RAY, Henrietta Cordelia [NEW YORK V. 1849 - LONG ISLAND 1916]
Poétesse américaine.
Fille de Charles B. Ray, pasteur noir abolitionniste et éditeur du journal The Colored American, Henrietta Cordelia Ray grandit dans un milieu privilégié et cultivé, apprend le grec, le latin, le français et l’allemand à l’école de langues Sauvener et obtient une maîtrise de pédagogie de l’université de New York en 1891. Sa sœur Charlotte devient la première Afro-Américaine diplômée de la faculté de droit de l’université Howard en 1872. Pendant trente ans, H. C. Ray enseigne dans des écoles publiques de la ville de New York avant de se retirer sur Long Island avec sa sœur Florence dont elle est très proche. Elle continue d’y donner des cours de langues, de mathématiques, de musique et de lettres jusqu’à la mort de Florence. H. C. Ray se fait d’abord connaître dans le monde littéraire en composant une ode à Abraham Lincoln, qui est lue lors de l’inauguration du Freedmen’s Monument à Washington en 1876. Elle y fait l’éloge des qualités humaines du président défunt et rend hommage à celui qui mit fin à la souffrance des Noirs. Les deux sœurs écrivent une courte biographie de leur père après sa mort, Sketch of the Life of Rev. Charles B. Ray (1887). H. C. Ray consacre l’essentiel de son activité littéraire à la poésie, qu’elle publie d’abord dans des magazines. En 1893 paraît un recueil de sonnets, puis ses 145 poèmes sont rassemblés en une seule édition en 1910. Composés dans un style raffiné et érudit, ils se déclinent sur des thèmes variés : éloge de grandes figures abolitionnistes, méditations philosophiques et morales, poèmes d’amour romantique, pièces inspirées de l’Antiquité. Une grande maîtrise de la versification classique permet à H. C. Ray d’agencer des strophes de formes diverses, de varier les rythmes et d’obtenir des effets de rime parfois saisissants. Toutefois, l’intention politique de son parti pris esthétique n’a pas toujours été clairement perçue. Certains jugent sa poésie dépassée et artificielle, sans lien avec la réalité et soumise à la culture hégémonique blanche. D’autres voient au contraire dans sa maîtrise de certaines formes fixes, comme le sonnet, ainsi que dans sa reprise des mythes classiques une volonté d’appropriation d’un savoir traditionnellement réservé aux hommes blancs.
Valérie BAISNÉE
■ AHERN M. K., « Henrietta Cordelia Ray », in PAGE Y. W. (dir.), Encyclopedia of African American Women Writers, Westport, Greenwood Press, 2007 ; BANKS M. O., « Henrietta Cordelia Ray », in NELSON E. S. (dir.), African American Authors, 1745-1945 : Bio-Bibliographical Critical Sourcebook, Westport, Greenwood Press, 2000.
RAY, Janisse [BAXLEY 1962]
Écrivaine, naturaliste et militante écologiste américaine.
Détentrice d’un master (MA) de l’université de Floride (1984) et d’un master (MFA) de l’université du Montana (1997), Janisse Ray prend très tôt conscience de sa vocation d’activiste. Son premier livre, Ecology of a Cracker Childhood (« écologie d’une enfance cracker », 1999), obtient une reconnaissance immédiate, notamment l’American Book Award. Elle y décrit l’évolution d’un sujet, elle-même, avec celle de son environnement, les plaçant sous le signe de la perte – celui de son habitat personnel et celui du longleaf pine (« pin des marais ») dont elle raconte l’histoire en parallèle. Mêlant autobiographie et écologie dans un parcours de mémoire ébauchant les contours d’une identité culturelle, elle plaide pour la préservation d’un écosystème, donne au terme « écologie » une tonalité originale et fait comprendre que se raconter, c’est aussi faire de l’écologie. Son deuxième ouvrage, Wild Card Quilt (« habit d’arlequin », 2003), est le récit de son retour à la ferme familiale en Géorgie : se lançant dans l’agriculture et l’élevage de poules, elle invente le concept de co-sufficiency et promeut l’économie locale. En 2003-2004, elle interrompt cette expérience pendant un an pour accepter une résidence d’écrivain à l’université du Mississippi à Oxford. Elle écrit Pinhook (2005), sur les marais du même nom, ainsi que des essais et des poèmes pour divers journaux et magazines. Dans l’ouvrage collectif Where We Stand : Voices of Southern Dissent (« prise de position : les voix de la dissidence sudiste », 2004), elle signe un essai sur les effets du système capitaliste sur l’environnement et sur la qualité de la nourriture. Dans Courage for the Earth (« courage pour la Terre », 2007), dédié au travail de Rachel Carson*, elle propose un article sur les effets des pesticides sur les humains et les animaux, en particulier les désordres hormonaux. Dans A Voice for Earth : American Writers Respond to the Earth Charter (« une voix pour la Terre : des écrivains américains réagissent à la Charte de la Terre », 2008), elle adopte un ton plus politique avec « Hope for democracy » (« espoir pour la démocratie ») où elle qualifie le capitalisme de « cancer » qui menace la démocratie. Par la suite, en 2010, elle publie un volume de poésie, A House of Branches (« une maison de branches »), et en 2011, un volume autobiographique, un récit d’histoire naturelle, Drifting into Darien : A Personal and Natural History of the Altamaha River (« dériver vers Darien : une histoire naturelle et personnelle de la rivière Altamaha »).
Son écriture mêle poésie, autobiographie, analyse scientifique, plaidoyer environnementaliste et compte-rendu d’activité ; elle ponctue son texte de citations, de passages lyriques, d’anecdotes et, fidèle à sa technique du contrepoint, elle fait parfois alterner passages en italiques et passages en caractères standard, avec des tailles de police différentes. Considérée comme l’une des voix les plus importantes de l’activisme environnemental, J. Ray participe à de nombreuses conférences. Elle garde ainsi le lecteur en éveil, suscite des réactions, l’entraîne dans une heuristique de questionnements et de remises en question. Elle est créatrice de beauté et de rêve à travers un travail réaliste et scientifique. Née l’année de la publication de Printemps silencieux, elle est parfois appelée la Rachel Carson des forêts du Sud.
Marie LIÉNARD-YETERIAN
RAYA, Mónica [MEXICO 1965]
Scénographe, éclairagiste et costumière mexicaine.
Diplômée en architecture de l’Universidad nacional autónoma de México (UNAM) et de la Yale School of Drama, Mónica Raya collabore, tant aux États-Unis qu’au Mexique et en Amérique centrale, à plus d’une centaine de productions de théâtre et d’opéra, parmi lesquelles : Othello (1995) et La Nuit des rois (2004) de Shakespeare, et Les Justes (2002) de Camus pour la Compagnie nationale de théâtre du Mexique ; Tristan et Isolde (1996) de Wagner et La Flûte enchantée (2000) de Mozart pour la Compagnie nationale d’opéra ; La Malinche (1998) et La Fille de Rappaccini (2008) d’Octavio Paz pour le Festival Cervantino. Sur le plan international, elle obtient deux médailles d’or au concours World Stage Design (WSD) : en création de costumes, à Toronto, en 2005, puis comme scénographe remarquable, à Séoul, en 2009. Loin de cultiver un style personnel dans ses créations, elle privilégie l’invention de vocabulaire et l’exploration de nouvelles frontières performatives de l’espace, surtout non théâtral. Le métissage, la dualité, la multiplicité des lectures et l’hybridation des langages scéniques sont toujours au rendez-vous dans son travail, visant, par différents moyens, à faire du spectateur un cocréateur du spectacle.
Manuel ULLOA
■ BROCKETT O. G., MITCHELL M. et HARDBERGER L., Making The Scene : A History of Stage Design and Technology in Europe and the United States, San Antonio (Texas), Tobin Theatre Arts Fund, 2010.
RAYMOND, Eleanor [CAMBRIDGE 1887 - BOSTON 1989]
Architecte américaine.
Personnalité importante mais peu reconnue de l’histoire du modernisme américain, Eleanor Raymond est entrée en 1916 à l’École pour femmes d’architecture et de paysage de Cambridge, qui venait d’être récemment fondée. Reflétant les stéréotypes qui prévalaient, l’institution dirigeait les étudiantes vers l’architecture domestique. En 1928, E. Raymond ouvrit sa propre agence, après avoir travaillé une dizaine d’années avec Henry Atherton Frost. Au cours de sa carrière, elle a réalisé près d’une centaine de maisons, notamment celle de sa sœur Rachel, construite en 1931 à Belmont, dans le Massachusetts, et démolie en 2006. Influencée par ses voyages en Europe et sa découverte des œuvres de modernistes tels que Le Corbusier et Walter Gropius, l’habitation réunit des éléments modernes, comme des toits plats, un plan ouvert et une masse rectiligne, et des éléments régionalistes, tels que l’ossature de bois et la corniche intérieure. Deux autres de ses œuvres innovantes – réalisées pour la sculptrice de Boston Amelia Peabody – sont situées à Dover, dans le même État : un atelier (1933) fait de parpaings de mâchefer et éclairé par de grandes fenêtres industrielles et une maison (1948) au système de chauffage solaire pionnier, conçu par la chimiste hongroise Maria Telkes*. Une grande partie de l’œuvre d’E. Raymond reflète la popularité, persistante durant l’entre-deux-guerres, de l’architecture domestique néocoloniale de la Nouvelle-Angleterre du début du XIXe siècle. En 1931, elle publia un recueil sur celle de Pennsylvanie, Early Domestic Architecture of Pennsylvania : Photographs and Measured Drawings (« l’architecture d’intérieur des premiers temps en Pennsylvannie : photographies et dessins cotés »). La résidence qu’elle dessina pour la riche héritière Natalie Hays Hammond à Gloucester (1942) a un toit très pentu, des fenêtres à battants avec de petits carreaux et des bardeaux de bois foncés. Son succès professionnel fut tout autant dû à ses collègues féminines rencontrées durant sa formation qu’à ses célèbres clientes. Ethel Power, sa compagne, joua un rôle important dans la promotion de son œuvre au poste de rédactrice du magazine House Beautiful. Après sa démission, en 1934, celle-ci assuma les responsabilités domestiques, lui laissant ainsi le temps et l’énergie de développer son métier d’architecte.
Nancy GRUSKIN
■ COLE D., Eleanor Raymond, Architect, Philadelphia, Art Alliance, 1981.
■ COLE D., « Eleanor Raymond », in TORRE S. (dir.), Women in American Architecture, New York, Whitney Library of Design, 1977.
RAYMOND, Marie [LA COLLE-SUR-LOUP 1908 - PARIS 1989]
Peintre française.
Issue d’une famille aisée provençale, Marie Raymond débute la peinture dans l’atelier du peintre Alexandre Stoppler, à Cagnes-sur-Mer. Mariée en 1926 à un jeune peintre néerlandais, Fred Klein, avec qui elle a un fils (Yves Klein, également plasticien) deux ans plus tard, elle mène avec son mari une vie de bohème à Montparnasse, et rencontre les artistes de Puteaux Jacques Villon et Frank Kupka, précurseurs de l’art abstrait. De retour à Nice en 1932, elle prend des cours à l’École des arts décoratifs, où elle fait la connaissance du sculpteur abstrait Émile Gilioli. Elle obtient une commande pour réaliser une fresque destinée au pavillon des Alpes-Maritimes lors de l’Exposition internationale de 1937. La guerre contraint la famille à s’installer à Cagnes-sur-Mer, où M. Raymond commence à peindre des Paysages imaginaires (1941-1944), inspirés par ses promenades dans l’arrière-pays. De retour à Paris, elle expose au Salon des surindépendants de 1945. Le critique d’art Charles Estienne remarque ses œuvres et les présente aux côtés de celles de Jean Dewasne, Jean Deyrolle, Hans Hartung et Gérard Schneider, dans l’exposition Peinture abstraite, qu’il programme à la galerie Denise René. En 1949, la peintre obtient le prix Kandinsky, participe à la première Biennale de São Paulo au Brésil, ainsi qu’à la grande exposition Klar Form, organisée par Denise René*. C’est, pour l’artiste, une période d’intense activité sociale : les « lundis de Marie » réunissent galeristes, collectionneurs et jeunes artistes proches de son fils, dont Jean Tinguely, Dufrêne, Hains, Villeglé, Arman, César. En janvier 1957, le Stedelijk Museum d’Amsterdam lui consacre une rétrospective. Le début des années 1960 est marqué par son divorce et la mort de son fils ; elle peint alors une série d’œuvres cosmologiques, Abstraction-Figures-Astres (1964-1989). En 1972, une exposition rétrospective rassemblant les œuvres de M. Raymond et d’Y. Klein se déroule au château-musée Grimaldi de Cagnes. Ses peintures sont présentes dans de nombreux musées (Paris, Nantes, Amsterdam, Tokyo). L’année de ses 80 ans, la Pascal de Sarthe Gallery à San Francisco lui dédie une exposition personnelle.
Nathalie ERNOULT
■ Rétrospective, 1937-1987 (catalogue d’exposition), Nice, Mamac, 1993 ; Marie Raymond/Yves Klein (catalogue d’exposition), Fleck R. (textes), Angers, Expressions contemporaines, 2004 ; Marie Raymond-Yves Klein Herencias (catalogue d’exposition), Morales M. (textes), Madrid, Círculo de bellas artes, 2009.
RÁZUSOVÁ-MARTÁKOVÁ, Mária [VRBICA 1905 - BRATISLAVA 1964]
Écrivaine slovaque.
Formée à l’Institut pédagogique pour les enseignants de Prešov, Mária Rázusová-Martáková est contrainte d’abandonner ce métier pour des raisons de santé. Elle devient rédactrice pour le centre culturel Matica slovenská, dans la ville de Martin, puis pour la revue pour enfants Slniečko (« le petit soleil »). Elle écrit de nombreux livres pour la jeunesse : des recueils de poésie qui exploitent les comptines populaires, des pièces de théâtre. Ses contes animaliers versifiés sont encore populaires aujourd’hui : Zverinček (« la petite ménagerie », 1950), Farebná záhradka (« le petit jardin coloré », 1953) et Zatúlané húsa (« le petit oison perdu », 1953). Elle a également publié des recueils de poésie pour adultes, comme Svetlo nad horami (« la lumière au-dessus des montagnes », 1948), Vyznanie (« l’aveu », 1956) ou Pieseň o láske (« la chanson d’amour », 1957). Elle a traduit des auteurs russes et des dramaturges français, sources d’inspiration de ses pièces de théâtre.
Elena MELUŠOVÁ
■ MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Prague, Libri, 1999.
RDA – LITTÉRATURE [XXe siècle]
Le clivage entre les romans de femmes et les romans d’hommes ne correspondrait qu’aux « besoins bourgeois capitalistes du marché », affirme Hedda Zinner (1905-1994) dans son autobiographie (Teppich, « tapis », 1978). Comme la plupart des auteures de la République démocratique allemande, elle ne se voit pas comme un « écrivain femme ». Dans l’histoire de la RDA, la question des sexes joue un rôle secondaire. Dans la littérature d’après-guerre, les écrivaines s’engagent dans le débat sur les expériences de la guerre, et la révolution des rapports entre les sexes ne trouve pas sa place dans le concept du renouveau antifasciste. Les images conservatrices de la femme en tant que mère redeviennent donc rapidement prédominantes, et la poésie de paix des années 1940 et du début des années 1950 présente un stéréotype qui instrumentalise « l’amour maternel », mais qui fait également des « mères » les objets de l’éducation pacifiste. De son côté, la prose des années 1950, provenant en partie de la tradition littéraire ouvrière, revendique un changement des rapports entre les sexes, qui reste cependant lié à l’instauration de la nouvelle société socialiste. Elfriede Brüning (1910), Ruth Kraft (1920), Anna Seghers*, H. Zinner, Margarete Neumann (1917-2002), Rosemarie Schuder (1928) ou Inge von Wangenheim (1912-1993) montrent la « nouvelle femme » entrant dans des domaines de vie traditionnellement masculins sans abandonner pour autant les rôles traditionnellement féminins.
Les idées toutes faites à propos de la littérature féminine des années 1950 – schémas narratifs banals, représentation naïvement idéologisée de la femme, compréhension didactique de la littérature – perdurent encore. Cependant, les textes de Marianne Bruns, M. Neumann, Ruth Werner (1907-2000), H. Zinner, R. Schuder, Hildegard Maria Rauchfuss (1918-2000) ou I. von Wangenheim de cette époque sont plus riches qu’il n’y paraît. Le récit Elisabeth (1958), de M. Neumann, raconte le quotidien d’une jeune fille à la campagne. Les répercussions émotionnelles de la guerre sont décrites sur un ton délibérément détaché. Les conséquences de la guerre, traitées de façon austère et laconique, sont également l’objet des poèmes longtemps ignorés écrits par Inge Müller* entre 1956 et 1965. La dimension fragmentaire et hétérogène, l’aspect dur et sec, le minimalisme de ses textes représentent un défi pour l’appréciation esthétique, ajoutés aux futilités et aux ébauches de textes ratées, qui côtoient des poèmes dont la naïveté affichée est séduisante. Les cassures montrent les points où l’auteure a échoué dans sa tentative de maîtriser ses propres expériences et son vécu par l’écriture.
Les textes des années 1960 radicalisent le thème du rapport entre les sexes dans le socialisme et renouvellent sa mise en question du point de vue esthétique ; c’est le cas du roman Rumba auf einen Herbst (« rumba sur un automne »), écrit entre 1962 et 1965. Quant à Irmtraud Morgner (1933-1990), elle est la première auteure en RDA à rechercher systématiquement l’expression d’un point de vue spécifiquement féminin. En 1968 paraît, après de longs débats, Christa T de Christa Wolf*, l’un des grands récits de la littérature de la RDA ayant un personnage principal féminin. Il déclenche une longue discussion à propos du droit à l’épanouissement individuel dans le socialisme. En 1962, Brigitte Reimann (1933-1973) commence à écrire son roman Franziska Linkerhand (resté inachevé, publié en 1974) sur une architecte dans le monde de l’urbanisme socialiste dominé par les hommes. À partir de 1972, le thème central est désormais formulé explicitement comme « l’entrée de la femme dans l’histoire », ce qui inclut toujours son entrée dans la sphère publique. I. Morgner essaie d’ancrer leur réalisation en tant qu’individus également sur le plan de la structure narrative. Dans le roman Vie et aventures de la trobairitz Béatrice, la Trobadora, échappée du « Moyen Âge des hommes », arrive, en mai 1968 justement, sur la terre promise de l’émancipation. Son code de conduite, qui n’obéit pas aux normes contemporaines, crée un effet de distanciation par rapport à ce qui semble aller de soi. L’année 1974 voit la parution de textes de Helga Schubert, Charlotte Worgitzky (1934), Helga Schütz (1937), Angela Stachowa (1948), Gerti Tetzner (1936), Christine Wolter (1939), Christiane Grosz (1944), Christa Müller (1936), Beate Morgenstern (1946), Rosemarie Zeplin (1939), Maria Seidemann (1944), Renate Apitz (1939) et beaucoup d’autres. Le recueil de poèmes Zaubersprüche (« incantations », 1973) de Sarah Kirsch* fait véritablement sensation. Avec un grand naturel et sans mélancolie, la poétesse élabore un langage propre de l’érotisme féminin. Contrairement à la poésie d’amour traditionnelle, l’aimé ne devient jamais le centre du poème ; un sujet poétique féminin fort et souverain reste constamment présent. Le titre du recueil de nouvelles avec lequel débute Helga Königsdorf (1938) en 1978 correspond bien à l’ambiance de ces années-là : Meine ungehörigen Träume (« mes rêves inconvenants »). La réalité socialiste est mesurée à l’utopie. La légèreté du ton, en contraste avec l’attitude narrative ironique et sarcastique, ainsi que le détachement souverain avec lequel les rôles clichés sont inversés procurent un public large à l’écrivaine.
Dans les années 1980 coexistent les romans intéressants d’H. Zinner, Katja (1980), Die Lösung (« la solution », 1981) et Arrangement mit dem Tod (« arrangement avec la mort », 1984) et les premiers textes d’auteures nées à l’époque du socialisme, telles Kerstin Hensel (1961), Kathrin Schmidt (1958) ou Angela Krauss (1950). Beaucoup des plus jeunes ne renouent plus avec les traditions établies en RDA sans le moindre sens critique. Barbara Honigmann*, Gabriele Stötzer-Kachold (1953), Heike Willingham (1962), Barbara Köhler (1959), Katja Lange-Müller (1951), mais aussi Elke Erb (1938) qui est plus âgée, procèdent à une rupture esthétique et sociale, notamment sur la position sociale de la femme et les rapports entre les sexes, sujets de plus en plus récurrents sur lesquels beaucoup d’auteures se radicalisent vers la fin des années 1980, puis massivement après 1989. On peut citer les écrits de K. Lange-Müller, B. Köhler, G. Stötzer-Kachold, H. Willingham, K. Hensel, Annett Gröschner (1964). Les récits de K. Hensel établissent un grand nombre de figures de l’émancipation, à l’image de Lilit ou du Ritter Rosel dans son premier recueil, Hallimasch (1989), puis du personnage de la tailleuse de pierres Ulriche ou encore de la jeune Natalie, âgée de 16 ans, dans le récit Im Schlauch (« dans le tuyau », 1993). Cette radicalisation va de pair, après la fin de la RDA, avec le refus de se laisser enfermer dans le « coin des femmes ». Dans la poésie, les « installations langagières » et les essais de B. Köhler, la « syntaxe de la différence » devient même un principe générateur poétique. Dans Deutsches Roulette, Gedichte 1984-1989 (« roulette allemande, poèmes 1984-1989 »), puis encore plus nettement dans Blue Box, Gedichte (1995), elle expérimente différents procédés pour débloquer la grammaire hiérarchisante de la langue allemande, afin de ne pas calquer le penser des hommes. À la différence de leurs prédécesseurs, les plus jeunes évitent le grand projet de société. Leur perspective se situe plutôt à l’échelle individuelle. Elles ne travaillent plus sur l’utopie spécifique d’un socialisme féministe.
Birgit DAHLKE
■ LINKLATER B., « Und immer zügelloser wird die Lust », Constructions of sexuality in East German Literatures, Berne, P. Lang, 1998 ; DUECK C., Rifts in Time and in the Self, The female Subject in Two Generations of East German Women Writers, Amsterdam/New York, Rodopi, 2004.
■ DAHLKE B., « Rupture avec les mères féministes ? La dernière génération d’écrivaines en RDA », in BOUILLOT C., PASTEUR P. (dir.), Femmes, féminismes et socialismes dans l’espace germanophone après 1945, Paris, Belin, 2005.
READ, Katherine [DUNDEE 1723 - EN MER ENTRE LONDRES ET LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE 1778]
Peintre britannique.
Issue d’une famille aisée de jacobites, Katherine Read naît sur les terres écossaises d’Angus. Après la guerre civile qui oppose le roi au Parlement et l’échec de l’armée royale en 1745, elle gagne le continent européen. Il semble qu’elle ait étudié à Paris auprès du pastelliste Maurice Quentin de La Tour, puis de Louis-Gabriel Blanchet à Rome. Âgée de 27 ans, elle entreprend en effet, au tout début des années 1750, un voyage en Italie, conformément à la tradition du séjour dans la capitale italienne, essentiel dans la formation artistique et culturelle des peintres et des sculpteurs. En 1754, elle s’établit définitivement à Londres. Entre les années 1760 et 1776, elle expose à la Society of Artists, à la Free Society of Artists puis à la Royal Academy de Londres, sans cependant y être admise en tant que membre. C’est dans le genre du portrait que, de façon attendue pour une artiste femme du XVIIIe siècle, elle se spécialise. Protégée par la reine Charlotte, épouse de George III souverain du Royaume-Uni, elle bénéficie d’une situation confortable. Elle peint la reine avec le prince de Galles en 1761. Elle réalise également les portraits de membres de la noblesse et de l’aristocratie anglaise, princes, ducs, comtes, mais bien davantage des femmes ainsi que des enfants. Un Portrait de Maria Constantina, comtesse de Suffolk (Rangers House, Londres, 1765) illustre cet art du portrait en pied ou saisi à mi-corps, où le personnage est représenté sans recherche d’idéalisation. Le modèle est seulement mis en valeur par un fond sobre, neutre ou formé par les éléments d’un décor succinct : un pan de rideau qui retombe lourdement en plis épais, un mur discrètement esquissé, ailleurs une allusion à la nature ; l’artiste concentre son attention sur le caractère de ses modèles, cherchant visiblement à traduire leur état d’esprit, un sentiment ou une réflexion. Plus qu’à ses peintures à l’huile, c’est au pastel que la peintre doit sa notoriété. Un double portrait, celui de George Henry Fitzroy, comte de Euston, puis quatrième duc de Grafton, et de Lady Georgina Fitzroy, enfants, avec un chien sur les genoux (collection particulière, non daté), en apporte un exemple. Un certain nombre de ses portraits ont été gravés peu après leur réalisation. À 55 ans, l’artiste meurt en mer au cours d’une expédition avec son frère vers le cap de Bonne-Espérance.
Anne-Sophie MOLINIÉ
■ MORGAN M., « Jacobitism and art after 1745 : Katherine Read in Rome », in Journal for Eigtheenth-Century Studies, vol. 27, no 2, 2004 ; STROBEL H. A., « Royal “matronage” of women artists in the late-18th century », in Woman’s Art Journal, vol. 26, no 2 (automne 2005-hiver 2006).
RÉAGE, Pauline VOIR AURY, Dominique
RÉALISATRICES – TÉLÉVISION [France depuis 1950]
Des femmes travaillent au sein de la télévision française à partir des années 1950. Mais elles sont d’abord surtout présentatrices (« speakerines »), monteuses, créatrices de costumes ou scriptes. Les pionnières parmi les réalisatrices sont Jeanine Guyon (1919) et Jeannette Hubert (1926). Deux autres réalisatrices s’imposent dans les années 1970. Née en 1947, Josée Dayan* fait preuve d’une activité débordante, enchaînant film sur film en tous genres. Elle dirige Laurent Terzieff ou Claude Rich et forme un partenariat durable avec Gérard Depardieu. Elle le met en scène dans : Le Comte de Monte-Cristo (1998) ; Balzac (1999) ; Les Misérables (2002) ; Raspoutine (2011), avec Fanny Ardant*. Elle apprécie Jeanne Moreau*, qui tourne avec elle : Zaïde, un petit air de vengeance (2001) ; Balzac ; Les Rois maudits (2005) ; Les Parents terribles (2003), de Jean Cocteau ; La Comtesse de Castiglione (2006) ; Château en Suède (2008), de Françoise Sagan* ; et pour le cinéma, Cet amour-là (2001), d’après Yann Andréa, où elle incarne Marguerite Duras*. J. Dayan travaille aussi avec Catherine Deneuve* (Les Liaisons dangereuses, 2003) et Arielle Dombasle* (Milady, 2004 ; Ni reprise ni échangée, 2010). Née en 1937, Nina Companeez* est la fille du scénariste Jacques Companeez. D’abord scénariste et monteuse pour Michel Deville, elle réalise pour le cinéma trois films qui ne connaissent pas le succès. Elle se spécialise alors dans la télévision : la série en costume Les Dames de la côte (1979), où Edwige Feuillère* et F. Ardant jouent en toilettes Belle Époque, remporte un immense succès (François Truffaut découvre F. Ardant, qui va devenir l’héroïne de ses derniers films, à cette occasion). N. Companeez récidive avec un feuilleton sur la Révolution, puis avec une saga où elle raconte la vie de ses ancêtres maternelles, juives russes aux destins tumultueux. L’Allée du roi, d’après le roman de Françoise Chandernagor*, relate les liens entre Françoise de Maintenon* (Dominique Blanc*) et Louis XIV (Didier Sandre). N. Companeez demande au même acteur d’incarner le baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu (2011), d’après Marcel Proust.
Bruno VILLIEN
RÉALISME SOCIALISTE EN LITTÉRATURE [République tchécoslovaque 1948-1968]
À partir de février 1948, date de la prise du pouvoir par le Parti communiste, le réalisme socialiste s’impose comme la doctrine artistique officielle. Les débats sur l’orientation de la culture slovaque cessent brutalement. La littérature perd son caractère démocratique et devient un instrument politique au service de l’État. L’expérimentation artistique est rendue impossible. Imprégné d’idéologie communiste, le réalisme socialiste nie l’individu au profit du collectif, faisant du conflit social le sujet principal des œuvres littéraires. Les auteurs sont contraints de proposer des histoires où les héros représentant les idées socialistes sortent victorieux, afin de mettre en valeur les qualités des communistes, tandis que des rôles négatifs sont attribués aux personnages de prêtres. L’objectif est de transformer la conscience du lecteur et de la société tout entière. Le « roman des bâtisseurs », érigé en modèle, exclut désormais l’individualisme, la tristesse, le scepticisme et la solitude. Viera Handzová (1931-1997), qui place au centre de son œuvre l’émancipation des femmes, s’inspire aussi du soulèvement national de 1944, comme Katarína Lazarová (1914-1995) ou Štefánia Pártošová (1913-1987). La littérature pour enfants véhicule les mêmes idées avec, par exemple, les livres de Hana Zelinová*. Après 1954, la situation commence à changer, l’optimisme à l’égard du communisme est plus modéré, les problèmes sont décrits de façon un peu plus critique, mais cette tendance reste limitée jusqu’en 1956. Au début des années 1960, des difficultés économiques incitent le gouvernement à mettre en place des réformes. C’est un contexte propice à l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs qui apportent un souffle nouveau à la littérature slovaque, faisant réapparaître l’expérimentation artistique et l’individu. L’intervention des troupes du Pacte de Varsovie met fin à cette courte période de démocratisation en 1968.
Elena MELUŠOVÁ
■ Panoráma slovenskej literatúry III, Bratislava, SPN, 2006.
REAM HOXIE, Vinnie (Lavinia Ellen, dite) [MADISON 1847 - WASHINGTON 1914]
Sculptrice américaine.
Lavinia Ellen, dite Vinnie, Ream grandit dans l’Amérique de la guerre de Sécession et de la progressive conquête de l’Ouest et, plus précisément, dans le Wisconsin, aux marges des territoires indiens. Sa famille, très modeste, déménage à Washington, où la toute jeune fille devient en 1863 l’assistante de studio du sculpteur Clark Mills, connu pour ses statues équestres. En 1866, à seulement 19 ans, elle reçoit la première commande publique américaine confiée à une femme, et non la moindre : une statue à la mémoire d’Abraham Lincoln, le président assassiné en 1865. Elle le représentera en pied, regardant, solennel et mélancolique, la grande trace qu’il laisse dans l’histoire : l’acte d’abolition de l’esclavage, qu’il tient en main. La statue est drapée dans ses vêtements d’époque, conformément aux exigences montantes du réalisme, mais le mouvement du manteau donne de la masse, à la manière des draperies néoclassiques. La sculptrice façonne ses corps nus dans le plâtre et en étudie longuement l’anatomie avant de les vêtir. Ses assistants effectuent la transcription dans le marbre, procédure courante dans de nombreux ateliers d’hommes également. Pour le choix du marbre et la taille du Lincoln, elle se rend en Europe, accompagnée de ses parents. Elle suit des cours de dessin auprès du peintre de portraits Léon Bonnat à Paris, puis séjourne à Rome, où elle ouvre un atelier afin d’y faire réaliser la sculpture en marbre de Carrare. Elle s’intègre au sein de la colonie artistique anglo-saxonne dite du « White, Marmorean Flock » (« le troupeau blanc marmoréen », selon l’expression de Henry James). En 1871, alors que l’artiste est réinstallée à Washington, l’immense succès du Lincoln entraîne de nombreuses commandes publiques. Après son mariage, en 1878, avec le lieutenant Richard L. Hoxie, elle interrompt sa carrière artistique pendant plus de dix ans ; lorsqu’elle reprend son activité, elle a la déception de se voir considérée comme femme – donc amatrice – et non comme artiste professionnelle : à l’occasion de la World Columbian Exposition de Chicago, en 1893, son travail est en effet installé dans le Women’s Building et non dans le pavillon américain officiel. Dès 1906, elle bénéficie toutefois de nouvelles commandes publiques, notamment le bronze Sequoyah, mémorial d’un héros cherokee, qui sera placé dans le National Statuary Hall du Capitole à Washington, ultime hommage qu’elle rendra aux Indiens, dont la cause, toujours, lui resta chère.
Anne LEPOITTEVIN
■ UNITED STATES, ARCHITECT OF THE CAPITOL, Art and The United States Capitol, Washington, Government Printing Office, 1978 ; RUBINSTEIN C. S., American Women Sculptors : A History of Women Working in Three Dimensions, Boston, G. K. Hall, 1990.
■ LEMP J., « Vinnie Ream and “Abraham Lincoln” », in Woman’s Art Journal, vol. 6, no 2, 1985-1986.
REBÉRIOUX, Madeleine [CHAMBÉRY 1920 - PARIS 2005]
Historienne française.
Normalienne et agrégée d’histoire, Madeleine Rebérioux est professeure dans l’enseignement secondaire puis à l’université Paris 8-Vincennes. Sa conception de l’histoire se construit dans cette pratique enseignante faite de séminaires et d’enquêtes collectives. M. Rebérioux renouvelle la connaissance d’un large XIXe siècle français et européen par l’étude des mondes ouvriers et de l’engagement socialiste, des mouvements culturels et sociaux d’avant-garde, de l’internationalisme et de l’anticolonialisme, de la place des femmes et du développement du féminisme. Elle imagine différents lieux de construction du savoir en marge de l’université comme la Société d’études jaurésiennes qu’elle cofonde puis préside à partir de 1982. Elle s’investit également dans certaines institutions publiques, de la Délégation aux célébrations nationales (1981-1986) au musée d’Orsay dont elle est vice-présidente de l’établissement public (1981-1987). Inscrite en thèse auprès d’Ernest Labrousse au début de son parcours scientifique, elle abandonne son doctorat pour se consacrer à l’étude de la circulation des idées politiques en Europe (son premier livre, Proudhon et l’Europe, publié en 1945, fut remarqué par Lucien Febvre). Elle se rapproche de Jean Maitron, artisan du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français et maître d’œuvre de la revue Le Mouvement social. Elle contribue au premier en écrivant de nombreuses notices et dirige la seconde de 1971 à 1982. Elle démontre combien le socialisme ouvrier pouvait devenir le moteur de la démocratisation et de la justice sociale dans la France républicaine de l’aube du XXe siècle et se fait l’historienne critique de cette époque. Elle offre en 1975 une magistrale synthèse de son travail : La République radicale, 1899-1914 (Seuil). Elle ne termine pas la grande biographie critique qu’elle envisageait pour saisir le « continent Jaurès », mais présente les éléments les plus décisifs du « vaste monde » qu’il représentait. Elle lance en 2000 (avec Gilles Candar) l’édition de ses œuvres en 18 volumes (Fayard). Son parcours militant, versant civique de son travail historien, n’est jamais interrompu. À la Libération, M. Rebérioux adhère au Parti communiste et se résout à assumer, contrairement à Annie Kriegel ou à François Furet, la contradiction entre le militantisme dans un parti à caractère stalinien et l’exercice de la pratique intellectuelle. Elle s’engage résolument dans la lutte contre la guerre d’Algérie : elle anime à partir de 1957 un Comité de défense des libertés contre la guerre d’Algérie, cofonde en 1960 Vérité-Liberté pour s’opposer à la censure, signe « l’appel des 121 » en faveur du refus de servir en Algérie et prolonge ces combats en luttant contre la guerre du Vietnam. Exclue du PCF en 1969, elle s’associe pleinement aux actions de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen à laquelle elle avait adhéré dès 1964 et qu’elle préside de 1991 à 1995. Elle est à l’origine de l’idée de « citoyenneté sociale » qui rappelle combien l’exercice des droits civiques est déterminé par les conditions de vie et la place occupée dans la société. Elle engage enfin la Ligue dans un combat frontal contre l’extrême droite, en soulignant la nécessité d’accroître la démocratisation républicaine, la justice sociale, l’égalité des chances. Plus récemment, elle fustige l’hypocrisie de la loi sur le voile qui scelle l’échec de l’intégration à la française. Son dernier combat est pour la paix entre les Israéliens et les Palestiniens.
Vincent DUCLERT
■ Vive la République ! , Candar G., Duclert V. (dir.), Paris, Démopolis, 2009.
■ DUCLERT V., FABRE R., FRIDENSON P. (dir.), Avenirs et avant-garde en France, XIXe-XXe siècles, hommage à Madeleine Rebérioux, Paris, La Découverte, 1999.
REBOUL VIEN, Marie-Thérèse VOIR VIEN, Marie-Thérèse
REBOUX, Caroline [PARIS 1837 - ID. 1927]
Modiste française.
Fille d’une aristocrate désargentée et d’un journaliste bohème, Caroline Reboux reçoit une excellente éducation. À la suite d’un revers de fortune, elle est obligée de travailler et choisit la profession de modiste. Après des débuts difficiles, elle s’installe à son compte et dès les années 1860 ses chapeaux attirent l’attention de la princesse de Metternich et de la comtesse de Pourtalès. Remarquées à la cour, ses créations séduisent l’impératrice Eugénie et, dès lors, sa renommée est assurée. En 1865, elle ouvre une boutique au 23, rue de la Paix, à Paris, où elle travaille sa vie durant. En 1900, elle emploie plus de 100 personnes. La maison génère de tels bénéfices qu’en pionnière des avantages sociaux elle décide d’y faire participer ses collaboratrices. Dans les années 1920, elle cède la direction de son affaire à Lucienne Rabaté qui, sculptrice de formation, modèle le feutre et la paille avec brio, à la recherche de l’harmonie parfaite entre le chapeau et le visage. En 1935, la maison déménage au 9, avenue Matignon. Elle compte dans sa clientèle les femmes les plus élégantes du temps, dont de nombreuses actrices, comme Greta Garbo*, pour qui est créé en 1933 le modèle Grand Gigolo, Marlene Dietrich*, coiffée par la maison Reboux dans Le Chevalier sans armure, en 1937, Arletty* dans Madame Sans-Gêne en 1941. La maison ferme en 1956. Surnommée pendant plus de cinquante ans « la reine des modistes », C. Reboux est l’instigatrice de la haute mode, comme Charles Frederick Worth l’est pour la haute couture. Elle a élevé le chapeau au rang d’œuvre d’art et est à l’origine de nombreuses innovations, comme les toquets Vigée-Lebrun et les voilettes de couleur. Elle confectionne des chapeaux pour plusieurs maisons de couture, dont celle de Madeleine Vionnet*. De nombreuses modistes parmi les plus talentueuses ont été formées chez elle, notamment Rose Valois, Louise Boulanger, Agnès, Maria Guy ou Lily Daché.
Zelda EGLER
■ BOLOMIER E., Le Chapeau, grand art et savoir-faire, Paris/Chazelles-sur-Lyon, Somogy/Musée du Chapeau, 1996 ; ID., DUMONTHIER J., GAUDIN J.-P. et al., Encyclopédie du couvre-chef, Lyon, Samedi midi, 2008 ; KAMITSIS L., MÜLLER F., Les Chapeaux, une histoire de tête, Paris, Syros-Alternatives, 1993 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; LE MAUX N., Histoire du chapeau féminin, Paris, Massin, 2000.
RÉCIT DE VIE, AUTOFICTION [France XXe siècle]
En ce début de siècle, la publication des recherches freudiennes va influencer la production littéraire. La pudibonderie disparaît et on assiste à une floraison d’œuvres à caractère autobiographique : dans ses livres de souvenirs, Colette*, qui ignorait pourtant tout de la psychanalyse, parle sans détour de sa bisexualité ou d’inceste avec son beau-fils… Les romancières se tournent plus naturellement vers ce genre nouveau qui répond au désir de saisir ce qui se laisse le moins facilement contenir : le souvenir. Le passé apparaît comme des « petits bouts de quelque chose d’encore vivant » (Nathalie Sarraute*).
La forme la plus courante de l’autobiographie correspond à la définition qu’en a donnée Philippe Lejeune : l’identité unique du personnage, narrateur, auteur, attestée par la signature. Le Bruit de nos pas de Clara Malraux* ou Ce que le siècle m’a dit de Dominique Desanti* appartiennent à cette catégorie, qui traite de la vie individuelle et de l’histoire d’une personnalité au cœur d’un récit rétrospectif. L’autobiographie la plus insolite est La Vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet*, qui a sidéré la critique.
Une autre forme d’autobiographie est celle des mémoires, où l’auteur se présente comme témoin de son temps qui enquête sur le quotidien et s’inscrit dans son environnement social et culturel : les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir* révèlent chez la jeune fille des années 1920 le souci de l’idéal communiste ; Annie Ernaux*, dans Les Années, renvoie côte à côte ses photos personnelles et les changements sociaux qui ont façonné la petite fille qu’elle était. Dans ces récits rétrospectifs en prose, l’ordonnance logique est souvent liée à la chronologie.
Avec le journal intime, qui semble une pratique très féminine, sans forme fixe autre qu’un récit fragmenté (parfois agrémenté de poèmes, de collages), et relativement fidèle au quotidien, l’écrit reste le plus souvent confidentiel et sans véritable recherche littéraire, hormis le Journal de Catherine Pozzi*.
Le roman autobiographique raconte la vie d’un personnage qui ressemble fortement à l’auteur. Le narrateur, personnage-acteur, privilégie la forme métaphorique. Si les exemples foisonnent (Christine Angot*, Christine Arnothy*, Françoise Chandernagor*, Catherine Cusset*, Marguerite Yourcenar*, entre autres), dans ce projet romanesque excellent Germaine Beaumont*, Violette Leduc* et Albertine Sarrazin* : leur situation personnelle constitue la matière première de leurs récits. D’autres auteures choisiront la forme plus originale de la nouvelle : Joyce Mansour*, Anne Garréta* ou Yasmina Reza* (1959).
Dans les années 1960, la philosophie de l’absurde met à mal l’idée de « destinée humaine », et le Nouveau Roman conteste la notion de personnage. L’autobiographie renouvelle alors ses formes, en se faisant autofiction : récit discontinu, analyse critique, fusion du vécu et de l’imaginaire, peu de chronologie. N. Sarraute préfère le dialogue, avec effets de polyphonie ; Marguerite Duras* choisit clairement le pacte romanesque et utilise la troisième personne.
L’autobiographie reste un témoignage adressé au public, mais aussi un miroir où se regarde l’auteur qui s’interroge sur les raisons qu’il a de se raconter, sur les modalités d’écriture à adopter, sur les difficultés et les limites de l’entreprise. Seul le récit de vie se prête tout à fait à cette réflexion, parce qu’il met en jeu certaines composantes essentielles de l’écriture : le choix du locuteur, le traitement du temps, le rapport du sujet à lui-même, la vérité de la représentation.
Marie-Noëlle CAMPANA
■ CIXOUS H., Entre l’écriture, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1986 ; LEJEUNE P., L’Autobiographie en France, Paris, A. Colin, 1971 ; MAY G., L’Autobiographie, Paris, Presses universitaires de France, 1979.
RÉCIT DE VIE, AUTOFICTION [Québec XXIe siècle]
Depuis quelques années, sont apparus des textes empruntant à l’autobiographie aussi bien qu’à la fiction, selon des agencements chaque fois renouvelés. Réfléchissant à cette pratique, Régine Robin* y voit « la promotion du simulacre et de l’imaginaire », car « dans cette recherche d’une identité pluralisée par les fantasmes d’auto-engendrement, il existe une zone limite, une bordure où le passage à l’acte tend à effacer les frontières entre le monde fantasmatique de l’auteur et le réel sociobiographique ». Ce genre a été pratiqué au Québec, à partir des années 2000, par Marie-Sissi Labrèche et Nelly Arcan, avec des récits qui se proposaient d’abord au lecteur comme romans. M.-S. Labrèche présente des héroïnes qui ont à voir avec la biographie de l’auteure tout en appartenant au monde de la fiction : Borderline (2000) raconte l’histoire d’une enfant devenue adulte, qui, pour échapper au tragique de sa situation, se lance à corps perdu dans des aventures amoureuses toutes plus décevantes les unes que les autres ; La Brèche (2002) poursuit, sous forme de journal, cette plongée dans l’intime en retraçant la passion d’Émilie-Kiki pour son professeur de littérature spécialiste de Kafka ; dans La Lune dans un HLM (2006), deux voix alternent, celle de Léa, qui rêve d’être peintre, et celle d’un « je » qui rédige des lettres pour sa mère en dérive et commente le roman qu’elle écrit. Par des phrases brèves, savamment rythmées, l’auteure inventorie les zones d’ombre de vies marquées du sceau de la souffrance et les tentatives désespérées des personnages pour colmater une faille existentielle.
Accueilli à grand renfort de publicité, Putain de N. Arcan décrit le quotidien d’une étudiante en lettres dont le gagne-pain consiste à travailler comme prostituée ou « escorte » pour une agence montréalaise. « Oui, la vie m’a traversée, je n’ai pas rêvé, ces hommes, des milliers, dans mon lit dans ma bouche, je n’ai rien inventé de leur sperme sur moi, sur ma figure, dans mes yeux [… ]. » Ainsi commence ce livre sous-titré « récit », dont l’aspect autobiographique a été mis en évidence par la presse, et non démenti par l’auteure. Mais à côté de l’exhibitionnisme inévitable, il s’agit de dénoncer, dans une forme très littéraire, l’emprise du sexe dans la société. Le deuxième ouvrage de l’écrivaine, Folle (2004), emprunte encore plus nettement sa forme à l’autofiction. Il met en scène l’auteure, devenue personnage, écrivant une ultime lettre à l’amant qui l’a abandonnée. Entre Nelly, une ancienne « escorte » dont le roman a connu un grand succès, et un journaliste français adepte de cyberporno rêvant d’écrire un roman scandaleux, une passion a pris naissance, qui se solde par un échec, laissant l’amoureuse éperdue, ou, comme le dit la narratrice, « déréglée ». Le roman À ciel ouvert (2007) porte sur l’emprise de l’apparence et sur les contraintes que s’imposent les femmes afin de correspondre aux modèles imposés par un certain conformisme ambiant, véhiculé par les médias. Dans un recueil de nouvelles intitulé L’Immense Fatigue des pierres (1999), R. Robin crée le concept de « biofiction » pour décrire des biographies fictives de rescapés de l’Holocauste. Entre Paris, Montréal et New York, des êtres cherchent à échapper au poids tragique de l’histoire en traversant les langues et les lieux dans un mouvement incessant. Mélika Abdelmoumen, dans Le Dégoût du bonheur, retrace les tribulations d’une héroïne, M., née de père maghrébin et de mère québécoise, à l’instar de l’auteure. Scrapbook de Nadine Bismuth entrelace diverses intrigues amoureuses, et se présente comme une parodie d’autofiction.
Lise GAUVIN
■ ABDELMOUMEN M., Le Dégoût du bonheur, Montréal, Point de fuite, 2001 ; ARCAN N., Putain, Paris, Seuil, 2001 ; ID., Folle, Paris, Seuil, 2004 ; ID., À ciel ouvert, Paris, Seuil, 2007 ; BISMUTH, N., Scrapbook, Montréal, Boréal, 2006 ; LABRÈCHE M.-S., Borderline, Montréal, Boréal, 2000 ; ID., La Brèche, Montréal, Boréal, 2002 ; ID., La Lune dans un HLM, Montréal, Boréal, 2006 ; ROBIN R., Le Golem de l’écriture, de l’autofiction au cybersoi, Montréal, XYZ, 1997 ; ID., L’Immense Fatigue des pierres, Montréal, XYZ, 1999.
RÉCIT DE VIE [Suède XVIIe-XXe siècle]
Au XVIIe siècle, déjà, femmes et hommes des classes privilégiées écrivent des récits autobiographiques, des journaux, des mémoires et des notes de voyages privés ou professionnels ou de campagnes de guerre.
Christine de Suède* a laissé une autobiographie en français publiée après sa mort : La Vie de la reine Christine, faite par elle-même, dédiée à Dieu (1751-1760). Faisant l’éloge de l’homme héroïque et s’identifiant à son père, elle exprime un certain mépris pour les femmes et veut apparaître comme une Pallas Athéna, déesse de la guerre, de la sagesse et de la virginité.
La fille du roi du Danemark, Leonora Christina*, écrit en même temps en danois Souvenirs de misère, qui raconte notamment sa période d’emprisonnement de plus de vingt ans. Agneta Horn (1629-1672), autre écrivaine importante de cette époque, est l’auteure d’une autobiographie très intéressante, Agneta Horns lefverne (« la vie d’Agneta Horn »), qu’elle intitule elle-même Beskrivning över min elända och mycket vedervärdiga vandringestid… (« le récit de mes misérables et très repoussantes déambulations… », vers 1657). Elle y décrit son enfance dans la maison de son grand-père maternel, le chancelier Axel Oxenstierna (régent de la reine Christine jusqu’à sa majorité), ainsi que son refus d’épouser l’homme choisi par sa famille. Dans un suédois oral, elle raconte avec des tournures rapides et abruptes des scènes de la vie festive et quotidienne de la noblesse.
Le XVIIIe siècle est avant tout celui des biographies et des récits de vie, en Suède comme ailleurs. Le premier journal, au sens moderne du terme, est celui de Metta Lillie (1709-1788), fille de colonel, entre les années 1737 et 1750. Il commence comme une chronique de famille, se poursuit avec des notes relatives à la gestion de la propriété, puis aborde des thèmes comme la politique et la religion. À la mort de son père, elle découvre que l’écriture lui permet de confier les chagrins et les problèmes dont elle ne peut parler et une voix plus personnelle émerge. Toujours célibataire à 35 ans, elle s’interroge sur sa place dans le monde. Quelques années plus tard, pour obéir à sa mère, elle épouse un veuf, et son journal se termine par une phrase de désespoir adressée à Dieu le jour où elle quitte sa maison d’enfance.
Les mémoires de cour du temps de Gustave III abondent et la belle-sœur du roi, Hedvig-Élisabeth-Charlotte (1759-1818), duchesse d’Oldenbourg, écrit tout au long de sa vie un journal en français – la langue parlée à la cour de Gustave III –, qui constitue un témoignage historique important, notamment sur les festivités et les bals masqués à la cour du roi. Il prend la forme de lettres mensuelles que la duchesse écrit à une amie, mais aussi pour la postérité. En 1812, elle devient reine de Suède lorsque son mari est placé sur le trône et règne sous le nom de Charles XIII jusqu’en 1818.
Au XIXe siècle, tenir des journaux devient une habitude bourgeoise et, en accord avec les idées du romantisme, apparaît le journal intime ou introspectif, utilisé comme instrument dans l’éducation morale du « moi ». Fredrika Bremer* écrit ses lettres de voyage sous forme de journal. Celles qui sont publiées sous le titre La Vie de famille dans le Nouveau-Monde (1850-1853) la rendent célèbre car elles introduisent une forme de travail journalistique novateur qui donne une image d’ensemble de la culture, des habitudes et de la politique en Amérique du Nord et à Cuba. L’auteure décrit la vie plus libre que mènent les femmes d’Amérique mais s’indigne de l’esclavage. Dans Lifvet i Gamla verlden (« la vie dans l’ancien monde », 1860-1862), elle décrit les voyages qu’elle entreprend pendant cinq années en Italie, en Palestine et en Grèce, où elle cherche les racines de la civilisation et de la religion. Elle revendique pour les femmes le droit à l’éducation et au travail, et devient une des figures prédominantes du mouvement féministe en Suède. Ses notes autobiographiques qui décrivent une éducation sévère et sans joie sont publiées à titre posthume par sa sœur cadette.
Les journaux de Victoria Benedictsson*, Stora boken 1882-88 (« le grand livre »), constituent un document remarquable. Outre qu’ils donnent une vue générale des mœurs d’une petite ville de province des années 1880, ils livrent de l’auteure le portrait d’une personne fière et vulnérable, touchante dans sa lutte pour son intégrité. L’auteure s’expose au lecteur dans toute son intimité à l’époque où Sigmund Freud commence à traiter par la psychanalyse des femmes malheureuses à Vienne et alors qu’August Strindberg lance ses attaques contre « la femme émancipée » ou « les sœurs de Nora » après la publication de Maison de poupée (1879), de Henrik Ibsen. Les journaux de V. Benedictsson, qui racontent les difficultés de la femme auteure, sont aussi représentatifs pour l’époque que les écrits de Strindberg.
Au XXe siècle, de nombreuses artistes et écrivaines tiennent des journaux, entre autres Elin Wägner*, Marika Stiernstedt* et Stina Aronson*. Dans Arnold (1944), première partie de son étonnante trilogie autobiographique, la théologienne Emilia Fogelclou (1878-1972) décrit sa relation avec son mari, Arnold Norlind, le traducteur de Dante. Selma Lagerlöf*, prix Nobel de littérature, revient, dans trois ouvrages autobiographiques tardifs, à l’enfant qu’elle a été et à la manière dont elle a reçu le don de raconter.
Parmi beaucoup d’autres récits de femmes ayant pris position sur les problèmes politiques et sociaux de leur temps, comme le droit de vote, le contrôle des naissances et la paix, l’autobiographie en 18 parties de Tora Dahl (1886-1982) constitue un projet unique.
Christina SJÖBALD
■ HAETTNER AURELIUS E., Inför lagen. Kvinnliga svenska självbiografier från Agneta Horn till Fredrika Bremer, Lund, Lund University Press, 1996 ; SJÖBLAD C., Min vandring dag för dag. Kvinnors dagböcker från 1700-talet, Stockholm, Carlssons, 1997 ; ID., Bläck, äntligen ! kan jag skriva. En studie i kvinnors dagböcker från 1800-talet, Stockholm, Carlssons, 2009.
RÉCITS D’ESCLAVES – LITTÉRATURE [États-Unis XVIIIe-XXe siècle]
Alors qu’au XVIIIe siècle les philosophes des Lumières font de l’aptitude à écrire le signe de la Raison, elle-même preuve de l’humanité d’un être, l’esclavage interdit aux Noirs l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Confiner les Noirs dans l’illettrisme permet aux Blancs de maintenir une conception hiérarchique de l’ordre racial sur laquelle reposent l’ensemble des relations maître-esclave. Coups de fouet, mutilations, emprisonnements viennent invariablement châtier celui qui déroge à la règle. C’est dans ce contexte que commencent à fleurir des récits d’esclaves dans des journaux, des essais, des dépositions judiciaires, autant de témoignages précis et directs des conditions de vie des Noirs au temps de l’esclavage, en général dans le sud des États-Unis.
Parmi les 6 000 récits d’esclaves que recense l’historienne Marion Wilson Starling en 1946, parus pour la plupart entre 1760 et 1860, une centaine seulement répondent spécifiquement aux critères littéraires du genre. Couronnés par un indéniable succès populaire, ils se heurtent cependant au mépris des critiques durant des décennies et ne sont réédités que dans les années 1960. C’est pourtant bel et bien dans ces récits que la littérature afro-américaine trouve ses racines. La « littérature de l’esclave » – formule que Henry Louis Gates considère comme un « oxymore » – illustre la double conquête de la liberté et de l’écriture par l’esclave noir. Dépassant la seule fin de réussite artistique, appartenant tant aux genres historique, polémique et autobiographique que littéraire, et ayant été typiquement écrits avant la guerre de Sécession par des esclaves en fuite, les premiers récits ont avant tout une valeur « utilitaire » et politique : il s’agit de témoigner auprès du lectorat blanc de la souffrance endurée par l’esclave et d’apporter une preuve tangible de sa capacité d’écriture et donc de sa pleine appartenance à l’espèce humaine. Écrits à la première personne sous forme autobiographique, ces récits illustrent la capacité de l’esclave à s’inscrire comme sujet et sa volonté de se définir, loin des représentations préfabriquées, déformantes et dévalorisantes transmises de génération en génération. Antithèses des romans sudistes décrivant la plantation comme un univers idyllique, mêlant la rhétorique abolitionniste à l’imagerie biblique, les récits d’esclaves mettent l’accent sur la dislocation des liens familiaux et la cruauté des maîtres, et éveillent la compassion des lecteurs par la description de scènes de tourments et de violence. Ils se caractérisent également par certains thèmes, comme l’apprentissage de la lecture et de l’écriture par l’esclave, sa quête éperdue de liberté, sa fuite vers le nord et sa douloureuse quête d’identité, ainsi que par des « vignettes » narrant les expériences diverses de personnages secondaires. De façon particulièrement significative, les premiers récits d’esclaves sont traditionnellement accompagnés d’une préface ou de lettres introductives rédigées par des abolitionnistes blancs qui se portent garants de l’identité de l’auteur. Sur la couverture, la formule rituelle written by himself/herself (« écrit par lui-même/elle-même ») témoigne de la détermination de l’esclave à s’affirmer comme véritable auteur et vise à lutter contre l’incrédulité du lectorat blanc quant à la capacité d’écriture des Noirs.
S’adressant avant tout aux lectrices blanches du nord des États-Unis, les femmes esclaves s’attachent à montrer, dans leurs récits, qu’elles vivent un double calvaire par rapport aux hommes : au labeur d’esclave, aux mauvais traitements quotidiens infligés sans distinction de sexe, s’ajoutent pour elles les corvées domestiques et les abus des hommes blancs et noirs, avec leurs conséquences. Comparant lien matrimonial, société patriarcale et esclavage, l’écrivaine blanche Mary Boykin Chestnut* rapprochait d’ailleurs le sort des femmes de l’asservissement. Ainsi des militantes comme l’ex-esclave Sojourner Truth* n’hésiteront-elles pas à mener de front la lutte contre le racisme et contre le sexisme. Dans son récit autobiographique Narrative of Sojourner Truth (1850) dicté à l’abolitionniste blanche Olive Gilbert, Sojourner Truth raconte sa vie d’esclave, sa fuite vers la liberté et la force de sa foi, évoquant notamment un appel de Dieu à répandre la bonne parole et à défendre les droits des femmes comme ceux des Noirs. Le premier récit de femme esclave publié est The History of Mary Prince, A West Indian Slave, Related by Herself (1831). Dans cette autobiographie dûment accompagnée de lettres d’amis anglais attestant de sa véracité, Mary Prince (1788-1833 ?), esclave des Caraïbes, se souvient de ses années d’asservissement, des violences exercées par son maître et sa maîtresse, de leur refus de la laisser épouser l’homme de son choix et de son combat pour la liberté. Le terme related (« raconté ») en sous-titre, à la place du traditionnel written, met l’accent sur les talents de conteuse de l’auteure, digne héritière du trésor oral africain, qui n’a pas « écrit » son histoire, mais établit en même temps clairement son statut de sujet. Sous le pseudonyme de Linda Brent, Harriet Jacobs*, en revanche, écrit bel et bien le récit autobiographique Incidents in the Life of A Slave Girl (1861). Esclave mulâtre de Caroline du Nord assignée aux tâches domestiques chez un maître dont elle subit les caprices sexuels, elle décide de s’enfuir en 1835. Elle passe ensuite sept années cloîtrée dans le grenier de la maison de sa grand-mère avant de rejoindre en bateau Philadelphie, puis quelques années plus tard New York. Elle devient une ardente militante de la cause abolitionniste. Dans Scenes in the Life of Harriet Tubman (1869), écrit après la guerre de Sécession, Harriet Tubman*, connue comme la « Moïse du peuple noir », évoque les coups de son maître qui l’ont laissée épileptique à vie, raconte sa fuite et décrit l’aide qu’elle apporte à des dizaines d’esclaves fugitifs grâce au réseau clandestin qui mène aux États du Nord (The Underground Railroad). Dans From the Darkness Cometh the Light or Struggles for Freedom (« de l’obscurité vient la lumière, ou luttes pour la liberté », 1891), Lucy Ann Delaney (1830-1891) retrace le combat qu’a mené sa mère, Polly Berry, pour conquérir sa propre liberté et celle de sa fille. Récit profondément religieux, l’ouvrage condamne avec virulence l’hypocrisie des maîtres blancs qui se prétendent fervents chrétiens.
Ce qu’on peut considérer comme la dernière page de l’histoire des récits d’esclaves (avant l’avènement des « néorécits » d’esclaves) s’écrit au XXe siècle : non seulement l’autobiographie du grand militant intellectuel Booker T. Washington, Up from Slavery (« Ascension d’un esclave émancipé », 1901), fait date dans l’histoire littéraire afro-américaine – bien que l’ouvrage ne soit pas exactement considéré comme un récit d’esclave stricto sensu –, mais l’un des programmes du New Deal, le Federal Writers’ Project, destiné à préserver les histoires locales, contes oraux et toutes autres formes de folklore, permet en outre de donner une voix à quelque 2 300 anciens esclaves, interviewés dans 17 États par des journalistes ou écrivains noirs, tels que Claude McKay, Ralph Ellison, Richard Wright ou Zora Neale Hurston*. Ces entretiens qui retracent la vie quotidienne, familiale et religieuse des esclaves, leurs relations avec leur maître et la conception de stratégies de survie et de formes de résistance, furent rassemblés dans le recueil Lay My Burden Down (« poser mon fardeau », 1945) : prenant soin de conserver l’authenticité du parler noir et la richesse des voix retranscrites, l’ouvrage réconcilie écriture et oralité, et, à l’instar des récits d’esclaves des siècles précédents, assure la transmission de multiples histoires dans l’Histoire.
Valérie CROISILLE
■ FRISCH A., The Cambridge Companion to the African American Slave Narrative, Cambridge, Cambridge University Press, 2007 ; DAVIS C. T. et GATES H. L. Jr., The Slave’s Narrative, Oxford/New York, Oxford University Press, 1985.
RECUEILS POÉTIQUES [France XVIIIe siècle]
Peut-on parler d’une poésie féminine, en France, au XVIIIe siècle ? Probablement pas. Il existe bien quelques femmes poètes, parfois publiées et renommées mais, avant les années 1770, alors que la seconde moitié du XVIIe siècle a laissé entrevoir plus d’un signe en ce sens, rien n’assure vraiment qu’elles aient conscience d’appartenir à une communauté particulière ; elles paraissent ainsi se satisfaire de l’admiration galamment condescendante que leur accorde, dans le meilleur des cas, un monde littéraire masculin. Les choses ne changent vraiment qu’avec l’apparition des périodiques poétiques consacrés à la poésie fugitive (Almanach des Muses, 1765-1833) qui, joints à l’érudit Parnasse des dames compilé en 1773 par Billardon de Sauvigny, permettent aux versificatrices de se compter et de se reconnaître comme un groupe spécifique parmi les poètes ; mieux, de s’atteler à élargir le territoire que l’establishment littéraire leur concède peu à peu, non sans résistance.
Encore faudrait-il donc s’entendre sur ce que l’on nomme poésie. On n’est pas vraiment poète dans la France de l’Ancien Régime si l’on ne s’illustre pas dans la poésie dramatique, c’est-à-dire essentiellement dans l’écriture de la tragédie, qui demeure l’apanage des versificateurs ambitieux, tandis que progressivement le domaine comique devient celui des « faiseurs » : Mme de Villedieu*, Mme Des Houlières*, Mlle Bernard* s’y sont essayées à la fin du XVIIe siècle ; Mlle Barbier* fait représenter quatre tragédies entre 1702 et 1709 ; Mme de Gomez* en donne trois entre 1714 et 1717 ; Mme du Boccage en fait jouer une en 1749 ; Mme Guibert* s’y risque aussi en 1764. Toutes concourent – si l’on peut dire – dans la même catégorie que Racine, que l’on salue unanimement comme le poète absolu. Mme de Staël* rêvera, elle aussi, de conquérir ses galons dans le genre poétique le plus noble. Le détachement de la tragédie de l’arbre de la poésie ne sera pas acquis avant 1850 : pour preuve, la préface de Cromwell. L’autre genre poétique suprême est l’épopée, sur laquelle les Français se cassent les dents : Mme du Boccage s’y risque avec audace, en faisant voyager Christophe Colomb aux Amériques (La Colombiade, 1756), ou en donnant une adaptation abrégée de Milton (Le Paradis terrestre, 1748), mais elle compte peu d’émules de son sexe ; celles-ci cultivent plutôt les petits genres, avec parfois des incursions vers la poésie lyrique – à l’époque, l’ode est une forme technique rigoureuse –, qui vaut à Mme Durand, par ailleurs romancière distinguée, d’être la seule femme couronnée par l’Académie française pendant tout le siècle, pour ses dix strophes sur le sujet : « Le roi n’est pas moins distingué par les vertus qui font l’honnête homme que par celles qui font les grands rois [… ]. » C’était en 1701 : Mme Des Houlières et Mlle Bernard, fortes de l’appui des Modernes, ont ouvert la brèche qui va justement se refermer avec le début du siècle, marqué par le triomphe de la philosophie, et qui ne s’ouvrira à nouveau qu’en 1815, pour Mme Dufrénoy* avec son poème sur « Les Derniers Moments de Bayard ».
Paradoxe, mais ce n’est pas le seul… À de rares exceptions près, avant 1750, les femmes poètes, excepté les dramaturges, ne voient guère leurs œuvres recueillies en volumes. Même celle qui fut un instant la plus connue et eut l’honneur d’un recueil en 1735 se révèle être un homme : le poète breton Paul Desforges-Maillard, désespérant de voir ses œuvrettes paraître dans les journaux auxquels il les adressait, choisit de prendre un pseudonyme et se fit appeler Mlle de Malcrais de La Vigne ; même Voltaire dédicaça à cette émule supposée de Mme Des Houlières un de ses ouvrages ! L’anecdote n’est pas dépourvue de sens : en effet, aux yeux des contemporains, une poétesse est un phénomène d’exception, suspect au point que l’on recherche souvent qui, dans son entourage masculin, est le véritable responsable des pièces connues sous son nom, ou qu’on la cantonne dans sa marginalité en l’étourdissant de compliments convenus, ce qui n’est pas loin de constituer un recul par rapport à la période précédente ! Rien d’étonnant donc à ce qu’il y ait assez peu de poétesses à citer dans la première partie du siècle : des salonnières pleines d’esprit, spécialisées dans les chansons épigrammatiques telles Mme Du Deffand* et la marquise de Boufflers* ; Mlle L’Héritier de Villandon*, polygraphe qui baptisa Mme Des Houlières du nom de Dixième Muse ; Mlle Chéron*, excellente artiste peintre, protestante convertie, qui traduisit les psaumes en vers à la fin du siècle précédent et dont on publia à titre posthume en 1717 un conte en vers (Les Cerises renversées) et une paraphrase du Cantique d’Habacuc, repris dans toutes les anthologies ; Mlle de Catelans, membre de l’académie des Jeux floraux toulousains ; Mlle de Louvencourt, spécialiste de cantates pastorales et anacréontiques, mises en musique par des compositeurs fameux (Clérambault) et, de ce fait, publiées.
À partir de 1760, tout change : de plus en plus présentes dans les périodiques, de manière souvent assidue et non marginale, les poétesses forment un groupe qui, par le biais des échanges de vers encomiastiques que permettent certains recueils annuels, semble s’organiser, avec ses hiérarchies et ses spécialisations, emblématisées par l’usage de surnoms littéraires ou mythologiques, un peu comme dans les salons précieux : Mme Dufrénoy, poétesse élégiaque, sera une Sappho* ; Constance de Salm*, auteure d’épîtres, sera un Boileau, etc. Les académies provinciales ou étrangères n’hésitent pas à leur ouvrir leurs portes. Immédiatement après celui de Mme du Boccage, une fois de plus pionnière, en 1762, paraissent des volumes signés par Mme Dumont et Mme Guibert (1764) qui seront suivies par bien d’autres audacieuses. On lit avec avidité, dans l’Almanach des Muses et ses imitations plus ou moins durables, les pièces brèves en tous genres signées par Mlles ou Mmes Plisson, Cosson, Laurencin, Georgeon, Monnet*, Laugier de Grandchamp, Vollange, Bourdic-Viot. On découvre quelques noms importants, qui participent dignement au bouillonnement poétique qui caractérise la fin de l’Ancien Régime et la période qui court de la Révolution à la fin de l’Empire : Mme Verdier (couronnée aux Jeux floraux, dont on publiera à titre posthume un long poème descriptif et didactique) ; Fanny de Beauharnais*, âme d’un véritable milieu littéraire, malmenée par les épigrammatistes, mais rapidement couronnée par la publication de ses Mélanges en 1776 ; Mme de Montanclos qui dirige un moment le Journal des Dames, paru en 1759 ; Mme de Beaufort d’Hautpoul* qui veillera sur les débuts de Baour-Lormian et de Chateaubriand ; Mme Dufrénoy qui dirige un temps le Courrier lyrique, avant de devenir en 1807 l’auteure de remarquables Élégies ; C. de Salm, première femme admise au Lycée des arts et auteure, en 1797, d’une étonnante « Épître aux femmes », jalon important dans l’histoire des idées féministes. En réalité, les femmes poètes, devenues un groupe considérable, s’emparent progressivement de presque tous les genres poétiques et y rivalisent victorieusement avec leurs collègues masculins : Mlle Dionis s’essaie à la prose poétique (comme Marmontel ou Reyrac) ; Mme de La Férandière (lancée par le Journal des Dames) et Mme Joliveau, à l’exemple resté unique de Mme de Villedieu (1761), emboîtent le pas à La Fontaine et deviennent des fabulistes de tout premier rang ; Mme Defrance met Anacréon en vers ; Mme de Genlis*, à la faveur d’une intense activité de polygraphe, écrit toutes sortes de vers, souvent à visée éducative.
La fin du XVIIIe siècle commence à voir l’éclosion d’une poésie féminine et, au sein d’un foisonnement créateur désordonné, quelques figures féminines saillantes de poètes tout court, qui se trouvent être des femmes et qui ne sont plus à la lisière du monde littéraire mais véritablement au cœur de celui-ci : le siècle suivant verra leur nombre s’accroître significativement.
Jean-Noël PASCAL
■ BÉARN P., L’Érotisme dans la poésie féminine de langue française, des origines à nos jours, Paris, J.-J. Pauvert, 1993 ; BILLARDON DE SAUVIGNY E.-L., Le Parnasse des dames, Paris, Ruault, 1773 ; BRÉCOURT-VILLARD C., Écrire d’amour, anthologie de textes érotiques féminins 1799-1984, Paris, Ramsay, 1985 ; BUSONI P., Chefs-d’œuvre poétiques des dames, Paris, Paulin, 1841 ; DEFORGES R., Anthologie de la poésie féminine, Paris, Le Cherche-midi, 2009.
RED, Axelle (Fabienne DEMAL, dite) [HASSELT 1968]
Auteure-compositrice-interprète belge.
Si sa fibre artistique s’est d’abord manifestée, dès son plus jeune âge, par la danse classique, Axelle Red s’est aussi passionnée pour la musique soul. Sous le pseudonyme de Faby, elle interprète son premier succès Little Girl en 1983. Tout en poursuivant ses études de droit, elle persévère dans la musique et s’illustre dans son pays grâce à deux chansons, Kennedy Boulevard et Aretha et moi, classées en tête des hit-parades. Son premier album Sans plus attendre, porté par les singles Sensualité, Je t’attends et Le monde tourne mal, la révèlent auprès du public européen et canadien. En 1996, elle signe À tâtons, un album soul produit à Memphis. Deux ans plus tard, elle chante en duo avec Youssou N’Dour La Cour des grands, hymne officiel de la Coupe du monde de football. Après la sortie de son quatrième album Face A/Face B, elle se fait plus rare jusqu’en 2003, date à laquelle Manhattan-Kaboul, son duo avec Renaud, inonde les ondes, suivi de son cinquième album aux textes plus engagés. Ambassadrice de l’Unicef et membre de diverses ONG, elle évoque à travers son répertoire sa lutte active contre le sort des femmes et des enfants du tiers-monde, les mines antipersonnel, les enfants soldats, la drogue… En 2008, elle sort Sisters & Empathy, son premier album en anglais ; trois ans plus tard, elle revient avec Un cœur comme le mien, disque écrit en français avec la complicité d’artistes comme Miossec, Florent Marchet ou Gérard Manset. A. Red les retrouve en 2013 dans Rouge Ardent, un album rapidement certifié disque d’or en Belgique.
Anne-Claire DUGAS
■ French Soul, Virgin, 2004.
REDGRAVE, Vanessa [LONDRES 1937]
Actrice britannique.
Fille d’un couple d’acteurs célèbres – Rachel Kempson et Michael Redgrave –, Vanessa Redgrave est révélée par son interprétation de Rosalinde dans Comme il vous plaira, de William Shakespeare, en 1961. Elle incarne ensuite La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, et Nina dans La Mouette, d’Anton Tchekhov, mise en scène par son mari, Tony Richardson. Elle triomphe en institutrice éclairée dans The Prime of Miss Jean Brodie (1966), d’après le roman de Muriel Spark*. Après avoir incarné Polly Peachum dans L’Opéra de quat’sous, de Bertolt Brecht, elle est la Cléopâtre de Shakespeare, puis Ranevskaïa dans La Cerisaie, de Tchekhov, Hécube d’Euripide, ou encore Prospero dans La Tempête, de Shakespeare. Elle joue Les Trois Sœurs d’A. Tchekhov avec sa sœur, Lynn Redgrave, et sa nièce. Après avoir fait ses débuts au cinéma en 1958, elle connaît un grand succès pour ses rôles dans Blow-Up (1966), de Michelangelo Antonioni, et dans Le Marin de Gibraltar (1966), sous la direction de Tony Richardson, d’après Marguerite Duras*. Elle incarne aussi la danseuse Isadora Duncan* dans Isadora (1968), joue La Mouette (1968), de Sidney Lumet, avec Simone Signoret*, ainsi que Les Troyennes (1971), d’après Euripide. Après avoir incarné Agatha Christie* à l’écran, elle tourne Les Bostoniennes (1984), de James Ivory d’après Henry James, et Mrs. Dalloway (1997), d’après Virginia Woolf*. Récemment, sur scène, elle joue L’Année de la pensée magique, de Joan Didion, et Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare. Très engagée politiquement, V. Redgrave est célèbre en Angleterre pour son activisme à gauche. Aux États-Unis, elle dénonce la politique israélienne lors de son discours à l’occasion de la remise de l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour son interprétation dans Julia (1977). Elle s’opposera également à la guerre américaine en Irak et plaidera pour la fermeture du camp de prisonniers de Guantanamo. Ses filles, Natasha (1963-2009) et Joely Richardson (1965), ainsi que sa nièce Jemma Redgrave (1965) sont elles aussi comédiennes.
Bruno VILLIEN
■ Une autobiographie (An Autobiography, 1991), Paris, Robert Laffont, 1992.
REDONNET, Marie (Martine L’HOSPITALIER, dite) [PARIS 1948]
Écrivaine française.
D’une singularité parfois déroutante, l’œuvre de Marie Redonnet, intimement liée à son parcours existentiel, se construit en marge des tendances repérables de la production littéraire contemporaine. Agrégée de lettres modernes en 1974, elle commence à écrire au début des années 1980. Ses deux premiers textes, Le Mort & compagnie (1985), recueil de haïkus, et Doublures (1986), qui rassemble douze petits contes, recourent à la forme brève ; ils marquent l’avènement d’une langue dénuée de tout effet rhétorique, et d’un univers travaillé par la question de l’identité. Suit la publication du triptyque romanesque, Splendid Hôtel (1986), Forever Valley (1987) et Rose Mélie Rose (1987) qui, poursuivant l’emprunt au conte, propose un univers étrange et symbolique, construit sur une géographie élémentaire, une structure de quête, et l’opposition entre un monde passé mortifère et une société conquérante. Le récit, porté par le regard lisse et la mémoire blanche d’une femme emprisonnée dans des relations de double, interroge en profondeur la construction de l’identité féminine au travers des motifs du deuil, de l’héritage et du corps. En résonance avec ces textes s’écrit un triptyque théâtral. Candy Story (1992), écrit à partir du deuil maternel, et Nevermore (1994), qui délaisse la figure de la narratrice sacrificielle, témoignent d’une période transitoire de l’écriture. Marie Redonnet publie en 1999 son travail de doctorat : Jean Genet, le poète travesti. Abandonnant l’univers déréalisé et l’écriture dépouillée du conte pour un ancrage plus marqué dans la société contemporaine et une structure romanesque plus foisonnante, L’Accord de paix (2000) et Diego (2005) confirment l’évolution de son œuvre.
Anne COUSSEAU
■ Tir & Lir, Paris, Éditions de Minuit, 1988 ; Mobie-Diq, Paris, Éditions de Minuit, 1989 ; Silsie, Paris, Gallimard, 1990 ; Seaside, Paris, Éditions de Minuit, 1991.
REDŽEPOVA, Esma [SKOPJE 1943]
Chanteuse macédonienne.
Figure emblématique de la communauté rom, Esma Redžepova est considérée comme la reine de la musique tsigane. Elle fut remarquée à l’âge de 14 ans, lors d’un concours de chant, par le compositeur macédonien Stevo Teodosievski qui s’occupera de sa carrière et deviendra son mari. Ensemble, ils donneront plus de 20 000 concerts à travers le monde, et notamment à l’Olympia à Paris en 1966. Son titre Čaje Šukarije (« belle jeune fille rom ») fera le tour de la planète. Deux ans plus tard, ils fonderont une école de musique pour de jeunes garçons. Elle a hérité de son père qui jouait des percussions et chantait avec grand talent dans les mariages juifs ou roms. En cinquante ans de carrière, elle n’a jamais arrêté de chanter sauf à la mort de S. Teodosievski. Au cours de leur vie commune, le couple a adopté 47 enfants, des orphelins et musiciens rencontrés au cours de leur périple. Elle interprète ses chansons et sa musique comme s’il vivait encore. E. Redžepova a également donné une centaine de concerts de charité. Elle a créé une ONG, Rom-Esma, qui défend la cause des femmes roms. Elle a été proposée pour le prix Nobel de la paix en 2002. Son œuvre est composée de plusieurs centaines de chansons, dont deux disques de platine, huit disques d’argent et huit disques d’or.
Maria BÉJANOVSKA
■ Queen of the Gypsies, World Connection, 1997 ; Čaje Šukarije, World Connection, 1999 ; Gypsy Carpet, Network Medien, 2006 ; Čekaj Živote, Mister Company, 2006 ; Mon histoire, Accords croisés, 2007, avec la participation de Titi Robin ; Tu me duj džene, Mister Company, 2008.
REED, Ethel [NÉE À NEWBURYPORT 1876]
Graphiste américaine.
Ethel Reed est la première Américaine à accéder à une renommée nationale en arts graphiques, en particulier comme affichiste. Douée d’un talent extraordinairement mature, elle étudie le dessin et est apprentie auprès d’un peintre de miniatures. Elle est principalement autodidacte. Dès son adolescence, elle impose son style empreint de l’Art nouveau, accompagné d’une typographie raffinée. Elle travaille à Boston, dans les années 1890, en particulier pour les éditions Lamson, Wolffe & Co, pour lesquelles elle conçoit de nombreuses couvertures et surtout des affiches. Sa disparition est aussi soudaine que son arrivée. Fiancée à l’artiste Philippe Hale, en 1897, elle voyage en Angleterre, réalise quelques travaux à Londres (affiche pour le livre de Richard Le Gallienne). Elle part en Irlande, probablement en vacances. Dès ce moment-là, elle disparaît. Nous ne savons rien de plus. Indéniablement, elle laisse un héritage important dans la tradition américaine de l’Art nouveau, à côté de Will Bradley, Edward Penfield et Louis Rhead.
Margo ROUARD-SNOWMAN
■ THAU HEYMAN T., Posters American Style, New York/Washington, D.C., Harry N. Abrams/National Museum of American Art, 1998.
REES, Rosemary Frances [AUCKLAND 1875 ou 1876 - GISBORNE 1963]
Actrice et directrice de théâtre néo-zélandaise.
Internationalement reconnue pour ses romans, Rosemary Frances Rees compte également parmi les pionniers qui dotèrent la Nouvelle-Zélande de son identité théâtrale. Vers 1901, elle voyage à Londres, où elle intègre la troupe de Fanny Brough. De retour en 1909, elle présente une soirée théâtrale avec trois de ses pièces en un acte. Elle retourne en Angleterre en 1911 pour poursuivre sa carrière d’actrice et, durant les quatre années suivantes, écrit et produit plusieurs autres pièces en un acte. Durant la Première Guerre mondiale, elle organise des spectacles pour les troupes néo-zélandaises à Londres, elle dirige des représentations pour les troupes alliées en France et, après l’Armistice, pour les blessés à Ypres et à Arras. En 1921, elle fonde une troupe, dans laquelle joue déjà Ngaio Marsh* – la Rosemary Rees English Comedy Company –, l’adjectif « English » n’étant qu’une ruse pour vaincre la résistance du public. Le 14 octobre de la même année, R. Rees ouvre la soirée avec sa pièce en un acte : Will You Walk Into My Parlour (« voulez-vous entrer dans mon salon »). Ses représentations furent bien accueillies dans les grandes villes, mais non dans les petites communautés. Concurrencées par la radio et le cinéma, les tournées ne furent pas rentables et, après quelques mois, elle abandonne ce que N. Marsh qualifia d’« une des premières tentatives de fonder un théâtre permanent dans ce pays ». Elle part ensuite pour l’Australie, afin de poursuivre sa carrière d’actrice. À la parution de son deuxième roman, elle travaille encore comme actrice, mais finit par renoncer à la scène pour se consacrer à l’écriture.
Llewellyn BROWN
■ DUNLOP S., « Rosemary Rees : actress, director, writer (1875 or 76 – 1963) », in Kotare, vol. 4, no 1, 2001 ; WARBRICK N., « Rees, Rosemary Frances », in Dictionary of New Zealand Biography. Te Ara – The Encyclopedia of New Zealand, 2010.
REEVES, Dianne [DETROIT 1956]
Chanteuse de jazz américaine.
Dianne Reeves s’illustre d’abord dans le big band de son école, remportant à sa tête plusieurs compétitions. C’est au cours d’une séance à Chicago, devant l’Association nationale des éducateurs de jazz, qu’elle est repérée par un spectateur avisé, le trompettiste Terry Clark. Depuis, l’artiste s’est envolée, se plaçant dans le sillage de ses grandes aînées du jazz, Ella Fitzgerald*, Billie Holiday* et Sarah Vaughan*, à qui elle a rendu hommage en 2001 dans un disque fleuri et pur. Celle qui aime la tradition navigue avec légèreté du jazz classique à la pop, depuis son premier opus en 1982. En 2005, sa participation musicale au film de George Clooney Good Night, and Good Luck lui assure la notoriété. Elle tente toujours de réinventer son univers, à l’aide de ses deux partenaires guitaristes, Russell Malone et Romero Lubambo, découvert dans son disque Bridges.
Stéphane KOECHLIN
■ Live in New Morning, Blue Note, 1997 ; The Calling : Celebrating Sarah Vaughan, Blue Note, 2001 ; A Little Moonlight, Blue Note, 2003 ; Good Night, and Good Luck, Concord, 2005 ; When You Know, Blue Note, 2008.
REGADAS, Patricia [RIO DE JANEIRO 1961]
Compositrice et saxophoniste brésilienne.
Patricia Regadas étudie d’abord le violon, puis opte pour le saxophone et la composition, en multipliant les sessions de formation, stages, cours d’auditeurs libres dans de nombreux domaines : direction chorale, harmonie et contrepoint, piano, chant, pratique d’orchestre, musique et cinéma, basson, trompette. Elle obtient des prix de composition dès 1984 tout en intégrant diverses formations comme saxophoniste : l’orchestre de Rio de Janeiro, le groupe de bossa nova Os Cariocas, un orchestre de chambre, etc. Elle compose des pièces de musique de chambre, en duo, trio, ou quatuor qui sont créées régulièrement lors de sessions de promotion de la jeune création, comme « Maio em musica » de l’Alliance française de Copacabana, « Mostra dos Novos » ou « Panorama da musica brasileira atual ». En 1993, elle présente Suite monistica pour flûte et violoncelle et As mulheres belas pour soprano, baryton, et six instruments. Elle est aussi présente dans le cinéma d’animation, l’édition musicale, la radio.
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
REGÀS, Rosa [BARCELONE 1933]
Écrivaine et éditrice espagnole.
Née sous la IIe République espagnole, Rosa Regàs a dû s’exiler en France avec sa famille, en raison de la guerre civile. De retour en Espagne à 6 ans, elle poursuit son éducation dans un milieu religieux qui n’est pas sans la heurter. Étudiante en philosophie, elle rencontre à l’université des poètes contemporains − José Agustín Goytisolo, Jaime Gil de Biedma et Gabriel Ferrater − qui lui font découvrir la poésie occidentale. Après son diplôme, elle obtient un poste aux éditions Seix Barral. Cette expérience lui permet, en 1970, de fonder sa propre maison d’édition, La Gaya Ciència, où elle publie des écrivains débutants tels que Juan Benet, María Zambrano* ou Manuel Vázquez Montalbán. Elle crée une collection pour enfants destinée à leur faire connaître les écrivains classiques. Elle dirige en même temps les revues Cuadernos de la Gaya Ciencia (« cahiers du gai savoir ») et Arquitectura Bis, l’une portée sur la réflexion autour de la pensée, l’autre sur l’architecture. Ces tribunes lui permettent de s’attaquer aux préjugés, en traitant de sujets décriés par la censure. Elle commence à écrire dans les années 1980. Son premier livre, un essai sur Genève (Ginebra), paraît en 1987 ; Memoria de Almator, son premier roman, en 1991 ; Azul (« bleu ») obtient le prix Nadal en 1994 et la révèle au public ; elle reçoit aussi le prix Ciudad de Barcelona, le prix Planeta et la Creu de Sant Jordi. De 2004 à 2007, elle dirige la Bibliothèque nationale d’Espagne. Elle transcrit les inquiétudes et les espoirs de toute une génération de la bourgeoisie barcelonaise lettrée en lutte contre l’autorité franquiste. Par son ton contestataire, elle échappe au glamour et à l’artifice habituellement attribués à ce groupe. Elle a été l’une des premières à aborder le thème de la guerre d’Espagne et de l’après-guerre dans ses fictions, notamment dans Luna lunera (« lune, petite lune », 1999). En 2004, elle publie Diario de una abuela de verano (« journal d’une grand-mère en été »), puis Viento armado (« les armes du vent ») en 2006.
Carme FIGUEROLA
RÉGIE DE SCÈNE ET SOUFFLEUSES [France XXe siècle]
Les techniciennes de plateau ont tardivement investi la scène, sauf dans certains types de fonctions. Il convient de distinguer la régie de scène et la régie-souffleur, qui sont parfois associées, voire la régie générale. Ces fonctions peuvent recouvrir des activités diverses de coordination et de collaboration avec la direction du théâtre. L’expression « régie de scène » confond les activités du plateau, qui coordonnent le travail des machinistes, accessoiristes, régisseur lumière – une fonction qui a pris son autonomie durant ces trente dernières années, à distinguer du régisseur au sens germanique du terme, que Jean Vilar avait choisi pour nommer le metteur en scène. Marthe Herlin-Besson (1907-1993), comédienne de la troupe de Louis Jouvet, après avoir appartenu à la Compagnie des Quinze, créée en 1931 par Michel Saint-Denis, neveu de Copeau dans le sillage du Vieux-Colombier, qui fut l’une des interprètes de Mme Parpalaid dans Knock de Jules Romains, a assuré cette activité de confiance – nommée aussi directrice de la scène – durant de longues années aux côtés de Louis Jouvet. La fonction incluait parfois l’établissement du relevé de mise en scène, chez Gaston Baty par exemple, établi aujourd’hui par l’assistant du metteur en scène ou par des stagiaires à la mise en scène. Les postes sont davantage circonscrits dans les grands théâtres subventionnés comme la Comédie-Française ou l’Opéra. La fonction de régie-souffleur a longtemps été tenue par des hommes – l’un d’eux était le père de Paul Léautaud, à la Comédie-Française –, mais de plus en plus confiée à des femmes, souvent des comédiennes, réputées attentives à la sensibilité des artistes, au trac qui se manifeste par le trou de mémoire, que la souffleuse prévient en envoyant le texte, exercice difficile, à effectuer à bon escient, d’où la proximité nécessaire avec l’interprète depuis la boîte à souffleur ou désormais dans le portant. Traditionnellement effectuées par des gens du sérail, ces tâches sont devenues des métiers enseignés dans les écoles professionnelles du spectacle, notamment à l’ESAD-TNS de Strasbourg, ou à l’ENSATT, dite École de la rue Blanche (à Paris), puis installée à Lyon.
Noëlle GUIBERT
REGINA, Elis [PORTO ALEGRE 1945 - SÃO PAULO 1982]
Chanteuse brésilienne.
Après avoir commencé à chanter dans les radios locales dès l’âge de 11 ans, Elis Regina enregistre son premier disque à 15 ans pour le label Continental. En 1965, elle est l’une des révélations de la chanson brésilienne. Celle qui incarne la génération des années 1960 orchestra la révolution de la Musique populaire brésilienne (MBP). La MPB s’épanouit sur le petit écran grâce à des producteurs qui ont l’audace d’engager de nouveaux auteurs et interprètes. En 1964, E. Regina fréquente le Beco das Garrafas, à Rio de Janeiro, et la rue Duviviern, à Copacabana, où se concentrent trois clubs : Bacará, Bottle’s et Little Club. Un nouveau son s’y développe, en opposition au style intimiste de la bossa nova, appelé alors « guitare et tabouret ». La chanteuse se produit dans les pocket show, les « spectacles de poche » du quartier, organisés par Ronaldo Bôscoli, journaliste, parolier et producteur. Elle l’épouse en 1967 et aura avec lui un fils, João Marcelo Bôscoli. Alors qu’elle chante au Bottle’s, un danseur américain, Lennie Dale, lui donne quelques conseils tirés de son expérience dans les comédies de Broadway. Il l’initie au desdobrado, littéralement « déplié », un dédoublement du temps, qui induit une intensité dramatique et saisit le public par surprise. Il l’aide aussi à mieux occuper la scène, lui conseillant de tourner ses bras en arrière en fonction du passage chanté. Ces innovations deviendront sa marque de fabrique. Lorsqu’E. Regina défend la chanson Arrastão au premier festival de TV Excelsior en 1965, elle crée une rupture et est en passe de devenir l’une des plus grandes chanteuses brésiliennes de son époque. Composée par Edu Lobo et Vinicius de Moraes, Arrastão marque l’avènement de la MPB. L’interprétation explosive d’E. Regina marque les esprits. Au beau milieu de la chanson, elle ralentit le tempo, agite ses bras dans un tel élan dramatique que le public en est saisi et applaudit immédiatement. Elle impose son style au public mais également au compositeur dont le premier enregistrement de la chanson avec le Tamba Trio était totalement différent. Grande interprète, elle sait dénicher de nouveaux compositeurs et les révéler au grand public : E. Lobo, Milton Nascimento, Paulo César Pinheiro, Egberto Gismonti, Ivan Lins, João Bosco. E. Regina est propulsée dans les sphères du succès. Disques, concerts, prix et récompenses, plus rien ne l’arrête. Elle est l’une des premières chanteuses à obtenir de très bons contrats à la télévision et anime pour TV Record O fino da bossa arrastão avec le chanteur Jair Robrigues. Le principe de l’émission consiste à présenter d’autres artistes tout en chantant soi-même. Lancée en 1965, la formule est un gros succès jusqu’à l’apparition du mouvement Yéyé. La chanteuse revient sur les écrans de 1970 à 1971 avec I. Lins pour animer l’émission Som livre exportação. Sans être une artiste engagée, E. Regina s’implique occasionnellement dans les mouvements de protestation étudiants qui contestent les nouvelles lois mises en place par le gouvernement militaire. Dans les années 1970, elle développe sa carrière à l’étranger, enregistre en 1974 aux États-Unis l’un de ses disques les plus marquants, Elis & Tom, avec Tom Jobim, et se produit au Montreux Jazz Festival en 1979. Elle se marie avec son collaborateur de longue date César Camargo Mariano avec lequel elle a deux enfants, dont Maria Rita, aujourd’hui chanteuse. E. Regina décède à l’âge de 36 ans d’une overdose de cocaïne.
Sandrine TEIXIDO
■ Elis & Tom (1974), Emarcy, 2008 ; Os sonhos mais lindos, Universal Music, 2001 ; Samba, eu canto assim (1965), Universal Sound, 2012.
RÉGINE (Régine ZYLBERBERG, dite) [ANDERLECHT, BRUXELLES 1929]
Chanteuse française.
Née dans une famille de juifs polonais, Régine Zylberberg parvient à échapper aux nazis pendant la guerre, exerce ensuite différents petits métiers et devient, au début des années 1960, la reine des nuits parisiennes. Sur le conseil de Charles Aznavour, qui lui écrit deux chansons, Nounours et Tu m’bats plus, elle enregistre, en 1963, son premier 45 tours. L’un des habitués de sa discothèque, Serge Gainsbourg, lui propose Les Petits Papiers, qui lui permet de devenir une chanteuse populaire. Maurice Chevalier lui fait faire ses débuts sur scène, au cours d’un gala de charité, chez Maxim’s. Un Grand Prix du disque et un passage à l’Olympia la consacrent vedette. En octobre 1969, elle se produit à New York, au Carnegie Hall. Mort Shuman lui a écrit, en guise d’intermèdes, des mini-sketchs en anglais qui font sourire le public et les critiques, qui la surnomment « la duchesse du culot ». En 1973, à Bobino, elle propose un show où se mêlent des chansons et des attractions de music-hall, parmi lesquelles les marionnettes de Philippe Genty. Régine assure la seconde partie en apparaissant dans une douzaine de robes réalisées par de grands couturiers, avec un vrai boa autour du cou pour interpréter La Grande Zoa. Dix ans plus tard, estimant qu’elle ne peut plus travailler jour et nuit, elle commence à limiter ses apparitions à la scène. Elle continue, de temps à autre, à enregistrer des disques, et rend ainsi hommage à Fréhel*, dont elle connaît le répertoire par cœur depuis l’enfance. En 1993, elle crée l’événement aux Bouffes du Nord en proposant un spectacle exclusivement composé de chansons réalistes du début du XXe siècle. À quatre fois vingt ans, elle continue à chanter et rêve d’une comédie musicale inspirée par son enfance, sous les lumières de Belleville.
Jacques PESSIS
REGO, Paula [LISBONNE 1935]
Peintre portugaise.
C’est à la Slade School of Fine Art de Londres, où elle étudie la peinture (1952-1956), que Paula Rego rencontre son futur mari, l’artiste et critique Victor Willing. David Sylvester la remarque pour son œuvre Under Milk Wood (1954). Restée au Portugal jusqu’en 1963, elle partage ensuite sa vie entre son pays natal et la Grande-Bretagne, avant d’émigrer définitivement et de résider à Londres à partir de 1976. Dans les années 1960, la découverte décisive de l’œuvre de Dubuffet exerce une influence libératrice sur son travail. À la suite des expositions simultanées dans les galeries londoniennes de Saatchi et Marlborough (1994), la critique la range parmi la seconde génération de l’école de Londres, aux côtés de Francis Bacon et de Lucian Freud. Sa peinture exprime une critique violente à l’égard de son pays, et notamment du régime salazariste, qui dominera l’histoire nationale portugaise quarante ans durant (Salazar Vomiting the Homeland, 1960). D’autres thèmes émergent dans sa peinture, comme celui des relations conjugales et des relations homme-femme (en 1998, elle réalise Tryptique, sur le thème de l’avortement). Présence physique et brutale des êtres, violence des relations humaines dans lesquelles les enfants jouent un rôle majeur et ambigu (fétichisme, sadomasochisme), sens de la mise en scène, importance de la figure de l’animal sont des thèmes prédominants de son œuvre. Quant à ses sources, elle explique : « C’est ça pour moi la littérature, des histoires violentes, magiques, dans lesquelles il y a des punitions, des châtiments. Des choses liées à l’éducation des enfants. » Elle combine et superpose des souvenirs d’histoires populaires, des récits d’histoire du Portugal et des contes de son enfance. Benjamin Rabier, Gustave Doré ou Francisco de Goya imprègnent durablement l’iconographie et la construction narrative de son œuvre (E menina com cão, « petite fille avec un chien », 1986). Sur un plan technique, elle se singularise par un réel talent de coloriste et de dessinatrice. À la peinture à l’huile, elle préfère le crayon, le pastel, l’acrylique ou le collage (Manifesto for a Lost Cause, 1966 ; Stray Dogs [Dogs of Barcelona], 1965). Poursuivant les thèmes de l’enfance et du statut de la femme, elle se lance dans la réalisation de figures à taille humaine en papier mâché qui animent une sorte de carnaval intime. En septembre 2009, un nouveau musée, la Maison des histoires Paula-Rego, construit par l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura et dédié à son œuvre, a ouvert à Caiscais, près de Lisbonne.
Scarlett RELIQUET
■ Paula Rego (catalogue d’exposition), Porto, Serralves Museum, 2004.
■ MCEWEN J., Paula Rego, Londres, Phaidon Press, 1995.
REHMAN, Perween [DACCA 1957 - KARACHI 2013]
Architecte et militante pakistanaise.
Née dans ce qui était encore à l’époque la capitale du Pakistan oriental, Perween Rehman part en exil à Karachi avec sa famille au moment de la guerre civile qui aboutira à l’indépendance du Bangladesh en 1971. Issue d’un milieu cultivé – son père était haut fonctionnaire –, elle obtient en 1982 son diplôme d’architecture. Elle commence sa carrière dans un cabinet privé, qu’elle ne tarde pas à quitter pour se mettre au service des populations pauvres, tout en enseignant pour former des architectes socialement responsables. Elle rejoint, en tant que directrice adjointe, le Orangi Pilot Project (OPP), une initiative de développement social à la périphérie de Karachi, créé par Akhter Hameed Khan. Dans ce qui est considéré comme le plus grand bidonville d’Asie, avec 1,2 million d’habitants, ce projet aide les populations défavorisées à s’organiser en petits groupes solidaires pour prendre en charge eux-mêmes leurs problèmes. Au fil du temps, l’OPP développe, toujours en collaboration avec les populations concernées, des programmes sanitaires, de santé, de planning familial, d’emploi des femmes, d’éducation, de logement et d’accès au microcrédit. L’organisation non gouvernementale intervient dans une vingtaine de cités pakistanaises pour pallier les défaillances de l’État en matière de services sociaux de base. À partir de 1999, après la mort du fondateur, P. Rehman prend en charge la direction de l’ONG. Dans un quartier dont elle connaît et documente chaque parcelle contre les convoitises de la « mafia du foncier », elle supervise le programme d’équipement en réseau de tout-à-l’égout, d’accès à l’eau potable et d’éducation sanitaire. L’association, citée par l’Organisation des Nations unies comme un modèle de développement communautaire exemplaire, est sous la menace permanente de milices ethniques, de groupes djihadistes ou de gangs mafieux, notamment la land mafia, qui se disputent le contrôle du quartier. Malgré le danger, P. Rehman refuse d’abandonner la population. Son assassinat, le mercredi 13 mars 2013 à Karachi, par un tueur à moto « non identifié », a privé le pays d’une figure majeure du combat social des organisations indo-européennes et plongé dans la désolation ses élèves, ses amis et les milieux éclairés du Pakistan.
Yvette ORENGO
■ KHAN A. H., Orangi Pilot Project : Reminiscences and Reflection, Karachi, Oxford University Press, 1996.
■ BOBIN F., « Perween Rehman », in Le Monde, 20 mars 2013.
REHN, Elisabeth (née CARLBERG) [HELSINKI 1935]
Femme politique finlandaise.
Première femme ministre de la Défense en Finlande (1990-1995), membre du Parti populaire suédois de Finlande, parti libéral représentant la minorité finlandaise de langue suédoise, Elisabeth Rehn se présente aux élections présidentielles de son pays en 1994 et perd de peu face à Martti Ahtisaari. De 1995 à 1998, elle est rapporteure de l’Organisation des Nations unies pour les droits humains en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en ex-Yougoslavie. Entre le 16 janvier 1998 et le 15 juillet 1999, elle occupe les fonctions de représentante spéciale du secrétaire général et de coordinatrice des opérations de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH). En 2001, désignée par l’Unifem experte indépendante pour analyser l’impact des guerres sur les femmes, elle rédige un Rapport sur les femmes, la guerre et la paix en collaboration avec Ellen Johnson Sirleaf*, présidente du Libéria. E. Rehn est membre fondatrice de la Global Leadership Foundation, qui rassemble d’anciens premiers et premières ministres afin de promouvoir la bonne gouvernance et les institutions démocratiques, ainsi que les droits de la personne, tout en contribuant à la prévention et à la résolution pacifique des conflits.
Nadine PUECHGUIRBAL
REICH, Annie (née PINK) [VIENNE, AUTRICHE 1902 - PITTSBURGH, ÉTATS-UNIS 1971]
Médecin et psychanalyste américaine.
Fille d’une institutrice militante féministe, Theresa Singer, et d’un commerçant viennois, Annie Pink perd sa mère au cours de l’adolescence et son frère aîné lors de la Première Guerre mondiale. Elle suit des études de médecine à l’université de Vienne et participe au Mouvement de la jeunesse autrichienne où elle fait la connaissance d’Otto Fenichel et de Wilhelm Reich avec lequel, en 1921, elle commence une analyse et qu’elle épouse six mois plus tard. Elle reprendra par la suite une analyse avec Hermann Nunberg puis avec Anna Freud*. À Vienne, elle travaille avec W. Reich dans les centres de conseils sexuels pour prolétaires qu’il a créés. En 1930, ils émigrent avec leurs deux filles à Berlin où ils deviennent membres de la Société psychanalytique. Ce fut un temps d’échanges passionnés et créatifs avec O. Fenichel, Erich Fromm et Edith Jacobson*, autour d’une pensée tentant d’allier théorie freudienne et marxisme. En 1933, alors que W. Reich s’exile au Danemark, elle se sépare de lui et rejoint O. Fenichel à Prague où elle œuvrera activement à la création du Groupe d’études psychanalytiques. Elle épouse, en 1938, l’historien Arnold Rubinstein, émigre à New York et prend alors une place importante dans la Société psychanalytique, tout en poursuivant une activité clinique au Mount Sinai Hospital. Outre ses nombreux articles sur l’éducation sexuelle, ses travaux sur la psychanalyse des femmes ont été repris à New York, en 1973, dans un recueil intitulé Annie Reich : Psychoanalytic Contributions ; en France, en 1979, dans un ouvrage avec Vera Schmidt*, et en 1987, dans un ouvrage collectif avec, notamment, Paula Heimann* et Margaret Little*.
René MAJOR
■ Annie Reich : Psychoanalytic Contributions, New York, International University Press, 1973 ; avec SCHMIDT V., Pulsions sexuelles et éducation du corps, Union Générale d’éditions, 1979 ; COLLECTIF, Le Contre-transfert (« On counter-transference », 1950), Paris, Navarin, 1987.
REICH, Lilly [BERLIN 1885 - ID. 1947]
Architecte et designer allemande.
Après son baccalauréat et une formation de brodeuse mécanique, Lilly Reich travailla à partir de 1908 au sein des Wiener Werstätte, dans l’agence de l’architecte Josef Hoffmann. En 1910, elle étudia à l’École supérieure des arts décoratifs de Berlin. L’année suivante, elle fut chargée de l’aménagement d’un foyer de jeunes dans le quartier de Charlottenburg. Sa capacité artisanale, son instinct pratique et son sens de la beauté et de l’originalité furent remarqués. En 1912, à l’exposition Die Frau in Hausund Beruf (« la femme à la maison et au travail »), elle présenta deux espaces de vente, ainsi qu’un logement ouvrier jugé pratique et bon marché. Membre du Deutscher Werkbund, elle organisa pour l’exposition de 1914 à Cologne le concours Haus der Frau, « maison de la femme ». Elle y présenta des broderies, des vitrines et un salon. La même année, elle ouvrit à Berlin son Atelier d’architecture intérieure, d’arts décoratifs et de mode. L. Reich publia ensuite dans des journaux professionnels et participa à plusieurs expositions en Europe et aux États-Unis. En 1920, première femme admise au sein du comité de direction du Deutscher Werkbund (« Association allemande des artisans »), elle travailla comme scénographe pour la foire de Francfort. À partir de 1924, elle s’engagea dans une liaison personnelle et professionnelle avec Ludwig Mies van der Rohe. Leur première collaboration eut lieu à Stuttgart, à l’occasion d’une manifestation du Werkbund, Die Wohnung (« l’habitat »), composée d’une exposition et de la réalisation du lotissement du Weissenhof, véritable démonstration du Mouvement moderne. Elle conçut huit des neuf parties de l’exposition, dont deux avec L. Mies van der Rohe, dessinant également l’aménagement d’un appartement de l’immeuble qu’il construisit au Weissenhof. La même année, elle réalisa avec lui le café Samtund Seide, « velours et soie », pour l’exposition berlinoise Die Mode der Dame, « la mode de la femme », l’aménagement de la Maison Tugenhat, à Brno (1928-1930) et certaines installations pour l’Exposition internationale de Barcelone de 1929, où elle assura la direction artistique du département allemand. L’élégant concept d’aménagement du pavillon de Mies était inspiré par les principes esthétiques de L. Reich. L’apogée de leur collaboration a été leur participation à l’Exposition allemande d’architecture de 1931, à Berlin. En sus de diverses responsabilités et de plus en plus tournée vers l’architecture, elle réalisa un magasin et un espace d’exposition, ainsi que trois projets de logement. En 1932, elle prit pour un an la direction du département de tissage et d’aménagement intérieur du Bauhaus, à Dessau, avant que l’École ne soit fermée par les nazis. Les années suivantes, elle participa à quelques expositions, aménagea des logements et coopéra avec Mies jusqu’à son départ pour les États-Unis en 1938. Sous le régime nazi, son style moderne et sa qualité de femme furent des freins pour trouver des commandes. Son atelier et son logement furent détruits pendant la guerre, mais L. Reich put sauver quelques dessins et travaux de Mies dont elle avait la garde. Après 1945, elle ouvrit un nouvel atelier à Berlin et prit part à la refondation du Deutscher Werkbund. Elle fut chargée de subdiviser de grands appartements pour répondre au pressant besoin de logements. En 1996, une exposition lui fut consacrée par le Museum of Modern Art de New York. Son œuvre fut aussi exposée à Vienne en 1998, en 2005 lors d’une manifestation itinérante et en 2007 à Krefeld. Hildesheim a donné son nom à l’une de ses rues.
Kerstin DÖRHÖFER
■ DÖRHÖFER K., Pionierinnen in der Architektur. Eine Baugeschichte der Moderne, Tübingen, Wasmuth, 2004 ; GÜNTHER S., Lilly Reich 1885-1947, Innenarchitektin, Designerin, Ausstellungsgestalterin, Stuttgart, DVA, 1988 ; MCQUAID M., Lilly Reich, Designer and Architect, New York, The Museum of Modern Art, 1996.
REICHMANN, Eva Gabriele (née JUNGMANN) [LUBLINIEC, AUJ. EN POLOGNE 1897 - LONDRES 1998]
Sociologue britannique d’origine allemande.
Née dans une famille juive libérale de Haute-Silésie, Eva Jungmann fait des études d’économie à Breslau (auj. Wrocław), Munich, Berlin et Heidelberg où elle soutient une thèse intitulée « Spontanéité et idéologie comme facteurs des mouvements sociaux modernes ». Elle est chargée en 1924 des projets culturels à l’Union des citoyens allemands de religion juive, fondée en 1893 pour faire face à l’antisémitisme croissant. Elle y rencontre l’avocat Hans Reichmann, qu’elle épouse en 1930, et devient notamment responsable de la revue Der Morgen (« le matin »). Après la Nuit de cristal de 1938 et l’emprisonnement temporaire de son mari au camp de Sachsenhausen, elle fuit l’Allemagne et s’installe à Londres où, durant la guerre, elle travaille pour la BBC puis prépare une deuxième thèse de doctorat à la London School of Economics, dont elle tire l’ouvrage Hostages of Civilisation : The Social Sources of National Socialist Anti-Semitism (1950). Elle y interprète l’antisémitisme nazi comme un « cas spécifique de tensions entre groupes » : ses causes ne sont pas idéologiques ou économiques, mais sociales et psychiques, « le juif » devenant le bouc émissaire d’un mouvement de masse xénophobe qui cherche refuge dans la haine pour compenser la faiblesse imaginaire de la conscience nationale allemande. Pour E. Reichmann, la catastrophe allemande ne prouve nullement l’impossibilité d’une coexistence entre juifs et non-juifs, tout comme la démocratie parlementaire n’a pas échoué à cause de la victoire des nazis, mais il s’agit néanmoins d’une terrible mise en garde. Directrice de recherche à la Wiener Library de Londres jusqu’à sa retraite, elle y crée notamment un centre de témoignages sur la Shoah. Elle fait également partie de la direction de l’institut Leo Baeck et continue à publier jusqu’à sa mort de nombreux articles, en partie rassemblés en 1974 dans le livre Grösse und Verhängnis deutsch-jüdischer Existenz, Zeugnisse einer tragischen Begegnung (« grandeurs et malheurs d’une existence juive-allemande, témoignages d’une rencontre tragique »).
Peter SCHÖTTLER
■ PAUCKER A., « Eva Gabriele Reichmann », in ERLER H. et al. (dir.), « Meinetwegen ist die Welt erschaffen », Das intellektuelle Vermächtnis des deutschsprachigen Judentums, 58 Portraits, Francfort, Campus, 1997.
REIFENBERG, Élise VOIR TERGIT, Gabriele
REIGL, Judit [KAPUVÁR 1923]
Peintre hongroise.
Tour à tour surréaliste, gestuelle, figurative, Judit Reigl a souvent déconcerté les critiques par les évolutions de son œuvre et ses tournants aussi brusques qu’imprévus. Son parcours témoigne pourtant d’une angoisse existentielle immuable : la hantise de l’apparition et de la disparition, de l’émergence et de la submersion. En juin 1950, elle s’installe en France, après avoir essayé à huit reprises de franchir clandestinement le rideau de fer afin d’échapper au régime dictatorial de son pays. Elle rejoint à Paris son compatriote et compagnon d’études à l’École des beaux-arts de Budapest, Simon Hantaï, qui l’introduit auprès d’André Breton en 1954 ; elle offre à ce dernier l’une de ses premières toiles surréalistes, Ils ont soif insatiable de l’infini (1950) : une vision de cauchemar inspirée par Lautréamont et Goya, où de monstrueuses créatures zoomorphes, saisies d’une inexplicable terreur, fuient dans un paysage désertique. Quelques mois plus tard, invitée par A. Breton à exposer à la galerie À l’étoile scellée, elle présente, en 1954, ses premières œuvres non figuratives, composées de sinusoïdes tourmentées aux allures organiques, et réalisées, selon ses propres mots, dans un « automatisme total, à la fois psychique et physique ». Après avoir quitté le groupe surréaliste, elle réalise, au cours des années suivantes, une série de tableaux marqués par une gestualité intense, où la peinture projetée à pleine volée sur la toile provoque des déflagrations violemment colorées, tantôt centrifuges (Éclatements, 1955-1958), tantôt centripètes (Centres de dominance, 1958-1959). Cette abstraction gestuelle la rapproche de Georges Mathieu, avec qui elle expose en 1956 et 1957. Entre 1959 et 1965, ses Écritures en masse, faites de puissantes formes noires en lévitation sur fond écru, lui permettent d’aborder des dimensions monumentales, d’une austère grandeur. Parallèlement, les toiles ratées de ces séries ne sont pas abandonnées : foulées du pied, recouvertes des déjections picturales qui jonchent le sol de l’atelier, elles sont reprises, retravaillées et deviennent l’équivalent tellurique de l’ambition cosmique des œuvres gestuelles (Guano, 1958-1965). En effet, plutôt que l’élégance formelle, c’est l’authenticité du geste que J. Reigl recherche, une authenticité qui la fait aboutir, au milieu des années 1960, à une figuration imprévue, constituée de torses anthropomorphes – le plus souvent masculins – tracés en force et placés en position d’envol ou de chute, occupant, au bord du vertige, tout l’espace disponible sur ses toiles (Homme, 1966-1972). L’artiste expérimente ensuite l’allègement de ses figures, en prenant l’empreinte de leur corps en ascension, travaillant sur le recto de tissus translucides afin de n’en saisir que les traits essentiels présentés ensuite au verso (Drap-Décodage, 1973), car « la percée initiale est devenue mur », déclare-t-elle. Ce travail culmine dans la série abstraite des Déroulements (1973-1985), où elle approfondit une « écriture-peinture » fluide, faite de tracés colorés émergeant par transparence du fond de la toile peinte sur son envers. Cette recherche d’une inscription du geste de peindre, non plus en lutte avec la matière picturale mais jouant sur sa ductilité, suscite, à partir de 1975, l’intérêt du critique Marcelin Pleynet, dont les textes accompagneront désormais la peintre tout au long de son parcours. Dans ses ultimes séries abstraites des années 1980-1988 réalisées sur le même principe, des rectangles monumentaux apparaissent bientôt, évoquant des « portes » livrant passage à de fines silhouettes humaines, s’avançant tels des Lazare hors de leur tombeau (Face à… , 1988-1990). Ce retour de la figure, retour à plusieurs reprises refoulé et accepté, témoigne d’une obsession constante chez l’artiste : celle de faire du corps – agissant ou représenté – le sujet même de la peinture. Cette quête ontologique porte son œuvre, qui n’hésite pas à affirmer sa préoccupation existentielle, au-delà des modes. Dans ses travaux plus récents, ces corps nus se multiplient sur les toiles ; ils apparaissent seuls ou en groupes, de face ou en lévitation, mais toujours en silhouette sur fond uni, réduits à l’essentiel de leur être. Comme elle le dit dans un récent entretien pour le catalogue de son exposition à Nantes (2009) : « Je suis à la fois l’image dans le miroir, le miroir et le spectateur qui voit le miroir [… ] Je suis tout ensemble. »
Jean-Paul AMELINE
■ Reigl (catalogue d’exposition), Budapest, Mücsarnok/Kunsthalle, 2005 ; Judit Reigl (catalogue d’exposition), Lyon, Fage, 2010 ; Judit Reigl, Kálmán M. (dir.), Budapest, Makláry Artwork, 2010.
REIMARUS, Élise [HAMBOURG 1735 - ID. 1805]
Écrivaine et salonnière allemande.
Deuxième enfant de l’orientaliste hambourgeois Hermann Samuel Reimarus, Margaretha Élisabeth, dite Élise, Reimarus reçoit une éducation peu commune pour une fille de son époque. Dès sa petite enfance, elle est intégrée à la vie sociale intense de la maison. Par la suite, elle reçoit elle-même et organise régulièrement des thés, qui sont l’occasion d’échanges culturels et de convivialité. Amie et correspondante de Lessing et de Moses et Fromet Mendelssohn, elle s’implique dans d’importants débats autour de l’histoire des idées. Elle hésite à donner son accord à la publication par Lessing de quelques « fragments » tirés de l’ouvrage de son père Apologie oder Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes (« apologie ou écrit protecteur pour les adorateurs sensés de Dieu », 1774), et la « dispute des fragments » qui s’ensuit semble lui donner raison après coup. Elle est parmi les premiers à être au courant du Nathan le Sage de Lessing. Ses propres travaux littéraires sont plutôt typiques de l’époque. À part quelques poésies ad hoc, ils contiennent des traductions de quelques œuvres de Marmontel (L’Amitié à l’épreuve, 1765), Joseph Addison (Cato, 1713), et de Voltaire (Zaïre, 1732). Elle compose une suite au roman à succès de Goethe Les Souffrances du jeune Werther (1774), dans laquelle Charlotte et Albert ont survécu et discutent de leurs sentiments de culpabilité. À partir de 1778, elle publie anonymement quelques textes populaires chez Campe, dans la Kleine Kinderbibliothek (« petite bibliothèque pour enfants »). Elle se penche aussi bien sur la forme qui serait didactiquement appropriée à une « philosophie pour enfants » que sur la « Simplification des notions de droit constitutionnel naturel » (manuscrit seulement). Aux yeux de ses contemporains, cette femme intellectuelle, droite, célibataire, réunissait en elle « l’intellect clair et critique de l’homme et la douceur conciliante de la femme » (Horváth 1976).
Anett LÜTTEKEN
■ SPALDING A., Elise Reimarus (1735-1805), The Muse of Hamburg : A Woman of the German Enlightenment, Wurzbourg, Konigshausen & Neumann, 2005.
■ HORVÁTH E., « Die Frau im gesellschaftlichen Leben Hamburgs, Meta Klopstock, Eva König, Elise Reimarus », in Wolfenbütteler Studien zur Aufklärung 3, Wolfenbüttel, Jacobi, 1976 ; VIERHAUS R., « Lessing und Elise Reimarus », in Lessing Yearbook, vol. 30, 1998.
REIN, Mercedes [MONTEVIDEO 1930 - ID. 2006]
Écrivaine uruguayenne.
De 1968 à 1973, Mercedes Rein explore la littérature sous toutes ses formes en faisant des recherches sur les littératures hispano-américaine et européenne et en enseignant à l’Université de la République, à Montevideo. En 1973, elle est accusée par la dictature militaire d’avoir participé, avec des dirigeants de l’hebdomadaire Marcha, pour lequel elle rédige des critiques théâtrales et littéraires depuis 1956, à la remise d’un prix à Nelson Marra pour son livre El guardaespaldas (« le garde du corps »). Ce récit des assassinats d’un haut fonctionnaire de la police et d’un tortionnaire par les révolutionnaires du mouvement Tupamaro vaut à M. Rein, à l’écrivain Juan Carlos Onetti, à des dirigeants de Marcha et à l’auteur du récit d’être emprisonnés, causant une indignation internationale dans les milieux intellectuels. Marcha est interdit par les militaires en 1974 et deux ans plus tard M. Rein est destituée de sa chaire de littérature. Ses essais, contenant notamment celui sur Julio Cortázar, ont été édités en neuf volumes. Elle participe activement au mouvement théâtral indépendant, traduisant des auteurs classiques, écrivant des pièces pour enfants et adaptant des textes pour les monter au théâtre, comme Operación masacre (« opération massacre », 1957), de Rodolfo Walsh, roman inspiré d’un reportage. En tant que dramaturge, elle monte plusieurs pièces, dont la fameuse El herrero y la muerte, leyenda criolla (« le forgeron et la mort, légende métisse »), en collaboration avec Jorge Curi (1982). La critique est unanime pour reconnaître sa précieuse contribution et la placer parmi les grands auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Dans les récits qui composent Zoologismos (« zoologismes », 1967), discours, titre et tempo sont au service d’histoires étranges pleines de fantômes, de rêves et de désirs dans un monde arbitraire, absurde et aliénant. Le roman Casa vacía (« maison vide », 1984) se passe dans le même monde, l’histoire est celle d’une famille enfermée dans cette zone trouble où la réalité se confond avec le fantastique et les fantasmes. En 1985, elle reçoit plusieurs récompenses, notamment pour Bocas de tormenta (« bouches d’orage », 1987) et Marea negra (« marée noire », 1996) qui prolongent la saga de son premier roman, constituant une trilogie qui se caractérise par son expressionisme poétique. M. Rein était membre de l’Académie nationale des lettres d’Uruguay.
María Rosa OLIVERA-WILLIAMS
REINE DE SABA
« Makeda » en Éthiopie selon la tradition chrétienne, « Bilqis » (ou « Belkiss ») au Yemen pour les musulmans : qui était la reine de Saba ? Selon le premier livre biblique des Rois, le temps de Salomon, roi d’Israël, (Xe siècle avant l’ère chrétienne) fut un règne de paix, d’unité, et de richesse. Le roi assurait la prospérité de son royaume notamment en maintenant de bonnes relations avec ses voisins. Parmi les souverains qui vinrent lui rendre visite, l’histoire évoque la reine de Saba (en hébreu : Sheba) – sans doute parce qu’elle était l’une des rares femmes souveraines et qu’elle représentait une terre éloignée. La visite de cette reine étrangère, qui cherche à mettre à l’épreuve le grand roi d’Israël, permet de manifester la renommée de Salomon, la grandeur de sa sagesse et de celle de son Dieu (1 Rois 10, 4-9). La tradition éthiopienne fait d’elle une femme riche, belle, organisée, avide de connaissance. Le Kebra Negast (en guèze « la gloire des rois »), pièce majeure de la littérature éthiopienne, est un récit épique (datant d’environ - 1000). Il retrace entre autres la rencontre de la reine de Saba et du roi Salomon. La venue de Makeda à Jérusalem a donné lieu à un échange de richesses, et a permis la transmission de la sagesse hébraïque. Puis Makeda est retournée dans son pays, peut-être enceinte, selon certains textes. Saba étant généralement identifié à l’Éthiopie, ce récit a une très grande importance dans la tradition et pour l’identité nationale éthiopienne. La tradition juive évoque une femme belle, riche et puissante, intelligente et cultivée. D’après le Targum Sheni d’Esther, un commentaire juif tardif et composite, le roi Salomon lui-même aurait demandé à Makeda de lui rendre visite et de se placer sous son autorité. Selon le Coran (sourate 27), Suleiman (Salomon) la voit plutôt comme une femme naïve que son armée n’aurait pas de peine à écraser, et le texte insiste surtout sur sa conversion. L’histoire d’amour entre un roi et une reine, tous deux riches et puissants, et l’évocation d’échanges fructueux entre deux sociétés si éloignées ne peuvent que frapper les imaginations, ce qui explique sans doute pourquoi Makeda – ou Belkiss – est ainsi restée dans l’histoire.
Anne-Laure ZWILLING
■ GROSJEAN J., La Reine de Saba, Paris, Gallimard, 1987 ; ARBACH M., « Le royaume de Saba au 1er millénaire avant J.-C. », in Dossier d’archéologie no 263, mai 2001.
REINETTE L’ORANAISE (Reinette EL-WAHRANIA, Sultana DAOUD, dite) [TIARET 1915 - PARIS 1998]
Musicienne française d’origine algérienne.
Fille d’un rabbin marocain installé à Tiaret, une ville historique des hauts plateaux du Sud-Ouest algérien, Reinette l’Oranaise devient aveugle à l’âge de 2 ans à la suite d’une infection de variole. Elle apprend le braille dans une école pour non-voyants et révèle des prédispositions pour le chant. Faute de pouvoir être mariée à cause de son handicap, elle est confiée à l’adolescence comme apprentie au musicien Saoud Medioni, qui tient un café musical, le Derb, à Oran. Ce chanteur et violoniste la rebaptise « Reinette », comparant sa voix à celle d’une jeune grenouille. Elle n’est dès lors plus connue que sous ce sobriquet. Elle apprend le chant, la derbouka et connaît un succès national en Algérie en enregistrant avec S. Medioni des duos de chansons légères où elle joue le rôle de l’ingénue et lui celui du séducteur. Reinette apprend aussi la mandole, mais trouve son instrument de prédilection avec le luth et le répertoire plus classique du haouzi, la musique arabo-andalouse, héritée du temps de l’expulsion des Maures et des juifs d’Espagne (XVe siècle). À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Reinette l’Oranaise et S. Medioni s’installent à Paris. Elle retourne cependant en Algérie et poursuit une carrière de soliste à Radio Alger au même titre que d’autres célèbres artistes algériens de confession juive, tels Alice Fitoussi et Elie Moyal, alias Lili Labassi, dont elle chante également le répertoire. Son ancien maître périt en déportation. À la veille de l’indépendance algérienne, Reinette l’Oranaise doit s’exiler devant les pressions qui s’exercent sur les ressortissants non musulmans. Exilée en France en 1962, elle se produit désormais à Paris ou à Marseille dans les fêtes de sa communauté. Elle épouse le musicien Georges Layani, qui devient son accompagnateur à la derbouka. Dans les années 1980, la France la découvre dans la foulée de la vague d’engouement pour le raï, un genre musical plus pop que l’artiste ne pratique cependant pas, restant fidèle à son répertoire traditionnel. Reinette l’Oranaise s’accompagne alors d’un pianiste (Maurice el-Medioni, neveu du défunt Saoud, ou Mustapha Skandrani) et se voit également invitée à jouer au Centre culturel algérien de Paris lors d’un concert diffusé sur Radio Alger, une première depuis son exil. Le gouvernement français lui décerne le titre de commandeur des Arts et des Lettres et Reinette l’Oranaise se produit alors dans toute l’Europe.
Thierry SARTORETTI
■ Mémoires, Blue Silver, 1994 ; Trésors de la chanson judéo-arabe, Buda musique, 2006.
REINHARD-MÜLLER, Gret [OBERWINTERTHUR, AUJ. WINTERTHUR 1917 - BERNE 2002]
Architecte suisse.
Diplômée d’architecture de l’École polytechnique fédérale de Zurich en 1941, Margreth Ida Müller se marie et s’associe en 1942 à son ancien condisciple, Hans Reinhard (1915-2003). Comme celui-ci est mobilisé à mi-temps jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle s’occupe de l’agence et participe à de nombreux concours. La plupart de leurs réalisations, à Berne et en collaboration avec d’autres architectes, sont en effet obtenues par ce biais. Leur activité professionnelle est diversifiée et témoigne d’un engagement social, leurs œuvres sont souvent dépouillées, visant l’économie. Ils construisent de nombreux logements – du lotissement de maisons en bande de Bethlehemacker (1943-1947) à la cité satellite de Tschanergut (1956-1961), considérée comme un modèle au plan international, en passant par les ensembles résidentiels de Gäbelbach (1966-1970) ou de Fellergut (1969-1974). Ils signent également des bâtiments d’enseignement (le groupe scolaire du Steigerhubel 1952-1953 ; l’Institut des sciences exactes de l’université 1956-1961) et administratifs (celui des Douanes 1953). C’est ensemble qu’ils élaborent leurs projets, même si G. Reinhard-Müller se consacre davantage à l’architecture intérieure et à la création de mobilier et de luminaires. Plus généralement, son activité touche à la construction privée et aux villas. En 1987, deux de leurs quatre enfants, architectes, reprennent l’agence.
Stéphanie MESNAGE
■ INEICHEN H. (dir.), Hans + Gret Reinhard. Bauten und Projekte 1942-1986, Sulgen, Niggli, 2009.
REINHART, Carmen M. [LA HAVANE 1955]
Économiste américaine d’origine cubaine.
Professeure d’économie, Carmen M. Reinhart dirige le centre d’économie internationale de l’université du Maryland et est associée de recherche au National Bureau of Economic Research (NBER) et au Centre for Economic Policy Research (CEPR). Arrivée aux États-Unis en 1966, Carmen M. Reinhart a fait ses études à l’université de Floride puis à l’université Columbia (New York), où elle a obtenu un master en 1981 et un doctorat (PhD) en 1988. Elle a commencé sa carrière comme économiste à la banque Bear Stearns, de 1982 à 1986, puis au Fond monétaire international (FMI), de 1988 à 1996. En 1998, elle est devenue directrice d’un département de l’école d’économie publique de l’université du Maryland, après y avoir été professeure associée. Enfin, elle a été nommée professeure en 2000 et directrice en 2009, au centre d’économie internationale de l’université du Maryland. Entre 2000 et 2003, elle est retournée au FMI pour y diriger le département de la recherche. C. M. Reinhart s’est fait remarquer par ses nombreux travaux d’analyse des crises financières et bancaires du XXe siècle réalisés avec Kenneth S. Rogoff, professeur d’économie de l’université Harvard. La définition et la classification des crises de ces deux économistes constituent une avancée considérable pour la compréhension des cycles économiques et de leurs conséquences sur l’activité. Elles ont aidé à élaborer des politiques publiques visant à limiter l’ampleur des cycles. Par ailleurs, les deux économistes ont été les premiers à expliquer la crise de 2007 et à la rapprocher de crises précédentes, notamment celle de 1929. Avec Guillermo Calvo, C. M. Reinhart s’était déjà distinguée en prévoyant les conséquences désastreuses qu’aurait un relèvement des taux directeurs de la Réserve fédérale sur les pays émergents, juste avant les crises des années 1990. Elle avait en effet montré l’inconstance des mouvements de capitaux et la forte probabilité d’un retournement brutal avant la crise mexicaine de 1994-1995, puis le lien entre les bulles de prix d’actifs financiers et les crises bancaires ainsi que ses conséquences sur le marché des changes avant la crise asiatique de 1997.
Mathilde LEMOINE
■ Avec KAMINSKY G. L., « The twin crises : The causes of banking and balance-of-payments problems », in The American Economic Review, vol. 89, no 3, juin 1999 ; avec ROGOFF K. S., « This time is different : A panoramic view of eight centuries of financial crises », in NBER Working Paper, no 13882, mars 2008 ; avec ROGOFF K. S., « Is The 2007 US subprime crisis so different ? An international historical comparison », in The American Economic Review, vol. 98, no 2, mai 2008 ; avec ROGOFF K. S., « Growth in a time of debt », in TheAmerican Economic Review, vol. 100, no 2, mai 2010.
REINHART, Tanya [HAÏFA 1943 - NEW YORK 2007]
Linguiste israélienne.
Ayant étudié la philosophie, l’hébreu et la littérature comparée à Jérusalem, Tanya Reinhart soutient une thèse en linguistique dirigée par Noam Chomsky sur le domaine syntaxique de l’anaphore au MIT en 1976. Professeure de linguistique dans les universités de Tel-Aviv et d’Utrecht, elle accède en fin de carrière au statut de Global Distinguished Professor à l’université de New York. Ses recherches, menées dans le cadre des théories chomskyennes, se sont imposées par les perspectives nouvelles qu’elles ouvraient. N. Chomsky lui-même en a régulièrement souligné les enjeux, dans le domaine de la syntaxe et des opérations qui la sous-tendent, et dans celui de la sémantique, où elle a mis en évidence les relations entre les principes lexicaux et leurs implications dans la structuration syntaxique des énoncés. Elle innove aussi dans le domaine des interactions entre la pensée, le système sensori-moteur et le fonctionnement du langage. À côté de ses travaux en linguistique, littérature et pragmatique, T. Reinhart affirme avec force son opposition politique à l’occupation des territoires palestiniens et donne des conférences dans le monde entier à ce sujet. Elle a quitté Israël pour les États-Unis à cause des trop fortes pressions que lui valait son engagement politique.
Thomas VERJANS
■ Anaphora and Semantic Interpretation, Londres, Croom Helm, 1983 ; Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948, Paris, La Fabrique, 2002 ; L’Héritage de Sharon, détruire la Palestine suite, Paris, La Fabrique, 2006.
■ CHOMSKY N., « She Drew Away the Veil on Criminal and Outrageous Conduct, in Memory of Tanya Reinhart », in Counterpunch, 19 mars 2007.
REINIG, Christa [BERLIN 1926 - MUNICH 2008]
Poétesse et romancière allemande.
Récompensée par de nombreux prix, l’œuvre de Christa Reinig comprend aussi bien de la poésie, de la prose que des pièces radiophoniques. En 1963, alors qu’elle vit à Berlin-Est, le Prix littéraire de Brême lui ouvre la voie de l’Ouest. Il lui est en effet impossible de publier en RDA depuis des années déjà. Dans la RFA des années 1970 et 1980, son écriture est marquée par son intérêt pour le mouvement féministe. Entmannung, Die Geschichte Ottos und seiner vier Frauen (« émasculation, l’histoire d’Otto et de ses quatre femmes », 1976) est son roman le plus connu, qui, bien qu’accueilli favorablement, a suscité une certaine contestation en raison de son contenu féministe radical. La carrière prometteuse de C. Reinig est malheureusement interrompue par un grave accident, qui l’empêche d’être active dans le monde littéraire.
Susanne HOCHREITER
■ Gesammelte Gedichte, Darmstadt, Luchterhand, 1985 ; Gesammelte Erzählungen, Darmstadt, Luchterhand, 1986.
REINIGER, Lotte [BERLIN 1899 - DETTENHAUSEN 1981]
Cinéaste et marionnettiste allemande.
Formée à l’école de théâtre de Max Reinhardt, Lotte Reiniger commence très jeune à utiliser les techniques du théâtre d’ombres pour le cinéma, d’abord avec Paul Wegener (Le Joueur de flûte de Hamelin, 1918), puis pour ses propres créations (Das Ornament des verliebten Herzens, « l’ornement du cœur épris », 1919 ; Cendrillon, 1922). Avec son mari Carl Koch, elle développe une technique d’animation à partir de silhouettes de papier délicatement découpées, avec laquelle ils réalisent plus de 50 films, dont leur chef-d’œuvre, Les Aventures du prince Ahmed (1926). Sous le nazisme, ils tentent de s’enfuir en Angleterre, mais, sans visa permanent, partagent leur temps entre Londres, Paris, Rome et Berlin, collaborant avec Georg Wilhelm Pabst (Don Quichotte, 1933), Benjamin Britten (qui compose la musique de The Tocher, « la dot », 1937) ou Jean Renoir (La Marseillaise, 1938). Après la guerre, ils adoptent tous deux la nationalité britannique. Pour la BBC, L. Reiniger réalise des spectacles d’ombres en direct, souvent adaptés de contes. En 1955, Le Vaillant Petit Tailleur reçoit le Dauphin d’argent de la Biennale de Venise. Après la mort de C. Koch, en 1963, elle abandonne le cinéma pour se consacrer au théâtre d’ombres et à l’illustration.
Didier PLASSARD
■ JOUVANCEAU P., Le Film de silhouettes, Genève, Le Mani, 2004.
REIS, Cristina [LISBONNE 1945]
Scénographe et directrice de compagnie théâtrale portugaise.
Cristina Reis vient au théâtre par le biais inusité du design. Après des études à l’École supérieure des beaux-arts de Lisbonne et au Ravensbourne College of Art and Design de Londres, elle suit une formation à l’atelier Daciano da Costa (designer portugais, 1930-2005). À la chute de la dictature (1974), sa rencontre avec le Teatro da Cornucópia oriente son travail vers les arts de la scène. La compagnie, issue depuis 1973 du théâtre universitaire et du mouvement du théâtre indépendant portugais, l’accueille en 1975 en tant que scénographe et costumière. À partir de 1980, elle codirige la compagnie avec Luís Miguel Cintra. Entre Ah Q de Jean Jourdheuil et Bernard Chartreux en 1976 qui inaugure sa collaboration avec la Cornucópia, et Les Géants de la montagne de Pirandello en 2008, elle participe à 86 spectacles, en dessinant les décors, les costumes, les affiches, et contribue à une programmation qui alterne les classiques et les contemporains (Brecht, Lars Noren, Fassbinder, Genet, Pasolini, Tchekhov, Kleist, Sophocle, etc.). C. Reis et L. M. Cintra collaborent à la mise en scène, aux décors et aux costumes de plusieurs opéras, de L’Enfant et les Sortilèges de Ravel (1987) à Médée de Cherubini en 2005. La Mort du prince et autres fragments de Fernando Pessoa, fruit de cette collaboration, est présenté au Festival d’Avignon de 1988. Reconnue pour l’ensemble de son œuvre, elle a été primée pour plusieurs de ses scénographies et décors.
Graça DOS SANTOS
REIS, Hilda PIRES DOS [RIO DE JANEIRO 1919 - ID. 2001]
Compositrice et musicologue brésilienne.
Hilda Pires dos Reis se forme à l’Institut national de musique de Rio de Janeiro en composition et direction, et intègre comme professeure l’école de musique de l’Université fédérale où elle dirige le département de composition en 1960. Docteure en musicologie (1965), elle mène des recherches sur les liens de la musique populaire et de la musique savante dans la formation des styles nationaux, ainsi que sur divers thèmes de caractère didactique. Elle compose d’abord des pièces de piano ou de musique de chambre : Sonatina pour piano, Sonata fantasia pour violon et piano sont de 1938 ; Batuque pour piano et un Trio datent de 1939. Les années 1940 voient naître des pièces symphoniques : Bailado dos gigantes (1942), O navio aventureiro, poème symphonique (1943), Maracatu (1945). Elle reviendra plus tard à la musique de chambre avec Seresta no 3 pour violoncelle et piano (1969) et un Quatuor à cordes (1970). On lui doit aussi de nombreuses mélodies.
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
REISMANN, Marian [SZOMBATHELY 1911 - BUDAPEST 1991]
Photographe hongroise.
Née dans une famille de la bourgeoisie aisée, Marian Reismann reçoit une excellente éducation. Suivant l’exemple de son frère János, photographe de renom international, elle étudie la photographie au Staatslehranstalt für Lichtbildwesen de Munich (1929-1931), puis travaille comme photographe chez l’URF Werbe Kollektive, à Berlin. Rentrée à Budapest, elle obtient sa maîtrise et ouvre en 1934 son atelier de portraits, Fotó Marian. Ses scènes de danse et d’enfants, ses portraits d’écrivains, de musiciens et d’acteurs lui apportent bientôt une telle notoriété que les élèves affluent. Elle commence une collaboration, qui se poursuit pendant plusieurs décennies, avec la pédiatre et psychologue Emmi Pikler, qui explore des voies nouvelles dans l’éducation et la thérapeutique pour enfant. M. Reismann photographie régulièrement ses patients, puis les communautés d’enfants des établissements fondés par la pédiatre. Ses illustrations, réalisées avec une précision quasi scientifique, font école dans le domaine de la photographie d’enfants. Elle saisit les comportements spontanés de ses modèles, à différents âges, dans leur milieu naturel, et suit les étapes de leur évolution pendant plusieurs années. E. Pikler et M. Reismann publient en 1938 Mit tud már a baba ? (« que sait déjà le bébé ? »), suivi en 1954 d’Anyák könyve (« le livre des mères »), réédités de nombreuses fois et traduits en plusieurs langues. Persécutée par les nazis, la photographe vit les dernières années de la guerre dans la clandestinité ; son atelier, son équipement et une grande partie de son œuvre sont détruits pendant le siège de Budapest (1944-1945). Photoreporter pour Magyar film Iroda en 1945-1946, elle réalise des photos de criminels de guerre et des reportages politiques. Elle est de nouveau photographe d’atelier, puis travaille pour Magyar Fotó (ancêtre de l’Agence télégraphique hongroise) jusqu’à son licenciement en 1954. Elle rouvre alors son atelier et réalise des photos sur les thèmes les plus divers (agriculture, ethnographie, paysages, villes). Elle a enseigné son art entre 1951 et 1967 et publié plusieurs albums. Une rétrospective lui est consacrée à la Galerie nationale en 1972. Une exposition commune de son œuvre et de celle de son frère a été présentée au musée du Mouvement ouvrier en 1988.
Klára TŐRY
■ Vallomás, Budapest, Képzőművészeti Alap, 1973.
■ CSORBA CS., Magyar fotográfusnők, 1900-1945, Budapest, Enciklopédia, 2000 ; DI CASTRO F. (dir.), Nel raggio dell’utopia. L’Esperienza fotografica ungherese tra le due guerre, Venise, Marsilio, 1987.
■ KINCSES K., « A két Reismann », Magyar Fotográfiai Múzeum, 2004.
RÉJANE (Gabrielle-Charlotte RÉJU, dite) [PARIS 1856 - ASNIÈRES-SUR-SEINE 1920]
Actrice française.
Fille d’un modeste acteur, Réjane sort du Conservatoire avec un second prix de comédie en 1874. Elle joue pendant dix ans un répertoire léger, excellant dans les rôles de soubrette. Elle se lie avec Paul Porel, acteur et directeur de l’Odéon, qui va la diriger vers des rôles plus sérieux avec Germinie Lacerteux des frères Goncourt (1888). En 1891, elle interprète Amoureuse de Porto-Riche à côté de Lucien Guitry, formant ainsi le couple idéal d’acteurs. En 1892, P. Porel prend la direction du Vaudeville ; il l’épouse en 1893. Elle y joue La Parisienne d’Henry Becque, puis fait la création française de Nora dans Maison de poupée d’Henrik Ibsen. La création de Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou, rôle qu’elle reprendra très souvent, lui apporte la célébrité en 1894. Elle triomphe dans ce rôle à Londres et à New York : la vivacité de son jeu, sa gouaille parisienne, sa « spontanéité » en font le type même de l’actrice « française ». Séparée de P. Porel en 1905, elle achète un théâtre qu’elle baptise Théâtre Réjane (aujourd’hui Théâtre de Paris), qui ne réussit guère et qu’elle revendra en 1918. Elle y fait, entre autres, la création française de L’Oiseau bleu de M. Maeterlinck (1911). En 1913, elle crée à la Porte-Saint-Martin L’Enfant de l’amour de Henry Bataille. Elle aura joué environ 80 rôles très variés. Malgré son aversion pour le théâtre « mondain », André Antoine admirait le naturel et la « modernité » de son jeu. Proust, qui lui vouait un « culte », selon son expression, s’inspira de Réjane et de Sarah-Bernhardt* pour son personnage de la Berma.
Evelyne ERTEL
LA RELIGIEUSE PORTUGAISE [XVIIe-XVIIIe siècle]
En 1669 fut publié à Paris, chez Claude Barbin, un petit livre intitulé Lettres portugaises traduites en françois, sans aucune référence au nom de son auteur ni à celui de son traducteur. Cependant, la lecture des lettres et d’un avertissement « au lecteur » pouvait laisser penser que les cinq lettres avaient été écrites de la main d’une religieuse portugaise nommée Mariana, qu’elles s’adressaient à son amant français, un « gentilhomme de qualité, qui servoit en Portugal », et que l’édition et la traduction par un traducteur inconnu, à partir d’un original perdu, s’adressaient au plaisir « de tous ceux qui se connoissent en sentiments ». Le secret et le parfum de scandale qui enveloppaient le livre, dans lequel une jeune religieuse laissait parler librement son cœur amoureux bien au-delà des bienséances de l’époque, promettaient d’avance à l’ouvrage une haute destinée. Les Lettres portugaises firent sensation dès leur publication, avec cinq éditions la première année. Le nom du destinataire des Lettres fut révélé cette même année 1669. Le « gentilhomme de qualité » serait le chevalier de Chamilly (1635-1715), comte de Saint-Léger, officier qui aurait servi au Portugal, sous les ordres de Frederico de Schomberg, pendant la guerre de restauration de l’Indépendance (1663-1668). Et Lavergne de Guilleragues, secrétaire du cabinet de Louis XIV, poète ami de Racine et directeur de la Gazette de France, serait le traducteur des Lettres. Aujourd’hui, une majorité de spécialistes tend à penser que Guilleragues est l’auteur même des Lettres portugaises. Mais Jean-François Boissonade de Fontarabie affirma, dans le Journal de l’Empire, détenir un exemplaire des Lettres portugaises dans l’édition de 1669, où figurerait le nom de l’auteur. Ainsi commença le « mythe de la religieuse portugaise ». De l’existence de Mariana Mendes da Costa Alcoforado – entrée sous contrainte de son père, le 2 janvier 1650, avant l’âge de 11 ans, au couvent de Nossa Senhora da Conceição, à Beja, dont elle devint l’abbesse et où elle finit ses jours – et de sa passion amoureuse pour Chamilly, nul ne doute. Sa relation avec le marquis, aperçu pour la première fois de la terrasse du couvent, date peut-être des années 1667-1668. Le scandale de cette passion « déclencha la colère de la famille » des tout-puissants Alcoforado. Chamilly s’enfuit, retournant en France, « sur d’assez méchants prétextes », promettant de revenir, un jour, chercher Mariana. Les Lettres portugaises auraient été écrites dans l’épreuve de la séparation. Datées de décembre 1667 à juin 1668, les cinq lettres passionnées et lyriques avouent l’amour, puis la désolation et le « désespoir mortel » de l’abandon. Plusieurs voix ont contesté la véracité de ce mythe dit de « la religieuse portugaise » et douté de l’identité de l’auteur. Jugeant ces lettres trop belles pour avoir été écrites de la main d’une femme, Rousseau nia leur authenticité. C’est de Rilke que cette œuvre a reçu l’écoute la plus sensible : dans la traduction allemande qu’il en a faite, en 1930, il consacre le mythe de cette « grande amoureuse », inconditionnelle, à la voix nue et sublime, d’une « pureté merveilleuse ». La traduction des Lettres portugaises du français vers le portugais a défié plus d’un écrivain. Si l’on peut toujours douter que sœur Mariana Alcoforado en soit l’auteure, on ne peut guère contester, ainsi que le souligne dans la préface à sa traduction Eugénio de Andrade, que les Lettres portugaises soient l’« une des œuvres suprêmes de la littérature amoureuse ».
Fernanda BERNARDO
■ Lettres portugaises [attribuées à Guilleragues], Paris, Flammarion, 2009.
RELIGIONS ET LITTÉRATURE [Japon depuis le VIe siècle]
Du VIe au XVIIe siècle
Le bouddhisme a exercé une influence prépondérante sur la littérature, l’art et la pensée japonais. Il a été introduit de la Chine et de la Corée dans la dernière moitié du VIe siècle. Au IXe siècle, l’empereur et les aristocrates l’ont reconnu comme la religion protectrice du pays, en célébrant des fêtes religieuses variées pour chaque saison. Au cours des périodes Heian et Kamakura (Xe-XIVe siècle), la vie quotidienne japonaise s’est profondément imprégnée du bouddhisme, ce qui allait de pair avec la montée du nombre de femmes qui s’y convertissaient. D’après la pensée fondamentale du bouddhisme, les femmes sont souillées et ne peuvent pas accéder au paradis céleste. Cependant, on trouve dans le Hokekyō (Sutra du Lotus) une histoire où, après sa mort, une femme vertueuse se transforme en homme (Henjō-Nanshi selon les termes bouddhistes), puis en dragon pour monter au ciel (Ryūnyo-Jōbutsu). Ainsi, les femmes qui ont assidûment pratiqué leur foi peuvent-elles jouir de la lumière du paradis.
Du Xe au XVIIe siècle, l’empereur et les aristocrates avaient coutume de se faire moines (shukke) lorsque la maladie leur avait fait prendre conscience de la mort. Mais le mot « shukke » n’avait pas de sens rigoureux pour eux, et ils se contentaient généralement de se faire raser le crâne, au moins dans leur jeunesse. Quant aux femmes mariées, certaines d’entre elles se sont faites nonnes pour pouvoir demander le divorce. Les nonnes se distinguaient par leur coiffure dite « amasogi », avec les cheveux coupés au niveau de l’épaule.
Toute la littérature japonaise du Xe au XVIIe siècle est inspirée par le bouddhisme : le sutra, la statue de Bouddha, le shukke et la visite au temple. Quelques exemples concrets témoignent de la relation étroite entre le bouddhisme et la littérature féminine de cette époque. Le premier est le Dit du Genji de Murasaki-shikibu* : toutes les femmes qui ont commis l’adultère avec Hikaru Genji se font sœurs, au bout de leur affreux tourment (par exemple, Rokujō no miyasudokoro, Fujitsubo no miya et Oborozukiyo). C’est de cette manière qu’elles se séparent définitivement de leur ancien amant. Or, tiraillée entre les deux seigneurs que sont Niōu miya et Kaoru, Ukifune se retire elle aussi du monde, à la suite de l’échec de sa tentative de suicide par noyade. La dernière scène du Dit du Genji se déroule autour d’elle, devenue sœur, qui ne cesse de s’affliger. Le thème dominant du Dit du Genji est l’amour, mais ce récit soulève à la fin des questions cruciales autour de la religion : « Le bouddhisme peut-il apporter le Salut aux êtres humains ? » ou bien « Comment peuvent vivre les hommes qui tentent en vain d’être sauvés ? » L’influence du bouddhisme se constate également dans la poésie : Izumi-shikibu a parsemé ses nouveaux waka de mots du Hokekyō, en vue de montrer sa fidélité à Bouddha. En fait, une telle méthode était assez répandue parmi les poètes du Xe au XVIIe siècle qui souhaitaient parvenir au paradis dans l’autre monde. En ce qui concerne la littérature journalière, la narratrice du Journal de Sarashina regrette, à plusieurs reprises, de n’avoir pas été pleine de dévotion dans sa jeunesse. Elle a d’ailleurs pris soin de noter qu’elle a vu en rêve la statue de Bouddha ou le bodhisattva lumineux. Ce livre est particulièrement marqué par la foi fervente qui motive son écriture.
L’époque moderne assiste à l’émergence de femmes écrivains vivant leur religion selon leur propre originalité et diversité. Ces écrivaines sont presque toutes apparues après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le régime patriarcal de l’Empire du Japon s’est affaibli. Yoshiya Nobuko (1896-1973) et Kamiya* Mieko peuvent en ce sens être considérées comme précurseurs. Se liant d’amitié avec Hiratsuka* Raichō et Itō Noe (1895-1923), Yoshiya Nobuko s’est intéressée aux questions sociales (le problème de la mine de cuivre à Asio, par exemple) et, en tant que romancière chrétienne, elle a écrit des romans comme Bara no kanmuri (« la couronne de roses », 1924) parus dans la revue féminine Fujin no tomo. De nombreuses romancières croyantes ont commencé à travailler activement dans la période du développement accéléré de l’après-guerre. Miura Ayako (1922-1999), écrivaine protestante notamment connue pour son roman Hyōten (« le point de congélation »), a exercé une grande influence sur d’autres écrivains chrétiens par la foi qui fonde ses œuvres. Ishimure* Michiko a décrit les misères de Minamata (pollution par le mercure) comme maladie de la civilisation dans son œuvre Kugai jyōdo, waga Minamatabyō (« le paradis dans la mer de chagrin, ma maladie de Minamata », 1969). Sono Ayako (1931) est une romancière catholique. Elle a publié de nombreux romans qui traitent de la faiblesse et de la dignité humaines. À côté de ces romancières chrétiennes, se trouve un petit nombre de romancières bouddhistes comme Setouchi* Jakuchō, romancière populaire et laïque sous le nom de Setouchi Harumi. En 1973, elle devient bouddhiste et se fait bonzesse de la secte de Tendai. Elle s’appelle dès lors Setouchi Jakuchō. À partir de son expérience personnelle de la vie sexuelle, elle affirme à la fois l’indépendance de la femme moderne et l’harmonie bouddhique qu’un être humain peut établir avec d’autres êtres vivants dans le monde.
KATŌ MASAYOSHI et OHASHI KANTARO
■ MIURA A., Au col du mont Shiokari (Shiokari-tōge, 1973), Arles, P. Picquier, 2007.
■ AYAKO S., Sono Ayako sakuhin zenshū, 12 vol., tōgen-sha, 1978 ; MIURA A., Miura Ayako zenshū, 20 vol., Tokyo, Shufu-no-tomo-sha, 1991 ; YOSHIYA N., Yoshiya Nobuko zenshū, 12 vol., Tokyo, Asahi shinbun-sha, 1975-1976.
REMEDIOS VARO (María DE LOS REMEDIOS VARO Y URANGA, dite) [ANGLÈS 1908 - MEXICO 1963]
Peintre et écrivaine espagnole.
D’origine catalane, Remedios Varo est devenue l’une des plus importantes artistes surréalistes du Mexique. Son œuvre porte le souvenir des voyages avec son père ingénieur hydraulicien et de son éducation religieuse, à travers les figures de pèlerins vagabonds, de machines et de jeunes pensionnaires. À l’âge de 17 ans, elle est l’une des très rares femmes à intégrer la prestigieuse Real academia de bellas artes de San Fernando à Madrid. Avec le peintre anarchiste Gerardo Lizarraga, qu’elle épouse en 1930, elle s’installe à Barcelone, où elle se lie avec les surréalistes Esteban Francès et Oscar Dominguez. Elle pratique le collage (La Leçon d’anatomie, 1935), le cadavre exquis, et communique avec les surréalistes parisiens par l’intermédiaire de Marcel Jean. En 1936, elle participe à l’unique exposition du Groupe logicophobiste qui revendique les liens entre l’art, la littérature et la métaphysique. L’année suivante, elle suit à Paris le poète et essayiste Benjamin Péret. Elle ne pourra jamais retourner dans son pays à cause du franquisme. Malgré sa participation aux expositions surréalistes, l’essentiel de son activité picturale en France est alimentaire. En 1939, en raison des engagements marxistes de B. Péret, elle est arrêtée et emprisonnée. Après l’armistice, elle rejoint, avec Victor Brauner, la villa Air-Bel à Marseille, où se sont réfugiés de nombreux surréalistes, avant d’émigrer en 1942 au Mexique. C’est là qu’elle réalise la majeure partie de son oeuvre. Dans les années 1940, elle fabrique des dioramas et de petits décors de théâtre pour le bureau britannique de propagande antifasciste. Elle est aussi décoratrice, costumière de théâtre et publicitaire pour des laboratoires pharmaceutiques. Ses productions publicitaires très minutieuses manifestent son goût pour le langage symbolique, sa phobie des insectes, et accordent une importance considérable aux costumes et aux accessoires comme lieux de déplacements oniriques et fantastiques. Ce n’est qu’à partir de 1953, date de son installation avec l’éditeur Walter Gruen, que l’artiste, libérée des contraintes matérielles, peut se consacrer exclusivement à la peinture. Elle développe un style très personnel qui associe les techniques du fumage, du frottage et de la décalcomanie à des figures fantastiques dans la lignée de Jérôme Bosch, dessinées avec une très grande précision. Très proche de Leonora Carrington*, elle partage avec elle son grand intérêt pour l’occulte et l’humour noir. Passionnée par les théories de l’ésotériste Georges Gurdjieff et notamment par l’idée de « quête transformante », elle entreprend de représenter des explorateurs et troubadours en pleine quête initiatique (Ascensión al monte Análogo, 1960). Ses figures traversent des architectures et des paysages fantastiques proches de ceux de Piranèse et d’Escher (Arquitectura vegetal, 1962), au moyen de véhicules ingénieux qui fusionnent avec elles : l’artiste crée des êtres hybrides dans la lignée des hommes volants des Disparates de Goya. Elle imagine notamment l’Homo rodans, prédécesseur humoristique de l’Homo sapiens, dont la partie inférieure du corps se compose d’une roue, et le décrit dans un traité pseudo-archéologique, De Homo rodans, avant d’en fabriquer, la même année, le modèle sculpté à partir d’os de volaille et d’arêtes de poisson. Sa quête initiatique prend aussi pour décor des cabinets d’études dignes de ceux de la Renaissance, comme dans Creación de los aves (1957), où l’on voit des créatures androgynes se plonger dans de mystérieuses expériences alchimiques, parfois métaphores de la création artistique (Música solar, 1955). Pour le centenaire de sa naissance, le Mexique a classé son œuvre trésor national.
Leïla JARBOUAI
■ Avec PAZ O., CAILLOIS R., Remedios Varo (1966), Mexico, Era, 1972 ; Cartas, sueños y otros textos (1994), Mexico, Era, 2002 ; Remedios Varo, catalogo razonado (1994), Ovalle R., Gruen A., Blanco A. et al. (dir.), Mexico, Era, 2008.
■ GARCIA C., Remedios Varo, peintre surréaliste ? Création au féminin, hybridations et métamorphoses, Paris, L’Harmattan, 2007 ; KAPLAN J. A., Unexpected Journeys : The Art and Life of Remedios Varo (1988), New York/Londres, Abbeville, 2000.
RÉMY, Caroline VOIR SÉVERINE
RENARD, Colette (Colette RAGET, dite) [ERMONT 1924 - MILON-LA-CHAPELLE 2010]
Chanteuse française.
Enfant, Colette Raget joue du violoncelle et chante dans des radio-crochets. Pour faire vivre sa famille, elle commence, à 13 ans, à exercer toutes sortes de petits métiers. À 26 ans, elle est engagée comme sténodactylo par Raymond Legrand, qui dirige un orchestre de jazz. Un soir, sa chanteuse tombe malade et Colette la remplace au pied levé. Elle est intégrée à la formation. Six ans plus tard, elle remporte, en solo, le Grand Prix Georges-Brassens. Dans la foulée, on lui propose le rôle principal d’une comédie musicale, Irma la douce, d’Alexandre Breffort et Marguerite Monnot. Elle joue ce personnage pendant plus de 2 000 représentations et le spectacle devient un succès mondial. Parallèlement, elle monte son tour de chant et se produit dans les grands music-halls. Elle enregistre, entre autres, Girouette, les premiers couplets écrits par Louise de Vilmorin, mais aussi Tiens, v’là un marin, qui se vend à plus de 500 000 exemplaires. À la fin des années 1950, sa popularité est telle qu’elle chante à Monaco, devant le prince Rainier, mais aussi devant les ouvriers du pétrole à Hassi Messaoud, au Sahara. Sur ordre d’André Malraux, ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle, elle devient « ambassadrice de la chanson française », chargée de faire connaître le patrimoine national dans le monde. Elle donne des récitals au Japon, au Laos, au Cambodge et au Vietnam. Elle enregistre aussi sept disques de « chansons gaillardes et libertines », dont la gauloiserie fait scandale, mais qui deviennent des immenses succès, aujourd’hui considérés comme des classiques. Dans les deux dernières décennies du XXe siècle, elle connaît des hauts et des bas, puis la dépression. Elle revient enfin à la télévision comme comédienne dans la série Plus belle la vie. C’est son dernier triomphe.
Jacques PESSIS
RENAUD, Élisabeth [1846-1932]
Militante féministe et socialiste française.
Fille d’un ouvrier, Élisabeth Renaud est élevée dans un protestantisme strict. Elle travaille à l’usine Japy pour payer ses études et obtient en 1870 le brevet de capacité. Gouvernante chez des nobles de Saint-Pétersbourg, elle épouse ensuite en 1881 un imprimeur, qui meurt en 1886. Seule avec deux enfants, elle tient alors une pension de famille où elle donne des leçons de français à des étrangers. En 1899, elle fonde avec Louise Saumoneau* le Groupe féministe socialiste pour lutter contre l’antagonisme des classes « à l’origine de tous les antagonismes secondaires » (statuts, juillet 1899). Il s’agit de mettre les femmes à la hauteur de leur tâche en développant leurs facultés intellectuelles et morales et en obtenant pour elles tous les avantages politiques, économiques et sociaux susceptibles d’améliorer leur situation et d’augmenter leurs moyens d’action dans la lutte pour l’émancipation du prolétariat. É. Renaud participe activement au Congrès international de la condition et des droits des femmes qui se tient à Paris du 5 au 8 septembre 1900. Elle dirige La Femme socialiste, qui paraît de mars 1901 à septembre 1902. Puis, rompant avec L. Saumoneau, elle travaille avec la Ligue française pour le droit des femmes (LFDF). Candidate du Groupe féministe universitaire, de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et de la LFDF simultanément, lors des élections législatives de 1901, à Vienne (Isère), elle obtient plus de 2 800 voix, évidemment considérées comme nulles. Elle se présente également aux élections municipales de 1912, soutenue par la LFDF et la SFIO. Elle écrit dans La Lutte de classes et fait partie du comité organisateur du nouveau parti ouvrier, issu de la faction minoritaire ayant quitté la SFIO peu après le congrès d’Amiens de janvier 1914. Elle est élue au conseil central de ce parti, avec Adèle Toussaint-Kassky comme suppléante. É. Renaud milite pour un socialisme vraiment moral, défend les femmes au travail, revendique le droit de vote pour elles et combat le militarisme. Bien que voyant dans l’abolition des classes la solution aux souffrances des femmes, elle publie une notice nécrologique flatteuse sur Hubertine Auclert*, pour qui il n’était pas question de subordonner la lutte des femmes à quelque autre lutte (Le Cri du peuple, 15 avril 1914). Puis lorsque, en juin 1914, Séverine* constitue une fédération des groupes féministes en vue de coordonner la bataille pour le vote des femmes, elle lui apporte son soutien. Antimilitariste engagée, elle compte sur les femmes pour s’opposer à la guerre. Mais son pacifisme a des limites : la France agressée doit être défendue.
Edith TAÏEB
RENAUD, Line (Jacqueline ENTE, dite) [PONT-DE-NIEPPE 1928]
Chanteuse et comédienne française.
Line Renaud débute à 6 ans, en fredonnant des couplets aux côtés de son père qui joue dans la fanfare municipale. En 1945, elle devient chanteuse d’orchestre, monte à Paris et parvient à rencontrer son idole, le compositeur Loulou Gasté. Elle voulait simplement lui demander des conseils et des chansons ; elle va devenir la femme de sa vie. Un matin, elle découvre sur le piano un poème de Mireille Brocey, qui attend depuis sept ans d’être mis en musique. Elle demande à L. Gasté de l’écrire. Une demi-heure plus tard, naît Ma cabane au Canada, le succès de 1949. L. Renaud devient alors un symbole de la chanson française en Europe. Elle triomphe à Londres, en 1951, au Drury Lane, l’une des salles de Grande-Bretagne les plus prestigieuses. Elle se produit en 1954 au Moulin-Rouge, où elle est remarquée par Bob Hope, célèbre fantaisiste américain. Il l’engage pour une série d’émissions qu’il anime aux États-Unis, sur la chaîne NBC. Elle chante en français et en anglais, et joue des sketchs écrits pour elle. En 1959, Henri Varna lui propose d’assurer la relève de Mistinguett* et de Joséphine Baker*, en menant la revue au Casino de Paris. Elle crée Plaisirs, qu’elle va jouer pendant quatre ans, avant de partir pour Las Vegas jouer la version américaine du spectacle au cabaret du Dunes, un palace de la ville du jeu. Elle revient au Casino en 1966, avec Désirs de Paris, à l’affiche pendant deux saisons. Enfin, elle reprend son rôle entre 1976 et 1980, dans Paris Line. Elle interprète, à cette occasion, la version française de Copacabana, dont elle a découvert la mélodie au cours d’un voyage à Acapulco. Le disque devient « disco d’or de l’année ». En 1981, elle choisit la voie de la comédie au théâtre, au cinéma et à la télévision. Elle revient alors exceptionnellement à la chanson, en particulier en 2011, en enregistrant un album signé par une jeune génération d’auteurs-compositeurs. À cette occasion, elle se produit pour la première fois à l’Olympia, seule scène qui manquait à son palmarès.
Jacques PESSIS
RENAUD, Madeleine [PARIS 1900 - ID. 1994]
Actrice française.
Entrée au Conservatoire à 19 ans en interprétant Agnès dans L’École des femmes, Madeleine Renaud en sort trois ans plus tard avec un premier prix de comédie qui lui ouvre les portes de la Comédie-Française, dont elle devient sociétaire en 1928. Interprète idéale des rôles d’ingénues de Molière, Beaumarchais et Musset, elle devient aussi une vedette du cinéma parlant et tourne avec Jean Choux (Jean de la Lune, 1931), Julien Duvivier (Maria Chapdelaine, 1934) et Jean Grémillon (L’Étrange Monsieur Victor, 1937). En 1936, elle aborde enfin un rôle de femme amoureuse dans Le Chandelier d’Alfred de Musset sous la direction de Gaston Baty à la Comédie-Française. La même année, elle rencontre sur un tournage Jean-Louis Barrault, pour lequel elle quitte son mari, le sociétaire Charles Granval. J.-L. Barrault entre au Français en 1940 et lui offre l’interprétation de Doña Musique dans sa création du Soulier de satin de Paul Claudel en 1943. En 1946, à la suite d’une modification des statuts de la Comédie-Française, nombre de comédiens de la troupe partent, au premier rang desquels M. Renaud et J.-L. Barrault, qui décident de fonder leur propre compagnie et s’installent au théâtre Marigny. L’étendue du talent de la comédienne peut alors pleinement s’exprimer dans de nouveaux types de rôles, des comiques (rôle-titre dans Occupe-toi d’Amélie de Georges Feydeau, 1948) aux coquettes (Araminte des Fausses Confidences de Marivaux en 1946 ; Célimène dans Le Misanthrope de Molière en 1954), en passant par les mères (La Cerisaie d’Anton Tchekhov, 1954). À partir de 1956, sans théâtre, tous deux se trouvent totalement disponibles pour continuer d’accomplir de grandes tournées internationales qui leur donnent une réputation mondiale. En 1959, André Malraux retire l’Odéon à la Comédie-Française pour que les Renaud-Barrault en fassent le Théâtre de France. L’actrice formée dans le plus classique des théâtres rejoint l’avant-garde en interprétant des rôles qui la rendront mythique. C’est Winnie de Oh ! les beaux jours de Samuel Beckett en 1963, sous la direction de Roger Blin. C’est « la reine des putains » dans Les Paravents de Jean Genet présentés en 1966 à l’Odéon. En mai 1968, le théâtre est occupé ; M. Renaud et J.-L. Barrault tentent de dialoguer avec les jeunes manifestants, mais c’est l’incompréhension ; A. Malraux leur retire l’Odéon. Le couple doit à nouveau réagir : ils se réfugient d’abord dans une ancienne salle de catch, l’Élysée-Montmartre, puis, après un bref passage à la salle Récamier, aménagent la gare désaffectée d’Orsay (1972-1981). Enfin, J.-L. Barrault, encore bâtisseur, fait construire, dans l’ancien Palais de Glace des Champs-Élysées, la salle du théâtre du Rond-Point, qui les accueille. Pendant cette dernière période mouvementée, M. Renaud reprend ou crée de grands rôles du répertoire d’avant-garde, comme La Mère de Witkiewicz (1970, mise en scène de Claude Régy), mais surtout les œuvres de Marguerite Duras* : L’Amante anglaise (1968, 1971, C. Régy), Des journées entières dans les arbres (1965, 1982, J.-L. Barrault), Savannah Bay (1983, M. Duras). Enfin, la comédienne est aussi acclamée dans Harold et Maude, de Colin Higgins (1973, J.-L. Barrault), l’un de ses plus grands succès avec le personnage de Winnie. Reconnue pour son art fait de grâce, de simplicité et d’une infinie variété, pour son rôle essentiel à la codirection de la compagnie Renaud-Barrault et du Théâtre de France, M. Renaud s’éteint neuf mois après celui qui fut son compagnon de théâtre et de cœur.
Cécile FALCON
■ La Déclaration d’amour, rencontre avec André Coutin, Monaco, Éditions du Rocher, 2000.
■ BONAL G., Les Renaud-Barrault, Paris, Seuil, 2000 ; GIRET N., Renaud-Barrault (catalogue d’exposition), Paris, BnF, 1999.