquable, alliant tempérament et sensibilité, que pour l’image de la beauté féminine qu’elle représente. Icône du théâtre et du cinéma albanais durant cinquante ans, elle a excellé surtout dans le rôle des héroïnes « amazones », fières montagnardes et femmes indomptables, telles Nora dans Nora e Kelmendit (« Nora de Kelmend », 1960) ou Cuca dans Cuca e Maleve (« Cuca la fille des montagnes », 1967). Plus récemment, elle a reçu de nombreuses récompenses pour Fijet qe priten (« des fils qui cassent », 1976), Mësonjëtorja (« l’école », 1979) et Rruga e lirisë (« le chemin de la liberté », 1982).

On citera également parmi les actrices albanaises déjà affirmées ou en pleine carrière : Yllka Mujo (Tirana 1953), qui s’est imposée par la sincérité de son jeu et le dynamisme qu’elle donne à ses rôles ; Luiza Xhuvani (Sarandë 1964), épouse du réalisateur Gjergj Xhuvani, qui a entamé une carrière internationale ; Rajmonda Bulku (Tirana 1958), très sensuelle et parfois comparée à l’actrice Monica Bellucci.

Enfin, la première réalisatrice albanaise Xhanfize Keko (Gjirokastër 1928 - Tirana 2007) s’est spécialisée dans les films pour enfants : Mimoza Llastica (« Mimoza, la fille gatée », 1973), Beni ecën vetë (« Beni marche tout seul », 1975), Tomka dhe shokët e tij « Tomka et ses copains », 1977), Kur xhirohej një film (« quand on tournait un film », 1981), Taulanti kërkon një motër (« Taulant à la recherche d’une sœur », 1984). Tous ses films révèlent sa profonde passion pour le cinéma, nourrie par son amour des enfants et sa finesse pour les comprendre.

Josif PAPAGJONI

ALBARRACÍN, Pilar [SÉVILLE 1968]

Plasticienne et performeuse espagnole.

Diplômée de l’École des beaux-arts de Séville en 1993, Pilar Albarracín s’est imposée rapidement comme une artiste majeure sur la scène contemporaine espagnole puis internationale, à travers une œuvre militante, où prime la critique des inégalités hommes-femmes, présentes dans la société espagnole postfranquiste. Elle réalise des installations, photographies et vidéos, mais aussi et surtout des performances, dans lesquelles elle incarne différents types de femmes (prostituée, danseuse, chanteuse, gitane, femme au foyer, émigrée), dont elle déconstruit les clichés avec sarcasme et ironie, notamment celui de la femme andalouse, glorifiée sous le régime franquiste, qu’elle parodie à travers des éléments constitutifs de l’identité nationale : religion, folklore, danse, tauromachie, flamenco, gastronomie. Chacune de ses mises en scène s’articule autour de la notion de rite, de sacrifice et de symbole. Ainsi, la photographie Prohibido el cante (2000) la montre bâillonnée et ligotée sur une chaise, vêtue d’une robe de flamenco – un de ses déguisements fétiches –, dans un bar au décor typiquement andalou. De même, dans Lunares (2004), habillée de la même robe, elle se pique le corps à l’aide d’aiguilles, laissant apparaître des taches de sang sur sa tenue immaculée afin de proposer un parallèle entre la danseuse de flamenco et la mise à mort du taureau dans l’arène. P. Albarracín n’hésite pas à s’éprouver physiquement et moralement, voire à se mettre en danger, comme en témoigne She Wolf (2006), réinterprétation d’une performance de Joseph Beuys, dans laquelle elle partage un repas en compagnie d’un loup. Dans La Cabra (2001), elle procède à une danse serrée contre une outre de vin, dont le contenu se déverse sur sa robe, rappelant les sacrifices païens. Récompensées par le prix Altadis en 2002, ses œuvres ont été montrées à l’occasion de nombreuses expositions et notamment lors de biennales (Séville en 2004, Venise et Moscou en 2005).

Ludovic DELALANDE

ALBEE, Grace (ou Grace THURSTON ARNOLD ALBEE) [RHODE ISLAND 1890 - ID. 1985]

Graveuse américaine.

Dès son enfance, Grace Thurston Arnold fait preuve d’un don évident pour le dessin et voue une fascination aux illustrations gravées des livres de son grand-père. Aussi étudie-t-elle entre 1910 et 1912 à la Rhode Island School of Design, avec l’intention de se spécialiser dans la gravure sur bois, qui connaît alors un renouveau important en tant qu’art à part entière. En 1913, elle épouse le peintre muraliste et lithographe Percy F. Albee, avec qui elle s’installe à Providence. Jusqu’à la fin des années 1920, elle grave, toujours sur bois, mais presque en amateur, consacrant l’essentiel de son temps à son foyer et à sa famille. En 1928, le couple embarque pour Paris et rejoint la communauté américaine installée alors à Montparnasse. La graveuse se perfectionne, fixant sans relâche les monuments parisiens (Fountain, jardin du Luxembourg, 1929 ; Pont Marie, Georgetown University Library, Washington, 1929) et les paysages qu’elle découvre lors de voyages en Bretagne ou dans le Sud de la France. Peu à peu, elle s’impose comme artiste professionnelle et expose dans les galeries et les Salons parisiens. En 1932, une exposition monographique lui est consacrée à l’American Library de Paris. Lorsque le couple rentre à New York en 1933, elle poursuit une carrière très prolifique. En 1946, elle est la première graveuse élue membre à part entière de la National Academy of Design. Elle s’inspire des paysages urbains toujours changeants de la ville de New York (Contrast-Rockefeller Center, New York City, National Museum of Women Artists, Washington, 1934) et, à partir de 1937, qui marque son installation dans une ferme de Pennsylvanie, de la campagne américaine et de ses architectures rustiques. Son talent est consacré de son vivant, en 1976, par l’organisation d’une grande rétrospective au Brooklyn Museum à New York.

Marie GISPERT

ALBERDI, Cristina [LAS ROSALES, ANDALOUSIE 1946]

Femme politique, avocate et militante féministe espagnole.

Dès 1975, Cristina Alberdi crée un collectif juridique féministe au barreau de Madrid, El Seminario colectivo feminista. Elle défend des militants et militantes antifranquistes emprisonnés à Madrid. Elle publie Aborto : sí o no (« avortement : oui ou non », 1975) et Análisis de la realidad jurídica en torno a la mujer (« analyse de la réalité juridique relative aux femmes », 1982). Au moment des premières élections libres de 1977, le séminaire, qu’elle anime avec notamment Angela Cerrillos et Consuelo Abril, s’engage dans la rédaction d’articles préparatoires à la nouvelle Constitution, destinés à éliminer toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes. N’étant finalement pas invitées à participer à la rédaction finale, ces féministes vont mener une campagne très active et très politique auprès des rédacteurs. Elles font valoir qu’il ne saurait y avoir de véritable démocratie sans égalité entre femmes et hommes, et que la Transition démocratique se doit de mettre fin au système patriarcal et autoritaire hérité de Franco. Leurs actions et la mobilisation du mouvement des femmes, ancré à gauche, se concluent par l’inscription dans la Constitution de 1978 des principes d’égalité et de non-discrimination en raison du sexe. De 1985 à 1990, C. Alberdi est la première femme membre du Conseil général du pouvoir judiciaire. Ministre des Affaires sociales de 1993 à 1996, elle veut réformer les lois des codes civil et pénal infériorisant les femmes et défend le divorce. En 1995, l’Espagne ayant la présidence de l’UE, elle est la porte-parole des pays de l’union à la Conférence de l’Onu sur les femmes à Pékin. Elle se montre inflexible face aux menaces de régression des droits que certains États à caractère religieux font planer sur la plateforme internationale publiée à l’issue de la conférence. Entrée au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en 1995, elle est députée en 1996 et préside de 1997 à 2000 la fédération socialiste madrilène. Elle quitte le PSOE en 2003 sur des désaccords politiques. En 2004, elle est nommée présidente de l’Observatoire contre la violence de genre dans la Communauté autonome de Madrid et fait partie du Conseil consultatif de Madrid. En 2004, soit presque trente ans après la fin du franquisme, la décision du président José Luis Zapatero (PSOE) d’instaurer une parité effective au sein de son équipe et de nommer une femme – María Teresa Fernández de la Vega* – à la vice-présidence de même que la loi organique contre les violences faites aux femmes (l’une des plus complètes d’Europe) et l’obligation faite aux partis de respecter des quotas – inscrite dans la loi électorale en 2007 – apparaissent comme l’aboutissement du long processus de conquête de leurs droits par les femmes, dès l’aube de la Transition démocratique en Espagne.

Yannick RIPA

JONES C., Las 1 001 historias de la historia de las mujeres, Barcelone, Grijaldo Mondadori, 2000.

FROTIÉE B., « Espagne. L’accès des femmes aux responsabilités politiques », in Grande Europe, no 21, juin 2010.

ALBERS, Anni (née Annelise Else Frieda FLEISCHMANN) [BERLIN 1899 - ORANGE, CONNECTICUT 1994]

Artiste textile, designer et théoricienne de l’art allemande.

Première artiste textile à bénéficier d’une exposition personnelle au Museum of Modern Art de New York en 1949, spécialiste des techniques et de l’histoire du tissage en Amérique du Sud, Anni Albers est aussi l’auteure de deux livres théoriques sur la pratique du design (On Designing, 1959) et du tissage (On Weaving, 1965). Issue d’un milieu intellectuel et bourgeois, elle bénéficie, jeune, de cours particuliers d’art, puis de l’enseignement du peintre postimpressionniste Martin Brandenburg. Après une tentative à la Kunstgewerbeschule (école d’arts appliqués) de Hambourg, elle choisit en 1922 l’innovation, en s’inscrivant au Bauhaus à Weimar. Formée par Georg Muche, puis Johannes Itten, elle intègre l’atelier de tissage vers lequel étaient systématiquement dirigées les femmes. En 1925, le Bauhaus déménage à Dessau ; la même année, trois ans après leur rencontre, elle épouse l’artiste Josef Albers et crée des tapisseries aux formes géométriques pour la résidence de Gropius, dessine des rideaux pour le théâtre. L’atelier de tissage se veut utilitaire et multiplie les essais scientifiques ; l’artiste, ainsi que les autres élèves, y développe des tissus pour les meubles en tubes d’acier ou des tentures murales. De nouvelles matières sont testées, comme la cellophane, la soie artificielle. A. Albers crée pour la salle des fêtes de l’École fédérale un tissu à tendre qui absorbe les sons afin d’en améliorer l’acoustique. Elle passe son diplôme du Bauhaus en 1930. En 1933, consciente de la violence de l’antisémitisme nazi, elle comprend qu’il est temps de quitter l’Allemagne. L’architecte Philip Johnson, rencontré auparavant au Bauhaus, invite le couple à venir enseigner au Black Mountain College en Caroline du Nord. En 1934, A. Albers met en place l’atelier de tissage du Black Mountain College, où elle sera maître assistante jusqu’en 1949. Elle interviendra ensuite dans de nombreuses écoles d’art comme spécialiste de l’art textile. Parallèlement, elle travaille sur des prototypes de tissus pour des grandes firmes, comme Rosenthal et Knoll, sans jamais sacrifier son travail expérimental et artistique. De nombreux voyages au Mexique lui font découvrir et étudier les tissages traditionnels sud-américains qui vont beaucoup l’inspirer. En 1965, le Jewish Museum de New York lui demande une œuvre à la mémoire des victimes de la Shoah. Cette pièce, Six prayers, sera sa dernière œuvre textile, car elle se consacrera désormais à la gravure. En 1975, son travail est exposé au Kunstmuseum, à Düsseldorf, et au Bauhaus-Archiv, à Berlin.

Catherine GONNARD

Anni Albers (catalogue d’exposition), New York, Guggenheim Museum/Abrams, 1999 ; Selected Writings on Design, Danilowitz B. (dir.), Hanovre, University Press of New England, 2000 ; The Prints of Anni Albers : A Catalogue raisonné, Mexico/Bethany, RM/Josef and Anni Albers Foundation, 2009.

MÜLLER U., Bauhaus Women, Art, Handicraft, Design, Paris, Flammarion, 2009.

ALBERSTEIN, Chava [SZCZECIN 1947]

Chanteuse polonaise.

À sa naissance, la ville portuaire de Stettin vient de passer sous administration polonaise. En 1950, sa famille émigre en Israël et s’établit à Kiryat Haim. Héritière d’une culture yiddish, Chava Albertsein chante dans cette langue à partir de 1964 un répertoire de chansons traditionnelles klezmer du « vieux monde », avec son frère Alex à la clarinette. Les disques CBS la signent dès 1967 et elle interprète les classiques de la chanson yiddish ainsi que des chansons en hébreu en s’accompagnant de sa seule guitare, à l’instar de Bob Dylan ou Leonard Cohen. Dès 1980, l’interprète devient auteure et compositrice alors que le klezmer connaît une renaissance, en particulier aux États-Unis. Dans son pays, C. Alberstein est connue pour ses positions libérales et ses critiques de la politique israélienne à l’encontre des Palestiniens.

Thierry SARTORETTI

Meharim, CBS, 1980 ; The Early Years, 16 CD, CBS/Sony, 2004 ; Lemele, Rounder, 2007.

ALBERT-LASARD, Lou [METZ 1885 - PARIS 1969]

Peintre allemande.

Née à Metz sous domination allemande, cette peintre expressionniste n’obtiendra jamais la nationalité française malgré tous ses efforts. Lou Albert-Lasard vit dans un milieu aisé, étudie l’art avec, notamment, le peintre Henri Beecke. En totale opposition avec sa famille, elle se marie en 1909 avec un chimiste de 30 ans son aîné, pensant ainsi acquérir une plus grande indépendance. En 1912, mère d’une petite fille, Ingo, qu’elle n’élève pas, séparée de son mari, elle suit les cours de Fernand Léger à Paris. De 1914 à 1916, elle vit avec le poète Rainer Maria Rilke à Munich et à Vienne. Pacifiste déclarée, elle fréquente alors Romain Rolland, Stefan Zweig, Paul Klee, Kokoschka. De cette période datent ses portraits de R. M. Rilke, de Rudolf Kassner, d’Hélène von Nostitz (1878-1944), entre autres. Après sa rupture avec le poète, elle vit en Suisse, à Ascona, près d’Arthur Segal, puis s’installe à Berlin où elle est proche du groupe Novembre. En 1917, elle expose à plusieurs reprises à Munich et à Zurich. C’est avec une liberté rare à l’époque pour une femme qu’elle réalise des gravures et dessine avec énergie les garçonnes, les prostituées. En 1925, elle publie à Postdam un recueil de lithographies consacrées à Montmartre, mais c’est seulement en 1926-1927 qu’elle expose à Paris, ville où elle s’installe en 1928 avec Ingo. Ensemble, elles entreprennent une série de voyages en Afrique du Nord, au Tibet, en Inde, en Chine, au Cambodge, qu’une grande exposition clôture en 1939. Illustratrice en 1934 du recueil Paraboles de Paul Valéry, elle traduit en 1937 en français un ensemble de poèmes de R. M. Rilke. En 1940, traitée de « ressortissante allemande », elle est internée avec sa fille dans le camp de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, avec la crainte d’être déportée en Allemagne en tant que Juive. Sous la signature de Malbull, elle dessine et documente la condition des prisonnières. En 1941, mère et fille retournent à Paris, malgré les risques de délation, puis se réfugient en Haute-Loire. Après la guerre, même si L. Albert-Lasard expose alors régulièrement, on évoque plus souvent sa passion pour R. M. Rilke que son travail d’artiste.

Catherine GONNARD

Berlin-Paris, 1885-1969 (catalogue d’exposition), Palmier J.-M. (textes), Paris, Galerie La Jurande, 1985 ; Lou Albert-Lasard, 1885-1969, dessins et lithographies des années vingt (catalogue d’exposition), Poitiers, Musée de la Ville de Poitiers et de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1989.

SCHNEEGANS N., Une image de Lou, Paris, Gallimard, 1996.

ALBERTI, Barbara [UMBERTIDE, PÉROUSE 1943]

Écrivaine italienne.

À 15 ans, quittant son Ombrie natale, Barbara Alberti s’installe à Rome où elle obtient un diplôme de philosophie. Dans son roman Memorie malvage (« les méchantes mémoires », 1976), elle évoque l’Italie bigote et provinciale des années 1950 à travers le regard d’une petite fille. Les romans suivants se caractérisent tous par un esprit provocateur et par la représentation de personnages marginaux, dont une Sainte Vierge adolescente qui souhaite interrompre sa grossesse et opposer au grand dessein divin sa liberté et son autonomie, dans Vangelo secondo Maria (« l’Évangile selon Marie », 1978). Delirio (« délire », 1977) décrit les apprentissages sexuels de deux personnes qui se révèlent être des personnes âgées dans un hospice. B. Alberti a notamment publié : Donna di piacere (« femme de petite vertu », 1980) ; Il Signore è servito (« monsieur est servi », 1983) ; Dispetti divini (« taquineries divines », 1989) ; Vocabolario dell’amore (« vocabulaire amoureux », 1995) ; La donna è un animale stravagante davvero (« la femme est vraiment un animal extravagant », 1998) ; Il ritorno dei mariti (« le retour des maris », 2006) ; Riprendetevi la faccia (« relever la tête », 2010). Plusieurs de ses textes sont parus dans la collection d’anthologies de Delia Vaccarello* Principesse azzurre, « amours et histoires de femmes entre femmes ». B. Alberti est également scénariste pour le cinéma et journaliste pour la télévision et pour des magazines féminins.

Francesco GNERRE

ALBERTO TORRES, Heloísa [RIO DE JANEIRO 1895 - ITABORAÍ 1977]

Anthropologue brésilienne.

Connue dans sa vie professionnelle sous le nom de Dona Heloísa, elle a été la première femme scientifique à diriger le Museu Nacional à São Paulo, principale institution de recherche de son époque. Féministe, elle intègre, comme d’autres intellectuelles de sa génération, la Federação brasileira pelo progresso feminino (Fédération brésilienne pour le progrès des femmes) et entretient des liens étroits avec Bertha Lutz, une des protagonistes du mouvement des suffragettes au Brésil. En 1917, elle entre au Museu Nacional comme assistante du professeur Roquette-Pinto. En 1931, elle devient professeure au département d’anthropologie, ethnographie et archéologie, puis accède au poste de directrice du musée en 1938, qu’elle conserve jusqu’à sa retraite. Très active sur le plan politique, Heloísa Alberto Torres s’engage en 1937 dans la création du Serviço do patrimônio histórico e artístico nacional, institution qu’elle préside également. De 1934 à 1940, elle travaille pour le Conselho de fiscalização das expedições artísticas e científicas do Brasil (« conseil de fiscalisation des expéditions artistiques et scientifiques du Brésil ») et, de 1959 à 1967, préside le Conselho nacional de proteção ao Índio, organisme pour la défense des droits des populations autochtones. Elle participe à de nombreux congrès internationaux, et œuvre dans le cadre de plusieurs institutions comme l’Inter American Society of Anthropology and Geography, l’American Anthropological Society, la Society of Women Geographers, la California Academy of Sciences et le Conseil international des musées. Reconnue pour avoir inscrit l’anthropologie brésilienne dans les réseaux scientifiques internationaux, elle a également joué un rôle considérable pour son institutionnalisation, car elle est à l’origine de ce qui deviendra en 1955 l’Association brésilienne d’anthropologie. Après sa mort, selon son souhait, sa maison à Itaboraí est devenue un centre culturel : la Casa de cultura Heloísa Alberto Torres, où sont déposées ses archives.

Miriam GROSSI et Carla CABRAL

« Contribuição para o estudo da proteção ao material arqueológico e etnográfico no Brasil », in Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, no 1, 1937 ; « Arte indígena da Amazônia », in Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, no 6, 1940.

CORRÊA M., Antropólogas e Antropologia, Belo Horizonte, UFMG, 2003.

ALBIACH, Anne-Marie [TOURS 1937 - ID. 2012]

Poétesse française.

Cofondatrice à Londres de la revue Siècle à mains, Anne-Marie Albiach publie son premier recueil, Flammigère (1967), qui révèle son travail poétique : une narration abstraite, elliptique, avec de nombreux décrochements typographiques qui scandent et découpent la linéarité des phrases. Avec son deuxième ouvrage, État (1971), elle s’affirme comme une écrivaine peu prolixe, reconnue, désireuse de changer les règles du jeu poétique. Ses recueils disent tous la nécessité de sortir de la forme et du cadre pour donner à voir l’informel : cette écriture minimaliste parvient à faire d’un seul mot un poème, obligeant l’œil à le considérer comme « une tache sur une étendue de blanc ». Il n’est alors plus question de représenter la réalité identitaire, mais d’« interroger le monde sous l’angle de la signification complexe des choses », afin d’atteindre ce qu’elle nomme « le mystère sans mystère ». L’identité multiple et les lieux divers semblent, pour A.-M. Albiach, une composante fondamentale de l’identité d’écrivain, décalé de son lieu originel. Les recueils suivants – Mezza voce (1984), Figurations de l’image (2004) – montreront que le lieu ultime de référence réside aussi dans l’acte d’écrire. Outre ses recueils, elle mène un travail de traduction et de diffusion de la poésie objectiviste américaine.

Marie-Noëlle CAMPANA

Objet, Malakoff, Orange Export, 1976 ; Travail vertical et blanc, Le Revest-les-Eaux, Spectres familiers, 1989.

DAIVE J., Anne-Marie Albiach l’exact réel, Paris, É. Pesty, 2006.

« Anne-Marie Albiach », in Cahier critique de poésie, no 5, mars 2003.

ALBIN GUILLOT, Laure (née MEFFREDI) [PARIS 1879 - NOGENT-SUR-MARNE 1962]

Photographe française.

Modèle de réussite d’une femme photographe, Laure Albin Guillot a joué un rôle de passeur entre deux générations artistiques : celle des pictorialistes, mouvement artistique qui veut rapprocher la photographie de la peinture, et, dès les années 1920, celle de la Nouvelle Vision, groupe de photographes tournés vers la modernité. Vers 1901, sous l’influence de son mari médecin, cette musicienne et dessinatrice réalise de nombreux clichés de préparations microscopiques de cristallisations et de cellules végétales, qu’elle appelle « micrographies ». Dans un style pictorialiste, elle photographie aussi des paysages, en obtenant un flou léger et vaporeux avec les objectifs Eidoscope et Opale, et soigne particulièrement ses tirages en effectuant des recherches sur les papiers photographiques. Elle commence aussi à photographier sa famille et son cercle d’amis. Très vite reconnue comme portraitiste professionnelle, elle défend le portrait dit « psychologique » : le photographe Emmanuel Sougez, chef de file de la « photographie pure », louera sa sensibilité. Après le décès de son mari en 1929, elle vit de ses commandes de portraits, mais aussi de la photographie de mode et de la photographie publicitaire dans laquelle elle se montre pionnière. Comme nombre de photographes de l’entre-deux-guerres, elle mène de front une activité commerciale rentable et une activité créatrice intense. Œuvrant pour la reconnaissance de son art dans les années 1930, elle fonde la Société des artistes photographes en 1932, obtient avec E. Sougez la création de la section photographique de l’Exposition internationale de Paris de 1937 et projette même la fondation d’un musée de la photographie dans le nouveau Trocadéro. Comme le montre son travail du nu, l’artiste passe d’une esthétique pictorialiste à une esthétique moderniste avec intelligence. Au début des années 1920, elle réalise des nus féminins aux poses et aux cadrages classiques. Mais, entre 1927 et 1934, elle évolue formellement en travaillant les blancs et les cadrages. En outre, elle est, dans les années 1930, l’une des rares photographes à aborder le nu masculin hors du cadre sportif ou allégorique. Dans l’exposition Portraits d’hommes (galerie Billiet-Vorms, Paris, 1935), elle présente des nus audacieux en même temps que des portraits classiques. Ses photographies sont publiées dans Arts et métiers graphiques (1927), dans Vu (1928), et elle participe au premier Salon des indépendants de la photographie, dit « Salon de l’escalier » (1928), aux côtés, notamment, d’André Kertész. Premier salon à se tenir hors de la tutelle de la Société française de photographie (SFP), cette manifestation, qui marque la reconnaissance de la Nouvelle Vision et se présente comme l’héritière d’Eugène Atget et de Nadar, fait la part belle aux artistes cosmopolites et aux femmes. En 1931, le livre de la photographe, Micrographie décorative, qui conjugue science et art en rassemblant 20 planches parmi des centaines de micrographies, devient, malgré son modeste tirage, un ouvrage phare. Outre son exceptionnelle qualité d’impression et la « grande puissance d’évocation » de « ces compositions abstraites, régulières et souvent géométriques », c’est un « nouveau vocabulaire esthétique » qui s’élabore, selon l’historien de la photographie Christian Bouqueret. Dans les années 1930, la photographe appartient donc pleinement au mouvement de la Nouvelle Vision aux côtés de Germaine Krull* ou de Florence Henri*. Comme l’a montré C. Bouqueret, « la publicité aide de façon décisive la Nouvelle Photographie à percer ». L. Albin Guillot réalise ainsi des images avec de gros plans très nets pour les entreprises Renault et pour le magasin Le Bon Marché. Première à défendre ce type de photographie moderne, elle publie Photographie publicitaire (1933). En 1934, elle collabore avec l’écrivain Paul Valéry pour l’édition illustrée du Narcisse, et ses 14 planches de nus masculins rencontrent un franc succès. Elle travaille ensuite avec Pierre Louÿs (Les Chansons de Bilitis, 1937), avec Montherlant, et illustre les Préludes de Claude Debussy. Pionnière, elle ouvre la voie à de nombreuses photographes qui débutent dans les années 1930, comme Yvonne Chevalier*, Ilse Bing*, Ylla ou Rogi André*.

Anne REVERSEAU

Laure Albin Guillot ou la volonté d’art (catalogue d’exposition), Bouqueret C. (dir.), Paris, Marval, 1996 ; Laure Albin Guillot (catalogue d’exposition), Desveaux D. (dir.), Paris, La Martinière, 2013.

VALÉRY P., Narcisse (avec 14 photographies de Laure Albin Guillot), Paris, impr. de M. Darantière, 1836 [sic pour 1936].

ALBORNOZ, Aurora DE [LUARCA 1926 - MADRID 1990]

Poétesse et essayiste espagnole.

Née dans les Asturies, Aurora de Albornoz arrive à Porto Rico à l’âge de 18 ans, avec son père ; elle y fait des études de philologie, avant de se rendre à Paris, où, de 1955 à 1957, elle étudie la littérature comparée à la Sorbonne. Elle obtient son doctorat en Espagne, à l’université de Salamanque. Elle sera professeure de littérature à l’université de Porto Rico et à l’université Complutense de Madrid. Au cours de ses nombreux voyages à New York, elle fréquente l’intelligentsia latine de l’époque. Sa forte personnalité, ses convictions antifranquistes et ses visites à vocation pédagogique dans les quartiers les plus pauvres de San Juan lui valent le surnom de Marquise républicaine. Elle accueille chez elle nombre d’intellectuels et se lie d’amitié avec Juan Ramón Jiménez, Octavio Paz et Rafael Alberti, entre autres. Aux côtés de son mari, Jorge Enjuto, et d’autres exilés, comme Pedro Salinas, Francisco Ayala, José Luis Abellán, Carvajal (qui finance des activités antifranquistes), Alfredo Matilla (bras droit de Pau Casals), Margot Arce (1904-1990) et son époux, le sculpteur Compostela, elle contribue à créer un important noyau antifranquiste au sein de l’université portoricaine. Elle compose des poèmes engagés, dont celui consacré à la mémoire de Julián Grimau, fusillé en 1963, en raison de son appartenance au Parti communiste d’Espagne (PCE). L’influence de J. R. Jiménez la conduit à écrire des œuvres poétiques : Brazo de nieve (« bras de neige », 1957) ; Por la primavera blanca (« pour le printemps blanc », 1963) ; Palabras desatadas (« mots détachés, 1972) ; Palabras reunidas (« mots réunis », 1983). Elle consacre des essais, en particulier à Antonio Machado (Poesías de guerra de Antonio Machado, 1961 ; La presencia de Unamuno en Antonio Machado, 1968) et édite la Nueva antología de Juan Ramón Jiménez en 1981. Poétesse novatrice, elle utilise le poème en prose et le collage, entre autres techniques modernistes. Dans un style qui la relie au « réalisme fantastique », son œuvre s’attache à faire entendre l’expérience des exilés.

Montse VENDRELL BARDAJÍ

Prosas de París, San Juan de Puerto Rico, [s. n.], 1959.

PÉREZ SÁNCHEZ J. A., Aurora de Albornoz (1926-1990), Luarca, Ayuntamiento de Valdés, 2007.

JIMÉNEZ J. O., « Aurora de Albornoz : crítica y boléro », in Revista de Estudios Hispánicos, no 20, 1993.

ALBOU, Karin [NEUILLY-SUR-SEINE 1968]

Réalisatrice et scénariste française.

Diplômée de l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (Esra) à Paris, Karin Albou étudie également le théâtre, la danse et l’hébreu. Elle réalise un documentaire pour la télévision, Mon pays m’a quitté (1995), puis une fiction pour la série Combats de femmes de M6 : Innocente (2001), dans laquelle elle explore avec une grande sobriété et autant d’intensité l’itinéraire d’une femme plongée dans l’univers carcéral. Après deux courts-métrages primés, Chut (1992) et Aïd el Kébir (1998), elle réalise La Petite Jérusalem (2004), nommé pour le César du meilleur premier film. Le film suit avec une grande finesse le parcours de deux sœurs différemment confrontées à l’emprise du religieux et au poids de la communauté dans la construction de leur identité et de leur désir. Ces mêmes thèmes sont présents dans son deuxième long-métrage, Le Chant des mariées (2008), plus figé dans une vision controversée du rapport de la communauté musulmane au nazisme. Le film met en scène la forte amitié qui, dans la Tunisie de 1942, lie deux jeunes filles, l’une juive, l’autre musulmane, prises dans la tourmente de l’histoire et l’émergence de leur sensualité.

Patricia CAILLÉ

ALBRECHT, Berthie (née BERTHE WILD) [MARSEILLE 1893 - FRESNES 1943]

Résistante française.

Issue d’une famille protestante de la grande bourgeoisie, Berthe Wild fait ses études à Marseille puis à Lausanne, où elle obtient un diplôme d’infirmière en 1911. Elle part ensuite pour Londres comme surveillante dans une pension de jeunes filles, mais la Première Guerre mondiale la rappelle à Marseille où elle soigne sans relâche dans les hôpitaux militaires. À la fin de la guerre, de retour dans la capitale britannique, elle épouse le banquier néerlandais Frédéric Albrecht et découvre l’Union sociale et politique des femmes, le mouvement pour la planification des naissances et la réforme sexuelle. Son engagement, bien éloigné des mœurs de son milieu, la pousse à se séparer de son époux et à s’installer seule, en 1932, dans un Paris en pleine ébullition sociale. B. Albrecht adhère à la Ligue des droits de l’homme et fonde la revue Le Problème sexuel. Morale, eugénique, hygiène, législation (1933), qui défend, entre autres, le droit à l’avortement. Elle est dès lors de toutes les luttes qui secouent l’Europe, venant notamment en aide aux premiers réfugiés allemands ainsi qu’aux exilés républicains d’Espagne. Elle fonde avec Henri Frenay le Mouvement de libération nationale (1940), futur Combat, où elle œuvre à la diffusion illégale de journaux. Arrêtée une première fois en 1942, elle s’évade et entre dans la clandestinité. En mai 1943, après l’invasion de la zone libre, elle est de nouveau arrêtée par la Gestapo. Transférée à la prison de Fresnes, elle se serait donné la mort par pendaison, pour éviter de parler sous la torture. En août 1943, B. Albrecht est nommée Compagnon de la Libération*, comptant parmi les six femmes de cet ordre.

Chayma SOLTANI

ALBRET, Jeanne D’ VOIR JEANNE III D’ALBRET

ALBRIGHT, Madeleine (née Marie Jana KORBELOVÁ) [PRAGUE 1937]

Femme politique et diplomate américaine.

Née en Tchécoslovaquie, Madeleine Albright devient citoyenne américaine en 1957. Sa famille se réfugie à Londres en 1939 après l’annexion par les nazis de la Bohême et de la Moravie ; puis, en 1948, s’exile aux États-Unis. Après des études de sciences politiques et de droit public, complétées par des études de langues – elle parle plus de six langues, entre autres le russe –, elle débute sa carrière en travaillant avec le sénateur démocrate Edmund Muskie. En 1978, elle entre dans le gouvernement du président Jimmy Carter, qui la nomme au Conseil de sécurité nationale. À partir de 1981, avec le retour des républicains, elle travaille comme spécialiste de l’URSS et de l’Europe de l’Est et est nommée professeure de relations internationales à l’université Georgetown en 1982. Avec la reprise du pouvoir par les démocrates en 1993, sous la présidence de Bill Clinton, elle retourne au gouvernement en tant qu’ambassadrice aux Nations unies. À ce poste, elle se montre implacable envers le régime de Saddam Hussein en Irak, notamment en lui imposant de rigoureuses sanctions économiques, ce qui lui vaut le surnom de « Hyper Madeleine ». En 1997, elle devient la première femme secrétaire d’État aux États-Unis. Elle soutient les causes des droits de l’homme et de la démocratie à travers le monde, et joue un rôle important lors de la guerre du Kosovo. À la fin du mandat Clinton, elle reprend son enseignement universitaire et participe à de nombreuses conférences démocrates. Elle soutient Hillary Clinton* lors de la campagne pour l’investiture démocrate à l’élection présidentielle en 2008. Critique envers ce qu’elle considère être l’arrogance du gouvernement de George W. Bush, elle publie un livre, The Mighty and the Almighty. Reflections on America, God, and World Affairs (2006), qui examine le rôle de la religion dans les affaires internationales et dénonce le messianisme du Parti républicain.

Béatrice TURPIN

ALCALDE, Carmen [GÉRONE 1936]

Journaliste et écrivaine espagnole.

Carmen Alcalde effectue sa scolarité dans des écoles religieuses, dans une ville où le national-catholicisme s’efforce d’effacer la réalité des combattants républicains emprisonnés ou exilés. Ce n’est qu’en prenant le chemin de l’université qu’elle comprend combien une telle éducation est rigide et fallacieuse. À l’issue d’études littéraires à Madrid et à Barcelone, elle obtient une licence de lettres et de journalisme. Partagée entre l’écriture et le journalisme engagé, elle accorde dans ses livres une place majeure à la guerre civile. El feminismo ibérico (« le féminisme ibérique », 1970), La mujer en la guerra civil (« la femme pendant la guerre civile », 1976) et Las mujeres bajo el franquismo (« les femmes sous le franquisme », 1996) montrent son souci de mettre en évidence la condition des femmes, mille fois niée et l’impérieuse nécessité de réhabiliter un passé bafoué. En 1965, elle fonde, avec Rosa María Prats*, la revue Presència, en langue espagnole puis en catalan, suspendue pendant trois ans (1971-1974), et censurée à plusieurs reprises tandis que sa directrice est poursuivie en justice. C. Alcalde est rédactrice en chef de Hoja del Lunes (« feuille du lundi ») et de Diario Femenino (« quotidien féminin »), journaux aujourd’hui disparus. À partir de 1970, elle collabore à de prestigieux magazines d’actualité, Triunfo, Destino, Diari de Barcelona (dont elle est sous-directrice) et Avui, entre autres. Son parcours à l’avant-garde de la défense pour les droits des femmes lui vaut d’être inscrite dans les annales du journalisme engagé. En 1975, elle fonde avec Lidia Falcón* la revue Vindicación Feminista (« défense féministe »), dont plusieurs numéros sont censurés ; elle y expose ses idées audacieuses au travers d’articles sur la santé publique, la cause féminine, la défense des droits des personnes handicapées, abordant des sujets passés sous silence pendant quarante ans de franquisme. En 1983, elle consacre un ouvrage à Federica Montseny*, Federica Montseny, palabra en rojo y negro (« mot en rouge et noir »). Directrice de programme (séries télé) et scénariste pour la télévision catalane, cette pionnière du journalisme est l’une des rares à avoir occupé des postes à responsabilité dans le monde de l’information ; elle reçoit en 2000 le prix Rosa del desierto, décerné par l’Association de femmes journalistes de Catalogne, et le prix honorifique du Conseil général de Barcelone en 2005.

Amàlia PRAT

AMARO M., « Carmen Alcalde, la lucha por la igualdad », in Taller de Premsa, 24 mai 1996 ; PRAT A., « Les altres llibertàries », in Segre, 12 mai 1996.

ALCOTT, Louisa May [GERMANTOWN, PENNSYLVANIE 1832 - BOSTON 1888]

Romancière américaine.

Élevée en Nouvelle-Angleterre avec ses trois sœurs par un père pédagogue et transcandentaliste, Louisa May Alcott aura aussi pour maîtres Ralph Waldo Emerson, dont elle utilisera abondamment la bibliothèque, Henry David Thoreau, qui lui enseignera la botanique, et Nathaniel Hawthorne. L’engagement de ces derniers marque profondément la jeune fille, qui s’investira dans l’abolitionnisme et la défense des femmes (dans le Woman’s Journal). Son père allant professionnellement d’échec en échec, L. M. Alcott doit, avec sa mère et ses sœurs, pourvoir à la subsistance de la famille. Donnant des leçons, faisant de la couture, occupant des emplois de domestique et d’infirmière, elle s’essaie également à l’écriture et s’aventure bientôt dans la publication de nouvelles à sensation et de romans noirs gothiques, activité « derrière le masque », puisqu’elle dissimule soigneusement son identité derrière l’anonymat ou les pseudonymes : Flora Fairfield, L. M. A. ou A. M. Barnard. Elle écrit ainsi son premier livre, FlowerFables (« fables de fleurs », 1854) à 16 ans. Puis, éditrice d’un magazine pour la jeunesse, Merry Museum, elle accepte, pour des raisons financières, d’écrire une histoire pour jeunes filles : Les Quatre Filles du docteur March (1868). Elle inaugure ainsi, à visage découvert, la série de romans qui lui ont assuré une célébrité mondiale. D’inspiration largement autobiographique, puisqu’elle prend comme modèle sa famille et se transpose, dit-on, dans le personnage de Jo – bien qu’elle restât elle-même farouchement célibataire –, ce qui deviendra vite un classique de la littérature pour jeunes filles articule avec doigté étude psychologique et récit du quotidien d’une famille de la Nouvelle-Angleterre durant la guerre de Sécession. Après Les Quatre Filles du docteur March paraît notamment Le docteur March marie ses filles. Longtemps très populaire, L. M. Alcott est ensuite dénigrée pour sentimentalisme facile. Elle serait tombée dans l’oubli si la découverte de sa double vie littéraire, par Leona Rostenberg en 1943, et la publication de la longue liste de ses romans noirs n’avaient permis de porter un regard nouveau sur son œuvre. Dans ces ouvrages intenses et riches des ingrédients du genre (folie, sexualité, drogue, mort, violence, harcèlement, complots, travestissements, secrets de famille…), L. M. Alcott campe des personnages de fortes femmes assoiffées de vengeance et sans scrupules, qui se débattent dans un monde masculin cruel pour assurer leur indépendance et se libérer des préjugés et des conventions du patriarcat. Dès lors, le dédain et l’étiquette de mièvrerie apposés à ses romans pour la jeunesse cèdent la place à la reconnaissance de la valeur didactique de ses romans et à l’étonnement face à leur réalisme. L’admiration est d’autant plus grande lorsqu’on sait que l’auteure a dû jouer d’astuces pour se soumettre aux dictats de son public, puisque tous ses écrits étaient initialement alimentaires. Décrivant avec précision la vie quotidienne de l’époque, L. M. Alcott est l’une des premières écrivaines américaines à mettre en lumière les problèmes liés au mariage et à la maternité. Tout en soulignant le rôle important des femmes dans la famille, elle amorce le thème de l’émancipation féminine et évoque le souhait de certaines de s’épanouir dans une vie artistique. Bien que ce soit avec modération, elle teinte sa fiction d’éléments participant à la lutte en faveur de l’égalité entre les races et les sexes.

Juliette DOR

Le docteur March marie ses filles (Good Wives, s. d.), Paris, Hachette, 1980 ; Derrière le masque (Behind a Mask : Or a Woman’s Power, 1866), Paris, J. Losfeld, 2005 ; Les Quatre Filles du docteur March (Little Women, 1868), Paris, J’ai lu, 1995.

EISELEIN G. et PHILLIPS A. K. (dir.), The Louisa May Alcott Encyclopedia, Westport (Conn.), Greenwood Press, 2001 ; VOILLEY P., Louisa May Alcott. Petites Filles modèles et femmes fatales, Paris, Belin, 2001.