HUMPHREYS, Josephine [CHARLESTON 1945]
Romancière américaine.
Bien qu’elle ait toujours su qu’elle serait écrivaine, Josephine Humphreys ne se décide qu’à 33 ans à tenter l’aventure, après avoir enseigné l’anglais pendant plusieurs années. Selon elle, l’écriture a pour but de pénétrer les mystères de l’âme humaine, de découvrir la bonté des gens. Se percevant comme une observatrice du monde qui l’entoure, elle reste en retrait et avoue avoir peu d’amis. La création littéraire lui permet de se construire un monde à part. Après plusieurs tentatives infructueuses pour rédiger une nouvelle, elle écrit son premier roman. Soutenue dans son projet par son ancien professeur Reynolds Price, écrivain de renom enseignant à l’université Duke, elle obtient un contrat chez Viking et voit son ouvrage, Dreams of Sleep (« en espérant dormir », 1984), remporter le prix de la fondation Ernest Hemingway du meilleur premier roman. À l’instar des personnages de Walker Percy, auteur qu’elle aime pour sa façon d’aborder le Sud, son héroïne, Alice Reese, manifeste, dès l’ouverture du récit, son désir de décrypter les signes que lui présente le monde pour mieux comprendre le sens de sa vie et de son mariage. Tous les romans de J. Humphreys se déroulent dans sa Caroline natale, dont elle cartographie les us et coutumes en se détachant autant que possible du lourd poids du passé. L’Amour en trop (1987), qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, repose, comme le précédent, sur des histoires de couples à la dérive, et se clôt sur une note d’espoir. La Kermesse des sentiments (1991), qui se situe après le passage de l’ouragan Andrew, présente la reconstruction comme le reflet du besoin des personnages de réfléchir à leur place dans le monde. Enfin, Nowhere Else on Earth (« nulle part ailleurs sur terre », 2000) s’inscrit dans la même perspective en retraçant l’histoire d’une communauté oubliée, les Lumbee, pendant la guerre de Sécession. J. Humphreys rejoint ainsi les grands auteurs du Sud, mais va plus loin en proposant une révision du mythe.
Gérald PREHER
■ L’Amour en trop (Rich in Love, 1987), Paris, J’ai lu, 1994 ; La Kermesse des sentiments (The Fireman’s Fair, 1991), Paris, Belfond, 1994.
■ ALZAS B., « Écriture de la guerre, écriture de la chair dans Nowhere Else on Earth de Josephine Humphreys », in GARRAIT-BOURRIER A. et GODI-TKATCHOUK P. (dir.), Écriture(s) de la guerre aux États-Unis, des années 1850 aux années 1970, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003.
■ PITAVY-SOUQUES D., « L’Arcadie de Josephine Humphreys », in Europe, no 816, avr. 1997.
HUNEEUS SALAS DE CLARO, Esther VOIR PAZ, Marcela
HÜNERWADEL, Fanny [LENZBURG 1826 - ROME 1854]
Compositrice, cantatrice et pianiste suisse.
Fanny Hünerwadel reçoit ses premières leçons de piano de sa mère. Son père, lui aussi mélomane, est médecin dans la petite ville prospère de Lenzburg. Dès l’âge de 13 ans, elle se produit en public. À 16 ans, elle s’installe à Zurich chez un oncle et poursuit ses études auprès du musicien allemand Alexander Müller (1808-1863), élève de Hummel, qui lui enseigne le chant, le piano, la théorie et la composition. Par ailleurs, elle apprend l’orgue et plusieurs langues étrangères. Elle se lie avec les célébrités de passage, tout particulièrement avec Franz Liszt et Richard Wagner, qui apprécient son talent. Comme pianiste et surtout comme cantatrice, elle donne de nombreux concerts à Zurich, dans des lieux prestigieux, mais aussi à l’asile d’aliénés, participant ainsi aux expériences de musicothérapie. En 1851, elle se rend à Paris et à Londres pour étendre sa culture musicale et, en 1853 et 1854, elle est en Italie, où elle prend des leçons, notamment à Florence avec Pietro Romani. Atteinte de typhus, elle meurt à Rome sans revoir son pays. Elle est l’une des premières musiciennes suisses alémaniques connues à laisser des lieder et des pièces pour piano.
Irène MINDER-JEANNERET
■ GÄRTNER M., « Fanny Hünerwadel in Italien », in HOFFMANN F. (dir.), Reiseberichte von Musikerinnen des 19. Jahrhunderts. Quellentexte, Biographien, Kommentare, Hildesheim, Olms, 2011.
■ MIEG P., « Fanny Hünerwadel », in Bulletin der Peter Mieg-Stiftung, Lenzburg, no 12, 1998.
HUNG CHIENHUI [TAINAN 1965]
Compositrice taïwanaise.
Diplômée de l’Académie nationale des arts de Taïwan, Hung Chienhui se perfectionne à Paris. Elle obtient un diplôme supérieur de composition de la classe de Yoshihisa Taïra à l’École normale de musique de Paris et travaille également la composition avec Michel Zbar au conservatoire national de région de Boulogne. Au Conservatoire de Paris, dont elle reçoit un diplôme supérieur de composition en 1995, ses professeurs de composition sont Alain Bancquart et Paul Méfano, et Laurent Cuniot pour la composition électroacoustique. Compositrice en résidence de l’ensemble de percussions JPG (Ju Percussion Group) depuis quasiment le début de sa création en 1986, Hung Chienhui écrit et arrange plusieurs pièces pour les concerts réguliers de cet ensemble très actif. En 1997, un concert monographique intitulé « All Hung’s Music » s’est tenu à la salle nationale des concerts à Taipei. Sa pièce Les Douze Lunes du serpent, en collaboration avec le compositeur français François-Bernard Mâche, commande des Percussions de Strasbourg, a été créée à Grenoble en France en 2001.
CHEN HUI-MEI
HUNT, Lynn [PANAMA 1945]
Historienne américaine.
Parallèlement à sa formation d’historienne, Lynn Hunt fait son apprentissage politique dans le mouvement étudiant américain de la fin des années 1960 et s'illustre comme militante de la lutte pour les droits. C’est sans doute ce qui explique son choix de se spécialiser dans l’étude de la Révolution française. Elle cherche à comprendre comment cette expérience d’une exceptionnelle intensité a affecté les représentations et les croyances, les motivations des individus et les comportements collectifs. Après un premier livre, Revolution and Urban Politics (1978), elle publie l’ouvrage majeur qui l’a fait reconnaître internationalement : Politics, Culture and Class in the French Revolution (1984). L'historienne y explore les ressources et les pratiques symboliques (mots, gestes, images, rhétorique, rituels) mobilisées par des acteurs convaincus de vivre un événement radicalement nouveau mais dont le répertoire symbolique sexué laisse peu de place aux femmes, ce qui l'amène à approfondir sa réflexion féministe. Parfois âprement discuté, Le Roman familial de la Révolution française explicite cette préoccupation. Faisant toujours preuve de vigilance face aux propositions et aux impasses de l’historiographie contemporaine, et développant « une vision critique du monde social », L. Hunt n'a pas cessé de rechercher, à l'aide de la théorie féministe ou des découvertes freudiennes, une meilleure intelligence de son fonctionnement.
Jacques REVER
■ Le Roman familial de la Révolution française (The Family Romance of the French Revolution, 1992), Paris, Albin Michel, 1995 ; L’Invention des droits de l’homme (Inventing Human Rights, 2007), Genève, Markus Haller, 2013.
HUNT, Violet [DURHAM 1862 - LONDRES 1942]
Écrivaine et féministe britannique.
Fille du peintre Alfred William Hunt, proche des préraphaélites, et d’une mère auteure d’œuvres de fiction et traductrice, Violet Hunt grandit dans un milieu artistique et littéraire que fréquentent Ruskin, William Morris et Oscar Wilde. À 13 ans, elle publie des poèmes dans le magazine Century. Féministe militante, deux de ses romans appartiennent au genre « New Woman », un autre traite du surnaturel et elle est l’auteure d’une biographie d’Elizabeth Siddal* (très critique envers son mari Dante Gabriel Rossetti). Elle fonde le Women Writers’Suffrage League en 1908 et participe à la création de PEN International en 1921. Célèbre pour le salon littéraire qu’elle tient, elle reçoit Ezra Pound, Joseph Conrad, Wyndham Lewis, D.H. Lawrence, Henry James, ceux-ci devenant des personnages, plus ou moins déguisés, de ses romans (Their Lives, 1916 ; Their Hearts, 1921). C’est une femme libre ; ses relations masculines sont nombreuses : H.G. Wells, Somerset Maugham ou Ford Madox Ford. Elle écrit de nombreuses critiques dramatiques, des nouvelles (Tales of the Uneasy, « histoires de malaise », 1911), 16 romans et ses mémoires, une trentaine d’ouvrages entre fantastique et romantisme, mais toujours critiques envers la société anglaise et révélateurs des horreurs qui se cachent sous les apparences ordinaires. Son exploration de la lutte des femmes pour leur émancipation, sa célébration de leur créativité malgré les contextes familiaux et sociaux difficiles se déroulent sur fond d’ironie du destin et de fragilité des choses humaines. Elle rassemble en elle l’essence de deux siècles et de leurs contradictions profondes.
Michel REMY
■ La Prière (The Prayer, in Tales of the Uneasy, 1911), in FINNÉ J. (dir.), Les Fantômes des victoriennes, Paris, Corti, 2000 ; La Nuit des saisons mortes (Night of no Weather, in The Flurried Years, 1926), Paris, Corti, 2008.
■ HARDWICK J., An Immodest Violet : the Life of Violet Hunt, Londres, A. Deutsch, 1990.
HUNTER, Ruby [MURRAY RIVER, VICTORIA 1955 - ID. 2010]
Chanteuse et actrice australienne.
Née en Australie-Méridionale, Ruby Hunter incarne la « génération volée » des enfants aborigènes victimes d’enlèvements dans la cadre de la politique d’assimilation menée par le jeune État indépendant entre 1910 et 1970. Elle est placée dès ses 8 ans dans une famille adoptive blanche, qu’elle fuit pour la rue. À16 ans, dans un centre de l’Armée du Salut, elle rencontre Archie Roach, qui deviendra le compagnon de toute une vie. Leur carrière ne débute qu’à la fin des années 1980, quand A. Roach joue en 1988 en première partie de Paul Kelly & the Messengers au Melbourne Concert Hall. L’année suivante, pour Koorie, leur premier album, ils sont accompagnés de Wayne Thorpe. En 1990, elle écrit le titre Down City Streets pour le premier album de son compagnon, Charcoal Lane. Avec Thoughts Within (1994), R. Hunter est la première Aborigène à publier un album solo, distingué l’année suivante par l’Association australienne de l’industrie du disque (Aria) comme Meilleur album de musique indigène. Son successeur, Feeling Good, publié en 2000, suit le même chemin dans la catégorie Blues and Roots, et lui vaut un Deadly Award, récompense de la communauté aborigène. L’année suivante, elle fait ses débuts au cinéma en tenant un second rôle dans One Night the Moon (« une nuit la lune »), de Rachel Perkins*. En 2003, R. Hunter et A. Roach sont récompensés pour leur contribution à la musique aborigène et des îles du détroit de Torres. L’année suivante, le couple engage à Sidney une collaboration avec l’Australian Art Orchestra et Paul Grabowsky. La chanteuse devient ensuite l’un des membres fondateurs du collectif musical The Black Arm Band. Elle côtoie Joan Armatrading, Tracy Chapman* et Bob Dylan, et se produit au prestigieux Brooklyn Academy of Music Festival. En janvier 2010, en ouverture du Festival de Sidney, le show Nukkanya Ruby (« à plus tard Ruby ») lui rend hommage, réunissant sur scène A. Roach et les plus grands artistes aborigènes australiens. Elle décède le mois suivant, chez elle à Victoria, victime d’une crise cardiaque.
Jean BERRY
■ Thoughts Within, Mushroom, 1994 ; Feeling Good, Mushroom, 2000 ; avec ROACH A., l’AUSTRALIAN ART ORCHESTRA et GRABOWSKY P., Ruby, AAO, 2005.
HUNTINGTON, Anna HYATT [CAMBRIDGE 1876 - PARIS 1973]
Sculptrice américaine.
Fille d’un professeur de paléontologie et de zoologie de Harvard et d’une peintre de paysage, sœur d’une sculptrice, Anna Vaughn Hyatt s’intéresse précocement à la sculpture animalière. Elle étudie brièvement à l’Art Students League de New York. Ses bronzes naturalistes tendent à restituer aux animaux domestiques et sauvages – chevaux, chiens, cerfs, ours, singes, saisis dans la lutte ou dans le jeu – une profondeur psychologique campée par une attitude physique : ils lui permettent de se faire rapidement un nom. Son travail, conforme aux canons du genre, est d’une précision anatomique impeccable, appuyée sur de très nombreux dessins préparatoires. L’artiste s’autorise pourtant un léger schématisme formel, perceptible par exemple dans Reaching Jaguar (« jaguar s’étirant », 1906-1907). En 1910, elle expose au Salon de Paris son œuvre la plus connue, Joan of Arc (« Jeanne d’Arc »), la première sculpture équestre monumentale réalisée par une femme, et recueille une mention honorable. En 1915 sera inaugurée à New York une version monumentale de sa statue pour Riverside Drive. La sculptrice déclinera le genre dans un style tantôt héroïque (Cid Campeador, 1927), tantôt pathétique (Don Quixote, 1947). Au regard de la place symbolique que la fusion d’une statue équestre monumentale occupe encore dans le monde de la sculpture, l’ouvrage représente un défi tout à fait remarquable. Les commandes abondent, et son art l’enrichit considérablement. En 1923, elle épouse le philanthrope Archer Milton Huntington. Le jardin de leur propriété en Caroline du Sud est conçu comme un musée de sculptures à ciel ouvert, où l’artiste, devenue mécène, expose, outre les siennes, les œuvres de plus de 200 sculpteurs américains. L’American Academy of Arts and Letters, dont elle est la seule femme sculptrice, lui rend hommage en 1936 en exposant, à New York, 170 de ses œuvres. Malgré des problèmes de santé, elle restera toujours prolifique, sculptant notamment l’aluminium, un matériau jusqu’alors peu usité.
Anne LEPOITTEVIN
■ EDEN M. G., Energy and Individuality in the Art of Anna Huntington, Sculptor, and Amy Beach, Composer, Metuchen, Scarecrow, 1987 ; RUBINSTEIN C. S., American Women Sculptors : A History of Women Working in Three Dimensions, Boston, G. K. Hall, 1990 ; SCHAUB-KOCH É., L’Œuvre d’Anna Hyatt-Huntington, Paris, Messein, 1949 ; ID., Physiologie esthétique de l’œuvre animalière d’Anna Hyatt-Huntington (1949-1960), Colmar, Académie d’Alsace, 1962.
HUNT JACKSON, Helen VOIR JACKSON, Helen HUNT
HUO DA [PÉKIN 1945]
Écrivaine et scénariste chinoise.
Issue de l’ethnie Hui (les musulmans chinois), Huo Da manifeste dès sa jeunesse un vif intérêt pour l’histoire et le théâtre, notamment pour l’œuvre de Sima Qian, le plus grand historien de la Chine ancienne. À cette vocation s’ajoute la création littéraire, qu’elle considère comme une écriture de l’histoire. L’écrivaine aborde non seulement de grands événements historiques, mais aussi des problèmes sociaux d’actualité. Qu’il s’agisse de fictions ou d’articles et reportages, elle réunit généralement une documentation abondante avant d’écrire, afin de s’assurer de l’authenticité des faits. Sa production est polymorphe, englobant le roman, la nouvelle, le scénario, la chronique et l’essai. Nombre de ses œuvres, adaptées au cinéma ou à la télévision, lui valent une forte popularité. Fidèles à son ambition, les récits adoptent un style réaliste et vigoureux. La narration, couvrant une longue durée, se déroule souvent dans le cadre d’un événement important du passé, étroitement lié au destin des personnages. L’auteure se plaît à adopter le point de vue historique pour explorer la relation entre l’évolution de la société et la lutte individuelle. En outre, son habileté à manier les artifices de l’intrigue contribue à intensifier les effets dramatiques. Son art de raconter s’accorde bien avec celui de raisonner, de sorte que son œuvre n’est jamais une simple description, mais une étude sérieuse. Ces éléments sont identifiables dans son premier chef-d’œuvre, Musilin de zangli (« les funérailles musulmanes », 1998) : le roman raconte les péripéties vécues par une famille musulmane d’artisans du jade sur trois générations, du début du XXe siècle aux années 1980 ; les mœurs musulmanes, les bouleversements de la société, les histoires d’amour de deux générations s’enchevêtrent et brossent un tableau vivant de l’époque.
ZHU XIAOJIE
■ Huo Da wenji, Pékin, Beijing shiyuewenyi chubanshe, 1999.
HUPPERT, Caroline [PARIS 1950]
Réalisatrice, metteuse en scène et scénariste française.
Après des études de lettres et d’histoire-géographie, Caroline Huppert quitte le centre de formation des journalistes (CFJ) pour entrer aux Beaux-Arts. Elle commence sa carrière en mettant en scène de nombreuses pièces de théâtre : les textes de Labiche, Goldoni, Marivaux, ou encore Musset (On ne badine pas avec l’amour, pièce dans laquelle elle dirige sa sœur Isabelle Huppert* en 1977). Parallèlement, elle fréquente les plateaux de tournage comme stagiaire assistante, entre autres chez Claude Sautet. Elle débute à la télévision avec l’adaptation d’une nouvelle de Zola, Madame Sourdis (1979). Les nombreux téléfilms qui s’ensuivent évoquent souvent des parcours de femmes qui s’émancipent, à l’image de Mademoiselle Gigi (2005), l’histoire d’une jeune fille du début du siècle qui tente d’échapper à la prostitution, Elle voulait faire du cinéma (1983) racontant le parcours d’Alice Guy*, la première réalisatrice de cinéma, ou encore un documentaire sur Simone Veil en 2007 pour la collection « Empreintes » de France 5. On lui doit aussi Pour Djamila (2012), qui raconte le combat de Djamila Boupacha, une militante FLN torturée et violée. Elle réalise des sagas familiales (Climats, les orages de la passion, 2012), et des téléfilms policiers comme Une gare en or massif (épisode de « Série noire », 1991), Répercussions (2007), et écrit plusieurs des scénarios qu’elle réalise. Au cinéma, elle a co-écrit et réalisé Signé Charlotte (1985) qui l’a fait connaître aux États-Unis.
Audrey CANSOT
HUPPERT, Isabelle [PARIS 1953]
Actrice française.
Élève du conservatoire de Versailles, puis de celui de Paris, Isabelle Huppert fait ses premières apparitions au cinéma au début des années 1970 dans Faustine et le bel été (Nina Companeez*, 1971), Aloïse (Liliane de Kermadec*, 1975) ou encore Les Valseuses (Bertrand Blier, 1974) et Le Juge et l’Assassin (Bertrand Tavernier, 1976) ; elles sont déjà marquées par l’éclectisme qui, avec l’exigence, est l’une des caractéristiques de sa carrière jusqu’à ce jour. La Dentellière (1977), de Claude Goretta, lui permet de s’affirmer dans le registre tout en retenue de la fragilité exacerbée, dans lequel elle ne s’enferme pas pour autant puisque, dès l’année suivante, elle compose avec Violette Nozière (Claude Chabrol, 1978), un personnage de jeune parricide plus opaque et dure, qui lui vaut son premier prix d’interprétation au Festival de Cannes. Depuis les années 1980, celles de la notoriété, elle est devenue l’une des très rares comédiennes françaises à avoir acquis une stature et une reconnaissance lui permettant de mener une carrière internationale. En une centaine de films, elle a ainsi travaillé avec des réalisateurs aussi différents qu’André Téchiné (Les Sœurs Brontë, 1979), Michael Cimino (La Porte du paradis, 1980), Maurice Pialat (Loulou, 1980), Michel Deville (Eaux profondes, 1981), Joseph Losey (La Truite, 1982), Jean-Luc Godard (Sauve qui peut (la vie), 1980 ; Passion, 1982), Diane Kurys* (Coup de foudre, 1983), Marco Ferreri (L’Histoire de Piera, 1983), Caroline Huppert, sa sœur (Signé Charlotte, 1985), Werner Schroeter (Malina, 1991), Patricia Mazuy* (Saint-Cyr, 2000), Christophe Honoré (Ma mère, 2004, d’après Georges Bataille), Patrice Chéreau (Gabrielle, 2005, année où elle reçoit un Lion d’or spécial pour l’ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise), Rithy Panh (Un barrage contre le Pacifique, 2008, d’après le roman de Marguerite Duras*), Claire Denis* (White Material, 2009), Marco Bellocchio (La Belle Endormie, 2012) ou Catherine Breillat* (Abus de faiblesse, 2013). Elle excelle dans les compositions rigoureuses, complexes et subtilement nuancées, notamment dans l’expression discrète de la folie. Attentive au travail de jeunes cinéastes, elle a par ailleurs tissé avec quelques réalisateurs une relation complice, enrichie mutuellement, et approfondie de film en film. Ainsi peut-on citer Benoît Jacquot (cinq collaborations des Ailes de la colombe, 1981, à Villa Amalia, 2009), Michael Haneke – dont La Pianiste (2001) lui vaut son deuxième prix d’interprétation au Festival de Cannes –, et bien sûr C. Chabrol et leurs sept collaborations, parmi lesquelles Une affaire de femmes (1988), pour lequel elle remporte le prix d’interprétation au Festival de Venise, Madame Bovary (1991), La Cérémonie (1995), grâce auquel elle obtient un César, ou L’Ivresse du pouvoir (2006)… Ne se contentant pas d’être une muse ou une star (ce qu’elle est cependant indubitablement), citée comme une référence par des comédiennes telles que Nicole Kidman* et Jessica Chastain, I. Huppert a su construire activement, par des choix intellectuellement exigeants et toujours audacieux, un parcours unique dans le cinéma français ainsi qu’une carrière internationale, qui, à l’aube de ses 60 ans, est toujours aussi dense. I. Huppert a également tourné pour la télévision et continue de travailler au théâtre, où elle a débuté avec Antoine Vitez, son professeur. Parmi ses compositions, on peut citer : Jeanne au bûcher, de Paul Claudel et Arthur Honegger, mis en scène par Claude Régy ; Orlando, d’après Virginia Woolf*, mis en scène par Robert Wilson ; Médée, d’Euripide, mis en scène par Jacques Lassalle ; Le Dieu du carnage, de et mis en scène par Yasmina Reza* ; Hedda Gabler, d’Ibsen, ou encore Un tramway, d’après Tennessee Williams, mis en scène par K. Warlikowski. L’une de ses enfants, Lolita Chammah, née en 1983, est également comédienne.
Carmen FERNANDEZ
■ CHAMMAH A. R., 2005, Isabelle Huppert, la Femme aux portraits, Paris, Le Seuil, 2005.
HÜRREM VOIR ROXELANE
HURST, Fannie [HAMILTON 1889 - NEW YORK 1968]
Écrivaine américaine.
Issue d’une famille de juifs allemands de la classe moyenne aux prises avec leur identité, Fannie Hurst manifeste très tôt un don pour l’écriture. Diplômée de la Washington University (Missouri, 1909), elle s’installe à New York en 1911 pour devenir écrivaine. Ses tout premiers récits racontent la petite vie de citadins de condition modeste dans les ghettos du Lower East Side, les tribulations et les difficultés d’intégration des immigrants, et les amours malheureuses entre pauvres immigrantes et riches Américains. Ces axes se retrouvent dans Lummox (1923), son deuxième roman, qui échappe à la charge mélodramatique propre à son style et met en scène un personnage féminin d’une grande humanité et d’une grande discrétion. Les romans ultérieurs, s’ils puisent à la veine de la prose sentimentale et mettent en scène des personnages aux émotions dévastatrices et au caractère stéréotypé, soulignent de manière réaliste les contrastes de la vie quotidienne au sein de la ville moderne. Le succès qu’ils rencontrent est phénoménal, tant auprès du grand public qu’auprès des critiques. Plusieurs d’entre eux sont portés à l’écran. Les critiques apprécient tout particulièrement leur style et leurs thèmes, qui correspondent aux sensibilités urbaines croissantes du marché littéraire. En outre, F. Hurst est une présence charismatique de la vie mondaine américaine de l’entre-deux-guerres, amie de Theodore Dreiser, de Zora Neale Hurston* et d’Eleanor Roosevelt*. Elle est également une personnalité engagée, contribuant, par le biais de ses livres, à une véritable prise de conscience des problèmes des immigrants et des femmes pauvres. Toutefois, les critiques dénoncent vite le sentimentalisme de sa prose et son succès auprès du grand public. Arguant que son œuvre n’est pas de la « vraie » littérature, ils l’excluent du canon littéraire. Ce n’est qu’avec l’avènement des « études féminines » dans les universités, selon lesquelles les romans sentimentaux seraient des sortes de forums permettant aux femmes écrivains de débattre des questions politiques et sociales importantes, que son œuvre est reconsidérée et republiée. Mirage de la vie (1933), son roman le plus apprécié par la critique, évoque des thèmes qui restent d’actualité : les confusions liées à l’identité raciale, au même titre que la tension entre, d’un côté, l’idéal de maternité et de féminité et, de l’autre, la culture du succès et de la consommation, ou bien la problématisation du « rêve américain ». Dans les années 1940 et 1950, F. Hurst continue de publier des romans – au total, elle en écrit 17 – tout en prenant position sur diverses questions politiques et sociales. En 1958, elle publie son autobiographie, Anatomy of Me : A Wonderer in Search of Herself (« Anatomie de moi-même : une curieuse à la recherche d’elle-même »).
Denisa-Adriana OPREA
■ Lummox (1923), Paris, Nouvelle Édition, 1946 ; En marge de la vie (Back Street, 1931), Paris, Nouvelles Éditions latines, 1983 ; Mirage de la vie (Imitation of Life, 1933), Paris, Club de la femme, 1962.
■ Anatomy of Me : A Wonderer in Search of Herself, Garden City (New York), Doubleday, 1958.
■ ITZKOVITZ D., « Introduction », in HURST F., Imitation of life, Durham, Duke University Press, 2004.
HURSTON, Zora NEALE [NOTASULGA 1891 - FORT PIERCE 1960]
Anthropologue et écrivaine américaine.
Figure controversée et haute en couleur de la Renaissance de Harlem, Zora Neale Hurston évolue enfant dans l’univers d’une petite ville de Floride (Eatonville), entièrement noire, dont son père est le maire. Cette figure paternelle fictionnalisée apparaît dans son premier roman, Jonah’s Gourd Vine (1934). Forte de cet héritage, Z. N. Hurston refusera toute sa vie de prendre la posture de la victime stigmatisée par sa couleur de peau. Adolescente, elle rejoint un théâtre itinérant comme accessoiriste, puis, se rajeunissant de dix ans, poursuit ses études à Howard et à Barnard College. Comme Margaret Mead*, elle est élève de l’anthropologue Franz Boas. Elle recueille le folklore noir américain du Sud dans l’ouvrage Mules and Men (1935) et celui de la Jamaïque et d’Haïti dans Tell My Horse (1935), après une étude sur le terrain au cours de laquelle elle participe à des rites vaudous. Sa vocation de romancière, de dramaturge et de metteuse en scène de spectacles de danse est contrariée par les rigueurs du mécénat. Sa protectrice, Charlotte Osgood Mason, qu’elle partage avec Langston Hugues, lui interdit d’utiliser à des fins lucratives le folklore qu’elle collecte. Son roman le plus abouti, Une femme noire met en scène Janie, jeune femme noire qui se libère progressivement du joug de ses époux successifs pour vivre un amour sans entraves parmi les travailleurs migrants. Le mélange de dialecte et d’anglais standard est la marque de cette écriture poétique qui restitue l’oralité du parler noir – Moses, Man of the Mountain (1939) est entièrement écrit en dialecte – et met en scène la culture noire américaine du Sud rural, ses croyances, son folklore. Une vive controverse l’oppose à Richard Wright, dont l’esthétique réaliste et l’engagement étaient à l’opposé des siens. En panne d’écriture, elle publie en 1942 une autobiographie, Des pas dans la poussière, qui est suivie d’un roman dont les protagonistes sont blancs, Seraph on the Suwanee (1948). Z. N. Hurston prend position en faveur de la ségrégation raciale, ce qui explique en partie qu’elle ait été ignorée de la tradition des lettres noires. La fin de sa vie est marquée par l’isolement, la pauvreté – elle travaille comme femme de ménage –, l’oubli, ainsi que par une accusation pour harcèlement sexuel. Dans les années 1970, l’écrivaine Alice Walker* redonne vie à son œuvre : tout d’abord, en retrouvant sa sépulture dans une fosse commune et en inscrivant « Génie du Sud » sur sa pierre tombale ; ensuite, en l’érigeant comme l’une de ces ancêtres (foremothers) sans lesquelles les écrivaines de sa génération seraient interdites d’écriture. La découverte en 1997 des manuscrits de ses pièces à la Bibliothèque du Congrès illustre ironiquement les aléas de la réhabilitation de Z. N. Hurston, écrivaine la plus prolifique de sa période. La pièce Mule Bone, co-écrite avec L. Hugues avec lequel elle se brouilla, est montée à Broadway en 1991 pour la première fois et un film (avec Halle Berry) tiré de Their Eyes est produit pour la télévision par Oprah Winfrey* en 2005.
Claudine RAYNAUD
■ Une femme noire (Their Eyes Were Watching God, 1935), La Tour-d’Aigues, Éditions de l’aube, 2006 ; Des pas dans la poussière (Dust Tracks on a Road, 1942), La Tour-d’Aigues, Éditions de l’aube, 2006.
■ HOLLOWAY K., The Character of the Word, Westport, Greenwood Press, 1987 ; KAPLAN C., Zora Neale Hurston : A Life in Letters, New York, Anchor, 2002 ; RAYNAUD C., « Race et sexualité : la genèse de l’autobiographie de Zora Neale Hurston », in VIOLLET C. (dir.), Genèses textuelles, identités sexuelles, Tusson, Du Lérot, 1997 ; WALKER A., I Love Myself When I am Laughing…, New York, The Feminist Press, 1979.
HURWITZ, Rosetta [UKRAINE 1895 - NEW YORK 1981]
Psychanalyste américaine.
Née en Ukraine, dans une famille qui s’établit dès 1900 à New York, Rosetta Hurwitz, sœur de Marie Briehl*, achève une formation d’enseignante au Hunter College puis à l’université Columbia et suit les cours dispensés à la New School for Social Research où, au début des années 1920, Carl Gustav Jung, Otto Rank et Sándor Ferenczi donnaient des conférences. En 1924, R. Hurwitz se rend à Vienne pour se former à l’analyse d’enfants. Sur la recommandation de Sigmund Freud, elle fait une analyse avec Siegfried Bernfeld, dont elle traduit le livre The Psychology of the Infant, qui paraît en 1929. Elle suit les cours d’Erwin Lazar à la clinique universitaire pour enfants et participe aux séminaires de l’Institut psychanalytique de Vienne. Avec Anna Freud*, elle apprend la technique de l’analyse d’enfants et travaille auprès d’enfants abandonnés. À Berlin, elle se forme aux thérapies par le jeu initiées par Melanie Klein*. De retour à New York, R. Hurwitz, thérapeute pour enfants, soutient l’introduction de la psychanalyse dans la formation des enseignants et pratique au Mount Sinai Hospital pendant de longues années. Analyste sans être médecin, elle n’aura eu, tout comme M. Briehl, que le statut d’invitée à la Société psychanalytique de New York.
Nicole PETON
HUSÁKOVÁ-LOKVENCOVÁ, Magdaléna [PACOV, AUJ. EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1916 - BRATISLAVA 1966]
Actrice et metteuse en scène slovaque.
Magdaléna Husáková-Lokvencová grandit dans une famille athée, aux idées progressistes, et termine avec succès des études de droit (1940) tout en fréquentant les cours de comédie au conservatoire de Bratislava. Membre du Parti communiste en 1944, elle épouse le politicien Gustáv Husák, président du gouvernement slovaque de 1946 à 1950 et qui joua un rôle déterminant dans le putsch communiste de février 1948 en Slovaquie. En 1946, elle est, grâce à l’appui de son mari, la cofondatrice de la Nouvelle Scène de Bratislava, qui rejette le réalisme traditionaliste et cherche son inspiration dans l’art d’avant-garde. Elle est la première à mettre en scène en Slovaquie Bertolt Brecht (L’Opéra de quat’sous, 1947), Vladimir Maïakovski (Les Bains, 1963 ; La Punaise, 1965) ; elle monte souvent des œuvres d’auteurs russes et soviétiques (Ostrovski, Gorki, Arbouzov) et se fait remarquer dans les interprétations non traditionnelles et modernistes des auteurs slovaques classiques (Jozef Hollý, Ján Chalupka, Ján Palárik). Dans les années 1950, la répression stalinienne atteint aussi sa famille, G. Husák est condamné à la prison à perpétuité (amnistié en 1960) ; elle est elle-même contrainte de quitter le théâtre (1952-1955). Après son divorce, elle vit avec Ctibor Filčík, un acteur slovaque réputé. Le paradoxe de sa vie est que, vivant sous un régime communiste et elle-même communiste, elle a dû surmonter de nombreuses vicissitudes et se sentir persona non grata.
Milos MISTRÍK et Danièle MONMARTE
HUSTON, Anjelica [SANTA MONICA, CALIFORNIE 1951]
Actrice et réalisatrice américaine.
Fille du cinéaste John Huston, Anjelica Huston débute sous sa direction dans Promenade avec l’amour et la mort (A Walk with Love and Death), en 1969. Elle joue d’abord des seconds rôles comme dans Le Dernier Nabab (Elia Kazan, 1976, d’après Scott Fitzgerald). En 1985, son père lui offre le rôle en or d’une mafieuse dans L’Honneur des Prizzi (Prizzi’s Honor), avec son compagnon Jack Nicholson – rôle qui lui vaut un Oscar l’année suivante. Elle retrouve son père pour son dernier film, Gens de Dublin (The Dead, d’après James Joyce), en 1987. Elle incarne de nouveau une femme gangster dans Les Arnaqueurs (The Grifters, Stephen Frears, 1990). Elle tourne deux fois avec Woody Allen puis joue une héroïne de Henry James dans La Coupe d’or (The Golden Bowl, James Ivory, 2000). Elle est dirigée par Clint Eastwood dans Créance de sang (Blood Work) en 2002, et tourne à quatre reprises avec Wes Anderson. Elle travaille également avec des réalisatrices : Julia Taylor-Stanley, Martha Coolidge, Cynthia Keener. Elle fait ses débuts comme réalisatrice en 1996 avec le téléfilm Bastard Out of Carolina et tourne en 1999 pour le cinéma Agnès Browne, où elle est une veuve mère de famille nombreuse qui se bat contre la misère et les usuriers dans le Dublin de 1967.
Bruno VILLIEN
HUSTON, Nancy [CALGARY 1953]
Romancière canadienne d’expression française.
Après avoir habité quelques années aux États-Unis, Nancy Huston s’exile en France où elle obtient une maîtrise, sous la direction de Roland Barthes, à l’École des hautes études en sciences sociales. Elle a publié l’essentiel de son œuvre en français, sa langue d’adoption. S’inspirant des mouvements structuraliste et féministe, elle fait d’abord paraître des essais, puis se consacre presque entièrement à la création romanesque. Son premier roman, Les Variations Goldberg (1981), s’inspire de l’œuvre musicale de Bach. Dans ses romans ultérieurs, l’auteure adopte le mode du dialogue et de la polyphonie. Dans Plainsong (qu’elle traduira elle-même en français sous le titre Cantique des plaines) elle renoue avec sa langue maternelle et son lieu d’origine afin de relater l’histoire d’un fils d’immigrants arrivés dans les plaines canadiennes à la fin du XIXe siècle. Dolce agonia (2001) présente 12 adultes évoluant sous le regard de Dieu et Une adoration (2003) se construit autour d’un jeu de témoignages. Lignes de faille, prix Femina 2006, multiplie également les points de vue, la structure du roman reposant sur de nombreux effets d’écho et sur le caractère cyclique de l’histoire. N. Huston approfondit les thèmes récurrents de son œuvre : l’exil, le deuil des origines, les filiations généalogiques et l’inscription du sujet individuel dans l’histoire monumentale.
Martine-Emmanuelle LAPOINTE
■ Bad Girl, classes de littérature, Arles, Actes Sud, 2014.
■ Danse noire, Arles, Actes Sud, 2013.
■ DVORÁK M., KOUSTAS J. (dir.), Vision/division, l’œuvre de Nancy Huston, Ottawa, Presses de l’université d’Ottawa, 2004.
HUTCHINSON, Anne [ALFORD 1591 - LONG ISLAND 1643]
Dissidente britannique.
Née en Angleterre, Anne Hutchinson émigre en 1634 en Amérique en quête de liberté religieuse, mais elle se retrouve dans une colonie de la baie du Massachusetts où règne un puritanisme strict. Insistant sur le fait que chaque individu est capable d’interpréter la Bible, elle rassemble chez elle un groupe de femmes de plus en plus nombreux pour discuter de religion et critique ouvertement les pasteurs de la colonie. Elle est accusée d’hérésie par l’Église et de défi à l’autorité par le gouvernement au cours de deux procès. Bannie de la colonie en 1638, elle quitte le Massachusetts pour Rhode Island, accompagnée par 35 familles. Suite au décès de son mari, elle part pour Long Island, où elle est tuée par des Indiens en 1643.
Béatrice TURPIN
HUTCHINSON, Lucy (née APSLEY) [LONDRES 1620 - ID. 1680]
Écrivaine et biographe britannique.
Lucy Apsley se marie en 1638 avec John Hutchinson, propriétaire terrien, appelé à jouer un grand rôle dans l’exécution de Charles Ier dix ans plus tard, devenant ensuite officier de l’armée parlementaire d’Oliver Cromwell. Elle est la première traductrice du De Natura Rerum de Lucrèce dont le manuscrit, conservé par lord Anglesey, est publié en 1996. Si elle écrit deux traités de religion, elle est surtout connue pour Memoirs of the Life of Colonel Hutchinson, écrit vers 1670 à l’intention de ses neuf enfants et pour se consoler de la perte de son mari, mort en prison pour ses idées politiques en 1664. Ce texte décrit la vie d’une famille de puritains sur fond de guerre civile dans le Nottinghamshire et détaille la carrière militaire et politique de son mari. Trop critique à l’encontre du pouvoir, ces Mémoires ne sont publiés qu’en 1808. Elle compose aussi Order and Disorder, la première épopée écrite par une femme en anglais, version poétique en vers du livre de la Genèse, méditation sur la création, la chute et la foi. Cinq chants en ont été publiés de son vivant et l’ensemble en 2001.
Michel REMY
■ Mémoires de Mrs Hutchinson (Memoirs of the Life of Colonel Hutchinson, 1808), Paris, Pichon/Béchet, 1826.
HUTTER, Gardi [ALTSTÄTTEN 1953]
Clown suisse alémanique.
Inscrite à 20 ans à l’Académie du théâtre de Zurich (1974), Gardi Hutter abandonne tout et part en Italie où elle entre dans une école de clown et d’acrobatie (1977). Elle rencontre alors une troupe de théâtre, le Teatro Ingenuo, dont fait partie Ferrucio Cainero, qu’elle épouse. Elle retourne en Suisse pour participer à des émissions de télévision et crée en 1981 le personnage « Joan of ArPpo », autrement appelée « Jeanne d’ArPpo ». Avec cet auguste version féminine qui obtient un grand succès, elle tourne en Europe, aux États-Unis et en URSS. Sa création Souris Souris (1988) reçoit le prix de l’Anneau Hans-Reinhart en 1990. Elle joue devant le Conseil national de Berne, lors de la Session des femmes, et à Lausanne pour la Grève des femmes (1991). Jeanne d’Arpo, échevelée, attifée de jupons qui l’engoncent, chaussée de croquenots, est méchante, furieuse, se bat contre l’aspirateur ou le tas de linge. G. Hutter s’exprime sur la jubilation ressentie à s’enlaidir, à s’abêtir, pour casser l’image de la femme enfermée dans une perfection obligée et ainsi s’affranchir et faire exploser « l’absurde de la réalité ». Elle travaille ses sketches avec F. Cainero, clown aussi, mais ils ne sont pas partenaires. Ils ont deux enfants, Neda et Maite, intégrés au spectacle, notamment au cirque Knie en 2000, avec Ueli Bichsel, le partenaire de G. Hutter.
Marika MAYMARD
■ BAETTIG M., PRÉLAZ C., PROBST J.-R., Les Suisses qui font rire, Genève, Promoédition/Sonor, 1991.
■ HAMEL C., « Knie, la vraie noblesse du cirque », in Le Cirque dans l’univers, no 197, 2000.
HUXLEY, Elspeth Joscelin (née GRANT) [LONDRES 1907 - TETBURY 1997]
Romancière britannique.
Née de parents devenus colons planteurs de café en Afrique-Orientale britannique lorsqu’elle avait 5 ans, Elspeth Grant vit avec eux toutes leurs difficultés. Elle est scolarisée dans une école pour expatriés de Nairobi et, très tôt, écrit de nombreux articles pour le journal local. En 1925, elle revient en Angleterre, obtient un diplôme en agriculture à l’université de Reading, parfait ses connaissances aux États-Unis. Son premier emploi, en 1929, est attachée de presse de l’Empire Marketing Board à Londres. Elle se marie en 1931 avec George Huxley, cousin d’Aldous Huxley. Ils voyagent beaucoup. En 1935, elle publie une biographie de lord Delamere, célèbre colonisateur et fermier du Kenya et, en 1948, The Sorcerer’s Apprentice : A Journey through East Africa. Ardente partisane du colonialisme, elle fait partie de la commission d’experts qui élabore la constitution de la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland mais devient peu à peu favorable à l’indépendance des pays africains. En 1948, elle aide à fonder le Bureau de littérature d’Afrique-Orientale, dont le but est de publier des livres écrits par des Africains. Dans les années 1960, elle est correspondante de la National Review. Elle a écrit plus de 30 livres, des biographies (dont une sur Florence Nightingale*), des livres de voyage, trois romans policiers et des Mémoires. En 1959, son best-seller, Les Pionniers du Kenya, autobiographique, décrit le courage et la persévérance des colons, leur idéalisme mais aussi leur opportunisme. À la fin de sa vie, E. Huxley proteste contre la dégradation des paysages et la destruction des rhinocéros. Elle plaide également en faveur de l’euthanasie.
Michel REMY
■ Safari sans retour (Murder on Safari, 1938), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1984 ; Les Pionniers du Kenya (The Flame Trees of Thika, Memories of an African Childhood, 1959), Paris, Mercure de France, 1965.
■ NICOLLS, C.S., Elspeth Huxley : A Biography, New York, Thomas Dunne Books, 2003.
HUYNH, Emmanuelle [CHÂTEAUROUX 1963]
Danseuse et chorégraphe française.
Formée à la danse classique, Emmanuelle Huynh étudie à Mudra, l’école de Maurice Béjart, de 1984 à 1986. D’abord interprète, notamment chez Hervé Robbe et Odile Duboc*, elle se destine à la chorégraphie. Refusant le côté « spectaculaire » de la danse, elle entreprend une recherche plus conceptuelle. Bénéficiaire en 1994 d’une bourse Villa Médicis hors-les-murs pour un projet au Vietnam, elle crée le solo Mùa avec l’éclairagiste Yves Godin et le compositeur Kasper T. Toeplitz. Elle développe une recherche personnelle entre danse et performance, fondée sur la collaboration avec d’autres artistes, plasticiens, vidéastes, architectes ou écrivains. En 2000, elle crée Distribution en cours, pour six danseurs et un astrophysicien ; en 2001-2002, Bord, tentative pour corps, texte et tables, un projet évolutif sur des textes de Christophe Tarkos, reconfiguré selon les lieux d’accueil. Citons encore A vida enorme/épisode 1 (2003), Heroes (2005), Le Grand Dehors (2007), un duo dans le cadre de Monster Project créé avec le chorégraphe japonais Koseï Sakamoto. E. Huyhn propose des performances dans des lieux d’art contemporain, organise des rencontres de travail entre artistes et personnalités de domaines différents, anime des ateliers dans des écoles d’art et des lieux de formation pour danseurs. Elle a été directrice artistique du Centre national de la danse contemporaine (CNDC) d’Angers de 2004 à 2012.
Hélène MARQUIÉ
HUYNH BAO HOA [DA NANG 1896 - ID. 1982]
Romancière et journaliste vietnamienne.
Élève particulièrement douée, Huynh Bao Hoa étudie dans sa jeunesse le quôc ngu (écriture qui utilise l’alphabet latin pour transcrire la langue vietnamienne, utilisée officiellement depuis 1886) et le français, après avoir appris les caractères chinois. Elle devient préceptrice auprès des femmes du palais impérial. Ce statut social élevé contraste, aux yeux de ses contemporains, avec l’apparence (cheveux courts) et le comportement (déplacements à bicyclette) qu’elle adopte. Elle est l’une des initiatrices du mouvement du renouveau. Elle prend comme nom de plume Huynh Thi Bao Hoa, puis Huynh Bao Hoa (la disparition de la particule Thi, qui indique le féminin, dénote une volonté de masculinisation, comme George Sand*) pour collaborer à plusieurs périodiques prestigieux de l’époque. Elle est notamment correspondante auprès du Journal des métiers, un quotidien de Hanoi ; elle est également pionnière dans la réalisation d’études monographiques telles que Chiêm Thanh luoc khao (« abrégé sur le Champa ») ou Ba Na du ky (« récit d’une excursion sur le mont Ba Na »). Elle est à l’initiative de la fondation de nombreuses organisations féministes en Annam. Considérée comme la première romancière de son temps, Huynh Bao Hoa n’a pourtant écrit qu’un seul roman intitulé Tây phuong my nhân (« la belle de l’Occident », 1927), roman qu’elle dit inspiré de faits réels et qui traite de ce qu’elle appelle le « devoir de fidélité conjugale » : cette « fidélité conjugale » désigne ici la volonté d’une femme de surmonter tous les obstacles pour retrouver son mari. Un soldat vietnamien, parti en France pour combattre au cours de la Première Guerre mondiale, rencontre une infirmière française avec laquelle il se marie. Celle-ci est finalement amenée à s’aventurer jusqu’en Annam pour retrouver son époux rapatrié. L’un et l’autre font ainsi successivement l’expérience des différences de comportements et de valeurs entre leurs deux cultures.
BÙI TRÂN PHUONG
■ THY HAO TRUONG DUY HY, Nu si Huynh Thi Bao Hoa, nguoi phu nu viêt tiêu thuyêt dâu tiên, Hanoi, Van hoc, 2003.
HWANG CHINI [KAESONG, AUJ. EN CORÉE DU NORD 1506 - ID. 1544]
Poétesse coréenne.
Hwang Chini occupe une place privilégiée dans les lettres coréennes, malgré ou à cause de son statut de kisaeng (« courtisane »). La tradition la considère comme une des trois merveilles de Songdo (Kaesong), l’ancienne capitale royale de la dynastie Koryo, au même titre que la cascade de Pakyôn et le lettré Sô Kyôngdôk (1489-1546). La poétesse serait, dit-on, l’auteure de l’expression, à un moment où elle aurait, sans succès, tenté de séduire Sô Kyôngdôk. En tant que courtisane, elle était nécessairement versée en chant et musique, en particulier dans le shijo, un bref tercet que la chanteuse pouvait étirer ad libitum. Non contente d’interpréter les œuvres connues, à la demande des riches aristocrates qui offraient des soirées à leurs confrères, à des lettrés ou à des membres de leur clan, elle a composé ses propres poèmes, contribuant à donner ses règles à cette forme quasi nationale. Exerçant ses talents dans la capitale, elle a bénéficié d’un rayonnement rapide. On ne connaît en fait pas grand-chose de sa vie. Ne sont conservés que huit shijo à son nom, ce qui a favorisé les légendes et fait de cette poétesse un personnage de roman. Il n’est pas interdit de douter même qu’elle ait été l’auteure de tous les poèmes qui lui sont aujourd’hui attribués. Quoi qu’il en soit, il émane de ces textes une sensualité rare, en plus d’un véritable talent d’écriture, révélant un maniement très original des métaphores. Considérée assez largement comme la plus grande poétesse coréenne, probablement parce qu’elle maniait aussi bien la poésie que la musique, Hwang Chini sait parfaitement placer les effets le long des trois vers de chaque shijo. Son vocabulaire très simple (et donc aisément réutilisable par les autres kisaeng) est équilibré par l’emploi d’analogies et de doubles sens chargés d’érotisme. Sa vie a inspiré de nombreuses fictions et plus encore de films. Et peut-être le plus célèbre roman nord-coréen : Hwang Chini, de Hong Sok-jung.
Patrick MAURUS
■ O’ROURKE K., « Hwang Chin-i : Folk Heroine and Poet », in Koreana, printemps 1998.
HWASSER, Elise (née JAKOBSSON) [STOCKHOLM 1831 - FISKEBÄCKSKIL 1894]
Actrice suédoise.
Issue d’un milieu modeste, Elise Hwasser est engagée au Dramaten (Kungliga Dramatiska Teatern, « théâtre dramatique royal ») en 1850, après avoir étudié à l’école des élèves de théâtre, à l’époque intégrée au Dramaten. Dès 1854, dans un répertoire dominé par le mélodrame, elle interprète avec beaucoup de succès des rôles de femmes comme Jane Eyre, dans une adaptation du roman de Charlotte Brontë*. Son mariage avec Daniel Hwasser, homme de théâtre et secrétaire des scènes royales, la fait entrer dans les cercles intellectuels de la bourgeoisie libérale. En 1876, elle tient le rôle de la jeune Hjördis dans la première pièce d’Henrik Ibsen, Les Guerriers de Helgeland. Le spectacle est un grand succès. En 1877, venu à Stockholm pour la voir, H. Ibsen trouve son style de jeu idéal. Il la fera jouer dans toutes ses œuvres montées dans cette ville. Peu après la création de Maison de poupée à Copenhague, la pièce fait sa première en 1880 à Stockholm, avec E. Hwasser dans le rôle principal. Puis, trois ans plus tard, celle-ci joue dans Les Revenants, l’œuvre la plus provocatrice d’H. Ibsen par son discours direct sur les maladies vénériennes et sa critique du mariage bourgeois. Vedette, actrice professionnelle et sérieuse, au salaire plusieurs fois supérieur à celui de ses collègues et de son mari, E. Hwasser devient le modèle de la femme moderne. Lorsqu’elle interprète Nora ou Mme Alving, rôle, personnage et personne privée semblent se confondre. Plus tard appelée « l’actrice préférée d’Henrik Ibsen », elle modernise le style de jeu en l’orientant vers un réalisme intime, quotidien et sensible au public, en accord avec les intentions de l’auteur.
Margareta SORENSON
HYATT, Anna VAUGHN VOIR HUNTINGTON, Anna HYATT
HYDE, Robin (Iris WILKINSON, dite) [LE CAP 1906 - LONDRES 1939]
Poétesse et romancière néo-zélandaise.
Robin Hyde est l’une des poétesses et romancières modernistes les plus importantes de Nouvelle-Zélande ; née en Afrique du Sud, elle y fut emmenée très jeune. Sa contribution aux lettres néo-zélandaises a été très justement soulignée par la critique féministe des années 1980. En tant que journaliste, elle voyagea énormément, mais ses périples furent inexorablement interrompus par la mort de son amant, puis par celle de son fils, Robin, dont elle emprunta le prénom pour composer son nom de plume. Elle publia son premier recueil de poèmes, The Desolate Star (« l’étoile esseulée ») en 1929 et s’adonna ensuite à la rédaction de cinq romans, qu’elle publia coup sur coup en l’espace de trois ans : Passport to Hell (« passeport pour l’enfer », 1936), Check to Your King (« échec et mat », 1936) Wednesday’s Children (« les enfants du mercredi », 1937), Nor the Years Condemn (« ni le poids des années », 1938) et The Godwits Fly (« les échassiers s’envolent », 1938). En 1939, elle se suicida alors qu’elle résidait en Angleterre. Son fils, Derek Challis, qui lui survécut, est le coauteur, avec Gloria Rawlinson, d’une biographie remarquable de sa mère.
Selina TUSITALA-MARSH
■ CHALLIS D., RAWLINSON G., The Book of Iris : A Life of Robin Hyde, Auckland, Auckland University Press, 2002.
HYDER, Qurratulain [ALIGARH 1927 - NEW DELHI 2007]
Écrivaine indienne d’expression ourdoue et anglaise.
Qurratulain Hyder est issue d’une famille musulmane aisée et progressiste. Ses parents, tous deux fervents défenseurs de l’éducation des femmes, étaient des auteurs ourdous reconnus. Elle les évoque dans Kâr-e-jahân darâz hai (« l’activité du monde est sans fin »), un récit semi-fictionnel en deux volumes (1977 et 1979), sur l’histoire de sa famille. Ayant obtenu une maîtrise en littérature anglaise à l’université de Lucknow, elle est profondément marquée, en 1947, par les bouleversements sociaux et politiques liés à l’indépendance et à la Partition. Après un séjour de quelques années au Pakistan, elle émigre en Grande-Bretagne où elle travaille pour la BBC. Elle rentre en Inde en 1961 et s’installe d’abord à Bombay puis à Delhi, où elle continue à travailler pour la presse. Son premier recueil de nouvelles, Sitâron se âge (« au-delà des étoiles »), paraît en 1947. Elle publie ensuite trois recueils de nouvelles, plusieurs récits brefs et une douzaine de romans centrés sur la question de l’histoire. Son œuvre relève presque exclusivement de la fiction, contrairement à la littérature ourdoue classique, essentiellement poétique. Des vers célèbres sont toutefois insérés dans les titres ou les dialogues de ses œuvres. Ces bribes d’énoncés extradiégétiques s’associent à d’autres (slogans publicitaires ou chansons folkloriques) et à une narration souvent fragmentée, pour traduire la désorientation de personnages dont les repères culturels ont été perturbés par les mutations radicales de l’époque. Les femmes de ses romans peinent souvent à trouver leur place, entre les valeurs indiennes traditionnelles et les modes de pensée plus progressistes de l’époque moderne (Sîtâ haran, « l’enlèvement de Sita », 1970 ; Agle janam mohe bityâ na kîjo, « faites que je ne sois pas une fille dans ma prochaine vie », 2004). Reconnue comme l’une des plus grandes romancières de langue ourdoue, elle a été récompensée par plusieurs prix littéraires : celui de la Sahitya Akademi (l’Académie des lettres) en 1967 pour ses nouvelles Patjhar kî âvâz (« le bruit des feuilles qui tombent »), et en 1989 par celui de Jnanpith, le plus prestigieux des prix littéraires indiens.
Lise GUILHAMON
■ The Sound of Falling Leaves, New Delhi, Sahitya Akademi, 1994 ; River of Fire, New Delhi, Kali for Women, 1998 ; A Season of Betrayals. A Short Story and Two Novellas, New Delhi, Kali for Women, 1999 ; Fireflies in the Mist, New Delhi, Women Unlimited, 2008.
HYEGYÔNG, Princesse VOIR HONG, Dame
HYNES, Garry [BALLAGHADEREEN, COMTÉ DE ROSCOMMON 1953]
Directrice artistique et metteuse en scène irlandaise.
Personnage éminent du théâtre irlandais depuis les années 1980, Garry Hynes fait partie des co-fondateurs de la Druid Theatre Company à Galway, en 1975, et, à part une courte période entre 1991 et 1994, elle en est restée directrice artistique. Elle assume le rôle de directrice artistique de l’Abbey Theatre – le théâtre national – de 1991 à 1994, première femme à occuper ce poste depuis lady Gregory* au début du siècle. Elle est une directrice controversée de l’Abbey, où elle veut subvertir l’idée même d’un théâtre national dans l’Irlande contemporaine. Elle se distingue également en ce qu’elle fut la première femme à gagner un Tony Award à Broadway pour sa mise en scène de La Reine de beauté de Leenane, de Martin McDonagh, en 1998. Ses mises en scène sont montées régulièrement à New York, et plus généralement aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Plus récemment, elle s’est spécialisée dans le théâtre de John Millington Synge.
Mary NOONAN
HYN SEKKEI DOJIN – COLLECTIF D’ARCHITECTES [Japon depuis le milieu du XXe siècle]
Ce « cercle de projet architectural » reprend les initiales des noms de trois femmes architectes, Hayashi Masako, Yamada Hatsue et Nakahara Nobuko, qui ont créé la première agence féminine au Japon en 1958. Bien que responsables à parts égales de la direction de l’agence, chacune travaillait séparément, sur des projets distincts.
Hayashi Masako (1928-2001) est l’une des premières femmes à avoir obtenu, en 1951, un diplôme spécialisé d’habitat résidentiel auprès de l’Université des femmes japonaises. Elle étudie ensuite l’architecture durant cinq ans en tant que chercheuse au TIT (Institut de technologie de Tokyo), sous la direction de Seike Kiyoshi (1918-2005). En quarante ans, elle a réalisé près de 200 maisons privées et bâtiments publics. Son style se caractérise par des formes audacieuses et inventives, avec des détails hérités de l’architecture traditionnelle japonaise. Elle crée souvent de larges espaces recouverts d’un toit en saillie, utilisant de solides charpentes en bois et des fondations en béton. Au nombre de ses principales réalisations dans le domaine de l’habitat privé, on compte la « Maison pour une mère et quatre enfants » (Tokyo 1952), la « Maison sur la falaise » (Shizuoka 1975) ou la « Maison avec galerie » (Tokyo 1983), et, dans le domaine public, il faut citer la galerie Coquillage (Kochi 1966), le club Ryozan (Nagano 1989), le Tokyo Metropolitan Ohta Memorial Hall (1989) et le Step Hall pour le collège professionnel de technologie de Chuo (Tokyo 1994). En 1969, elle fait paraître un ouvrage sur les maisons japonaises contemporaines, Gendai Nihon no Jutaku (« le design des maisons dans le Japon d’aujourd’hui »). En 1981, c’est la première femme architecte à recevoir le prix de l’AIJ (Institut d’architecture du Japon) pour ses maisons individuelles, et, en 1985, elle obtient la distinction de compagnon auprès de l’AIA (American Institute of Architects). Elle enseigne l’architecture, entre autres aux collèges pour femmes du Japon, à l’université de Tokyo et au TIT.
Yamada Hatsue (1928), diplômée de l’Université des femmes du Japon, a débuté au sein de l’agence de design architectural Azusa Sekkei, avant de rejoindre le groupe HYN Sekkei Dojin. Elle a surtout travaillé dans le domaine de l’habitat, produisant des maisons confortables et fonctionnelles, comme par exemple une maison à Kamakura (1979) et la « maison des Trois Sœurs » (Tokyo 1993).
Nakahara Nobuko (1929-2008), élève de Kurata Chikatada (1895-1966), est diplômée en 1952 de l’Institut de technologie Musashi. Intéressée par les recherches de Ikebe Kiyoshi (1920-1979) sur l’habitat minimum, elle travaille avec lui à l’université de Tokyo de 1952 à 1958. En 1953, avec Hayashi Masako et d’autres consœurs architectes japonaises, elle crée le groupe PODOKO (en espéranto – langue internationale du futur selon elles – pensedo, diskutedo, kreedo, « je pense, je débats, je crée »), dans le but de promouvoir le rôle des femmes en architecture. Militante, elle est membre de l’UIFA (Union internationale des femmes architectes) à partir de 1963 et présidente fondatrice de sa section japonaise. De 1985 à 1999, elle enseigne à l’université Kasei-Gakuin de Tokyo. Parmi ses œuvres, figurent les maisons de Moroyama (Saitana 1965), de Kakio (Kanagawa 1975) et d’Urawa (Saitana 1986).
TANAKA ATSUKO
■ KENCHIKU-SHA SHIN (dir.), Hayashi Masako, architect 1928-2001/Kenchikuka Hayashi Masako, Tokyo, Japan Architect, 2002.
■ TSUCHIDA M., « An interview with Nobuko Nakahara and Hatsue Yamada », in IAWA Newsletter, no 19, automne 2007.
HYPATIE [ALEXANDRIE fin du IVe siècle - ID. 415]
Philosophe, astronome et mathématicienne grecque.
Hypatie a vécu à Alexandrie, à la fin de la période antique. Elle serait tombée dans l’oubli si un auteur anglais du XVIIIe siècle, Edward Gibbon, qui effectuait des recherches au Vatican sur la décadence de l’Empire romain, n’avait pas retrouvé sa trace dans les écrits de Socrate le Scolastique, contemporain d’Hypatie. Comme elle a travaillé avec son père, le philosophe Théon attaché au musée d’Alexandrie, décédé entre 377 et 405, elle est probablement née avant 370. Elle reçoit une éducation très poussée pour l’époque : elle se rend même à Athènes pour parfaire sa formation philosophique. À la fin du IVe siècle, Alexandrie est gouvernée par les Romains, qui veulent imposer leur religion, le christianisme. Hypatie, platonicienne, parle grec, est sans doute athée, professe la philosophie et les mathématiques non seulement au musée à la suite de son père, mais aussi dans la rue. Son influence est grandissante, même auprès des autorités romaines comme le préfet Oreste. Ce dernier est en conflit ouvert avec l’évêque chrétien local, Cyrille. Après avoir tenté en vain de faire assassiner Oreste, Cyrille expose la néoplatonicienne charismatique à la vindicte populaire. Peu de temps après, une bande de moines fanatiques menés par un clerc de Cyrille jette violemment Hypatie au bas de son char. Ils la traînent jusqu’à l’église de César (Caesareum). Ils l’auraient ensuite écorchée vive, démembrée devant l’autel, et auraient finalement emporté ses restes jusqu’à une place appelée Cinaron, où ils les auraient brûlés. Le meurtre d’Hypatie restera impuni – Cyrille sera sanctifié. Théon et Hypatie furent les derniers mathématiciens connus de l’Antiquité. Le musée fut fermé, la bibliothèque désertée quelque 100 ans plus tard puis incendiée et détruite. On ne connaît les travaux d’Hypatie qu’à travers les lettres de ses amis. Elle aurait imaginé un planisphère et construit un astrolabe pour son ami Synésios de Cyrène, évêque de Ptolémaïs, serait à l’origine de l’aréomètre (ou pèse-liqueur), aurait commenté les Coniques d’Apollonius de Perge, ainsi que les livres d’arithmétique de Diophante. Elle aurait, avec son père Théon, commenté les travaux d’Euclide et participé à l’élaboration des tables d’astronomie accompagnant le commentaire de l’Almageste de Ptolémée. Sous domination romaine, Théon et Hypatie parlaient et écrivaient en grec, mais pour les calculs, ils utilisaient le système sexagésimal babylonien.
Yaël NAZÉ et Marie-Noëlle RACINE
■ DEAKIN M. A. B., Hypatia of Alexandria, Mathematician and Martyr, Amherst, Prometheus Books, 2007 ; DZIELSKA M., Hypathie d’Alexandrie, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2010 ; NAZÉ Y., L’Astronomie au féminin, Paris, Vuibert, 2006 ; SYNÉSIOS DE CYRÈNE, Correspondance, Paris, Les Belles Lettres, 2000.
■ RACINE M.-N., « Hypatie, femme, grecque, mathématicienne oubliée », in Feuille de Vigne, no 107, IREM Dijon, avril 2008.
HYVÖNEN, Frida [ROBERTSFORS, SUÈDE 1977]
Auteure-compositrice-interprète et pianiste suédoise.
En très peu de temps, Frida Hyvönen s’illustre dans le paysage musical suédois grâce à son écriture incisive, à la fois poétique et humoristique, et son savoir-faire mélodique qui emprunte autant à la pop music qu’à son imagination débridée. Ses deux albums écrits en anglais, ainsi que sa présence saisissante sur scène conquièrent tour à tour le public national, européen, puis international ; un prix récompense son premier opus Until Death Comes, paru en 2005. Trois ans plus tard, son second album Silence Is Wild souligne le soin particulier qu’elle a consacré à l’orchestration, plus sophistiquée. En 2007, avec la complicité d’un chorégraphe, elle écrit, monte et joue dans un opéra, avant de revenir en studio pour proposer en 2012 To the Soul. Parmi son répertoire plein d’esprit, se détachent les titres à succès : Birds, I Drive My Friend, Science, Scandinavian Blonde…
Anne-Claire DUGAS
■ To the Soul, Monopoly, 2012.
HYVRARD, Jeanne [PARIS 1945]
Écrivaine française.
« Je n’ai pas de biographie, cette protestation m’en tient lieu », affirmait Jeanne Hyvrard dans ContreCiel, le magazine de lecture en janvier 1985. De sa vie hors les livres, on sait donc peu de choses si ce n’est qu’elle emprunta son nom de plume à sa grand-tante maternelle (femme courageuse et tant admirée) et qu’elle fut professeure d’économie politique dans un lycée technique de Paris. Son premier roman, Les Prunes de Cythère (1975), se veut ainsi un compte rendu de la situation sociale et économique aux Antilles, où elle enseigna pendant deux ans. Le second, Mère la mort (1976), s’apparente à un traité d’économie politique et introduit la métaphore de la Mère – métaphysique et idéalisée –, présente dans la plupart de ses productions ultérieures. La réécriture des mythes, notamment de la genèse mais également d’autres mythes bibliques ou grecs, constitue un procédé récurrent de son œuvre qui comporte des romans, des nouvelles, un conte philosophique, des récits, des poésies, des « paroles » et des essais : ainsi de La Pensée corps (1989), dictionnaire philosophique à rapprocher du Canal de la Toussaint, publié trois ans auparavant. Dans l’ensemble, elle déploie et défend une « pensée femme » (« pensée ronde » ou fusionnelle) non linéaire, non séparatrice, dans la complexité d’une langue qui serait celle du logos rationnel de la domination, une forme de pensée d’où naîtrait la culture judéo-chrétienne : on l’apparente à l’« écriture féminine ». La mondialisation en marche, la marginalisation, le colonialisme et la transformation de la société française sont au cœur de ses analyses. La mort y est, par ailleurs, moteur et motif, comme en témoignent la plupart de ses titres, l’écriture offrant l’énergie nécessaire pour survivre dans une société déshumanisée par les medias et la révolution cybernétique. Moins connue en France qu’en Amérique du Nord où ses textes sont enseignés à l’université, elle a participé aux Rencontres québécoises internationales des écrivain(e)s, desquelles sont issues ses contributions à L’Écrivain et l’espace (1985) et La Solitude (1989), publiés par L’Hexagone à Montréal.
Audrey LASSERRE
■ KOSTA-THÉFAINE J.-F. (dir.), Ut philosophia poesis, études sur l’œuvre de Jeanne Hyvrard, Amsterdam, Rodopi, 2001 ; VERTHUY-WILLIAMS M., WAELTI-WALTERS J., Jeanne Hyvrard, Amsterdam, Rodopi, 1988 ; WAELTI-WALTERS J., Jeanne Hyvrard, Theorist of the Modern World, Édimbourg, Edinbugh University Press, 1996.