GONZALES-FOERSTER, Dominique [STRASBOURG 1965]
Plasticienne et cinéaste française.
Depuis les premiers espaces biographiques au début des années 1990 (les « portraits » et les « chambres ») jusqu’aux environnements ouverts de cette dernière décennie, la pluralité des mondes demeure la première découverte de Dominique Gonzales-Foerster, sa position « astronomique » dans l’art. Ainsi, ses projets transitent d’un champ à un autre, de l’art au cinéma, de la littérature à l’architecture, tout autant d’univers qu’elle ne considère pas comme séparés, mais comme des zones de transferts, de haltes provisoires. Très tôt, le cinéma et le texte occupent une place importante dans son imaginaire, agissent comme des entrées, des sphères d’influence, des horizons. Pourtant, l’artiste n’emprunte pas au cinéma, à la littérature ou à l’histoire de l’art : elle habite leurs territoires. Ces entrées de cinéma, de littérature, d’architecture ne sont jamais clairement indiquées, et, même si on peut s’appuyer ici et là sur un titre, un élément évocateur, elles déterminent la structure de ses pièces, leurs agencements, pour ne plus laisser que des empreintes, des sensations de cinéma, de lecture, de voyage (comme elle aime aussi parler de « sensations d’art »). Dans toute son œuvre, il y a d’abord un acte de tracement, une tentative d’explorer un espace étranger, de faire le portrait d’une ville (la trilogie des films Riyo, Central, Plages, 1999-2001). Cette traversée des signes et des paysages ne revient pas à les coloniser, mais simplement à aller au-devant des images, à voir de quoi elles naissent, de quelles expériences. D. Gonzales-Foerster ne s’essaye ni à la fiction ni au documentaire. Son travail se situe à la limite de l’image et du visible, à l’endroit d’un manque, dans le trouble et la confusion des différents niveaux de réel, là où l’information se dissout, se perd et rejoint le sujet d’une conquête. Dans ses environnements « programmatiques » (Cosmodrome, réalisé avec le musicien Jay-Jay Johanson en 2001), dans ses parcs publics (A Plan for Escape, pour la Documenta 11 de Kassel en 2002 ; Roman de Münster pour Skulptur Projekte Münster en 2007), on voit comment se substitue au système de l’exposition le récit d’un paysage, pris dans un système dialectique, sorte de « non-site », donc un fragment, une mise en forme fermée, intérieure, délimitée, concentrée, qui mène vers un « site », un autre espace extérieur, périphérique, illimité. Le parc, la plage, le jardin sont parmi ces non-sites, espaces chroniques, parties découpées du monde. On retrouve toutes ces dimensions dans ses projets de muséographie et sa première monographie, Expodrome, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2007, pour laquelle l’artiste constitue une « équipe d’exposition », principe collaboratif qui renvoie aux premiers temps d’une aventure collective à Grenoble, quand elle explorait un nouveau vocabulaire de l’exposition, avec Pierre Joseph, Philippe Parreno, Bernard Joisten, un peu à l’image d’une équipe de tournage. Expodrome est un tournant, qui prend la mesure de la courbe architecturale de l’espace de l’Arc (Animation recherche confrontation), de la lumière, de son échelle, qui interroge la notion d’œuvre, rejouant les conditions classiques de l’exposition. Pensé comme une expérience ouverte, inédite, le projet prend en compte le temps de déplacement du visiteur, appelé à vivre un « voyage narratif », alternant contemplation, lecture, promenade et cinéma. Autre tournant important dans sa production : l’environnement spectaculaire TH. 2058 (2008), conçu pour le programme The Unilever Series de la Tate Modern, où l’artiste projette un paysage d’anticipation, une révolution climatique, un voyage dans le temps. En 2058, un déluge permanent s’abat sur Londres, perturbation qui produit des effets étranges sur les gens et les choses : ces œuvres urbaines commencent à croître comme des plantes tropicales géantes et se monumentalisent. « Pour mettre un terme à cette croissance, il a été décidé de les remiser à l’intérieur, parmi les centaines de lits superposés, qui, jour et nuit, accueillent les réfugiés de la pluie. » Le scénario initial dit la nature cinématographique de l’expérience à venir, tandis que le rideau de bandes de plastique rouge et vert, que les spectateurs traversent pour accéder à ce refuge, affirme la théâtralité du principe même de l’exposition, induisant aussi l’image imprécise de l’accès à un hangar médicalisé. Puis viennent les sensations : le son permanent d’une pluie lourde, le métal et les couleurs jaunes et bleues des lits superposés, la présence des livres disposés sur ces lits, la monstruosité de ces sculptures de Louise Bourgeois*, Calder ou Claes Oldenburg, le souvenir du dernier film, la rêverie infinie d’un monde sans soleil.
Stéphanie MOISDON
■ Films, Dijon, Les Presses du réel, 2003 ; Expodrome (catalogue d’exposition), Paris, MAM, 2007 ; TH. 20581 (catalogue d’exposition), Morgan J. (dir.), Londres, Tate Publishing, 2008.
GONZÁLEZ, Celina [JOVELLANOS 1929 - LA HAVANE 2015]
Chanteuse cubaine.
Originaire de la province de Matanzas, Celina González baigne par tradition familiale dans la musique paysanne de Cuba, dont elle maîtrise depuis l’enfance les différentes formes chantées, guajira, punto et décimas. Elle est âgée de 8 ans quand sa famille s’installe dans la ville de Santiago, où elle rencontre en 1943 le guitariste et chanteur Reutilio Domínguez, qui deviendra son partenaire sentimental et artistique. Fort de sa réputation à Santiago et avec l’aide du célèbre compositeur Ñico Saquito, le duo Celina y Reutilio est engagé par l’une des principales radios de La Havane et devient populaire dans toute l’île grâce à la composition A Santa Bárbara/Que viva changó, qui associe pour la première fois musique paysanne et religion afro-cubaine de la santería. La chanson devient un standard du répertoire insulaire. En 1952, le tube Yo soy el punto cubano (« je suis le punto cubano ») renforce son prestige et lui permet de se produire jusqu’à New York. Cette ascension est stoppée par l’avènement d’une révolution cubaine qui n’apprécie guère les thèmes religieux, et Celina et Reutilio se séparent en 1964. Poursuivant sa carrière avec différentes formations dont le groupe Campo Alegre, C. González forme en 1980 un nouveau duo avec son fils Reutilio Jr. et reprend son rôle d’ambassadrice de la musique rurale cubaine en Amérique du Sud et en Europe, avant de se retirer progressivement à l’aube du troisième millénaire.
Yannis RUEL
GONZÁLEZ DE LEÓN, Ulalume (née IBÁÑEZ) [MONTEVIDEO 1932 - SANTIAGO DE QUERÉTARO 2009]
Écrivaine uruguayo-mexicaine.
Fille des poètes uruguayens Roberto et Sara Ibáñez et ex-épouse de l’architecte mexicain Teodoro González de León, dont elle a conservé le nom, Ulalume González de León fait des études de philosophie et de lettres en France et au Mexique et collabore à la revue Vuelta, dirigée par Octavio Paz. L’essai El riesgo del placer (« le risque du plaisir ») lui vaut le prix national Xavier-Villaurrutia en 1978 et son œuvre poétique le prix Flor-de-Luna (Paris) en 1979. Traductrice, elle a été à son tour traduite, notamment en anglais et en français. Contemporaine des poétesses mexicaines Carmen Alardín, Isabel Fraire* et Thelma Nava, elle propose, à leurs côtés, de nouvelles approches poétiques de la femme, de l’amour et des relations de couple. Elle travaille à une poétique plus suggestive en « manifestant » que tout a déjà été dit, que la poésie n’est qu’une réorganisation, un « plagiat », titre qu’elle donne aux recueils de son œuvre.
María GARCÍA VELASCO
■ Ciel entier, Bruxelles, Le Cormier, 1978.
■ ROBLES M., La sombra fugitiva, escritoras en la cultura nacional, tomo II, Mexico, UNAM, 1986 ; SOCORRO COMBE ARRECHE G., « Ulalume González de León, una poetica del plagio », in Poéticas mexicanas del siglo XX, Mexico, GORDÓN S. (dir.), Mexico, Eón/Universidad Iberoamericana, 2004.
GONZÁLEZ HERRERO, Lourdes [HOLGUÍN 1952]
Écrivaine et éditrice cubaine.
Un temps dessinatrice industrielle, Lourdes González Herrero publie en 1986 son premier recueil de poèmes, suivi de huit autres, dont deux ont été traduits et publiés en français : Dossier d’un naufrage (1999) et Sur la rive droite du Nil (2000). Ce dernier est récompensé en 2002 par l’Union des écrivains et artistes de Cuba. À partir de 1996, elle écrit des textes à mi-chemin entre fiction narrative et poésie, comme le roman María toda (« María tout entière », 2003), à forte tonalité autobiographique. En 2006, elle publie Las edades transparentes (« les âges transparents »), un roman à la trame complexe qui se déroule dans les années 1970 et pour lequel elle reçoit le prix José-Soler-Puig ainsi que le Prix de la critique. En 2007, son roman El amanuense (« le secrétaire ») obtient le prix Casa de las Américas. L. González Herrero dirige le Centre de promotion et de développement de la littérature de sa ville ainsi que la maison d’édition Holguín et la revue Diéresis (« diérèse »).
Luisa CAMPUZANO
■ Dossier d’un naufrage (Papeles de un naufragio, 1999), Paris, Indigo & Côté-femmes, 2002 ; Sur la rive droite du Nil (En la orilla derecha del Nilo, 2000), Paris, Caractères, 2005.
■ HERNÁNDEZ MIRANDA M., « La era a sus pies rendida », in La Letra del Escriba, nov. 2000 ; LLANA M. E., « Transparencias », in La Letra del Escriba, déc. 2007.
GONZÁLEZ HUGUET, Carmen [SAN SALVADOR 1958]
Poétesse salvadorienne.
Après avoir quitté le Salvador, avec sa famille, pour les États-Unis, en 1980, Carmen González Huguet y fait ses études. Professeure à l’Université d’Amérique centrale José-Simeón-Cañas et chercheuse en littérature au Consejo Nacional para la Cultura y el Arte (« conseil national pour la culture et les arts »), elle a assuré la publication de la poésie complète de Claudia Lars* (1999). Son recueil Locuramor (« folieamour », 1999) a été primé aux Jeux floraux hispano-américains (Guatemala), mais son œuvre publiée reste trop rare. Sa poésie révèle une connaissance profonde des formes classiques, sans pour autant exclure les expérimentations. Ses sujets sont marqués par l’existentialisme et s’orientent dans deux directions : la chronique de la vie amoureuse et la dénonciation des atrocités de la guerre. Las sombras y la luz (« les ombres et la lumière », 1987) témoigne de la réalité de la guerre salvadorienne. Parmi les œuvres poétiques de C. González Huguet se distinguent Mar inútil (« mer inutile », 1994) et Testimonio (« témoignage », 1994), un recueil à la mémoire des prêtres assassinés par l’armée, qui explore la persécution des prêtres salvadoriens dans les années 1980, en recourant à l’expérience personnelle de la religion. Parmi ses œuvres en prose, Mujeres (« femmes », 1997) a été publié par l’Unesco et son premier roman, El rostro en el espejo (« le visage dans le miroir »), est paru en 2005. Lauréate de nombreux prix littéraires, elle a été admise à l’Académie salvadorienne de la langue en 2012.
Natalia GONZÁLEZ ORTIZ
GOODALL, Jane [LONDRES 1934]
Primatologue britannique.
Fille d’une romancière et d’un homme d’affaires, Jane Goodall se passionne très jeune pour les animaux africains et étudie en autodidacte l’éthologie et la zoologie. Invitée en 1957 au Kenya, elle y rencontre le paléo-anthropologue Louis Leakey. Impressionné par sa détermination, il lui confie la première étude sur les chimpanzés dans leur milieu naturel. Encouragée par sa mère, elle s’établit en 1960 dans la réserve de Gombe au bord du lac Tanganyika. N’ayant pas fait d’études supérieures académiques, elle innove en matière d’observation des comportements animaux : elle vit seule avec les chimpanzés, qu’elle réussit à approcher au bout de deux ans de patience. Sa première découverte remet en cause les critères de distinction entre l’homme et l’animal : les chimpanzés se servent d’outils pour se nourrir. Ses autres découvertes sur le comportement social de ces singes lui vaudront des critiques de la communauté scientifique, mais lorsqu’en 1965 elle soutient sa thèse de doctorat en éthologie à l’université de Cambridge, son travail est pris au sérieux. Elle poursuit ses recherches sur les chimpanzés pendant quarante-cinq ans. En 1997, elle fonde l’institut Jane-Goodall, pour la recherche, l’éducation et la conservation de la nature, institut qui accueille aujourd’hui de nombreux primatologues. Elle a créé des sanctuaires pour singes orphelins, milite contre le commerce de viande de brousse et plaide pour le reboisement. J. Goodall a reçu de nombreuses distinctions honorifiques, dont celle de Messager de la paix des Nations unies en 2002.
Annie DURANTE et Jacqueline PICOT
■ Les Chimpanzés et moi, Paris, Stock, 1971 ; Nous sommes ce que nous mangeons, Arles, Actes Sud, 2008.
GOODE DE GARMA, Betty (née Elisabeth GOODE RASMUSSEN) [PAYSANDÚ 1918 - BUENOS AIRES 2003]
Psychanalyste argentine.
Née en Uruguay, d’une mère d’origine danoise dont la famille avait émigré en Argentine et d’un père anglais ingénieur, Betty Goode Rasmussen passe une grande partie de son enfance et de son adolescence en Angleterre où elle étudie le chant. De retour en Argentine, dans les années 1930, elle découvre la psychanalyse. Grâce à Enrique Pichon-Rivière, à Arnaldo Rascovsky et à Matilde Wencelblat de Rascovsky*, les travaux de Sigmund Freud avaient réussi à gagner l’intérêt des milieux médicaux argentins. En 1942, elle commence une analyse avec une Viennoise, Marie Langer*, exilée à l’époque en Argentine, devient membre de l’Association psychanalytique argentine et épouse le psychanalyste Ángel Garma, cofondateur de cette association. Elle exercera comme psychanalyste d’enfants en employant les méthodes de Melanie Klein* et en appliquant ses théories. À partir de 1944, elle travaille en étroite collaboration avec Arminda Aberastury*, la première femme argentine à avoir pratiqué la psychanalyse avec des enfants, et l’aide à traduire en espagnol l’essai de M. Klein sur « L’analyse des jeunes enfants » (1923). En 1949, B. Goode de Garma présente au congrès de l’Association psychanalytique internationale à Zurich le cas Pedrito, enfant qu’elle a pris en analyse quand il avait 21 mois. M. Klein, qui jusqu’alors n’avait analysé que des enfants plus âgés, se montrera vivement intéressée. Ses travaux ultérieurs, publiés dans des revues argentines, porteront sur ses recherches dans le domaine de la psychosomatique – on lui doit notamment des études sur l’anorexie – et sur son travail thérapeutique avec des groupes de mères.
Chantal TALAGRAND
GOODMAN, Amy [BAY SHORE, NEW YORK 1957]
Grand reporter et présentatrice américaine.
Diplômée d’Harvard, Amy Goodman débute dans le journalisme en couvrant les mouvements pour la paix et les droits civiques, et s’engage comme volontaire à la WBAI Pacifica Radio, à New York, dont elle dirigera le service information. Parallèlement, elle devient célèbre pour son travail risqué sur les violations des droits de l’homme au Nigeria et au Timor-Oriental. En 1996, elle crée Democracy Now ! (« démocratie maintenant ! »), une émission d’informations progressiste qui deviendra télévisée. Aujourd’hui diffusée par plus de 700 stations de radio, plusieurs chaînes de télévision du câble et du satellite, ainsi que sur Internet, ce programme est traduit et diffusé par des dizaines de radios hispanophones. Éthique et alternatif, au plus près des faits tout en ayant un point de vue, ne dépendant ni d’un grand groupe de médias ni de la publicité, il fait figure d’exception dans le paysage audiovisuel américain. Democracy now ! se différencie par son esprit critique, sa proximité avec le public, ses sources d’informations (blogs, sites Internet d’actualité, ONG), la diversité de ses invités (artistes engagés, citoyens ordinaires, militants) et ses sujets, dont certains ne sont jamais relayés par les médias classiques, comme les nombreuses formes de contestation à l’encontre de la guerre en Irak. L’émission fonctionne grâce à des dons, à des recettes émanant de la vente de livres, de DVD, de tee-shirts, à des droits versés par ses diffuseurs et grâce à de nombreux bénévoles. A. Goodman a reçu de nombreuses récompenses dont le prix Georges-Polk en 1998, obtenu conjointement avec Jeremy Scahill pour le reportage « Chevron and Nigeria’s oil dictatorship » (« la pétrodictature de Chevron et du Nigeria »), une enquête démontrant les liens entre la compagnie pétrolière Chevron et l’armée du Nigeria, et le Right Livelihood Award, le prix Nobel alternatif, en 2008 pour son travail de construction d’un journalisme alternatif. Sorti en 2009, Breaking the Sound Barrier (« passer le mur du son ») reprend ses chroniques hebdomadaires rédigées depuis 2006 pour le King Features Syndicate.
Audrey CANSOT
GOODWIN, Betty [MONTRÉAL 1923 - ID. 2008]
Dessinatrice, peintre et sculptrice canadienne.
Née dans une famille d’immigrés juifs roumains, Betty Goodwin sonde les thèmes de l’absence, du deuil, de la fragilité du corps et de la vie. Ces leitmotivs reflètent le traumatisme de la mort de son père, ainsi que les horreurs de la Shoah et l’angoisse de la menace nucléaire. Autodidacte, elle commence à peindre à la fin des années 1940, notamment des natures mortes ou des portraits du quartier juif de Montréal. Sa série de portraits réalisés en 1954 (comme Autoportrait III, estampe) est d’une grande intensité et expressivité. À son retour d’une année sabbatique en Europe en 1958, elle réalise des estampes dont les personnages affranchis de la pesanteur témoignent de sa fascination pour Chagall. En 1968, elle suit les cours de gravure d’Yves Gaucher. Sensible à l’imagerie pop, B. Goodwin étudie minutieusement les objets et déchets trouvés, plus particulièrement les vêtements qui, dans ses œuvres, deviennent des symboles du corps à la fois comme trace et comme absence. Elle grave alors des plaques de cuivre avec des vêtements. Sa série Veste lui vaut une notoriété internationale. Fascinée par l’art et la philosophie de l’artiste chaman Joseph Beuys, elle réalise la série Bâche (1972-1974), des pièces murales constituées de couvertures trouvées. Dans les années 1980, naît son œuvre la plus emblématique et énigmatique, Nageurs, des dessins d’une grande transparence représentant de façon ambiguë des corps flottant dans l’eau. Ses réflexions sur le passage de la vie à la mort atteignent leur paroxysme avec ses dernières séries comme la Mémoire du corps (1990-1995). Créatrice québécoise majeure du XXe siècle, mentor de nombreux artistes comme Geneviève Cadieux*, B. Goodwin représente en 1995 le Canada à la Biennale de Venise.
Sonia RECASENS
■ Betty Goodwin, passages (catalogue d’exposition), Montréal, Galerie d’art Concordia, 1986 ; Betty Goodwin, 5 mars-15 mai 1994, la Ferme du buisson-Centre d’art contemporain (catalogue d’exposition), Noisiel, La Ferme du buisson-Centre d’art contemporain, 1994.
■ BRADLEY J., TEITELBAUM M. (dir.), et al., The Art of Betty Goodwin, Vancouver/Toronto, Douglas & McIntyre/Art Gallery of Ontario, 1998 ; TOVELL R. L., avec S. McMorran et A.-M. Ninacs, Les estampes de Betty Goodwin, Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada, 2002.
GOOGOOSH (Faegheh ATASHIN, dite) [TÉHÉRAN 1950]
Chanteuse et actrice iranienne.
Fille de parents immigrés d’origine soviétique, Googoosh vit avec son père, acteur et acrobate, qui découvre très vite ses talents de chanteuse. Dès son plus jeune âge, elle chante pour la cour royale du Shah et reçoit les faveurs de l’impératrice Soraya. Elle quitte l’école après la primaire, puis le réalisateur George Obadiah la révèle au public iranien avec les films Bim va omid (« espoir et crainte », 1960) et Fereshteh fahari (« l’ange fugueur », 1961). Son premier enregistrement, Ghesseyeh vafa, paraît en 1966. Elle épouse l’année suivante Mahmoud Ghorbani, qui devient son manager. En 1968, elle joue le premier rôle dans Ce divane (« trois fous »), de Jalal Moghadam. À 19 ans, Googoosh est déjà une icône de la culture populaire iranienne. Avec une pluie de récompenses, le début des années 1970 la consacre très jeune comme une star internationale : disque d’or et premier prix du Midem à Cannes en 1971 pour les titres en français Retour de la vie et J’entends crier « je t’aime », elle fait salle comble à Paris pendant un mois. L’année suivante, elle obtient le premier prix au Festival de Carthage. En 1973, elle est couronnée du prix de Meilleure actrice au Sepas Film Festival pour son premier rôle dans le film d’avant-garde Bita (1972), de Hajir Dariush, et le Festival de San Remo la nomme Artiste de l’année. Dans les années 1970, elle popularise la mini-jupe auprès des jeunes femmes iraniennes et fait sensation en 1975 avec sa coupe garçonne. Tenant toujours le haut de l’affiche au cinéma, elle interprète son propre rôle en 1978 dans le mélodrame érotique Dar emtedad shab de Parviz Sayyad. Sa carrière musicale et cinématographique est stoppée en 1979 par la chute du Shah et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeyni, qui interdit les activités artistiques aux femmes. Googoosh refuse de nombreuses offres de producteurs étrangers et son silence se prolonge une vingtaine d’années. En 1991, elle épouse le réalisateur Masoud Kimiai. En 2000 sort Googoosh : Iran’s Daughter, un documentaire de Farhad Zamani, qui détaille sa vie, son statut d’icône dans les années 1970 et les troubles sociopolitiques qui ont mené à la révolution de 1979. La star sort alors de son silence avec l’album Zartosht (« zoroastre »). Elle remonte sur scène l’année suivante au fil d’une tournée mondiale qui la mène notamment à Toronto, Los Angeles, New York, Londres et Stockholm, et réunit en un an plus d’un million de spectateurs, un succès à la hauteur de sa place dans le cœur des Iraniens. Malgré 20 ans de silence et un passé, qui pour être glorieux, n’en est pas moins lié à une époque révolue, Googoosh relance sa carrière en publiant six albums en une dizaine d’années, et en donnant chaque année des concerts dans des lieux prestigieux. En mars 2009, la chanteuse se produit au Moyen-Orient pour la première fois depuis trente ans, à Dubaï, et des milliers d’Iraniens se déplacent pour l’écouter. La même année, elle prend position en faveur des manifestants tués ou détenus par le pouvoir iranien, au nom des mères ayant perdu leurs enfants dans des manifestations pacifiques. Elle se produit l’année suivante à Erbil, dans le Kurdistan irakien. En 2011, elle lance sa propre marque de cosmétiques, vendus en ligne. Elle vit aujourd’hui en Californie.
Jean BERRY
■ Do panjareh, Caltex, 2000 ; Manifest, MZM, 2005.
■ Googoosh : Iran’s Daughter, Farhad Zamani, 158 min, 2004.
GOPEGUI, Belén [MADRID 1963]
Journaliste, écrivaine et scénariste espagnole.
Belén Gopegui est l’un des noms les plus illustres de la littérature espagnole au tournant du XXIe siècle. Si, dans son œuvre, les personnages féminins sont prépondérants, le féminisme, au sens politique, n’est pourtant pas l’un des motifs littéraires qu’elle exploite le plus. Elle trace une frontière très nette entre cette notion et ce qu’elle entend par « féminité » – une sensibilité intime servant de point de repère –, et se démarque des écrivain(e)s qui font de l’image de la femme un objet de revendication. Licenciée en droit, elle est d’abord chroniqueuse dans des journaux nationaux : l’influence de ce métier est palpable dans ses récits. Son premier titre, L’Échelle des cartes (1993), est plébiscité par le public ; la critique, élogieuse, se montre unanime et elle obtient plusieurs prix. Elle se sert des éléments les plus insignifiants de notre quotidien pour explorer l’être humain, ses sentiments, ses émotions, et faire entendre sa soif de liberté dans une société capitaliste régie par l’argent, le chômage, des idéaux corrompus… Elle mène, à travers ses textes, une enquête sur le genre narratif en se fondant sur le conflit entre réalité et fiction, et réfute la conception « bourgeoise » de la littérature, selon laquelle la lecture doit être « codifiée ». Pour elle, un roman doit rendre compte du sens de l’histoire et nous guider vers la compréhension du monde. La Conquête du ciel (1998), adaptée au cinéma en 2000, dénonce les affres que provoque la culture économique et sociale dans les rapports entre les individus ; dans Le Père de Blanche-Neige (2007), elle combine récit romanesque et réflexions d’ordre plus politique, se rapprochant de l’essai. Dans plusieurs entretiens, elle clame la nécessité pour l’écrivain de « s’engager » dans le monde. La notion de responsabilité, individuelle et/ou collective, constitue une clé pour comprendre son œuvre. C’est à travers ce prisme qu’elle remet en question tous les jalons de la société et qu’elle livre, entre les lignes, sa propre pensée.
Marta MARTÍNEZ VALLS
■ La Cabine d’essayage (Tocarnos la cara, 1995), Arles, Actes Sud, 1996 ; L’Échelle des cartes (La escala de los mapas, 1993), Arles, Actes Sud, 1999 ; La Conquête de l’air (La conquista del aire, 1998), Arles, Actes Sud, 2001 ; Le Côté froid de l’oreiller (El lado frío de la almohada, 2004), Paris, Seuil, 2006 ; Le Père de Blanche-Neige (El padre de Blancanieves, 2007), Paris, Seuil, 2010.
GORBANEVSKAÏA, Natalia [MOSCOU 1936 - PARIS 2013]
Poétesse et dissidente russe.
Natalia Evguenievna Gorbanevskaïa a eu un rôle déterminant pour définir les principes et les modes d’action de cette dissidence russe qui, apparue à la fin des années 1960, a eu une influence capitale sur toutes les oppositions est-européennes. La jeune femme a 20 ans, lorsqu’elle est renvoyée de l’université de Moscou, pour avoir protesté contre la répression de l’insurrection de Budapest en 1956. Elle en est exclue une seconde fois parce qu’elle a participé à Sintaxis (« syntaxe ») et Fenix (« phénix »), deux des premières revues du samizdat. Elle termine toutefois ses études et écrit des poèmes auxquels Anna Akhmatova* s’intéresse. En avril 1968, elle crée la principale revue du samizdat de la dissidence russe, la Khronika tekouchtchikh sobytiï (« chronique des événements en cours »), qui, en dépit de répressions constantes, dénoncera pendant quatorze ans les violations des droits humains en URSS. Le 25 août 1968, la jeune femme fait partie des sept ou huit personnes qui manifestent sur la place Rouge contre l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Mère de deux jeunes enfants, elle n’est pas jugée, contrairement aux autres manifestants, mais est déclarée irresponsable et confiée à sa mère. Elle en profite pour réunir des témoignages et des documents sur cette manifestation, et en faire un livre, Midi place Rouge, qui circulera rapidement en samizdat, paraîtra en France en 1970 et, en Russie, en 2007. En mai 1969, elle est l’une des quinze personnes qui créent le Groupe d’initiative de défense des droits humains en URSS et signalent à la Commission des droits de l’homme de l’Onu les « incessantes persécutions politiques en URSS ». Elle est arrêtée le 24 décembre 1969 et enfermée dans un hôpital psychiatrique dont elle ne sortira qu’en février 1972. Le 18 décembre 1975, elle quitte l’URSS et s’installe en France avec ses enfants. Elle y devient l’une des responsables de la revue Kontinent (« continent »), qui vient d’être créée par d’autres émigrés russes et entreprend d’unir les oppositions d’Europe centrale et orientale, à commencer par les dissidences russe et polonaise. N. Gorbanevskaïa collabore également à la Rousskaïa Mysl’ (« pensée russe »), hebdomadaire parisien en langue russe, et elle représente en Occident la revue du samizdat Pamiat’ (« mémoire »). Ne négligeant pas son œuvre poétique, elle a publié régulièrement des recueils de vers, y compris, à partir de 1993, en Russie. Elle s’est rendue régulièrement à Moscou et en Pologne et a continué d’écrire jusqu’à sa mort.
Cécile VAISSIÉ
■ Midi place Rouge (Polden’, delo o demonstratsii 25 avgousta 1968 goda na krasnoï plochtchadi, 1969), Paris, R. Laffont, 1970.
GORDIMER, Nadine [SPRINGS 1923 - JOHANNESBURG 2014]
Romancière sud-africaine.
Prix Nobel de littérature 1991.
En 1991, l’Afrique du Sud, séparée du Commonwealth depuis 1961, vient tout juste de mettre fin au régime de l’apartheid. Très tôt, Nadine Gordimer prend conscience du poids que la ségrégation raciale fait peser sur le pays. Le vrai départ de sa carrière d’écrivain a lieu en 1953. Son premier roman, The Lying Days (« les jours menteurs »), a du succès, la presse en parle, elle commence à gagner de l’argent et peut vivre indépendante à Johannesburg. Son deuxième roman, Un monde d’étrangers, évoque la conversion d’un jeune Anglais entraîné par son ami noir Steven Sitole, dans le monde noir. Dès 1959, elle s’engage dans des activités politiques dangereuses. Elle héberge Albert Luthuli, un Zoulou président de l’ANC (African National Congress, organisation africaine non violente, fondée en 1912). À la suite d’émeutes, l’ANC est interdit, mais A. Luthuli reçoit le prix Nobel de la paix en 1960. En 1963, N. Gordimer doit lutter pour être publiée, après la promulgation d’une loi sur les publications et les écrivains. En 1979, elle aborde pour la première fois un sujet politique avec La Fille de Burger – la vie d’une fille de militant communiste mort en prison. Son œuvre est longtemps interdite dans son pays, alors qu’elle en est devenue la conscience vigilante. Mais à partir des années 1980, la situation change peu à peu. En février 1990, Nelson Mandela est libéré. En octobre 1991, N. Gordimer reçoit le prix Nobel de littérature, qui la récompense « pour [ses] romans et nouvelles qui tirent les conséquences qu’impliquent pour l’être humain les distinctions raciales » et pour « [son] engagement en faveur de la littérature et de la liberté de parole dans un État policier, où se pratiquent la censure et la persécution ».
Nicole CASANOVA
■ Un monde d’étrangers (A world of Strangers, 1958), Paris, Albin Michel, 1979 ; La Fille de Burger (Burger’s Daughter, 1979), Paris, Albin Michel, 1982 ; Ceux de July (July’s people, 1981), Paris, Albin Michel, 1983.
GORDON, Agáta (Agáta KUN, dite) [DEBRECEN 1963]
Écrivaine et militante féministe hongroise.
Avant d’obtenir sa maîtrise de hongrois et d’histoire à l’université de Debrecen, Agáta Kun publie A sötét mintha országolna (« les ténèbres régneraient sur le pays », 1987), recueil poétique alors passé inaperçu. Dix ans plus tard, son roman d’inspiration autobiographique, Kecskerúzs (« rouge de chèvre »), publié – sous le nom de plume d’Agáta Gordon – par la prestigieuse maison d’édition Magvető, fait sensation. L’écrivaine aborde ouvertement la question de l’homosexualité féminine : son héroïne relate l’histoire de la découverte et de l’acceptation de sa différence. Dans un langage ludique et riche en images, le roman met ironiquement en cause les normes hétérosexistes et homophobes de la société hongroise des années 1980-1990. Kecskerúzs est devenu un des livres cultes de la communauté lesbienne hongroise, ce dont témoigne le documentaire Pèlerinage au pays du Rouge de chèvre du Comité cinématographique lesbien de Budapest (2005). En 2006 paraissent deux courts romans en un volume, sur le même thème du lesbianisme : Ezüstboxer (« coup-de-poing d’argent ») et Nevelési kisregény (« roman d’éducation »), sorte de suite à Kecskerúzs. A. Gordon a été corédactrice d’Éjszakai állatkert. Antológia a női szexualitásról (« zoo de nuit. Anthologie sur la sexualité féminine », 2005) et cofondatrice d’Irodalmi Centrifuga (« centrifugeuse littéraire », 2004), forum artistique et civique interculturel féministe. Elle joue un rôle très actif dans la défense des droits des femmes et des homosexuels, anime des émissions de Tilos Rádió destinées aux gays et publie régulièrement des articles et des essais relatifs à ces questions.
Andrea P. BALOGH
■ BALOGH A. P., « “Népi-leszbikus szárny” : a női szexualitás és az irodalomkritika viszonyáról Gordon Agáta kapcsán », in Kalligram, nov. 2007 ; GYŐRFFY M., « A new family saga », in The Hungarian Quaterly, vol 38, no 147, printemps 1997 ; IMRE A., « Lesbian nationalism », in Signs. Journal of Women in Culture and Society, vol. 33, no 2, hiver 2008.
GORDON, Beate SIROTA [VIENNE, AUTRICHE 1923 - NEW YORK 2012]
Traductrice américaine, présidente d’organisations culturelles américano-asiatiques.
La vie de Beate Sirota Gordon a été guidée par le goût de la diversité des cultures et l’amour des arts. Issue d’un milieu de musiciens ukrainiens, elle quitte l’Autriche à l’âge de 6 ans et passe son enfance et son adolescence à Tokyo, où son père pianiste enseigne à l’Académie des arts. Elle apprend rapidement le japonais. En 1939, elle part aux États-Unis. Elle écrit pour le Times et, naturalisée en 1945, devient traductrice pour le ministère de la Défense américain. De retour au Japon en 1946 à la recherche de ses parents, elle est sollicitée par le commandement des forces alliées d’occupation pour participer à la rédaction, en secret et à la hâte, d’une nouvelle constitution nipponne. Forte de sa connaissance de la vie des Japonaises dans un pays à la structure sociale féodale et seule femme de l’équipe, elle parvient, par un travail minutieux, à faire inscrire dans cette constitution des droits des femmes fondamentaux : la suppression de toute discrimination de race, de religion ou de sexe ainsi que l’égalité des époux dans le mariage (avec leurs corollaires de droits au choix du conjoint, à l’héritage, à la propriété et au travail). Cet apport pionnier ne sera rendu public que cinquante ans plus tard, et elle recevra en 1998 la plus haute distinction japonaise. De retour aux États-Unis en 1947, elle se marie et met au monde deux enfants. Elle fonde et dirige les programmes des arts de la scène à la Japan Society dans les années 1950 puis à l’Asia Society de 1970 à 1991. Elle a voyagé à travers l’Asie à la recherche de talents artistiques et organisé aux États-Unis les premières tournées d’une pléiade d’artistes traditionnels et avant-gardistes en provenance de plus de 15 pays asiatiques. Elle a reçu nombre de distinctions pour ce travail de découverte. Jusqu’à sa mort, elle a défendu la constitution japonaise des attaques conservatrices.
Jacqueline PICOT
■ The Only Woman in the Room, Tokyo/New York, Kodansha, 1997.
■ PONS P., « À Beate, les Japonaises reconnaissantes », In Le Monde, 5 janv. 2013.
GORDON, Caroline [TODD COUNTY 1895 - SAN CRISTÓBAL DE LAS CASAS, MEXIQUE 1981]
Écrivaine américaine.
Entourée de talentueux conteurs dès l’enfance et passionnée par l’histoire du Sud, Caroline Gordon mêle histoire familiale et histoire collective dans la plupart de ses œuvres. Après avoir enseigné quelques années, elle s’engage dans sa carrière de femme de lettres en gagnant sa vie comme journaliste et en rédigeant de la fiction. Grâce à son mariage avec John Orley Allen Tate, poète, critique et chef de file des Southern Agrarians, groupe d’intellectuels de l’université Vanderbilt dénonçant, dans les années 1920-1930, la modernisation du Sud et défendant le ruralisme, elle évolue dans un milieu cosmopolite et politiquement engagé. Dans la propriété du couple, à Clarksville, se pressent de nombreux artistes : Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, William Faulkner, T. S. Eliot, Robert Penn Warren et Ford Madox Ford. Ce dernier joue le rôle de mentor auprès de la jeune femme, dont le premier roman, Penhally, paraît en 1931. Récipiendaire à un âge précoce de prestigieuses récompenses (prix Guggenheim et O.-Henry) pour ses nouvelles, C. Gordon poursuit l’exploration fictionnelle de sa lignée avec Aleck Maury, Sportsman (1934), évoquant les exploits de chasse de son père, puis None Shall Look Back (« nulle ne doit regarder en arrière », 1937), sombre et violent roman sur la guerre de Sécession s’inspirant des mésaventures de sa famille maternelle. Suite de ce dernier, The Garden of Adonis (« le jardin d’Adonis », 1937) relate les tumultes de la Reconstruction pour les fermiers pauvres du Sud et les ravages de l’infidélité des hommes, faisant écho à ses problèmes de couple. Les infidélités de son mari nuisent en effet à sa créativité et la poussent à se convertir au catholicisme en 1947. Continuant d’écrire à la fois des romans, tels que The Women on the Porch (1944) et The Glory of Hera (1972), comportant de la mythologie classique, et des nouvelles, elle enseigne dans plusieurs universités américaines et conseille inlassablement de jeunes écrivains, notamment Walker Percy et Flannery O’Connor*.
Élisabeth LAMOTHE
■ BOYLE A. M., Strange and Lurid Bloom : A Study of the Fiction of Caroline Gordon, Madison/Cranbury, Fairleigh Dickinson University Press/Associated University Presses, 2002 ; FRAISTAT R. A. C., Caroline Gordon As Novelist and Woman of Letters, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1984 ; WALDRON A., Close Connections : Caroline Gordon and the Southern Renaissance, New York, Putnam, 1987.
GORDON, Linda [CHICAGO 1939]
Historienne américaine.
Après des études en histoire et civilisation russes au Swarthmore College, Linda Gordon soutient, en 1970, à l’université de Yale, sa thèse de doctorat sur les Cosaques ukrainiens à l’époque moderne (qui sera publiée en 1983 sous le titre Cossack Rebellions : Social Turmoil in the Sixteenth-Century Ukraine). Mais le mouvement des femmes, qui se développe alors, pousse l’historienne vers l’histoire des femmes américaines et oriente le premier de ses nombreux ouvrages sur le sujet : Woman’s Body, Woman’s Right : A Social History of Birth Control in America (1976). Alors que la légalisation du birth control aux États-Unis a des effets sociaux et culturels, cette recherche devenue célèbre est suivie d’une série de livres primés. Heroes of their Own Lives : The Politics and History of Family Violence (1988) et Pitied but not Entitled : Single Mothers and the History of Welfare (1994) décrivent avec précision les conditions de vie des Américaines et examinent avec acuité leurs relations à l’État. Tout en dirigeant de nombreuses thèses et l’édition d’anthologies, L. Gordon écrit The Great Arizona Orphan Abduction (1999), qui raconte l’histoire saisissante d’un groupe d’autodéfense qui enlève des orphelins irlandais placés dans des familles mexicaines-américaines et reçoit cinq prix d’envergure nationale. Spécialiste d’histoire sociale, elle écrit la biographie de Dorothea Lange*, la célèbre photographe de la vie quotidienne (Dorothea Lange : A Life Beyond Limits, 2009). Elle rassemble également une anthologie des photographies de cette artiste sur les camps d’internement japonais aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale (Impounded : Dorothea Lange and the Censored Images of Japanese American Internment, 2006). Après avoir enseigné en début de carrière à l’université du Massachusetts-Boston puis à Wisconsin-Madison, L. Gordon obtient une chaire de professeur d’humanités et de professeur d’histoire à New York University.
Bonnie SMITH
GORE-BOOTH, Eva [LISSADELL HOUSE, COMTÉ DE SLIGO 1870 - HAMPSTEAD, AUJ. LONDRES 1926]
Dramaturge et poétesse irlandaise.
Très impliquée dans le mouvement de la renaissance celtique qui domine la vie artistique et culturelle de l’Irlande au tournant du XXe siècle, Eva Gore-Booth est l’auteure de neuf volumes de poésie, de sept pièces de théâtre et de plusieurs recueils d’essais et d’études portant sur les Évangiles. Elle est aussi connue pour avoir été une activiste politique de premier plan, publiant essais et pamphlets réclamant l’égalité des droits pour les femmes. Elle est l’une des premières suffragettes à exiger que l’on étende le droit de vote aux femmes propriétaires aussi bien qu’aux femmes de la classe ouvrière. Pacifiste convaincue, elle exprime sa conviction dans sa pièce engagée The Buried Life of Deirdre (« la vie enfouie de Deirdre », 1930). Issue d’un milieu aristocratique, elle commence à écrire de la poésie au début des années 1890. Elle est remarquée par de grandes figures de la scène littéraire irlandaise ; W. B. Yeats l’encourage, lui suggérant des lectures qu’il aimait lui-même, en particulier des mythes et légendes celtiques, et, bien qu’elle ait vécu une grande partie de sa vie loin de l’Irlande, les critiques considèrent son œuvre comme représentative du style et des idées de la littérature irlandaise de cette époque. Ses poèmes, surtout ceux de la dernière période, comme « The One and the Many » (« l’un et le multiple ») ou « The Egyptian Pillar » (« la colonne égyptienne »), abordent les thèmes du changement social et de la libération des femmes. Elle y fait de nombreuses références à des femmes de pouvoir de l’ancien temps, comme Cléopâtre* ou la reine de Saba*.
Sylvie MIKOWSKI
GORENKO, Anna VOIR AKHMATOVA, Anna
GOREV, L. VOIR GOURÉVITCH, Lioubov IAKOVLEVNA
GORLANOVA, Nina [VERKH-IOUG 1947]
Nouvelliste et romancière russe.
Nina Viktorovna Gorlanova est née en Sibérie, dans une famille paysanne. Elle a fait des études de lettres à Perm, puis a travaillé comme laborantine à l’Institut de pharmacie avant de revenir aux lettres, qu’elle a enseignées à l’université de Perm. Depuis 1977, elle travaille comme documentaliste et didacticienne. Elle écrit depuis le milieu des années 1970, mais sa première publication date de 1980, dans la revue Oural. Son premier recueil de nouvelles, Radouga kajdyï dien’ (« un arc-en-ciel par jour »), sort à Perm en 1987. Dans un paysage littéraire renouvelé par la glasnost, Gorlanova trouve sa place. En 1992, son récit Lioubov’v rezinovykh pertchatkakh (« l’amour en gants de caoutchouc ») est distingué en Russie comme à l’étranger, et, en 1995, Roman vospitaniia (« roman d’éducation ») est également remarqué en Russie. Les sujets de ses nouvelles et la présence (pudique) du corps féminin dans son œuvre ont rendu celle-ci extrêmement actuelle au moment où, dans les années 1990, la littérature féminine prend son essor en Russie. La forte dimension autobiographique de ses textes, comme l’utilisation du personnage de la fille adoptive, fait également écho à la découverte de la non-fiction par la littérature russe. Pourtant, elle reste une écrivaine classique dans tous les sens du terme. Ses personnages sont loin de se revendiquer du féminisme : la vie familiale est leur modèle d’harmonie, et l’érotisme est totalement absent. Elle est également très éloignée du postmodernisme : ses histoires sont vraisemblables, les personnages pourvus de motivations psychologiques, son univers est d’un réalisme qui touche au naturalisme. Dans la tradition de la nouvelle tchékhovienne, ses récits racontent des histoires simples de la vie des gens ordinaires, dans des textes empreints d’un grand humour et d’une grande tendresse.
Marie DELACROIX
■ Nouvelles de Perm, Paris, Lettres russes, 2010.
GORODEY, Déwé [PONÉRIHOUIN, NOUVELLE-CALÉDONIE 1949]
Écrivaine et femme politique néo-calédonnienne.
Fille et petite-fille de conteurs dans la tradition kanak, Déwé Gorodey est l’héritière d’une double tradition littéraire, orale mais aussi écrite. Elle poursuit ses études de lettres à Montpellier et se passionne pour les mouvements tiers-mondistes qui imprègnent profondément sa conscience politique comme son œuvre littéraire. De retour à Nouméa en 1974, elle milite activement pour la cause indépendantiste et fonde avec d’autres jeunes Kanak les Foulards rouges et le Groupe 1878, qui s’unissent en 1975 au sein du Parti de libération kanak (Palika). Elle est incarcérée pour son activisme. En 1983, elle s’implique dans le développement des écoles populaires kanak (EPK), où elle enseigne le paicî, sa langue maternelle. Dans son recueil de poèmes Sous les cendres des conques (1985), elle s’empare de la parole kanak et de la langue française pour s’insurger ; elle se tourne ensuite vers la nouvelle. L’écrivaine œuvre activement dans le processus de rapprochement des communautés, qui s’amorce dans les années 1990, en travaillant pour l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK) et en tant que vice-présidente du gouvernement calédonien. Son œuvre prolonge son action de femme, de mère et de conteuse. Elle redonne aux femmes mélanésiennes leur place dans la société et s’engage dans la lutte contre la violence, l’alcool et la drogue. L’écriture est pour elle un combat contre la déculturation.
Virginie SOULA
■ UtêMûrûnû, petite fleur de cocotier, Nouméa, Grain de sable/Édipop, 1994 ; L’Agenda, Nouméa, Grain de sable, 1996 ; Par les temps qui courent, Nouméa, Grain de sable, 1996 ; avec KURTOVITCH N., Dire le vrai, Nouméa, Grain de Sable, 1999 ; avec IHAGE W., Le Vol de la Parole, Nouméa, Édipop, 2002 ; L’Épave, Nouméa, Madrépores, 2005.
■ GASSER B., « Puissance de suggestion des trois “Nuits” de Déwé Gorodé » in Jouve D. (dir.), Écrire à la croisée des îles, des langues, Paris, L’Harmattan, 1999 ; RAMSAY R., « Speaking from her I-sland : The singular parti pris of insularity and ethnicity in the writing of Déwé Gorodé », in JOUVE D. (dir.) Écrire à la croisée des îles, des langues, Paris, L’Harmattan, 1999.
GORODISCHER, Angélica (née Angélica Beatriz DEL ROSARIO ARCAL) [BUENOS AIRES 1928]
Écrivaine argentine.
Issue d’une classe sociale aisée, éduquée dans l’interdit, elle épouse, malgré l’opposition de leurs deux familles, un architecte de culture juive avec lequel elle aura trois enfants et dont elle prend le nom pour se distinguer de sa mère, Angélica de Arcal, également écrivaine. Connue pour son humour et son franc-parler, Angélica Gorodischer explore de nombreux genres littéraires, dans une quête permanente d’originalité. Tour à tour poétique ou familier, empreint d’humour et d’ironie, son ton hybride déstabilise le lecteur. Sa réflexion féministe, développée dans l’essai Escritoras y escritura (« écrivaines et écriture », 1992), cosigné avec Ursula Le Guin*, l’amène à déconstruire les figures de l’autorité patriarcale et à mettre en scène des protagonistes féminines, tantôt indépendantes, rompant avec la représentation traditionnelle de la femme douce et maternelle (Cómo triunfar en la vida, « comment triompher dans la vie », 1998 ; Mala noche y parir hembra, « mauvaise nuit et accoucher d’une fille », 1983), tantôt dominées, mais sur le point de s’émanciper. Son roman Doquier (« n’importe où », 2002), où le sexe du narrateur n’est pas identifiable, donne un exemple de sa tentative de remise en question des catégories sexuelles et de leurs rôles sociaux. Elle a longtemps été considérée comme la première écrivaine argentine de science-fiction avec Trafalgar (1979) ou Kalpa imperial (1983), qui posent les problèmes des rapports de pouvoir et de domination dans un passé prémoderne ou un futur postapocalyptique. Pourtant, son œuvre éclectique va du recueil de recettes humoristiques (Locas por la cocina, « folles de cuisine », 1997) au récit policier (Jugo de mango, « jus de mangue », 1988 ; Fábula de la virgen y el bombero, « fable de la vierge et du pompier », 1993), en passant par le roman érotique (Querido amigo, « cher ami », 2006) ou l’autobiographie (Historia de mi madre, « histoire de ma mère », 2004), genres qu’elle déconstruit systématiquement. Le recueil A la tarde cuando llueve (« l’après-midi quand il pleut », 2007) regroupe les textes de ses conférences universitaires. Outre de nombreux prix littéraires, elle a reçu, en 1996, le prix Dignité de l’Assemblée permanente pour les droits humains pour son action en faveur des droits des femmes.
Maya DESMARAIS
■ BALBOA ECHEVERRÍA M., GIMBERNAT GONZÁLEZ E. (dir.), Boca de dama, la narrativa de Angélica Gorodischer, Buenos Aires, Feminaria Editora, 1995 ; VÉLEZ GARCÍA J. R., Angélica Gorodischer, fantasía y metafísica, Séville, Consejo Superior de investigaciones científicas/Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 2007.
GOROG, Françoise [XXe siècle]
Psychanalyste française.
Psychiatre, docteure en psychopathologie et psychanalyse, Françoise Gorog fait une analyse avec Jacques Lacan et devient membre de l’École freudienne de Paris (EFP). En 2008, elle soutient sa thèse de doctorat, Figures féminines dans la psychose et la perversion, à l’université Paris-VII-Denis-Diderot. En 1984, elle est la première femme à occuper le poste de chef de service à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne de Paris. Elle y impulse à la fin des années 1990 le Collectif de recherche analytique (CORA), qui, couplé à la revue Corrélats qu’elle dirige, offre un cadre pour la recherche et l’enseignement de la psychanalyse sous forme de séminaires annuels, où philosophes et psychanalystes sont invités à dialoguer. En 2011, face à la crise sociale et économique, elle crée l’Institut hospitalier de psychanalyse (IHPSA), en s’inspirant de l’Institut de Berlin où, dès 1920, des consultations gratuites de psychanalyse avaient été mises en place dans le contexte difficile de l’après-guerre. Les consultations se font dans les principales langues européennes, mais également en chinois compte tenu de l’importante population chinoise alentour. Lieu de transmission de la pratique et des concepts de la psychanalyse au travers d’activités de formation, d’enseignement et de recherche, l’IHPSA est ouvert à tous les courants de la psychanalyse, à de multiples disciplines scientifiques, ainsi qu’à des intervenants d’autres pays et d’autres cultures. Elle a participé à plusieurs ouvrages collectifs et fait partie en outre de la commission « Philosophie, psychanalyse » au Centre national du livre et de l’équipe du centre de recherche « Psychanalyse et médecine » rattaché à l’école doctorale de l’université Paris-VII-Diderot
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ Avec AKISKAL A., FÉLINE A., HARDY P., et al., Psychoses maniaco-dépressives, Paris, Doin, 1992. « Subversion de la psychose », in Lacan dans le siècle (Forum du champ lacanien dir.), Paris, Éd. du champ lacanien, 2002.
GORRIS, Marleen [ROERMOND, LIMBOURG 1948]
Réalisatrice néerlandaise.
Après des études d’anglais et d’art dramatique à l’université d’Amsterdam, puis de réalisation à Birmingham, Marleen Gorris réalise, en 1982, De Stilte rond Christine M (« le silence autour de Christine M »), un premier long-métrage qui ne cherche ni la facilité ni le consensus. Il s’agit de l’histoire de trois femmes qui, ne se connaissant pas, volent des vêtements dans une boutique avant de tuer le commerçant qui les surprend, bouc-émissaire de toutes les humiliations qu’une société patriarcale leur a fait subir. Certains (principalement des hommes) reprochent au film sa violence (peu féminine, disent-ils) et sa vision négative de la gent masculine. Malgré les critiques, il connaît un grand succès et reçoit de nombreux prix à travers le monde, notamment aux Festivals d’Utrecht et du film de femmes de Créteil. M. Gorris travaille ensuite comme scénariste et réalisatrice pour la télévision hollandaise. Son cinéma montre des destins de femmes fortes en lutte contre les normes et les oppressions, sans édulcorer les violences physiques et morales qu’elles subissent. En 1996, elle est la première femme à obtenir l’Oscar du meilleur film étranger avec Antonia et ses filles (Antonia’s Line), distinction qui lui ouvre une carrière internationale. Suivront deux adaptations plus classiques : en 1997, Vanessa Redgrave* lui demande de réaliser Mrs Dalloway (d’après le roman de Virginia Woolf*), qui sera suivi en 2000 de La Défense Loujine (The Lhuzin Defence, d’après le livre de Vladimir Nabokov). M. Gorris revient vers la télévision en 2007 en dirigeant un épisode de la série The L Word.
Jennifer HAVE
GORRITI, Juana Manuela [SALTA 1816 - BUENOS AIRES 1892]
Écrivaine argentine.
Avec sa famille, qui s’oppose avec ferveur à la tyrannie de Juan Manuel de Rosas, Juana Manuela Gorriti quitte l’Argentine et voyage dans toute l’Amérique latine. Elle effectue son séjour le plus long à Lima, où elle s’installe après avoir quitté son mari – également père de ses deux filles –, le général Manuel Isidoro Belzú, caudillo (chef local) populaire et président de la Bolivie. Elle participe aux cercles littéraires de l’époque, dont la Bohème de Lima, qui la fait connaître, en publiant dans La revista de Lima sa nouvelle au contenu indigéniste « La quena » (nom d’une flûte andine) en 1848. J. M. Gorriti peut également compter, à distance, sur l’appui des romantiques argentins, qui trouvent dans ses fictions une affinité esthétique et idéologique. Ils la reconnaissent comme leur interlocutrice – à une époque où peu de femmes osent écrire et publier sous leur véritable nom –, notamment parce qu’elle a su narrer en termes littéraires deux grands épisodes historiques qui les intéressent : les guerres d’Indépendance et la guerre civile, comme dans Sueños y realidades (« rêves et réalités », 1865). Si l’intérêt des critiques est éveillé par la composante américaniste de ses récits, leur popularité vient du fait qu’elle a su imbriquer l’anecdote historique politique et le récit amoureux dans une adroite combinaison de romantisme et de mélodrame qui correspondait au goût de l’époque. Par ailleurs, le ton fortement autobiographique de ses textes (Panoramas de la vida, « panorama de la vie », 1876 ; El mundo de los recuerdos, « le monde des souvenirs », 1886 ; La tierra natal, « la terre natale », 1889 ; Misceláneas, « miscellanées » ; Lo íntimo, « l’intime », 1892) a contribué à transformer son histoire personnelle en une sorte de légende romantique qui a captivé son lectorat. Devenue une écrivaine à succès sur tout le continent, elle organise des soirées littéraires chez elle, de 1876 à 1877, réunissant de prestigieux hommes de lettres autour de jeunes écrivaines qui partagent leurs productions littéraires pour la première fois, à un moment où le débat au sujet du rôle des femmes dans la société est animé. Ces soirées sont aussi l’occasion d’une réflexion sur l’identité américaine et sur l’avenir des jeunes républiques du continent. À Buenos Aires, J. M. Gorriti fonde l’hebdomadaire La Alborada del Plata (« l’aube de la Plata »), prolongement de La Alborada (« l’aube »), revue qu’elle a dirigée auparavant à Lima. Son roman Oasis en la vida (« oasis dans la vie », 1888) marque son entrée dans le marché naissant de la consommation en Argentine : il est écrit à la demande d’une compagnie d’assurances qui cherche à faire sa publicité par le biais d’un livre.
Graciela BATTICUORE
GORSKA, Adrienne [MOSCOU 1899 - BEAULIEU-SUR-MER 1969]
Architecte française.
Russo-polonaise, Adrienne Gorska fuit Moscou en 1919 pour rejoindre Paris dans l’espoir de devenir ingénieure. Consciente des difficultés qu’une telle profession réserve aux femmes, elle choisit de s’inscrire à l’École spéciale d’architecture dont elle sort diplômée en 1922. Proche de Robert Mallet-Stevens, elle participe, en 1922 et en 1923, à la section d’Art urbain du salon d’Automne, dont elle est sociétaire. Les années suivantes, son activité est inconnue, et c’est à la tête d’une série de chantiers d’architecture d’intérieur destinés à l’élite étrangère résidant à Paris qu’on la retrouve à la fin de la décennie. Seule ou en collaboration avec la décoratrice Sarah Lipska (1882-1973), elle réaménage des intérieurs qui, s’ils sont clairement marqués par un langage Art déco, trahissent également son goût pour le vocabulaire moderne. 1930 est une année décisive : pour sa sœur, la peintre Tamara de Lempicka*, elle réalise une série de meubles en aluminium ou verre ainsi qu’un bar en chêne et nickel, dans le célèbre appartement-atelier de la rue Méchain ; l’ensemble est remarqué. Désormais reconnue, elle construit son premier immeuble rue Casimir-Pinel (Neuilly-sur-Seine), puis adhère en 1931 à l’Union des artistes modernes (UAM). Elle fait également la rencontre, déterminante pour son avenir, de Reginald Ford, le propriétaire des cinémas d’actualités Cinéac. Avec l’édification d’une quinzaine de Cinéac et d’une dizaine de cinémas en France et à l’étranger, elle en devient la spécialiste. Associée à son futur époux, l’architecte Pierre de Montaut (1892-1947), elle imagine des lieux de projection à la fois sobres et fonctionnels dont l’originalité réside dans le traitement des façades publicitaires lumineuses. Très attentif aux problèmes techniques, aux questions de circulation et d’accueil, le couple produit une architecture élégante et moderne. En 1935, ils bâtissent le premier complexe cinématographique français à Marseille, puis un ouvrage consacré à leurs réalisations paraît. A. Gorska aurait participé à la construction du pavillon polonais pour l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937 à Paris. En 1939, elle travaille avec son époux en Pologne. Après la guerre, elle continue à édifier des cinémas et signe également des magasins (Dames de France à Toulon, magasins Raoul à Paris), des garages, une station-service et une série de villas fonctionnelles et ensoleillées.
Élise KOERING
■ MONTAUT P. DE, Vingt salles de cinéma de Montaut et Gorska, Strasbourg, Société française d’éditions, 1937 ; RAGOIS A., Vers une nouvelle vision et conception de l’architecture cinématographique dans les années 1930, à travers l’œuvre de Pierre de Montaut et d’Adrienne Gorska, Paris, Université Paris IV-Sorbonne, 1999.
GÓRSKA, Anna (née TOŁWIŃSKA) [CRACOVIE 1914 - ZAKOPANE 2002]
Architecte et designer polonaise.
Après des études dans le département d’architecture de l’École polytechnique de Lwóv (aujourd’hui Lviv, Ukraine) de 1932 à 1934, puis de Varsovie, de 1934 à 1939, Anna Górska obtient son diplôme en 1945. Son œuvre architecturale et artistique est enracinée dans les riches traditions vernaculaires de la région montagneuse du Podhale et des Tatras. Ayant vécu dans le village de Zakopane, devenu à la fin du XIXe siècle le centre de la renaissance du style vernaculaire connu sous le nom de « style de Zakopane », elle s’est inspirée de sa vivante tradition de construction et d’artisanat pour contribuer à la naissance du style néo-Zakopane. L’intégration des bâtiments dans le paysage des Tatras caractérise plusieurs gîtes montagnards, comme les hôtels des vallées Kościeliska (1946-1948) et des Cinq-Lacs polonais (1948-1953), à la réalisation desquels elle a participé, ainsi que ceux qu’elle a créés seule dans la vallée Chochołowska (1952-1956) et sur le mont Turbacz (1952-1958). Ses constructions urbaines reflètent un même souci d’intégration des formes modernes dans leur environnement, comme l’illustrent à Zakopane l’école de tissage Helena-Modrzejewska (1976-1983), le motel de Kużnice (1953-1957) et, surtout, une rangée de maisons jumelles rue Jagiellońska (1960). Outre son métier d’architecte, elle exerce également celui de décoratrice d’intérieur et de créatrice de meubles, faisant revivre des éléments régionaux dans l’aménagement d’importants bâtiments de la région, comme, toujours à Zakopane, ceux de la maison du Tourisme (1958) et de l’hôtel d’État de Koziniec (1957), ainsi que de la maison du Podhale (Ludźmierz 1970-1976).
Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI
■ « Kultura i architektura w Zakopanem », in Orka, no 18, 1957 ; « Schroniska tatrzańskie », in Architektura, nos 4-5, 1971.
■ PIPREK M., « Anna Górska i schroniska tatrzańskie », in Magazyn Budowlany, mai 2000.
GORSKA, Joanna [POLOGNE 1976]
Graphiste polonaise.
Après avoir suivi les cours de l’Académie des beaux-arts de Gdansk, en Pologne, Joanna Gorska obtient une bourse pour partir étudier en France, à Paris, à l’Esag/Penninghen. Elle rejoint comme graphiste le studio Racownia (2001-2002), puis crée avec Jerzy Shakun son propre atelier, Homework, à Varsovie. La qualité et l’originalité de son travail lui valent plusieurs distinctions, parmi lesquelles, en 2002, une mention d’honneur à la Biennale internationale de l’affiche à Varsovie, et, en 2004, la médaille d’argent de la Biennale internationale d’affiches de Mexico. Dans la nouvelle génération de graphistes polonais, dans un pays où l’affiche est considérée comme l’un des beaux-arts et où il est difficile de se faire un nom, J. Gorska a trouvé sa place par la puissante évocation de ses images. Ses projets, principalement culturels, entrent dans cette tradition de l’école polonaise de l’affiche caractérisée par une expression picturale forte et une typographie composée autour du visuel. Pas de grille, mais une poésie surréaliste mêlée à une écriture contemporaine et numérique. « Je travaille à la maison, donc la vie professionnelle et la vie de famille se mélangent, en faisant la cuisine, je pense aux projets. »
Margo ROUARD-SNOWMAN
GOSLAR, Lotte [DRESDE 1907 - GREAT BARRINGTON 1997]
Danseuse, chorégraphe et mime américaine.
Adolescente, Lotte Goslar étudie avec Gret Palucca*, pour qui elle nourrit toute sa vie une immense admiration. Au sein de sa compagnie, elle l’accompagne aux percussions et y présente ses premiers solos. Elle est ensuite invitée à Berlin où ses numéros rencontrent un vif succès. En tournée en mars 1933, à Prague où on la surnomme « le clown dansant », elle apprend l’accession au pouvoir d’Hitler et décide de ne pas rentrer en Allemagne. Pendant presque deux ans, elle tourne avec le spectacle du Moulin à poivre, cabaret satirique antifasciste créé à Zurich par Erika Mann, fille de Thomas Mann, avec lequel elle arrive aux États-Unis en 1937. Danseuse et chorégraphe à New York et sur la côte Ouest, elle se lie d’amitié avec Agnes De Mille*, travaille avec Erwin Piscator (King Lear, 1940), mais connaît aussi des moments difficiles. Partie rejoindre le Turnabout Theater à Hollywood pour trois mois en 1943, elle y reste dix ans. C’est là qu’elle rencontre Charles Laughton et Berthold Brecht. En 1947, elle collabore avec eux lors de la création américaine de La Vie de Galilée. Revenue sur la côte Est en 1954, elle fonde le Pantomime Circus et se produit pendant trente ans en Europe et aux États-Unis. Se démarquant vite de l’expressionnisme de G. Palucca ou des numéros grotesques de Valeska Gert, elle crée un personnage de clown féminin à multiples visages et une forme originale de mime chorégraphié empreint d’humour et d’amour de la vie. Qu’elle mette en scène une fleur (Vie d’une fleur), un lion (Scène de cirque, livret de Brecht) ou tous les âges de la vie (son célèbre solo Grandma Always danced), ses créations reflètent l’humanisme qui détermine l’ensemble de son parcours personnel et artistique.
Virginie GARANDEAU
■ What’s So Funny ? Sketches from My Life, Amsterdam, Harwood Academic Publishers, 1998.
GOSTIEVA, Anastasia [MOSCOU 1975]
Écrivaine russe.
Diplômée de la faculté de physique de l’Université d’État de Moscou, Anastasia Sergueïevna Gostieva commence à publier des poèmes dans la revue Znamia à la suite d’une rencontre avec Tatiana Bek*. En 1997, elle publie Dotch’samouraïa (« la fille du samouraï »), un roman inspiré de sa propre jeunesse, puis en 2001 un récit de voyages consécutif à un séjour en Inde et en Europe occidentale, Travel agnets (« travel Agnus Dei »). Dans ces deux textes, qui reprennent l’idée d’une confrontation entre l’Est et l’Ouest, elle réfléchit à la place de la Russie dans le nouveau paysage mondial. La « fille du samouraï » décrit son univers comme celui d’un clan fermé de héros inhumains dont les fils sont devenus des hommes d’affaires : étouffée, elle s’enfuit, pour découvrir la stérilité du « village européen ». Travel agnets prolonge cette réflexion : au rejet de l’Europe succède l’immersion dans l’exotisme indien, où la narratrice est en quête d’une révélation mystique. Elle cherche à traduire le sentiment d’un changement d’époque, tel qu’il est plus ou moins ressenti par un Occidental ordinaire. Elle n’oublie pas sa formation scientifique et emprunte à la physique des images dont elle veut faire des modèles descriptifs de la société, où la place de l’individu est devenue « nanométrique ».
Marie DELACROIX
GOTKOVSKY, Ida [CALAIS 1933]
Compositrice et pianiste française.
Ida Gotkovsky a ressenti dès l’enfance le désir de créer et, née dans une famille de musiciens, elle a entrepris tôt des études au Conservatoire de Paris où elle a obtenu de nombreux premiers prix. En tant que pianiste, elle a participé à des concerts prestigieux, jouant notamment avec sa sœur Nell au Festival de Salzbourg et interprétant plusieurs fois ses propres œuvres. De grande culture, elle se plaît à faire partager sa vision d’une synergie entre les arts, qui répond à son souhait de témoigner d’une charge vitale universelle et intemporelle. Dans ses pages orchestrales apparaît dès le début une matière puissante et colorée, la presque totalité de sa production s’adressant à des formations symphoniques ou lyriques. Plusieurs titres de ses œuvres suffisent à évoquer les souffles multiples qui les animent : Escapades (1958), Poème du feu (1978), Symphonie de printemps (1988), Danses rituelles (1988), Le Chant de la forêt (1989). Une structuration très maîtrisée organise ces pièces ainsi que celles, nombreuses, destinées à des formations avec solistes : concertos pour deux violons, pour saxophone, pour clarinette, pour cor ainsi que deux concertos pour trompette. Musique vocale (elle travaille actuellement à un opéra) et musique de chambre (trois trios, quatre quatuors et un quintette) complètent le catalogue de cette compositrice, dont le Quatuor à cordes avec piano a été créé en 2008 au Festival de Sceaux.
Pierrette GERMAIN
■ BAKER T., SLONIMSKY N., Dictionnaire biographique des musiciens, Paris, R. Laffont, 1995.
GOTTSCHED, Luise (née KULMUS) [DANTZIG, AUJ. GDAŃSK 1713 - LEIPZIG 1762]
Femme de lettres allemande.
Fille de Johann Georg Kulmus, médecin personnel du roi de Pologne, Luise Adelgunde Victoria Gottsched reçoit une bonne éducation : les langues la fascinent et elle compose déjà des poèmes à 11 ans. En 1735, elle épouse Johann Christoph Gottsched, professeur de poésie et de rhétorique. Leur union restera sans enfants. Les époux vivent à Leipzig en évoluant toujours davantage vers une communauté de pensée et de travail très productive. « L’amie très adroite » de J. C. Gottsched se révèle être une femme de lettres et une traductrice habile, qui exécute aussi pour lui des travaux de secrétariat, s’occupe de sa bibliothèque, de sa correspondance tout en collaborant à ses projets scientifiques. Elle voyage rarement : en 1749, elle fait un séjour à Vienne, où l’impératrice Marie-Thérèse lui accorde une audience privée. Largement modelée par sa fréquentation des textes issus des discussions entre les auteurs européens des Lumières, la « Gottschedin » a pris une part importante aux projets de réforme de son mari, mais difficile à préciser. Ses contributions ont comme orientation le classicisme français et la philosophie de Wolff, et se rapportent à la pratique du théâtre ainsi qu’à l’usage formel de la langue et à ses prémices théoriques. Comme traductrice ou collaboratrice de revues hebdomadaires moralisantes (Der Zuschauer, 1739-1743 ; Der Aufseher, 1745), elle participe à la vie intellectuelle de son époque. Il arrive que sa veine profondément satirique soit reconnue comme telle. Outre la traduction de nombreux articles du Dictionnaire de Pierre Bayle, son regard de témoin culturel se porte de préférence sur les comédies françaises. En tant qu’auteure, sa capacité d’expression surpasse nettement celle de son mari, d’où sa part très importante dans la Deutsche Schaubühne que fait paraître J. C. Gottsched entre 1740 et 1745. Cette dernière comprend notamment cinq comédies propres, une traduction du Zaïre (1741) de Voltaire, une adaptation de la Cornélie, mère des Gracques (1741) de Marie-Anne Barbier* ainsi qu’une tragédie originale, Panthée (1744). Son exemple permet de mesurer les limites des possibilités féminines de cette époque. À l’ombre de la renommée de son époux et « collaboratrice » à vie, elle doit à l’évidence fournir des fonctions de service qui marginalisent sa propre existence d’intellectuelle. Il est par ailleurs vrai qu’elle a obtenu une vaste reconnaissance pour ses écrits (par exemple de Voltaire et de Frédéric II).
Anett LÜTTEKEN
■ Luise Gottsched, « mit der Feder in der Hand », Briefe aus den Jahren 1730-1762, Kording I. (dir.), Darmstadt, WBG, 1999.
■ KORD S., Little Detours, The Letters and Plays of Luise Gottsched (1713-1762), Rochester, Camden House, 2000 ; BALL G. et al., Diskurse der Aufklärung, Luise Adelgunde Victorie und Johann Christoph Gottsched, Wiesbaden, Harrassowitz, 2006.
GOUBAÏDOULINA, Sofia [TCHISTOPOL 1931]
Compositrice russe.
D’origine tatare, Sofia Asgatovna Goubaïdoulina habite à Kazan, avec sa famille, dès 1934. Elle y étudie le piano, puis la composition à Moscou avec Nikolaï Pelko ; elle soutient sa thèse avec Vissarion Chébaline, en 1961. À Moscou, où elle vit sans poste officiel, elle découvre Serge Prokofiev et Dimitri Chostakovitch. Ses premières compositions gardent l’influence de ses aînés, mais dès 1962, avec sa Cantate pour piano, elle suit le mouvement sériel et se joint au petit groupe de novateurs qui compte entre autres Edison Denisov, Alfred Schnittke et Arvo Pärt. Reconnue tardivement, elle travaille cependant avec de jeunes interprètes soviétiques, dont Oleg Kogan. Parmi ses expériences figurent Vivente non vivente pour synthétiseur (1970) et Concordanza (1971), une œuvre qui unit des instruments solistes et harmonise des matériaux très différents. Influencée par Chostakovitch et Webern, elle aime aussi Gesualdo et Schoenberg. En 1998, elle compose À l’ombre de l’arbre, pour koto, koto basse, cheng et orchestre. Son œuvre a été récompensée à de nombreuses reprises. Atonalisme, sérialisme, éléments folkloriques, collages, elle emprunte divers chemins, sans perdre son unité. À Paris, salle Pleyel, en 2000, pour la création française du Concerto pour alto et orchestre, le thème du double, souvent présent dans sa musique, est concrétisé par la présence de deux orchestres imbriqués, dont l’un, traditionnel, est comme un souvenir obsédant que rien ne fait taire. C’est la Société Bach qui lui commande la Passion selon saint Jean, en 2000. Dans cet oratorio pour orchestre, deux chœurs, quatre solistes et orgue, dans lequel s’entendent de sombres cloches, la pulsation violente de l’orgue, la voix de basse énonçant le texte évangélique, des chants psalmodiés recto-tono, S. Goubaïdoulina a ressenti la difficulté d’une Passion en langue russe, la tradition orthodoxe russe n’autorisant pas l’utilisation des instruments. S. Goubaïdoulina compose pour instruments solistes, musique de chambre, voix, percussion. Cependant les œuvres pour grand orchestre l’attirent davantage : Le Cavalier au blanc cheval (2002), La Lumière de la fin, pour flûte et grand orchestre (2003), puis La Lyre d’Orphée, pour violon, percussion et cordes (2005), Tempus praesens, concerto pour violon et orchestre (2007). L’imaginaire est de plus en plus riche, l’expression puissante, entre la lumière solitaire du violon et l’obsession de la souffrance. S. Goubaïdoulina vit actuellement en Allemagne, près de Hambourg.
Martine CADIEU
■ DI VANNI J., Trente ans de musique soviétique, Arles, Actes Sud, 1987.
GOUDGE, Elizabeth [WELLS, SOMERSET 1900 - HENLEY-ON-THAMES 1984]
Romancière britannique.
Fille unique née dans une famille aisée, Elizabeth Goudge reçoit une éducation privée, en particulier chez ses grands-parents qui vivent dans les îles anglo-normandes, décor que l’on retrouve dans ses œuvres. À Oxford, elle écrit trois pièces de théâtre que son éditeur refuse tout en l’encourageant à écrire des romans. En 1934, elle publie L’Arche dans la tempête. En 1939, à la mort de son père, elle se consacre totalement à l’écriture. En tout, elle écrit 17 romans, neuf livres pour enfants, 20 recueils de nouvelles, trois « vies romancées », dont une de saint François d’Assise, et une autobiographie (The Joy of the Snow : an Autobiography, « la joie que procure la neige », 1974). À la recherche de la magie de la vie quotidienne, elle mêle beauté naturelle et merveilleux, cadre parfait pour faire passer son message chrétien, sa foi dans la bonté de la nature humaine, dont elle voit la trace chez les enfants, pour qui elle écrit une vie romancée de Jésus. Tous ses personnages trouvent la rédemption dans le bien qu’ils font autour d’eux, le sacrifice de soi, la discipline et l’expérience de la souffrance, d’où son utilisation des mythes et légendes par lesquels elle donne une dimension spirituelle à son propos.
Michel REMY
■ L’Arche dans la tempête (Island Magic, 1934), Paris, Phébus, 1997 ; Les Amants d’Oxford (Towers in the Mist, 1938), Paris, Phébus, 2000 ; Le Domaine enchanté (The Bird in the Tree, 1940), Paris, GP, 1961 ; Le Secret de Moonacre (The Little White Horse, 1946), Hachette, 2009.
■ GOWER S., The World of Elizabeth Goudge, Periwinkle Publications, St Louis, 2001.
GOUGES, Olympe DE (Marie GOUZE, dite) [MONTAUBAN 1748 - PARIS 1793]
Femme de lettres et femme politique française.
D’après le registre de l’église de Montauban, Olympe de Gouges est la fille légitime de Pierre Gouze, boucher, et d’Anne-Olympe Mouisset, mais la rumeur publique désigne le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, célèbre antagoniste de Voltaire, et parrain de sa mère – son aîné de cinq ans – comme son géniteur. En 1766, après la mort de Louis-Yves Aubry, officier de bouche de l’intendant de Gourgues, épousé en 1765, Marie Gouze commence une nouvelle vie en se rebaptisant Olympe de Gouges. En 1767, sans renouveler l’expérience du mariage qu’elle qualifiait de « tombeau de la confiance et de l’amour », elle suit Jacques de Biétrix de Rozières, entrepreneur de transports militaires, à Paris. Femme de lettres engagée portant au travers de ses écrits littéraires un message politique, elle dédie les deux premiers tomes de ses œuvres complètes au duc d’Orléans, le troisième, en 1788, dédié au prince de Condé, contient pêle-mêle pièces, essais et contes. Ces diverses publications lui valent de figurer au titre d’auteur dramatique dans l’Almanach des Françaises célèbres (1789). Présentée sous un pseudonyme dès 1784, Zamore et Mirza ou l’heureux naufrage, pièce rebaptisée L’Esclavage des Noirs, est lue à la Comédie-Française en juin 1785 par François-René Molé, sur la recommandation de l’influente Mme de Montesson. Si le roman Le Prince philosophe est révélateur de sa posture entremêlant philanthropie et féminisme, elle doit sa célébrité à sa fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791). Monarchiste et démocrate, elle y interpelle aussi bien les hommes que les femmes sur leur engagement pour une société réellement nouvelle et juste. Si un certain nombre d’articles peuvent être lus comme la conjugaison au féminin des droits de l’homme proclamés deux ans auparavant, elle va plus loin en n’admettant aucune discrimination, même « positive », au nom d’une prétendue protection du sexe faible. En achevant sa Déclaration par un texte sur « la forme du contrat social de l’homme et de la femme », en revendiquant la démocratie dans la sphère dite privée, elle touche au cœur de la théorie politique des Lumières. Arrêtée et déférée au tribunal révolutionnaire le 6 août 1793, elle est dénoncée pour une affiche, avant même qu’elle soit placardée, demandant que chaque département puisse choisir le type de gouvernement qu’il souhaite afin d’éviter la guerre civile qu’elle redoutait. Selon la Feuille du Salut public du 27 brumaire an II : « Olympe de Gouges, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle commença par déraisonner et finit par adopter le projet des perfides qui voulaient diviser la France : elle voulut être homme d’État, et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. » Ainsi, la profondeur de l’accusation de trahison qui est portée contre elle est consubstantielle à son engagement féministe. Le 3 novembre 1793, quand Olympe de Gouges traversa la place de la Révolution pour être guillotinée, son article X résonna sans doute en elle avec une grande acuité : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune… »
Réjane SÉNAC
■ Olympe de Gouges, théâtre politique, 2 t., Paris, Côté Femmes, 1991-1993 ; Écrits politiques, 2 t., Paris, Côté Femmes, 2003.
■ BLANC O., Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, Bélaye, R. Viénet, 2003 ; PISANO L., VEAUVY C., Paroles oubliées : les femmes et la construction de l’État-nation en France et en Italie (1789-1860), Paris, A. Colin, 1997.
LE GOULAG SOVIÉTIQUE – TÉMOIGNAGES LITTÉRAIRES [Russie XXe siècle]
Des centaines de milliers de femmes ont passé des années au goulag, cet ensemble de camps et de prisons mis en place par le pouvoir soviétique. Elles y étaient minoritaires, puisqu’elles y auraient représenté, d’après l’historienne Anne Applebaum, 13 % des détenus en 1942, 30 % en 1945, 22 % en 1948, et 17 % en 1951-1952. La plupart d’entre elles étaient victimes, comme les hommes, d’accusations fabriquées de toutes pièces, et beaucoup avaient même pour seul tort d’être la femme ou la fille d’un « ennemi du peuple ». Des milliers demeuraient communistes, convaincues que, dans leur seul cas, une erreur avait été commise. Mais, au cœur même des camps, des femmes ont pris la résolution de raconter ce qu’elles et d’autres vivaient.
Le premier témoignage détaillé, rédigé sur le goulag par une ex-détenue politique, paraît dès 1949 en Occident : Déportée en Sibérie, de Margarete Buber-Neumann. Communiste allemande, l’auteure, arrêtée en 1938, démontre que des camps existent en URSS, et ne sont pas très différents des camps nazis où elle a été également prisonnière. Mais c’est surtout dans les années 1950, après la mort de Staline, que d’anciennes détenues soviétiques entreprennent de rédiger leurs souvenirs de camp, tout en étant convaincues qu’elles ne pourront pas les publier. Galina Serebriakova (1905-1980), fille et épouse de révolutionnaires, membre du Parti depuis l’âge de 14 ans, a passé vingt ans, entre 1937 et 1957, dans des camps et en relégation. Pour rien. En décembre 1962, elle redoute pourtant que le thème des camps puisse porter tort au Parti, et elle clame que le passé ne doit pas être trop exploré. À la même époque, elle n’en publie pas moins des souvenirs, dans lesquels elle raconte ses années à l’isolement, son désespoir et sa faim. Mais, toujours, elle rend gloire au communisme et remercie le Parti qui a mis fin aux répressions…
En 1963-1964, la censure bloque les textes sur les répressions staliniennes. Pendant plus de deux décennies, les souvenirs d’Evguenia Guinzbourg* – le témoignage le plus riche et le plus complet qu’une femme ait écrit sur le goulag – ne circuleront donc en URSS qu’en samizdat, alors qu’ils sont assez rapidement publiés en Occident. D’autres manuscrits restent cachés, sous les lits, dans les placards, au fond des jardins.
Avec la perestroïka, la société soviétique peut explorer de nouveau les purges staliniennes, et l’association Memorial réunit des archives privées sur le goulag. Les témoignages de femmes sont d’une fabuleuse richesse, mais, à quelques exceptions près, ils sont publiés en extraits dans des recueils collectifs. Plus ou moins longs, ils se ressemblent sur de nombreux plans : ils racontent les mêmes arrestations qui interrompent abruptement des vies paisibles ; ils décrivent les mêmes prisons, les mêmes transferts, les mêmes camps, les mêmes conditions de vie inhumaines qui sapent la santé de ces femmes. Le froid, les travaux pénibles, la sous-alimentation, la mort qui rôde sont toujours évoqués. Les humiliations, la violence, la dignité bafouée, aussi. L’intimité n’existe plus, la pudeur disparaît. Mais, souvent, ces souvenirs montrent aussi des moments d’amitié, des petits bonheurs, des occasions de survie.
La plupart des femmes dont les souvenirs émergent alors ont été emprisonnées dans la deuxième moitié des années 1930 et réhabilitées après la mort de Staline. C’est le cas de la comédienne Vera Choults, de la communiste tchèque Hella Frischer ou de Galina Voronskaïa, fille d’un écrivain célèbre. Mais certaines ont été arrêtées bien avant, voire du vivant de Lénine. Berta Babina-Nevskaïa l’a été en 1922, parce qu’elle faisait partie des socialistes révolutionnaires de gauche. Alexandra Bertsinskaïa a été accusée, en 1928, de défendre des positions trotskistes, et condamnée à trois ans de relégation. Pour d’autres femmes, la première arrestation est plus tardive : 1947 pour Tatiana Lechtchenko-Soukhomlina ; la fin des années 1940 pour Tatiana Okounevskaïa, une actrice célèbre qui publiera, en 1998, un livre de souvenirs, largement consacré à son arrestation et à sa détention.
Des témoignages sur les camps des années 1960, 1970 et 1980 sont également publiés à partir de la perestroïka. L’un des plus complets est le récit que la poétesse Irina Ratouchinskaïa fait de ses quatre années de détention. Elle a été arrêtée sous Brejnev, condamnée sous Andropov et libérée sous Gorbatchev, mais, par de nombreux détails, son texte renvoie implicitement à d’autres, décrivant la situation sous Staline. La différence majeure, c’est que les détenues politiques des années 1980 connaissent leurs droits, revendiquent, protestent et se battent pour rester elles-mêmes. En 1995, l’une d’elles, la dissidente Zoïa Krakhmalnikova, publie ses souvenirs de prison. Examinant cette expérience à la lumière de sa foi, elle souligne l’échec du système soviétique qui a jeté son peuple en prison pour le transformer de force.
Cécile VAISSIÉ
■ ADAMOVA-SLIOZBERG O., BABINA-NEVSKAÏA B., GRANKINA N. et al., L’Aujourd’hui blessé, Lagrasse, Verdier, 1997 ; BUBER-NEUMANN M., Déportée en Sibérie, Paris, Seuil, 1949 ; KERSNOVSKAÏA E., Coupable de rien, chronique illustrée de ma vie au goulag, Paris, Plon, 1994 ; RATOUCHINSKAÏA I., Grise est la couleur de l’espoir, Paris, Plon, 1989.
■ VAISSIÉ C., Les Ingénieurs des âmes en chef, littérature et politique en URSS (1944-1986), Paris, Belin, 2008.
GOULLI, Sophie EL- [SOUSSE 1937]
Poétesse et romancière tunisienne.
Agrégée de lettres modernes, Sophie el-Goulli est aussi licenciée d’anglais et titulaire d’une thèse d’art et d’archéologie soutenue en Sorbonne. De retour à Tunis, en 1956, elle enseigne dans le secondaire puis donne des cours d’histoire de l’art à l’École des beaux-arts de Tunis. Bien qu’elle ait commencé à écrire très tôt, elle n’a publié son premier recueil de poésie, Signes, qu’en 1973. Nos rêves (1974) regroupe des poèmes qui cultivent la féerie et dont la tonalité plutôt légère contraste avec le caractère souvent tragique de la poésie de l’auteure. Le « besoin de se dire » travaille également les recueils suivants (Vertige solaire, 1975 ; Lyriques, 1989 ; Cantate, 2006) et manifeste un mal-être que sa poésie tente de surmonter par l’évasion dans le monde du rêve. Dans le domaine de la prose, elle a pratiqué aussi bien le conte pour enfants (Le Roi qui s’ennuyait, Le Joueur d’échecs, Le Soleil et la Pluie, 1982) que le roman. Les Mystères de Tunis (1993) est un roman populaire, paru d’abord en feuilleton, où la romancière revisite un passé récent, celui du début du protectorat français en Tunisie, entre 1881 et 1920. Il sera suivi d’un second tome, Le Temps de l’éveil (2010), qui aura pour cadre les années 1920-1940. Dans son premier roman, tout en dénonçant les violences de la colonisation, S. el-Goulli donne à voir une Tunisie multiculturelle où les citoyens, quoique d’origines et de confessions différentes, cohabitaient pacifiquement. Le cosmopolitisme est considéré par l’auteure comme un enrichissement culturel en dépit des injustices générées par la colonisation. Pour elle, ce passé est d’autant plus nostalgique qu’il contraste avec un présent marqué par l’intolérance et l’absence d’ouverture à l’autre. Dans Hashtart, à la naissance de Carthage (2004), S. el-Goulli prône de nouveau le mariage des cultures en faisant appel au lointain passé de la Tunisie ainsi qu’à la mythologie grecque.
Sabiha BOUGUERRA
■ Ammar Farhat et son œuvre, Tunis, Union internationale des banques, 1979.
GOUR, Batya [TEL-AVIV 1947 - ID. 2005]
Romancière israélienne.
Batya Gour est née de parents rescapés de la Shoah. Après des études de littérature et d’histoire, elle enseigne la littérature et le cinéma et collabore au quotidien Haaretz en tant que critique littéraire. Elle est surtout connue, avec Shoulamit Lapid*, comme la mère du roman policier israélien, genre qu’elle a remis au goût du jour dans les années 1980 alors qu’il avait disparu de la scène littéraire au moment de la création de l’État d’Israël. Le héros de ses romans policiers, tous traduits en français, est le détective Michaël Ohayon, né au Maroc et ayant immigré en Israël à l’âge de 3 ans, peu après la proclamation de l’État hébreu (1948). Symbole du « nouvel homme juif » selon la vision de l’idéologie sioniste, notre détective possède tous les atouts du héros charismatique toutefois hanté par une dépression chronique, traduction métaphorique d’Israël : un pays fort secoué de crises. Car c’est au sein des couches privilégiées de cette société, dans le milieu d’une élite fondatrice de l’idéologie nationale impossible, jusque-là, à remettre en cause, que le détective va enquêter. Le Meurtre du samedi matin pénètre les arcanes d’un institut psychanalytique dont les vénérés membres se trouvent ébranlés par l’assassinat d’une célèbre analyste à la veille d’une de ses conférences. Meurtre à l’université se déroule au sein d’une intelligentsia en proie à des rivalités entre professeurs renommés plein de rancœurs et de ressentiments. Meurtre au kibboutz confronte les fondateurs de l’État à une nouvelle génération désireuse de nouveautés et de changements. Meurtre au Philharmonique voit la dilution d’une famille de musiciens et le combat de deux frères autour d’une partition de Vivaldi retrouvée dans un vieux meuble. Meurtre sur la route de Bethléem traite de la tragique incompréhension entre les différentes communautés qui forment le peuple israélien, celles issues de l’Europe orientale et celles venues des pays arabes. Enfin, Meurtre en direct illustre les tensions dans le milieu cinématographique. Considérés comme philosophiques et psychologiques, les romans policiers de B. Gour placent au premier plan la morale et traduisent l’engagement politique de leur auteure.
Patricia AZÉRAD
■ Le Meurtre du samedi matin (Retsah be-shabbat ba-boqer, 1988), Paris, Gallimard, 2007 ; Meurtre à l’université (Mavet ba-hug le-sifrut, 1989), Paris, Gallimard, 2007 ; Meurtre au kibboutz (Linah meshouttefet, 1991), Paris, Gallimard, 2006 ; Meurtre au Philharmonique (Ha-merhaq ha-nakhon, 1996), Paris, Gallimard, 2007 ; Meurtre sur la route de Bethléem (Retsah ba-derekh beit-lehem, 2001), Paris, Gallimard, 2006 ; Meurtre en direct (Retsach, metsallemim, 2004), Paris, Gallimard, 2006.
GOURÉVITCH, Lioubov IAKOVLEVNA (dite L. GOREV) [SAINT-PÉTERSBOURG 1866 - MOSCOU 1940]
Journaliste, écrivaine et traductrice russe.
Femme de lettres progressiste et anticonformiste, Lioubov Iakovlevna Gourévitch étudie l’histoire et la philologie. Féministe active, elle assume son statut de mère célibataire. Lors d’un voyage à Paris, en 1887, elle découvre le célèbre journal intime de Marie Bashkirtseff*, morte en 1884. Il lui inspire ses premiers articles qu’elle publie dans Novoié vremia (« le nouveau temps ») et Rousskoïé bogatstvo (« la richesse russe »). Puis elle en traduit des extraits dans Severni vestnik (« le messager du Nord »). Cette revue, dont elle intègre la rédaction et qu’elle rachète en 1891, est la première en Russie à défendre l’idéalisme philosophique et le symbolisme littéraire. Elle y fait travailler des auteurs célèbres. En 1897, elle publie des fragments de Lou Andreas-Salomé* consacrés à Nietzsche, dont l’œuvre sera interdite en Russie. L’année suivante, la revue, endettée, censurée et poursuivie, ferme ses portes. La carrière de L. I. Gourévitch se poursuit alors dans d’autres journaux et par la publication de nouvelles, d’un roman, de revues de presse et de critiques d’ouvrages (sous le pseudonyme de L. Gorev), mais aussi de traductions d’auteurs classiques français et allemands. Vers le milieu des années 1900, ses intérêts se portent principalement sur la littérature, et plus particulièrement sur le théâtre, notamment sur les pièces de Tchekhov et ses mises en scène. Amie de Constantin Stanislavski, elle se passionne pour ses spectacles, lui consacre un ouvrage et corrige ses livres. Ses écrits consacrés au théâtre et à la littérature sont réunis dans La Littérature et l’Esthétique (1912). Juste après la Révolution, elle collabore aux théâtres de Petrograd, puis de Moscou. Son dernier travail, en 1939, porte sur l’histoire de la vie quotidienne du théâtre russe.
Tatiana SOLODOVNIKOVA
GOURNAY, Marie LE JARS DE [PARIS 1565 - ID. 1645]
Écrivaine française.
En 1588, une jeune femme de 23 ans nommée Marie Le Jars rend visite à Montaigne. Les Essais, encore peu connus, lui sont tombés par hasard entre les mains et elle veut lui dire l’admiration qui l’a saisie à leur lecture. Cette visite est une seconde naissance dont découlera toute la vie future de M. Le Jars. C’est aussi un coup de force, le premier d’une longue série de gestes par lesquels elle tente de s’inventer une identité interdite : celle d’un être qui pense, écrit et publie. En gagnant l’affection de Montaigne, elle réinvente sa filiation : elle sera certes Marie de Gournay (du nom d’une terre acquise par son père en 1568, mais vendue dès 1608 – l’ascension de la famille s’arrête avant l’accession à la noblesse), mais surtout « fille d’alliance », fille adoptive de l’écrivain. Cette identité choisie, que semble accepter Montaigne, est consacrée par une page élogieuse de l’érudit hollandais Juste Lipse - qui assure sa première notoriété en la désignant comme monstrum, ce qui se traduit par « prodige », mais aussi par « monstre » : éloge ambivalent, comme beaucoup de ceux qui lui seront adressés. La femme et la fille de Montaigne, après la mort de l’auteur en 1592, confient à M. de Gournay la responsabilité de la publication posthume des Essais. C’est donc comme « fille d’alliance » qu’elle s’engage dans la carrière des lettres : l’audace et l’indépendance qu’elle ne cessera de revendiquer s’appuient sur le respect d’autorités, mais d’autorités librement sélectionnées – Montaigne, Ronsard, ainsi que quelques auteurs antiques. Si elle commence par des travaux d’édition et de commentaire ou encore de traduction de textes anciens, c’est pour s’attribuer un pouvoir maximal d’invention personnelle, avec la plus grande distance par rapport aux normes de son temps. Son œuvre touche à une grande variété de genres (récit, poésie, éloquence, traité, commentaire littéraire…) et de sujets (morale, philosophie, poétique, politique), même et surtout s’ils sont clairement marqués comme masculins. Précocement reconnue, M. de Gournay se fraie peu à peu une place dans la société lettrée, mais elle est aussi durablement tournée en figure de farce par la misogynie ambiante et fait l’objet, pendant des années, de satires insultantes et de canulars humiliants. C’est que la valorisation du féminin est fréquente en ce début du XVIIe siècle, et le déplacement de la vie culturelle vers les salons mondains conduit à l’exaltation de vertus supposées féminines, qui s’imposent aux hommes mêmes : élégance, douceur, raffinement. Ce féminisme mondain est néanmoins aux antipodes de la position constante de l’écrivaine qui récuse, par sa vie comme dans son œuvre, toute définition conventionnelle du féminin. Sur le plan biographique, elle ne néglige pas seulement mariage et maternité, mais préfère revendiquer sagesse et courage plutôt que d’incarner délicatesse et galanterie. Elle cherche à « faire carrière » dans les lettres comme un homme, au lieu d’écrire dans un cercle mondain à la manière des femmes lettrées de son temps. Sur le plan des idées, elle pose le principe d’un égalitarisme radical, non seulement entre hommes et femmes, mais aussi entre l’élite sociale et le peuple : la destruction des catégories sociales essentialisées s’étend, en droit, à tous les domaines. C’est selon elle par l’éducation, et non par la nature, que se forge la supériorité de certains. Le lieu de la différence est ainsi déplacé du groupe à l’individu, qui accomplit sa dignité humaine lorsqu’il s’élève au-dessus des règles collectives. Les mêmes principes régissent sa conception du langage et de la littérature. Les valeurs montantes de la sociabilité mondaine tendent à rejeter la poésie, comme réinvention personnelle de la langue, au profit de la grammaire, qui règle l’échange collectif. M. de Gournay fait partie des rares auteurs qui s’obstinent à défendre la puissance de la création poétique, la liberté d’imaginer des mots nouveaux, d’unir les contraires par la métaphore, de sublimer le langage commun par le poème héroïque. Pour elle, la poésie est, par excellence, le lieu d’une différence ouverte universellement à chacun.
Bérengère PARMENTIER
■ Œuvres complètes, 2 vol., Arnould J.-C. (dir.), Paris, H. Champion, 2002.
■ FOGEL M., Marie de Gournay, Paris, Fayard, 2004.
GOURO, Elena (Eleonora GENRIKHOVNA VON NOTENBERG, dite) [SAINT-PÉTERSBOURG 1877 - USIKIRKO, FINLANDE 1913]
Peintre et poétesse russe.
Dans la Russie du début du XXe siècle, Elena Gouro mène une carrière ancrée dans l’avant-garde. Fille d’un officier de haut rang, elle reçoit une éducation artistique dans l’atelier de l’impressionniste polonais Ian Tsionglinski, où elle rencontre son mari, le compositeur Mikhaïl Matiouchine. En 1906-1907, elle étudie la peinture auprès de Léon Bakst et de Mstislav Doboujinski, des artistes appartenant au cercle du Mir Iskousstva (« monde de l’art »). Ses premières toiles sont exécutées dans un style inspiré du primitivisme : traits épais, couleurs vives. Parallèlement, elle lit – le poète belge de langue française Émile Verhaeren et les symbolistes russes comme Aleksandr Blok et Andreï Belyï – et elle écrit des poèmes et des pièces de théâtre. Elle participe avec son mari à la formation du premier groupe futuriste russe. De 1910 à 1913, elle expose ses toiles dans quelques manifestations et écrit pour le deuxième almanach – Sadok soudeïII (« le vivier aux juges II ») – un poème, « Vetrogon, soumabrod, letatel » (« virevoltant, lunatique, papillonnant »), considéré comme le manifeste du mouvement. En 1912, elle publie son deuxième recueil, Osenny son (« songe d’automne »), plus éloigné de l’esthétique futuriste : elle y déploie une écriture mystique et laconique en vers libres empreints d’hermétisme. Lorsque la jeune femme s’éteint dans sa datcha finlandaise, foudroyée par une leucémie, les futuristes Velimir Khlebnikov et Alexeï Kroutchenykh lui consacrent un recueil, Troe (« les trois »), illustré de lithographies de Kazimir Malevitch. L’œuvre d’E. Gouro bénéficie d’un regain d’intérêt à partir des années 1970. Ses écrits sont réédités à Stockholm (Selected Prose and Poetry, 1988) et à Berkeley, mais ne le seront en Russie qu’après l’effondrement de l’Union soviétique.
Ada ACKERMAN
■ MARKOV V., Russian Futurism : A History, Washington, New Academia Publishing, 2010 ; TROELS A., GRIGORIEVA K. (dir.), Art et poésie russes, 1900-1930, textes choisis, Paris, Musée national d’Art moderne, 1979.
GOUROUS [Inde depuis le Ier siècle av. J.-C.]
Le terme « gourelle » est un néologisme apparu à la fin du siècle dernier qui désigne, parfois avec une pointe d’ironie, des femmes jouant le rôle de « maîtresses spirituelles » dans les milieux du Nouvel Âge (New Age). Ici le féminin francisé du mot gourou sera utilisé dans son sens premier tel qu’il est perçu dans la culture indienne. Contrairement aux prêtres, qui président aux rituels, les gourous n’ont pas de charge officielle dans les temples. Mais ils jouent un rôle très important en tant que conseillers et guides religieux puisqu’ils sont, pour leurs disciples, l’incarnation de l’expérience spirituelle. Ils enseignent souvent des techniques de yoga et de méditation et essaient de transmettre un peu de cette compréhension spirituelle. Les femmes n’ont pas coutume d’assumer ce genre de fonction, même s’il y a des exceptions, surtout de nos jours. Peu de textes à ce sujet, hormis la littérature apologétique, sont disponibles en français.
Les gourelles actuelles ont sans doute hérité du charisme de leurs ancêtres poétesses de l’Inde pré-moderne qui proclamaient leur amour du divin en des chants particulièrement envoûtants, se mettant ainsi en faux par rapport aux exigences mondaines et aux conventions sociales. Le premier recueil de poèmes attribué à des femmes en Inde, le Therigatha, transcrit au Ier siècle av. J.-C. après de longues années de transmission orale, a été écrit par des nonnes bouddhistes vantant les bénéfices, pour les femmes, à embrasser la nouvelle religion comme moyen de s’affranchir d’un système social oppressant. Dans la tradition hindoue également, à partir du Ve siècle, des femmes exaltent le chemin spirituel qui vise à se libérer des obstacles terrestres et à transcender les limites du corps. Certaines se sont exprimées dans une langue séculière plus accessible au grand nombre, comme Karaikkal Ammaiar qui vécut aux alentours du Ve siècle dans le sud de l’Inde, ou la Bengalie du XVIe siècle, Shandravati, qui raconta l’épopée du Ramayana selon une perspective féminine. La vishnuite du IXe siècle Antal, encore très révérée aujourd’hui dans le Tamil Nadu comme une fervente dévote de Krishna, ainsi que la shivaïte du XIIe siècle, Mahadevi Âkkâ, dont les poèmes d’amour pour le divin, métaphore de l’amour humain, s’expriment dans un style emprunté à la langue religieuse. Il en est de même de l’œuvre de la Kashmirie Lâllâ Yogesvari à la verve philosophique, et de la princesse du Rajasthan Mirabai, sans doute la plus connue des poétesses mystiques dont les nombreux chants dévotionnels à Krishna, bien que datant du XVe siècle, émeuvent toujours les foules.
Aujourd’hui, si les gourelles restent minoritaires, certaines exercent néanmoins une influence grandissante dans le monde hindouiste. Il est vrai que l’hindouisme classique ne favorise guère l’accès des femmes à des places de premier plan, mais les cantonne aux rôles subalternes qui leur sont traditionnellement dévolus. Les gourelles, à de rares exceptions près, s’inscrivent dans la mouvance de la dévotion (bakhti) qui depuis le IVe siècle environ s’applique à transgresser les codes hiérarchiques stricts de la société brahmanique en prônant la possibilité d’atteindre la libération pour tous les êtres sans restriction de caste ou de genre.
La plus célèbre est sans nul doute Mâ Ananda Moyî (1896-1982), fille d’une famille vishnuite pauvre du Bengale oriental. N’ayant jamais connu de gourou et n’ayant pas la connaissance des écritures sacrées, elle connaît des expériences d’extases successives qui lui amènent peu à peu une foule de disciples qui souvent voient en elle une incarnation de la déesse Kali. Sillonnant l’Inde durant plusieurs années, elle a créé des ashrams (centres de recueillement et d’enseignement spirituel autour d’un gourou), dont le plus important est celui de Kankhal, sur le Gange, à 200 km au nord de Delhi. Mâ Ananda Moyî fait partie de la génération des gourous qui ont accueilli pour la première fois, dans les années 1960-1970, des adeptes occidentaux. Elle s’est fait connaître en France avec le film Ashrams, réalisé en 1959 par Arnaud Desjardins.
Aujourd’hui, Mata Amritanandamayi, dite Amma, née en 1953 dans le Kerala où se trouve son principal ashram, est certainement la gourelle vivante la plus connue en Inde et dans le reste du monde, qu’elle parcourt chaque année au cours de ses tournées. Elle s’est rendue célèbre par les bénédictions qu’elle accorde individuellement, en prenant dans ses bras chacun de ceux qui, par milliers, font la queue en attendant leur tour. Comme d’autres gourous masculins, elle obtient régulièrement des formes de reconnaissance au niveau international.
Le dernier exemple est celui de Mère Meera, née en 1960, qui a passé son enfance dans le sud de l’Inde. Elle vit aujourd’hui dans son ashram de Schaumburg, au nord de Francfort en Allemagne, où elle reçoit ceux et celles qui sont prêts à accepter la lumière qu’elle est censée diffuser par son regard et son contact.
Depuis quelques années, principalement en Occident, certains maîtres indiens ont désigné des femmes pour leur succéder dans la transmission de leur enseignement. C’est le cas de Gurumayi Chidvilasananda, née en 1954, d’origine indienne et choisie par Swami Muktananda avant sa mort.
En règle générale, les femmes gourous sont appelées mère ou mâ, en hommage à la mère divine que les disciples reconnaissent en elles. Elles sont souvent dotées de pouvoirs spirituels, au point que de véritables hagiographies décrivent leur naissance et leur enfance en termes d’exception, les élevant au rang de personnages mythiques. Leur message principal est centré autour de l’amour inconditionnel se manifestant par le service de l’autre, et la tolérance envers tous les êtres, quelles que soient leurs traditions religieuses ou culturelles. Mâ Ananda Moyî avait coutume de dire qu’elle était à la fois hindoue, musulmane et chrétienne. Pour Amma, toutes les religions se valent, alors que Mère Meera se situe elle-même au-dessus des dogmes et des hiérarchies. Un autre trait commun est l’importance accordée aux œuvres caritatives, à la création d’écoles et d’hôpitaux et à l’intervention lors de catastrophes diverses. Méditation, chants dévotionnels, yoga et recueillement constituent les activités quotidiennes des ashrams.
Dignes héritières de la tradition bakhti dont se réclamaient déjà les pionnières, divines poétesses d’un autre âge, les gourelles indiennes s’inscrivent dans ce que la sociologie américaine a qualifié de « néo-hindouisme », courant issu et participant de la globalisation du religieux, où expérience spirituelle, liens entre social et spirituel, ainsi que reconnaissance de l’ensemble des traditions religieuses sont des constantes récurrentes.
Nadine WEIBEL
■ ANANDAMAYI, L’enseignement de Mâ Ananda Mayi, Paris, Albin Michel, 2004.
GOWDA, Sheela [BHADRAVATI 1957]
Peintre et plasticienne indienne.
Diplômée en peinture de la Ken School of Art de Bangalore en 1979, Sheela Gowda poursuit ses études dans plusieurs écoles, notamment à la M. S. University de Baroda, où elle suit les cours de l’artiste K. G. Subramanyan (1924), au Royal College of Art de Londres (1984-1986), puis à la Cité internationale des arts à Paris, avant de revenir en Inde, où elle enseigne quelque temps à Mysore. Ses premières œuvres sont essentiellement des peintures à l’huile figuratives. Au début des années 1990, son langage visuel change, de manière décisive : ce bouleversement n’est pas étranger aux questionnements engendrés, chez de nombreux artistes, par les violences consécutives à la destruction d’une mosquée à Ayodhya. Son travail devient moins figuratif ; elle expérimente de nouveaux matériaux, diversifie les supports. Ainsi, l’usage de la bouse de vache devient plus systématique et subversif : plâtre décoratif et combustible, ce matériau est lié à la fois au quotidien des femmes indiennes et au caractère sacré de la vache ; évocateur du quotidien, du rituel ou du religieux, il sert l’œuvre de l’artiste pour son potentiel métaphorique, tout comme le kumkum, pâte de vermillon naturelle qui décore la raie des cheveux des femmes, et avec lequel elle enduit les fils de l’installation And Tell Him of My Pain (« et parle-lui de ma peine », 1998-2001) ; passés dans des aiguilles, ils deviennent des cordes semblables à des lignes agencées dans l’espace. Avec ce « dessin en trois dimensions », variable selon les lieux d’exposition, S. Gowda s’est engagée à limiter les signifiants à l’essentiel pour suggérer le corps féminin, ou plutôt son absence, et créer toute une gamme de sensations, dans une performance intime et difficile. Comme à chaque fois, les matériaux sont choisis pour leur histoire, leur identité et participent d’une réflexion de plus en plus ouvertement politique, comme, par exemple, les containers de l’installation Darkroom (« chambre noire », 2006). Ainsi, derrière la « frugalité » – selon son propre terme – de la représentation, l’œuvre demeure toujours connectée au réel et à l’expérience, laissant place à toute interprétation.
Judith FERLICCHI
■ Drawing Space : Contemporary Indian Drawing, Harsha N. S., Mohamedi N. (textes), Londres, Institute of International Visual Arts, 2000 ; Sheela Gowda, Abraham A., Hazra A., Mohamedi N. (textes), Göttingen/New York, Steidl/Bose Pacia Gallery, 2007.
■ GOPINATH S., « Sheela Gowda and Christoph Storz », in Afterall, no 22, automne-hiver 2009.
GOYARD-FABRE, Simone [NÉE EN 1927]
Philosophe française.
Agrégée de philosophie en 1952, Simone Goyard-Fabre publie L’Habitude humaine (1967), Nietzsche et la Conversion métaphysique et La Philosophie des Lumières en France (1972) et, la même année, sa thèse de philosophie : Essai de critique phénoménologique du droit qui infléchit sa réflexion vers la philosophie du droit et ses complexes relations avec les institutions politiques. Elle fonde en 1981 à l’université de Caen, où elle a fait toute sa carrière, les Cahiers de philosophie politique, avant de créer en 1988 la Bibliothèque de philosophie politique et juridique. Sa démarche vise à cerner l’essence du juridique et à opérer un distinguo pertinent entre le concept de « droit naturel » et celui de « morale ». Ce dernier enjeu, qui se déploie de façon latérale dans tout son travail, aboutit à la publication des Embarras philosophiques du droit naturel (2002) qui aborde, par le menu, l’ensemble des points aporétiques liés à la question. Ses critiques et remises en question des problématiques liées au droit et à ses enjeux politiques l’amènent à souligner, très tôt, un clivage constitutif entre philosophie politique et pratiques politiques. Professeure émérite de l’université de Caen, S. Goyard-Fabre est internationalement reconnue comme l’une des figures majeures de la philosophie politique contemporaine ; son œuvre est traduite en plusieurs langues. Elle a reçu les prix de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux en 1973 et de l’Académie Montesquieu, pour La Philosophie du droit de Montesquieu ; le prix de l’Institut de France 1975, pour Kant et le Problème du droit et celui de l’Académie des sciences morales et politiques 1989, pour Jean Bodin et le Droit de la République.
Olivier AMMOUR-MAYEUR
■ Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, Paris, Klincksieck, 1975 ; John Locke et la Raison raisonnable, Paris, J. Vrin, 1986 ; La Construction de la paix ou le Travail de Sisyphe (1994), Paris, J. Vrin, 2000 ; Politique et Philosophie dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
GRÁBER, Margit [BUDAPEST 1895 - ID. 1993]
Peintre et graphiste hongroise.
Son nom est le plus souvent évoqué à côté de ceux de Józsa Járitz, d’Anna Zillich et de Mária Modok*. Après des études à l’École de dessin industriel, puis à l’École des arts industriels, Margit Gráber rejoint, sous l’influence du peintre Béla Iványi Grünwald, la colonie d’artistes de Kecskemét, où elle vit de 1916 à 1919. Sa première exposition aura lieu au salon Helikon de Budapest en 1922. Elle épouse Csaba Vilmos Perlrott (1880-1955), avec qui elle s’établit en Allemagne entre 1920 et 1924 (Autoportrait voilé, 1921-1922). De 1924 à 1928, le couple fait de longs séjours dans la capitale française ; l’école de Paris influence leur œuvre, ce dont témoignent Pont de la Seine, (1926) et Saint-Étienne-du-Mont (1926). Définitivement installée en Hongrie à partir de 1928, M. Gráber visite plusieurs fois la colonie d’artistes de Nagybánya. Elle est membre de la Nouvelle Société des artistes, puis, après 1948, de la nouvelle colonie d’artistes de Szentendre. Son « livre des souvenirs », Emlékezések könyve, paraît en 1991.
Katalin GELLER
■ Gráber Margit festőművész retrospektív kiállítása (catalogue d’exposition), Budapest, Ernst Múzeum, 1964 ; BENEDEK K., Gráber Margit életmű kiállítás (catalogue d’exposition), Szentendre, Szentendre galéria, 1991 ; URY I., Gráber Margit, Budapest, Képzőművészeti alap, 1981.
GRABOWSKA-HAWRYLAK, Jadwiga [TARNAWCE 1920]
Architecte polonaise.
Jadwiga Grabowska-Hawrylak a étudié dans le département d’architecture de l’École polytechnique de Wrocław de 1945 à 1950, et son œuvre est liée à cette ville, dans laquelle elle fait toute sa carrière au sein du bureau d’État Miastoprojekt Wrocław, jusqu’à sa retraite en 1981. Dans un premier temps, elle travaille à la restauration de maisons historiques de Bolesławiec et de la place de Wrocław (1951-1954) et, par la suite, s’intéresse aux logements. Le lotissement Gajowice (Wrocław 1960-1968) est un exemple type de la conception de son urbanisme. Pour éviter les plans répétitifs et standardisés qui déterminaient alors les logements polonais, elle propose des types résidentiels différents, comme un immeuble sur Kołłątaja Street à Wrocław, composé d’appartements à deux étages, de type duplex. De la même façon, dans le square Grunwaldzki à Wrocław, dans l’ensemble des tours d’appartements avec boutiques (1967-1975), elle a conçu ses plans en utilisant un système de construction industrielle imposé, tout en utilisant des éléments préfabriqués, et a ainsi su créer des formes architecturales plus intéressantes. Ce projet, qui se démarque de la production architecturale standardisée de l’époque, a été récompensé en 1974 par le prix de la SARP (association des architectes polonais). Pour mener son œuvre à bien, elle a dû vaincre bien des obstacles et des préjugés. Tant sur les plans professionnel et administratif que pratique, la conduite des chantiers par exemple, elle a relevé de nombreux défis. Sa dernière œuvre, conçue avec Wojciech Brzezowski (1945) et Maciej Hawrylak (1952), est l’église mémorial de Wroclaw (2000).
Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI
■ GOŁOTA U. (dir.), Jadwiga Grabowska-Hawrylak, Wrocław, Muzeum Architektury, 2000.
GRACE, Patricia [WELLINGTON 1937]
Romancière et nouvelliste néo-zélandaise.
D’origine irlandaise et maori (des iwi [« tribus »] Ngati Toa, Ngati Raukawa, Te Ati Awa), Patricia Grace est la chef de file de la renaissance littéraire maori : son œuvre cherche à décrire la réalité de son peuple et à en faire entendre les multiples voix authentiques. Institutrice et mère de sept enfants, elle publie d’abord, à l’âge de 25 ans, des nouvelles dans des revues ; celles de son premier recueil, Waiariki (1975, prix Pen/Hubert-Church), retracent l’évolution des divers personnages vers une forme d’expression à la fois nouvelle et traditionnelle, dépassant la représentation jusqu’alors limitée des Maori dans la fiction pour leur accorder une voix sincère. D’autres recueils ont suivi : The Dream Sleepers (« les dormeurs de rêve », 1980) ; Électrique cité (1987) ; Selected Stories (1991) ; The Sky People (« peuple du ciel », 1994) ; Small Holes in the Silence (« des petits trous dans le silence », 2007). Son premier roman, Mutuwhenua : the Moon Sleeps (« Mutuwhenua : la lune dort », 1978), dépeint un couple mixte, thème jusqu’à présent traité par des auteurs pakeha (« blancs ») : c’est le mari pakeha, cette fois, qui doit négocier les différences culturelles. Potiki, l’homme-amour (1986), prix du meilleur roman aux New Zealand Book Awards, est un récit plus politique et subversif qui met en opposition une petite communauté côtière et un entrepreneur, et emploie sans glossaire des mots maori, affirmant la place de cette langue dans le monde moderne et déstabilisant tout lecteur ne la connaissant pas. En 1992 paraît le roman Cousins (« cousines ») : trois femmes évoluent dans le monde du travail urbain pour trouver entre elles une nouvelle appartenance. Les Yeux volés (1998) raconte, outre le difficile passage des Maori vers un monde dominé par les colons, les tentatives d’exploitation génétique des peuples autochtones par des médecins et chercheurs peu sensibles aux pratiques culturelles de ceux-ci. Ouvrage le plus couronné, Les Enfants de Ngarua remportent le Kiriyama Pacific Rim Book Prize en 2001 ; ce roman explore avec verve et humour les rouages d’un système judiciaire traditionnel et communautaire, confronté à des comportements criminels. Tu (Tumatauenga, dieu de la guerre) suit la migration urbaine des Maori ainsi que les expériences de trois frères partis se battre en Italie avec le bataillon maori connu pour sa bravoure (grand prix fiction des Montana New Zealand Book Awards en 2005). Depuis 2007, P. Grace s’est tournée vers la biographie pour retracer l’histoire d’un couple uni par la guerre (Ned and Katina, a True Love Story, 2009). Depuis le début des années 1980, elle est également l’auteure de livres pour la jeunesse, dont certains sont publiés simultanément en anglais et en maori (comme la plupart des écrivains de sa génération, elle n’écrit qu’en anglais), tel The Kuia and the Spider/Te kuia me te pungawerewere (« la vieille dame et l’araignée »), qui raconte un concours de tissage (avec l’artiste Robyn Kahukiwa, prix du meilleur livre illustré pour enfants, 1981). Elle a collaboré avec cette peintre pour d’autres projets, dont Watercress Tuna and the Children of Champion Street/Te tuna watakirihi me nga tamariki o te tiriti o toa (« l’anguille Cresson et les enfants de la rue Champion », 1985), consacré à des enfants issus de plusieurs cultures vivant dans la même rue, et le superbe Wahine toa (« femmes fortes »), à base de mythes maori, publié en 1984. La subtilité et la simplicité apparente des techniques narratives de P. Grace, vues de près, révèlent le travail d’une styliste accomplie, utilisant une langue aux tournures maori, résolument attachée à des pratiques autochtones. L’intrigue en spirale est savamment construite et exige du lecteur de s’adapter à ces formes narratives traditionnelles. Plusieurs distinctions lui ont été décernées : la Queen’s Service Medal (1988), un doctorat honoris causa (Victoria University, 1989), le prix New Zealand Living Icon (2005), le prix du Premier ministre (2006), le Distinguished Companion of the New Zealand Order of Merit en 2007, et le prix international Neustadt, accordé en 2008 par l’Université de l’Oklahoma, souvent considéré comme le « petit Nobel. »
Jean ANDERSON
■ Potiki, l’homme-amour (Potiki, 1986), Paris, Arléa, 1993 ; Électrique cité (Electric City and Other Stories, 1987), Pirae, Au vent des îles, 2006 ; Les Yeux volés (Baby No-Eyes, 1998), Pirae, Au vent des îles, 2007 ; Les Enfants de Ngarua, (Dogside Story, 2001), Pirae, Au vent des îles, 2009 ; Le Bataillon maori (Tu, 2004), Pirae, Au vent des îles, 2010.
GRACE-SMITH, Briar [WHAKATANE 1966]
Dramaturge et nouvelliste néo-zélandaise.
Fille d’une mère maori et d’un père pakeha (« blanc »), Briar Grace-Smith est tisserande de formation et auteure de pièces de théâtre ; elle écrit également des nouvelles, des livres pour enfants et des scénarios pour le cinéma et la télévision. Après Nga pou wahine (1995), pièce en un seul acte mettant en scène un unique personnage, elle écrit Purapurawhetu (1997), tragédie sur la quête de soi, expressément liée au tissage maori, comme l’évoque le titre. La dramaturge se refuse souvent à traduire des mots et des thèmes maori, considérant que l’identité de son peuple se doit d’être représentée dans sa langue. À 12 ans, lorsqu’elle lit le roman Mutuwhenua de Patricia Grace*, elle découvre des personnages qui, comme elle, sont confrontés à des questions identitaires fondamentales. Elle est également inspirée par d’autres auteurs indigènes, comme l’écrivain amérindien Sherman Alexie. Pour elle, Maori et Amérindiens partagent un même style comique et une manière semblable d’appréhender la douleur et la mort. L’œuvre de B. Grace-Smith mélange souvent la réalité et le spirituel, dans la veine du réalisme magique latino-américain ; on y entrevoit aussi l’influence de Toni Morrison*. Sa verve et sa vivacité transfigurent les scènes quotidiennes, et elle n’hésite pas à mêler mythologie traditionnelle, culture orale et culture pop, comme dans Fish Skin Suit (« costume en peau de poisson », 2000), un scénario pour la télévision dans lequel un imitateur d’Elvis Presley côtoie un taniwha, monstre marin de la mythologie maori. Ses pièces portent sur la colonisation et la représentation des sexes dans la société maori contemporaine ; elles ravivent la force des femmes de la mythologie traditionnelle, personnages indépendants et obstinés, que deux siècles de colonisation et de christianisme ont considérablement affaiblis. En revanche, les personnages masculins y sont souvent doux, comme pour contrecarrer les représentations négatives des hommes maoris dans les médias. L’auteure a reçu de nombreux prix nationaux de théâtre, dont le prestigieux Arts Laureate Award en 2000. Son scénario The Strength of Water (« la force de l’eau ») a été choisi pour le Sundance Screenwriters Laboratory en 2006 et la mise en scène, filmée en 2007. En 2009, elle a entrepris une maîtrise en création littéraire.
Gemma FREEMAN
■ DALE J., « On the beach : Questions of identity in recent Maori drama », in Illusions, no 26, Wellington, 1997.
GRAFFIGNY, Françoise DE (née D’ISSEMBOURG D’HAPPONCOURT) [NANCY 1695 - PARIS 1758]
Écrivaine française.
Fille de François-Henry d’Issembourg du Buisson d’Happoncourt et de Marguerite Callot, elle épouse François Huguet de Graffigny, officier dans l’armée de Lorraine en 1712. Leurs trois enfants meurent en bas âge et la séparation juridique du couple est prononcée en 1723. De 1730 à 1743, Mme de Graffigny entretient une liaison avec Léopold Desmaret, un officier de treize ans son cadet. Vivant à Lunéville avec des ressources très modestes, elle fait partie de la cour ducale jusqu’à sa dispersion en 1737. Contrainte de quitter la Lorraine, elle habite chez des particuliers et dans des couvents avant de louer un logement à Paris. C’est à cette époque qu’elle débute une importante correspondance, dont le principal destinataire est son ami François-Antoine Devaux. À partir de 1742, elle fréquente le salon de Mlle Quinault, pour lequel elle écrit, en 1744, deux nouvelles : Nouvelle espagnole et La Princesse Azerolle. En 1747, elle fait paraître anonymement un roman épistolaire, les Lettres d’une Péruvienne, dont le succès lui assurera une renommée européenne. En 1750, sa pièce Cénie, mise en scène à la Comédie-Française, récolte un vif succès. L’année suivante, elle ouvre son propre salon où elle accueille de jeunes écrivains et d’illustres contemporains tels que Turgot, Helvétius, Malesherbes, le duc de Choiseul, Voltaire et Rousseau. C’est à cette époque qu’elle compose des pièces de théâtre en un acte (Ziman et Zénise ; L’Ignorant présomptueux ; Le Temple de la vertu…) dont certaines seront représentées à Vienne et feront l’objet d’une publication posthume. En 1752, elle fait paraître une nouvelle édition des Lettres d’une Péruvienne, avec son nom d’auteure, augmentée d’une « introduction historique ». Sa dernière œuvre, une comédie intitulée La Fille d’Aristide (1758), ne parvient pas à séduire le public.
Sonia CHERRAD
■ Correspondance de Mme de Graffigny, Oxford, Voltaire Foundation, 1985-2008.
GRÄFIN DÖNHOFF, Marion VOIR DÖNHOFF, Marion
GRAHAM, Florence NIGHTINGALE VOIR ARDEN, Elizabeth
GRAHAM, Martha [PITTSBURGH 1894 - NEW YORK 1991]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie américaine.
Après avoir assisté à un spectacle de Ruth Saint Denis*, Martha Graham décide de devenir danseuse. Elle s’inscrit à la Denishawn, première école de danse moderne américaine, et accède rapidement à des rôles dans la compagnie, en particulier Xochilt (1920). Mais, dès 1923, elle décide de voler de ses propres ailes, s’installe à New York, danse dans la revue Greenwich Village Follies, et commence à donner ses premiers récitals entourée de trois danseuses. Épaulée par le compositeur Louis Horst, elle décide de travailler à la recherche d’un langage personnel, avec sa petite compagnie composée essentiellement de femmes, le Martha Graham Group. Elle écrit alors ses premières pièces où son vocabulaire s’affirme dans sa singularité (Heretic, Vision of Apocalypse, 1929). Trois solos vont marquer les années suivantes : Lamentation (1930), tragique variation sur le chagrin ; Frontier (1935), qui marque le début de sa collaboration avec le sculpteur Isamu Noguchi ; Deep Song (1937), inspiré de la guerre civile espagnole et protestation contre toutes les guerres. Dans les années 1930, alors que l’Amérique traverse une crise profonde, ses œuvres révèlent une dimension politique : American Provincial (1934), Panorama (1935), American Document (1938), où elle retrace l’histoire de la nation américaine en six tableaux. En 1944, elle crée Appalachian Spring qui exalte l’esprit pionnier à travers une sorte de fresque illustrant la vie d’une communauté. En 1940, elle crée Letter to The World, poème dédié à Emily Dickinson* dont elle est une fervente lectrice. De même, en 1943, dans Deaths and Entrances, elle brosse le portait tragique d’une femme pleine d’énergie brisée, inspirée par la vie d’Emily Brontë*. Parallèlement à son travail de création, elle enseigne et c’est probablement durant cette période qu’elle élabore sa technique, contract-release, basée sur un mouvement global déclenché par un enroulement du bassin à partir d’une impulsion qui met sous tension toute la colonne vertébrale. M. Graham a codifié l’acte de respirer, le mouvement naît de ce que la chorégraphe appelle « la maison de la vérité pelvienne », la source de vie. Les années 1945-1960 sont celles de la « période grecque » : un ensemble de pièces tragiques où elle réinterprète les grands mythes de l’humanité. Très influencée par les recherches de Carl Jung, elle réactive, dans les grands rôles qu’elle interprète elle-même, l’inconscient individuel comme parcelle de l’inconscient collectif. Le corps ainsi sollicité par l’introspection laisse surgir les images les plus enfouies : les héroïnes expriment les sentiments élémentaires, amour, haine, jalousie et sont conviées à percer les secrets de leurs actes. Sa danse est traversée par une dimension passionnelle : Dark Meadow (1944) ; Errand into the Maze (1947) qui revisite l’histoire de Thésée ; Cave of the Heart (1946) où Médée personnifie la colère jalouse ; Night Journey (1947) qui met en scène le destin de Jocaste, mère et femme d’Œdipe ; Clytemnestra (1958)… Toute l’action est dans la danse, sans trace expressionniste.
À partir de 1953, elle reçoit le soutien de la baronne Bethsabée de Rothschild qui lui offre des lieux de répétition à New York, finance ses décors, et plus tard, en Israël, invite la compagnie qui développe un enseignement régulier et fonde la Batsheva Dance Company en 1964. Les années suivantes, M. Graham traverse une période de dépression et cesse de danser en 1969. La compagnie survit grâce aux danseurs puis, en 1972, elle se remet au travail, reprend certaines pièces de son répertoire avec de grands interprètes comme Mikhaïl Barychnikov et Rudolf Noureev. En 1981, elle crée Acts of Light sur la partition musicale de Carl Nielsen. En 1984, elle monte un Sacre du printemps, et crée sa dernière pièce Maple Leaf Rag en1990.
Reconnue et adulée dans le monde entier, elle est considérée comme la « mère » de la danse moderne.
Geneviève VINCENT
■ Mémoires de la danse (1992), Arles, Actes Sud, 2003.
■ Martha Graham, Paris, L’Avant-scène, coll. Ballet, 1982 ; DOBBELS D., Martha Graham, Arles, Bernard Coutaz, 1990.
GRAHN, Lucile [COPENHAGUE 1819 - MUNICH 1907]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie danoise.
Élève à l’école de danse du Théâtre royal de Copenhague en 1828, Lucile Grahn est remarquée par August Bournonville, danseur, chorégraphe et directeur de la danse, revenu en 1829 au Danemark après des études à Paris. Subjugué par son talent, il la prépare pour ses débuts en 1834 avec un pas de deux dans La Muette de Portici. Elle danse dans ses ballets Faust et Waldemar et triomphe en 1836 quand Bournonville monte pour elle une nouvelle version de La Sylphide, dansant lui-même le rôle de James. Deux ans plus tôt, Bournonville et sa jeune élève ont vu Marie Taglioni*, éthérée et poétique, incarner ce rôle à l’Opéra de Paris. Plus tard, elle se perfectionne à Paris, voit Fanny Elssler* et nuance son interprétation personnelle d’une touche érotique et inquiétante. Bournonville n’apprécie pas ce développement et l’indépendance de son élève. Ils se brouillent. En 1839, elle est invitée à l’Opéra de Paris pour La Sylphide. En 1845, elle danse à Londres le célèbre Pas de quatre de Jules Perrot avec Marie Taglioni, Carlotta Grisi* et Fanny Cerrito*. Elle triomphe à travers l’Europe, surtout à Saint-Pétersbourg, inspirant des ballets à J. Perrot. Mariée en 1856 avec le chanteur Frederich Young, elle fait ses adieux à la scène en 1859, mais poursuit sa carrière de chorégraphe, participant à la mise en scène de Tannhäuser à Munich (1855). Elle est directrice de la danse à Leipzig (1858-1861), puis à Munich (1869-1875) où elle participe aux mises en scène des Maîtres chanteurs de Nuremberg et de L’Or du Rhin de Wagner.
Erik ASCHENGREEN
GRAMATZKI, Ève [KÖNIGSBERG, AUJ. KALININGRAD, RUSSIE 1935 - PARIS 2003]
Peintre et dessinatrice française.
L’enfance d’Ève Gramatzki est marquée par deux tragédies successives : sa mère meurt en mettant au monde sa sœur ; puis, en 1944, le bombardement par les Alliés de sa ville natale et l’arrivée de l’armée russe contraignent la famille à se réfugier à Hambourg. Entre 1956 et 1961, elle étudie à l’École des beaux-arts de la ville, dont l’enseignement est fortement marqué par le constructivisme. La pratique de la jeune artiste s’oriente plutôt vers une forme d’hyperréalisme. Entre 1972 et 1980, alors qu’elle vit à Paris, elle dessine des objets abandonnés, reproduit avec finesse et sensibilité la trame des vêtements ou des tissus usés. Ni fond ni décor ne perturbent la lecture du dessin. Cette étude de la texture l’incite à poser son regard sur des objets a priori anodins : sous son crayon, un torchon ou une feuille de Sopalin s’animent et se parent de motifs géométriques ondulants. La mise en exergue de la structure de ces matériaux annonce le glissement de son œuvre du réalisme vers l’abstraction. En 1980, elle s’installe en Ardèche dans un mas sans électricité ni eau potable, au cœur de la nature. C’est au cours de cette retraite de treize ans qu’elle fait passer l’objet au second plan : le motif, la texture et la trame deviennent alors les véritables thèmes de ses créations. Tandis que l’art des années 1980 s’oriente vers un retour à la figuration, elle continue d’explorer l’abstraction, sans toutefois se détacher du sujet. Les structures linéaires font peu à peu place à des peintures et des dessins qui dénotent d’une véritable liberté de composition et d’expression. Sous son crayon ou son pinceau, la ligne est déstructurée, morcelée, dissoute. Dans ces réalisations désordonnées, la violence côtoie la passion. À partir de 1995, elle se partage entre le Sud et Paris, où un atelier lui est octroyé par la ville. En 2000, la vente du mas ardéchois la force à retourner vivre définitivement dans la capitale. Cette dernière période est marquée par un retour à la structure : È. Gramatzki conçoit notamment des quadrillages serrés, dans lesquels figurent de petites tâches translucides colorées ; ces créations délicates se positionnent à mi-chemin entre la trame des tissus de ses débuts et sa production en Ardèche. En 2003, elle met fin à ses jours.
Marie GRIFFAY
■ Ève Gramatzki (catalogue d’exposition), Amic S., Jaulmes M., Tronche A. (dir.), Montpellier/Arles, Musée Fabre/Actes Sud, 2009.
GRAMCKO, Ida [PUERTO CABELLO 1924 - CARACAS 1994]
Poétesse vénézuélienne.
Auteure d’un nombre important de recueils poétiques, héritière de la poésie classique espagnole, Ida Gramcko doit sans doute à ses lectures de Luis de Góngora l’architecture très élaborée de ses poèmes. Au-delà de cette influence ou de celle de saint Jean de la Croix, son œuvre possède la puissance incomparable d’une imagination démoniaque, d’un mysticisme matériel. Elle construit un univers qui lui est propre, avec une parole poétique pleine d’énergie, un imaginaire personnel où les mythes, les contes de fées, les fables et les légendes se mêlent. Ses poèmes pleins de fougue et de véhémence intérieure reprennent, avec des élans nouveaux, les grands sujets de la littérature dans ses rapports avec l’être humain et sa représentation du monde. Ce sont des hymnes à l’amour et à la mort, à la douleur et à la joie, au rêve, à l’oubli, à la jouissance, à la sensualité, à la chute de l’homme, à son désir d’évasion, dans un mélange d’enchantement et de lucidité. Son œuvre constitue un hommage au langage poétique, à la métaphore, à la passion pour les mots, exprimée dans un tourbillon de consonances, d’assonances et d’allitérations. Ses œuvres poétiques les plus connues sont Umbral (« seuil », 1942), La Baguette magique (1948), le plus que singulier Poemas de una psicótica (« poèmes d’une psychotique », 1964), le célèbre Salmos (« psaumes », 1968), Sonetos del origen (« sonnets de l’origine », 1972), sans oublier son dernier recueil publié, Treno (« thrène », 1993). Elle a également écrit des pièces de théâtre en vers, comme María Lionza (1955) et La hija de Juan Palomo (« la fille de Juan Palomo », 1955. Son œuvre en prose compte notamment le récit autobiographique Tonta de capirote (« une idiote finie », 1972) et les essais Magia y amor del pueblo (« magie et amour du peuple », 1970) et Mitos simbólicos (« mythes symboliques », 1973). Plusieurs récompenses lui ont été décernées, notamment le Prix national de littérature (1977). Elle a également été ambassadrice à Moscou et journaliste pour El Nacional et El Globo.
Fernando MORENO
■ La Baguette magique (La vara mágica, 1948), Paris, Robert Ganzo, 1950.
GRANADOS, Marta [BOYACÁ 1943]
Designer graphiste colombienne.
En 1963, Marta Granados est diplômée de la Pontificia Universidad Javeriana, et suit, en 1966, un troisième cycle en design à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. En 1968, elle retourne en Colombie et devient, à titre permanent, une remarquable professeure de l’université nationale, où elle enseigne jusqu’en 2003. Après une première exposition individuelle, en 1972, à Bogotá, elle représente la Colombie lors de la VIIe Biennale des arts graphiques de Brno, en Tchécoslovaquie, en 1976, et obtient une bourse du British Council pour réaliser des études d’animation cinématographique au Saint Martins’College of Art, à Londres. Elle est designer de l’Institut colombien de la culture (Colcultura) à partir de 1975 et réalise des projets graphiques pour la Chancellerie, l’Ambassade de France, l’Artisanat colombien, le Théâtre national, l’Opéra de Colombie, le Fonds culturel de l’industrie du café et la Fondation Santillana pour l’Amérique latine, entre autres. Elle participe périodiquement aux biennales de l’affiche à Varsovie (Pologne), Lahti (Finlande), Mexico, Colorado (États-Unis), Tomaya (Japon) et Chaumont (France). En 1983, elle organise le premier Salon « OP de design graphique. 3 designers », en compagnie de Dicken Castro et David Cansuegra, où elle présente une série de huit affiches, Colombia es (« la Colombie est »), fondée sur la palette chromatique du drapeau colombien. En 1986, elle est invitée au Salon Les Meilleures Affiches du monde organisé par l’Association internationale des arts plastiques - Unesco, au Grand Palais, à Paris. En 1993, une exposition anthologique de son œuvre est organisée au musée d’Art moderne de Bogotá. En 2008, elle assiste à l’exposition 100 affiches historiques, composée des travaux de tous les membres du jury, à la Xe Biennale internationale de l’affiche de Mexico ; elle représente la Colombie avec l’affiche Agua es energía (« l’eau est une énergie ») à l’Expozaragoza, dans le pavillon des Nations unies. M. Granados déclare que son « intérêt majeur, à ce jour, est le développement de l’affiche comme moyen d’expression visuelle et comme beauté plastique ».
Silvia FERNÁNDEZ
■ COLLECTIF, Catalogue du IIIe Salón OP92, Bogotá, Musée d’Art moderne de Bogotá, 1992 ; FRANKY RODRÍGUEZ J., SALCEDO OSPINA M., « Colombia », in Historia del Diseño en América Latina y el Caribe, San Pablo, Blücher, 2008.
GRAND, Sarah (Frances BELLEDEN MCFALL, née CLARKE, dite) [DONAGHADEE, IRLANDE 1854 - CALNE, ANGLETERRE 1943]
Romancière et féministe britannique.
Considérée comme la doyenne de la « femme nouvelle » (New Woman), Sarah Grand contribua à populariser ce phénomène surtout littéraire avec la publication de The Heavenly Twins (1893), deuxième roman d’une trilogie qui fit d’elle l’une des figures féministes les plus en vue de son temps. Le roman fit scandale en s’attaquant de front à la moralité sexuelle du « deux poids, deux mesures », aux maladies vénériennes et aux désillusions du mariage, thèmes en grande partie inspirés par la campagne de Josephine Butler* et assortis chez S. Grand, soucieuse du déclin moral et racial de l’Angleterre, de préoccupations eugénistes. Elle mit fin à son union malheureuse avec un chirurgien de l’armée (épousé à l’âge de 16 ans pour échapper à sa famille) afin de se consacrer à l’écriture et de poursuivre son combat contre l’oppression des femmes en contribuant à de nombreux magazines culturels américains. L’héroïne fascinante de son roman The Beth Book (1897) incarne une femme aux mœurs libres, indépendante, attirée par des modes de vie nouveaux. Cependant, après la guerre, celle qui avait changé de nom pour afficher plus clairement son sexe, et été une suffragiste passionnée, impliquée dans plusieurs associations en faveur du droit de vote, se contenta de seconder ponctuellement dans ses obligations le maire philanthrope de Bath, Cedric Chivers, devenu soudainement veuf. Malgré l’énergie qu’elle mit à dénoncer l’exploitation de la femme, il semblerait qu’elle ait été au fond plus réformatrice que réellement partisane d’une révolution des relations entre les sexes.
Martine MONACELLI
GRANDA, Chabuca (María Isabel GRANDA LARCO, dite) [COTABAMBAS, PÉROU 1920 - MIAMI 1983]
Chanteuse et compositrice péruvienne.
Née dans une ville minière de Cotabambas au Pérou, Chabuca Granda grandit au contact des populations andines avant que sa famille ne s’établisse à Lima en 1932. Formée au chant au sein de la chorale de son collège, elle commence par interpréter des boleros avec le duo Luz y Sombra, puis en trio avec les sœurs Gibson, dans des clubs de la capitale péruvienne. Elle intègre le milieu bohème avec le guitariste Oscar Avilés et commence à composer un répertoire de chansons pittoresques, dont la première, Lima de Veras, marque le début de sa notoriété en 1950. Son écriture rompt avec les structures rythmique et poétique de la valse créole, tradition emblématique de la chanson urbaine péruvienne, en insistant sur sa composante afro. Sa plus célèbre chanson, La flor de la canela (« la fleur de cannelle »), véritable hymne populaire au Pérou, lui aurait ainsi été inspirée par la figure d’une femme métisse. En composant avec les rythmes noirs du landó ou du tondero, cette chanteuse issue de la société blanche dresse un pont entre deux mondes jusqu’alors segmentés et hiérarchisés de la culture péruvienne. Véritable icône nationale depuis les années 1950, C. Granda continue à exercer son influence après sa mort en 1983, ses chansons étant reprises par plusieurs artistes latino-américains.
Yannis RUEL
LA GRANDE SOPHIE (Sophie HURIAUX, dite) [THIONVILLE 1969]
Auteure, compositrice, interprète française.
Adolescente, la Grande Sophie écrit et compose les textes de son premier groupe, Entrée interdite. Après avoir suivi des études de sculpture aux Beaux-Arts, elle continue dans la chanson, et, guitare en bandoulière et grosse caisse aux pieds, se produit sur les terrasses de bistrots marseillais. En 1989, elle monte à Paris, écume les scènes alternatives avec les diverses associations musicales qu’elle a montées, et enregistre son premier album, La Grande Sophie s’agrandit. Son inspiration se nourrit de kitchen music – expression qu’elle emploie pour définir un mélange artisanal de pop (les Beatles, Chrissie Hynde, Suzanne Vega*, Joe Hisaishi…) et de chanson française (Jacques Dutronc, Michel Legrand…). Les titres qui la révèlent au grand public sont issus de ses deuxième (Le Porte-bonheur) et troisième albums (Et si c’était moi) : Martin, Du courage, On savait. En 2007, elle monte une création autour de six titres de Barbara* pour les Francofolies de La Rochelle. Dans son cinquième album, Des vagues et des ruisseaux, paru en 2009, une tonalité plus intimiste et émotive se substitue à sa verve rock’n’roll. La même année, elle signe la chanson Mister pour le nouvel album de Françoise Hardy*. Son sixième album, La place du fantôme, paraît en février 2013 auréolé d’un bel accueil dans la presse.
Anne-Claire DUGAS
■ La Place du fantôme, Polydor, 2013.
GRANDES, Almudena [MADRID 1960]
Écrivaine espagnole.
Après des études à l’université Complutense de Madrid, Almudena Grandes travaille dans l’édition. À 29 ans, elle reçoit le prix de la Sonrisa vertical de littérature érotique pour son roman Les Vies de Loulou (1989), histoire insolite d’initiation et d’apprentissage, qui lui ouvre les portes du succès. L’ouvrage sera traduit en plusieurs langues et adapté au cinéma. Te llamaré Viernes (« je t’appellerai vendredi », 1991) et Malena, c’est un nom de tango (1994) lui apportent la consécration. En 1996, elle publie un premier recueil de nouvelles, Modelos de mujer (« modèles de femmes »). Elle poursuit avec Atlas de la géographie humaine (1998) et Vents contraires (2002), qui, comme Malena, est adapté sur grand écran. En 2003 paraît Mercado de Barceló (« marché de Barceló »), une sélection d’articles publiés dans El País Semanal, de 1999 à 2003. Le fil conducteur de ces articles est le marché, au cœur de Madrid, dont elle fait le microcosme de petites histoires et le catalyseur des préoccupations et des aspirations des petites gens, perçues au travers de conversations. Après la publication en 2004 de Castillos de cartón (« châteaux en carton »), Le Cœur glacé obtient en 2007 le prix du roman de la Fondation José Manuel Lara et le prix Gremio de libreros de Madrid du meilleur roman en castillan. Afin de préparer son roman le plus ambitieux, inspiré par un vers d’Antonio Machado − Una de las dos Españas ha de helarte el corazón (« une des deux Espagnes glacera ton cœur ») –, allusion à l’affrontement de l’Espagne franquiste et de l’Espagne républicaine, elle lit des ouvrages sur la guerre civile, visionne des films, recueille les récits de témoins, pendant près de cinq ans. Il en résulte une œuvre extrêmement dense et d’une puissance évocatrice remarquable, au style fluide et harmonieux. En 1997, l’Italie lui a décerné le prestigieux prix Rossone d’oro pour l’ensemble de son œuvre. Elle succède ainsi à des écrivains tels Alberto Moravia ou Ernesto Sábado, mais elle est la première femme − et le premier auteur espagnol − à qui il est attribué.
Àngels SANTA
■ Les Vies de Loulou (Las edades de Lulú, 1989), Paris, Albin Michel, 1990 ; Malena, c’est un nom de tango (Malena es un nombre de tango, 1994), Paris, Plon, 1996 ; Atlas de la géographie humaine (Atlas de geografía humana, 1998), Paris, Grasset, 2000 ; Vents contraires (Los aires difficiles, 2002), Paris, Grasset, 2003 ; Le Cœur glacé (El corazón helado, 2007), Paris, J.-C. Lattès, 2008.
GRANDMA MOSES VOIR MOSES, Anna Mary ROBERTSON
GRANDS MAGASINS PARISIENS [France XIXe-XXe siècle]
Les Trois Quartiers, le Bon Marché, le Bazar de l’Hôtel de Ville, le Printemps, la Samaritaine, les Galeries Lafayette, ces grands magasins parisiens créés au XIXe siècle innovent en matière de distribution : entrée libre dans de vastes immeubles à la belle architecture, prix affichés et abordables, diversité de l’offre de produits. Des femmes, commerçantes avisées et animées par l’esprit d’entreprise, ont contribué à leur création et à leur prospérité. Augustine Gignoux (1791-1867) est la créatrice méconnue des Trois Quartiers. À la mort de son père, officier de santé, elle aide sa mère à des travaux de couture, puis, comme beaucoup de jeunes femmes de l’époque, ouvre à Paris sa propre boutique, où elle vend des soieries et confectionne robes et lingerie pour une clientèle bourgeoise. Ses projets d’agrandissement se heurtent à la méfiance des banquiers. Par son mariage, elle apporte son capital à son époux pour fonder Aux Trois Quartiers, Gallois, Gignoux en 1827. Deux ans plus tard, elle a agrandi son magasin boulevard de la Madeleine. En 1845, les Trois Quartiers sont devenus un vaste ensemble moderne, et la gamme des produits s’est constamment diversifiée. A. Gignoux y crée le Salon des lumières, rendez-vous des élégantes parisiennes. Jusqu’à sa mort, cette travailleuse acharnée dynamisa l’entreprise et la dirigea de fait.
Sous le Second Empire, Marguerite Boucicaut et Marie-Louise Jaÿ ont en commun d’être originaires d’un milieu rural pauvre, d’avoir émigré à Paris, partagé avec leur mari le goût du commerce et de l’innovation et d’être reconnues comme cogérantes. Dans leur ascension fulgurante, elles ont toujours gardé des préoccupations sociales et philanthropiques. M. Boucicaut née Guérin (1816-1887) codirigea le Bon Marché. Fille d’une couturière illettrée et d’un père inconnu, elle demandera dans son testament qu’une partie de sa fortune soit destinée à des refuges pour filles-mères. À 13 ans, elle est apprentie blanchisseuse à Paris ; elle apprend à lire et écrire, travaille dur et économise. Elle soutient son futur mari Aristide Boucicaut quand il rachète en 1863 les parts de ses associés de la maison de nouveautés Le Bon Marché, et elle contribue au développement spectaculaire de ce qui deviendra un grand magasin. Veuve en 1877, elle dirige l’entreprise, avec toujours le souci de préserver ses employés pour lesquels elle crée, entre autres, une caisse de prévoyance et des cours du soir. Elle lègue son immense fortune aux salariés du Bon Marché et à de multiples œuvres hospitalières et sociales. On lui doit la création en 1897 de l’hôpital parisien qui porte son nom. M.-L. Jaÿ (1830-1925) cofonde la Samaritaine. Fille de paysans savoyards, elle est d’abord employée à la Nouvelle Héloïse à Paris, puis, avec ses économies, s’associe à son futur mari Ernest Cognacq quand il se met à son compte en 1867 pour fonder deux ans plus tard La Samaritaine, alors modeste boutique. Entre 1905 et 1910, ils ouvrent quatre magasins prestigieux rue de Rivoli. Richissimes et sans enfants, ils consacrent leur fortune au mécénat, créent en 1916 une fondation caritative (qui finance des crèches, des pouponnières, des logements sociaux) et en 1922 le prix Cognacq-Jay en faveur des familles nombreuses. La collection d’œuvres d’art qu’ils exposaient dans leurs magasins fut léguée à la ville de Paris et devint un musée en 1929. M.-L. Jaÿ a offert à sa ville natale, Samoëns, une maison médicale et un exceptionnel jardin botanique alpin.
Jacqueline PICOT
■ DEBRÉ J. L., BOCHENEK V., Ces femmes qui ont réveillé la France, Paris, Fayard, 2013 ; LAVAU-HUREL D., Le Défi d’Augustine, Aux Trois Quartiers, Saint-Magne-de-Castillon, La Fontaine secrète, 2011.
GRANDVAL, Clémence DE (née DE REISET) [SAINT-RÉMY-DES-MONTS, SARTHE 1828 - PARIS 1907]
Compositrice française.
Fille du baron Léonard de Reiset, un officier, et de Louise Adèle du Temple de Mézière, Clémence de Reiset bénéficie du goût prononcé de ses parents pour la musique et la littérature. Sa mère, en particulier, publia plusieurs romans. Nombre de musiciens fréquentent alors le château de la Cour du Bois, dans la Sarthe ; parmi eux, le violoniste Jean-Baptiste de Cuvillon et le violoncelliste Auguste Franchomme, tous deux membres du prestigieux orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, ainsi que le critique musical Paul Scudo et le compositeur allemand Friedrich von Flotow. Ce dernier est donné comme le premier professeur de composition de C. de Reiset, qui manifeste très tôt un intérêt pour la création musicale et aurait composé dès l’âge de 10 ans des œuvres pour orchestre symphonique qu’elle dirigeait elle-même. Elle est pour le piano une élève de Chopin. Son mariage en 1851 avec Amable Enlart de Grandval, un officier, ne freine pas sa vocation. La fille unique du couple – une seconde fille n’a pas survécu – naît en 1852, et C. de Grandval reprend des études de composition, pendant deux ans, avec Camille Saint-Saëns. Celui-ci lui dédie de nombreuses œuvres, dont son Oratorio de Noël (1858). Elle étudie aussi le chant et interprète fréquemment ses mélodies en concert ; elle en a laissé une soixantaine, dont ses remarquables Six poésies de Sully Prudhomme (1884). Si elle se fait connaître dès 1850 comme pianiste lors de concerts parisiens de musique de chambre, elle n’a quasiment pas laissé d’œuvres pour piano solo et écrit surtout pour des formations de musique de chambre. Sa production symphonique est également importante. Citons notamment son œuvre pour solistes, chœur et orchestre, La Forêt (1874), dont elle écrit elle-même le poème, et son Concerto pour hautbois et orchestre (1878), qui est fréquemment interprété par son dédicataire, le hautboïste alors célèbre Georges Gillet. Elle est aussi une des deux seules compositrices françaises de la fin du XIXe siècle, avec la baronne de Maistre, à connaître le succès dans le domaine de la musique religieuse avec orchestre. Sa Messe (1867), son Stabat Mater (1870) et ses oratorios Sainte Agnès (1876) et La Fille de Jaïre (1880) ont fait l’objet de nombreuses exécutions dans les grandes églises parisiennes et de province. Elle s’exprime aussi dans des ouvrages lyriques et donne en 1860 son premier ouvrage, Le Sou de Lise, au théâtre des Bouffes-Parisiens. Suivront Les Fiancés de Rosa en 1863 au Théâtre-Lyrique, La Comtesse Eva en 1864 au théâtre de Baden-Baden, La Pénitente en 1868 au théâtre de l’Opéra-Comique, Piccolino en 1869 au Théâtre-Italien, et Mazeppa en 1892 au Grand-Théâtre de Bordeaux. Ce dernier ouvrage, un opéra en cinq actes et six tableaux, connut un grand succès à sa création et fut repris par le même théâtre l’année suivante, mais ne fut jamais représenté sur une scène parisienne. C. de Grandval fait partie des compositeurs les plus joués à la Société nationale de musique et s’est acquis l’estime de ses contemporains, recevant notamment deux prix décernés par l’académie des Beaux-Arts, le prix Rossini en 1880 pour La Fille de Jaïre et le prix Chartier en 1890 pour l’ensemble de son œuvre de musique de chambre. Elle est, aux côtés d’Augusta Holmès*, la compositrice française la plus prolifique de la seconde moitié du XIXe siècle. Mais l’on déplore la disparition quasi totale des partitions d’orchestre de sa production, ce qui rend impossible une renaissance de ses œuvres symphoniques et lyriques.
Florence LAUNAY
■ BUFFENOIR H., Nos contemporaines : la Vicomtesse de Grandval, Paris, Librairie du Mirabeau, 1894 ; CLÉMENT F., POUGIN A. (dir.), Dictionnaire des opéras (1905), Paris, Bibliothèque des introuvables, 1999.
GRASSI, Ángela [CREMA 1823 - MADRID 1883]
Écrivaine et journaliste espagnole.
Née en Italie, Ángela Grassi passe son enfance et son adolescence à Barcelone, avant de s’établir à Madrid, cadre de son activité littéraire. Elle est, avec Pilar Sinués y Navarro* et Faustina Sáez de Melgar*, l’une des écrivaines espagnoles les plus connues sous le règne d’Isabelle II (1830-1904). Les créations littéraires et les articles de presse de cette monarchiste sont un chant à la patrie, à l’ordre établi, à la religion, à la maternité, et sont destinés à un public majoritairement féminin de la classe moyenne. Extraordinairement cultivée, elle ne revendique pourtant pas le droit des femmes à la formation intellectuelle ; néanmoins, les personnages féminins prédominent dans ses écrits, où elle expose ses réflexions sur leurs problèmes de jeune fille, d’épouse, de mère. Elle commence sa carrière en publiant poèmes et pièces de théâtre, dont la première, Lealtad a un juramento (« fidélité à un serment »), écrite à l’âge de 15 ans, est jouée pour la première fois en 1842. Après le recueil Poemas (1851), elle se consacre au genre narratif à partir des années 1860. Quelques-uns de ses romans populaires, récits et contes paraissent d’abord en feuilleton – pratique très prisée à l’époque. En 1861, elle signe son premier roman, El bálsamo de las penas (« le baume qui atténue les peines »), prélude à El lujo (« le luxe », 1865) et El camino de la dicha (« le chemin du bonheur », 1866). Dans Las riquezas del alma (« les richesses de l’âme », 1866), elle se déclare ouvertement favorable au droit de la femme à travailler lorsque cela est nécessaire à sa subsistance. Elle publie par la suite Los que no siembran no cogen (« il faut semer pour récolter », 1868), El capital de la virtud (« le capital de la vertu », 1876), El primer año de matrimonio (« la première année de mariage », 1877), roman épistolaire où elle adresse de virulentes critiques aux mouvements féministes en vogue à son époque.
Cristina SOLÉ CASTELLS
■ ANDRÉS R., « Ángela Grassi o el cielo de mejor suerte », in Escritoras románticas españolas, Madrid, Fundación Banco exterior, 1990 ; RUÍZ SILVA C., « Ángela Grassi, una aproximación », in Escritoras románticas españolas, Madrid, Fundación Banco exterior, 1990.
■ AYALA M. A., « Ángela Grassi, del romanticismo al dualismo moral », in Anales de Literatura Española, no 18, 2005.
GRASSO, Silvana [MACCHIA DI GIARRE, SICILE 1952]
Écrivaine italienne.
Traductrice de grec ancien et enseignante, après un premier recueil de récits, Nebbie di Ddraunnara (1993), Silvana Grasso publie Il bastardo di Mautana (« le bâtard de Mautana », 1994), qui retrace, à partir de 1921, par le biais de similitudes osées, la vie de deux sœurs. Elle fait ensuite paraître Ninna nanna del lupo (« la berceuse du loup », 1995), L’albero di Giuda (« l’arbre de Judas », 1997), qui désacralise les superstitions et les rites liés au mythe méditerranéen de la virilité, La pupa di zucchero (« la poupée de sucre », 2001), Disìo (« désir », 2005), Pazza è la luna (« folle est la lune », 2007) et Uno sbirro femmina (« une femme flic », 2007).
Graziella PAGLIANO
GRAU, Olga [SANTIAGO DU CHILI 1945]
Philosophe chilienne.
Professeure de philosophie à l’Université du Chili dès 1968, Olga Grau se spécialise en philosophie pour l’enfance au Montclair State College, dans le New Jersey, en 1985, et institue une chaire permanente pour l’enfance à l’Université du Chili, ce qui donnera lieu à des publications telles que Filosofía para la infancia (2006). Très tôt consciente de la condition d’infériorité des femmes, elle rejoint dès les années 1980 un groupe de féministes qui luttent pour le rétablissement de la démocratie anéantie par le coup d’État militaire de Pinochet et fait partie de la Commission des droits des femmes au sein de la Commission des droits humains qui enquête sur les crimes de la dictature. Fondatrice du groupe d’études féministes associé à l´Institut A. Lipschutz (1985-1987), elle milite au sein de l’organisation féministe chilienne La Morada. O. Grau est la première philosophe chilienne à intégrer cette pensée dans son cadre théorique. Elle innove aussi en définissant un cadre théorique et méthodologique multidisciplinaire où s’articulent philosophie, féminisme, littérature, musique et cinéma. Deux fois lauréate du Prix du Conseil national du livre et de la lecture au Chili pour Catalina, Catrala, Quintrala. Tres nombres y una persona no más (2001) et pour sa thèse de doctorat en littérature hispano-américaine et chilienne Tiempo y escritura. El Diario y los escritos autobiográficos de Luis Oyarzún (2006), elle a reçu en 2005 la distinction « Mujer generación siglo XXI » (« femme génération XXIe siècle ») de l’Université du Chili. Ses recherches actuelles portent sur l’érotisme, le corps et la différence sexuelle.
Maria del Pilar ERRÁZURZ VIDAL
GRAU, Shirley Ann [LA NOUVELLE-ORLÉANS 1929]
Écrivaine américaine.
C’est grâce à l’engouement de l’un de ses professeurs pour son travail que Shirley Ann Grau s’oriente vers l’écriture, améliorant son art de la prose en classe bien qu’ayant la conviction que l’on naît écrivain plutôt qu’on ne le devient. Son rapport à la lecture tient du sensuel et du tactile. Consciente que toute lecture est susceptible d’avoir une influence sur l’écriture, elle considère cependant que l’écrivain doit avant tout trouver sa voix. Elle avoue son admiration pour George Washington Cable, Elizabeth Madox Roberts*, Eudora Welty* et Carson McCullers* mais n’hésite pas à dire que Faulkner l’ennuie. Les romans et nouvelles de S. A. Grau se déroulent principalement dans le Sud. Dans son premier roman, The Hard Blue Sky (« menace dans le ciel », 1958), elle utilise son héritage culturel et décrit les tensions qui naissent dans une communauté à l’approche d’une tempête. Tout au long de sa carrière, elle surprend par ses choix thématiques : avortement dans La Maison de la rue du Colisée (1961) ; relations interraciales dans Les Gardiens de la maison (1964), qui remporte le prix Pulitzer ; argent, sexe et reconnaissance dans Quand passe le condor (1971) et Preuves d’amour (1977) ; retour sur l’histoire dans Roadwalkers (« odyssée », 1994). De plus, elle reprend plusieurs nouvelles pour les transformer en romans. Les nouvelles de Nine Women (« neuf femmes », 1985), qui présentent des femmes devant faire face aux difficultés de la vie, constituent en effet de véritables condensés de romans : le texte le plus émouvant, qui clôt le recueil, présente un personnage dont le cancer est en phase terminale. Portant une attention particulière au choix des mots, S. A. Grau parvient à transmettre des émotions grâce à un phrasé harmonieux et exempt de tout détail inutile. Pour elle, ce qui importe, c’est que le lecteur puisse reconstruire l’histoire grâce aux éléments fournis. Elle continue de créer des contrées mythiques comme elle le faisait déjà dans son premier recueil de nouvelles, Le Prince de la nuit (1955).
Gérald PREHER
■ Le Prince de la nuit (The Black Prince, 1955), Paris, Presses de la Cité, 1956 ; La Maison de la rue du Colisée (The House on Coliseum Street, 1961), Paris, Stock, 1962 ; Les Gardiens de la maison (The Keepers of the House, 1964), Paris, Stock, 1965 ; Quand passe le condor (The Condor Passes, 1971), Paris, Stock, 1974 ; Preuves d’amour (Evidence of Love, 1977), Paris, Stock, 1980.
■ PREHER G., « Corps et décor dans la fiction de Shirley Ann Grau », in BAZIN C., PERRIN-CHENOUR M.-C. (dir.), L’Écriture du corps dans la littérature féminine de langue anglaise, Nanterre, Publidix/Presses de l’université Paris X-Nanterre, 2008 ; WAGNER-MARTIN L., « Shirley Ann Grau’s wise fictions », in INGE T. B. (dir.), Southern Women Writers : The New Generation, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1990.
GRAVES, Nancy [PITTSFIELD 1939 - NEW YORK 1995]
Peintre, sculptrice et cinéaste américaine.
Associant abstraction et figuration, Nancy Graves a été active en peinture, sculpture, cinéma, réalisations de décors, tout en enseignant ponctuellement. Elle est l’une des premières femmes à intégrer le mastère du département d’art et d’architecture de l’université Yale. Diplômée en 1964, elle reçoit une bourse pour étudier à Paris ; ce séjour français inaugure de nombreux voyages, qui seront sources d’inspiration, notamment au Maroc, où elle tourne en 1970 ses films Goulimine et Isy Boukir. Mariée en 1965 avec le sculpteur Richard Serra (1939), dont elle se sépare en 1970, elle s’installe à New York en 1966. Au milieu des années 1960, N. Graves conçoit ses premiers assemblages, incluant des animaux vivants et empaillés, qui aboutissent à des sculptures en grandeur nature de chameaux en bois, polyuréthane, peau et acier, présentées en 1968 à la Graham Gallery de New York (Camels). Ses créations réalistes – squelettes, fragments corporels – se distinguent de l’art abstrait et minimaliste qui domine alors, bien qu’elle insiste sur l’origine abstraite de chaque élément qui les constitue. L’année suivante, elle est la première femme à qui le Whitney Museum consacre une exposition personnelle. Au tournant des années 1970, elle revient à la peinture, avec des œuvres inspirées de la géographie, de l’astronomie et de la paléontologie, à la croisée de l’abstraction et de la figuration. Des assemblages abstraits, recouverts d’une patine vivement colorée, marquent son retour à la sculpture, à la fin de la décennie. Elle découvre alors une technique qui révolutionne son approche : le moulage en bronze qui lui permet désormais d’intégrer des formes naturelles à ses sculptures. À la même époque, elle incorpore à ses peintures des éléments de sculpture, cherchant ainsi à supprimer les frontières entre les pratiques. La fondation Nancy-Graves conserve la mémoire de son travail.
Fanny DRUGEON
■ Sculpture/Drawings, Films, 1969-1971 (catalogue d’exposition), Aix-la-Chapelle, Neue Galerie im Alten Kurhaus, 1971 ; A Survey 1969/1980 (catalogue d’exposition), Cathcart L. L. (textes), Buffalo, Albright-Knox Art Gallery, 1980 ; The Sculpture of Nancy Graves : A Catalogue raisonné with Essays, Carmean E. A. (textes), New York, Hudson Hills Press/Rizzoli International, 1987 ; Excavations in Print : A Catalogue raisonné, Padon T. (textes), New York, Abrams, 1996.
GRAVILLE, Anne MALET DE [CHÂTEAU DE MARCOUSSIS V. 1490 - ID. V. 1543]
Écrivaine française.
Auteure d’un roman et d’une mise en rondeaux, Anne de Graville est la fille de Louis Malet de Graville, amiral de France sous Louis XII. Issue d’une famille noble fortunée, elle a bénéficié d’une éducation exceptionnelle, grâce notamment à son accès à l’importante collection de manuscrits et d’imprimés de son père, une des librairies les plus riches à cette époque, qui a suscité plus tard une passion de collectionneuse. Son mariage clandestin avec Pierre de Balsac d’Entraigues, qui aurait plongé le couple dans la précarité, serait à l’origine de ses initiatives d’écrivaine. A. de Graville, arrière-grand-mère d’Honoré d’Urfé, a connu une certaine popularité de son vivant, principalement à la Cour. Elle évolue auprès de la reine Claude de France, première épouse du roi François Ier, en tant que dame d’honneur, et c’est à ce titre qu’elle aurait composé, entre 1515 et 1524, « sur commandement de la reine », ses deux œuvres connues. Sa première composition, un ensemble de 71 rondeaux inspirés de La Belle Dame sans mercy d’Alain Chartier (1424), signée de sa devise maintenant connue « Ien garde un leal », lui a été attribuée par son premier biographe, Carl Wahlund. Son adaptation en Rondeaux semble viser à rendre plus explicite la position ambiguë d’A. Chartier dans le débat pro et contra le sexe féminin. Le manuscrit présente par ailleurs un texte en deux colonnes qui permettent de bien distinguer leur version respective. Maxime de Montmorand, un autre de ses biographes, suppose que le succès de cette première œuvre a valu à la poétesse une commande de « translation » de la narration épique de Boccace, intitulée Teseida delle nozze d’Emilia et composée vers 1340 – en fait une adaptation abrégée, modernisée et versifiée d’une version française anonyme, intitulée Thezeo, de 1460. Le Beau Rommant des deux amans Palamon et Arcita et de la belle et saige Emylia, composé vers 1521, raconte comment Palamon et Arcita, deux amis pareillement vaillants et courtois, en viennent à se battre pour l’amour de la belle et vertueuse Emylia. Il en existe aujourd’hui six copies manuscrites.
Mawy BOUCHARD
■ Le Beau Rommant des deux amans Palamon et Arcita et de la belle et saige Emylia translaté de vieil langaige et prose en nouveau et rime (vers 1521), Le Hir Y. (éd.), Paris, PUF, 1965.
■ MÜLLER C., « Le rôle de l’intellectuel et l’écriture poétique des femmes dans les cours princières au passage du XVe au XVIe siècle », in HUBER C., LÄHNEMAN H. (dir.), Courtly Literature and Clerical Culture, Tübingen, 2002.
■ BOUCHARD M., « Les belles [in]fidèles : traduire l’ambiguïté masculine, les Rondeaux d’Anne de Graville », in Neophilologus, no 88, 2004 ; RENO C., « Anne Malet de Graville : A sixteenth century collector reads (and writes) Christine », in Misericordia International, vol. 7, 1998.
GRAVKLEV, Kari [SKIEN 1944]
Scénographe norvégienne.
Entre 1972 et 1979, Kari Gravklev travaille dans le premier théâtre régional norvégien, le Hålogaland Teater, pour lequel elle élabore des scénographies à destination de productions itinérantes, comme par exemple Peer Gynt, d’Ibsen, mis en scène par Stein Winge en 1975. Au Trøndelag Teater, elle trouve une solution extraordinaire pour la mise en scène par Yannis Houvardas de Lulu de Frank Wedekind. Plus tard, elle collabore avec Kai Johnsen pour sa mise scène de Quand nous nous réveillerons d’entre les morts de H. Ibsen au Rogaland Teater de Stavanger. Son œuvre scénographique se distingue par une théâtralité bien marquée, comme c’est le cas dans une série de travaux accomplis en coopération avec des metteurs en scène comme Bentein Baardson ou S. Winge, surtout au Norske Teatret d’Oslo : Antigone de Sophocle, L’Alouette de Jean Anouilh, Médée d’Euripide, Le Canard sauvage d’Ibsen. En 2003, K. Gravklev prend en charge la scénographie de L’Idiot d’après Dostoïevski et mis en scène par Alexander Mørk-Eidem, au Statdsteater de Stockholm.
Knut Ove ARNTZEN