SINCLAIR, May (Mary Amelia SAINT-CLAIR, dite) [ROCK FERRY, CHESHIRE 1863 - AYLESBURY 1946]

Écrivaine britannique.

Née dans une famille religieuse, d’une mère très pratiquante et autoritaire et d’un père propriétaire de bateaux mais qui, ayant perdu sa fortune, sombra dans l’alcoolisme, May Sinclair fréquente le Cheltenham Ladies’ College pendant un an. Elle doit ensuite s’occuper de ses cinq frères, tous atteints d’une maladie cardiaque congénitale. À partir de 1896, elle commence à écrire afin de subvenir aux besoins de la famille, d’abord de la poésie philosophique, puis un roman, Audrey Craven (1897). Vers 1913, elle s’intéresse à la psychanalyse, qu’elle utilise dans ses romans. Volontaire pour œuvrer sur le front des Flandres pendant la Première Guerre mondiale, elle est atteinte d’un syndrome commotionnel. Dans ses premiers livres, elle traite de la situation des femmes et du mariage, des bouleversements du début du XXe siècle et, dans des essais philosophiques, de l’idéalisme allemand. Dès 1915, cependant, épousant les crises et contradictions de cette période, elle s’intéresse à l’imagisme d’Ezra Pound, Hilda Doolittle* et Richard Aldington, et elle écrit plusieurs articles sur la poésie de T.S. Eliot et Dorothy Richardson* – inventant à cette occasion l’expression « courant de conscience ». Ses romans portent alors tous la trace de l’écriture moderniste, comme dans son roman autobiographique Mary Olivier, une vie (1919) où elle expérimente de nouvelles formes narratives. Toute son œuvre témoigne d’une grande indépendance intellectuelle et d’un refus radical de tout conformisme.

Michel REMY

Mary Olivier, une vie (Mary Olivier : A Life, 1919), Nouvelles Éditions latines, 1948 ; Vie et mort de Harriett Frean (Life and Death of Harriett Frean, 1922), Paris, Flammarion, 1982 ; L’Intercesseur (The Intercessor and Other Stories, 1931), Paris, Joëlle Losfeld, 2000.

RAITT S., May Sinclair : A Modern Victorian, Oxford, Oxford University Press, 2000.

SINGER, Maxine [NEW YORK 1931]

Biochimiste et docteure ès sciences américaine.

Maxine Frank Singer est une pionnière en biologie moléculaire. Après un doctorat en biochimie, en 1957, à Yale, suivi de plusieurs années de recherche, elle accepte en 1974 un poste au National Cancer Institute (NCI). Inquiète des risques de la recherche utilisant l’acide désoxyribonucléique (ADN) recombinant, elle coorganise en 1975 la conférence Asilomar réunissant 140 biologistes, médecins, avocats, journalistes pour réglementer la conduite de la recherche. De 1975 à 1980, elle conseille le directeur du National Institute of Arthritis, Metabolism and Digestive Diseases au NIH pour la rédaction d’une version préliminaire sur les mesures de sécurité concernant les recherches sur l’ADN recombinant. De 1980 à 1987, elle occupe le poste de chef du laboratoire de biochimie au NCI et, de 1988 à 2002, celui de présidente de la Carnegie Institution à Washington. M. Singer a également été à l’avant-garde de la recherche sur les enzymes qui catalysent et contrôlent la synthèse de l’acide ribonucléique (ARN) et de l’ADN. Les polymères et trinucléotides synthétiques obtenus en collaboration avec Leon Heppel permettent notamment à Marshall Nirenberg de déchiffrer le code génétique, au début des années 1960. Les recherches de la biochimiste se sont ensuite orientées vers l’étude de la structure de la chromatine, de la structure et de l’évolution de virus défectifs, et des éléments mobiles du gène. Dans les années 1980, elle montre que de longues séquences répétitives LINEs-1 (Long Interspersed Nucleotide Elements) de l’ADN d’origine humaine sont capables de se transposer et de s’insérer dans de nouvelles positions sur l’ADN des chromosomes et risquent ainsi de créer des maladies à transmission génétique. M. Singer a été élue à l’American Academy of Arts and Sciences (1978), à la National Academy of Sciences (1979) et à la Pontifical Academy of Sciences (1986). En 1988, elle a reçu le Distinguished Presidential Rank Award, l’honneur le plus élevé accordé à un civil ; en 1992, la National Medal of Science, la plus haute récompense décernée par le président des États-Unis ; en 1998, la Public Welfare Medal de l’Académie des sciences ; et en 2004, le prestigieux prix Philip-Hauge-Abelson de l’American Association for the Advancement of Science.

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

Avec BERG P., Gene and Genomes : A Changing Perspective, Mill Valley, University Science Books, 1991.

Avec BERG P., BALTIMORE D. et al., « Summary statement of the Asilomar conference on recombinant DNA molecules », in PNAS, vol. 72, no 6, juin 1975 ; « SINEs and LINEs : highly repeated short and long interspersed sequences in mammalian genome », in Cell, vol. 28, no 3, mars 1982 ; avec FANNING T. G., « LINE-1 : a mammalian transposable element », in Biochimica et Biophysica Acta, vol. 910, no 3, déc. 1987.

SINGH, Arpita [BENGALE OCCIDENTAL 1937]

Peintre indienne.

De 1954 à 1959, Arpita Singh suit, à New Delhi, une formation artistique à la Delhi School of Art et à la Delhi Polytechnic. Son art est d’abord figuratif, puis, à la fin des années 1960, elle réalise des dessins abstraits formés d’éléments basiques, points ou lignes en noir et blanc, pour, finalement, réintroduire progressivement des éléments figuratifs et de la couleur dans ses œuvres des années 1980. Dans l’intimité de son atelier, elle peint avec empathie les femmes, son principal sujet d’étude, dans un environnement moderne poétique, entièrement recréé. Son monde oscille entre réel et fantastique. Sa série articulée autour de la jeune Ayesha Kidwai et de sa famille, véritable « microcosme de l’Inde moderne » (cité par Yashodhara Dalmia), est apparemment sans fin. L’artiste crée une continuité par un jeu de combinaisons variées de couleurs, de motifs et de formes, grâce à l’association d’éléments disparates, prétextes au travail des formes. Dans ce monde enchanté, la profusion de motifs banals dans un espace en apparence calme crée une tension qui reflète le chaos social environnant, par exemple dans My Mother (collection particulière, Washington, 1993). Dans ces compositions très construites, chaque espace de la toile est articulé avec ces signes récurrents inspirés du quotidien à la manière des kantha, type de broderies traditionnelles du Bengale. Les motifs floraux ou les chiffres créent un cadre dans le cadre qui, à l’origine, protège la scène mais qui, au fur et à mesure, s’ouvre sous l’action invasive inévitable du monde extérieur.

Judith FERLICCHI

Arpita Singh : Memory Jars, New Paintings and Watercolors, 2003 (catalogue d’exposition), New York, Bose Pacia Modern, 2003.

DALMIA Y., « Arpita Singh : of mother goddesses and women », in SINHA G. (dir.), Expressions & Evocations : Contemporary Women Artists of India, Bombay, Marga Publications on behalf of the National Centre for the Performing Arts, 1996 ; KAPUR G., « Body as gesture : women artists at work », in When was Modernism : Essays on Contemporary Cultural Practice in India (2000), New Delhi, Tulika, 2007.

SINGH, Dayanita [NEW DELHI 1961]

Photographe indienne.

Après avoir étudié la communication visuelle au National Institute of Design, Ahmedabad, puis le photojournalisme et la photographie documentaire à l’International Center of Photography de New York, Dayanita Singh travaille pour divers magazines. Lasse de décrire les problèmes sociaux et soucieuse de s’affranchir des clichés liés à l’Inde, elle abandonne ce genre pour se consacrer, dès 1992, à des portraits de familles urbaines, économiquement privilégiées, occidentalisées, qui évoluent dans un monde fermé, encore peu documenté, mais qu’elle connaît bien. Ces images sont publiées en 2003 sous le titre Privacy (« intimité »). Deux ans auparavant, ses photos illustraient déjà le livre de Mona Ahmed (Myself Mona Ahmed, 2001), eunuque rencontré en 1989 et photographié pendant treize ans. Ses photos du début du XXIe siècle sont un travail sur la mémoire, un cheminement entre lieu et temps. L’artiste voyage beaucoup grâce à une bourse : à Calcutta, elle photographie des chaises, des lits vides ; à Boston, à Venise ou dans le sud de l’Inde, elle réalise des « portraits de meubles » ; elle construit des images autour des portraits et des effets personnels de disparus. Sent a Letter (« j’ai envoyé une lettre », 2007) rassemble sous la forme de sept petits livres fabriqués en accordéon, ses travaux – ou « journaux » –, liés à sa propre histoire et à celle de l’Inde. Ici comme ailleurs, elle réfute toute notion d’indianité et invite le spectateur à se perdre et à laisser libre cours à son interprétation dans ses clichés sans titre ni date. Un caractère intemporel que l’on retrouve dans la série Dream Villa (« villa de rêve », 2007-2008) ou dans ses paysages industriels, Blue Book (« livre bleu », 2008), qui sont des images expérimentales où elle abandonne le noir et blanc pour « apprendre à parler en couleurs ».

Judith FERLICCHI

Privacy, Göttingen/Londres, Steidl/Thames and Hudson, 2003 ; Chairs, Göttingen, Steidl, 2005 ; Go Away Closer (catalogue d’exposition), Göttingen, Steidl, 2007 ; Dream Villa, Göttingen, Steidl, 2010.

SINGH, Padmavati (née MATHEMA) [KATMANDOU 1948]

Nouvelliste et romancière népalaise.

Née dans une famille aisée du quartier de Ombahal à Katmandou, Padmavati Singh est la petite-fille d’un ministre (Bada Kaji) de la cour royale et la fille d’un ministre du gouvernement post-Rana. Contrairement à nombre d’écrivains népalais pour qui le malheur et la pauvreté ont constitué un moteur essentiel dans leur désir de création, elle n’a pas connu la souffrance. Au Népal, où la reconnaissance du talent va souvent de pair avec celle du mérite personnel, les critiques font remarquer tout bas qu’elle est une écrivaine issue de la « classe de loisirs », mais elle est également reconnue comme une personnalité très énergique, à l’origine de la création de Gunjan, le Cercle des femmes de lettres du Népal. Malgré son statut social privilégié, la domination des femmes, qui touche toutes les couches de la société, a contribué à faire d’elle une écrivaine. L’une de ses nouvelles, traduite en anglais sous le titre Is Woman a Human Being ? (« la femme est-elle un être humain ? »), est publiée dans un volume édité par l’auteure en vue de promouvoir les œuvres des écrivaines népalaises à l’étranger, Beyond the Frontiers : Women’s Stories From Nepal (« au-delà des frontières : histoires de femmes du Népal », 2006). Ce volume comprend également sa célèbre nouvelle Silent Submission (« soumission silencieuse »), dans laquelle elle dépeint l’impérieux désir d’enfant qui s’empare d’une femme d’âge mûr et la conduit à séduire le fils adolescent de sa servante. Ses nouvelles ont été publiées en quatre recueils : Kathadi (« origine des récits », 1981), Kathayam (« perspectives narratives », 1982), Kathakar Padmavati Singh (« la conteuse Padmavati Singh », 1987) et Padmavatika Kathaharu (« les histoires de Padmavati », 2000). P. Singh a aussi publié deux romans : Samanantar akash (« un ciel parallèle », 2005), qui lui a valu le prestigieux prix Sajha-Awar, et Maun swikriti (« l’acceptation silencieuse », 2007). Son œuvre a été récompensée à plusieurs reprises par des prix nationaux.

C.K. LAL et Marie LECOMTE-TILOUINE

SINHA, Mrinalini [PATNA 1960]

Historienne indienne.

Née d’un père militaire dans l’État du Bihar, Mrinalini Sinha étudie à Delhi, puis fréquente l’université d’État de New York à Stony Brook, où elle achève son doctorat en 1988. Après avoir occupé plusieurs postes dans des universités américaines, notamment à l’université d’État de Pennsylvanie et à l’université de Southern Illinois, elle enseigne à l’université du Michigan depuis 2010. Codirectrice de publication de la collection « Critical Perspectives on Empire » (Cambridge University Press) et de la revue History of the Present, elle a également occupé cette fonction pour Gender and History (1996-2000). Membre du comité de rédaction de nombreuses autres revues et collections, elle exerce des responsabilités dans diverses organisations et associations, comme l’American Historical Association et l’International Federation for Research on Women’s History. Ses travaux se situent à la croisée des études de genre, de l’histoire de l’Inde coloniale, de l’histoire impériale britannique et de l’histoire globale. Elle promeut une historiographie féministe qui dépasse les seules questions d’histoire des femmes. Elle associe ainsi la notion de genre à d’autres catégories (classe, race, sexualité, nation), tout en l’inscrivant au sein d’une riche histoire politique. Utilisant le concept de « formation sociale impériale » pour examiner les relations entre l’Inde coloniale et la société métropolitaine, elle place la masculinité coloniale au centre de l’étude de l’organisation du pouvoir et des hiérarchies politiques en Inde à la fin du XIXe siècle, ainsi que des dynamiques entre colonialisme et nationalisme (Colonial Masculinity : The “Manly Englishman” and the “Effeminate Bengali” in the Late Nineteenth Century, 1995). Elle publie et commente de larges extraits de l’ouvrage de Katherine Mayo intitulé Mother India (1927), qui offre une description de l’arriération sociale des Indiens les rendant inaptes à se gouverner eux-mêmes (Selections from Katherine Mayo’s “Mother India”, 1999). M. Sinha analyse également les intenses controverses et débats publics déclenchés par l’ouvrage à l’échelle internationale. Dans Specters of Mother India : The Global Restructuring of an Empire (2006), elle montre que cette publication, dont les effets ont largement débordé la portée initiale, a été le prélude à d’importants changements dans la formation historique impériale de l’entre-deux-guerres. Elle s’intéresse désormais au développement de l’État-nation en Inde.

Anne-Julie ETTER

SINIAKOVA, Maria MIKHAÏLOVNA [KHARKIV, UKRAINE 1898 - RUSSIE 1989]

Peintre ukrainienne.

Toute son œuvre est marquée du sceau formel et coloré de son pays. Maria Mikhaïlovna Siniakova fait son apprentissage artistique d’abord à Kharkiv, puis à Moscou, chez un des maîtres du cézannisme primitiviste fauve du Valet de carreau, Ilia Machkov. Elle montre, pour la première fois, deux œuvres à la dernière exposition du groupe avant-gardiste pétersbourgeois, l’Union de la jeunesse, en 1913-1914. Elle voyage en Allemagne et en Asie centrale, se nourrit de l’influence de Gauguin, de Matisse, du mouvement néoprimitiviste russe ; elle s’intéresse à l’icône et aux enseignes de boutiques, aux miniatures et aux tapis persans. Elle est aussi très liée au milieu des poètes « cubofuturistes », dont Vélimir Khlebnikov, l’hôte de la famille, qui écrit un poème, Siniyé okovy, sur les trois sœurs Siniakova, célèbres pour leur beauté. M. Siniakova réalise en 1915 la couverture d’un recueil poétique de Nikolaï Asseïev (l’époux de sa sœur), qui paraît à Kharkiv. La même année, elle participe à l’almanach futuriste Strélets (« le sagittaire »). En 1916, elle illustre le recueil poétique de Bojidar, Le Tambourin, et cosigne le manifeste futuriste, La Trompette des martiens, avec les poètes V. Khlebnikov, Petnikov, N. Asséïev et Bojidar. Elle est proche, en 1918, de Soyouz Sémi (« Union des sept »), groupe avant-gardiste russo-ukrainien de Kharkiv, qui compte le constructiviste ukrainien Vassy l’Ermilov parmi ses membres. En 1926, elle illustre Vanka-Caïn et Sonka la manucure, le roman du poète et théoricien « transmental », Alexeï Kroutchonykh. Elle poursuit dans la voie de la mise en page et de l’illustration de livres, en particulier ceux de son beau-frère, mais aussi ceux de Korneï Tchoukovski et de Vladimir Maïakovski (Oblako v chtanakh, « le nuage en pantalon », 1937). En 1952, elle est exclue de l’Union des artistes pour « servilisme à l’art occidental ». En 1969 a lieu sa seule exposition personnelle à l’Union des écrivains de Kiev. À côté des artistes de la Grande Russie tels que Natalia Gontcharova* et Pavel Filonov, qui montrent les deux faces opposées – solaire et souterraine – de la géologie culturelle, spirituelle, picturale, mentale russe, M. Siniakova est l’auteure d’une œuvre qui respire toute la gaieté, l’insouciance et le multiculturalisme de l’Ukraine, et dont la palette est un véritable arc-en-ciel. Elle était, par ailleurs, comme sa compatriote Sonia Delaunay*, une adepte du nudisme qu’elle pratiquait couramment. Ses œuvres s’inspirent essentiellement de la miniature persane, de la gamme colorée populaire ukrainienne, du néoprimitivisme de Larionov.

Jean-Claude MARCADÉ

MARCADÉ J.-C., MARCADÉ V., L’Avant-Garde au féminin, Moscou-Saint-Pétersbourg-Paris, 1907-1930, Paris, Artcurial, 1983 ; ID., L’Avant-Garde russe, 1907-1927 (1995), Paris, Flammarion, 2007.

SINTENIS, Renée [GLATZ, POLOGNE 1888 - BERLIN 1965]

Sculptrice et dessinatrice allemande.

À son époque, la critique d’art – alors essentiellement masculine – est persuadée qu’une femme sculpteur doit exceller dans les sujets miniatures, proches du bibelot, traitant des thèmes relativement légers, dit « féminins », tandis que la taille directe, le monumental sont de l’ordre du masculin. En semi-conformité avec ces règles du jeu par le choix de la sculpture animalière – un genre « respectable –, Renée Sintenis va gagner ainsi une place officielle dans l’art de son temps. Issue d’une famille de huguenots français réfugiés en Allemagne, elle grandit dans un milieu aisé. Elle apprend la sculpture auprès de Wilhelm Haverkamp, à l’Académie du musée royal des Arts décoratifs de Berlin, mais son père, un juriste, refuse qu’elle fasse une carrière artistique ; elle quitte alors le domicile familial. Vivant désormais avec une amie, elle produit ses premiers petits bronzes animaliers ; elle va régulièrement au zoo de Berlin étudier les animaux. En 1915, la présentation de ses œuvres à la Secession de Berlin lui vaut une notoriété naissante. Grâce à son amie la photographe Frieda Riess (1890-1955), elle fréquente le milieu artistique et intellectuel de la ville. En 1917, elle épouse Emil Rudolf Weiss, professeur de typographie à l’Académie des beaux-arts, poète et écrivain. Remarquée par l’influent galeriste de la modernité, Alfred Fleichtheim, elle sera présente tous les ans dans sa galerie, mais aussi en France, à New York, à La Haye. En 1921, elle illustre la traduction de Sappho de Hans Rupé : son dessin aux lignes stylisées montre des femmes dénudées ou drapées, à peine ébauchées dans un univers immatériel. En 1925, A. Fleichtheim l’expose aux côtés de la peintre Marie Laurencin*. La sculptrice aborde le corps masculin par les pratiquants de sport, modèles pour l’étude des masses : les mouvements rapides du boxeur, du coureur, du joueur de polo sont montrés avec la même acuité que le mouvement lent du cheval qui se couche. Son succès culmine en 1926 avec Der Läufer von Nurmi (« le coureur de Nurmi », 1926), pour lequel elle reçoit en 1932 le prix Olympia. En 1931, elle est la première femme membre de l’Académie de Berlin ; elle y enseigne jusqu’à ce qu’elle soit chassée par les nazis en 1934. Pendant la guerre, son atelier est détruit par les bombardements. En juin 1945, l’artiste expose dans une des premières expositions berlinoises d’art contemporain, et réintègre son poste de professeure en 1947. L’année suivante, elle reçoit le Premier prix artistique de la ville.

Catherine GONNARD

Renée Sintenis, Berlin, Aufbau-Verlag, 1947.

CREVEL R., Renée Sintenis, Paris, Gallimard, 1930 ; KETTELHAKE S., Renée Sintenis, Berlin, Boheme und Ringelnatz, Berlin, Osburg, 2010 ; KIEL H., Renée Sintenis, Berlin, Rembrandt, 1935.

SALMON A., « Renée Sintenis », in L’Art vivant, n° 52, 15-2-1927.

SIPILÄ, Helvi [HELSINKI 1915 - ID. 2009]

Militante féministe et femme politique finlandaise.

Fille unique d’agriculteurs aisés et progressistes qui l’encouragent à faire des études, Helvi Sipilä est, en 1939, l’une des premières femmes juristes finlandaises et crée, en 1943, son cabinet d’avocat. Dès les années 1950, elle est chargée de responsabilités internationales importantes, dont les présidences de la Fédération internationale des femmes juristes et de Zonta International (1968-1970), organisation non gouvernementale visant l’amélioration de la situation des femmes du monde entier. En 1972, elle est la première femme nommée au poste de Secrétaire général adjoint à l’Organisation des Nations unies (Onu) et y restera jusqu’en 1980. Elle est aussi Secrétaire générale chargée de l’organisation de la première Conférence internationale de l’Onu sur les femmes, au Mexique, en 1975. Sous son impulsion fut également créé, en 1976, le Fonds de contributions volontaires pour la Décennie des Nations unies pour la femme, qui vise à travailler pour l’émancipation des femmes et l’égalité entre les sexes et qui deviendra le Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem). Aujourd’hui, l’Unifem continue à œuvrer contre la pauvreté, la discrimination et les violences que subissent les femmes, tout en encourageant les mesures d’élargissement de l’accès des femmes aux postes à responsabilités. En 1982, H. Sipilä, politiquement indépendante, est la première femme à se présenter à une élection présidentielle en Finlande, sur la liste du Parti libéral finlandais. Bien qu’elle ne soit pas élue, elle ouvre alors la porte à plusieurs candidatures de femmes au poste suprême de l’État, jusqu’à l’élection de Tarja Halonen*, en 2000. Tout au long de sa carrière internationale, cette mère de quatre enfants ne cessa d’attirer l’attention sur le principe de l’équité entre les sexes, l’éducation des femmes et le rôle crucial des citoyennes dans l’avenir de l’humanité. Elle s’est vu décerner le titre de docteur honoris causa par 12 universités finlandaises et étrangères.

Taïna TUHKUNEN

SIRAISI, Nancy [CATTERICK, YORKSHIRE 1932]

Historienne américaine.

Née dans une famille de la classe moyenne, Nancy Siraisi hérite de sa mère le goût pour la lecture. Elle fait ses études en Angleterre ainsi qu’au Canada, du fait d’une affectation de son père, militaire. Après le pensionnat, elle passe son BA (Bachelor of Arts) à l’université d’Oxford, puis prépare un doctorat – soutenu en 1970 – au Graduate Center de la City University of New York. Après la mort prématurée de son mari, elle occupe divers postes, puis rejoint la Hunter College Faculty en 1970, où elle enseigne jusqu’à sa retraite, en 2003. À New York, elle rencontre son second mari et a deux enfants. Influencée dans ses travaux par Lynn Thorndike, Paul Oskar Kristeller et Charles Schmitt, elle reçoit également le soutien précieux de Pearl Kibre. Chercheuse éminente et enseignante en histoire de la médecine du Moyen Âge et de la Renaissance ainsi qu’en histoire générale, N. Siraisi étudie l’histoire de la médecine et des sciences de la vie d’un point de vue interdisciplinaire, composant un corpus de recherches sur l’histoire des pratiques, des praticiens et des patients, insérés dans leur contexte social et culturel. Elle s’intéresse particulièrement aux continuités entre la période médiévale et la Renaissance en termes de savoirs et de médecine, mais se penche également sur les questions de l’innovation à la Renaissance et du développement de l’empirisme dans le récit médical ou bien encore sur l’écriture de l’histoire par des médecins de formation universitaire. Publié en 1981, son Taddeo Alderotti and his Pupils est primé. Elle est également l’auteure de Avicenna in Renaissance Italy (1987) et de The Clock and the Mirror : Girolamo Cardano and Renaissance Medicine (1997) qui étudie les écrits médicaux et les pratiques des médecins au chevet des malades. History, Medicine, and the Traditions of Renaissance Learning (2007) s’intéresse au rôle de l’écriture historique dans le travail des médecins de la Renaissance. N. Siraisi collabore également à des projets scientifiques avec Anthony Grafton, Jed Buchwald, Gianna Pomata ou Michael McVaugh. Elle obtient en 2008 une bourse MacArthur (the « genius award ») après avoir passé beaucoup de temps à l’étranger, notamment en Italie.

D. R. KELLEY et Bonnie SMITH

A Life of Learning, New York, ACLS, 2010.

SIRANI, Elisabetta [BOLOGNE 1638 - ID. 1665]

Peintre italienne.

Fille aînée de Giovanni Andrea Sirani, qui fut l’élève et le plus fidèle interprète du peintre de l’école bolonaise Guido Reni, Elisabetta Sirani est très jeune remarquée par le peintre et écrivain Carlo Cesare Malvasia pour son talent précoce. L’auteur d’une somme de biographies sur les artistes bolonais du XVIIe siècle (Felsina pittrice vite de pittori bolognesi [… ], 1678) incite le père de l’adolescente à lui enseigner son art. Alors âgée de 13 ans, celle-ci apprend le dessin, la gravure et la peinture, en même temps qu’elle acquiert une solide culture littéraire et artistique grâce à la bibliothèque paternelle. La biographie élogieuse, voire hagiographique, que C. Malvasia consacre peu après sa mort à l’artiste, qu’il inscrit dans la lignée de femmes artistes légendaires de l’Antiquité et de peintres réputées plus proches comme Properzia de Rossi (vers 1490-1530) et Lavinia Fontana*, fournit des renseignements précis sur sa courte carrière. D’après la liste de ses œuvres qu’elle-même commence à dresser en 1655 (Nota delle pittura fatte da me Elisabetta Sirani), elle exerce son métier de peintre dès l’âge de 17 ans. Son succès immédiat et le nombre important de commandes, tant de personnes privées, de grands nobles que d’institutions religieuses, expliquent un rythme de travail extrêmement soutenu, qui lui permet de subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille. Sa prodigalité et sa virtuosité deviennent vite légendaires, et l’on vient de loin admirer l’artiste à son chevalet. En 1660, elle fonde une école de peinture pour femmes et accueille parmi ses élèves Ginevra Cantofoli*, une certaine Lucrezia Scarfaglia ainsi que ses deux plus jeunes sœurs. De son vivant, la peintre doit une partie de son succès à ses peintures religieuses : de nombreuses interprétations des thèmes de la Vierge à l’Enfant (National Museum of Women in the Arts, Washington, 1663), de la sainte Famille ou de Marie Madeleine. Mais, loin de se limiter à ce genre de tableaux, elle commence à expérimenter, dès la fin des années 1650, de grands formats et puise son inspiration aux sources anciennes, vétérotestamentaires ou relevant de l’histoire antique. Ses compositions mettent en scène des femmes au fort tempérament, qui conjuguent la beauté, la chasteté et des vertus d’ordinaire réservées aux hommes par ses confrères, telle la force : ainsi Portia (Pinacoteca nazionale, Bologne, 1664) d’après la Vie de Brutus de Plutarque, Cléopâtre ou Timoclée. En 1661, elle reçoit une commande princière : elle peint pour le mariage du grand-duc de Toscane, Cosme III de Médicis, avec Marguerite Louise de Bourbon, mademoiselle d’Orléans, un Amour triomphant dans la mer (collection privée), à la symbolique inspirée des livres d’emblèmes. De telles œuvres l’imposent comme peintre d’histoire et peintre d’allégories, et font d’elle une des toutes premières artistes, avec Artemisia Gentileschi*, à oser pratiquer de tels genres et à y rencontrer le succès. Stylistiquement, ses premières œuvres révèlent l’héritage de G. Reni, en même temps qu’une certaine influence du Bolonais Francesco Albani, formé auprès des Carrache. Dans les dernières années de sa courte vie, l’artiste subit l’influence d’un troisième peintre bolonais, Carlo Cignani, et s’ouvre à celle des artistes contemporains de l’école florentine. Sa composition est désormais plus ferme et les états d’âme évoqués plus profonds. Lorsqu’elle meurt, à seulement 27 ans – peut-être empoisonnée –, elle est déjà entourée d’une aura mythique. Ses funérailles grandioses célèbrent une figure exceptionnelle de la scène artistique bolonaise, une femme peintre de génie. C. Malvasia rassemble d’ailleurs tous les poèmes composés à cette occasion : une gloire qui s’estompera par la suite, laissant la jeune artiste dans l’ombre du maître Reni.

Anne-Sophie MOLINIÉ

Elisabetta Sirani, « pittrice eroina », 1638-1665 (catalogue d’exposition), Bologne, Compositori, 2004.

MODESTI A., Elisabetta Sirani, una virtuosa del Seicento bolognese, Bologne, Compositori, 2004 ; The Age of Correggio and the Carracci : Emilian Painting of the Sixteenth and Seventeenth Centuries (catalogue d’exposition), Wahington, National Gallery of Art, 1986.

BOHN B., « The antique heroines of Elisabetta Sirani », in Renaissance Studies, vol. 16, no 1, 2002.

SIRANUCHE (Merobe KANTARCIAN, dite) [ISTANBUL 1857 - ÉGYPTE vers 1931]

Actrice arménienne de Turquie.

C’est vers 1872 que Siranuche fait ses débuts sur les planches, dans le rôle d’une soubrette avec la compagnie Magakian ; elle devient très populaire sur la scène arménienne à Ortaköy. En 1875, elle commence à travailler dans la troupe bilingue de Hagop Vartovian (Güllü Agop) tout en apprenant le chant sous la direction du compositeur Dikran Chuhacian. Dotée d’une voix de colorature, elle excelle dans des opérettes comme La Belle Hélène ou Giroflé girofla (opéra bouffe de Charles Lecocq). Avec la troupe de Serope Benligian elle se produit à Edirne en 1878, puis à Tbilissi en 1879 avec l’acteur vedette Bedros Atamian. Cette période marque le sommet de sa carrière : quand ce dernier joue Hamlet, elle est Ophélia. Dans La Mégère apprivoisée, elle tient le rôle de Catherine ; dans La Pucelle d’Orléans de Friedrich von Schiller, celui de Jeanne d’Arc ; et dans Le Prince de l’auteur arménien Alexander Shirvanzade, elle incarne Herine. Elle reçoit notamment un accueil favorable de la critique pour son interprétation réaliste de Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, à l’opposé de l’habituel jeu mélodramatique. De retour à Istanbul en 1881, elle retrouve la compagnie Benligian et part en tournée entre autres au Caire et à Athènes. Son très large répertoire lui permet de conquérir divers publics.

Aysin CANDAN

AND M., Osmanlı Tiyatrosu, Ankara, Dost Kitabevi, 1999 ; MADAT A., Sahnemizin Degerleri, vol. 1, Istanbul, Osmanbey Basımevi, 1943.

SIRERA OLIAG, María José [VALENCE 1934 - ID. 1982]

Historienne espagnole.

Issue d’une famille bourgeoise, riche et franquiste, María José Sirera Oliag choisit à 18 ans d’entrer dans la congrégation des Esclaves du Sacré-Cœur de Jésus. Elle voulait sanctifier son existence, imiter le Christ dans la pauvreté et l’amour des sans-abris. À Barcelone, elle étudie l’histoire et obtient son diplôme en 1959 avec un mémoire sur les ouvriers de cette ville entre 1900 et 1910. Inspirée par les travaux de Jaume Vicens Vives et par l’École des Annales, elle utilise les statistiques pour approcher la pensée et l’action des travailleurs. À la différence d’études prêtant attention au caractère épique des luttes syndicales, son propos se concentre sur la masse des anonymes et sur leur quotidien. Son ancienne camarade d’étude à la faculté, l’historienne Mercedes Vilanova*, confie avoir suivi ses traces, aussi bien sur les thèmes étudiés que sur la méthode choisie, et écrit en 2010, en collaboration avec Maria Julia Eguillor, El riesgo de la utopía (« le risque de l’utopie »), livre destiné à maintenir vivante la mémoire d’une amie qui eut sur leurs auteures un profond impact spirituel. Considéré comme une œuvre maîtresse, le mémoire de M. J. Sirera Oliag est fondateur à plus d’un titre. D’abord par l’abondance de données statistiques, méthode qu’elle utilise de nouveau dans sa thèse de doctorat sur l’enseignement secondaire en Espagne, mais aussi par sa nature mystique, plus qu’éthique. Par motivation religieuse, l’historienne s’intéresse à ceux qui ont une existence précaire. Elle quitte alors le couvent et rejoint le quartier de Picarral, un faubourg de Saragosse, pour suivre le modèle des prêtres-ouvriers. Elle travaille dans une usine, dans des conditions difficiles pour une santé déjà fragile, et veut contribuer ainsi à la marche de l’histoire vers le progrès et la justice. Après avoir quitté l’usine, elle enseigne quelque temps comme maîtresse d’école dans le village aragonais de La Zaida. Ses dernières années sont marquées par un travail précaire et l’isolement.

Francisco MARTÍNEZ HOYOS

GARCÍA DE ANDOAIN C., « El riesgo de la utopía en el cristianismo social de los setenta », in Historia, Antropología y Fuentes Orales, no 45, 2011 ; MARTÍNEZ HOYOS F., « Compromiso cristiano y militancia de izquierdas », in Historia, Antropología y Fuentes Orales, no 27, 2002 ; VILANOVA M., « María José Sirera Oliag, historiadora y líder obrera », in Historia, Antropología y Fuentes Orales, no 27, 2002.

SIRIES CERROTI, Violante Beatrice [FLORENCE 1709 - ID. 1783]

Peintre italienne.

Aussi connue sous son nom d’épouse, Cerroti (ou Cerruoti), Violante Beatrice Siries naît à Florence, berceau des arts par excellence. Son père, Luigi Siries, orfèvre parisien réputé pour ses gravures sur pierre, occupe alors la fonction de directeur de l’Opificio delle pietre dure (« l’office de la pierre dure ») dans la cité médicéenne. Lors d’un séjour à Paris en 1726, la jeune fille étudie la peinture auprès du portraitiste Hyacinte Rigaud et de François Boucher ; de retour à Florence, elle a pour maître Giovanna Fratellini (1666-1731), connue à la cour des Médicis pour ses portraits miniatures. Son mariage avec Giuseppe Cerroti ne l’éloigne pas de la peinture, et elle obtient l’appui et le patronage de la famille des Médicis. Peintre et dessinatrice, auteure de natures mortes et de quelques peintures à sujet historique, elle se spécialise dans l’art du portrait. Elle travaille notamment pour les membres de la haute société florentine, comme en témoignent plusieurs portraits d’hommes et de femmes de l’aristocratie. Un Portrait de femme au rameau de fleurs et à l’éventail (collection privée) ou un autre Portrait de femme à la montre (collection privée) livrent une vision assez conventionnelle, figée et impersonnelle du modèle, à la manière des portraits officiels contemporains. D’autres portraits, en buste, à la manière de médaillons, sont plus expressifs et d’un dessin plus délicat. Outre les commandes de la cour des Médicis, l’artiste travaille également pour des étrangers de passage en Toscane et pour d’autres cours en Italie ou en Europe, comme pour l’empereur Charles VI de Habsbourg à Vienne. Elle est également l’auteure de plusieurs autoportraits, peints ou dessinés et destinés à être gravés. Le grand-duc de Toscane fait appel à ses talents pour la collection d’autoportraits d’artistes de son palais, rassemblés dans le corridor de Vasari. À Florence, où elle demeure toute sa vie, l’artiste enseigne l’art de la peinture à plusieurs élèves, parmi lesquelles Maria Cosway (1760-1838), née Hadfield, ou Anna Bacherini Piattoli (1720-1788).

Anne-Sophie MOLINIÉ

GREER G., The Obstacle Race : The Fortunes of Women Painters and their Work, Londres, Secker & Warburg, 1979.

HOLCOMB A. M., « Anna Jameson on women artists », in Woman’s Art Journal, vol. 8, no 2, automne 1987-hiver 1988.

SIRIPHAIBUN, Khun Ying Wimon VOIR THOMMAYANTI

SIRISINGH, Supha VOIR BOTAN

SIRLEAF, Ellen JOHNSON [MONROVIA 1938]

Femme politique libérienne.
Prix Nobel de la paix 2011.

Première femme élue présidente d’un État africain, Ellen Johnson Sirleaf, après des études en économie à Monrovia, obtient un diplôme en administration publique aux États-Unis, à l’université Harvard. De retour au Liberia, elle est ministre des Finances en 1972 et 1973, sous la présidence de William Tolbert, mais démissionne à cause d’un désaccord avec celui-ci sur la question des dépenses publiques. À la suite d’un coup d’État mené par Samuel K. Doe en 1980, le président W. Tolbert et plusieurs membres de son cabinet sont exécutés. Échappant de peu au lynchage, E. Johnson Sirleaf se réfugie au Kenya. S. K. Doe accède à la présidence de la République en 1984 et déclare accepter le multipartisme. Elle revient donc pour faire campagne contre lui lors des élections de 1985. Arrêtée puis condamnée à dix ans de prison, elle est cependant autorisée à quitter le pays. De 1992 à 1997, elle travaille comme directrice du bureau régional pour l’Afrique du Programme des Nations unies pour le développement. Puis elle retourne au Liberia pour affronter, lors d’élections, Charles Taylor qui, entre-temps, a pris le pouvoir à la faveur de troubles sociaux. Finissant loin derrière lui, elle s’exile une fois encore pour ne revenir que lorsqu’il est chassé du pouvoir par une nouvelle insurrection. Elle joue alors un rôle actif dans le gouvernement de transition et se présente à l’élection présidentielle de 2005, qu’elle remporte face à l’ancien footballeur George Manneh Weah, le 16 janvier 2006. Elle ramène durablement la paix dans un pays longtemps déchiré par une guerre civile où les femmes ont payé un lourd tribut, massivement violées et kidnappées pour devenir les esclaves sexuelles des groupes armés. L’un de ses premiers actes de présidente est de renforcer la législation sur le viol, lequel devient illégal pour la première fois au Liberia (avant, seul le viol collectif était sanctionné). E. Johnson Sirleaf relance l’économie du pays tout en réduisant les déficits, engage une lutte difficile contre la corruption et obtient en 2010, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, le principe d’une remise totale de la dette du Liberia au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Elle fait aussi adopter une loi instaurant la liberté de la presse. En 2011, elle reçoit le prix Nobel de la paix, en partage avec sa compatriote Leymah Gbowee et la Yéménite Tawakkul Karman. À la même période, elle est investie pour un second mandat à la tête de son pays.

Nadine PUECHGUIRBAL

This Child Will Be Great, Memoir of a Remarkable Life by Africa’s First Woman President, New York, Harper, 2009 ; avec REHN E., Rapport sur les femmes, la guerre et la paix, en tant qu’expertes indépendantes pour l’Unifem, New York, 2002.

SISULU, Albertina [TSOMO, TRANSKEI 1918 - JOHANNESBURG 2011]

Militante sud-africaine de la lutte anti-apartheid.

Fille de mineur, Nontsikelelo Albertina Sisulu devient infirmière et sage-femme dans les townships, et s’engage très tôt dans la résistance contre l’apartheid aux côtés de son mari, Walter Sisulu, un des dirigeants de l’African National Congress (ANC). Pionnière de la participation des femmes aux luttes pour les droits et la démocratie, elle rejoint la Ligue des femmes de l’ANC en 1948 – au moment où l’apartheid se met en place – et s’engage en 1954 dans la Fédération des femmes sud-africaines (Fedsaw). Elle est une des dirigeantes de la marche qui réunit en 1956 à Pretoria 20 000 femmes, noires et blanches, protestant contre les pass-laws qui restreignent les déplacements des femmes noires. Pendant les vingt-cinq années de détention de son mari – condamné, comme Nelson Mandela, à la prison à vie –, A. Sisulu élève seule leurs cinq enfants et poursuit le combat pour l’égalité et la liberté, malgré les persécutions incessantes – emprisonnement, assignation à résidence, bannissement – dont elle et sa famille sont l’objet. Elle copréside à sa création en 1983 le Front démocratique uni, organisation non raciale qui regroupe plus de 700 associations mobilisées contre le régime ségrégationniste. Sans jamais recourir à la violence, elle se bat sans relâche, avec la Fédération des femmes du Transvaal, pour que soient reconnus les droits « égaux pour tous et sans distinction de race, de couleur ou de sexe ». Ambassadrice du Front démocratique uni, elle plaide la cause anti-apartheid auprès des gouvernements européens et américain. Elle est élue députée du premier Parlement démocratique en 1994, mais ne brigue pas de carrière politique. Des funérailles nationales rendront en 2011 hommage à « Ma Sisulu », considérée comme « mère de la nation » sud-africaine.

Jacqueline PICOT

SISULU E., Walter and Albertina Sisulu : In our Lifetime, Claremont, D. Philip, 2002.

COLLECTIF, 8 mars 1990, Hommage à des femmes exceptionnelles, Des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 1991.

SISYPHE – SITE FÉMINISTE D’INFORMATION ET MAISON D’ÉDITION [Québec depuis 2002]

En juin 2002, Micheline Carrier crée Sisyphe.org et lui donne ce nom pour symboliser la persévérance et la vigilance dont les femmes doivent faire preuve pour défendre leur droit à l’existence et à la parole. Quelques mois plus tard, Élaine Audet y fait paraître un premier texte et collabore à l’édition.

Après une formation en histoire et en philosophie, M. Carrier a exercé la profession de journaliste pendant plus de vingt ans et publié des essais dont La Pornographie, base idéologique de l’oppression des femmes (1983) et, avec Colette Gendron, La Mort, condition de la vie (1997). Poète et essayiste, É. Audet publie des ouvrages au Québec et à l’étranger dont Le Cœur pensant, courtepointe de l’amitié entre femmes (2000), Sel et sang de la mémoire (2009).

Très rapidement le site bénéficie de la participation internationale de chercheurs et écrivains de renom. À l’automne 2004, les éditrices complètent leur démarche avec une édition papier. Seize livres de poche à prix modique figurent au catalogue Sisyphe en 2013 – dont plusieurs traductions et deux recueils de poèmes – et posent un regard féministe sur des sujets d’actualité. Au fil des ans, Sisyphe.org est devenu une véritable encyclopédie, « un témoin et un porte-parole d’événements marquants dans la vie des femmes du monde entier ». En janvier 2012, les éditrices ont inauguré un fil de presse : mise à jour quotidienne de liens vers des articles d’actualité, d’analyse et d’opinion provenant de diverses sources. Sisyphe.org a publié plus de 4 300 articles et 2 100 brèves, signés par quelques centaines de femmes et d’hommes. Certains articles sont cités dans les grands médias du Québec et d’Europe et le site figure dans la banque de médias électroniques utilisés par Google pour ses actualités continues. Les textes – regroupés sous plus de 150 rubriques et sous-rubriques – sont en accès libre, et attirent une fréquentation de plusieurs milliers d’entrées par jour.

Les dossiers majeurs abordés sur Sisyphe sont notamment : les rapports de pouvoir, l’abolition de la prostitution, la lutte contre la violence, l’hypersexualisation, l’égalité, la laïcité, la politique, les droits humains.

Yvette ORENGO

SITA BELLA, Thérèse (née BELLA MBIDA) [YAOUNDÉ 1933 - ID. 2006]

Réalisatrice et journaliste camerounaise.

SITBON, Martine [CASABLANCA 1951]

Styliste de mode française.

Zelda EGLER

SITHI (SOU SETH, dite) [PHNOM PENH 1881 - ID. 1963]

Écrivaine et chanteuse cambodgienne.

Fille cadette d’un haut dignitaire de la cour du roi Sisowath, Sithi reçoit l’éducation de rigueur, à la fois cambodgienne et siamoise (ou thaï), dispensée aux membres de l’élite. Ses parents lui inculquent les préceptes du sage Bouddha, mais à la différence des usages de l’époque, ils veulent que leur enfant apprenne à lire et à écrire. C’est son père qui se charge de son instruction en cambodgien, tandis que sa mère l’initie au siamois, langue parlée à la cour, et lui enseigne le chant classique qui accompagne le Ballet royal. Mariée puis mère de famille, Sithi divorce, fait rarissime et courageux dans un Cambodge encore attaché à ses traditions. Grâce à l’intervention de son père, elle intègre la troupe de chant du Ballet royal. Sa belle voix claire et puissante séduit le roi ; celui-ci la nomme première chanteuse du chœur Sakrava qui ouvre les cérémonies de célébration de la pleine lune. Elle dirige plus tard la partie vocale de l’orchestre Mohori ; elle compose alors de nombreux poèmes dont la plupart seront perdus dans la tourmente khmère rouge. Travailleuse acharnée, elle est élue à la tête du groupe des danseuses sous le titre de secrétaire royale et responsable du personnel féminin du Palais. Son confort matériel s’avère plus que satisfaisant à l’ombre de la cour qui voit se succéder trois monarques, Sisowath, Sisowath Monivong et Norodom Sihanouk, auxquels elle a voué sa vie. Femme de lettres, elle est aussi une femme de cœur, moderne avant l’heure : elle se consacre à l’alphabétisation des danseuses et donne des cours de chant à celles qui souhaitent embrasser cette carrière. Elle écrit son premier roman, Lokhon chiveut (« les lamentations de Bhimba »), à l’âge de 18 ans ; publié en 1962, il témoigne de l’influence du bouddhisme sur son existence. Ses autres romans, Roeung kou sang kou mit min truh mit (« le couple prédestiné »), paru en feuilleton puis en livre en 1953, et Cheut satya (« le cœur fidèle », 1953), peignent la nouvelle classe citadine du début du siècle, oscillant entre tradition et modernité. Ils mettent l’accent sur les valeurs fondamentales de l’époque : l’honneur, l’abnégation et le sacrifice. Le karma, qui peut tour à tour récompenser ou frapper, joue un rôle essentiel dans la vie des protagonistes. Les héros ne sont pas libres : ils sont non seulement retenus par le lien invisible du karma mais aussi par les relations sociales. Sous une apparence moderne qui prend pour décor la ville et les habitudes urbaines, la société reste traditionnelle et fait peu de cas de l’individu au profit de la collectivité. Retirée à la pagode de Botum Vadey à Phnom Penh, Sithi participe à sa révovation et son agrandissement, ainsi qu’à l’acquisition de traités bouddhiques.

Suppya Hélène NUT

SITI BINTI SAAD (ou MTUMWA BINTI SAAD [FUMBA V. 1880 - ID. 1950]

Chanteuse tanzanienne d’expression swahilie.

Connue pendant les trente premières années de sa vie sous le nom de Mtumwa (« esclave ») binti Saad, Siti binti Saad naquit au sud de l’île de Unjuga (archipel de Zanzibar). Ses parents, probablement esclaves ou affranchis, pauvres et analphabètes, ne firent pas enregistrer sa naissance. Dénuée d’instruction, elle fut formée par sa mère à la fabrication et à la vente de poteries. Sa voix était célèbre dans les quartiers de Fumba, puis en ville où elle déménagea en 1911. Elle y fit la connaissance de Muhsin Ali, un joueur de udi qui l’initia à la langue arabe, à la lecture et la récitation (tajwid) du Coran, et au chant. En quelques années, elle se perfectionna dans l’art vocal au point de devenir l’une des plus surprenantes chanteuse dans l’histoire du taarab de Zanzibar. Ce genre de poésie chantée introduit, selon certains auteurs, par le sultan Said bin Sultan al-Busaid (1870-1888), était composé et interprété en arabe ; les thèmes abordés étaient surtout des louanges adressées au sultan et aux membres de sa famille. Entre 1895 et 1910, le taarab commença graduellement à s’épanouir dans la sphère publique : le premier groupe « public » de taarab, Nadi Ikhwan Safaa, fut fondé en 1905, suivi par Naadi Shuub en 1910, formations encore réservées à l’aristocratie terrienne et à l’élite commerçante. Siti binti Saad était la seule femme d’un quintette composé de musiciens aux diverses origines géographiques et sociales. Elle améliora ses capacités vocales, révolutionna le chant du taarab et contribua à la naissance de clubs féminins. Malgré les critiques et l’hostilité suscitées par ses origines modestes, sa renommée était si grande qu’elle devint la chanteuse la plus souvent invitée à la cour du sultan. Elle commença à populariser le taarab dans les quartiers pauvres de Ngambo, et enregistra, entre 1928 et 1930, plus de 250 chansons pour de grands labels britanniques. Ses chansons en arabe incluaient des compositions originales et des reprises de la célèbre chanteuse égyptienne Oum Kalsoum*, mais son succès tenait à son choix de chanter en kiswahili en lui appliquant la métrique poétique arabe ; elle put ainsi traduire en termes artistiques sa double sensibilité, arabe et africaine. Les thèmes de ses spectacles étaient surtout destinés à la classe laborieuse – son propre milieu social. Siti binti Saad fut l’initiatrice d’un espace de négociation sociale dans lequel s’enclenchaient, se reproduisaient ou se questionnaient les dynamiques relationnelles propres au contexte auquel elle appartenait.

Irène BRUNOTTI

AIELLO TRAORE F., Taarab iko wapi ? la poesia cantata taarab a Zanzibar in età contemporanea, Soveria Mannelli, Iride, 2006 ; FAIR L., Pastimes and Politics : Culture, Community and Identity in Post-Abolition Urban Zanzibar, 1890-1945, Athens, Ohio University Press, 2001 ; SHAABAN R., Wasifu wa Siti Binti Saad, Dar es-Salaam, Mkuki na Nyota, 1991.

SITI ZAINON, Ismail [GOMBAK, ÉTAT DE SELANGOR 1949]

Écrivaine malaisienne.

Après avoir obtenu une licence en peinture, un master en littérature et une thèse de doctorat (1992) sur les vêtements traditionnels malais, Ismail Siti Zainon devient enseignante et chercheuse dans le domaine de l’art et de la culture à l’université Kebangsaan Malaysia. Son œuvre, qui comporte surtout des poèmes et nouvelles parus dans des périodiques et dans des recueils illustrés par ses propres esquisses, mais aussi quelques romans, a été gratifiée de plusieurs prix, dont le SEA Write Awards (1989). Ses écrits s’inspirent fréquemment de ses expériences personnelles, notamment de ses voyages et des personnes qu’elle y rencontre. Ainsi, dans ses trois recueils de nouvelles : Seri Padma (1984), Dongeng Si Siti Kecil (« histoire de la petite Siti », 1988) et Attar dari Lembah Mawar (« le parfum de la vallée des roses », 1988), elle décrit les milieux qu’elle connaît et qu’elle aime, à savoir ceux de la peinture, de la poésie, de l’enseignement et de la recherche. La grande majorité de ses héroïnes sont des femmes modernes, au niveau d’éducation élevé, passionnées par leur travail, aimant l’aventure et ne laissant pas les autres leur imposer leur volonté. Ainsi, dans le roman Pulau Renik Ungu (« l’île aux petites fleurs violettes », 1995), l’héroïne, Zaidah, enseignante en anthropologie culturelle, va faire des recherches pour le doctorat qu’elle prépare. Elle a plus de 30 ans et, souvent déçue en amour, ne s’est pas encore mariée. Seules deux de ses nouvelles, Seri Padma et Dongeng Si Siti Kecil, parues dans les trois recueils cités précédemment, présentent des femmes obligées d’accepter le sort imposé par la coutume.

Monique ZAINI-LAJOUBERT

Nyanyian Malam, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 1974 ; Puisi Putih Sang Kekasih. Sketsa 1975-82, Bangi, Universiti Kebangsaan Malaysia, 1984 ; Delima Ranting Senja, Kuala Lumpur, Utusan, 2009.

CAMPBELL C., Contrary Visions : Women and Work in Malay Novels Written by Women, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 2004.

SITWELL, Edith Louisa [SCARBOROUGH 1887 - LONDRES 1964]

Poétesse et essayiste britannique.

Fille d’un aristocrate excentrique, auteur d’ouvrages de généalogie, d’héraldique et de monographies non publiées, et d’une mère qui, apparemment, descendait des Plantagenets, Edith Louisa Sitwell entretient des relations très agitées avec ses parents qui la briment et dont elle se sent spontanément aliénée. De 1916 à 1921, elle édite Wheels, magazine de poésie d’avant-garde anticonformiste et provocateur dans lequel certains voient une annonce du lettrisme. Après une liaison sans lendemain avec Tchelitchew, peintre homosexuel, elle s’installe à Paris en 1928. Entre les deux guerres, elle et ses deux frères, Osbert et Sacheverell, forment un groupe d’artistes rivaux du Bloomsbury Group. Au début de la guerre, elle écrit quatre recueils de facture symboliste, dont un des poèmes, sur les bombardements de la Seconde Guerre mondiale en Angleterre, est mis en musique par Benjamin Britten (« Still The Rain Falls », « la pluie ne cesse de tomber »). En 1948, elle fait une tournée aux États-Unis, chacun de ses récitals étant un véritable événement. En 1955, elle se convertit au catholicisme. Elle ne se mariera jamais et aucune liaison ne lui est connue. Auteure d’environ 70 ouvrages, elle écrit 11 essais sur les Anglais (dont Elizabeth Ire*, A. Pope ou la reine Victoria*) et huit recueils d’une poésie qu’elle déclamait au mégaphone, feu d’artifice de sons et d’images, de conceits virtuoses qui en ont fait la grande dame de la poésie moderniste, affirmant son désir féministe d’être soi en un véritable hymne à la vie.

Michel REMY

Les Excentriques anglais (English Eccentrics, 1933), Paris, Le Promeneur, 1988 ; La Reine Victoria (Victoria of England, 1936), Paris, Gallimard, 1938 ; Femmes anglaises (English Women, 1942), Paris, Gallimard, 2006 ; Fanfare pour Élisabeth (Fanfare for Elizabeth, 1946), Paris, Albin Michel, 1953.

GLENDINNING V., Edith Sitwell : Unicorn Among Lions, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1981.

SIVASANKARI [ MADRAS, AUJ. CHENNAI 1942]

Écrivaine et journaliste indienne d’expression tamoule et anglaise.

Issue d’une famille brahmane éclairée, Sivasankari fait des études universitaires et suit une formation de danse et musique classiques indiennes. Mariée jeune, elle n’a pas d’enfant. Au cours d’une cérémonie religieuse, elle subit l’humiliant rituel où les femmes stériles reçoivent une pierre décorée qu’on leur demande de laver, comme si c’était l’enfant qu’elles n’ont jamais eu. Outrée, elle écrit sa première nouvelle en réaction. « Ce fut le plus bel accident de ma vie », dit-elle. Depuis, elle a écrit 36 romans, 48 nouvelles, 150 contes contemporains, 15 récits de voyage, 2 anthologies, 2 biographies et de nombreux articles dans les journaux et magazines populaires tamouls. Nombre de ses romans et nouvelles ont été adaptés au cinéma ou à la télévision, et traduits à l’étranger. Elle a révolutionné le paysage littéraire tamoul en abordant des sujets tabous – surtout dans le milieu tamoul bourgeois –, comme l’alcoolisme, la drogue, la vieillesse, l’insémination artificielle, la sexualité féminine et l’euthanasie. La littérature n’est qu’un prétexte pour cette activiste courageuse imprégnée de l’idée de sa responsabilité morale vis-à-vis de la société. Elle est la première à aborder des problèmes tels que l’adaptation des Tamouls à la société américaine, le fossé entre les parents nés en Inde, émigrés aux États-Unis, et leurs enfants nés américains, et la ghettoïsation au nom de la préservation des valeurs indiennes traditionnelles. Son écriture lucide, cohérente et limpide la rend accessible à tous publics. Elle a également animé des talk-shows à la télévision, puisant sans hésitation dans sa vie personnelle pour lancer des débats de société. Sivasankari a ensuite l’idée de faire découvrir à ses compatriotes les différentes littératures des vingt-deux langues officielles de l’Inde avec son projet Knit India Through Literature (« tisser l’Inde par la littérature », 1998-2009). Pendant quatorze ans, elle sillonne le pays en tous sens pour rencontrer les grands intellectuels locaux. Ses quatre volumes (« le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest ») proposent une visite virtuelle faisant découvrir aux Indiens (qui, souvent, ignorent leur existence) les paysages culturel, intellectuel et géographique du pays, en conjuguant récits de voyages et entretiens avec les écrivains de chaque langue.

Vidya VENCATESAN

47 Natkal, Chennai, Vanati Patippakam, 1979 ; Bridges (Palangal, 1983), Chennai, Indian Writing, 2007 ; The Trip to Nowhere (Avan, 1986), Chennai, Indian Writing, 2008 ; Novellas and Essays, New Delhi, Katha, 1999.

SKARGA, Barbara [VARSOVIE 1919 - OLSZTYN 2009]

Historienne polonaise de la philosophie.

Issue d’une famille de propriétaires terriens de confession évangélique réformée, Barbara Skarga, après une enfance passée à Varsovie, étudie la philosophie à l’université Stefan Batory de Wilno (Vilnius) auprès de professeurs célèbres, notamment Henryk Elzenberg. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle devient agent de liaison de l’armée de Résistance intérieure (AK), fidèle au gouvernement polonais en exil, et arrêtée en tant que telle par les Soviétiques en 1944, après treize mois d’interrogatoires, elle est condamnée à onze ans de camp suivis d’une relégation perpétuelle en Union soviétique. À sa sortie, elle travaille dans un kolkhoze de la région de Petropavlovsk. Elle regagne la Pologne en 1955. Son périple en URSS fera l’objet d’un livre témoignage, Une absurde cruauté (1985), édité pour la première fois en France. De retour en Pologne, elle obtient son doctorat de philosophie à Varsovie en 1961 puis l’habilitation en 1967. Elle travaille alors à l’Institut de philosophie de l’Académie polonaise des sciences et devient professeure titulaire en 1988. À partir de 1993, elle devient rédactrice en chef de la revue Etyka. B. Skarga s’intéresse à la philosophie française moderne, la philosophie positiviste polonaise et la philosophie de l’homme et métaphysique. Parmi ses travaux les plus importants : Narodziny pozytywizmu polskiego, 1831-1864 (« la naissance du positivisme polonais », 1831-1964), Czas i trwanie, Studia nad Bergsonem (« le temps et la durée, études sur Bergson », 1982), Przeszłość i interpretacje (« passé et interprétations », 1987), Les Limites de l’historicité (1989), Tożsamość i różnica, Eseje metafizyczne (« identité et différence, essais métaphysiques », 1997), Ślad i obecność (« la trace et la présence », 2002). Elle a également dirigé la parution d’une encyclopédie philosophique, Przewodnik po literaturze filozoficznej XX wieku (« guide de la philosophie du XXe siècle », 5 tomes).

Piotr BIŁOS

Les Limites de l’historicité, continuité et transformations de la pensée (Granice historyczności, 1989), Paris, Beauchesne, 1997 ; Une absurde cruauté, témoignage d’une femme au goulag, 1944-1955 (Po wyzwoleniu, 1985), Paris, La Table ronde, 2000.

JANOWSKA K., MUCHARSKI P., SKARGA B., « Innego końca świata nie będzie », Cracovie, Znak, 2007.

SKEAPING, Mary [WOODFORD 1902 - LONDRES 1984]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie britannique.

Tout d’abord élève de Francesca Zanfretti, Mary Skeaping abandonne la danse de 1914 à 1924 et reprend son apprentissage auprès de Laurent Novikoff. Débutant en 1925 dans la compagnie d’Anna Pavlova*, elle participe aux tournées d’Anton Dolin (1927-1929) et de diverses compagnies. Enrichie par ces expériences variées, elle délaisse sa modeste carrière d’interprète pour la recherche en danse et l’enseignement, donnant des conférences-démonstrations et des cours, notamment en Afrique du Sud. Personnalité éclectique, elle est conseillère pour le film The Little Ballerina (Lewis Gilbert, 1948), puis maîtresse de ballet du Sadler’s Wells Ballet (1948-1951). Elle règle également Le Lac des cygnes et La Belle au bois dormant pour la télévision britannique. Elle est successivement maîtresse de ballet au Canada, à Cuba, puis en Suède, où elle dirige le Ballet royal de 1953 à 1962. Simultanément, elle affirme son autorité en montant avec Ivo Cramer, au théâtre de la cour de Drottningholm, des ballets du XVIIIe siècle (1956-1963). Tout en portant un intérêt particulier à Giselle, elle s’attache à faire revivre la danse ancienne, découvre des sources, analyse les traités (dont celui de Gennaro Magri), et publie ses travaux dans les revues spécialisées. Pionnière des études sur les ballets de cour classiques et romantiques, elle ouvre la voie de la recherche en danse.

Jane PRITCHARD

SKEFFINGTON, Johanna Mary (née SHEEHY) [KANTURK, CORK 1877 - DUBLIN 1946]

Militante nationaliste, suffragiste et féministe irlandaise.

La républicaine et athée Johanna, dite Hanna, Skeffington, est issue d’un milieu bourgeois. Sa famille joue un rôle important dans la vie politique irlandaise. En 1899, elle fait partie de la première génération de femmes reçues dans des programmes universitaires pour femmes. Elle épouse en 1903 Francis Skeffington (1878-1916), militant socialiste, pacifiste et féministe. En 1908 elle fonde avec Margaret Cousins (1878-1954) une association pour le suffrage des Irlandaises (Irish Women’s Franchise League) et écope de sa première peine de prison en juin 1912. Après sa libération, elle publie de nombreux articles en faveur du suffrage féminin. En novembre 1913, elle est arrêtée à nouveau lors de la visite à Dublin de Bonar Law, chef du Parti conservateur britannique. Pendant la semaine de l’insurrection de 1916 à Dublin, son mari, nationaliste mais opposé à toute forme de violence, est arrêté et exécuté par un officier britannique. Elle se dévoue alors exclusivement à la cause de l’indépendance. Arrêtée par les autorités britanniques, elle fait un troisième séjour en prison et une troisième grève de la faim. En 1920, elle est élue conseillère municipale sous l’étiquette du Sinn Féin. Elle continue sa vie de militante après l’établissement du nouveau statut (Irish Free State) en soutenant Maud Gonne* et Charlotte Despard* dans l’association des femmes pour la défense des prisonniers. L’étendue et les directions multiples de son engagement n’ont été comprises que grâce au mouvement féministe des années 1970.

Máire CROSS

WARD M., Hanna Sheehy Skeffington. A Life, Cork, Attic, 1997 ; LUDDY M., Hanna Sheehy Skeffington, Dundalk, Dundalgan, 1995 ; OLDFIELD S., « Skeffington, Johanna Mary (Hanna) Sheehy (1877-1947) », in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004.

SKENDEROVA, Staka [SARAJEVO V. 1828 - ID. 1891]

Institutrice et écrivaine bosnienne.

Née dans une famille de commerçants serbes, Staka Skenderova ouvrit en 1853 la première école de filles en Bosnie, la Djevojačka skola Stake Skenderove. Bien qu’orthodoxe, elle y accueillait des élèves musulmanes et juives. Les familles riches payaient les frais de scolarité, mais les pauvres en étaient exemptées. Les commerçants serbes boycottèrent l’école, la soupçonnant d’avoir des contacts trop rapprochés avec l’administration turque, qui aidait financièrement la structure, de même le gouvernement français et, occasionnellement, la tsarine russe. À la fin de l’année scolaire, les élèves passaient un examen public auquel participaient les parents, les représentants des autorités turques et les consuls en poste à Sarajevo. Les premières institutrices de Bosnie sortirent de cette école. Lors du passage du consul russe à Sarajevo, Alexander Hilferding, S. Skenderova lui remit ses Ljetopis 1825-1856 (« annales 1825-1856 »), un recueil de poésies, de sagesses populaires et de chroniques sur la vie à Sarajevo, qu’il allait ajouter à ses Voyages en Bosnie, Herzégovine et Vieille Serbie, publiés en 1858 à Saint-Pétersbourg. Elle devint ainsi la première femme de Bosnie à voir ses écrits édités. Plusieurs de ses articles sur la Bosnie furent publiés dans les revues russes. Faute de subventions, dans le contexte de l’insurrection des Serbes de 1875, S. Skenderova fut contrainte de fermer l’école. Elle continua cependant à œuvrer pour améliorer la vie des plus démunis en plaidant leur cause auprès des autorités turques et en utilisant ses bonnes relations avec ces dernières. Elle visitait les familles et les prisonniers et intervenait auprès du pouvoir pour améliorer leurs conditions. Véritable écrivaine publique, elle écrivait les lettres, les sollicitations et les plaintes. Instruisant les femmes sur les questions d’hygiène et de santé, elle permit à de nombreuses femmes de voir un médecin pour la première fois de leur vie. Ses efforts contribuèrent également à donner des cloches aux églises et, aux chrétiens orthodoxes, la possibilité de procéder à des enterrements publics, avec des chants lors du passage en ville du cortège funéraire.

S. Skenderova fut la première femme de Bosnie à faire le pèlerinage à Jérusalem où elle prit la décision de devenir nonne orthodoxe. Elle mourut écrasée par des chevaux, alors qu’elle se rendait à un spectacle de bienfaisance organisé par son amie, la philanthrope britannique Adeline Irby, qui l’avait accueillie après l’incendie criminel de sa maison.

Dragana TOMAŠEVIČ

POPOVIĆ́ A. J., Hadži Staka Skenderova-srpska kaluđrica i učiteljica, Sarajevo, Bosanska vila, 1903 ; ČOKORILO P., PAMUČINA J., Staka Skenderova, Sarajevo, Ljetopisi, 1976.

SKENE, Felicia [AIX-EN-PROVENCE 1821 - OXFORD 1899]

Romancière et poétesse britannique.

Felicia Skene jouit d’une éducation cosmopolite en Écosse, en France et en Grèce et évolue dans les cours européennes et les cercles diplomatiques. Très tôt, elle se consacre à des actions caritatives à Oxford et collabore avec Henry Ackland pendant les épidémies de choléra et de variole en 1849 et 1854. En 1869, première femme à être nommée visiteuse de prison, elle commence son travail à la prison d’Oxford. Elle plaide pour des réformes carcérales libérales et pour que des entretiens individuels soient menés avec les sortants de prison afin de les aider à retrouver un toit et un travail. Elle va même jusqu’à ouvrir sa maison aux plus nécessiteux. À partir de 1843, elle écrit des poèmes sur la Grèce, des essais sur les femmes en prison (Penitentiaries and Reformatories, 1865) et dénonce les humiliations et les punitions subies, milite contre l’abolition de la loi sur le mariage de 1835. Elle publie de nombreux romans (The Inheritance of Evil or the Consequence of Marrying a Deceased Wife’s Sister, « l’héritage du mal ou les conséquences d’un mariage avec la sœur d’une épouse décédée », 1849 ; The Divine Master, « le divin maître », 1853). Hidden Depths (« profondeurs enfouies », 1866), publié anonymement, dénonce la législation hypocrite à l’égard de la prostitution qui envahit Oxford et connaît un énorme succès de scandale. Plutôt que féministe, sa position est d’ordre religieux et appelle à la solidarité envers les femmes.

Michel REMY

RICKARDS E. C., Felicia Skene of Oxford, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2009.

SKIBNIEWSKA, Halina (née ERENTZ) [VARSOVIE 1921 - ID. 2011]

Architecte et urbaniste polonaise.

Halina Skibniewska débute ses études à Varsovie en 1944, à l’école privée d’architecture pour femmes Stanisław-Noakowski, et parallèlement de 1941 à 1948 dans le département d’architecture de l’École polytechnique, dont elle suit les cours clandestins de 1941 à 1944, et où elle enseignera de 1945 à 1985. Elle obtient en 1971 un doctorat en ingénierie et est nommée professeure en 1975. Elle a fait toute sa carrière à Varsovie dans divers bureaux d’architecture, dont le BOS, celui de reconstruction de la capitale, de 1946 à 1948. Disciple de Romuald Gutt (1888-1974), figure de premier plan de l’architecture de l’entre-deux-guerres en Pologne, elle a consacré son énergie et ses recherches à l’habitat. Son projet le plus connu est le lotissement Sady-Żoliborskie (« les vergers de Żoliborz », Varsovie 1957-1965), construit sur le site d’anciens vergers préservés par la paysagiste Alina Scholtz*, où pour la première fois l’aménagement intérieur a pu être modifié en fonction de la composition et des besoins de la famille. En raison de son succès, cette réalisation sera suivie d’autres semblables : les lotissements Szwoleżerów (1972-1973) et Sadyba (1969-1975) à Varsovie. Ce dernier ensemble intègre une école dont équipements et architecture sont adaptés aux enfants et aux habitants. En outre, H. Skibniewska a porté une attention particulière à l’adaptation des aménagements urbains et architecturaux aux besoins des handicapés. Active sur le plan social et politique, députée de 1965 à 1985, elle a reçu de nombreux prix pour son œuvre architecturale et pour ses activités sociales et politiques, entre autres le prix Lénine pour la Paix (1977), le Prix honorifique décerné par la SARP (association des architectes polonais) en 1972, la médaille Pro Ecclesia et Ponticife du pape Jean-Paul II (1983) et une distinction de l’Université technique de Varsovie (2000).

Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI

Rodzina a mieszkanie, Varsovie, Państwowe Wydawnictwo Naukowe, 1974 ; Tereny otwarte w miejskim środowisku mieszkalnym, Varsovie, Arkady, 1979 ; Środowisko zamieszkania a niepełnosprawni, Varsovie, Państwowy Fundusz Rehabilitacji Osób Niepełnosprawnych, 1994.

SKIBSTED, Charlotte [VORDINGBORG 1945]

Paysagiste danoise.

Après son diplôme de l’université de Copenhague et de l’École d’architecture de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, Charlotte Skibsted est employée chez Ole et Edith Nørgård* de 1970 à 1973, puis elle ouvre sa propre agence. Elle crée des espaces urbains, notamment à Frederikssund (1987-1992), Billund (1994) et Viborg (1995), réalise des projets de rénovation urbaine à Copenhague et conçoit des cimetières, dont ceux de Holbæk Østre (1997) et de Risbjerg (1998). En tant que déléguée de l’IFLA (Fédération internationale des architectes paysagistes), elle effectue de nombreux voyages à l’étranger, lesquels inspirent ses installations remarquables, d’une haute qualité professionnelle, aux formes souvent organiques et expressives, à la végétation toujours abondante.

Anne-Marie LUND

BAY H. (dir.), Women in Danish Architecture, Copenhague, Arkitektens forlag, 1991 ; LUND A., Guide to Danish Landscape Architecture (1997), Copenhague, Arkitektens forlag, 2003.

SKLAREK, Norma (née MERRICK) [NEW YORK 1928 - LOS ANGELES 2012]

Architecte américaine.

Née de parents antillais à Harlem, Norma Sklarek passe en 1950 sa licence d’architecture à l’université Columbia. Elle devient en 1954 la première architecte afro-américaine patentée par l’État de New York et, en 1962, par celui de Californie. À l’époque, en raison du racisme, les architectes noirs trouvaient difficilement un emploi dans une agence d’architecture, mais, après une année de travail pour la ville de New York, elle est employée par l’un des plus grands cabinets, Skidmore, Owings & Merrill. En 1960, elle déménage à Los Angeles et est engagée par Gruen Associates, autre bureau important dans lequel elle restera vingt ans, gravissant les échelons jusqu’à devenir chef du département d’architecture. Elle y rencontre Rolf Sklarek (1906-1984), qu’elle épouse. Parmi les projets dont elle a été responsable, on note la mairie de San Bernardino (Californie 1971) et l’ambassade des États-Unis à Tokyo (1976). En 1980, elle entre chez Welton Becket Associates comme vice-présidente et y dirige le projet du terminal de passagers n°1 (aéroport international de Los Angeles). Après le décès de son époux en 1984, elle se remarie, en 1985, avec le médecin Cornelius Welch. Durant cette même année, elle rejoint Margot Siegel et Kate Diamond au sein de l’agence Siegel-Sklarek-Diamond, mais décide de partir au bout de quelques années. De 1989 à 1992, elle dirige la gestion des projets chez Jerde Partnership, et, depuis lors, est présidente du jury du Conseil national du bureau d’enregistrement des architectes (NCARB) et membre du Bureau d’architecture de l’État de Californie. Première femme noire promue, en 1980, au rang de membre de l’AIA (Institut des architectes américains), presque un siècle après la première femme blanche, elle a reçu en 2008 le prix Whitney M. Young de l’AIA récompensant son action sociale et pionnière.

Roberta WASHINGTON

HODGES C., « Norma Sklarek », in SMITH J. C. (dir.), Notable Black American Women, vol. 2, Detroit, Gale, 1992 ; HENRY A., « Norma Merrick Sklarek, Architect, educator, entrepreneur », in SMITH J. C. (dir.), Encyclopedia of African American Business, vol. 2, Westport, Greenwood Press, 2006 ; LANKER B., SUMMERS B. (dir.), I Dream a World. Portrait of Black Women who Changed America, New York, Stewart, Tabori & Chang, 1989 ; TRAVIS J. (dir.), African American Architects in Current Practice, New York, Princeton Architectural Press, 1991.

SKLENÁŘOVÁ-MALÁ, Otýlie [VIENNE 1844 - PRAGUE 1912]

Tragédienne tchèque.

Pour des raisons financières, Otýlie Sklenářová-Malá renonce à la formation de chanteuse lyrique et se tourne vers le théâtre. Elle entre à 19 ans au Théâtre provisoire de Prague et fait sensation dans La Pucelle d’Orléans de Schiller. Sa beauté, l’intelligence supérieure de sa déclamation et une voix d’alto conquièrent rapidement le public. Durant les quarante années de sa longue carrière, elle joue tous les rôles tragiques du répertoire classique, notamment Phèdre de Racine (1877) qui marque le faîte de son art. Elle incarne également les héroïnes de l’histoire tchèque écrites pour elle : Eliška Přemyslovna de Václav Vlček (1866), Libuše de Zdeněk Krakovský z Kolovrat (1871) et Drahomíra de Jaroslav Vrchlický (1882). Jouées avec un pathos patriotique et un ton de tribun, ces grandes héroïnes gagnent en actualité et reflètent son engagement politique. En effet, pour elle, le théâtre est « une école de la vertu » mais aussi « une école de la patrie » ; en cela elle participe pleinement à la Renaissance nationale du XIXe siècle. Célébrée de son vivant comme « un joyau national », elle est l’actrice la plus connue et la plus adulée de son temps. Bien qu’appartenant à une école de jeu déclamatoire, elle sait également créer les femmes frivoles des comédies françaises contemporaines ou des personnages réalistes comme la belle-mère de Jenůfa dans Její pastorkyňa (« sa belle-fille »), de Gabriela Preissová*. Elle défend le droit des femmes à une activité publique (et théâtrale) avec d’autant plus de succès que sa vie privée correspond aux valeurs de la société bourgeoise de l’époque. Elle est d’ailleurs la première présidente du Club des femmes fondé en 1903 pour promouvoir leur émancipation. En matière pédagogique, elle est également un précurseur : elle ne forme pas moins de deux générations d’actrices et de cantatrices, dont la célèbre Ema Destinnová (Emmy Destinn*).

Katia HALA

SKOGLUND, Sandy [QUINCY, MASSACHUSETTS 1946]

Photographe américaine.

Largement diffusées depuis les années 1980, les images hallucinatoires très colorées, créées par Sandra Louise Skoglund, effleurent le fantastique. Après avoir étudié la peinture à l’université d’Iowa, elle s’installe à New York en 1972, où elle commence à travailler comme artiste conceptuelle. En 1974, sa première œuvre, inspirée par le travail du couple de photographes Becher*, présente une série de maisons apparemment identiques, mais dont un détail diffère. En 1978, elle travaille sur la rhétorique publicitaire et crée, avec sa série des food still lifes (« natures mortes alimentaires »), des natures mortes aux couleurs acidulées et artificielles faites d’aliments posés sur des nappes aux motifs géométriques (Luncheon Meat on a Counter, « pain de viande sur un comptoir »). Ses images sont internationalement connues depuis Radioactive Cats (1980), qui montre un couple de personnes âgées dans une cuisine grise envahie par une foule de chats colorés en vert fluo. Mise en scène dans son petit studio et jouée par des voisins, l’image évoque, sur le mode de la science-fiction, l’intrusion de la nature dans la vie quotidienne. L’artiste photographie ainsi des espaces imaginaires qu’elle crée de toutes pièces : invasion de portemanteaux dans une chambre jaune au sol rose (Hangers, 1980) ou poissons orange de terre cuite flottant dans une chambre à coucher d’enfants bleue (Revenge of the Goldfish, 1981). Obtenues avec le procédé Cibachrome, les couleurs agressives rompent avec l’esthétisme de la photographie en noir et blanc et rendent ses images irréelles. Chaque image est issue d’une installation à laquelle l’artiste consacre plusieurs mois. Pour Atomic Love (1992), dont les décors et les personnages sont entièrement recouverts de raisins secs, elle a même suivi des cours sur la culture du raisin. La scénographie est souvent spectaculaire, l’œuvre, baroque et théâtrale, et l’atmosphère qui s’en dégage, anxiogène : la photographe met en scène l’univers névrosé et potentiellement cauchemardesque de la classe moyenne américaine. Les dangers de la déshumanisation sont traités de façon tragique et parodique : l’obsession de la propreté, par exemple, est tournée en dérision dans Germs Are Everywhere (1984), où un salon vert est littéralement envahi de chewing-gums roses mâchés. Dans les situations qu’elle invente, les êtres humains sont souvent effacés par une foule d’objets ou d’animaux. Son travail symbolise parfaitement les pratiques hybrides de l’art contemporain : la sculpture constitue pour elle le point de départ de l’organisation d’un espace qu’elle transforme en installation et dont la photographie garde la trace. Le médium photographique, essentiel, permet ainsi d’unifier une variété de matières et de contenir tout un processus créatif. Ses œuvres existent donc sous deux formes : l’installation et la photographie. Fox Games (1989), image montrant des renards rouges qui prennent possession d’un restaurant bleu gris, est issue d’une installation réalisée au Centre Pompidou, mais l’œuvre a ensuite été reprise comme installation seule, avec une inversion des couleurs. Walking on Eggshells (1997) montre comment l’installation sert à matérialiser les angoisses : des femmes nues marchent sur un sol couvert d’œufs et occupé par des lapins et des serpents. La démarche artistique de S. Skoglund est le fruit d’une réflexion approfondie sur le mélange des genres et sur l’histoire de la photographie, qu’elle enseigne à Rutgers University depuis 1976. Tout en faisant naître chez le spectateur un sentiment d’étrangeté et d’angoisse, les mises en scène de cette artiste atypique restent toutefois empreintes de fantaisie et d’humour.

Anne REVERSEAU

Sandy Skoglund (catalogue d’exposition), Picazo G., Roegiers P. (textes), Paris, Paris audiovisuel, 1992 ; Sandy Skoglund : Reality Under Siege, a Retrospective (catalogue d’exposition), Northampton/New York, Smith College Museum of Art/H. N. Abrams, 1998.

SKRAM, Amalie (née ALVER) [BERGEN 1846 - COPENHAGUE 1905]

Écrivaine norvégienne.

Fille d’un petit commerçant s’étant forgé une situation aisée, Amalie Alver est envoyée dans une école privée, mais doit interrompre ses études quand son père quitte soudainement la Norvège en abandonnant femme et enfants à cause de difficultés économiques. La précarité de sa situation familiale fait qu’elle accepte, en 1865, d’épouser un capitaine, August Müller, qui l’emmène faire plusieurs longs voyages en mer. Mère de deux enfants, elle divorce en 1882 après une grave dépression nerveuse, se remarie avec l’écrivain danois Erik Skram, puis s’installe à Copenhague où elle reste jusqu’à la fin de sa vie. En 1877, faisant partie d’un cercle de passionnés de littérature et de théâtre à Bergen, elle se met à écrire des articles littéraires et des recensions signés « A. M ». Alors que beaucoup rejettent le naturalisme pour son déterminisme, elle considère qu’il s’agit d’une esthétique poussée par la compassion, et s’en inspire pour écrire Madam Højers Lejefolk (« les locataires de Mme Höjer », 1883), sa première nouvelle imprimée. Illustrant le mouvement de la Percée moderne*, A. Skram œuvre pour le changement des mentalités en matière d’égalité entre les sexes et remet en question quelques vérités convenues dans le milieu radical, notamment celle qui veut que l’émancipation de la femme passe par sa libération sexuelle. Son premier roman, Constance Ring (1885), qui évoque les rapports d’une femme avec trois hommes, est une charge contre l’hypocrisie sexuelle. Les suivants, Lucie (1888), Fru Inés (« madame Inès », 1891) et Forraadt  trahie », 1892), considéré comme un classique, explorent la dynamique érotique et sociale du mariage et des unions libres modernes. Son œuvre majeure, Les Gens de Hellemyr (1887-1898), décrit sur plusieurs générations l’évolution et l’ascension sociale d’une famille paysanne dont les personnages traînent avec eux, comme un héritage maudit, des pulsions fatales. En 1895, elle publie Professor Hieronimus et Paa Sct. Jørgen (« à Saint-Jörgen »), romans dans lesquels, en référence à sa propre expérience, elle critique les abus de pouvoir des médecins chefs à l’égard des femmes dans les cliniques psychiatriques. Elle publie aussi deux pièces de théâtre et des recueils de nouvelles. Son dernier roman, grotesque et carnavalesque, Mennesker  êtres humains »), inachevé, est édité à titre posthume en 1905.

Irene IVERSEN

Les Gens de Hellemyr (Hellemyrsfolket, 1887-1898), 3 t., Larbey, Gaïa, 2003-2004.

HAMM C., Medlidenhet og melodrama. Amalie Skrams romaner om ekteskap, Oslo, Unipub, 2006 ; KØLTZOW L., Den unge Amalie Skram, Oslo, Gyldendal, 1992.

SKRZYPCZAK, Bettina [POZNAŃ 1962]

Compositrice polonaise.

Diplômée en théorie musicale (1985) et en composition (1988), Bettina Skrzypczak participe, entre 1984 et 1988, aux cours de composition organisés à Kazimierz par la section polonaise de la Société internationale pour la musique contemporaine, où enseignent entre autres Witold Lutoslawski, Luigi Nono, Henri Pousseur et Iannis Xenakis. En 1988, elle s’installe en Suisse et suit à Bâle les cours de Thomas Kessler (musique électronique) et de Rudolf Kelterborn (composition), puis à Fribourg ceux de Jürg Stenzl (musicologie) et de nouveau à Bâle ceux de Hans Saner (philosophie de la culture). En 1990, elle étudie la musique assistée par ordinateur dans la classe de Klarenz Barlow, à Cologne. Entre 1990 et 1992, elle participe à un groupe d’improvisation libre à Bâle avec Walter Fähndrich. Très active dans la vie musicale internationale, en plus de sa carrière de compositrice, elle œuvre en tant que conseillère artistique pour des festivals et fondations, et en tant que pédagogue – elle organise des séminaires en Pologne et en Suisse notamment, et participe en 2004 aux cours d’été de Darmstadt. Ses thèmes de prédilection gravitent autour d’un même concept : l’insondable, l’impénétrable, le non-saisissable par la pensée et la conscience. Ainsi, le rêve est un des motifs récurrents. Sa pièce pour chœur, clarinette, violoncelle et percussion Acaso (1994) est basée sur des textes de Mallarmé, Borges, Kopernikus et Rilke. De cette problématique du rêve découlent les images d’espace infini, de ciels constellés d’étoiles, concrétisées dans la pièce pour orchestre intitulée SN 1993 J (1994-1995) – SN désignant Supernova, la nouvelle étoile découverte en 1993. Les idées musicales qui ont alors germé dans son esprit consistaient en des champs harmoniques animés et en une alternance entre ordre et chaos. Son imaginaire fonctionne en grande partie par associations d’idées. Elle nourrit une approche spatiale de la musique et explique sa démarche de la manière suivante : si on a le sentiment d’un large espace, cette vision implique toujours l’espoir d’être capable d’occuper et de remplir cet espace. C’est cette expérience d’inaccompli, d’inassouvissement qui génère un besoin constant de découverte, de recherche et de quête.

Aurore RIVALS

FATTON A., « Unaufhörliche Spiegel. Die polnisch-schweizerische Komponistin Bettina Skrzypczak », in Dissonanz/Dissonance, no 89, mars 2005.

SLAVNIKOVA, Olga [SVERDLOVSK, AUJ. IEKATERINBOURG 1957]

Romancière russe.

Olga Alexandrovna Slavnikova est originaire de l’Oural, où elle suit des études de journalisme. Sa carrière, celle d’une self-made woman énergique et audacieuse, commence avec la perestroïka. Son premier roman, Strekoza, ouvelitchennaïa do razmerov sobaki (« la sauterelle qui était devenue aussi grosse que le chien », 1997), est sélectionné pour le Booker Prize russe, qu’elle a reçu neuf ans plus tard pour 2017, roman. Ses récits et ses essais sont publiés dans les plus grandes revues littéraires. Elle vit à Moscou depuis 2003. Elle se définit comme un écrivain difficile car avant tout formaliste pour qui l’œuvre est « un dialogue entre l’écrivain et la création », le lecteur n’étant que spectateur. Attitude aristocratique qui avec son travail sur la langue et ses comparaisons entomologiques en font une lointaine héritière de Nabokov. Ses univers sont résolument modernistes, elle rejette violemment l’amour de la nature, la beauté élégiaque du paysage. Elle a écrit sur l’« effacement » du matériau littéraire, qu’on retrouve par exemple dans le roman Odin v zerkale (« seul dans le miroir », 2000). Ses derniers romans, comme 2017, se déroulent dans des villes dures et flamboyantes, surpeuplées, équipées d’immenses infrastructures. Leurs intrigues, qualifiées au départ de « réalisme magique », se rapprochent de plus en plus du genre fantastique. Elle est aussi l’auteur d’un recueil de poèmes, Plotnost’ojidaniï (« l’intensité des attentes », 2001).

Marie DELACROIX

L’Immortel, histoire d’un homme véritable (Bessmertnyï, 2004), Paris, Gallimard, 2004 ; 2017, roman (2017, roman, 2008), Paris, Gallimard, 2011.

SLEATH, Eleanor [LEIRE, LEICESTERSHIRE V. 1763 - ID. V. 1815]

Romancière britannique.

Il y a doute sur l’identité d’Eleanor Sleath, que l’on présume catholique. La publication de son roman The Orphan of the Rhine, A Romance (1798) par Minerva Press, éditeur spécialisé dans la veine « gothique » et sentimentale, marque le début de sa popularité. Les titres de ses romans suivants (Who’s the Murderer, « qui est l’assassin ? », 1802 ; The Bristol Heiress, « l’héritière de Bristol », 1809 ; The Nocturnal Minstrel, « le ménestrel nocturne », 1810 ; Pyrenean Banditti, « bandits des Pyrénées », 1811) sont révélateurs du genre : il n’est question dans ces récits (qui participent pour certains de la courte vogue des romans allemands d’avant 1810) que d’orphelin(e)s, d’enlèvements, de faux mariages, d’identités cachées, de machinations familiales, de lettres interceptées, dans des décors de passages secrets et de couvents qui se prêtent à des événements surnaturels. Malmenée par la critique contemporaine, qui la jugeait inférieure à Ann Radcliffe*, et par Jane Austen* dans Northanger Abbey, elle est, semble-t-il, également l’auteure de comédies didactiques et satiriques.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

BLAIN V. et al. (dir.), The Feminist Companion to Literature in English, New Haven/Londres, Yale University Press, 1990.

SMART, Elizabeth [OTTAWA 1913 - LONDRES 1986]

Poétesse et romancière canadienne.

Le premier poème d’Elizabeth Smart paraît alors qu’elle n’a que 10 ans ; elle en a 15 quand est publié son premier recueil. Âgée de 19 ans, elle part étudier le piano en Angleterre. S’ensuivent de nombreux va-et-vient de part et d’autre de l’Océan. À son retour, elle devient journaliste à l’Ottawa Journal. Vers 1938, elle découvre l’œuvre du poète anglais George Barker avec lequel, à la suite d’une rencontre en Californie arrangée par Lawrence Durrell, en 1940, elle entretient une relation passionnée. Ils auront ensemble quatre enfants, qu’elle élèvera seule. À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré (1945) raconte l’idylle qu’ils ont vécue pendant plusieurs années, malgré le mariage de G. Barker et les manœuvres des parents de l’écrivaine. Scandaleux pour l’époque, cet ouvrage de prose poétique, qui nous transporte dans les méandres de l’agonie de l’auteure, ne laisse pas indemne. Il n’accédera au succès et ne sera reconnu comme chef-d’œuvre que plusieurs années plus tard. Toutefois, la mère de l’auteure n’accepte pas l’œuvre autobiographique de sa fille et joue de son influence pour la faire interdire au Canada, allant jusqu’à acheter tous les exemplaires arrivés de l’étranger afin de les brûler. Pendant la Seconde Guerre mondiale, E. Smart trouve à s’employer à l’ambassade de Grande-Bretagne à Washington puis rejoint G. Barker en Angleterre où elle travaille aux ministères de la Défense et de l’Information. Durant une dizaine d’années, elle alterne divers emplois, de rédactrice publicitaire à journaliste littéraire puis rédactrice en chef du magazine Queen (1963). En 1978 paraît son roman en prose poétique The Assumption of the Rogues and Rascals. De retour au Canada (1982), elle devient auteure en résidence à l’université d’Alberta et passe l’année suivante à Toronto grâce à une subvention, avant de retourner en Angleterre. Elle publie, en 1986, Necessary Secrets, un ensemble issu de ses journaux intimes qui conforte sa renommée. Suivra en 1994 un second volume intitulé On the Side of the Angels (« aux côtés des anges »).

Élodie VIGNON

À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré (By Grand Central Station I Sat Down and Wept, 1966), Montréal, Les Herbes rouges, 2003.

SULLIVAN R., By Heart : Elizabeth Smart, a Life, New York, Viking, 1991.

SMART, Yasmine [WINDSOR 1953]

Écuyère britannique.

Fille de David Smart et d’Olga Elleano-Stey, fildefériste suisse, et petite-fille du célèbre entrepreneur de spectacles Billy Smart, Yasmine Smart fait ses débuts à l’âge de 10 ans au Billy Smart’s New World Circus avec un groupe de 12 poneys. Pour le compte du cirque Knie, elle présente également des chevaux au cirque Krone et au cirque Hagenbeck. Elle assume enfin parfois, à l’occasion d’émissions de télévision – à l’instar du programme de cirque de Noël « Billy Smart’s Circus Christmas Spectacular » –, le rôle de présentatrice, auquel elle confère une grande élégance. À ce titre, elle présente en 1975 le Festival international du cirque de Monte-Carlo. En 1976, elle présente une cavalerie en liberté du cirque Krone pour une Royal Command Performance devant la reine Élisabeth II*. En 1980, elle achète 10 étalons arabes qu’elle dresse elle-même et qu’elle présente à travers l’Europe jusqu’en 2003. Engagée par le cirque Roncalli, elle révèle des qualités comiques insoupçonnées et une vraie justesse dans ses interventions, y compris comme faire-valoir dans les entrées comiques. Elle est alors engagée par le Big Apple Circus, à New York, pour quatre saisons au titre d’equestrian director. Elle est la seule artiste à avoir été distinguée à trois reprises au Festival international du cirque de Monte-Carlo où elle remporte en 1985 un Clown d’argent avec sa cavalerie. Elle est membre du jury de ce même festival en 2007 et du Festival de Budapest en 2012 où elle est présentée comme une légende vivante. Y. Smart a remporté de nombreux prix et notamment celui du dressage le plus humain en 1989. En 2010, elle est le sujet – et la vedette – d’un spectacle musical, Yasmine, présenté par le Giffords Circus.

Pascal JACOB

SMITH, Anna DEAVERE [BALTIMORE 1950]

Actrice et dramaturge américaine.

C’est en 1990 qu’Anna Deavere Smith, surtout connue au cinéma, accède à la scène nationale avec des performances en solo où elle aborde les questions raciales de la communauté métisse. Allant au-delà de l’ethnicité et des limites du genre, elle joue plus de 60 rôles à la fois féminins et masculins dans sa célèbre pièce Fires in the Mirror : Crown Heights, Brooklyn and Other Identities (« incendies dans le miroir : Crown Heights, Brooklyn et autres identités », 1992). Pour Twilight : Los Angeles (1992), sa pièce la plus connue, elle est nominée deux fois pour les Tony Awards et reçoit un Obie Award. Cette pièce reprend les événements qui ont suivi le procès de Rodney King en 1991, Afro-Américain passé à tabac par plusieurs policiers blancs. Elle a consacré une année entière à interviewer plus de 200 témoins directs ou indirects de ce drame. Elle déclare que son entrée au théâtre est politique : l’action politique et l’action dramatique ne font qu’un dans son œuvre et ses performances.

Frida EKOTTO

SMITH, Bessie [CHATTANOOGA 1894 - CLARKSDALE 1937]

Chanteuse de blues américaine.

Née dans un quartier noir et pauvre, Bessie Smith est élevée par sa sœur Viola après la mort de ses parents. Chacun doit gagner durement sa pitance, mais l’enfant se révolte et, vers l’âge de 9 ans, va chanter dans les rues avec son frère Andrew, manifestant un grand sens de la comédie. Elle vagabonde, se bat contre les autres enfants. Très vite, encouragée par son frère Clarence, elle cherche à se faire engager par les théâtres à la recherche de jeunes talents. Sur les scènes de Chicago et d’Atlanta, elle danse, chante, joue. Le circuit TOBA (Theater Owners Booking Association), qui rassemble les théâtres de vaudeville de la côte Est, la fait connaître du public noir populaire. C’est au cours de ces voyages, vers 1912, que la chanteuse rencontre Ma Rainey, pionnière du blues et star de la première moitié du XXsiècle. Elles travaillent un temps ensemble, puis B. Smith quitte son aînée. Dès 1923, elle commence à enregistrer, boit beaucoup. « Je passe ma vie à parcourir le monde », chantera-t-elle en 1926 dans Young Woman’s Blues. B. Smith est surtout une femme révoltée. Elle se montre lucide sur l’état du pays, presque visionnaire. En 1927, peu avant les grandes crues du Mississippi, elle écrit sa plus belle œuvre, Back Water Blues. L’année suivante, dans Poor Man’s Blues, elle dit le désenchantement de la communauté noire. Elle dénonce la condition des femmes noires dans Washwoman’s Blues (« le blues de la blanchisseuse »), écrit par Spencer Williams ; pour la première fois, le quotidien est raconté. Prolongeant la révolte de Ma Rainey, la musique de B. Smith, plus dense, marque une profonde rupture avec le blues féminin de son temps : elle crée une œuvre sociale, politique, historique, féministe. On ne compte plus les superbes blues gravés par cette légende, Empty Bed Blues (de Jay C. Johnson en 1928) et sa plainte misérable, à la modernité toujours palpable. C’est le musicien de jazz Milton Mezzrow qui, dans La Rage de vivre, a évoqué la foule des amateurs, devant le cabaret, hypnotisés par les complaintes déchirantes qui montaient comme une grande clameur de la gorge de Bessie. Celle qui porte en elle « toute la féminité du monde réunie » a un « port de reine et une dynamo à haute tension en guise de personnalité ». Elle influencera de nombreux artistes du siècle, Janis Joplin* ou Big Mama Thornton*, figeant pour l’éternité l’image de la blueswoman. Billie Holiday* écrira dans ses mémoires : « Ce que j’ai toujours voulu avoir, c’est la voix grandiose de Bessie Smith et le cœur de Louis Armstrong. » Sa légende dépassera son talent : B. Smith meurt des suites d’un accident de voiture la nuit du 26 septembre 1937 sur une route cabossée du Mississippi. Dans les colonnes du magazine Down Beat, le producteur John Hammond prétend que les deux ambulances arrivées sur les lieux n’auraient pas emmené la blessée en raison de sa couleur de peau. En 1960, une pièce, La Mort de Bessie Smith d’Edward Albee, grave l’image de la martyre noire sacrifiée par un État raciste.

Stéphane KOECHLIN

Bessie Smith. The Quintessence 1923-1933, Frémeaux et associés, 1997.

MEZZROW M., WOLFE B., La Rage de vivre (Really the Blues, 1946), Paris, Le livre de poche, 1982 ; MARTIN F., Bessie Smith, Paris, Éditions du Limon, 1994.

SMITH, Bonnie Gene [BRIDGEPORT, CONNECTICUT 1940]

Historienne américaine.

Fille d’une musicienne et d’un pasteur, Bonnie Gene Smith fonde une famille avant de reprendre ses études à l’université de Rochester où elle soutient une thèse d’histoire européenne en 1976. Son premier livre, Ladies of the Leisure Class : The Bourgeoises of Northern France in the Nineteenth Century (1981), qui montre le rôle joué par les femmes de la classe moyenne dans le développement industriel et commercial du nord de la France, fait d’elle une figure majeure de l’histoire des femmes françaises et européennes. Elle poursuit en ce sens avec Confessions of a Concierge : Madame Lucie’s History of Twentieth-Century France (1985), récit surprenant de la vie d’une Parisienne qui fait état, entre autres, du bon accueil réservé aux troupes allemandes par de nombreux Français en 1940. Alors qu’à la fin des années 1980, des débats opposent women’s history et gender history – certaines historiennes craignent que le genre, envisagé comme une simple représentation du masculin et du féminin, ne menace l’inclusion, chèrement gagnée, des femmes dans les travaux historiques –, B. G. Smith propose de donner vie à des femmes en chair et en os, tout en rendant compte des contextes genrés dans lesquels elles vivent et agissent. Publié en 1989, Changing Lives : Women in European History since 1700 fournit aux enseignants d’histoire des femmes le manuel universitaire qu’ils ont longtemps cherché. La méthode qui consiste à articuler histoire sociale et histoire du genre est reprise dans The Gender of History : Men, Women, and Historical Practice (1998) qui montre comment le métier d’historien devient une entreprise uniquement masculine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Au même moment, l’historienne écrit les chapitres d’histoire contemporaine d’un des manuels universitaires les plus admirés aux États-Unis, The Challenge of the West : Peoples and Cultures from the Neolithic to the Global Age (1995). À la fin des années 1990, elle se tourne vers l’histoire globale, après avoir entendu un historien spécialiste de ce domaine dire que les individus qui restent à la maison et ne traversent pas les frontières comme guerriers, marchands ou constructeurs d’empire, n’ont pas vocation à figurer dans l’histoire mondiale. Une affirmation aussi explicite de l’exclusion des femmes de l’histoire lui impose d’écrire, entre autres, Crossroads and Cultures : A History of the World’s Peoples (2012, en collaboration avec Marc Van de Mieroop, Richard von Glahn et Kris Lane). B. G. Smith a publié plus de 20 livres, dont, en 2008, les quatre volumes de l’encyclopédie primée Oxford Encyclopedia of Women in World History. Après dix années passées à l’université de Rochester, elle enseigne depuis 1990 à Rutgers University, où elle est titulaire de la chaire d’histoire du Board of Governors.

Susan KINGSLEY KENT

SMITH, Charlotte (née TURNER) [LONDRES 1749 - TILFORD, SURREY 1806]

Romancière et poétesse britannique.

La destinée de Charlotte Smith, si joliment représentée par le peintre George Romney en 1792, est marquée par l’irresponsable prodigalité d’un père, puis celle d’un époux. Selon ses termes « prostituée légale » dès l’âge de 15 ans, elle est en prison pour dettes en 1783 puis se réfugie en France. Pour survivre, elle fait publier ses poèmes et Elegiac Sonnets (1784) connaît un succès immédiat parce qu’elle y renoue avec l’élégie, forme de poésie très appréciée en Angleterre aux XVIe et XVIIsiècles. La tristesse de ses vers lui vaut l’admiration de Wordsworth et Coleridge et de nombreuses rééditions. En 1787, fatiguée d’être trompée et pauvre, elle se sépare de son mari et, pour nourrir ses 12 enfants, se met à écrire des romans. Se succèdent alors des œuvres conjuguant éléments autobiographiques (une impudicité que critique Anna Seward*), veine « gothique » et « sensibilité » : Emmeline, ou L’Orpheline du château (1788), salué par Walter Scott et Jane Austen*, qui voit une jeune et vertueuse héroïne affronter les dangers d’un monde patriarcal ; Ethelinde, ou La Proscrite du lac (1789) qui peint les passions et leurs peines ; son œuvre la plus connue, Roland, ou L’Héritier vertueux (1793), dont Dickens s’inspirera pour Les Grandes Espérances ; Le Proscrit (1794). En même temps qu’elle rédige, elle tient salon et des intellectuels radicaux viennent y débattre des péripéties révolutionnaires françaises. Dans son poème en vers libres « The Emigrants » (1791), elle rend compte à la fois des malheurs présents des émigrés, qu’elle juge avec lucidité, et des dérives sanguinaires. Au soir de sa vie, quasiment paralysée, elle écrit pour les enfants, dont Conversations Introducing Poetry for the Use of Children (1804).

Françoise LAPRAZ SEVERINO

Emmeline, ou l’Orpheline du château (Emmeline, The Orphan of The Castle, 1788), Paris/Londres, Desenne, 1788 ; Ethelinde, ou la Proscrite du lac (Ethelinde, or The Recluse of The Lake, 1789), Paris, Chez Fuchs, 1796 ; Roland, ou l’Héritier vertueux (The Old Manor House, 1793), Paris, J. Gratiot & Cie, 1799 ; Le Proscrit (The Banished Man, 1794), Paris, Le Normant, 1803.

FLETCHER L., Charlotte Smith : A Critical Biography, Londres, Macmillan, 1998.

SMITH, Chloethiel WOODARD [PEORIA, ILLINOIS 1910 - WASHINGTON DC 1992]

Architecte et urbaniste américaine.

Passant son enfance à Portland, où sa mère enseigne la physique et la chimie à un niveau universitaire, Chloethiel Woodard Smith décide très jeune d’être architecte. Elle obtient une licence d’architecture à l’université de l’Oregon en 1932 et, l’année suivante, une maîtrise à l’université Washington de Saint-Louis. Elle débute alors dans le cabinet d’Henry Wright (1878-1936) à New York, qu’elle quitte en 1935 pour un emploi au sein du Service fédéral du logement. Elle occupe ce poste jusqu’à son mariage, en 1940. Elle déménage alors en Amérique du Sud, où elle continue à travailler, dessinant entre autres les plans directeurs (plans d’urbanisme définissant les orientations de développement) de Quito en Équateur. En 1951, de retour à Washington, elle entre comme associée dans l’agence Keyes, Smith & Satterlee, où elle est impliquée dans le projet de redéveloppement du secteur sud-ouest de la ville. Son plan directeur, dit « Justement-Smith », pose la base du remodelage de ce secteur. Dans la foulée, engagée par le promoteur James H. Scheuer & Roger L. Stevens, elle est chargée de concevoir le complexe de logement de Capitol Park (1956-1963), situé dans la zone de réaménagement. Elle actualise le modèle traditionnel de l’habitat en bande de Washington, en associant à une version modernisée cinq hautes tours d’habitation. Elle décline les maisons selon sept types de plans et les implante dans un jardin paysagé qui dissimule un parking servant d’écran vis-à-vis de la rue. Pour les tours, elle multiplie les plans d’appartements et utilise des espaces verts pour assurer une transition avec les maisons. Premier projet de logement social mettant en œuvre une politique ouverte sur le plan racial, Capitol Park a été révolutionnaire. En 1963, désormais indépendante au sein de sa propre agence, C. W. Smith entreprend un deuxième projet de réaménagement, Harbour Square (1963-1966), luxueuse communauté coopérative. Elle associe trois immeubles en U et de nouvelles maisons en bande à celles des années 1790. Les cours créent des espaces collectifs ponctués par un jardin d’eau, un bassin réflecteur, une terrasse et un patio couvert. Bien que connue pour Capitol Park et Harbour Square, elle a aussi réalisé de nombreux autres projets, comme la maison Howard Meyers (McLean, Virginie 1949) ou l’immeuble du 1100, Connecticut Avenue (Washington 1964). Membre de l’AIA (Institut des architectes américains) et lauréate de nombreux prix, elle a participé au mouvement de préservation du patrimoine bâti.

Catherine ZIPF

DOUD J. L., Chloethiel Woodard Smith, FAIA. Washington’s Urban Gem, Eugene, University of Oregon, 1994 ; LETHBRIDGE F. D., WEEKS C., AIA Guide to the Architecture of Washington, Baltimore, J. Hopkins University Press, 1994 ; ZIPF C., A Female Modernist in the Classical Capital. Chloethiel Woodard Smith and the Architecture of Southwest Washington DC, Newport, The Cultural and Historic Preservation Program at Salve Regina University, 2006.

SMITH, Dodie (Dorothy Gladys, dite) [WHITEFIELD 1896 - UTTLESFORD 1990]

Écrivaine britannique.

Enfant unique, Dodie Smith est élevée par ses grands-parents à la mort de son père. Elle écrit sa première pièce à l’âge de 10 ans et, dès l’adolescence joue dans plusieurs pièces à Manchester. En 1910, la famille déménage à Londres et elle entre à l’Academy of Dramatic Art en 1914, joue dans une troupe de la YMCA et écrit plusieurs pièces sous des pseudonymes. En 1936, sa quatrième pièce, Call It A Day (« assez pour aujourd’hui ») est jouée 509 fois à Londres, suivie de Dear Octopus (« chère pieuvre », 1938), qui cristallise toute sa thématique autour de l’étouffement familial. Aux États-Unis, où elle s’installe avec son amant objecteur de conscience en 1938 et où elle se marie l’année suivante, elle écrit un roman et travaille pour la Paramount à Hollywood. De retour en Angleterre en 1952, elle écrit une dernière pièce. Mais sa notoriété vient des 101 Dalmatiens (1956), récit d’aventures qui opposent le bien créateur et le mal destructeur, l’espièglerie et la cruauté, le bonheur et sa fragilité. Vivre ses désirs, pour elle, se heurte à la structure tentaculaire de la famille et ses intrigues concernent toutes des amours contrariées, des personnages qui tentent de briser les couples, les turbulences d’une famille prise entre mélodrame, rêveries et excentricités (Le Château de Cassandra, 1948). Elle a écrit 11 pièces, huit romans, quatre autobiographies, et six films ont été inspirés de ses œuvres.

Michel REMY

Le Château de Cassandra (I Capture the Castle, 1948), Paris, Gallimard, 2004 ; Les Cent Un Dalmatiens (The Hundred and One Dalmatians, 1956), Paris, Gallimard, 1960.

GROVE V., Dear Dodie : The Life of Dodie Smith, Londres, Chatto and Windus, 1996.

SMITH, Jaune Quick-to-See [MONTANA 1940]

Peintre et lithographe américaine.

Née dans une réserve indienne du Montana, la Confederated Salish and Kootenai Indian Reservation, Jaune Quick-to-See Smith est l’une des artistes indiennes d’Amérique du Nord les plus influentes. Abandonnée par sa mère à l’âge de 2 ans, elle a vécu dans différentes villes et réserves de Californie puis de l’État de Washington. Diplômée de plusieurs universités, elle est titulaire, entre autres, de quatre doctorats honoris causa. Depuis les années 1970, elle développe un travail abstrait en peinture et en lithographie, fondé sur des réseaux complexes de lignes et de couleurs. L’utilisation de matériaux mixtes collés, telles des pages de journaux, produit des surfaces aux textures très riches et complexes. L’association de slogans commerciaux, de couches de textes, de dessins gribouillés et de coulures de peinture, mais aussi parfois d’objets intégrés à des installations, fait de ces œuvres abstraites, incluant néanmoins des motifs figuratifs, des réalisations hybrides et complexes. Présent dans les collections prestigieuses, son travail a fait l’objet de plus d’une centaine d’expositions personnelles et a reçu le prix de la fondation Joan-Mitchell. Par le biais notamment de superpositions et de collages, elle mêle tradition indienne et modernité américaine, conférant à son travail un discours politique sur l’appropriation des différentes cultures. Elle se décrit elle-même comme une « ouvrière de l’art » (cultural art worker). Ses œuvres mettent en jeu des éléments liés à l’art tribal et aux questions environnementales. Dans Flathead Vest : Father and Child (1996), une veste traditionnelle est peinte sur un ensemble d’images : des motifs floraux, une photographie du XIXe siècle d’un père et de son fils indiens, mais aussi un texte sur les additifs alimentaires. Ce conflit est récurrent dans ses autres pièces, en particulier dans ses nombreuses lithographies : Winds of Change (1992) allie l’imagerie des tipis, des chevaux, des symboles géométriques, avec celle des camions, des avions, autant de marques de la société contemporaine qui entrent en contradiction avec le monde traditionnel des réserves indiennes.

Marion DANIEL

Made in America (catalogue d’exposition), Kansas City, UMKC-Belger Art Centers for Creative Studies, 2003 ; She Paints the Horse (catalogue d’exposition), Casper, Nicolaysen Art Museum & Discovery Center, 2005.

SMITH, Kiki [NUREMBERG 1954]

Sculptrice et graveuse américaine.

Fille de l’actrice et chanteuse lyrique Jane Lawrence et d’un des peintres et sculpteurs abstraits modernistes les plus célèbres de l’après-guerre, Tony Smith, Kiki Smith s’installe à New York en 1976. Elle y fréquente les milieux rock et artistiques. Elle participe au groupe Colab (Collaborative Projects, Inc.) qui s’oppose aux structures traditionnelles de diffusion de l’art et de son marché. Grâce à Jane Dickson, elle réalise ses premiers monotypes. Dès 1979, la jeune artiste découvre et copie les illustrations du manuel Gray’s Anatomy (1901). Ses premiers objets sont en plâtre, mais elle va rapidement faire varier les matériaux, associant ainsi avec humour des matériaux nobles à des formes appartenant au domaine de l’ignoble. Le corps, pris dans sa matérialité, corps ouvert, disséqué, abject, exsudant des fluides et des substances, est support de narrativité. Elle désigne elle-même, à la source de sa démarche créatrice, Louise Nevelson*, Lee Bontecou*, Louise Bourgeois*, Eva Hesse*, Meredith Monk* et surtout Nancy Spero*. Dans les années 1990, la disposition des objets dans l’espace prend de l’importance et s’apparente à de véritables installations. Elle poursuit un travail de subversion de figures bibliques et topiques, féminines le plus souvent, appartenant à l’histoire de l’art (Untitled). Depuis le milieu des années 1990, son travail s’est déplacé hors du corps humain, vers le cosmos, par le biais de gravures ou d’installations qui mêlent animalité et conte de fées, et suggèrent émerveillement ou effroi.

Émilie BOUVARD

Kiki Smith : Prints, Books and Things (catalogue d’exposition), Weitman W. (dir.), New York, The Museum of Modern Art, 2003 ; Kiki Smith : A Gathering, 1980-2005 (catalogue d’exposition), Engberg S. (dir.), Minneapolis, Walker Arts Center, 2006.

SMITH, Lee [GRUNDY 1944]

Écrivaine américaine.

Née dans une petite ville minière de Virginie occidentale, dans les Blue Ridge Mountains, d’une mère institutrice et d’un père commerçant, Lee Smith démarre sa carrière d’écrivaine en 1966 pendant sa dernière année au Hollins College, à Roanoke : elle remporte une bourse à un concours littéraire local, avec le premier jet d’un « roman d’éducation ». Deux ans plus tard, le roman paraîtra sous le titre The Last Day the Dogbushes Bloomed (« le dernier jour où les orties ont fleuri »). Son second roman, Something in the Wind (1971), est accueilli favorablement par la critique ; le suivant, Fancy Strut (« parade sans majorettes », 1973), est unanimement acclamé et reconnu comme un chef-d’œuvre du genre comique. En 1974, elle s’installe avec sa famille à Chapel Hill, où elle termine Black Mountain Breakdown (« la crise de Black Mountain », 1981), œuvre la plus sombre de sa carrière, dans laquelle elle dénonce les conséquences de la passivité des femmes et le terrible état de catatonie qui résulte de leur trop facile acceptation des rôles imposés par les hommes. Cet ouvrage lui vaudra d’attirer l’attention générale de la critique et d’étendre son lectorat à l’ensemble du territoire américain. Elle commence à écrire des nouvelles et reçoit à deux reprises le prix Pen/O. Henry (1978 et 1980). Son premier recueil, Cakewalk, paraît en 1981. Depuis, elle a publié de nombreux textes, dont On Agate Hill (2006) ou Mrs Darcy and the Blue-Eyed Stranger (2010), et reçu plusieurs prix littéraires, dont l’Academy Award in Fiction de l’American Academy of Arts and Letters, en 1999. L. Smith est couramment comparée aux plus grands écrivains du Sud. Sa technique narrative lui permet de développer pleinement ses personnages, et ses romans témoignent de sa parfaite connaissance des peuples et de la culture des Appalaches.

Beatrix PERNELLE

La Combe du chat-huant (Oral History, 1983), Castelnau-le-Lez, Climats, 2000 ; Le Rêve du diable (The Devils’s Dream, 1992), Castelnau-le-Lez, Climats, 2003.

BYRD L. J., Sexuality and Motherhood in the Novels of Lee Smith : A Divine Integration, Texas A & M University, 1998 ; HILL D. C., The Female Imagination in an Age of Transition : The Fiction of Lee Smith, University of North Carolina at Chapel Hill, 1988 ; ID., Lee Smith, New York, Twayne, 1992.

SMITH, Patti [CHICAGO 1946]

Compositrice-interprète de rock, écrivaine et dessinatrice américaine.

Patti Smith aura mis seulement cinq années (1975-1979) pour devenir l’une des figures les plus importantes du rock. Elle a grandi dans la petite ville de Pittman (New Jersey). Son père, ancien danseur de claquettes, est ouvrier dans une usine. Sa mère, très pieuse, a dû abandonner son métier de chanteuse de jazz pour travailler comme serveuse. Elle donne une éducation mystique à sa fille, qui, solitaire, passe son temps à lire, à rêver. « La famille, racontera-t-elle plus tard, n’a pas toujours de quoi manger, mais sait profiter de la vie. » Ses parents écoutent du jazz – Duke Ellington, Frank Sinatra –, et elle découvre la musique noire – James Brown, Smokey Robinson – ainsi que la poésie d’Arthur Rimbaud, dont l’œuvre deviendra bientôt l’épicentre de son inspiration artistique. Nourrissant un idéal bohème, la jeune femme quitte sa province et s’installe à New York, où elle rencontre Robert Mapplethorpe, photographe talentueux qui s’apprête à marquer le siècle. À ses côtés, elle vit enfin l’existence d’une poétesse folk, entourée de beatniks, se constitue un monde étincelant, fréquente le chanteur Bob Neuwirth, ami de Bob Dylan, William Burroughs, Sam Shepard. Elle donne des lectures publiques. Elle voyage, se rend en Europe, à Paris, chante dans le métro avec sa sœur ; à Charleville-Mézières, elle se recueille sur la tombe d’A. Rimbaud. De retour à New York, elle écrit beaucoup et publie deux recueils de poèmes, Seventh Heaven (1972) et Witt (1973). Elle commence à se faire un nom dans les milieux underground, entre lectures, folk et poésie minimaliste. Le Patti Smith Group prend forme peu à peu, mélangeant matière musicale et littéraire. Elle enregistre d’abord une version de Hey Joe de Jimi Hendrix, en collaboration avec l’un des grands artistes rock de l‘époque, Tom Verlaine du groupe Television, puis son premier grand disque, Horses, produit par John Cale. Sa version hallucinée du Gloria de Van Morrison frappe les consciences, tout comme son rock brut, sensuel. Elle fait le pont entre le folk dylanien, la poésie et le punk. Son œuvre marque un tournant dans l’histoire du rock, qu’elle contribue à pousser vers la maturité. Elle fait paraître un recueil de poèmes, Babel, et enregistre un album étonnant qui la propulse de nouveau au premier rang, Easter, où figure son tube Because the Night. Elle sort en 1996 le douloureux et émouvant Gone Again, œuvre testamentaire imprégnée des tragédies qui ont dévasté son existence et porteuse d’un blues rêche et lyrique. Très engagée politiquement, P. Smith aura influencé un grand nombre d’artistes : Morrissey des Smiths, Michael Stipe de REM, jusqu’à PJ Harvey*.

Stéphane KOECHLIN

Révélée tardivement par une exposition à la Robert Miller Gallery de New York en 1997, l’œuvre graphique de P. Smith, dont le rêve d’enfant était de peindre, relève d’une démarche intime, étroitement associée à la vie quotidienne. Comme ses écrits, ses dessins portent la marque – violente, exacerbée – de ses souvenirs, de ses désirs et fantasmes érotiques, de ses contestations, de sa lecture admirative de Shelley, Keats, Baudelaire, ainsi que des invocations multiples (R. Mapplethorpe, Pasolini, Dieu, Jean Genet, Jim Morrison), qui peuplent également son écriture poétique. Son impulsivité habituelle, sa violence la conduisent à des pratiques graphiques proches de celles d’Antonin Artaud, de Willem de Kooning ou encore de Jean-Michel Basquiat, auxquels elle voue un véritable culte. Son écriture, rythmique, désordonnée, éclatée est faite de tracés aigus et acérés, mélanges d’images de têtes ou bustes, et d’annotations de mots, calligraphies informes, accents colorés, taches, signes cabalistiques, auxquels viennent parfois se greffer des morceaux collés (correspondances amoureuses, éphémérides diverses). Comme chez Artaud, une certaine maladresse, une pauvreté d’exécution sont revendiquées, au profit d’une vérité à crier. Ses feuilles de bribes graphiques brouillonnes, mi-écrites, mi- dessinées ont ainsi la naïveté de certains dessins de l’art brut (elle affectionne Jean Dubuffet), la rapidité de ceux d’Henri Michaux ou encore la fulgurance de Cy Twombly. Si la plupart de ses dessins connus appartiennent aux années 1966-1977, qu’elle partageait alors avec Mapplethorpe, il semble qu’elle n’ait jamais cessé de jeter sur la feuille de papier – comme dans un journal – les visions et les cris qui la hantent : ce terrain d’expression ne peut être dissocié de ceux étroitement mêlés aux performances musicales et poétiques, comme chez tout artiste héritier de la Beat Generation.

Agnès DE LA BEAUMELLE

Horses, Arista, 1975 ; Easter, Arista, 1978 ; Gone Again, Arista, 1996 ; Peace and Noise, Arista, 1997 ; Trampin’, Columbia, 2004 ; Just Kids, Paris, Denoël, 2010.

Babel (1979), Paris, C. Bourgois, 1981 ; Présages d’innocence (Auguries of Innocence, 2005), Paris, C. Bourgois, 2007.

LESIEUR J., Patti Smith, Bordeaux, Le Castor astral, 2009.

SMITH, Sarah VOIR STRETTON, Hesba

SMITH, Seton [NEW JERSEY 1955]

Photographe américaine.

Figure discrète de la scène artistique française, Seton Smith puise les sujets de ses photographies dans les espaces intérieurs – détails architecturaux, musées, objets archéologiques – ou dans la nature. Le dialogue entre « le dedans » et « le dehors » parcourt toute son œuvre. Aux antipodes de la photographie documentaire pratiquée par des artistes de sa génération (École de Düsseldorf), elle photographie, certes, en couleurs, privilégie le format tableau ou le caisson lumineux, mais pour un rendu irréel, énigmatique et pictural. Au risque de perturber la lecture immédiate de l’espace ou de l’objet représenté, elle utilise le flou ou le cadrage décentré afin d’établir un dialogue d’ordre psychologique entre le spectateur et ses images. Fille du sculpteur minimaliste Tony Smith et sœur de Kiki Smith (1954), avec qui elle passe son enfance à créer des modèles réduits et des formes géométriques modulaires, c’est au cours de ses années d‘études à Boston et dans le Massachusetts qu’elle développe un intérêt pour les lieux urbains, le paysage et l’environnement, dans une perspective culturelle et philosophique. Ses préoccupations sont nourries par la lecture d’essais sur l’architecture et l’influence du land art. À la recherche d’infimes traces de constructions humaines, elle réalise ses premières photographies dans des espaces ruraux reculés. En 1979, elle déménage à New York. Elle présente ses travaux pour la première fois en Europe, à Cologne, lors de l’exposition collective Parevents en 1984 ; puis elle s’installe en France pour photographier des bâtiments historiques et des parcs. Ses œuvres, axées sur la perception de la nature, sont présentées dans nombre d’institutions publiques et privées françaises. C’est en France qu’elle réalise ses premiers projets in situ, consistant à intégrer des photographies de la nature dans le paysage même ; Escales est réalisé en Bretagne en 1991. Lauréate du prix HSBC en 1998 à Paris, S. Smith fait, depuis, l’objet d’expositions monographiques d’envergure en France et à l’étranger. Son intérêt se porte à présent sur les espaces urbains et l’architecture vernaculaire américaine.

Damarice AMAO

Seton Smith (catalogue d’exposition), Storsve J. (textes), Nantes, Musée des Beaux-Arts, 1994 ; Without Warning : Seton Smith, Arles/Paris, Actes Sud, 1998.

SMITH, Stevie (Florence Margaret, dite) [HULL 1902 - LONDRES 1971]

Poétesse britannique.

Après avoir fréquenté la London Collegiate School for Girls, Stevie Smith travaille comme secrétaire jusqu’en 1953, année où elle atteint une notoriété phénoménale et commence à vivre de sa poésie grâce à de nombreuses conférences et lectures publiques. En 1936, elle publie un roman autobiographique, Novel on Yellow Paper, et en 1937 un premier recueil de poèmes (A Good Time Was Had) qui donne le ton de son écriture, thèmes sérieux dans une écriture de comptines enfantines. Son inspiration vient de la théologie et des contes de Grimm, ce qui explique la combinaison du prosaïque, des voix multiples, d’une prosodie ludique et d’une forte dose d’ironie. Mêlant dans ses 12 recueils le biblique, le banal, le solennel et l’argotique, les incohérences, les paradoxes et les jeux de mots, elle explore l’angoisse des abîmes spirituels, l’obsession de la mort et le désir d’éternité dans une prosodie marquée par des hiatus et syncopes qui expliquent la vigueur légendaire de ses lectures publiques. Au fond, un profond agnosticisme se révèle dans sa reconnaissance de ses propres frustrations, incluant de nombreuses amitiés féminines hésitantes ou avortées.

Michel REMY

Poèmes, Paris/Budapest/Turin, L’Harmattan, 2003.

SPALDING F., Stevie Smith : A Critical Biography, Londres, Faber, 1988.

SMITH, Viola [WISCONSIN 1912 - CANADA 2014]

Batteuse américaine.

Benjamine d’une famille nombreuse, Viola Smith est toute jeune lorsqu’elle intègre The Schmidt Sisters, l’orchestre familial monté dans les années 1920 par son père, qui lui attribue la batterie. Elle n’a que 12 ans quand elles partent en tournée et partagent l’affiche avec The Andrews Sisters. À la fin des années 1930, elle crée avec sa sœur Mildred – clarinette et saxophone – le groupe les Coquettes. Elles jouent des airs de swing et de jazz et Viola fait la couverture de Billboard Magazine en février 1940. Elle étudie avec Ted Reed et Billy Gladstone, et obtient une bourse à la Juilliard School of Music où Saul Goodman lui enseigne les percussions. Elle rejoint en 1942 Phil Spitalny et son Hour of Charm All Girl Orchestra, le premier groupe de femmes à enregistrer en studio. Sa carrière se tourne vers Brodway ; elle joue dans plusieurs longs-métrages comme When Johnny Comes Marching Home (1942), Here Come the Co-Eds (1945), et fait partie de l’ensemble de femmes du Kit Kat Club dans la comédie musicale Cabaret (1966). Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage contre les préjugés et incite les femmes à rejoindre les orchestres. Cette pionnière, « la batteuse la plus rapide du pays », vivra plus de cent ans.

Joëlle GUIMIER

TUCKER S., Swing Shift: “All-Girl” Bands of the 1940s, Duke University Press Books, 2000.

SMITHSON, Alison Margaret (née GILL) [SHEFFIELD 1928 - LONDRES 1993]

Architecte britannique.

Alison Smithson, l’une des architectes les plus influentes de sa génération, fut aussi la première femme à concevoir un imposant édifice commercial dans le centre de Londres : l’immeuble du magazine The Economist, réalisé entre 1959 et 1964 avec son mari Peter Smithson (1923-2003). Après avoir appris de son père l’art du relevé d’édifices, elle obtient en 1949 son diplôme avec mention à King’s College School of Architecture (université de Newcastle). Elle entre aussitôt au service d’architecture du London County Council (conseil régional de Londres) et épouse P. Smithson, qui restera toute sa vie son collaborateur. Ensemble ils remportent, en 1950, un grand concours pour une école secondaire à Hunstanton, Norfolk, avec un projet inspiré par Mies van der Rohe (1886-1969) qui leur apporte la célébrité et un cabinet indépendant. Les matériaux en série et les éléments fonctionnels crûment exposés dans le bâtiment annoncent le nouveau brutalisme. Dans leur œuvre tardive, leurs références seront plutôt Frank Lloyd Wright (1867-1959) et le design japonais, leur approche s’adoucissant avec l’emploi de la brique, du bois et du béton. Les événements familiaux, mais aussi les jouets et les livres d’enfants constituent une source d’inspiration, comme on le voit à travers les expositions, Parallel of Life and Art (1953) et This is Tomorrow (1956), et publications, (Team Ten Primer, 1965 ; AS in DS : An Eye on the Road, 1983) et, par la suite, à travers leur architecture : comme l’utilisation d’écrans en bois voilant en partie les fenêtres des logements d’étudiants au St Hilda’s College (Oxford 1966-1968), qui reprennent l’idée des superpositions provenant d’objets décoratifs éphémères. Durant vingt ans, l’intérêt du couple pour les logements publics a donné naissance à des concepts innovants mais controversés – du projet, non réalisé, de Golden Lane (1952) au robuste Robin Hood Estate (Londres 1972). L’approche intellectuelle radicale d’A. Smithson a divisé ses adeptes en groupes militants, les amenant à repenser le modernisme d’après-guerre : d’une part l’Independent Group, avocat de la culture populaire, d’autre part les CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) et leurs dissidents, le futur Team X. Après 1970, l’influence des Smithson s’est surtout exercée à travers leurs projets pour différents concours.

Lynne WALKER

WALKER L., « Smithson, Alison Margaret (1928-1993) », in MATTHEW C., HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; HARWOOD E., « Smithson, Peter Denham », in HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, online edition, 2007.

SMITHSON, Harriet [ENNIS, IRLANDE 1800 - ID. 1854]

Actrice irlandaise.

Son père étant directeur de théâtre, Harriet Smithson fait ses débuts à Dublin à l’âge de 15 ans. En 1818, elle apparaît pour la première fois à Londres, incarnant Laetitia dans The Belle’s Stratagem, une comédie d’Hannah Cowley. Avec le célèbre acteur William Charles Macready, elle se rend à Paris en 1828 et 1832, incarnant les héroïnes shakespeariennes aux côtés de Charles Kemble. Ces pièces, jouées en anglais pour la première fois à Paris, font sensation. Toute l’intelligentsia se presse à l’Odéon, notamment Victor Hugo, Théophile Gautier, Eugène Delacroix, Alexandre Dumas. Et le jeune musicien Hector Berlioz, subjugué par l’actrice blonde aux yeux bleus qui incarne avec tant de passion Juliette et Ophélie, s’éprend d’elle et lui adresse des missives enflammées. Inspiré par la jeune comédienne, il écrit La Symphonie fantastique, et laisse transparaître la passion qu’il éprouve pour elle dans le programme de salle. En 1833, Franz Liszt est leur témoin de mariage. L’année suivante naît un fils, Louis Berlioz (qui deviendra commandant de la marine marchande, et mourra à 33 ans). Le mariage n’est pas heureux, la célébrité de l’actrice n’est plus qu’un souvenir. Séparée de Berlioz en 1840, elle abandonne la scène. Dans la gêne et l’oubli, elle connaît une fin de vie mélancolique. Le musée Magnin de Dijon conserve un beau portrait de la comédienne, peint dans l’éclat de sa jeunesse par Dubuffe.

Bruno VILLIEN

SMYTH, Clare [COMTÉ D’ANTRIM, IRLANDE DU NORD 1978]

Chef cuisinière britannique.

Née en Irlande du Nord, Clare Smyth arrive en Angleterre dès ses 16 ans afin d’acquérir les compétences nécessaires pour devenir une cuisinière de grand talent. Après des années d’école, elle entre dans de nombreuses cuisines de chefs renommés, puis quitte Londres pour les cuisines du Louis XV d’Alain Ducasse à Monaco où elle apprend la méticulosité, l’éthique du travail, la minutie et l’exigence. En 2008 elle retourne au Royaume-Uni, où elle est promue chef de cuisine au restaurant du très médiatique et talentueux Gordon Ramsay. La rapide progression de cette jeune femme au caractère volontaire n’est pas surprenante, car sa pugnacité et son amour du travail sont exemplaires. Elle est alors la seule très jeune femme à diriger un établissement avec une telle distinction. Connaissant l’exigence de G. Ramsay, la présence de C. Smyth comme chef de son meilleur restaurant est une gageure. Elle y apporte une fraîcheur et une originalité qui font toute la différence. Ses spécialités culinaires, bien que dictées par l’influence de G. Ramsay, s’imposent avec ses raviolis de langouste ou le flétan de l’Atlantique et le cochon de lait au ventre croustillant.

Véronique ANDRÉ

SMYTH, Ethel [LONDRES 1858 - WOKING 1944]

Compositrice britannique.

Fillette sauvage qui aimait par-dessus tout les activités sportives, Ethel Smyth apprit le piano comme il convenait aux jeunes filles victoriennes de famille aisée, et découvrit à 12 ans sa passion pour la musique. Son père s’opposant à son désir de devenir compositrice, elle avait 17 ans quand elle prit sa première leçon d’harmonie, avec Alexander Ewing, compositeur et musicien amateur doué. En 1877, elle partit enfin pour Leipzig où elle commença ses études au Conservatoire de musique dans un état d’enthousiasme effréné. Elle était la première femme admise dans la classe de composition de Carl Reinecke, étudia le piano avec Louis Maas et le contrepoint et l’harmonie avec Salomon Jadassohn. Elle prit ensuite des cours particuliers chez le compositeur autrichien Heinrich von Herzogenberg. En 1890, elle retourna définitivement en Angleterre et, la même année, ses débuts de compositrice furent marqués par le succès de sa Sérénade pour orchestre. Elle se lia d’amitié avec l’ex-impératrice française Eugénie, qui devint son mécène. En 1891, elle acheva sa Mass in D pour solistes, chœur et orchestre, qui fut donnée à Londres en mars 1893 par la Royal Choral Society sous la baguette de Sir Joseph Barnby. Le célèbre chef d’orchestre Hermann Levi, enthousiasmé par son talent dramatique, la poussa alors à se consacrer au genre de l’opéra, apportant un changement d’orientation décisif à sa carrière. Son premier opéra, Fantasio, fut créé à Weimar en 1898. Der Wald (« la forêt »), créé en 1902 à Berlin, fut produit trois mois plus tard à Londres à Covent Garden et redonné l’année suivante au Metropolitan de New York, où il remporta un vif succès. En 1904, elle mit la dernière main au drame musical en trois actes Les Naufrageurs. Créé dans une version allemande sous le titre Strandrecht en 1906 à Leipzig, la première représentation de la version anglaise The Wreckers eut lieu en 1909, sous la direction de Sir Thomas Beecham. La critique musicale considéra presque unanimement The Wreckers comme sa meilleure œuvre. Entre 1900 et 1913, la compositrice fit de fréquents séjours à Paris. En 1907, elle composa sur des textes français (Henri de Régnier) ses très beaux et sensuels Four Songs pour voix, flûte, harpe, trio à cordes et percussions que Debussy qualifia de « tout à fait remarquable » et dans lesquels on peut dénoter une influence de l’impressionnisme français, qui imprègne également ses Three Moods of the Sea composés en 1913. En 1911, E. Smyth se joignit à la fraction militante des suffragettes, la Women’s Social and Political Union (WSPU). Elle composa quelques pièces pour la WSPU, dont la Marche des femmes, chant de lutte du mouvement, et participa énergiquement aux actions politiques, ce qui lui valut un séjour de soixante-deux jours en prison. En 1913, après deux années presque exclusivement consacrées au mouvement des suffragettes, la compositrice commença à souffrir de troubles auditifs qui s’aggravèrent avec le temps et aboutirent deux décennies plus tard à une surdité presque totale. En 1923 et 1925, elle composa ses deux derniers opéras, Fête galante, d’un raffinement onirique à la Watteau, et Entente cordiale, empreint de truculence populaire. En 1930, elle termina sa dernière grande œuvre, La Prison, une symphonie pour solistes, chœur et orchestre. Sa maladie gênant de plus en plus son travail musical, elle se tourna vers son activité d’écrivain. Elle avait publié le premier de ses dix livres, Impressions That Remained, en 1919. En 1930, elle fit la connaissance de Virginia Woolf*. Entre les deux femmes se développa une étroite amitié dont témoigne une correspondance abondante et passionnée. De son vivant, E. Smyth connut un succès international. Les critiques contemporains ont relevé la force et la vitalité rythmique, l’expression dramatique et l’habileté technique de ses œuvres ainsi que les couleurs intenses de son orchestration.

Danielle ROSTER

BARTSCH C., GROTJAHN R., UNSELD M. (dir.), Felsensprengerin, Brückenbauerin, Wegbereiterin, die Komponistin Ethel Smyth, Munich, Alitera, 2010 ; BROHM M., Die Komponistin Ethel Smyth (1858-1944), Ursachen von Anerkennung und Misserfolg, Berlin, Rhombos-Verlag, 2007 ; CRICHTON R. (dir.), The Memoirs of Ethel Smyth, Londres, Viking, 1987 ; ST JOHN C., Ethel Smyth, Londres, Longmans, 1959.

SNEIFER, Regina [BEYROUTH 1962]

Combattante et écrivaine libanaise.

Née dans une famille chrétienne maronite sans histoires, Regina Sneifer grandit dans le quartier sud de Beyrouth, dans un monde protégé où l’on ignore presque tout du voisin musulman. Mais tout bascule en 1975, quand éclate une guerre civile qui déchirera son pays pendant quinze ans. En 1980, à 18 ans, comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle décide de mettre son énergie au service de son Liban menacé par la vague islamiste et rejoint les rangs des forces miliciennes chrétiennes, les Forces libanaises dirigées par Béchir Gemayel. Elle entame son parcours sous l’uniforme au sein des transmissions et suit un véritable entraînement militaire. Mais rapidement ses convictions chavirent : elle découvre l’abomination au sein de son propre camp, les purges et les règlements de compte. Les factions chrétiennes, visant progressivement le contrôle des communautés de tout le pays, ne reculent devant aucune méthode. Horrifiée, la jeune femme dépose les armes et quitte le Liban pour la France en 1987. À Paris, elle suit des études de journalisme, puis obtient un DEA de géopolitique et un master HEC en marketing et développement commercial. En 1994, son livre Guerres maronites ouvre pour la première fois des dossiers secrets sur les conflits entre chrétiens au Liban. Mais c’est après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, lorsqu’elle voit à nouveau son pays au bord de la rupture, qu’elle se décide à témoigner de son propre parcours de militante. Dans un ouvrage d’abord publié en arabe et intitulé J’ai déposé les armes, une femme dans la guerre du Liban, elle aborde sans détours les intrigues politiques, les prisons, les désillusions idéologiques et le sort des « disparus ». Faisant face à ce passé qui l’a hantée jusqu’à l’obsession, elle déclare se sentir à nouveau libre. Elle continue à militer pour la paix et travaille dans le domaine de la formation et de l’entreprise apprenante.

Elisabeth LESIMPLE

Guerres maronites 1975-1990, Paris, L’Harmattan, 1995 ; J’ai déposé les armes, une femme dans la guerre du Liban, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2006.

SNELLMAN, Anja (née KAURANEN) [HELSINKI 1954]

Écrivaine finlandaise.

Avec son premier roman, Sonja O. kävi täällä (« Sonja O. est passée par ici », 1981), qui narre les années d’apprentissage sexuel d’un Casanova féminin, Anja Snellman fait une entrée fracassante sur la scène littéraire. Après la publication de ce livre, la littérature finlandaise renonce aux descriptions de femmes obligeantes et obéissantes, au service de l’homme en manque d’inspiration ; à la muse succède un sujet féminin, agent actif qui mène sa vie en toute indépendance. Une chercheuse finlandaise, Liisa Enwald, a comparé le personnage principal du roman, Sonja, à la femme de la poétesse Edith Södergran*, « vierge moderne » tout à la fois madone et putain, objet et sujet, femme et homme, bien et mal. Les 20 romans et les deux recueils de poésie d’A. Snellman se caractérisent par une forte tendance autofictionnelle. Outre des éléments purement autobiographiques, l’écrivaine n’hésite pas à puiser son matériau romanesque dans la vie de ses proches. C’est le cas de l’un de ses romans les plus célèbres, Le Temps de la peau (1993), qui dépeint les derniers mois d’une femme mourante dont la fille va découvrir le passé secret, et de Syysprinssi (« le prince d’automne », 1996), portrait d’un écrivain doué et sujet à une grave dépression. La vie des femmes constitue son thème de prédilection : elle peint des portraits d’adolescentes aux prises avec la puberté, décrit l’union entre le corps, la sexualité et l’identité féminine, les défis de la maternité et la relation mère-fille. Elle s’empare audacieusement de sujets choquants, comme dans Pelon maantiede (« la géographie de l’angoisse », 1995, adapté au cinéma en 2000), un thriller qui met en scène un groupe de féministes extrémistes qui assassinent un homme violent. Elle s’attaque aussi à des sujets actuels, notamment avec Lemmikkikaupan tytöt (« les filles du magasin d’animaux », 2007), un roman sur la pornographie enfantine et le trafic d’êtres humains qui a provoqué un débat sur les déviances et les misères sociales. En 2010, elle a publié Parvekejumalat (« les dieux du balcon », 2010), un roman sur les jeunes filles musulmanes en Finlande. Ces thèmes d’une brûlante actualité sont sans doute à l’origine de son succès international, qui la place parmi les écrivains contemporains finlandais les plus traduits.

Janna KANTOLA, Hannu K. RIIKONEN et Riikka ROSSI

Le Temps de la peau (Ihon aika, 1993), Caen, Presses universitaires de Caen, 1998.

SNOW, Valaida [CHATTANOOGA, TENNESSEE 1904 - NEW YORK 1956]

Trompettiste et chanteuse de jazz américaine.

Valaida Snow est l’une des rares trompettistes femmes à avoir laissé un nom dans l’histoire. Sa puissance, son talent lui ont même valu d’être appelée « Little Louie ». La légende prétend que le génial Louis Armstrong, l’ayant vue jouer un soir, lui enseigna quelques « trucs ». Elle a vu le jour au sein d’une famille musicienne : son père est chef d’orchestre, ses frères et sœurs chantent et jouent de tous les instruments. Sa mère lui apprend les rudiments du violon, du banjo et de la mandoline, mais la jeune Valaida se tourne finalement vers la trompette, pour laquelle elle montre de formidables dispositions. Elle commence son parcours musical à l’âge de 15 ans et, indisciplinée, fréquente les clubs chauds de Chicago. Comme danseuse, elle participe pendant les années 1920 aux fameuses comédies musicales noires de Broadway, dont Chocolate Dandies de Noble Sissle et Eubie Blake, puis à la revue Blackbirds, où se sont illustrées Ethel Waters* et Florence Mills*. Elle voyage en Chine, en Europe de l’Est et à Paris (1929), puis rejoint l’orchestre de Chick Webb avant de repartir en Europe. Son swing, sa classe, que l’on peut entendre avec le Billy Mason et son orchestre (You Bring out the Savage in Me), font fureur. Pendant les années 1930, V. Snow mène la grande vie : elle roule dans une Mercedes à l’arrière de laquelle saute un singe, conduite par un chauffeur dont le costume est assorti à la voiture couleur orchidée. Elle défraie la chronique avec ses liaisons tapageuses – le pianiste et chef d’orchestre Earl Hines par exemple ; on parle même de Maurice Chevalier –, joue dans quelques grands films, dont Pièges de Robert Siodmak en 1939. Elle s’embarque, sans permis de travail, pour une tournée au Danemark. Malade, elle mène une vie errante pendant quelques mois, indifférente aux avertissements émis par l’ambassade américaine. En avril 1940, les Allemands envahissent le Danemark. Ils arrêtent la trompettiste, l’accusant d’être une voleuse et une droguée, et l’envoient à Vestre-Fængsel, la prison de Copenhague, où elle croupit dans le froid et la faim durant plus de dix-huit mois. Sa santé se détériore. Elle finit par être libérée grâce à un échange de prisonniers et regagne son pays, amaigrie et amère. Elle reprend sa trompette, mais, affaiblie, décède d’une hémorragie cérébrale.

Stéphane KOECHLIN

Valaida Snow 1937-1940, Classics, 2006 ; Queen of Trumpet and Song 1935-1940, DRG, 1999.

SOBH, Alawiya [BEYROUTH 1955]

Romancière et journaliste libanaise.

Après des études de lettres arabes et anglaises à l’Université libanaise, Alawiya Sobh exerce dans l’enseignement et dans le journalisme en publiant des nouvelles et des articles, notamment dans le quotidien Al-Nidā. Elle occupe des postes à responsabilité dans la revue Al-Hasna avant de fonder Snob al-Hasna, dont elle deviendra rédactrice en chef. Paru en 2002, son roman Maryam ou le Passé décomposé révèle aux lecteurs une romancière de talent qui s’attaque aux tabous de la religion et de la sexualité en dépeignant avec un réalisme poignant la situation dramatique des femmes musulmanes chiites du sud du Liban. Salué par la critique, le livre sera néanmoins interdit dans les pays du Golfe et retiré du Salon du livre du Caire. Son œuvre donne la parole à toutes les catégories de femmes libanaises, des paysannes à l’élite intellectuelle avec ’Ismuhu al-gharām (« ça s’appelle la passion », 2009). Elle aborde toutes les questions taboues, dénonce le mensonge social et la dissimulation, raconte la sexualité des femmes et expose leur impuissance face au machisme de l’homme qui les opprime. A. Sobh a reçu le prix Sultan-Qabous (Oman) pour son roman Duniyā (« la vie », 2007).

Nehmetallah ABI-RACHED

Maryam ou le Passé décomposé (Maryam al-hakāyā, 2002), Paris, Gallimard, 2007.

ŠOBLINSKAITĖ, Violeta [MAŽEIKIAI 1954]

Écrivaine lituanienne.

Violeta Šoblinskaitė étudie la langue et la littérature allemandes à l’université de Vilnius. D’abord journaliste pour un quotidien de Šiauliai, puis pour une revue culturelle à Kaunas, elle publie son premier recueil de poésies, Šaknų žiedai (« les fleurs des racines »), en 1986. Suivent six autres volumes entre 1993 et 2004. Elle écrit également des pièces pour les enfants et fait paraître en 1991 son premier essai, Rudens dienos užkalbėjimas (« l’envoûtement du jour d’automne »), qui évoque l’époque de la stagnation soviétique. Soucieuse de conserver une relation privilégiée avec sa langue, l’écrivaine s’est installée dans un village près de Kaunas. Cet environnement rural l’aide à composer des textes qui fascinent par la richesse des expressions archaïques et par l’observation précise de la vie à la campagne. Novateur par la forme, son premier roman, Vilkų marti (« la bru des loups », 2003), décrit l’histoire d’une femme qui, après un mariage malheureux, quitte la ville pour s’installer dans la maison de ses ancêtres. Hantée en rêve par un inconnu incarnant la nature animale, elle se sent reliée à son passé grâce à la fréquentation de ses voisins qu’elle écoute raconter des légendes dans un dialecte en voie de disparition. De petites bribes de récits s’entremêlent si bien que les notions de temps et de lieu s’estompent ; tantôt l’action est liée à des faits réels, tantôt elle est menée par une divagation intérieure. Plus linéaire et plus simple dans sa forme que le précédent, le deuxième roman, Skyrybų kambariai (« la maison des divorces », 2008), traite des mutations de la famille contemporaine à travers l’histoire d’une mère qui a trois enfants de trois pères différents. V. Šoblinskaitė publie la même année un recueil de nouvelles, Truputis lauktuvių (« une petite attention »), puis un deuxième du même titre en 2009, qui narrent la vie d’un village lituanien d’aujourd’hui et qui constituent un exercice de style témoignant de la parfaite maîtrise de la langue de leur auteure.

Ina PUKELYTĖ

SOBTÎ, Krishnâ [GUJARAT, PAKISTAN 1925]

Auteure indienne d’expression hindi.

Contrairement aux auteures féminines hindis de sa génération (Ushâ Priyamvadâ*, Mannû Bhandârî*), Krishnâ Sobtî délaisse les portraits psychologiques et les protagonistes urbains : son terrain est celui de la ruralité panjabi, de la culture populaire, de son histoire et de ses traditions. Cet attachement rappelle une terre à jamais perdue : née dans le Panjab aujourd’hui pakistanais, scolarisée entre Delhi et Lahore, elle est témoin et victime, en août 1947, de l’exode massif et des violences intercommunautaires qui accompagnent la Partition de l’Inde. Cette expérience de l’exil donne lieu à une œuvre magistrale, entamée dès le début des années 1950 et publiée presque trente ans plus tard sous le titre Zindagînâmâ (« chronique de la vie », 1979). Le roman, où l’auteure enquête sur les origines du sanglant fratricide de la Partition, dépeint la vie quotidienne d’une population rurale du Panjab entre 1900 et 1916. Texte majestueux, où les épisodes narratifs succèdent aux contes, aux chansons, aux poèmes, aux descriptions du folklore… Les deux romans Dâr se bichurî (« séparée du troupeau », 1958) ou le très célèbre Mitro marjânî (« maudite Mitro », 1967) ont en commun de s’attacher à des personnages féminins indociles et révoltés, en dépit d’un environnement parfois oppressant qu’elles choquent, ébranlent par une parole incessante, insoumise : Mitro marjânî témoigne de l’insubordination du langage par l’amoncellement de dialogues et d’insultes. C’est d’ailleurs ce roman qui fait le mieux état du minutieux travail linguistique qui caractérise cette écriture, où la recherche de l’authentique passe avant tout par la langue, franche, rurale et « panjabisée » dans Mitro ou Zindagînâmâ. La parole est également au centre du très beau E larkî (« eh, jeune fille », 1991), roman exclusivement construit sous la forme d’un dialogue entre une vieille femme mourante et sa fille. Texte à la fois sobre et véhément, d’une violence tantôt étouffée et tantôt formulée, il confirme l’originalité stylistique de l’œuvre dans ce mélange réussi des genres.

Anne CASTAING

BHALLA A., « Krishnâ Sobtî, memory and history », in Partition Dialogues, New Delhi, Oxford University Press, 2006 ; OFFREDI M., « Zindagînâmâ : The Undivided Panjab of Krishna Sobti », in Oriental Archive, vol. 75, 2007.

SOCA, Susana [MONTEVIDEO 1907 - RIO DE JANEIRO 1959]

Poétesse uruguayenne.

Issue d’une famille cultivée et noble, Susana Soca bénéficie d’une éducation raffinée. Elle apprend à parler allemand, français, anglais, italien et, plus tard, elle étudie le russe pour pouvoir communiquer avec l’écrivain Boris Pasternak. Sa vie se déroule entre Montevideo et Paris, et, dès son plus jeune âge, elle fréquente les figures les plus importantes des mondes littéraires uruguayen et européen. Ces contacts et sa grande passion pour les arts et la littérature aboutissent à la création d’une revue. Une première époque, de 1947 à 1949, voit paraître trois numéros de La Licorne, qui accorde une place centrale à la culture française. S. Soca joue un rôle de pont culturel entre les deux continents en traduisant en français des œuvres de Felisberto Hernández, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda et Garcilaso de la Vega. Puis une deuxième période, uruguayenne, entre 1953 et 1961, voit la revue Entregas de La Licorne (« cahiers de la licorne ») poursuivre l’œuvre de La Licorne. En 13 numéros, la revue fait connaître les meilleures œuvres de la littérature contemporaine européenne et latino-américaine. L’œuvre poétique de S. Soca est découverte grâce à deux publications posthumes, En un país de la memoria (« dans un pays de la mémoire », 1959) et Noche cerrada (« nuit obscure », 1961), réalisées par l’autre rédacteur en chef de la revue, Guido Castillo. Le ton angoissé de sa poésie répond à la peur de la guerre, bien que ses poèmes n’y fassent jamais directement allusion. L’œuvre de cette poétesse, que les grands écrivains et critiques de l’époque reconnaissaient comme l’incarnation de la poésie, est une architecture parfaite, faite de miroirs qui n’expliquent pas les images qui s’y reflètent, mais les font sentir.

María Rosa OLIVERA-WILLIAMS

ÁLVAREZ-MÁRQUEZ J., Susana Soca, esa desconocida, Montevideo, Linardi y Risso, 2001.

ONETTI J. C., « Recuerdo para Susana Soca », in Mundo Hispánico, no 333, déc. 1975.

SOCIOLOGUES [Colombie XIXe-XXe siècle]

L’œuvre d’une femme, Doña Soledad Acosta de Samper (1833-1913), connue comme romancière, mais auteure d’essais sur la société colombienne de son temps, émerge de manière exceptionnelle dans l’univers masculin des sciences sociales à ses débuts. Il faudra attendre la fondation des premières facultés de sociologie pour voir la consolidation d’un groupe de femmes exerçant le métier de manière professionnelle.

Virginia Gutiérrez de Pineda* (1922-1999) fait figure d’avant-garde. Cette remarquable chercheuse et enseignante fut la seule à participer à la création de la première faculté de sociologie à l’Universidad nacionalde Colombie en 1959, vivier des futures générations de sociologues. Son travail se situe à la croisée de plusieurs disciplines : anthropologie, sociologie et histoire. Elle signe d’importants ouvrages sur la médecine populaire (Medicina tradicional de Colombia, el triple legado, « médecine traditionnelle en Colombie, le triple héritage », 1985) et plusieurs études sur la famille dont Familia y cultura en Colombia (« famille et culture en Colombie », 1968). Dans les années 1960, conformément aux directives d’une encyclique papale, plusieurs universités catholiques fondent des facultés de sociologie. María Cristina Salazar (1931-2006), première femme colombienne à obtenir son diplôme aux États-Unis, essaie d’abord de développer sa discipline chez les jésuites. Elle rejoint rapidement l’université publique où elle mène de nombreux travaux selon la méthode « recherche-action-participation », essentiellement consacrés à l’étude des inégalités sociales et de l’exploitation des enfants. Attachée à la faculté de travail social, elle est accusée de complicité avec la guérilla M-19, puis emprisonnée durant les années de répression du gouvernement Turbay.

C’est dans cette faculté de sociologie de l’Universidad nacional, animée également par Camilo Torres (1929-1966), prêtre et futur guérillero, qu’à partir des années 1960 la plupart des femmes sociologues s’instruisent, mènent leurs premières recherches, puis enseignent. Le parcours de Magdalena Léon (1939) est emblématique de cette génération : formée à la faculté de sociologie, elle décroche un master aux États-Unis dans les années 1960. Elle y découvre la question des droits civiques, des débats féministes passionnés, et intègre dans son travail la variable de « sexe » et la variable de « classe ». Dès son retour en Colombie, son premier travail d’envergure, en 1981, porte sur un sujet peu étudié en Amérique latine : l’emploi domestique féminin et les mesures à adopter pour le transformer. Son livre Género, propiedad y empoderamiento, tierra, Estado y mercado en América Latina (« genre, propriété, émancipation : la terre, l’État et le marché en Amérique latine », 2000), coécrit avec l’économiste américaine Carmen Diana Deere (1945), traite de l’accès des femmes à la terre et constitue un ouvrage de référence.

Chez cette première génération de sociologues, la question des femmes en Colombie entraîne des positionnements politiques et un rapprochement avec leurs mouvements. Le parcours et le travail de Norma Villarreal (1943) en sont un exemple éloquent. Sociologue auprès des institutions colombiennes en faveur de la réforme agraire, elle découvre les conditions d’extrême inégalité dans lesquelles vivent les femmes rurales. Dès lors, ses élaborations théoriques contribuent à aider les mouvements des femmes, avec lesquels elle travaille étroitement (Unión de ciudadanas de Colombia, Asociación nacional de mujeres campesinas indígenas y negras de Colombia), et lui permettent d’intervenir dans la sphère politique (en 1974, elle rédige des rapports d’experte en soutien au divorce ; en 1991, elle participe aux élections de l’Assemblée constituante avec le Movimiento de mujeres). Parmi ses publications majeures figure Historia, género y política, movimientos de mujeres y participación política en Colombia 1930-1991 (« histoire, genre et politique, mouvements de femmes et participation politique en Colombie ») coécrit avec Lola Luna. D’autres femmes sociologues ont ouvert des pistes de réflexion : Ana Rico (1942), auteure de travaux précurseurs sur les mères célibataires et sur la violence au sein de la famille ; Anita Weiss de Belalcázar (1944), référence incontournable en matière de sociologie du travail et auteure de La empresa colombiana entre la tecnocracia y la participación, del taylorismo a la calidad total (« la société colombienne entre la technocratie et la participation, du taylorisme à la qualité », 1994) ; María Teresa Findji (1939), spécialiste du peuple Paez (communauté indienne des Andes) et coauteure, avec Jose María Rojas, de Territorio, economia y sociedad Paez (« territoire, économie et société Paez », 1985), livre fondateur de la socio-anthropologie colombienne ; Elsy Bonilla (1942) dont l’œuvre est consacrée à la transition démographique et aux changements de la famille.

Olga L. GONZALEZ

SOCIOLOGUES [Guatemala XXe siècle]

Matilde González-Izás (née à Coatepeque en 1962) et Laura Hurtado Paz y Paz (née à Guatemala City en 1954) sont deux sociologues guatémaltèques qui se consacrent à l’étude des inégalités sociales entre population autochtone et métisse, de l’appropriation des terres indiennes, de la violence et du racisme dans l’histoire contemporaine du Guatemala. M. González-Izás mène des recherches ethnographiques et historiques approfondies sur l’économie de plantation (café, coton et canne à sucre). Ses études reposent sur la tradition orale ancestrale des Indiens k’iche’s. Militante reconnue des droits de l’homme, elle explore les racines de la réalité violente et raciste de son pays sur de longues durées, mais la question qu’elle pose reste d’actualité. Elle observe que la carte des tueries généralisées et de la politique de la terre brûlée que l’État guatémaltèque a poursuivie entre les années 1970 et les accords de paix de 1996, en défaveur de la population autochtone insurgée (ou non), correspond à la carte actuelle de l’extrême pauvreté, sévissant tout particulièrement dans les villages situés à la périphérie des hautes terres du Nord-Ouest. Pour les Indiens k’iche’s, l’histoire de la guerre est profondément liée au dépouillement de leurs terres communales et au travail forcé ou précaire et faiblement rémunéré, imposé, à partir du XIXe siècle, dans les « fermes des terres chaudes » par les élites oligarchiques et l’État. Ces injustices les ont conduit à rejoindre des organisations de la théologie de la libération, puis des associations paysannes, enfin la guérilla. Dans El Tiempo se ha cambiado (« les temps ont changé », 2001) et Modernización capitalista, racismo y violencia en Guatemala, 1880-1930 (« Modernisation capitaliste, racisme et violence au Guatemala, 1880-1930 », 2012), M. González-Izás relève la densité des idées, les représentations et pratiques sociales qui ont soutenu la terreur d’État et la récente guerre génocidaire au Guatemala. Malgré les menaces et les intimidations des forces militaires dont elle a fait l’objet, elle affirme que la brutalité généralisée, la corruption et l’impunité qui ont régné depuis ne peuvent s’expliquer en marge d’une longue histoire de conflits sociaux non résolus, de la militarisation du pays, de la violence officielle de l’État dans l’espace local, et des nouvelles dynamiques de la globalisation.

Dans la même optique, L. Hurtado Paz y Paz analyse les problèmes actuels liés au processus de modernisation capitaliste de l’agro-industrie guatémaltèque : l’accaparement des terres des paysans et l’expansion de la monoculture, les effets sur les terres communales indiennes des programmes de « régularisation de la propriété terrienne », la superposition de nouveaux « droits » sur la terre et sur les ressources naturelles, telle la définition des « régions protégées » par souci de sauvegarde écologique. Ses travaux récents se concentrent sur la frange transversale du nord du pays et dans le département du Petén, particulièrement dans les communautés q’eqchi’. Parmi ses nombreuses publications figurent Las Plantaciones para agro-combustibles y la pérdida de tierras para la producción alimentaria (« les plantations d’agro-combustibles et la perte de terres pour la production alimentaire », 2008) et ¿ Qué tipo de empleo ofrecen las empresas palmeras en Sayaxché, Petén ? (« quels genres d’emploi offrent les entreprises de culture de l’huile de palme à Sayaxché dans le Petén ? », 2010).

Viviane BRACHET-MARQUEZ

SOCIOLOGUES [Japon XXe siècle]

La sociologie, introduite au Japon par les intellectuels européens et américains après la restauration Meiji (1868), fait ses débuts en tant que sous-domaine de la philosophie, notamment à l’université de Tokyo. Les premières recherches sociologiques japonaises reflètent la forte influence de l’ethnologie dans le développement des deux champs d’intérêt : la sociologie rurale et celle de la famille. Malgré ce début dynamique, cette branche au Japon reste essentiellement « masculine », jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sous l’administration américaine (1945-1952), le Japon connaît de nombreuses réformes politiques qui permettent aux femmes de devenir plus visibles socialement. En 1945, après avoir obtenu le droit de vote et les droits civiques, les femmes japonaises sont admises dans les universités du pays. Les premières sociologues japonaises font alors leur apparition, mais elles rencontrent des difficultés à intégrer les grandes universités du pays. Il faut attendre les années 1970 pour voir naître la sociologie des femmes, qui leur offre enfin l’opportunité de se faire connaître. Le premier cours de sociologie des femmes est dispensé en 1974, à l’université Sophia (Tokyo). Bien avant cette date, cette université avait déjà accordé une place à des professeures dont la célèbre sociologue Tsurumi Kazuko (1918-2006). Par ses études consacrées aux grands scientifiques japonais qui ont ausculté le folklore du pays, elle a fait reconnaître et redécouvrir la richesse culturelle du Japon. Par ailleurs, elle a contribué à fonder le magazine Shisō no kagaku (« science des idées ») peu après la Seconde Guerre mondiale. À partir des années 1980, la Japan Sociological Society (JSS), qui réunit tous les sociologues, commence à organiser pendant sa réunion annuelle des sessions sur l’étude de genre et des femmes. Le nombre de publications de femmes sociologues dans les revues professionnelles augmente également.

La plupart des femmes sociologues ne sont connues que dans le monde académique : Fuse Akiko (1937), de l’université Sapporo Gakuin, consacre ses recherches à la famille, aux femmes et aux personnes âgées ; Amano Masako (1938), professeure émérite à l’université d’Ochanomizu et auteure de nombreuses publications sur l’étude de genre et les « nouveaux mouvements sociaux », enseigne maintenant à l’université Tokyo Jogakkan. Seules deux sociologues japonaises ont atteint une popularité qui dépasse la sphère universitaire : Ueno Chizuko (1948) peut être considérée comme la plus célèbre sociologue féministe du Japon. Connue comme étudiante militante puis pour ses publications provocatrices, elle commence à enseigner dans des institutions peu connues, entre en 1993 à l’université de Tokyo comme professeure associée de sociologie, puis comme professeure en 1997 ; ses recherches se concentrent sur l’aide à domicile, l’étude de genre, le féminisme et la citoyenneté. Autre féministe célèbre, Ochiai Emiko (1958) est devenue la première professeure de sociologie à l’université de Kyoto ; ses travaux portent sur la famille moderne, le genre et la population.

Asuncion FRESNOZA-FLOT