KRESSMANN TAYLOR, Katherine [PORTLAND, OREGON 1903 - ID. 1997]
Écrivaine américaine.
Issue d’une famille d’origine allemande, Katherine Kressmann Taylor suit des études de lettres et de journalisme, puis travaille dans le domaine de la publicité. À New York, sous le pseudonyme de Kressmann Taylor, elle publie en 1938 son premier roman, Inconnu à cette adresse, qui connaît un immense retentissement et sera traduit en vingt langues. Ce petit livre concis et puissant, longtemps censuré en Allemagne, traite de la montée du nazisme à travers une correspondance fictive entre deux amis, l’un, juif, qui vit aux États-Unis, l’autre, rentré en Allemagne, qui adopte progressivement l’idéologie nazie. Aux États-Unis, il est adapté au cinéma en 1944. K. Kressmann Taylor vit désormais de sa plume. Elle devient la première femme nommée professeure titulaire à l’université de Gettysburg (Pennsylvanie), où elle enseigne pendant dix-neuf ans. Son second roman, Jour sans retour, à la fois essai et document publié en 1942, s’inspire de l’histoire vraie d’un pasteur allemand rencontré en 1940, et relate l’ascension implacable du nazisme vue par un résistant. D’autres titres suivent entre 1945 et 1947 : Ainsi rêvent les femmes, Ainsi mentent les hommes, Jours d’orage. Elliot Taylor, qu’elle a épousé en 1928 et avec qui elle a eu quatre enfants, décède en 1953. En 1966, elle quitte les États-Unis pour l’Italie, épouse le sculpteur américain John Rood et partage sa vie entre les deux pays. Inconnu à cette adresse ne cesse d'être publié ou republié dans de nombreux pays dont l’Allemagne et Israël. En France, il est vendu à 600 000 exemplaires et fait l’objet de nombreuses adaptations théâtrales, en particulier lors des commémorations de la Shoah.
Michèle IDELS
KRESSMANN-ZSCHACH, Sigrid (née ZSCHACH) [LEIPZIG 1929 - BERLIN 1990]
Architecte allemande.
Après son diplôme d’architecture en 1952 et quelques mois d’activité à l’Académie allemande d’architecture de Berlin-Est, Sigrid Kressmann-Zschach choisit de s’établir à Berlin-Ouest, comme architecte indépendante. De 1960 à 1962, elle bénéficia des nombreux contacts de son deuxième mari, Willy Kressmann, maire de Berlin-Kreuzberg, pour participer au boom de la reconstruction de Berlin-Ouest. À la tête d’une grande entreprise du bâtiment, elle réalisa plusieurs milliers d’appartements, généralement subventionnés dans le cadre de l’habitat social. Il s’agit à la fois d’immeubles situés dans les quartiers centraux de Kreuzberg, Neukölln et Schöneberg et de tranches de lotissements dans les quartiers périphériques : à Berlin-Neukölln, des barres de quatre à huit étages et des centres commerciaux ; à Berlin-Spandau, un complexe de huit étages et des tours d’habitation ; à Berlin-Tempelhof des tours d’habitation qui ont jusqu’à 22 étages, des parkings, une maison de retraite et un centre commercial. Parallèlement à cette production d’habitat de masse, S. Kressmann-Zschach a réalisé une série de villas opulentes ou modestes, comme les maisons en terrasses de Berlin-Grunewald. Parmi ses réalisations figurent également des immeubles de bureaux, de grands ensembles à fonctions multiples et divers équipements sociaux. Ses projets les plus remarqués sont le foyer d’étudiants sur le campus de l’École supérieure religieuse de Berlin-Zehlendorf (1969-1970), qui fait partie d’un ensemble protégé par les Monuments historiques, et deux vastes réalisations qui conduisirent à sa faillite. D’une part, le Kudamm-Karree réunissant un centre commercial et de loisirs, un immeuble de bureaux, un parking et deux théâtres anciens transformés, à Berlin-Charlottenburg (1970-1972) ; de l’autre, le Steglitzer Kreisel, un immeuble de bureaux de 30 étages avec une annexe de sept étages comprenant boutiques, hôtel et parking, ainsi qu’une station de métro et de bus, le tout d’une superficie de 14 000 mètres carrés (1969-1974). En 1974, la société immobilière de Kressmann-Zschach dut cependant déposer son bilan. L’architecture de cette femme d’affaires tirant profit des subventions publiques a suivi les tendances contemporaines. Ses œuvres les plus caractéristiques, au plan de la conception formelle, sont celles de moindres dimensions : ses villas à Berlin-Grunewald, bâtiments étagés avec des toits plats, de larges attiques en béton, des murs blancs et des fenêtres en bandeaux horizontaux dans le style des années 1960, des éléments qui laissent transparaître l’influence du Mouvement moderne. Le Centre communautaire de l’église de Jérusalem, à Berlin-Kreuzberg, témoigne aussi d’une conception qui privilégie les lignes claires, les angles droits, la sobriété et la fonctionnalité. Membre du Bauhaus-Archiv, des Amis de la Nationalgalerie, du Cercle culturel de l’industrie allemande et de l’Association des amis et mécènes des musées de Berlin, elle a légué une part de sa fortune à des institutions publiques.
Christiane BORGELT
■ WEISSLER S. (dir.), Der Kreisel : über Steglitz. Eine Hochhausgeschichte, Berlin, Heinrich Böll Stiftung/Bildungswerk der Heinrich-Böll-Stiftung, 1998.
KRESTOVSKAÏA, Maria [1862 - METSÄKYLÄ, FINLANDE, AUJ. MOLODIOJNOÏE, RUSSIE 1910]
Écrivaine russe.
Maria Vsevolodovna Krestovskaïa, fille de l’écrivain Vsevolod Krestovski, vit une enfance déchirée par le divorce de ses parents. Elle commence une carrière d’actrice au théâtre Korsch, qu’elle doit interrompre à 19 ans pour subvenir aux besoins d’un enfant né hors mariage. Elle se tourne alors vers l’écriture et, dès 1885, la revue Rousskiï Vestnik (« le messager russe ») publie son premier récit, Iza, ougolok teatral’nogo mira (« Isa, scène de la vie théâtrale »), sous la signature M. Kr, puis Leïla, rasskaz iz teatral’nogo byta (« Leïla, récit du quotidien théâtral », 1885), qui attirent les lecteurs par leur sincérité. En 1886, elle publie Rannie grozy (« orages précoces »), qui intéresse le public parce que l’action y est vue par le regard d’une femme. Elle devient alors célèbre et compose une œuvre prolifique, originale et populaire, tombée depuis dans l’oubli. Suivent une série de récits et de nouvelles, qui paraissent d’abord dans les principales revues russes, puis dans le recueil Romany i povesti (« romans et nouvelles », 1889 et 1896). Elle s’éloigne un temps de l’écriture et, malgré sa renommée, vit à l’écart de toute vie sociale et artistique, se consacrant à des œuvres caritatives. Elle s’occupe de promouvoir les études supérieures pour les femmes et organise un centre de soins pour les blessés de la guerre russo-japonaise, ainsi qu’un centre de santé pour les écrivains en Finlande. Elle publie encore Jenskaïa jizn’(« une vie de femme ») entre 1894 et 1903, nouvelle épistolaire où elle décrit le quotidien simple d’une femme russe. Viennent ensuite Artistka (« l’actrice »), qui reçoit un accueil enthousiaste du public, et Vopl’(« le hurlement », 1900), complainte d’une femme qui meurt dans une atmosphère dominée par l’argent. Ispoved’Mystichtcheva (« la confession de Mystichtchev », 1903) conte la fin d’un homme qui se suicide, sorte de double de l’auteure. Elle fait montre d’une analyse psychologique très fine et d’une inclination à l’auto-analyse. L’honnêteté et la sincérité sont les marques de son œuvre.
Françoise DARNAL-LESNÉ
KRESTOVSKI, V. VOIR KHVOCHTCHINSKAÏA, Nadejda
KREY, Solveig [ÎLE DE LANGOYA, NORVÈGE 1963]
Militaire norvégienne.
Première femme à commander un sous-marin, cette fille d’infirmière et d’électricien se destinait au départ à des études de chimie ou de biologie. Mais après le bac, Solveig Krey envoie à tout hasard un dossier de candidature à la marine royale norvégienne, qui la retient. Elle signe alors un contrat d’engagement de six ans et commence à se spécialiser dans la technique et l’électronique. Cependant, la restructuration de l’armée norvégienne, en 1986, et surtout l’autorisation accordée aux femmes, jusque-là cantonnées aux tâches administratives, de servir sur des bâtiments de guerre réorientent son itinéraire. Elle se met en effet à travailler dur pour prouver qu’elle est capable d’exercer à tous les postes de navigation. Ainsi, diplômée en 1989 de l’Académie navale norvégienne, elle est d’abord officier de quart puis officier des opérations à bord de sous-marins. De février à septembre 1995, lors d’un stage de vingt-six semaines pour l’obtention de la qualification de commandant de sous-marin, elle apprend à manœuvrer un submersible et à en connaître les limites, à utiliser le périscope en gardant l’œil sur les bâtiments voisins et à prendre soin de l’équipage. Ses instructeurs sont tout de suite impressionnés par ses qualités de chef. Elle est alors nommée commandant de sous-marin pour des missions de quinze à vingt jours se passant à 250 mètres sous la surface de la mer. Dans un tube d’acier de 60 m de long pesant de 1 000 t et emportant 21 torpilles filo-guidées, la jeune femme a sous ses ordres un équipage entièrement masculin. En prenant la tête, à 32 ans seulement, d’un Kobben, fameux bâtiment de la marine royale norvégienne, elle devient la toute première femme au monde à commander un sous-marin et suscite alors l’intérêt des médias, notamment en France, en Allemagne et en Angleterre : à cette date, en effet, seuls le Canada et la Norvège autorisent les femmes à servir sous la mer. En 1998, elle s’accorde un moment de pause dans sa carrière pour apprendre le français à l’université Stendhal de Grenoble. Puis elle reprend son activité dans la marine norvégienne et recommence à patrouiller dans les fjords de son pays.
Elisabeth LESIMPLE
KRIEGEL, Annie (née BECKER) [PARIS 1926 - ID. 1995]
Historienne et sociologue française.
En 1991, Annie Kriegel publiait un fort ouvrage de 842 pages, Ce que j’ai cru comprendre, où elle mêlait autobiographie et réflexions sur les deux champs qu’elle avait alternativement labourés, le communisme et ce qu’elle nommait d’une expression englobante « les affaires juives ». Car elle fut une historienne dont les travaux prirent racine dans sa propre vie. Elle grandit dans un milieu sécularisé de la petite bourgeoisie israélite où l’école et la culture sont choses sacrées. La rafle du Vél d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942 constitue une vraie rupture. La famille Becker passe clandestinement la ligne de démarcation, se réfugie à Grenoble. La lycéenne y entre en Résistance, rejoignant les jeunesses communistes juives de la Main-d’œuvre immigrée (M.O.I). Elle fait preuve d’un exceptionnel courage et devient communiste. À la Libération, elle regagne Paris, intègre l’École normale supérieure, passe l’agrégation d’histoire et géographie (1948), tout en militant avec ardeur au parti communiste. Pendant deux années, d’octobre 1951 à décembre 1953, elle devient permanente du bureau de la fédération de la Seine, chargée de l’idéologie. Elle est une des très rares femmes et intellectuelles d’une société masculine et ouvrière. Elle est la cadette du comité de rédaction de la Nouvelle Critique. Dans ces années-là, elle fut une stalinienne convaincue, redoutable et redoutée, admirée pour son intelligence et son courage. À partir de 1953, elle est mise à l’écart des instances dirigeantes et s’éloigne petit à petit du Parti. La réconciliation en mai 1955 entre Khrouchtchev et « le fasciste » Tito, les événements de 1956 (le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, l’entrée des troupes du Pacte de Varsovie à Budapest) scellent la rupture définitive et le début d’une réflexion qui fait d’elle la pionnière de l’histoire universitaire du communisme et sa figure majeure. A. Kriegel soutient sa thèse d’État, Aux origines du communisme français, en 1964. Professeure des universités en sociologie politique à Nanterre, elle publie de nombreux ouvrages et articles sur le communisme, forgeant notamment le concept de « contre-société », et crée en 1983, avec Stéphane Courtois, la revue Communisme. Dans le même temps, elle opère un retour au judaïsme, soutenant fermement l’État d’Israël, devient chroniqueuse à l’Arche, fonde avec Shmuel Trigano la revue Pardès. A. Kriegel aura été une intellectuelle indépendante, courageuse et engagée, marquant tout à la fois les débats publics et la recherche universitaire.
Annette WIEVIORKA
■ Les Communistes français, essai d’ethnographie politique, Paris, Seuil, 1968 ; Les Juifs et le Monde moderne, essai sur les logiques d’émancipation, Paris, Seuil, 1977 ; Réflexions sur les questions juives, Paris, Hachette, 1984 ; Ce que j’ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991.
■ COURTOIS S., LAZAR M., TRIGANO S., Rigueur et Passion, mélanges offerts à Annie Kriegel, Paris, Éditions du Cerf, 1994 ; ID., « Kriegel Annie (1926-1995) », in Encyclopedia universalis, vol. 26, 2002 ; WIEVIORKA A., « Annie Kriegel, à contre-courant », in Les Cahiers du judaïsme, no 12, 2002.
KRIEGEL, Blandine [NEUILLY-SUR-SEINE 1943]
Philosophe française.
Assistante de Michel Foucault au Collège de France, professeure des universités, présidente du Haut Conseil à l’intégration et membre du Comité consultatif national d’éthique, Blandine Kriegel a un parcours absolument singulier, parallèle aux courants qui ont dominé la génération des années 1960, et dont témoigne cependant sa foi inentamée dans les droits des femmes, notamment son engagement pour la parité. On lui doit la redécouverte de l’État de droit, un concept devenu mondialement célèbre depuis la perestroïka et l’établissement des fondements philosophiques de la république moderne, qui sont présents, dès ses premiers ouvrages : L’État et les Esclaves (1979) et Les Chemins de l’État (1986). Son retour au droit politique de l’Âge classique (La Politique de la raison, 1994), sa critique du sociologisme et de la philosophie du sujet (Philosophie de la république, 1998), le grand investissement érudit de sa thèse sur L’Histoire à l’Âge classique (1996), une réécriture de l’histoire de l’État et de la culture française, loin des canons de l’école des Annales, demeurent inclassables dans le paysage intellectuel français. Ses tentatives pour démocratiser la République l’ont conduite à l’action publique auprès de deux présidents de la République, François Mitterrand (Rapport sur la modernisation de l’État, 1987) et Jacques Chirac, qui a fait d’elle sa conseillère à l’Élysée. Pour saisir l’originalité de B. Kriegel et sa fixation à l’exception française, il faut évoquer la double influence qu’elle a reçue de ses deux familles maternelle et paternelle, profondément engagées dans des grands événements de l’histoire de France. Des hobereaux protestants et jansénistes ralliés à la Révolution et à l’Empire (alliés à Armand Gaston Camus et au général Foy, du côté maternel), des Juifs austro-hongrois venus à Strasbourg au début du XXe siècle du côté paternel (son père disparu, Maurice Kriegel-Valrimont, fut dirigeant national de la Résistance et libérateur de Paris). Pas davantage, on ne peut passer sous silence sa formation auprès de Georges Canguilhem, Louis Althusser et Michel Foucault, avec lequel elle a commencé sa carrière universitaire. Ayant eu à trancher, dès sa petite enfance, entre les partis de la Révolution et de la Constitution, c’est le second qu’elle a embrassé. Les véritables fondements de la philosophie politique républicaine se trouvent, selon elle, dans le droit politique de l’Âge classique et non dans la philosophie révolutionnaire de l’idéalisme classique allemand. Les droits de l’homme ne sont pas solidaires d’une philosophie de la volonté et du sujet, mais d’une philosophie de la loi et de la nature humaine. Si la réhabilitation du droit et de la politique qu’elle a engagée a sans doute une parenté avec la réhabilitation de la culture propre au structuralisme, il demeure que l’œuvre de cette philosophe si attachée à l’histoire de France, déjà traduite en anglais et en chinois, fait davantage l’objet de discussions passionnées dans le monde anglo-saxon (Agard Pocock, G. A. Kelley, Philip Pettit) qu’en France même, et les juristes et les politologues la lisent plus volontiers que les historiens des Annales et les philosophes germanistes.
Alexis LACROIX
■ La Défaite de l’érudition, Paris, PUF, 1998 ; Réflexion sur la justice, Paris, Plon, 2001 ; Études et Intégration, avis sur le logement des personnes immigrées, Paris, Documentation française, 2008 ; avec Lacroix A., Querelles françaises, Paris, Grasset, 2009 ; avec ADLER A., FUMAROLI M., TRINH XUAN THUAN, Le Big Bang, et après ? , Paris, Albin Michel, 2010 ; La République et le Prince moderne, Paris, PUF, 2011.
KRIKORIAN, Violette [TÉHÉRAN 1961]
Poétesse arménienne.
Violette Krikorian a grandi dans un quartier où se côtoient Arméniens, Persans, Azeris. Elle compose ses premiers vers à l’âge de 10 ans, en farsi, et reste marquée par ses souvenirs d’enfance et d’Orient. Sa famille émigre ensuite en Arménie (1979). Elle a 18 ans lorsque ses poèmes sont publiés à Erevan dans Grakan Tert (« journal littéraire »), la revue de l’Union des écrivains d’Arménie, où elle introduit des idées et une langue subversives. Un séjour d’un an à Los Angeles (1998), puis un passage en France (2000) ont précédé sa rupture avec les milieux académiques, et la création à Erevan, avec le poète Vahram Mardirossian, de la revue d’avant-garde Bnaguir (« écrit authentique », 2001), à laquelle succède Inknaguir (« autographe »), magazine prônant la recherche de l’inconnu et la rébellion artistique. Dans ses poèmes, l’auteure fait entendre les émotions, la sensualité et les désirs de liberté et de jouissance d’une femme rejetant les tabous sexuels et moraux d’une société arménienne sclérosée par ses mythes religieux et nationaux. Auteure, entre autres, d’Amour (2006), elle provoque le scandale par la vulgarité de ses thèmes et la crudité de son langage.
Anahide TER-MINASSIAN
■ ABRAHAMIAN N., ALLOYAN O., BELEDIAN K. et al., Avis de recherche, anthologie de la poésiearménienne contemporaine, Marseille, Parenthèses, 2006.
KRIM, Rachida [ALÈS 1955]
Scénariste, réalisatrice et peintre française.
Née dans une famille d’origine algérienne, Rachida Krim, formée aux Beaux-Arts de Montpellier, est peintre avant de devenir réalisatrice. Elle signe des courts-métrages, notamment El Fatha (1992), réalise Houria/Hûria (2002), une série de cinq courts-métrages destinés à la sensibilisation des publics aux dangers du sida ; et coréalise La Femme dévoilée (1998) avec Hamid Tassili. Sous les pieds des femmes (1997), son premier long-métrage, est une fiction intimiste autour de la figure d’une ancienne combattante de la guerre d’indépendance (incarnée par Claudia Cardinale*) : alors qu’elle retrouve chez elle en France et pour quelques heures son ancien compagnon de lutte et amant, le décalage qui lui apparaît entre d’une part la liberté nationale mais aussi la liberté personnelle acquises au prix fort, et d’autre part les compromissions ayant mené l’Algérie au chaos, devient la source d’une immense déception et le lieu d’une grande solitude. R. Krim a réalisé depuis des téléfilms : Permis d’aimer (2005), la vie d’une femme partagée entre sa fille, sa famille et son attirance, vécue dans la culpabilité, pour un collègue ; et Pas si simple (2008), les rapports d’un couple dans lequel les décisions de la femme sont prépondérantes, protégée par l’amour d’un mari qu’elle avait choisi par défaut.
Patricia CAILLÉ
KRIMITZ, Élise DE VOIR SELDEN, Camille
KRIOUKOVA, Marfa [NIJNIAIA ZIMNIAIA ZOLOTITSA 1876 - ID. 1954]
Conteuse russe.
Marfa Semionovna Krioukova est née dans la région d’Arkhangelsk, elle est la fille d’une conteuse populaire renommée, dont un ethnographe avait recueilli plusieurs poèmes épiques (bylines) en 1901. À partir de 1934, d’autres ethnographes viennent dans son village natal afin de l’enregistrer à son tour. Au moment de la terreur stalinienne, le pouvoir recherche une légitimité populaire et l’enrôle au service de l’art soviétique, elle devient ainsi membre de l’Union des écrivains en 1939. Elle compose et interprète, dans le style ancien des bylines, des poèmes épiques sur des thèmes soviétiques (novyny). Un journaliste lui fournit la matière de ses poèmes et les transcrit dans la Pravda, notamment plusieurs lamentations sur Lénine (« Kamennaïa Moskva vsia proplakala », « Moscou, ville de pierre, tout entière pleurait »), plusieurs poèmes épiques à la gloire de Staline (« Slava Stalinou boudet vietchnaïa », « éternelle sera la gloire de Staline ») ou à celle des héros de l’Armée rouge (Tchapaïev, Vorochilov), ou encore du grand explorateur de l’Arctique, Otto Schmidt (« Pokolen-boroda i iasnye sokoly », « Pokolen-Grande-Barbe et les clairs faucons »). Dans ces textes, les chefs révolutionnaires sont assimilés aux preux chevaliers (bogatyri) de la geste traditionnelle, leurs portraits sont ceux des héros populaires, leurs exploits acquièrent l’aura surnaturelle des contes. Un tel répertoire de commande, s’il est unique par son sujet, n’est pas étranger à l’art populaire, où les chanteuses employées lors des mariages adaptent le contenu des chansons afin que celles-ci relatent la vie des héros du jour. Elle a enregistré plus de 150 bylines traditionnelles, dont les traits les plus remarquables sont la longueur et l’inventivité : aux invariants du canevas narratif et des stéréotypes stylistiques, elle ajoute de longs passages qui décrivent les paysages et explorent les motivations psychologiques des héros.
Marie DELACROIX
KRIS, Marianne (née RIE) [VIENNE 1900 - LONDRES 1980]
Psychanalyste austro-américaine.
Fille de Melanie Bondy, belle-sœur de Wilhelm Fliess, et du pédiatre Oskar Rie, ami de Sigmund Freud, Marianne Rie, après avoir suivi des études médicales, fait une formation psychanalytique à Berlin. Elle épouse à l’âge de 27 ans Ernst Kris, l’historien d’art, qui deviendra psychanalyste et l’un des initiateurs de l’Ego Psychology puis le premier éditeur, en 1950, des lettres de S. Freud à W. Fliess. M. Kris travaillera avec son mari en étroite collaboration avec Anna Freud* à la Société psychanalytique de Vienne. En 1938, ils quittèrent Vienne pour Londres, puis s’exilèrent à New York deux ans plus tard. Elle s’intéressa tout particulièrement à la psychanalyse d’enfants et contribua à la création de l’Association for Child Psychoanalysis, dont elle fut la première présidente, et à la revue The Psychoanalytic Study of the Child, dont elle fut rédactrice en chef. Chose peu fréquente aux États-Unis à cette époque, elle fut l’un des rares médecins à œuvrer pour la reconnaissance des analystes non-médecins.
René MAJOR
KRISTEVA, Julia [KLIVEN, BULGARIE 1941]
Écrivaine et psychanalyste française.
Issue d’une famille bulgare intellectuelle et francophile, Julia Kristeva arrive en France en 1965 dans un milieu universitaire en pleine mutation, où elle fait aussitôt forte impression. Elle côtoie Barthes, qui lui offre un poste d’attachée à l’École pratique des hautes études (EPHE), mais aussi tous ceux qui animent alors la pensée structuraliste. En 1966, dans les bureaux de la revue Tel Quel, elle rencontre Philippe Sollers, qu’elle épouse l’année suivante, et devient une figure dominante de ce mouvement littéraire à l’affût des avant-gardes poétique et politique. Semeiotikè, en 1969, donne à sa perspective théorique le nom de « sémanalyse » et inscrit d’emblée l’œuvre dans l’ère poststructurale, avec Lacan comme référence dominante. Grâce à ce livre, c’est aussi la pensée du linguiste russe Bakhtine qui est, en France, révélée, et le concept d’intertextualité, promis à une large fortune critique, qui trouve formulation. La Révolution du langage poétique, thèse soutenue en 1973 et publiée un an plus tard, lui ouvre les portes de l’université Paris 7 comme professeure de linguistique.
L’œuvre poursuit la problématique du sens, mais traverse désormais les frontières académiques traditionnelles pour se situer plus largement dans une philosophie et une histoire de la culture. Ce mouvement s’accompagne d’une exploration théorique où les concepts ne s’agencent plus en système. Dans les années 1980, un premier triptyque (Pouvoirs de l’horreur, 1980 ; Histoires d’amour, 1983 ; Soleil noir, 1987), bâti autour de la question du deuil maternel, relaie l’importance accordée au langage par l’attention au corps, à la pulsion, à l’affect. Si l’influence de la psychanalyse reste majeure pour celle qui est devenue clinicienne, l’écriture, marquée par la subjectivité, emprunte également à l’expérience de la romancière. Après Les Samouraïs (1990), le roman à clés de la génération Tel quel, les fictions de J. Kristeva, dont Meurtre à Byzance en 2004, annexent le genre policier, telle une herméneutique ludique. Parallèlement, dans les années 2000, une seconde trilogie, intitulée Le Génie féminin (1999-2004) met à l’honneur pour le XXe siècle Hannah Arendt*, Mélanie Klein et Colette*. Entre universalisme et particularisme, le féminin de J. Kristeva, fidèle à la pensée d’Étrangers à nous-mêmes (1988), s’attache à reconnaître en soi l’autre (sexe) pour se consacrer ici à des destinées singulières. En 2004, son œuvre est couronnée par le premier prix Holberg. Elle publie en 2011 avec Jean Vanier, fondateur de l’Arche, Leur regard perce nos ombres, pour transformer la perception du handicap et appeler à un nouvel humanisme.
Florence DE CHALONGE
■ Avec CLÉMENT C., Le Féminin et le Sacré, Paris, Stock, 1998.
■ Julia Kristeva, prix Holberg, textes réunis par RIEUSSET-LEMARIÉ I., Paris, Fayard, 2005 ; Bouthors-Paillart C., Julia Kristeva, Paris, Ministère des Affaires étrangères, 2006.
KRISTOF, Agota [CSIKVÁND 1935 - NEUCHÂTEL 2011]
Écrivaine suisse d’expression française.
Originaire d’un village de Hongrie près de la frontière autrichienne, Agota Kristof s’installe avec sa famille dans la ville de Köszeg après la guerre. En 1956, à la suite de l’écrasement de l’insurrection nationale par l’armée soviétique, elle fuit la Hongrie avec son premier mari et sa petite fille. Le couple se fixe à Neuchâtel en Suisse. Dans les années 1970, elle écrit en français pour le théâtre et la radio suisse romande. En 1986, elle publie à Paris son premier roman, Le Grand Cahier, qui connaît un succès immédiat et international, et obtient le prix du Livre européen. Puis viennent La Preuve (1988) et Le Troisième Mensonge (1991). Dans un style débarrassé du « mensonge romantique des mots », La Trilogie des jumeaux (2006), aujourd’hui traduite dans plus de 30 langues, met en scène la douleur universelle de la séparation, de la guerre et de l’exil. Dans Hier (1995) ou L’Analphabète (2004), récit autobiographique, la romancière raconte la nostalgie de l’enfance, la difficulté d’écrire, le rapport complexe qu’elle entretient avec la langue française, cet « ennemi » qu’il faut apprivoiser. Usant des ressorts de la fable, sa production théâtrale dénonce les injustices sociales et politiques. Son œuvre traduit une vision pessimiste d’un monde verrouillé, marqué par le mensonge et les espoirs déçus.
Céline CERNY
■ L’Heure grise et autres pièces, Paris, Seuil, 1998 ; Où es-tu Mathias ? , Genève, Zoé, 2005 ; C’est égal, Paris, Seuil, 2005 ; Le Monstre et autres pièces, Paris, Seuil, 2007 ; Romans, nouvelles, théâtre complet, Paris, Seuil, 2011.
■ PETITPIERRE V., D’un exil à l’autre, Genève, Zoé, 2000 ; RIBONI-EDMÉ M.-N., La Trilogie d’Agota Kristof, écrire la division, Paris, L’Harmattan, 2007.
KRMPOTIĆ, Vesna [DUBROVNIK 1932]
Écrivaine et poétesse croate.
Après des études de psychologie et d’anglais à la faculté des lettres et de philosophie de Zagreb, Vesna Krmpotić passa en Inde deux années de spécialisation en langue bengalie, de 1963 à 1964. Elle séjourna en Égypte, aux États-Unis et au Ghana. Elle entra dans la littérature croate au milieu des années 1950 avec la génération d’écrivains rassemblés autour de la revue Krugovi (« les cercles »). À ses débuts, elle construisit sa poésie en mêlant au ton de la confession un besoin fort de transcender l’intimisme et le sentiment de l’au-delà. Si dans son premier recueil, Poezija (1956), l’Autre est imaginé comme un partenaire amoureux, il prend progressivement une dimension métaphysique et sensiblement douloureuse dans son recueil Ljevanica za Igora (« l’offrande pour Igor », 1978) et dans les récits Brdo iznad oblaka (« le mont au-dessus des nuages », 1987), dans lesquels elle retrace la lutte vaine et traumatique pour sauver la vie de son fils malade. Cette veine poétique, enrichie d’éléments spirituels, culmine dans les poèmes de 108 x 108, rédigés à partir de 1990 et publiés en 2006, où le Créateur parle à la première personne.
Iva GRGIĆ MAROEVIĆ
■ ZIMA Z., Noćna strana uma, Zagreb [s. n.], 1990 ; FALISĚVAC D., NEMEC K., NOVAKOVIĆ D. (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000.
KROEBER, Theodora (née KRACAW) [DENVER 1897 - BERKELEY 1979]
Écrivaine et anthropologue américaine.
Après un diplôme en psychologie clinique à l’université de Californie et quelques années à Santa Fe, Theodora Kracaw rencontre Alfred Kroeber, l’un des plus importants anthropologues du XXe siècle. Elle l’épouse en 1926 et l’accompagne sur son travail de terrain au Pérou puis auprès des peuples du fleuve Klamath et du désert du Mojave. Dans la société nord-américaine conservatrice des années 1930, cette recherche se démarque par des descriptions inédites des « berdaches » mojave : hommes travestis qui occupent des rôles féminins, pratiquent l’homosexualité et possèdent un important pouvoir chamanique. Cette analyse ouvre alors de nouvelles perspectives pour comprendre l’homosexualité dans différentes sociétés. Theodora Kroeber publie sa première œuvre personnelle en 1959 avec The Inland Whale (« la baleine intérieure »), livre de contes indigènes, rédigé à partir des récits d’un jeune Yurok. En 1961, sort son livre le plus connu, Ishi in Two Worlds, l’histoire de vie d’un Indien yahi. Le livre témoigne de la destruction des peuples autochtones de Californie pendant la période de la ruée vers l’or. Considéré comme un chef-d’œuvre sur la culture et le génocide des peuples amérindiens de Californie, l’ouvrage est publié juste après la mort de son époux en 1960. Elle rédige alors des livres sur la littérature orale et le folklore à partir des matériaux ethnographiques recueillis avec son époux, ainsi qu’une biographie de celui-ci, qui rend notamment hommage à sa contribution à l’institutionnalisation de l’anthropologie à Berkeley. En 1970, T. Kroeber se remarie avec l’artiste et psychothérapeute John Quim, de quarante-trois ans son cadet, mariage intergénérationnel qui fut aussi au centre de ses réflexions théoriques.
Vinicius FERREIRA et Miriam GROSSI
■ The Inland Whale (1959), Berkeley, University of California Press, 2005 ; Ishi in Two Worlds (1961), Berkeley, University of California Press, 2011 ; Almost Ancestors : The First Californians, San Francisco, Sierra Club, 1968 ; Alfred Kroeber : A Personal Configuration, Berkeley, University of California Press, 1970.
■ BUZALJKO G. W., « Theodora Kroeber », in GACS U., KAN A., MCINTYRE J., WEIBERG R. (dir.), Women Anthropologists, Urbana, University of Illinois Press, 1989.
KROHN, Leena [HELSINKI 1947]
Écrivaine finlandaise.
Grâce à ses œuvres traduites en 15 langues, tout comme Anja Snellman* avec laquelle elle partage une vision critique de la société contemporaine, Leena Krohn a gagné sa notoriété internationale. Ses textes philosophiques et satiriques invitent le lecteur dans un monde surréaliste, fantastique et allégorique. Elle fait une percée littéraire avec Tainaron (1985), un roman allégorique composé d’une série de lettres envoyées par des insectes à un destinataire inconnu du pays de l’ombre et de la mort, qui n’est pas sans rappeler l’univers d’Henri Michaux. L’auteure tend à effacer les limites entre le réel et son envers, associant l’analyse de graves problèmes métaphysiques à une fantaisie enfantine. Ses premiers romans, écrits pour les enfants, lui ont valu de nombreux prix littéraires. Ihmisen vaatteissa. Kertomus kaupungilta (« dans les vêtements d’un homme, une histoire de la ville », 1976) a notamment connu un regain de succès après son adaptation au cinéma par Liisa Helminen sous le titre Pelikaanimies (« l’homme pélican », 2004), un film récompensé par un prix au Festival du cinéma de Chicago en 2005. L. Krohn a publié une trentaine d’ouvrages qui outrepassent les définitions génériques traditionnelles et mélangent les styles. Son roman-essai Matemaattisia olioita tai jaettuja unia (« créatures mathématiques ou rêves partagés », 1993) lui a valu le prestigieux prix Finlandia.
Janna KANTOLA, Hannu K. RIIKONEN et Riikka ROSSI
■ Doña Quichotte et autres citadins (Doña Quijote ja muita kaupuntkilaisia, 1983), Lausanne, Esprit ouvert, 1998.
■ LAPPALAINEN P., ROJOLA L. (dir.), Women’s Voices : Female Authors and Feminist Criticism in the Finnish Literary Tradition, Helsinki, Finnish Literature Society, 2007.
KRÓL-DOBROWOLSKA, Krystyna [VARSOVIE 1924 - ID. 2012]
Architecte polonaise.
Krystyna Król-Dobrowolska fait ses études à l’École privée d’architecture pour femmes Stanisław-Noakowski (Varsovie 1941), à la faculté de peinture de l’Académie des beaux-arts de Budapest (1943) puis à celle de Cracovie (1945-1947) où elle suit également jusqu’en 1949 les enseignements du département d’architecture de l’École polytechnique. En 1948, elle est engagée dans l’équipe de Bohdan Pniewski (1897-1965), architecte polonais majeur avec lequel elle travaille pendant presque dix ans, de 1948 à 1950 puis de 1953 à 1959. En tant que membre de son équipe, elle participe à la conception de bâtiments importants de Varsovie, tels, avec sa consœur Maria Małgorzata Handzelewicz-Wacławek*, la Banque nationale de Pologne (1948-1950) et le Grand Théâtre (1953-1959), reconstruit et agrandi après la guerre. Par la suite et jusqu’en 1978, elle exerce au sein des bureaux d’État de Varsovie, puis est conseillère au ministère des Arts et de la Culture (1979-1981). Avec son mari, l’architecte Jan Dobrowolski (1920-2006), elle conçoit le nouvel aéroport de Varsovie, dont le toit novateur et les qualités fonctionnelles ont fait, à l’époque des derniers sursauts du réalisme socialiste, la carte de visite de la Pologne et le premier signe visible du changement politique pour ceux qui arrivaient de l’Ouest. Achevé en 1962, il a pourtant été inconsidérément démoli en 1998.
Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI
■ KOŃCZAK J., SAFADZIŃSKI R., « Międzynarodowy Dworzec Lotniczy Warszawa-Okęcie », in Architektura, oct. 1969.
KRONAUER, Brigitte [ESSEN 1940]
Écrivaine et essayiste allemande.
Brigitte Kronauer s’inspire des techniques narratives du XIXe siècle tout en gardant un style unique et sophistiqué. Après des études de littérature allemande et de pédagogie, elle devient tour à tour professeure à Göttingen et à Aix-la-Chapelle. Son premier recueil de récits, Der Unvermeidliche Gang der Dinge (« le cours inévitable des choses »), date de 1974, alors qu’elle s’installe à Hambourg. Son premier grand succès est le roman Frau Mühlenbeck im Gehäus (« Mme Mühlenbeck en coquille »), premier tome d’une trilogie paru en 1980. Le deuxième roman de la série, Berittener Bogenschütze (« archer à cheval », 1986), est une œuvre classique de la littérature moderne allemande, dans laquelle les caractéristiques de son style sont le plus développées. À travers son protagoniste, l’écrivaine développe un univers personnel par l’observation au plus près de la nature et de l’environnement. Ce « réalisme magique » se réfère en partie au courant de l’Empfindsamkeit qui, en Allemagne, succéda aux Lumières. B. Kronauer fait ses études de caractères dans un style allusif et en élaboration constante. Par ailleurs, elle inclut ses personnages et sujets dans des systèmes de signification mythiques et polyvalents. Ses nouvelles, notamment Die Tricks der Diva (« les astuces de la diva », 2004), sont encore plus stylisées et emphatiques que ses romans. B. Kronauer interpelle directement le lecteur par sa manière lyrique. Après 1998, ses œuvres connaissent une popularité et une reconnaissance académique croissantes.
Robert BEST
■ Rita Münster (Rita Münster, 1983), Paris, Flammarion, 1986.
■ SCHAFROTH H. F. (dir.), Die Sichtbarkeit der Dinge, über Brigitte Kronauer, Stuttgart, Klett-Cotta, 1998.
KRONE, Frieda [VIENNE 1915 - MUNICH 1995]
Dresseuse et directrice de cirque allemande.
Fille de Carl Krone (1870-1943), dompteur et propriétaire d’une ménagerie foraine, et de la dresseuse Ida Ahlers (1889-1957), elle-même fille d’un propriétaire de théâtre de singes, Frieda Krone est née à Vienne où le cirque familial s’était réfugié pendant la guerre. Impliquée dans la vie de l’entreprise et fidèle aux anciennes traditions directoriales, elle présente les éléphants et un numéro de haute école. Elle épouse le dompteur de fauves Carl Sembach en 1935 et participe de très près à la gestion du plus grand cirque d’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que le cirque est en ruine, elle reprend à son nom la licence d’exploitation et entreprend de rebâtir l’entreprise. Consciente de l’évolution de la société et du goût du public, mais surtout de la concurrence grandissante des autres formes de spectacles, elle modernise le chapiteau, investit dans l’éclairage, fait reconstruire en 1962 le Krone Bau (cirque stable) de Munich – détruit par les bombes en 1944 et remplacé par un édifice temporaire – et continue de sélectionner les meilleurs numéros dans toutes les disciplines pour élaborer ses programmes. Elle règne sur un véritable empire, attentive aux moindres détails. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’est pas rare de la voir, le soir, au montoir – l’entrée des artistes –, surveillant tout, du bon déroulement de la représentation jusqu’aux chaussures cirées des garçons de piste. Vêtue d’une sobre robe noire, mais agrémentée de somptueux bijoux, discrète et néanmoins omniprésente, elle incarne l’aristocratie circassienne.
Pascal JACOB
KROUCHEL’NYTSKA, Solomiya [V. 1873 - L’VIV 1952]
Chanteuse lyrique ukrainienne.
Après avoir fait ses études aux conservatoires de Milan et de Vienne, Solomiya Krouchel’nytska débute en Ukraine, en 1893, sur la scène de l’opéra de L’viv. Mais c’est après ses nombreux succès dans les grands opéras d’Europe et d’Amérique du Sud qu’elle s’est imposée comme une grande artiste de la scène lyrique, notamment grâce à son interprétation très personnelle du Madame Butterfly de Puccini. Alliant à ses dons de soprano un tempérament de tragédienne, elle s’est révélée être une interprète incomparable des opéras de Strauss, de Verdi, de Puccini et surtout de Wagner. À ce titre, elle est reconnue comme l’une des plus grandes interprètes des œuvres wagnériennes. À la fin de sa vie, de 1945 à 1952, elle enseigne au conservatoire de L’viv.
Olga CAMEL
■ Entsyklopedia ukrainoznavstva, t. 3, Munich, Molode jyttia, 1959.
KROUPSKAÏA, Nadejda KONSTANTINOVNA [SAINT-PÉTERSBOURG 1869 - MOSCOU 1939]
Pédagogue et femme politique russe.
Née dans une famille de la petite noblesse aux idées libérales, étudiante douée, pédagogue brillante, Nadejda Kroupskaïa s’intéresse très vite aux idées marxistes et se consacre, à partir de 1891, à l’alphabétisation des familles ouvrières auprès desquelles elle fait passer les idées révolutionnaires. Elle rencontre Lénine, adhère en 1895 à l’Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière qu’il a fondée, puis l’épouse en 1898. Ils partagent travail, lectures, combats, exils et emprisonnements. Jusqu’à leur retour en Russie en 1917, elle est sa secrétaire attentive et s’occupe de la question de l’éducation, s’attachant de manière originale à appliquer la méthode marxiste aux théories et pratiques pédagogiques. Défendant l’émancipation des femmes, elle soutient Clara Zetkin* et sa proposition, en 1910, de créer une Journée internationale des femmes. Après la révolution, elle ne réclame aucune position de premier plan mais pose les bases, auprès du commissaire du peuple à l’Instruction, d’un système éducatif qui permettra l’alphabétisation complète du peuple russe en vingt ans. À la mort de Lénine, en janvier 1924, elle tente en vain de faire connaître au XIIIe Congrès du parti le testament politique que celui-ci a dicté en 1922 et dans lequel il critique Staline. Elle-même soutient ouvertement l’opposition unifiée Kamenev-Zinoviev-Trotsky jusqu’en 1927, moins ouvertement après. Elle est tout de même nommée membre du praesidium du Soviet suprême en 1929. Elle se consacrera dès lors essentiellement aux questions d’éducation mais votera contre l’exécution de Boukharine lors des procès de Moscou de 1938.
Fabienne PRÉVOT
■ Ma vie avec Lénine, 1893-1917 (Vospominanii a o Lenine), Paris, Payot, 1933.
KRŠENKOVIĆ BRKOVIĆ, Dragana [1956]
Auteure dramatique, écrivaine et essayiste monténégrine.
Diplômée en sciences politiques et en art théâtral, Dragana Kršenković Brković est membre de l’Association des artistes dramatiques monténégrins et de l’Union monténégrine des écrivains indépendants. Elle a fondé à Podgorica l’un des premiers théâtres de poupées au Monténégro, le Plava Laguna, « lagon bleu ». Jouées dans de nombreux pays balkaniques, certaines de ses pièces font partie des programmes scolaires monténégrins et macédoniens ; d’autres ont été adaptées à la télévision, et ses contes pour enfants sont étudiés à l’université. Elle rédige des critiques et des essais sur des sujets variés. Elle a ainsi publié, en 2003, un article sur Andreï Roublev. Parmi ses œuvres dramatiques, elle est auteure de pièces en un acte, recueillies sous le titre Iza nevidljivog zida (« derrière le mur invisible ») et publiées en 1997, dont le thème commun est le théâtre et la vie théâtrale. Sa collection longuement élaborée et intitulée Tajna plavog kristala (« mystère du cristal bleu », 1996) regroupe des contes écrits sous forme de drames. Ses nouvelles et ses contes, qui dans leur majorité ne s’adressent pas aux enfants, sont répartis dans deux recueils et oscillent entre plusieurs thématiques comme la recherche du sens ou le désir de l’éternité à travers l’art et la littérature, notamment dans Vatra u Aleksandriji (« l’incendie d’Alexandrie », 2006). Les textes de Gospodarska palata (« le palais du maître », 2004) explorent quant à eux indirectement la violence collective à l’œuvre dans la Yougoslavie des années 1990. Dans son unique roman, Izgubljeni pečat (« le sceau perdu », 2006), l’auteure renoue avec la question du rôle de la beauté et de l’esthétique dans une société dominée par l’argent et par la lutte pour le pouvoir, à travers une intrigue d’aventures autour de la quête d’un vieux manuscrit perdu.
Robert RAKOCEVIC
■ MILOSAVLJEVIĆ A., « Povratak bajci », in Scena. časopis za pozorišnu umetnost, no 1, 2001 ; RAKOČEVIĆ B., « Snoliki spojevi », in Crnogorski književni list,, no 103, 15-3-2005 (Podgorica).
KRÜDENER, Barbara Juliane (ou Mme DE KRÜDENER, baronne VON) [RIGA 1764 - KARASSOUBAZAR, AUJ. BILOHIRSK, UKRAINE 1825]
Écrivaine russe.
Née dans une famille d’ancienne noblesse, elle épouse un diplomate qu’elle suit en Italie, au Danemark et à Paris où, en 1789, elle se lie avec l’abbé Barthélemy, Bernardin de Saint-Pierre, Rivarol et Mme de Genlis*. Déçue par la vie conjugale, elle vit séparée de son mari. En 1792, elle est en Allemagne et entretient une correspondance avec Jean-Paul Richter. En Suisse, en 1796, elle fréquente Mme de Montolieu, Mme de Staël, Benjamin Constant, Joseph de Maistre. Elle écrit Alexis, dilemme d’un soldat russe pris entre l’honneur et les devoirs familiaux, puis Élisa ou l’Éducation d’une jeune fille, empreint des enseignements mystiques de sa mère, et La Cabane des lataniers, pastorale influencée par Bernardin de Saint-Pierre. En 1802, année de la mort de son mari, elle séjourne à Paris, où Chateaubriand préface ses Pensées et Maximes dans le Mercure de France. En 1803, elle publie son fameux roman épistolaire autobiographique, Valérie, histoire de la passion malheureuse de Gustave pour la jeune Valérie. De retour à Riga en 1804, elle traverse une crise mystique qui la pousse vers les Frères moraves et le piétisme. Ses œuvres ultérieures restent inédites (Othilde, Gens du monde). Elle repart pour l’Europe, où elle rencontre des auteurs mystiques, le poète Zacharias Werner et l’écrivain Jung-Stilling, ainsi que des « prophètes ». Elle prend soin des pauvres, prêche la venue du Christ et tente de convertir à sa cause des puissants, comme le tsar Alexandre Ier, qui tombe sous son influence. En 1818, elle est de retour en Livonie, puis à Saint-Pétersbourg (1821), où elle fréquente les cercles mystiques russes. Son soutien à l’insurrection grecque lui attire l’inimitié d’Alexandre Ier. Après un séjour en Livonie, elle part pour la Crimée, pour se soigner ou pour y créer une colonie chrétienne, où elle meurt.
Laure THIBONNIER-LIMPEK
■ DERRÉ J.-R. (éd.), Écrits intimes et prophétiques de Mme de Krüdener, Paris, CNRS, 1975 ; MERCIER M., LEY F., GRETCHANAÏA E. (éd.), Autour de Valérie, œuvres de Mme de Krüdener, Paris, H. Champion, 2007.
■ LEY F., Madame de Krüdener et son temps, 1764-1824, Paris, Plon, 1961 ; ID., Madame de Krüdener, 1764-1824, romantisme et Sainte-Alliance, Paris, H. Champion, 1994.
KRUGER, Barbara [NEWARK 1945]
Plasticienne américaine.
Issue d’une famille de la classe moyenne du New Jersey, Barbara Kruger reçoit à partir de 1965 une formation à la Parsons School of Design à New York, où elle est influencée par les photographies de Diane Arbus* et par Marvin Israel, graphiste de la revue Harper’s Bazaar. Elle travaille dans une agence de publicité, puis, pendant six années, pour le magazine de mode new-yorkais Mademoiselle, dirigé par Condé Nast (qui publie aussi Vogue). Elle y apprend les protocoles de construction des images destinées à la communication de masse et, notamment, à opérer les cadrages permettant le meilleur impact visuel – technique de saisie des regards, qu’elle réutilise ensuite dans ses premières pièces comme artiste en 1969. Sur de larges bannières, elle agrandit des images publicitaires issues de magazines et leur adjoint un slogan explicitement dirigé vers le public, qui questionne l’autorité, blanche et masculine, et les stéréotypes véhiculés par les médias. Ses photomontages, limités à trois couleurs (rouge, noir et blanc), évoquent l’agit-prop révolutionnaire ou les collages de John Heartfield, de Raoul Hausmann et de Hannah Höch*. En 1979 a lieu sa première exposition marquante au centre d’art contemporain P.S. 1 (New York). Ses collages soulignent certains rapports sémantiques internes à l’image, grâce à des messages politiques au visuel caractéristique. L’agressivité des couleurs et des mises en pages renforce la brutalité des codes visuels, qui évoquent les stratégies de surveillance de nos sociétés. Depuis les années 1980, les séries de l’artiste, qui combinent plus étroitement mots et images, abordent les thèmes de la violence, du pouvoir ou de la sexualité, véhiculés par les médias. Détournant le discours conservateur des années Reagan – celles de la réalisation de ces œuvres –, des montages utilisent des photographies des années 1940 et 1950 pour aborder la question douloureuse du sida et réaffirmer les droits à la contraception et à l’avortement. Son slogan « Your body is a battleground » (« votre corps est un champ de bataille ») prend le contre-pied des campagnes anti-avortement qui ont lieu aux États-Unis. Réalisées sous l’influence des théoriciens français contemporains, dont l’artiste découvre les écrits par l’intermédiaire de la revue de cinéma Screen, d’autres œuvres traitent de la civilisation de la consommation et de ses signes. Elles empruntent leurs moyens de diffusion à la publicité : espaces publics et institutionnels, panneaux lumineux, installations murales, objets, livres, sacs de courses. En 1987, sa formule « I shop therefore I am » (« je fais les magasins donc je suis ») ironise sur l’idéologie dominante. En 1996, elle utilise les espaces publicitaires des bus new-yorkais pour interpeller les passants avec un énorme œil animé et l’injonction « Don’t be a jerk » (« ne sois pas un abruti »). Quelques années plus tard, elle inclut le son et réalise des films qui jouent sur les distorsions entre images et sens. En 2004, l’installation Twelve (« douze ») retransmet sur plusieurs écrans les captations visuelles de conversations entre des personnes qui évoquent leurs relations (rapports familiaux, relations de couple ou autres), soulignant précisément les « chorégraphies » de ces échanges.
Fabienne DUMONT
■ Love for Sale : The Words and Pictures of Barbara Kruger (1990), New York, H. N. Abrams, 1996 ; Thinking of You (catalogue d’exposition), Los Angeles/Cambridge/Londres, The Museum of Contemporary Art/The MIT Press, 1999 ; Twelve (catalogue d’exposition), Glasgow, Tramway, 2005 ; Barbara Kruger : Desire Exists Where Pleasure Is Absent (catalogue d’exposition), Bielefeld, Kerber, 2006.
KRULL, Germaine [WILDA-POZNAŃ, ALLEMAGNE, AUJ. POLOGNE 1897 - WETZLAR, ALLEMAGNE 1985]
Photographe allemande naturalisée française.
Considérée en France comme la représentante de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité), mouvement réaliste allemand qui introduit les motifs géométriques en photographie, Germaine Krull reste connue comme la dame de Métal, du nom d’une de ses prestigieuses séries. Née de parents allemands, elle connaît une jeunesse mouvementée : expulsée de Munich en 1918 pour activités révolutionnaires, elle s’installe à Berlin et se spécialise dans le portrait. Bien intégrée à la vie artistique berlinoise, elle publie dans des revues littéraires, photographie des bâtiments et des rails sous des angles nouveaux qui mettent l’accent sur la géométrie de la ville. À partir de 1921, elle séjourne aux Pays-Bas où, en 1924-1925, elle prend pour sujet, avec son futur mari, le cinéaste Joris Ivens, des architectures industrielles. En 1926, elle arrive à Paris, se lie avec le milieu artistique parisien, travaille dans la mode avec Sonia Delaunay*, et dans la photographie publicitaire et industrielle pour Peugeot et Shell. Avec l’aide de Robert Delaunay, elle expose au Salon d’automne sa série Métal : ponts hollandais, tour Eiffel en contre-plongée et images d’automobiles. Sous le même titre, les 64 planches sont publiées chez Calavas en 1927. Malgré la qualité médiocre de l’impression, Métal est un succès et apparaît comme le manifeste d’une nouvelle vision. Ces photographies renversées, qui montrent par leurs cadrages insolites jeux de masse, détails abstraits et motifs géométriques, constituent un « manifeste du regard moderne », selon Christian Bouqueret, et symbolisent la nouvelle conscience esthétique de la beauté industrielle. À la même époque, ses photographies de nu avec la jeune modèle Assia montrent des fragments de corps qui touchent à l’abstraction (1930). Dès la fin des années 1920, elle connaît le succès, et Walter Benjamin lui fait une place dans sa Petite histoire de la photographie (1931). Elle apparaît alors comme le chef de file de la Nouvelle Vision, mouvement qui conçoit la photographie comme la possibilité technique et artistique d’un nouveau regard sur le monde. Le portrait du cinéaste Sergueï Eisenstein (1930) est emblématique de ce style : cadrage serré, éclairage en contre-plongée et théâtralité. En 1928, elle expose au premier Salon des indépendants de la photographie, dit Salon de l’escalier, à Paris ; en 1929 à Film und Foto à Stuttgart ; puis à Munich et à Bruxelles. Elle fréquente Berenice Abbott*, André Kertész ou Man Ray, et travaille en étroite collaboration avec Eli Lotar, avec qui elle réalise des photomontages et échange des négatifs. À la même époque, elle travaille pour les magazines illustrés (Vu, Voilà, Détective, Jazz), qui connaissent alors leur âge d’or. Elle réalise des séries sur des sujets aussi divers que les quais de la Seine, la révolution en Espagne ou les danses javanaises. Sa préférence va au Paris de Francis Carco et de Pierre Mac Orlan, un Paris marginal et populaire : elle photographie la zone et signe un reportage sur les clochards. Elle participe aussi à une série de livres sur la capitale (Paris de Mario von Bucovich, 1928 ; 100 x Paris, 1929). En 1931, la publication à la NRF, dans la collection « Photographes nouveaux », d’une monographie intitulée Germaine Krull, dont les textes sont signés par Pierre Mac Orlan, est « une véritable consécration » pour elle, selon C. Bouqueret. Elle voyage ensuite en Europe et s’installe dans le Midi de la France, où elle effectue des reportages locaux. En 1940, militante discrète et amie d’André Malraux, elle émigre aux États-Unis puis au Brésil, et entre dans la Résistance : elle dirige le service photographique de la France libre et photographie le général De Gaulle à Alger. Après 1945, elle devient correspondante de guerre en Allemagne, en Italie et en Indochine, pour divers journaux et magazines illustrés. Elle part ensuite en Thaïlande puis en Inde, et ne reviendra en Allemagne que pour y mourir. Grâce à A. Malraux, une rétrospective de son travail est présentée à la Cinémathèque française en 1967, et quelques-unes de ses photographies sont exposées à la Documenta VI de Kassel en 1977. De son vivant, elle ne connaît pas la pleine consécration en tant que photographe, probablement à cause de la perte de ses négatifs anciens, récemment retrouvés, et de la dispersion de sa production dans l’entre-deux-guerres. Mais, internationalement reconnue pour ses engagements et sa personnalité, elle a influencé des générations entières de photographes.
Anne REVERSEAU
■ Métal, Paris, Librairie des arts décoratifs/Calavas, 1927 ; Germaine Krull, photographies, 1924-1936 (catalogue d’exposition), Bouqueret C. (dir.), Arles, musée Réattu, 1988.
KRUSENSTJERNA, Agnes VON [VÄXJÖ 1894 - STOCKHOLM 1940]
Écrivaine suédoise.
De famille noble mais sans fortune, Agnes von Krusenstjerna commence à écrire après des épisodes psychotiques. Dans un récit en trois volets, elle raconte la vie d’une jeune fille, Tony, qui essaie de se libérer de l’influence de sa famille en même temps qu’elle reste continuellement plongée dans des rêves. Tonys sista läroår (« les dernières années de l’apprentissage de Tony ») contient des descriptions très naturalistes de l’hôpital qui signalent son talent. En 1921, elle épouse David Sprengel, journaliste et traducteur, plus âgé qu’elle et formé par la littérature italienne et française qu’il traduit. Il encourage sans doute ses descriptions crues de la réalité hospitalière, choquantes à l’époque. Dans les romans ultérieurs de l’écrivaine, il ajoute des remarques satiriques et des allusions à la noblesse dépravée. Dans ses romans-fleuves des années 1930, l’écrivaine se plaît à mêler ancienne noblesse de Suède et de la région baltique, bourgeoisie juive et Tsiganes. Si les races se croisent, chacune garde toutefois son identité. L’homme et la femme restent seuls avec leurs angoisses, et la sensualité montre son revers, symbolisée par un chat méchant, un nain, une maison qui croule. La maternité devient un cauchemar. Dans le cycle romanesque des Demoiselles von Pahlen, publié en sept volumes de 1930 à 1935, une des protagonistes devient mère accidentellement, et, refusant la maternité, trouve l’amour auprès d’une autre femme. Alors que l’homosexualité masculine suscite l’aversion, les femmes homosexuelles sont présentées comme des fleurs qui se protègent. L’œuvre suscite une vive querelle littéraire et certains ont voulu voir en elle l’expression d’un art dégénéré. Dans cette polémique, l’auteure a reçu le soutien de personnalités de premier plan comme Karin Boye*. La dernière partie du cycle, où D. Sprengel a fait beaucoup d’ajouts, est la plus critiquée. Le dernier cycle romanesque de l’écrivaine, intitulé Fattigadel (« la noblesse pauvre »), est publié en quatre volumes entre 1935 et 1938. D. Sprengel n’y fait cette fois aucun ajout. D’abord accueillie fraîchement, cette somme littéraire est finalement considérée comme un chef-d’œuvre. La réalisatrice suédoise Mai Zetterling* a consacré un film à la vie de A. von Krusenstjerna : Amorosa (1986).
Sigbrit SWAHN
■ Les Demoiselles von Pahlen, La Route des femmes, t. 1, Paris, Gallimard, 1940.
■ MAURY L., Une romancière à la recherche du temps perdu, Paris, Mercure de France, 1952.
KRYSINSKA, Marie [VARSOVIE 1857 - PARIS 1908]
Poétesse et musicienne française.
Marie Krysinska, arrivée de Varsovie à Paris à 16 ans, est membre actif des cercles littéraires et artistiques des Hirsutes, Jemenfoutistes et Zutistes, et des Hydropathes, jusqu’à l’ouverture du cabaret du Chat noir, où elle intervient comme pianiste. À partir de 1882, elle publie des poèmes, y compris ses premières compositions en vers libres, dans de nombreuses revues littéraires. Malgré l’intérêt suscité par le recours au vers libre (poèmes de Rimbaud, Kahn et d’autres publiés notamment dans La Vogue, 1886), ses poèmes sont ignorés. Elle se prévaut de l’invention du vers libre jusqu’à sa mort, tout en continuant d’écrire abondamment. Son œuvre poétique est parfois très novatrice, et ses romans et nouvelles offrent des esquisses de mœurs typiques de l’époque. Ses articles critiques, en particulier ses études sur la poésie, révèlent une poétesse acharnée à défendre sa légitimité et à obtenir sa part de reconnaissance dans l’histoire littéraire française.
Seth WHIDDEN
■ Rythmes pittoresques (1890), Whidden S. (dir.), Exeter, Exeter University Press, 2003 ; Joies errantes, Nouveaux Rythmes pittoresques, Paris, Lemerre, 1894 ; La Force du désir, Paris, Messein/Société du Mercure de France, 1905.
■ GOULESQUE F. R. J., Une femme poète symboliste, Marie Krysinska, la Calliope du Chat noir, Paris, H. Champion, 2001.
KRYSTUFEK, Elke [VIENNE 1970]
Performeuse et artiste multimédia autrichienne.
En 1988, Elke Krystufek entre à l’Academy of Fine Arts de Vienne, où elle sera fortement marquée par le travail d’Arnulf Rainer, l’un des pionniers de l’actionnisme viennois. Ce mouvement artistique propre aux années 1960-1970, dont font partie Hermann Nitsch et Otto Muehl, fait de la performance un véritable instrument politique de libération du corps. En réaction au traumatisme psychologique causé par la Seconde Guerre mondiale, ses membres renouent avec la tradition expressionniste, mais sous des formes beaucoup plus violentes et radicales. S’inspirant de rituels collectifs archaïques païens et de la philosophie nietzschéenne, leur démarche vise à la fois une émancipation de l’être et l’utopie d’une reconstruction idéale de la société. Appartenant à une génération fascinée par le séisme idéologique que provoque ce courant en Autriche, elle s’en affirme rapidement l’héritière et profite de l’onde de choc produite par la violente impulsion initiée par ces artistes. Elle procède de la même virulence, du même sens de la transgression, de la même radicalité pour questionner sa propre identité, et, par là même, ce que l’on pourrait appeler sa « féminitude ». Sa vie et l’histoire de son corps constituent la matière à partir de laquelle elle va construire son œuvre et multiplier les actions les plus subversives. En 1994, à la Kunsthalle de Vienne, elle réalise Satisfaction, une installation : à travers une vitre, le spectateur voit une salle de bains reconstituée, où E. Krystufek se masturbe en utilisant de multiples accessoires érotiques ; par ce geste provocateur, elle va au plus loin de l’expression de l’intime, à la lisière d’un exhibitionnisme assumé, qui place obligatoirement l’observateur dans une situation de voyeur. Cette revendication hédoniste, expérimentée en public, s’apparente tout autant à la quête et à l’introspection la plus ultime de soi qu’à une volonté de légitimation du plaisir féminin. Dans Weckrage (1995), une vidéo présentée lors de l’exposition Présumés innocents en 2000 au CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux, elle filme une séance d’épilation de son propre sexe ; le dispositif met en place une proximité, à la limite de la gêne. L’artiste met le spectateur en face de la violence et de la souffrance d’une « torture volontaire », que s’impose régulièrement la femme pour répondre aux canons de beauté exigés par la société consumériste. Cette pièce, qui provoque un retentissement profond chez le public, fait parfois l’objet de réactions violentes. E. Krystufek interroge le féminin, la perpétuation du plaisir à travers les âges et les mutations du corps. Dans ses collages, ses peintures, ses vidéos, elle se met en scène à travers différentes étapes de sa vie : en 1999, Love by Memory (Peace) est une photographie dans laquelle elle se voit en jeune adolescente, à la veille d’une sexualité naissante, mais encore fortement tributaire de sa part d’enfance ; dans ses nombreux autoportraits, l’image de soi adulte passe par des représentations, où sexe et visage se confondent, comme dans Size Does Not Matter, Age Does Matter (« la taille importe peu, l’âge importe », 2006) – l’artiste y écarte une « bouche-vulve », à la fois signe et affirmation de sa féminité et stigmate de toutes ses blessures. En 2009, elle représente l’Autriche à la Biennale de Venise. Intitulée Tabou Taboo, son installation se déploie sur deux espaces, incluant peintures, dessins, inscriptions à même les murs et vidéo. S’éloignant de la série d’autoportraits réalisée précédemment, elle reproduit des photographies d’un homme nu, qu’elle avait prises préalablement, selon des critères de genre bien établis. Immergé dans cet univers, le spectateur se trouve confronté à un renversement de l’histoire de l’art, façonnée généralement par le regard masculin sur des modèles de nus féminins. E. Krystufek questionne les genres, les mœurs, et renverse les valeurs établies par les règles de la société patriarcale. « Je me vois comme une pornographe sociale et comme une artiste au cœur et partie prenante du système. Mes travaux sont toujours très fortement orientés par l’histoire de l’art et la sexualité m’intéresse en tant que phénomène social ou asocial. » (Sex in the City, 2003)
Claire BICKERT
■ Migrateurs (catalogue d’exposition), Paris, Arc-Mam, 1994 ; I Am Your Mirror (catalogue d’exposition), Rhomberg K. (dir.), Vienne, Secession, 1997 ; I Am Dreaming My Dreams with You (catalogue d’exposition), Malasauskas R., Valatkevicius J. (textes), Vilnius, Šiuolaikinio meno centras, 1999 ; Nobody Has to Know (catalogue d’exposition), Francfort, Portikus, 2000.
KUBILAY, Mukkadès [1955]
Femme politique turque d’origine kurde.
Mukkadès Kubilay est élue maire de Dogubayazit, ville située dans la partie kurde de la Turquie, pour la première fois en 1998. Le pays ne compte alors que 17 femmes à exercer ce mandat pour 3 216 mairies. Elle est connue pour son triple combat politique : la lutte féministe, l’engagement pour les droits du peuple kurde et l’activisme pour la paix entre Turcs et Kurdes. Ainsi, différents partenariats, dont celui noué avec son homologue italienne, maire d’Ancona, lui ont permis d’ouvrir une Maison des femmes officiant à la fois comme clinique, planning familial et centre d’alphabétisation. Elle a également permis l’implantation d’une coopérative de femmes artisanes sur sa commune. Son courage trouve une de ses plus fortes illustrations dans l’organisation depuis 2002 d’un festival annuel de la culture kurde à Dogubayazit, dans une Turquie où le simple usage de la langue kurde était encore peu auparavant puni par la loi. Mais confrontées à la désapprobation d’Ankara, les initiatives municipales de M. Kubilay rencontrent de lourdes difficultés financières dans une ville où le taux de chômage atteint 90 %, et qui est régulièrement dévastée par les conflits entre le PKK, principale formation politique kurde, et l’armée turque.
Lydie FOURNIER
■ « Kurdistan, “Le pouvoir central refuse tout projet de développement” », in L’Humanité, 28-6-2003.
KÜBLER-ROSS, Elisabeth [ZURICH 1926 - SCOTTSDALE, ARIZONA 2004]
Médecin psychiatre américano-suisse.
L’expérience de la mort à laquelle Elisabeth Kübler-Ross est très tôt confrontée, son travail comme volontaire à l’âge de 13 ans auprès des victimes polonaises de la Seconde Guerre mondiale et, en 1945, ses séjours en France, en Pologne et en Italie la décident en 1951 à entreprendre des études de médecine. Elle est pionnière dans le domaine des soins à apporter aux mourants. En 1957, elle obtient un doctorat de médecine à l’université de Zurich et part pour New York, avec son mari médecin américain. Après trois ans d’internat en psychiatrie au Manhattan State Hospital, elle passe un an au Montefiore Hospital, dans le Bronx. En 1962, elle travaille à l’école de médecine de l’université du Colorado à Denver et, en 1965, elle est assistant professor au Billings Hospital (université de Chicago). Constatant que le personnel soignant dans son ensemble n’aborde pas le sujet de la mort avec les patients et que les soins prodigués aux mourants sont plus qu’insuffisants, et étant par ailleurs sollicitée par des étudiants du Chicago Theological Seminary qui entreprennent une étude sur ce sujet, Elisabeth Kübler-Ross mène avec un chapelain de l’hôpital une enquête auprès de patients en fin de vie. À la suite de ces entretiens, elle identifie cinq stades que traversent les patients confrontés à la mort : le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. Ces phases sont le sujet de son premier livre, Les Derniers Instants de la vie (1969), qui devient un best-seller. Elle organise alors des séminaires et des conférences qui attirent un vaste public sur ce sujet tabou. Elle se consacre aux soins aux mourants et ouvre un centre de soins, Shanti Nilaya (« havre de paix ultime ») près d’Escondido en Californie. Elle renforce ainsi le mouvement « Hospice » aux États-Unis qui se consacre aux soins des mourants. De 1965 à 1967, elle est assistant manager du service psychiatrique au Billings Hospital et, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, elle devient consultante auprès du Rabida Children’s Hospital et du Chicago Lighthouse pour les aveugles. Dans les dernières années de sa vie, elle s’intéresse à des expériences controversées de médium, et à la possibilité de survie après la mort. E. Kübler-Ross a reçu de nombreuses récompenses. Elle fut choisie par Time Magazine parmi les 100 penseurs les plus influents du XXe siècle. Elle a également écrit une vingtaine de livres sur la question de la mort. Elle a été inscrite au National Women’s Hall of Fame en 2007 pour ses contributions au domaine scientifique.
Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON
■ Les Derniers Instants de la vie (On Death and Dying, New York, Macmillan, 1969), Genève, Labor et Fides, 1975 ; Le Sida, un défi à la société (AIDS, The Ultimate Challenge, New York, Macmillan, 1987), Paris, Inter Éditions, 1988 ; La Mort et l’Enfant (On Children and Death, New York, Macmillan, 1983), Monaco, Éditions du Rocher, 1994.
■ On Life After Death, Berkeley, The Celestial Arts, 1991.
KUBOTA, Shigeko [NIIGITA 1937]
Artiste multimédia et performeuse japonaise.
Shigeko Kubota étudie la sculpture à l’université de Tokyo, puis, après une brève expérience d’enseignante, devient une artiste multimédia reconnue sur la scène d’avant-garde tokyoïte, dans les années 1960. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Japon sort de son isolement artistique : à l’occasion d’un bref passage dans la capitale, Yôko Ono*, artiste éminente de la sphère new-yorkaise, introduit Fluxus et d’autres mouvements d’avant-garde américains dans son pays d’origine, tandis que John Cage y réalise, en 1962, une performance qui influencera durablement S. Kubota. Ainsi, des courants d’avant-garde japonais voient le jour, tels Gutaï et Jikan-ha. Le groupe Ongaku, dont elle fait partie, est un collectif qui s’investit dans le domaine de la performance, de la musique et des arts visuels – mélange tout à fait caractéristique de l’époque. Inspiré par Y. Ono et par l’artiste coréen Nam June Paik, alors résident à Tokyo, il envoie des propositions de happenings au pionnier de Fluxus, George Maciunas, qui lui conseille de venir à New York. La première exposition personnelle d’Ongaku se tient à la Naiqua Gallery à Tokyo en 1963 et n’entraîne aucune retombée critique. Réalisant que sa position de femme artiste expérimentale au Japon n’a pas d’avenir, en 1964, S. Kubota décide de partir à New York, où elle entre en contact immédiat avec les tenants les plus importants de Fluxus (dont elle héritera du titre de vice-présidente), comme le performeur G. Maciunas ou le réalisateur Jonas Mekas avec qui elle travaillera plus tard, notamment en tant que commissaire de l’Anthology Film Archives dont il est l’un des fondateurs. Elle devient aussi un lien essentiel entre les artistes américains et japonais. Parmi ses premières œuvres les plus célèbres figurent les Flux Napkins (1965), des serviettes en papier illustrant des parties de visage, et utilisées dans les dîners Fluxus, les Flux Pills (1966), pilules inventées à l’intention de G. Maciunas, souvent malade, et enfin Vagina Painting (1965), performance lors du Summer Perpetual Fluxus Festival, au cours de laquelle, à l’aide d’un large pinceau fixé entre ses jambes, la performeuse peint des traces rouges sur un papier blanc fixé sur la scène. À cette date, qui correspond au premier anniversaire de son arrivée aux États-Unis, elle affirme son indépendance d’artiste et de femme artiste, se démarquant clairement de ses origines japonaises. Ce n’est toutefois qu’à la fin des années 1960 que son parcours artistique se singularise, d’une part avec l’apparition de la première caméra vidéo portative, la Sony Portapak, qu’elle utilise aussitôt, d’autre part grâce à sa rencontre tardive avec Marcel Duchamp. Sa première œuvre vidéo, Video Chess (1972), tournée en Normandie sur le site de sa tombe, est un hommage au grand artiste dada. Si celui-ci est l’inspirateur de ce qu’elle nomme ses Video Sculptures, qui comptent, entre autres, Nude descending a Staircase (1976), premier film acquis par le Museum of Modern Art, N. J. Paik partage avec elle une proximité à la fois artistique et personnelle – ils se marient en 1977. Chacun participe au projet de l’autre, tout en respectant son individualité et en développant une collaboration modèle et égalitaire, comme il en existe peu dans le siècle, hormis Niki de Saint Phalle* et Jean Tinguely. Elle consacrera une exposition entière et un certain nombre d’œuvres à cette exceptionnelle expérience, My Life With Nam June Paik (2007). Dans les années 1980-1990, la nature et ses liens avec la technologie deviennent un sujet récurrent de ses sculptures vidéo, tandis que son intérêt pour la condition féminine et sa volonté de confirmer sa position de femme artiste, continuent d’être les moteurs de son travail : Jogging Lady (1993) prône l’exercice physique comme affirmation du pouvoir féminin ; plusieurs écrans y diffusent des images de marathoniennes, dont certaines se reflètent sur une sculpture métallique de corps féminin. S. Kubota fait partie d’une génération d’artistes japonaises (Yayoi Kusama*, Y. Ono, Takako Saito*, Mieko Shiomo*, Atsuko Tanaka*) qui ont profondément bouleversé aussi bien l’installation, la performance, la vidéo que les rapports de l’art avec la musique, dans les années 1960-1970. Artiste essentielle de la seconde moitié du siècle, elle est largement représentée dans les collections des musées américains ; récipiendaire de nombreux prix et bourses, elle a fait l’objet de plusieurs rétrospectives.
Camille MORINEAU
■ Video Sculpture (catalogue d’exposition), Jacob M. J. (dir.), New York/Bellevue, American Museum of the Moving Image/University of Washington Press, 1991 ; avec KUSAMA Y., ONO Y., SAITO T. et al., Dissonances (catalogue d’exposition), Milan, Mudina, 2008.
KUBO YOKO [NISHINOMIYA 1956]
Compositrice japonaise.
Diplômée de l’université de musique d’Osaka en 1981, boursière du gouvernement français, Kubo Yoko poursuit ses études en France de 1984 à 1987 à l’Ircam et à l’université de Paris I, où elle obtient en 1995 un doctorat en arts et sciences de l’art sous la direction de Iannis Xenakis. Elle est actuellement professeure, responsable de la section de composition et du troisième cycle à l’université de musique d’Osaka, et directrice de l’Institut de musique contemporaine Yoko Kubo. En 1983, elle obtient le premier prix au premier Concours franco-japonais de la jeune musique contemporaine. Elle donne de nombreux récitals, concerts et conférences en tant que compositrice et pianiste. Ses œuvres sont créées par des orchestres et des solistes de renommée japonaise et internationale. Parallèlement à son enseignement de la composition, du piano et de la musique de chambre au Japon, Kubo Yoko est invitée régulièrement en France pour des master-classes et des concerts au Conservatoire de Paris et au sein de plusieurs universités. Depuis 2005, elle est professeure invitée de l’université Paris-Sorbonne. Très impliquée dans l’enseignement de la musique contemporaine et sa diffusion à un plus large public, elle organise aussi régulièrement depuis 1990 des master-classes au Japon, animées par de grands solistes français, ainsi que des cycles de conférences et de concerts. Depuis sa thèse de doctorat intitulée Rapports des techniques de la composition musicale contemporaine et de l’art traditionnel japonais, elle s’implique dans une réflexion sur son travail de composition et sur les influences réciproques des cultures orientale et occidentale, dans la connaissance et la recherche de la musique traditionnelle de son pays. Dans ses dernières œuvres, elle incorpore les notions issues de l’art traditionnel du Japon dans une écriture contemporaine occidentale, et en fait le sujet de ses conférences. Son catalogue compte actuellement une centaine de pièces, couvrant un large éventail de formations : du piano solo au grand orchestre, en passant par les œuvres vocales et la musique de chambre.
CHEN HUI-MEI
KUČEROVÁ-ZÁVESKÁ, Hana [PRAGUE 1904 - STOCKHOLM 1944]
Architecte et décoratrice d’intérieur tchèque.
Après l’obtention de son diplôme à l’École des arts décoratifs de Prague en 1927, Hana Kučerová-Záveská a travaillé comme architecte, architecte d’intérieur et designer à Prague. Bien qu’elle ne soit parvenue à exécuter qu’un petit nombre de ses projets, elle fait partie des architectes fonctionnalistes tchèques les plus appréciés en matière de logement familial. Par la composition raffinée de leurs façades et leur plan ouvert, la villa de Karel Balling (1931-1932) et la vaste demeure de Václav et Antonie Suk (1932), toutes deux situées dans la colonie modèle de logements familiaux du Syndicat tchécoslovaque de l’artisanat à Baba, sont proches du purisme, un mouvement initié par Le Corbusier et Amédée Ozenfant. Concentrant son travail sur le logement familial, et considérant que la rationalisation de la sphère domestique, selon les principes du fonctionnalisme et du taylorisme, était la tâche principale des femmes architectes, H. Kučerová-Záveská s’est attachée non seulement à rationaliser les plans des cuisines, mais aussi à dessiner des chambres d’enfants en réfléchissant à leur échelle et à leur composition colorée. Faible coût, structures légères, utilisation sensible des matériaux et des couleurs caractérisent la création de ses meubles. Membre de l’association des designers et architectes du Syndicat tchécoslovaque de l’artisanat, elle a popularisé le logement moderne dans les années 1920 et 1930. Elle est l’auteure des intérieurs modèles de la maison du syndicat, présentés à l’Exposition de culture contemporaine de Brno (1928). Elle est également co-auteure de l’anthologie Byt : Sborník Svazučeskoslovenskéhodíla (« appartement », 1934) et a écrit de nombreux articles sur l’art de vivre dans des magazines grand public. En 1937, elle s’est installée en Suède. À partir de 1939, elle a collaboré avec l’architecte Ingeborg Wærn-Bugge* à des projets d’architecture intérieure, de cuisines individuelles ou encore de cuisines de grande capacité, voire de cuisines scolaires.
Hubert GUZIK
■ MACHONIN J. (dir.), Povolání, architekt[ka]/Profession : [Woman] Architect, Prague, Kruh, 2003 ; PFEJFEROVÁ H., Hana Kučerová-Záveská, žena-architekt v meziválečné avantgardě (thèse de maîtrise), Prague, Univerzita Karlova, 2005 ; TEMPEL S., Baba : the Werkbund Housing Estate Prague, 1932/Die Werkbundsiedlung Prag, 1932, Bale-Boston-Berlin, Birkhäuser, 1999.
KUÇURADI, Ioanna [ISTANBUL 1936]
Philosophe turque.
Professeure titulaire de la chaire de philosophie de l’université de Maltepe à Istanbul, Ioanna Kuçuradi soutient sa thèse en 1965, et dirige, à partir de 1969, le nouveau département de philosophie de l’université Hacettepe d’Ankara, avant de rejoindre l’université de Maltepe en 2006. Poursuivant dans la lignée du philosophe et académicien Takiyettin Mengüşoğlu (1905-1984) et de son « anthropologie ontologique », sur laquelle elle s’appuie pour fonder sa philosophie de l’homme et des valeurs, sa pensée influence durablement le paysage philosophique. Connue pour avoir contribué à la reconnaissance de la philosophie comme discipline, elle a participé à la création, en 1974, de la Société philosophique turque, qu’elle préside depuis 1979. Elle mène une réflexion approfondie sur les droits humains, qui se traduit par la création en 1997 du Centre de recherches et d’application pour la philosophie et les droits humains de l’université d’Hacettepe, qu’elle dirige jusqu’en 2005. Lauréate en 2000 de l’Académie turque des sciences et titulaire de chaires dans plusieurs universités du pays, elle jouit d’une renommée internationale : docteur honoris causa des universités de Crète et de Lima, lauréate de la médaille Goethe en 1996, elle est titulaire d’une chaire de philosophie à l’Unesco depuis 1998, et première femme présidente de la Fédération internationale des sociétés de philosophie (1998-2003). Elle organise en 2003 à Istanbul le XXIe Congrès mondial de philosophie. Il existe, selon elle, un rapport intrinsèque entre pensée philosophique et investissement politique, la philosophie fonctionnant comme vecteur éthique d’un humanisme sociopolitique. Les nombreuses distinctions qui lui sont attribuées – notamment le prix pour la Liberté de la presse de l’Association turque des journalistes en 1999 et la mention d’honneur du prix Unesco de l’éducation aux droits humains en 2002 – témoignent de son engagement pour la défense de ces droits, et tout particulièrement ceux des femmes en Turquie. Elle a publié des ouvrages sur Nietzsche (1966) et sur Schopenhauer (1967). Sa réflexion porte aussi sur « l’homme et ses valeurs » (1971), sur l’éthique (1977), et sur son époque (1980).
Dilek SARMIS
KUFFLER, Eugénie [BALTIMORE, MARYLAND 1949]
Compositrice franco-américaine.
Eugénie Kuffler étudie d’abord la théorie musicale et la danse moderne au Peabody Conservatory de Baltimore. Elle se perfectionne dans cette discipline au New England Conservatory, à Boston, où elle commence aussi l’étude de la flûte. En 1967, elle part à Paris où sa formation se poursuit dans plusieurs directions. Elle travaille l’écriture et la composition avec Nadia Boulanger*, Max Deutsch et aussi Henri Dutilleux. Au Conservatoire de Paris, elle est l’élève en flûte de Gaston Crunelle avant d’être celle d’Alain Marion. Intéressée par l’électroacoustique, elle suit le stage du Groupe de recherches musicales (GRM) avant d’intégrer le GERM (Groupe d’études et de réalisation musicales), collectif de compositeurs interprètes. Sa formation pluridisciplinaire a fait d’elle une créatrice susceptible de s’exprimer de multiples façons. Depuis 1968 elle compose, et souvent sur ses propres textes, The Ballad of Cormac ou, en 1981, Terrain vague pour flûte, voix, piano, cor et violoncelle ; elle destine plusieurs œuvres à la flûte, dont Pièces détachées pour flûte (1973), L’Hirondelle (1982) et L’Épervier (1987). Toutefois E. Kuffler aborde plusieurs autres formes de langages. Elle a collaboré avec Philippe Drogoz pour la bande son du film Un homme qui dort (Georges Perec, Bernard Queysanne, 1974), a travaillé pour l’Atelier de création radiophonique de France Culture et n’hésite pas à mêler la gestique en direct à ses performances solos. À partir de 1992, elle reprend des cours de chant et de danse de différents styles, dont la danse afro-cubaine. Elle se produit dès 2000 dans les manifestations « Ethno Poésie Cuba » qu’elle a initiées, notamment au Festival international de la poésie à Santiago de Cuba. Elle propose aussi trois créations sous forme de récitals pour le théâtre – La Crête, Lasocho luces et L’Errante –, conçues sur le thème de la diaspora juive. La curiosité d’esprit d’E. Kuffler ainsi que son aisance à assimiler cultures et techniques permettent à cette musicienne inventive de suivre un parcours non conventionnel dans lequel elle s’affirme autant comme interprète que comme créatrice.
Pierrette GERMAIN
KUHLEFELT-EKELUND, Eva [LOVIISA 1892 - HELSINKI 1984]
Architecte finlandaise.
Après un diplôme d’architecture obtenu à l’Université de technologie d’Helsinki en 1916, Eva Kuhlefelt-Ekelund a travaillé entre 1919 et 1921 comme boursière de l’État en Suède où elle a cartographié plusieurs jardins de châteaux. Ses dessins ont été publiés dans la revue Svenska Trädgårdskonsten (« l’art des jardins suédois ») en 1930. Le monument aux morts de Loviisa est le premier projet qu’elle réalise. Après son mariage avec Hilding Ekelund, le couple ouvre une agence à Helsinki. Leur intérêt pour l’architecture antique les mène à faire plusieurs voyages à l’étranger, notamment en France et en Italie. E. Kuhlefelt-Ekelund a remporté le concours lancé pour la construction de l’école Privata Svenska Flickskolan, dont elle a dessiné en partie le mobilier. Achevée en 1929, l’école est composée sur les principes du classicisme nordique. Sa carrière lancée par ce succès, elle eut par la suite de nombreuses commandes pour des maisons de retraite, une crèche, des villas et maisons individuelles, un château, une chapelle ainsi que pour du mobilier. Elle a également apporté sa contribution à des projets de pavillons témoins. Entre 1936 et 1966, elle a participé aux travaux de l’agence BF, Bostadsförening för svensk Finland, dont l’objectif était d’améliorer les conditions d’habitation à la campagne. Entre 1932 et 1933, en collaboration avec Elsi Borg*, elle a également élaboré les premiers dessins d’aménagement de cuisines témoins.
Anna AUTIO
■ HELENIUS M., POLLOCK E., VEPSÄLÄINEN K. (dir.), Arkkitehteja – Architects, Helsinki, Architecta, 1982.
■ PACKALEN E., « Småhus typhus skolhus », in Astra, oct. 1982.
KUHLER, Ingeborg [DACHAU 1943]
Architecte allemande.
Ancienne étudiante de l’École technique de Krefeld (WKS), Ingeborg Kuhler a travaillé de 1968 à 1971 dans l’agence de Wolfgang Rathke, à Wuppertal, puis de 1971 à 1974 dans celle de Dieter et Ulrike Kälberer, à Munich. Partie à Berlin poursuivre ses études, elle continua d’avoir une activité professionnelle comme conseillère à l’Institut pour la construction des hôpitaux et comme collaboratrice au sein de l’agence Ludwig Leo et Tönies + Schröter. En 1977, elle passa son diplôme et ouvrit sa propre agence. En avril 1978, chargée d’enseignement et de recherche à la faculté d’architecture de l’université de Berlin (TU), elle participa, avec l’architecte-paysagiste Dirk Jürgen Zilling, à des concours et fut primée à plusieurs reprises. En 1983, ils remportèrent le concours fédéral pour le musée régional de la Technique et du Travail et les studios radiophoniques de la Süddeutscher Rundfunk de Mannheim. La réalisation de ces deux projets, dont les volumes étaient respectivement de 140 000 et de 30 000 mètres cubes, exigea l’extension de l’agence et la création d’une succursale à Mannheim en 1985. L’édifice est d’une modernité classique et dans la composition de ses espaces, dotés de rampes et d’obliques qui rompent les angles droits dominants, il offre la forme idéale d’un « musée au travail ». Le bâtiment affiche des références à Le Corbusier et à Alvar Aalto. Il a été célébré par la critique comme une importante contribution à l’architecture contemporaine et récompensé en 1990 par l’Union des architectes allemands (BDA) et en 1992 par le Prix européen du musée (Emya). Parallèlement, I. Kuhler a mené une carrière d’enseignante. Première femme professeure en architecture en RFA, à l’École supérieure des beaux-arts de Berlin, elle s’est principalement consacrée à l’enseignement, tout en participant aux concours sur invitation pour le centre sportif de Berlin-Wilmersdorf (1987), la médiathèque de Krefeld (1988), le centre des services de Francfort-sur-le-Main (1989), la Potsdamer Platz à Berlin-Mitte (1991) et l’installation muséale Topographie de la terreur, à Berlin-Kreuzberg (1992-1993). Depuis 1992, ses activités se sont diversifiées. Elle a livré des comptes-rendus illustrés de voyage dans des publications japonaises puis a été présidente et vice-présidente du Comité d’aménagement de la ville de Salzbourg (1994-1997). Elle a construit, à Berlin-Kladow, une maison pour un couple dont la passion commune était une immense bibliothèque, créant une habitation originale, sur mesure, insérée dans un terrain à forte déclivité (1999-2001). Membre des principales organisations professionnelles (Uifa, BDA, Werkbund), elle mit fin en 2008 à sa carrière d’enseignante et devint professeur émérite. Ses œuvres ont été exposées à Berlin.
Christiane BORGELT
■ DIETRICH V., Architektinnen. Ideen, Projekte, Bauten, Stuttgart, Kohlhammer, 1986.
■ JÄGER F., « Bücher bis zur Saunatür », in Der Tagesspiegel, 26-4-2003 ; MAYER-LIST I., « Ingeborg Kuhler, Ist es nicht zum Verzweifeln ? », in Die Zeit, 28-6-1991 ; MÖNNINGER M., « Tempel für die menschliche Arbeit », in Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), 28-9-1990 ; RUMPF P., « Leben mit Büchern », in Bauwelt, 27-28, 2003.
KUHN, Annette [BERLIN 1934]
Historienne allemande.
Issue d’une famille d’origine juive convertie au protestantisme, Annette Kuhn doit émigrer avec sa famille aux États-Unis. Elle revient en Allemagne (RFA) en 1948. Après des études d’histoire, de lettres et de philosophie à Munich et au Connecticut College, elle soutient en 1959 une thèse de doctorat sur Friedrich Schlegel et en 1965 une thèse d’habilitation sur l’Église et le socialisme au début du XIXe siècle. Nommée professeure de didactique de l’histoire en 1966 à l’université de Bonn, elle est une des premières historiennes des femmes en Allemagne. Après des travaux plutôt traditionnels en histoire politique, elle s’oriente de plus en plus vers l’histoire des femmes à travers les âges et publie de nombreux recueils de documents, notamment sur le travail des femmes sous le nazisme. Sa grande « chronique des femmes » (1992) est suivie d’une autobiographie intitulée Ich trage einen goldenen Stern (« je porte une étoile jaune », 2003) et, en 2010, de l’ouvrage programmatique Historia, Frauengeschichte in der Spirale der Zeit (« histoire des femmes dans la spirale du temps ») dans lequel elle développe sa conception de l’histoire des femmes en « sept spirales » allant du matriarcat de la préhistoire au monde « unifié » du présent. Afin d’encourager la recherche en histoire des femmes, elle fonde en 1999 la Annette-Kuhn-Stiftung qui publie la revue Spirale der Zeit – Spiral of Time et prépare la création d’une « Maison de l’histoire des femmes » à Bonn.
Peter SCHÖTTLER
KUIĆ, Gordana [BELGRADE 1942]
Romancière serbe.
Après des études de littérature anglaise à la faculté de philologie, puis de langue à New York, Gordana Kuić a travaillé en tant que linguiste au sein d’institutions comme l’ambassade des États-Unis à Belgrade ou à la Fondation Soros, à New York. Elle est auteure de deux trilogies romanesques. La première se compose des textes Parfum de pluie sur les Balkans, roman séfarade (1986), Cvat lipe na Balkanu (« floraison du tilleul dans les Balkans », 1991) et Smiraj dana na Balkanu (« coucher du jour dans les Balkans », 1995). La deuxième trilogie est constituée par Legenda o Luni Levi (« légende de Luna Levy », 1999), Bajka o Benjaminu Baruhu (« conte de Benjamin Baruch », 2002) et Balada o Bohoreti (« ballade de Bohoreta », 2007), le surnom donné aux filles premières nées chez les Séfarades. Son septième roman, Duhovi nad Balkanom (« esprits au-dessus des Balkans », 1997), est une œuvre charnière à la fois dans la chronologie du corpus et dans sa cohérence interne. Ses œuvres ont donné lieu à de multiples adaptations à la télévision, au théâtre et au cinéma, et ont été récompensées par de nombreux prix littéraires. Certains de ses romans ont été publiés en anglais et en français. Son premier triptyque raconte l’histoire des juifs séfarades de Bosnie, de Serbie et plus largement des Balkans à travers le XXe siècle, et s’achève avec les guerres yougoslaves des années 1990. À l’intérieur de ce cadre global, la romancière a également abordé d’autres sujets comme la disparition de la classe moyenne après la Seconde Guerre mondiale et l’instauration du régime communiste. Renouant avec certains personnages et intrigues du premier triptyque, sa deuxième trilogie insiste sur le thème de l’errance et du dialogue entre religions. Elle y stigmatise les égarements doctrinaux inhérents à l’histoire européenne et l’idée de la pureté de sang. La simplicité de son écriture, son goût du romanesque et sa maîtrise du portrait psychologique et social ont contribué à son succès.
Robert RAKOCEVIC
■ Parfum de pluie sur les Balkans, roman séfarade (Miris kiše na Balkanu, 1986), Lausanne, L’Âge d’homme, 2000.
■ PALAVESTRA P., Jevrejski pisci u srpskoj književnosti, Belgrade, Institut za književnost i umetnost, 1998.
■ GRGURIÉ I., « Precizno izbalansirana priča », in Građanski list, no 2378, 2007.
KUJŌ TAKEKO [KYOTO 1887 - TOKYO 1928]
Poétesse, éducatrice et chef du mouvement social bouddhiste.
Née dans une famille puissante, l’une des plus célèbres de la haute société, elle était la deuxième fille de Kōson Ōtani, 21e abbé de la secte bouddhiste Nishi-Honganji. La mère de Kujō Takeko, concubine de Kōson Ōtani, célèbre pour sa beauté et son talent, était surnommée « l’une des trois beautés de l’ère Taishō ». Kujō Takeko épouse en 1909 Yoshinune Kujō, jeune frère de l’impératrice Teimei, qui travaillait à la banque Syōkin Ginkō. Après son mariage, elle se rend à Londres avec lui. Elle y découvre les écoles, les hôpitaux et l’assistance sociale de Londres, ce qui déterminera son engagement ultérieur. De retour au Japon, où elle vit séparée de son mari, elle s’intéresse à l’éducation des femmes et s’efforce de mettre en place pour elles un enseignement secondaire basé sur l’esprit du bouddhisme, comme les écoles missionnaires chrétiennes le faisaient. Elle prêchait et encourageait les femmes, en tant que présidente de l’association des femmes bouddhistes, Bukkyo-Fujin kai. En 1910, le gouvernement accepte la création du lycée pour femmes Kyoto Kendo Jogakuin (lycée féminin de Kyoto). Kujō Takeko veut alors ouvrir une université pour les femmes, mais n’y est pas autorisée. Cette école s’appelle aujourd’hui Kyoto Joshi Gakuen et va de l’école maternelle à l’université. C’est un des établissements d’enseignement féminin les plus renommés de Kyoto. En 1923, voyant les dégâts et les souffrances causés par le tremblement de terre de Kantō, Kujō Takeko se consacre à l’aide et au soutien des sinistrés. Elle fait reconstruire le temple Tsukiji-Honganji et construire l’hôpital Asoka (mot sanskrit qui signifie « sans peine »). Pour elle, c’était une action de grâce rendue à Bouddha. Kujō Takeko avait appris le waka (poésie japonaise) du célèbre poète Sasaki Nobutsuna. Elle publie divers poèmes : Kinrei (« cloches d’or »), Muyuh-ge (« fleur sans crainte ») et quelques essais. Sa poésie vante la douceur et la chasteté bouddhistes. Kujō Takeko meurt à 42 ans d’une septicémie due à une maladie contractée en travaillant dans un des quartiers pauvres de Tokyo.
Mime MORITA
ЌULAVKOVA, Kata (ou Katica) [VELES 1951]
Écrivaine et critique littéraire macédonienne.
Enseignant la théorie et l’herméneutique littéraire à la faculté de philologie de Skopje, Kata Ќulavkova est membre de l’Académie des sciences et des arts de Macédoine et présidente d’honneur du Pen Club macédonien. Elle est l’auteure d’une trentaine d’ouvrages et a obtenu de nombreux prix en Macédoine. Sa poésie, traduite en plusieurs langues, se caractérise par le lien entre le mot et le corps, entre le logos et l’éros. Elle déplace les conventions traditionnelles du discours poétique en dialoguant avec le monde, la réalité et l’histoire. En tant qu’essayiste et théoricienne elle s’intéresse à la phénoménologie de la poésie lyrique, du récit et de l’essai, ainsi qu’à l’histoire littéraire et culturelle des peuples des Balkans, notamment du peuple macédonien, comme dans son poème « Mitska slika » (« image mythique ») : « Un homme arrive de quelque part./Portant sur une épaule/le monde/et sur l’autre –/la Macédoine./Pour garder l’équilibre. » « Sa poésie est à la fois sensuelle (presque érotique) et philosophique, écrit le critique macédonien Ilija Čašule. Son monde est voilé d’une incertitude mystique qui aspire à s’unir avec la nature, l’humanité et le temps. »
Maria BÉJANOVSKA
■ Via Lasciva, Saint-Nazaire, Meet, 1998 ; Expulsion du mal (Izgon na zloto, 1997), Trois-Rivières, Écrits des forges, 2002.
KULENTY, Hanna [BIAŁYSTOK 1961]
Compositrice polonaise.
Hanna Kulenty étudie la composition avec Włodzimierz Kotoński à l’académie de musique Frédéric-Chopin de Varsovie. Elle bénéficie ensuite de l’enseignement de Louis Andriessen, compositeur hollandais, au Conservatoire royal de La Hague. Elle nourrit un style propre issu en partie d’une technique qu’elle appelle « polyphonie en arches » ou « en arcs ». De Sesto pour piano solo (1985) à Trigon pour ensemble (1989), elle juxtapose plusieurs strates d’intensité – intensité toujours croissante avec des tempos de plus en plus élevés, des registres de plus en plus aigus – générant une structure complexe de flux et de reflux. Cette conception formelle rejoint celle du compositeur français Pascal Dusapin (1955) pour qui « composer, c’est inventer des impulsions et des flux ». Toutefois, en dépit des titres, les images n’évoquent jamais des représentations d’objets, mais des états émotionnels. Depuis Ad unum (1985), l’orchestre symphonique est son moyen d’expression favori. Son style d’écriture orchestrale est proche de Penderecki, Xenakis et Ligeti. Elle partage avec eux le sens du drame, l’écriture en couches superposées de textures épaisses et fluctuantes ainsi que l’inflexibilité des gestes sonores. L’un de ses gestes dramatiques de prédilection est l’utilisation de reflets ou « doubles » des instruments solos, soit qu’elle emploie un second instrument « miroitant » dans l’orchestre, soit qu’elle ajoute un delay électronique au déploiement du son. Ces miroirs sonores engendrent un sentiment de nostalgie. Dans les années 1990, la compositrice développe une version originale du style minimaliste, caractérisée par une réduction du nombre et de la densité des couches musicales en comparaison avec sa technique dramatique de la polyphonie en arches. Elle désigne ce style par la périphrase « musique de la transe européenne ». Dans son cycle de pièces intitulé Circle, la répétition lancinante des phrases mélodiques et les pulsations rapides des structures rythmiques insistantes et obsédantes suggèrent sa parenté avec le post-minimalisme. Son opéra de chambre en un acte, The Mother of Black-Winged Dreams (1995), est construit comme une arche monumentale dont la tension ne cesse d’augmenter. Hoffmanniana (2003), opéra en deux actes, allie la fascination de la compositrice pour le temps à son intérêt pour les sujets crus et existentiels. L’analogie musique/art, récurrente dans sa musique, indique que ses gestes compositionnels proviennent d’une pensée créatrice qui dépasse le simple fait musical.
Aurore RIVALS
KULIK, Zofia [WROCŁAW 1947]
Photographe et plasticienne polonaise.
Après la fin de ses études à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, Zofia Kulik fonde, avec Przemysław Kwiek, le duo KwieKulik, actif sur la scène polonaise et internationale de l’art conceptuel entre 1971 et 1987. Ils sont reconnus pour leurs actions, films et autres œuvres photographiques, principalement influencés par la théorie de la « forme ouverte » d’Oskar Hansen (1922-2005), l’architecte et théoricien polonais, qui considérait la documentation du processus comme plus importante que le résultat final de l’œuvre. Au début de leur collaboration, ils juxtaposent leur vie privée quotidienne avec les symboles du régime polonais totalitaire, notamment dans la série de photographies et diapositives Actions with Dobromierz (1972-1974), où leur fils incarne le personnage principal. Soucieuse d’exposer une pensée personnelle et politique dans l’enceinte de l’espace domestique, cette œuvre est emblématique de l’histoire du féminisme en Europe de l’Est – un féminisme éloigné de celui du monde occidental, car le foyer n’y est pas critiqué comme étant une prison isolant la femme, mais défendu comme l’un des seuls lieux où la résistance au régime communiste peut s’exercer. Parallèlement, Z. Kulik et P. Kwiek créent PDDiU (« atelier d’activités artistiques, de documentation et de popularisation ») dans leur studio de Varsovie, sorte d’institution privée et alternative où ils organisent des expositions et compilent une vaste et unique documentation sur la néo-avant-garde polonaise, source d’information incontournable pour tout historien de l’art. À travers leurs œuvres, ils critiquent à plusieurs reprises le gouvernement communiste, ce qui leur vaut l’interdiction de voyager en 1975. Au cours de la même période, ils développent leurs projets de mail art (« art postal »). Après 1987, Z. Kulik se consacre à sa pratique individuelle et entame des séries de photomontages, souvent composés de motifs noirs et blancs rappelant des vitraux ou des tapis orientaux. Elle montre son goût pour une composition centrée, la symétrie, l’ordre, la multiplication et l’ornement figuratif, et applique un procédé kaléidoscopique, notamment dans ses nombreux autoportraits en taille réelle, où elle est habillée de vêtements confectionnés à partir de centaines de photographies de corps miniatures (Gorgeousness of the Self, « splendeur du moi », 1997). À ce jour, elle poursuit la mise en perspective du féminisme à travers son œuvre.
Nataša PETRESIN
■ Archives of Gesture (catalogue d’exposition), Cracovie, Starmach Gallery, 2004.
■ ELLIOTT D., PEJIĆ B. (dir.), After the Wall : Art and culture in Post-Communist Europe (catalogue d’exposition), Stockholm, Moderna Museet, 1999 ; ABADIE D. (dir.), L’Autre Moitié de l’Europe (catalogue d’exposition), Paris, Éd. du Jeu de paume/RMN, 2000.
KULIN, Ayşe [ISTANBUL 1941]
Écrivaine turque.
Après des études en Turquie et en Angleterre, Ayşe Kulin commence une carrière de journaliste de presse écrite et de télévision, traduit plusieurs ouvrages de l’anglais dans les années 1970, puis se met à écrire des nouvelles et des romans à partir du milieu des années 1990. Le portrait biographique qu’elle fait de la céramiste Füreya Koral, intitulé Füreya (1999), lui permet d’aborder les fondements idéologiques et esthétiques des premières années du kémalisme. Son roman Sevdalinka (1999) évoque le lien émotionnel que nombre de Turcs d’origine balkanique entretiennent avec la Bosnie pendant la guerre qui déchire l’ex-Yougoslavie. Dans l’ensemble de son œuvre, A. Kulin brosse un tableau social et historique des diverses périodes de la République. Ses livres sont très lus en Turquie. Dernier train pour Istanbul, publié en 2002, raconte l’histoire d’amour d’une Turque, Selva, descendante d’une grande famille ottomane, avec un jeune homme juif, Rafael. Il a obtenu le Prix du roman 2008, décerné par le Conseil européen des communautés juives.
Timour MUHIDINE
■ Dernier train pour Istanbul (Nefes nefese, 2002), Paris, Ramsay, 2008.
KUMAR, Dharma [LAHORE 1928 - DELHI 2001]
Historienne indienne.
Dharma Kumar grandit à Lahore et à Bombay dans une famille de l’intelligentsia tamoule – un de ses oncles édita les œuvres complètes de Gandhi. Après des études secondaires à l’Elphinstone College de Bombay, elle est envoyée en Angleterre – ce qui est rare pour une jeune femme à l’époque – où elle suit un cursus d’économie à Cambridge. De retour en Inde après l’indépendance, elle travaille d’abord à la Reserve Bank of India, puis s’inscrit en 1960 en doctorat d’histoire économique à Cambridge. Sa thèse est récompensée par le prix Ellen MacArthur et D. Kumar devient la principale enseignante d’histoire économique à la Delhi School of Economics, où elle exerce jusqu’à sa retraite en 1993. Elle dirige aussi la prestigieuse Indian Economic and Social History Review de 1971 à 1988. La formation en économie de D. Kumar influence sa manière de faire de l’histoire. Chacun de ses travaux est conçu comme la résolution d’un problème historiographique. C’est notamment le cas de sa thèse de doctorat, parue en 1965 sous le titre Land and Caste in South India : Agricultural Labour in the Madras Presidency during the Nineteenth Century, qui reste, à ce jour, un de ses ouvrages les plus connus. Elle y remet en cause la vision alors communément partagée qui idéalise la situation agraire avant la conquête coloniale, vue comme un « âge d’or ». Elle démontre que l’importante classe de paysans sans terre n’est pas seulement une création de l’époque britannique. Cet ouvrage, qui se distingue par une utilisation pionnière des sources statistiques préexistantes à l’instauration des recensements décennaux en Inde britannique, suscite de vives critiques, notamment de la part des historiens nationalistes qui voient le pouvoir colonial comme la source de tous les maux du pays. La direction et la publication de la Cambridge Economic History of India, à laquelle collaborent la plupart des grands noms de l’histoire économique indienne de l’époque, occupent D. Kumar pendant la majeure partie des années 1970. Les travaux qu’elle mène dans les années 1980, et dont une partie est publiée en 1998 dans un recueil intitulé Colonialism, Private Property and the State, sont eux aussi marqués par la volonté de bousculer les orthodoxies. Certaines de ses hypothèses, comme l’existence à l’époque médiévale de droits de propriété privée en Inde du Sud, suscitent beaucoup de débats et échouent à convaincre largement. Son travail marque cependant durablement le champ de l’histoire économique indienne par sa volonté constante d’interroger les idées reçues.
Vanessa CARU
KUMIN, Maxine (née WINOKUR) [PHILADELPHIE 1925 - WARNER 2014]
Poétesse et écrivaine américaine.
Issue d’une famille juive réformée, Maxine Kumin suit des études de lettres et d’histoire à Radcliffe College et obtient son master en 1948. Cependant, ce n’est qu’en 1957, après avoir participé à un atelier de poésie dirigé par John Clellon Holmes au Boston Center for Adult Education, qu’elle se lance véritablement dans la création et publie, en 1961, son premier recueil de poèmes Halfway. En dix ans suivront deux autres recueils de poèmes, deux romans (Through Dooms of Love, 1965 ; The Passions of Uxport, 1968) et 16 livres pour enfants. Sa créativité et sa production culminent en 1972 avec le recueil Up Country, couronné par le prix Pulitzer (1973). Caractéristique de la poésie pastorale de M. Kumin, ce livre en aborde les thèmes majeurs – la vie rurale, les paysages rustiques et son amour de la nature – et explore le caractère éphémère de la vie face à l’extrême densité du vivant. M. Kumin est également auteure de nouvelles (Why Can’t We Live Together Like Civilized Human Beings ? , 1982), et a publié plusieurs essais, dont Always Beginning : Essays on a Life in Poetry (2000). Elle a été couronnée par de nombreux prix littéraires, dont l’American Academy and Institute of Arts and Letters Award (1980) et, en 2005, la 11th Annual Harvard Arts Medal. Elle a été poète consultant pour la Bibliothèque du Congrès en 1981, puis poète lauréat de l’État du New Hampshire en 1989.
Beatrix PERNELLE
■ Selected Poems 1960-1990, W. W. Norton, 1997 ; Where I Live : New and Selected Poems, 1990-2010, W. W. Norton, 2010.
■ GROSHOLZ E., Telling the Barn Swallow : Poets on the Poetry of Maxine Kumin, Hanover, University Press of New England, 1997 ; Contemporary Literary Criticism, Detroit, Thomson Gale, vol. 5, 1976, vol. 13, 1980, vol. 28, 1984.
KUN, Agáta VOIR GORDON, Agáta
KUNCEWICZOWA, Maria [SAMARA 1899 - LUBLIN 1989]
Romancière polonaise.
Après des études de littérature française et polonaise et un apprentissage du chant, Maria Kuncewiczowa opte pour l’écriture et commence à publier des récits dans des revues littéraires. À partir de 1924, elle travaille pour le Pen Club polonais, dont elle devient vice-présidente en 1939. Pendant la guerre, elle séjourne en France et en Grande-Bretagne, avant d’émigrer, en 1956, aux États-Unis où elle enseigne à l’université de Chicago. Dès les années 1960, elle collabore régulièrement à des revues littéraires polonaises et revient souvent en Pologne, où elle s’installe définitivement en 1970, à Kazimierz. Son œuvre a été couronnée par plusieurs prix littéraires, avant et après la guerre. Dans une œuvre imposante comprenant de nombreux éléments autobiographiques, elle se penche sur la relation conflictuelle de l’individu aux autres et à son passé, ainsi que sur le rapport entre la littérature et la vie. Ses récits et romans parlent souvent des femmes et de leur vécu intime, ainsi que du mariage et de la maternité ; c’est le cas du récit Przymierze z dzieckiem (« l’alliance avec l’enfant », 1927) ou du bref roman Twarz mężczyzny (« le visage d’un homme », 1928). D’autres, comme Dwa księżyce (« deux lunes », 1933), analysent la société polonaise de l’entre-deux-guerres. Plus tard, elle s’intéresse aux conséquences de la guerre sur les relations entre les individus et au devenir des émigrés polonais, avec son journal Klucze (« les clés », 1943) et le roman Zmowa nieobecnych (« le complot des absents », 2 tomes, 1946/1950). Le roman Leśnik (« le garde forestier », 1952) s’interroge sur l’influence de l’histoire, en particulier des insurrections romantiques, sur la psychologie polonaise, et remet en cause l’acception traditionnelle des notions de patriotisme ou de nation. Gaj oliwny (« le jardin des oliviers », 1961) retrace des destinées bouleversées par la guerre, tandis que Tristan 1946 (1967) transpose le mythe de Tristan et Iseut à la génération qui a connu la Seconde Guerre mondiale. M. Kuncewiczowa est, par ailleurs, l’auteure du premier roman radiophonique polonais : Dni powszednie państwa Kowalskich (« journées ordinaires de M. et Mme Kowalski », 1938). Elle est l’auteure du roman Cudzoziemka (« l’étrangère », 1935), sommet de la littérature psychologique de l’entre-deux-guerres, remarquable tant pour son analyse psychologique que par sa composition magistrale. Par ailleurs, elle a écrit un récit de voyage en Palestine, Miasto Heroda (« la ville d’Hérode », 1939) et un reportage littéraire sur l’Espagne qui tient à la fois de l’essai et du journal intime : Don Kiszot i nianki (« Don Quichotte et les nourrices », 1965). Elle a également publié deux anthologies de la littérature polonaise, The Modern Polish Prose (1945) et The Modern Polish Mind (1962).
Anna SAIGNES
■ LUDOROWSKI L. (dir.), O twórczości Marii Kuncewiczowej, Lublin, UMCS, 1997 ; SZAŁAGA A., Maria Kuncewiczowa, Monografia dokumentacyjna, 1895-1989, Varsovie, IBL PAN, 1995.
KUNC MILANOV, Zinka [ZAGREB 1906 - NEW YORK 1989]
Cantatrice croate.
Capable de chanter le contre-ut dès l’âge de 15 ans, Zinka Kunc Milanov étudia le chant chez Jan Ourednik, alors membre de l’opéra de Zagreb, puis chez Milka Trnina* et son assistante Marija Kostrenčić, pédagogue vocalique de renom, à l’académie de musique. Après ses débuts à Ljubljana en 1926, dans le rôle de Leonora, du Trouvère de Verdi, elle devint prima donna à l’opéra du Théâtre national croate de Zagreb pendant une dizaine d’années, interprétant les rôles les plus exigeants : Cio-Cio-San de Madame Butterfly, Tosca, Aïda, Leonora, Elsa de Lohengrin, Turandot, Manon Lescaut, Elisabeth de Tannhäuser. En 1937, Z. Kunc Milanov se rendit à New York, au Metropolitan Opera, où elle interpréta Madeleine d’André Chénier, rôle qu’elle choisit en 1962 pour célébrer ses vingt-cinq années passées au sein de cette institution, soit la carrière la plus longue d’une cantatrice soprano au Metropolitan, avec 424 apparitions sur scène dans 14 rôles différents. Son soprano, d’un timbre noble et équilibré, enrichi de merveilleux legato et pianissimo, était considéré comme l’un des plus beaux du monde. Elle fut appréciée par Arturo Toscanini et Bruno Walter, avec lesquels elle réalisa plusieurs projets. Dans sa maturité, la cantatrice excella dans les rôles des opéras de Verdi, comme Aïda, les deux Leonore (le Trouvère, La Force du destin), Amelia (Le Bal masqué) et Desdémone. Ses prestations dans les rôles de Santuzza du Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni, Tosca de Puccini, et Norma de Vincenzo Bellini, furent également appréciées. Cantatrice de concert, ses collaborations avec son frère, le compositeur et pianiste Božidar Kunc, lui valurent un grand succès, particulièrement dans le Requiem de Verdi. Elle chanta à l’opéra de Vienne, à la Scala de Milan et au Covent Garden de Londres. Médaille d’or en 1984 pour sa contribution à la culture de la ville de New York et des États-Unis, Z. Kunc Milanov interrompit sa carrière de cantatrice en 1966. Elle enseigna alors le chant aux jeunes chanteurs.
Lada ČALE FELDMAN
■ CINDRIĆ P. (dir.), Enciklopedija HNK u Zagrebu, Zagreb, Naprijed, 1969 ; VUJIĆ A. (dir.), Hrvatski leksikon, Zagreb, HLZ, 1996.
KUNOVSKA, Jagnula Paskal [KASTORIA, GRÈCE 1943]
Poétesse et peintre macédonienne.
Après des études de droit à l’université de Skopje, Jagnula P. Kunovska travaille comme avocate et publie des articles d’actualité dans la presse. Chaque nouvelle parution de son œuvre poétique est un événement en Macédoine, avec parfois la publication simultanée de quatre recueils. Dans ses écrits en prose, elle aborde principalement la question de l’avenir de la Macédoine après les tourbillons balkaniques de 1991. Elle est aussi peintre, avec plusieurs expositions individuelles et collectives à son actif. « L’œuvre de Jagnula P. Kunovska est une rapsodie de la palpitation vitale de la tristesse et de la joie. Ses vers nous dirigent souvent vers l’écho qu’elle entend lorsqu’en imagination elle voyage à travers son pays natal. En imagination, parce que Jagnula est née dans un village en Macédoine de l’Égée (en Grèce) où la minorité macédonienne n’a pas le droit à la parole », écrit le critique Ivan Čapovski dans la préface de son anthologie Pesni za Egejot (« poèmes pour l’Égée »), éditée par l’Association des enfants réfugiés de Macédoine de l’Égée en 2008.
Maria BÉJANOVSKA
KUNZANG CHODEN [DISTRICT DE BUMTHANG, BHOUTAN 1952]
Écrivaine bhoutanaise.
Issue d’une famille de propriétaires terriens du Bhoutan, Kunzang Choden a été enseignante et a travaillé pour le Programme des Nations unies pour le développement, après avoir suivi des études de psychologie et de sociologie en Inde et aux États-Unis. Son roman Le Cercle du karma, premier roman bhoutanais écrit par une femme, décrit l’itinéraire chaotique d’une jeune fille en quête d’autonomie personnelle et économique. Kunzang Choden est également l’auteure d’un recueil de nouvelles où elle dresse le portrait de femmes bhoutanaises archétypiques d’une société en transition (Histoires en couleurs, 2009). Spécialiste de littérature traditionnelle, elle est l’auteure du Singe boiteux : contes et légendes du Bhoutan (1997). Fine observatrice de la société et des mœurs traditionnelles, elle a publié Chilli and Cheese ‒ Food and society in Bhutan (2008). Elle s’est également adressée à un lectorat adolescent dans un récit de critique sociale, Dawa : The Story of a Stray Dog in Bhutan (« l’histoire d’un chien errant au Bhoutan », 2004). Enfin, l’écrivaine a cofondé en 2001 le musée d’arts et traditions populaires d’Ogyen Choling, dans son manoir familial.
Françoise ROBIN
■ Le Cercle du karma (The Cicle of Karma), Arles, Actes Sud, 2007 ; Le Singe boiteux : contes et légendes du Bhoutan (Bhutanese Tales of the Yeti), Genève, Olizane, 2008 ; Histoires en couleurs (Tales in Colour and other Stories), Arles, Actes Sud, 2012.
KUOH MOUKOURY, Thérèse [YAOUNDÉ 1938]
Romancière camerounaise.
Première romancière camerounaise, Thérèse Kuoh Moukoury a effectué ses études secondaires et universitaires en France et, après une formation juridique, elle s’est spécialisée dans la magistrature pour les enfants. Elle est amenée à voyager dans de nombreux pays et occupe de multiples fonctions, notamment celles de présidente de l’Union des femmes africaines et malgaches, d’expert auprès de gouvernements africains en matière de communication sociale et de consultante dans une société civile professionnelle en matière de communication. En 1968, elle publie son premier roman, Rencontres essentielles, suivi en 1973 des Couples dominos, et rédige également plusieurs articles, parus dans des ouvrages de collaboration. Rencontres essentielles raconte l’histoire d’une jeune Africaine nommée Flo qui ne parvient plus, à la suite d’une fausse couche, à avoir des enfants. Cette situation entraîne un déséquilibre dans son foyer et provoque l’effondrement de son mariage ainsi que la désintégration de sa vie familiale et sociale. Dans ce roman, T. Kuoh Moukoury énonce ses idées de l’époque sur les jeunes filles, le mariage, l’image de la femme, et soulève ainsi la question de la condition des femmes africaines dans le mariage, de leurs responsabilités et des contraintes qui pèsent sur elles. Son second roman, Les Couples dominos, est un ouvrage sociologique qui aborde le thème de la sexualité et des relations interraciales. D’après elle, le couple est confronté non seulement au problème de l’intégration, mais aussi à celui de la relation interne du couple lui-même. Les couples mixtes ont beaucoup d’écueils à surmonter dans cette multiculturalité et l’auteure estime, de fait, qu’il faut un humanisme plus grand afin de trouver le bon équilibre.
Ariane NGABEU
■ Rencontres essentielles, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Les Couples dominos, aimer dans la différence, Paris, L’Harmattan, 2000.
KUPPERMAN, Karen ORDAHL [DEVIL’S LAKE, DAKOTA DU NORD 1939]
Historienne américaine.
Historienne de premier plan du monde atlantique, Karen Kupperman reçoit son BA (Bachelor of Arts) de l’université du Missouri en 1961. La participation de son père à la Seconde Guerre mondiale puis à l’occupation militaire du Japon lui a donné, très jeune, une perspective globale sur le monde. Après son mariage avec le célèbre « Quiz Kid », le philosophe Joel Kupperman, elle déménage temporairement en Angleterre où elle travaille avec Quentin Skinner et soutient son doctorat à l’université de Cambridge en 1978. Cette même année, elle rejoint la faculté d’histoire de l’université du Connecticut, avant d’obtenir une chaire à l’université de New York en 1995. Dès le début de sa carrière universitaire, K. Kupperman innove en mettant en valeur la complexité de l’histoire atlantique, montrant avec précision l’interdépendance entre les commerçants et les colons anglais d’une part, et les Amérindiens d’autre part. Dans des ouvrages comme Settling with the Indians : The Meeting of English and Indian Cultures in America, 1580-1640 (1980), Roanoke, the Abandoned Colony (1984), Providence Island, 1630-1641 : The Other Puritan Colony (1993), elle étudie comment ces deux groupes, cherchant à apprendre l’un de l’autre à propos de la religion et des mœurs, échangent aussi bien des enfants que des informations sur l’influence de la météorologie et le développement de l’agriculture. Deux autres ouvrages plus tardifs – Indians and English : Facing off in Early America (2000) et The Jamestown Project (2007) – apportent de nouvelles précisions sur l’histoire atlantique, décrivant les expériences multiples de personnages tels John Smith et l’évolution de l’administration coloniale qui, au lieu de continuer à chercher de l’or, défend le développement d’une agriculture durable et, notamment, la culture du tabac. Un tel pragmatisme favorisa la prospérité et un mode d’administration plus participatif. L’historienne examine également dans d’autres écrits les traumatismes subis par les colons : sous-alimentation, guerre ou mauvais traitements infligés par leur entourage. Son dernier ouvrage – The Atlantic in World History (2012) – synthétise ses premiers travaux et porte une attention particulière à l’Afrique et à l’Amérique espagnole. Elle publie également une anthologie des écrits de John Smith et, en 2011, une édition annotée de A True and Exact History of the Island of Barbados de Richard Ligon (1657). Ses recherches actuelles portent sur l’histoire des enfants dans le monde atlantique et sur la place de la musique dans les rencontres et la conquête.
Bonnie SMITH
KÜR, Pınar [BURSA 1943]
Écrivaine turque.
Lycéenne à New York, Pınar Kür suit des études supérieures en Turquie puis s’inscrit à la Sorbonne. Dramaturge, traductrice et enseignante de langue à Istanbul de 1973 à 1980, elle publie plusieurs romans. Le ton subversif de ses textes leur donne un écho important, bien qu’elle travaille également beaucoup sur la forme. Son roman Asılacak Kadın (« une femme à pendre », 1979), qui évoque le procès d’une meurtrière, a lui-même fait l’objet d’un procès très médiatisé. La revue d’art et de littérature de Turquie Anka en a publié un extrait en français en 1992. Entre 1981 et 1983, elle publie deux recueils de nouvelles, Bir deli ağaç (« un arbre fou ») et Akışı olmayan Sular (« des eaux qui ne coulent pas »), et reçoit le prix Sait-Faik en 1984. Dans Bir Cinayet Romanı (« le roman d’un meurtre », 1989), elle s’essaie au roman policier, encore en gestation dans la littérature turque. Plusieurs de ses romans ont été portés à l’écran.
Timour MUHIDINE
■ « Les Petits Trajets »(Kısa Yol Yolcusu, 1981), in Paroles dévoilées, Paris, Arcantère/Unesco, 1993.
KURAHASHI YUMIKO [KŌCHI 1935 - TOKYO 2005]
Écrivaine japonaise.
Après avoir étudié la médecine, Kurahashi Yumiko entre à l’université Meiji et étudie la littérature française. Le Parti (1960, Prix de littérature féminine en 1961), histoire d’une étudiante incitée à adhérer au « parti » (communiste), est remarqué autant pour l’actualité de son thème – le mouvement révolutionnaire –, que pour son style sec et abstrait. La distance que prend l’écrivaine face au réalisme et l’influence de Camus, de Sartre et de Kafka font d’elle l’un des écrivains représentants de la nouvelle génération d’après-guerre. Ses tentatives stylistiques dans Kurai haru (« le printemps sombre », 1961, pastiche des Modifications de Michel Butor) ont suscité une controverse chez les critiques. Pour l’écrivaine, le roman constitue un lieu d’expérimentation métaphysique qui fait naître un « contre-monde », univers autonome régi par une logique différente de celle du monde réel. Ainsi, le tabou de l’inceste est levé et même sanctifié dans Sei-shōjo (« la sainte-fille », 1965) ; Sumiyakisuto Q no bōken (« l’aventure du charbonnier Q », 1969) décrit avec humour noir un monde grotesque et absurde. Sa connaissance de la littérature mondiale, son imagination foisonnante et son travail sur le style l’amènent à mélanger tragédie grecque et théâtre traditionnel japonais nō (Han-higeki, « contre-tragédie », 1971), à transposer le voyage de Gulliver en celui d’un missionnaire dans un pays matriarcal (Amanon-koku ōkan-ki, « aller-retour au pays d’Amanon », 1986, prix Izumi) ou encore à réécrire des contes universels de façon comique et cruelle (Otona no tame no zankoku dōwa, « contes cruels pour les adultes », 1984). Refusant les idéologies et le dogme moral, elle exprime sa contestation par l’ironie, la parodie ou la dérision. Ainsi, dans la série de romans qui met en avant son héroïne Keiko, le regard amusé et désenchanté du narrateur observe tantôt l’échangisme des parents et la lutte révolutionnaire dans Yume no ukihashi (« le pont flottant dans le rêve », 1971), tantôt la conversion au catholicisme des intellectuels dans Shiro no naka no shiro (« le château dans le château », 1980).
FUKAGAWA AKIKO
■ Le Parti (Parutai, 1960), in Anthologie de nouvelles japonaises, t. 3, Arles, P. Picquier, 1998.
■ TANAKA E., KAWASHIMA M. (dir.), Kurahashi Yumiko, Tokyo, Nichigai-asoshiētsu & Kinokuniya-shoten, coll. « Jinbutsu shoshi taikei », t. 38, 2008.
LES COMBATTANTES KURDES [Moyen-Orient depuis la seconde partie du XXe siècle]
Peuple des montagnes à majorité sunnite, les Kurdes sont dispersés entre la Syrie, l'Irak, l'Iran et la Turquie. Suite au découpage colonial de la région, il n'existe pas d'État-nation kurde et, bien que leur mouvement indépendantiste soit fractionné, les Kurdes ont une revendication principale commune : l'autonomie démocratique.
La montée en puissance de l'organisation État islamique (EI) en Iraq et en Syrie a mis en première ligne les guérillas kurdes, qu'il s'agisse des peshmergas (« ceux qui vont au-devant de la mort », soldats du Kurdistan d'Irak) ou des milices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) basé en Turquie et en Syrie.
La présence de femmes dans les rangs des milices kurdes remonte à la seconde moitié du XXe siècle. On considère que la première combattante à avoir rejoint les rangs des peshmergas du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) est l'Assyrienne Margaret George Shello, qui se serait battue en 1960 contre le gouvernement irakien alors qu’elle était tout juste âgée de 20 ans. D'autres femmes ont rejoint les troupes dans les années 1960 et 1970, à la faveur d'une idéologie marxiste-léniniste plaidant pour leur émancipation.
En 1995, le premier corps d'armée kurde entièrement féminin apparaît en Turquie, au sein de la guérilla marxiste du PKK, en guerre avec Ankara depuis 1984. En Irak, un bataillon est créé en 1996 au sein de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), grâce, notamment, à la colonelle Nahida Rashid. Cette dernière a participé au soulèvement de Souleymanieh, la deuxième ville de la région, en 1991. Devenue diplomate une fois la paix installée, elle a convaincu Jalal Talabani, le président de l’UPK, d’autoriser des femmes à être officiellement peshmergas. Il existerait entre 500 et 600 femmes dans les milices kurdes irakiennes qui ont repris les armes en août 2014 pour lutter contre l'avancée de l'EI.
En Syrie, les femmes des Unités de protection du peuple (YPG), commandées par Nassrin Abdalla, ont attiré les regards de la communauté internationale. Les quatre mois de combat dans Kobané, petite ville syrienne à la frontière turque, leur ont conféré le statut d'héroïnes après l'une des plus importantes défaites à l'EI, en janvier 2015. Leur nombre est aujourd’hui difficile à évaluer mais elles formeraient autour de la moitié du contingent des YPG : des mères de famille, des jeunes filles, mais surtout des veuves et des femmes qui ont perdu un proche dans les combats.
Selon les combattants kurdes, la présence de femmes soldats dans leurs rangs leur donne un avantage contre les djihadistes car ces derniers pensent être privés du paradis s'ils sont tués de la main d'une femme. Une assertion peu vérifiable mais qui contribue à forger la légende de ces guerrières, les plus redoutées du Moyen-Orient, icônes de la lutte contre les djihadistes.
Julia PASCUAL
KURISHIMA SUMIKO [TOKYO 1902 - ID. 1987]
Actrice japonaise.
Formée à la danse classique japonaise, Kurishima Sumiko commence sa carrière en 1909, mais elle ne se fait connaître qu’en 1921, lorsque les femmes sont autorisées à devenir actrices. Elle joue alors dans Gubijinso (« les coquelicots », 1921), de Henry Kotani, qui vient de rentrer des États-Unis et travaille à l’occidentalisation du cinéma japonais. Elle tourne ensuite dans une trentaine de films jusqu’en 1938, dont : Hototogisu (« le coucou », Ikeda Yoshiomi, 1922) ; Sendô Kouta (Ikeda, 1923) ; Sweet Home (Ikeda, 1924) ; Mahjong (Okubo Tadamoto, 1925) ; Nageki no bara (Shimizu Hiroshi, 1926) ; Reijin (« une beauté », Shimazu Yasujirô, 1930) ; Rêves de chaque nuit (Yogoto no yume, Naruse Mikio, 1933) ; Nakimushi Kozo (Toyoda Shirô, 1938), avant d’arrêter brutalement sa carrière alors qu’elle est la première grande star du cinéma japonais. Elle refait une unique apparition en 1956, dans Au gré du courant (Nagareru, Naruse).
Olivier AMMOUR-MAYEUR
KURTI, Tinka [SARAJEVO, BOSNIE-HERZÉGOVINE 1932]
Actrice albanaise.
Tinka Kurti fait partie des artistes de théâtre et de cinéma les plus connues d’Albanie et a interprété plus de 250 rôles au cours de sa longue carrière. Elle grandit dans une famille intellectuelle de Shkodra. Éprise de liberté, elle se sent très à l’étroit dans une société embrigadée par une très forte propagande politique. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle fait ses débuts au théâtre amateur. En 1947, elle rejoint à Tirana le département d’art dramatique, fermé un an plus tard, au moment de la rupture entre Tito et Staline, au printemps 1948. À 16 ans, aînée de quatre enfants, elle est, dans sa famille à Shkodra, le seul soutien économique, son père ayant été condamné à vingt ans d’emprisonnement pour raisons politiques. Elle entre dans la chorale de la ville où Andrea Skanjeti, le premier metteur en scène professionnel de Shkodra, la remarque et lui confie le premier rôle dans sa pièce musicale Dasma shkodrane (« le mariage de Shkodra », 1947). Une grande carrière s’ouvre à elle. En 1949, elle est engagée par le théâtre Migjeni de Shkodra. Parmi les rôles les plus marquants de sa carrière (plus de 120 drames et comédies), on peut retenir celui de la mère dans Gjaku i Arbrit (« le sang de l’Arberi », Fadil Kraja), de la grand-mère dans Toka Jonë (« notre patrie », Kol Jakova) et de Nadia dans l’adaptation de la nouvelle La Fiancée de Tchekhov. Elle reçoit de nombreux prix, notamment pour le rôle de Zourakia dans Këneta (« le marais », tiré du récit de Fatmir Gjata), et de Valia dans Une histoire à Irkoutsk d’Alexei Arbousov. Elle fait également carrière au cinéma : en 1958, elle joue le rôle titre dans le premier long-métrage albanais, Tana, de Kristaq Dhamo, tiré du roman de F. Gjata.
Évelyne NOYGUES
KURYLUK, Ewa [CRACOVIE 1945]
Peintre et écrivaine polonaise.
Après une enfance passée à Vienne, Ewa Kuryluk poursuit ses études à l’académie des Beaux-Arts de Varsovie ainsi qu’à l’université Jagellonne de Cracovie, en histoire de l’art. Très engagée dans les actions humanitaires, elle est à l’initiative de la fondation Amici di Tworki (mouvement d’aide aux malades mentaux) et collabore avec Amnesty International. En 1981, après l’instauration du pouvoir martial, elle s’exile aux États-Unis, puis à Paris. Riche et variée, son œuvre comprend de nombreux essais portant sur l’art, notamment Wiedeńska apokalipsa, Eseje o kulturze austriackiej XX wieku (« apocalypse viennoise, essais sur la culture viennoise du XXe siècle », 1974), Salome albo o rozkoszy, O grotesce w twórczości Aubreya Beardsleya (« Salomé ou les délices, sur le grotesque dans l’art de Beardsley », 1976), Podróż do granic sztuki (« voyage aux frontières de l’art », 1982), Veronica & Her Cloth (écrit en anglais, 1991). Elle est l’auteure de recueils poétiques et de plusieurs romans considérés comme postmodernes : Century 21 (1992), Grand Hotel Oriental (1997), Encyklopedioerotyk (« encyclopédiérotique », 2001). En 2004, elle publie un récit à caractère autobiographique : Goldi, Apoteoza zwierzaczkowatości (« Goldi, apothéose de l’animalité »), dans lequel elle fait resurgir des souvenirs profonds et très intimes. Ses œuvres picturales ont été exposées dans de nombreuses galeries. C’est principalement par ses installations qu’elle s’est rendue célèbre. Elle est, par ailleurs, corédactrice des Zeszyty Literacki (« cahiers littéraires »), une revue polonaise créée en 1983 à Paris, qui a continué de paraître à Varsovie après la chute du communisme.
Maria DELAPERRIÈRE
■ Veronica & Her Cloth : History, Symbolism and Structure of a « True » Image, Oxford, Basil Blackwell, 1991 ; Century 21, Chicago, Dalkey Archive Press, 1992.
■ JURYS J., « Century 21 on the rocks ! », in Zeszyty literackie, no 43, 1993 ; WĘGRZYNIAKOWA A., « Cocktail miss Verdurin », in Fa-art, no 1, 1996.
KURYS, Diane [LYON 1948]
Réalisatrice, scénariste et actrice française.
Fille d’immigrés russes, Diane Kurys naît et grandit à Lyon. Elle a 6 ans lorsque ses parents divorcent, une expérience qui la marque profondément. Après des études de lettres modernes à Paris, elle commence à enseigner puis, au début des années 1970, joue au théâtre, notamment chez Renaud-Barrault, ainsi qu’à la télévision. Le roman autobiographique qu’elle prépare s’achève sous la forme d’un scénario qu’elle réalise elle-même : Diabolo menthe sort en 1977. Ce film générationnel capte l’air du temps et séduit un public de tout âge, tout comme La Boum trois ans plus tard. Ce premier film condense les thèmes qui parcourent son œuvre, composée essentiellement de comédies de mœurs d’inspiration autobiographique sur l’enfance, le couple, la famille. Elle réalise environ un long-métrage tous les trois ans. Cocktail Molotov (1980) renoue avec son adolescence sur fond de Mai 1968 ; Coup de foudre (1983) est une histoire d’amitié passionnée entre deux femmes qui restitue l’environnement des années 1940 avec une grande acuité. Le film reçoit de nombreux prix en festivals et est nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 1984. En 1998, elle réalise Les Enfants du siècle sur la liaison de George Sand* et Alfred de Musset, ainsi que le biopic sur Françoise Sagan*, en 2008, avec Sylvie Testud*. Son long-métrage Pour une femme (2013) s’ancre dans le Lyon de l’immédiat après-guerre, revisitant son histoire familiale.
Marianne FERNANDEZ
KUSAMA, Karyn [NEW YORK 1968]
Réalisatrice américaine.
Diplômée en cinéma de la New York University, Karyn Kusama écrit et réalise son premier long-métrage, Girlfight, en 2000. L’histoire d’une adolescente en rupture de ban qui se reconstruit grâce à la boxe gagne une multitude de prix à travers le monde, dont le Grand Prix du jury et celui de la mise en scène du Festival de Sundance. En 2005, elle dirige Æon Flux, un thriller futuriste avec Charlize Theron, rebelle luttant contre un régime totalitaire, puis, en 2009, Jennifer’s Body, un film d’horreur. L’héroïne de ce teen-movie, écrit par Diablo Cody (scénariste oscarisée pour Juno de Jason Reitman), est une pom-pom girl démoniaque et mangeuse d’hommes (dans les deux sens du terme). En seulement trois films, la réalisatrice aura réussi, dans un style plus ironique que celui de Kathryn Bigelow*, à revisiter des genres cinématographiques traditionnellement considérés comme masculins.
Jennifer HAVE
KUSAMA YAYOI [MATSUMOTO 1929]
Plasticienne japonaise.
Née dans une famille prospère et conservatrice, Kusama Yayoi vit ses premières années dans un pays en guerre. À 10 ans, elle souffre d’hallucinations. Elle se met à dessiner pour combattre un sentiment de désintégration devant la prolifération d’un univers invisible et sa peur d’y être engloutie. Dès le début, elle place ainsi sa maladie mentale au cœur de son processus de création. Elle suit les cours de l’école municipale d’arts appliqués de Tokyo et s’initie à la peinture Nihonga. Dans les années 1950, elle explore des formes plus abstraites, appréciées aussi bien par les cercles artistiques que psychiatriques japonais. Les motifs de ses dessins d’enfant (fleur, cosmos, cœur) sont répétés en réseau uniforme infini. Douze ans plus tard, elle s’installe à New York et étudie à la Arts Students League. Elle réalise alors la série Infinity Net (« réseau infini »), dont les compositions de plus en plus grandes, exposées pour la première fois à la Brata Gallery en 1959, semblent engloutir le public dans un réseau de lignes et de pois. Ce travail lui vaut d’être classée par la critique Lucy Lippard* dans le mouvement de l’Eccentric Abstraction, qui se caractérise par un refus du minimalisme strict et l’inclusion des émotions, de la sensualité, par l’utilisation de matières synthétiques aux formes organiques et aux résonances sexuelles. En 1963, l’artiste présente sa première installation à New York à la galerie Gertrude Stein*, Aggregation : One Thousand Boats Show, un bateau recouvert de formes phalliques blanches dans une pièce dont les murs arborent un papier peint portant ce même motif. Ses séries d’objets obsessionnels s’attachent à la sexualité, à la nourriture et aux meubles. En 1963, elle réalise ses premiers happenings libertaires, puis des défilés de mode. Elle retourne au Japon en 1973, où elle crée, après 1980, des sculptures souples et des environnements qui jouent sur les effets de miroirs et de lumière artificielle : des milieux clos et sensuels, toujours saturés de ces pois qui constituent en quelque sorte son emblème. Dans les années 1990, plusieurs expositions assurent sa reconnaissance internationale, lui permettant de réaliser de monumentales installations d’objets gonflables et des sculptures en plein air.
Fabienne DUMONT
■ Yayoi Kusama (catalogue d’exposition), Dijon/Paris, Les Presses du réel/Janvier, 2001 ; All Prints of Kusama Yayoi, 1979-2004 (catalogue raisonné), Tokyo, Abe Shupan, 2006 ; Yayoi Kusama (catalogue d’exposition), Béret C. (dir.), Paris, Centre Pompidou, 2011.
■ HOPTMAN L., TATEHATA A., KULTERMANN U., Yayoi Kusama, Londres, Phaidon Press, 2000.
KUTLU, Ayla [ANTAKYA 1938]
Écrivaine turque.
Après des études de sciences politiques à Ankara, Ayla Kutlu entame une carrière de fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Son premier récit paraît en 1977 dans la revue Özgür İnsan (« l’homme libre ») et elle prend une retraite anticipée en 1980 afin de se consacrer à l’écriture. La plupart de ses écrits se déroulent en Anatolie ou dans les villes méridionales d’Antakya, l’ancienne Antioche, et d’Iskenderun, où elle a grandi. Parmi les nombreux genres qu’explore son œuvre, se trouvent des romans, dont Bir Göçmen kuştu O (« c’était un oiseau migrateur », 1985), qui reçoit le prix du roman Madaralı en 1986, et Kadın Destanı (« l’épopée des femmes », 1994). Sa nouvelle Sen de gitme Triyandafilis a inspiré le scénario du film Ne pars pas, Triandafilis, réalisé par Tunç Başaran. À partir de 1999, elle écrit aussi des livres pour la jeunesse, comme Merhaba Sevgi (« bonjour l’amour », 1999). Ses mémoires, Zaman da eskir (« le temps aussi vieillit »), sont parues en 2006.
Timour MUHIDINE
■ Ne pars pas, Triandafilis, Tunç Başaran, 107 min, 1995.
KUTTEL, Mireille [RENENS 1928]
Écrivaine suisse d’expression française.
D’origine italienne, Mireille Kuttel est scolarisée en Suisse où elle grandit. Journaliste, elle collabore au Service de presse suisse. Son œuvre romanesque se nourrit de sa condition de fille de travailleurs immigrés, et son écriture, émaillée de mots et de citations en italien, rappelle sa double appartenance culturelle. Évoquant le cinéma néo-réaliste italien, son style épuré, qui fuit les effets et évite les figures de style, vise à épouser authentiquement les vicissitudes des gens simples qu’elle met en scène dans ses romans : saisonniers et femmes migrantes, souvent dépourvus d’une parole propre et habituellement tenus à bonne distance de la culture écrite. De la crise à l’ouverture au monde, l’identité migrante oscille entre la douleur de l’aliénation et l’espoir d’une hétérogénéité culturelle possible. En 1978, le prix Schiller vient couronner son œuvre.
Valérie COSSY
■ La Parenthèse, Lausanne, Spes, 1959 ; L’Oiseau-sésame, Bienne, Éditions du Panorama, 1970 ; La Malvivante, Lausanne, L’Âge d’homme, 1978 ; La Pérégrine, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983 ; Un balcon sur la mer, Lausanne, L’Âge d’homme, 1990 ; Bandonéon, Lausanne, L’Âge d’homme 2003.
KUZBARI, Salma AL-HAFFAR AL- [DAMAS 1923 - BEYROUTH 2006]
Écrivaine syrienne.
Née dans une famille célèbre sur le plan politique – son père a été Premier ministre de la Syrie –, Salma al-Haffar al-Kuzbari fait ses études à l’école des sœurs franciscaines : elle y perfectionne son français et apprend l’anglais. Elle obtient ensuite un diplôme en sciences politiques et en langue française à l’Université jésuite de Beyrouth. Dès lors, elle écrit des articles qui traitent de la condition des femmes dans le magazine La Voix de la femme à Beyrouth. Son premier livre, Yawmīyāt Hālah (« le journal de Hala », 1950), est considéré comme une biographie, de même que le suivant qu’elle consacre à son père. S’illustrant dans plusieurs genres littéraires : nouvelles, romans, biographie, poésie, articles, études littéraires et enquêtes en langues arabe et française, elle place la question des femmes et de la liberté au centre de ses écrits.
Nemat ATASSI
KUZNETSOVA, Valentina MIHAILOVNA [RUSSIE 1937]
etKUZNETSOVA, Irina MIHAILOVNA [MOSCOU 1961]
Exploratrices russes.
Enfant, Valentina Mihailovna Kuznetsova manque d’être exécutée avec sa mère par l’armée allemande au moment de l’invasion de l’URSS. Traumatisée par cet événement, elle est considérée par les médecins comme trop fragile pour suivre une scolarité normale. Cela ne l’empêche guère de s’adonner très jeune au ski, sa passion. Effectuant des randonnées puis des raids de plus en plus longs (notamment une course d’endurance de sept jours dont les étapes moyennes sont de 100 kilomètres), elle en vient à imaginer une traversée à ski de l’Antarctique par une équipe exclusivement féminine. Quatorze années lui seront nécessaires pour convaincre les autorités soviétiques (qui interdisent le séjour de chercheuses dans leur station en Antarctique) et mener à bien l’organisation de cet exploit, finalement réalisé en 1988, en trente jours. Sa fille, Irina Mihailovna Kuznetsova, une des participantes, a depuis repris le flambeau : son intention est d’accomplir une circumnavigation de l’Arctique, avec escales dans chaque pays côtier et prélèvements scientifiques.
Christel MOUCHARD
■ POLK M., TIEGREEN M., Women of Discovery, New York, Clarkson Potter, 2001.
KVEDER, Zofka [LJUBLJANA 1878 - ZAGREB 1926]
Écrivaine slovène de langues slovène et croate.
En 1898, Zofka Kveder publie ses premiers articles et nouvelles dans des revues. Elle entreprend des études universitaires auxquelles elle doit renoncer faute de moyens, puis s’installe à Prague avec son fiancé qu’elle épousera en 1903 et avec qui elle aura trois filles. En 1900 paraît son premier recueil de nouvelles Misterij žene (« le mystère de la femme ») qui déchaîne la critique cléricale et libérale. Par la suite, Z. Kveder multiplie les publications et les contacts avec les féministes d’Europe centrale et méridionale, devenant une personnalité importante de la vie culturelle slovène et l’une des principales promotrices du mouvement féministe en Slovénie. Installée à Zagreb, elle devient en 1906 rédactrice en chef du « Frauenzeitung », supplément féminin du journal Agramer Tagblatt. Après son divorce, elle se remarie avec un journaliste croate en 1913. C’est à cette époque que paraissent ses deux romans, Njeno življenje (« sa vie », 1914) et Hanka (1917). Dans le premier, l’écrivaine retrace le destin d’une femme déçue par son mari, puis par son fils. Le second, en croate et sous la forme d’un journal intime rédigé pendant la Première Guerre mondiale, délivre un message antimilitariste. En 1917, elle fonde la revue Ženski svet, qui publie des articles sur le mouvement féministe dans les pays slaves. Z. Kveder a surtout excellé dans le genre de la nouvelle. Brisant stéréotypes et tabous, elle présente avec une grande finesse une palette de situations auxquelles les femmes sont confrontées dans une société inégalitaire et n’hésite pas à aborder des sujets qui n’avaient jusqu’alors pas droit de cité dans la littérature slovène (la prostitution, l’avortement, le suicide, l’infanticide, etc.). Elle est également l’auteure de pièces de théâtre. Amerikanci (« les Américains », 1908), l’une des œuvres les plus intéressantes sur le plan socio-historique, a trait aux villageois slovènes que la misère pousse à émigrer vers les États-Unis. Ayant essentiellement pour sujet la condition féminine, les œuvres de Z. Kveder s’apparentent fortement à l’esthétique naturaliste, mais comportent aussi des éléments symbolistes, impressionnistes et décadents. Considérée généralement comme une auteure mineure de la moderna slovène, Z. Kveder est néanmoins la première femme de lettres slovène élevée au rang d’« auteur classique ».
Florence GACOIN-MARKS
■ BOROVNIK S., Ali ženske pišejo drugače ? , Ljubljana, Mihelač, 1995 ; GACOIN-MARKS F., Zofka Kveder et le naturalisme, mémoire de DEA, Inalco, 1997 ; MIHURKO PONIŽ K., Drzno drugačna, Zofka Kveder in podobe ženskosti, Ljubljana, Delta, 2003.
KWOLEK, Stephanie [NEW KENSINGTON 1923 - WILMINGTON 2014]
Chimiste américaine.
Née en Pennsylvanie dans une famille polonaise, Stephanie Kwolek perd son père alors qu’elle n’a que 10 ans, mais il lui a transmis son goût pour les sciences. Brillante et vive, elle souhaite entreprendre des études de médecine et, pour les financer, opte en 1946 pour un poste de chimiste à Buffalo, dans un laboratoire de recherche spécialisé dans l’étude des fibres textiles. C’est ainsi qu’elle intègre la société DuPont de Nemours, sous la direction de William Hale Charch, et renonce finalement à son rêve de carrière médicale. Elle découvre une fibre synthétique aux propriétés exceptionnelles, le polyparaphenylene terephtalamide, plus connu sous le nom de Kevlar, et met au point une méthode efficace pour la fabriquer. Alliant résistance et légèreté, le Kevlar, qui fait l’objet d’un brevet en 1965, a de nombreuses applications : amélioration de la résistance des pneumatiques, substitut de l’amiante dans certaines applications, confection de vêtements particulièrement résistants tels que les gilets pare-balles, renfort des matériaux plastiques utilisés pour la fabrication des coques de bateau ou des cadres de vélo. S. Kwolek a déposé 17 brevets. Après sa retraite, elle est restée proche de son laboratoire, où elle a continué à conseiller de jeunes scientifiques.
Carole ÉCOFFET
■ CURLEY R., The 100 Most Influential Inventors of All Time, New York, Rosen Education Service, 2009 ; PTACEK G., VARE E. A., « Stephanie Kwolek », in Women Inventors & Their Discoveries, Minneapolis, The Oliver Press, 1993.
KYBALTCHYTCH, Nadiïa [AUJ. RÉGION DE POLTAVA 1857 - LOUBNY 1918]
Femme de lettres ukrainienne.
Le père de Nadiïa Kybaltchytch, Matviy Symonov, est écrivain et ethnographe ; sa mère est la sœur de Hanna Barvinok* et sa fille est également femme de lettres. Dans des œuvres aux accents autobiographiques, l’écrivaine, à la charnière de deux siècles, a marqué la littérature par son approche psychologique des relations entre hommes et femmes. Sous différents pseudonymes, dont le plus connu est Natalka-Poltavka, elle débute dans les pages de nombreux périodiques des années 1890. Elle donne ensuite des récits courts, des pièces de théâtre, des essais (Drama ou khati, « un drame à la maison », 1892 ; Baba Yaha, 1892 ; Baba Kalynykha, 1894 ; Zoustritch, « une rencontre », 1898 ; Ioho pravo, « son droit », 1899 ; Ostanniï raz, « la dernière fois », 1899). La pièce mélodramatique Kateryna Tchaïkivna (1893), la plus connue de ses œuvres, obtient le premier prix au Concours du théâtre populaire à L’viv, en 1897.
Tatiana SIROTCHOUL
■ DENYSSIOUK C., « Kybaltchytch Nadiïa », in Oukraïnska literatoura ou portretakh i dovidkakh, Kiev, Lybid’, 2000 ; LOUHOVY O., Vyznatchne jinotstvo Oukraïny, Kiev, Dnipro, 1994.
KYGER, Joanne [VALLEJO 1934]
Poétesse américaine.
Née en Californie, Joanne Kyger suit des études de poésie et de philosophie au Santa Barbara College. Elle part à San Francisco en 1957, au plus fort du scandale provoqué par Howl d’Allen Ginsberg. Presque immédiatement intégrée à l’importante communauté de poètes de la ville, elle épouse Gary Snyder et réside au Japon durant quatre ans. Au cours d’incursions en Inde, elle découvre et pratique le bouddhisme zen, qui laissera son empreinte sur toute sa création. Elle publie son premier recueil de poèmes, The Tapestry and the Web, en 1965. Ses liens avec les poètes de la Renaissance de San Francisco et de la Beat Generation ainsi qu’avec le groupe des Black Mountain, et notamment avec Charles Olson, ont fortement influencé sa poésie. Féministe, elle ne supporte pas l’esprit conventionnel de l’Amérique des années 1950-1960 et choisit de devenir écrivaine et poétesse au prix de rencontres et d’expériences alors réprouvées par l’establishment. Pionnière dans les lettres américaines, elle inaugure une nouvelle approche narrative fondée sur la seule expérience personnelle. Politiquement et socialement engagée, elle s’appuie aussi sur l’élan religieux qui détermine sa relation au monde. Elle publie plus d’une vingtaine de recueils de poésie. Son intérêt pour le bouddhisme, garant de l’esprit ouvert et de la spiritualité qu’elle recherche, ne se dément jamais. Ses poèmes expriment cette aspiration à la sagesse et à la beauté et son rejet d’une attitude matérialiste.
Beatrix PERNELLE
■ As Ever : Selected Poems, New York, Penguin Poets, 2002 ; About Now : Collected Poems, Orono, National Poetry Foundation, 2007.
■ NOTLEY A., « Joanne Kyger’s poetry », in Arshile : A Magazine of the Arts, no 5, 1996 ; RASKIN J., « A review of About Now : Collected Poems by Joanne Kyger », in The Beat Review, vol. 1, no 2, oct. 2007.
KYOFUKAI – ORGANISATION DE JAPONAISES CHRÉTIENNES [depuis 1886]
Au Japon, Kyofukai est le plus ancien mouvement social féminin chrétien qui lutte pour la paix, pour les droits de l’homme, pour l’égalité des sexes, et pour la prévention de l’alcoolisme et du tabagisme. Cette organisation japonaise a été fondée par 56 chrétiennes, le 6 décembre 1886, à l’église Nihonbashi à Tokyo, sur le modèle de l’Union de tempérance des femmes chrétiennes (Woman’s Christian Temperance Union, WCTU) créée par l’Américaine Frances E. Willard en 1874. La présidente de Kyofukai était Kajiko Yajima (1832-1925), fondatrice de Joshi-gakuin, une université pour femmes. L’organisation avait pour but, sur la base de la foi chrétienne, de promouvoir la tempérance, mais aussi de lutter contre un certain nombre de coutumes japonaises. Ce mouvement a eu une grande influence sur la société japonaise et a participé à l’établissement des droits des femmes.
Le mouvement travaille d’abord à l’abolition du système de prostitution légalisé : de nombreuses femmes étaient à l’époque forcées par leurs créanciers à se prostituer pour rembourser des dettes familiales. Kyofukai aidait ces femmes à abandonner la prostitution et à se tourner vers d’autres emplois. Le mouvement construit un refuge nommé Jiai-kan, où les prostituées cherchant à changer de vie pouvaient habiter, tout en apprenant un métier qui leur permettrait d’accéder à l’indépendance. Elles étaient matériellement et spirituellement soutenues, et on leur procurait un emploi. Kyofukai, tout en aidant les femmes à sortir de la prostitution légalisée, luttait aussi de façon administrative et légale contre ce système. Dans la mesure où il était tacitement permis aux hommes d’avoir des maîtresses, le mouvement militait pour que la monogamie soit inscrite dans la Constitution de la Diète impériale. La nouvelle Constitution était alors à l’état de projet ; le mouvement cherchait à établir les droits de la femme et l’importance du foyer. Enfin, le mouvement soutenait les femmes opprimées ou exploitées, comme celles qui travaillaient en usine ou les victimes de la pollution par le cuivre de la mine d’Ashio. Les ouvrières en usine, soumises à de longues et pénibles journées de travail, souffraient souvent de tuberculose ; le mouvement a lutté pour qu’elles soient mieux prises en compte et soignées. Il a également accueilli des jeunes filles des environs d’Ashio, leur procurant de l’argent et des vivres, et les aidant à s’établir à Tokyo.
Durant cette période, Kyofukai continue à réclamer l’abolition du système de prostitution légalisée et à aider les femmes pauvres et opprimées. L’activité du mouvement se déploie alors sur deux fronts. Le premier est celui du suffrage des femmes. Le suffrage universel est adopté en 1924, mais seuls les hommes d’au moins 25 ans étaient autorisés à voter, les femmes restant exclues de la vie politique. Kyofukai avait l’impression que son action contre la prostitution ne pouvait aboutir faute d’un accès au vote ; celui-ci ne devient effectif qu’après la Seconde Guerre mondiale. Le grand tremblement de terre de Kantō du 1er septembre 1923 suscite un deuxième élan du mouvement. La plus grande partie de Tokyo ayant brûlé, des chrétiens japonais et de nombreuses églises aident à secourir les victimes.
Le mouvement participe à la Pan Pacific Women’s Conference de 1928 à Londres, et à la conférence de Londres pour le désarmement. Tsuneko Gauntlett (1873-1953) était le chef de file de ces représentantes. Elle entendait renforcer la communication internationale et détruire les préjugés raciaux pour établir la paix. Mais le Japon se préparait à la Seconde Guerre mondiale, et Kyofukai ne pouvait lutter contre cette marche inéluctable vers la guerre. Après la Seconde Guerre mondiale, Kyofukai reprend le combat contre la prostitution légale, et, en 1956, la loi de prévention de la prostitution est enfin adoptée. La prostitution continue cependant, sous la forme de services particuliers fournis dans les maisons de bains privées (appelées toruko-buro, « bains turcs »). Le mouvement dénonce le marché de la prostitution asiatique et le tourisme sexuel (appelé kai-syun tour) vers la Corée, les Philippines ou encore la Thaïlande. Diffusé dans les journaux, l’appel de Kyofukai alerte l’opinion publique. Le mouvement lutte aussi pour la paix, et pour le maintien de l’article 9 de la Constitution japonaise qui y inscrit le renoncement du Japon à la guerre. En 1986, le mouvement fonde Help (House in Emergency of Love and Peace, « maison d’urgence de paix et d’amour »), refuge pour les victimes de violences domestiques ou pour les étrangères vivant dans le pays, travaillant comme hôtesses ou danseuses, ou épouses de Japonais. À l’heure actuelle, le mouvement Kyofukai lutte toujours pour les droits des femmes.
Mime MORITA
KYOMUHENDO, Goretti [HOIMA 1965]
Écrivaine et éditrice ougandaise.
Élevée dans une région rurale avec un accès très limité aux livres, Goretti Kyomuhendo découvre la lecture vers l’âge de 10 ans grâce à l’installation d’une petite bibliothèque locale, essentiellement fournie de titres anglophones tels que The Hardy Boys (Franklin W. Dixon). Elle est avide de littérature africaine, à la recherche de livres reflétant sa propre vie et de personnages auxquels elle puisse s’identifier. À 12 ans, elle lit le célèbre Things Fall Apart du Nigerian Chinua Achebe et lui envoie une lettre demandant d’autres titres. Nourrie par les contes de tradition orale que sa grand-mère lui raconte, c’est à elle, à son village et à tous les siens qu’elle dédie son premier roman, The First Daughter, écrit en 1992 et paru en 1996 grâce à une ONG. Diplômée en business administration à Kampala, elle obtient un master de creative writing à l’université du KwaZulu-Natal à Durban, en Afrique du Sud, et, en 1997, elle est la première Ougandaise à recevoir une bourse pour l’International Writing Program de l’université d’Iowa. La même année, elle cofonde, avec Mary Okurut* et six autres femmes, l’Association des femmes ougandaises écrivains, et une maison d’édition, projet baptisé Femwrite en 1997. L’objectif est de publier les histoires et contes dont les femmes africaines anonymes ont le secret, mais qu’elles n’osent présenter aux éditeurs masculins et établis. L’aide de Mary Jay, correspondante de African Books Collective, est déterminante, mais les conditions de publication des manuscrits (cinq par an en moyenne) restent précaires. Sur 45 maisons d’édition enregistrées en Ouganda dans les années 2000, seules deux, dont Femwrite, sont dirigées par des femmes et seulement 26 % de tous les auteurs publiés sont des femmes. Coordinatrice des programmes de Femwrite depuis sa fondation, G. Kyomuhendo a continué son activité d’écrivaine. Elle est l’auteure de nombreux écrits pour la jeunesse et de plusieurs romans, dont Secrets No More, déclaré meilleur roman 1999 par le Uganda National Literary Award, et Waiting : A Novel of Uganda’s Hidden War, publié en 2007 by The Feminist Press, à New York. Ses textes dénoncent les violences sexuelles et sociales faites aux femmes africaines. Elle écrit régulièrement dans les colonnes de revues de Kampala telles que The Monitor et The Crusader.
Brigitte OUVRY-VIAL
■ Justus Saves His Uncle, Londres, Macmillan, 2008 ; A Chance to Survive, Londres, Macmillan, 2008.
KYRK, Hazel [ASHLEY, OHIO 1886 - VERMONT 1957]
Économiste américaine.
Professeure d’économie détentrice d’un doctorat (PhD), Hazel Kyrk a été une pionnière dans l’analyse du comportement des consommateurs. Ayant suivi des études d’économie à l’université d’Ohio Wesleyan et à l’université de Chicago, elle a enseigné au Wellesley College (Massachusetts). Après avoir participé à la guerre, elle a poursuivi ses études et est devenue la première femme à obtenir un PhD de l’université de Chicago (1920). Dans sa thèse, A Theory of Consumption, elle montrait que les consommateurs sont des individus responsables choisissant les biens qu’ils achètent en fonction de multiples critères, et non pas de simples acheteurs comme le laissait supposer la théorie classique. Ses travaux, pour lesquels elle a reçu de nombreux prix, ont permis le développement de la théorie du capital humain pour laquelle Gary Stanley Becker s’est vu décerner le prix Nobel d’économie en 1992. Après avoir passé une année à l’Institut de recherche alimentaire de l’université Stanford, H. Kyrk a enseigné à l’université d’État de l’Iowa, puis de nouveau à l’université de Chicago, de 1925 jusqu’à sa retraite, en 1952. Outre sa carrière de professeure, elle a été la principale économiste du service de l’économie nationale, au ministère de l’Agriculture américain, entre 1938 et 1941. Lors de ce passage dans l’administration, elle a contribué à l’élaboration d’un indice facilitant la mesure de l’évolution du coût de la vie, qui a donné lieu à l’indice des prix à la consommation bien connu aujourd’hui pour la mesure de l’inflation. Après la guerre, H. Kyrk a présidé le conseil technique du Bureau of Labor Statistics pour l’élaboration d’un « budget familial moyen ». Elle a également aidé à réviser l’indice des prix à la consommation pour la prise en compte de l’inflation à cette période.
Mathilde LEMOINE
■ A Theory of Consumption, Boston/New York, Houghton Mifflin, 1923 ; avec DAY M., STRATTON L. M. et STONE U. B., Food Buying and Our Markets, New York, M. Barrows, 1940 ; The Family in the American Economy, Chicago, University of Chicago Press, 1953.
■ « The income distribution as a measure of economic welfare », in The American Economic Review, vol. 50, no 2, mai 1950.
KYSILEVS’KA, Olena [FILVARKY, AUJ. MONASTYRYSK 1869 - OTTAWA 1956]
Femme de lettres ukrainienne.
Originaire de Galicie (Ukraine occidentale), Olena Kysilevs’ka publie sous des pseudonymes (Halytchanka, Kalyna et Neznana). En 1923, elle devient la rédactrice et l’éditrice de l’hebdomadaire Le Destin de femme à Kolomyïa et de plusieurs almanachs où les thèmes de l’éducation et de l’émancipation féminine sont souvent abordés. De 1928 à 1935, elle occupe un poste important au Sénat polonais et dirige la Fédération mondiale des femmes ukrainiennes. De son œuvre, on retiendra surtout les récits de ses voyages Lysty z-nad Tchornoho moria (« lettres de la mer Noire ») et Po ridnomou kraïou (« à travers mon pays natal »).
Olga CAMEL
■ Entsyklopedia ukrainoznavstva, t. 3, Munich, Molode jyttia, 1959.
KYUNG-A, Jung [XXe siècle]
Auteure de bandes dessinées coréenne.
Lauréate du prix Korea Publishing Cartoon Competition en 2001 pour une biographie dessinée d’Édith Piaf* (Padam Padam, inédite en français), Jung Kyung-a a été sélectionnée pour le prix Artémisia 2008 avec une œuvre ample nourrie par sa formation d’historienne. Lors du déclenchement de la guerre en Irak, en 2003, cette Coréenne mère de deux filles s’interroge sur la condition des femmes lors des conflits armés et commence un travail de recherche qui aboutira au roman graphique intitulé Femmes de réconfort, publié en 2006 et paru l’année suivante en France. Le titre désigne les ianfu, esclaves sexuelles de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. L’une des protagonistes, Jan, Hollandaise d’Indonésie et ancienne victime, s’insurge contre la douceur hypocrite du mot « réconfort » qu’elle juge peu compatible avec les viols et sévices subis par ces femmes. En raison du sujet abordé – l’horreur imposée à l’être humain par d’autres êtres humains – et malgré un traitement graphique différent, la critique a souvent comparé ce livre à Maus, d’Art Spiegelman. Dans la préface, Jung Kyung-a précise qu’elle n’accuse pas mais « s’interroge sur les circonstances qui ont abouti à cela, sur leur sens et leur impact dans la société coréenne ».
Camilla PATRUNO
■ Femmes de réconfort, Esclaves sexuelles de l’armée japonaise (The story of "Japanese military sex slaves", 2006), Vauvert/Frontignan, Au diable Vauvert, 6 pieds sous terre, 2007.
KYVELI, Adrianou [SMYRNE 1888 - ATHÈNES 1978]
Actrice grecque.
Enfant adoptée, Adrianou Kyveli vit à Athènes dès son jeune âge. En 1901, actrice du théâtre Nea Skini (« nouvelle scène ») dirigé par Constantinos Christomanos, metteur en scène de l’avant-garde, elle joue dans Roméo et Juliette de Shakespeare, Alceste d’Euripide, Le Canard sauvage d’Ibsen, La Locandiera de Goldoni. Chef de troupe à partir de 1908, elle joue à Athènes les pièces qui ont connu le succès dans les salles européennes (Maeterlinck, D’Annunzio, Friedrich Hebbel, Gorki, Leonid Andreïev, Dario Niccodemi), à côté de pièces d’auteurs dramatiques grecs contemporains. Elle se distingue par son interprétation dans Une maison de poupée et Hedda Gabler d’Ibsen et Les Trois Sœurs de Tchekhov ; elle joue également le rôle principal dans Marie Stuart de Schiller. En collaboration avec plusieurs troupes, elle joue Tchekhov (La Mouette), García Lorca (Noces de sang, Dona Rosita), Cocteau (Les Parents terribles), Brecht (Mère Courage et ses enfants), Bernanos (Dialogues des carmélites). Le stéréotype de l’« ingénue », propre au boulevard, de ses premières apparitions, est vite oublié grâce aux grands rôles qu’elle interprète avec succès pendant soixante-dix ans. Son physique lui assure une présence scénique puissante ; son style, riche en accents expressifs et toujours renouvelé, se manifeste en un jeu sobre et naturel, dans la voie du réalisme. Soucieuse d’avant-garde, elle marque par ses interprétations incomparables l’histoire de la vie théâtrale athénienne et contribue considérablement au renouveau du théâtre grec amorcé à partir de la fin du XIXe siècle.
Maria PRASSA
■ SPATHIS D., « Theatro » in ANGOURIDAKIS V. (dir.), Hellada, historia kai politismos, t. 10, Thessalonique, Malliaris-Paidia, 1983 ; SOLOMOS A., Theatriko lexiko, Athènes, Kedros, 1989.