HÖCH, Hannah [GOTHA 1889 - BERLIN 1978]
Plasticienne allemande.
Aînée de cinq enfants, Hannah Höch est issue d’un milieu provincial. En 1904, ses parents l’obligent à abandonner le lycée pour s’occuper de sa petite sœur, retardant ainsi les études d’art qu’elle voulait entreprendre. Elle s’exerce alors à l’aquarelle et au dessin, en prenant pour modèles les paysages avoisinants ou les membres de sa famille. En 1912, elle entre enfin à l’école d’arts appliqués de Charlottenburg à Berlin. Sous la direction d’Harold Bengen, elle apprend le dessin sur verre et étudie la calligraphie avec Ludwig Sütterlin ; mais quand la guerre est déclarée, l’école ferme, et la jeune étudiante part travailler pour la Croix-Rouge à Gotha. De retour à Berlin l’année suivante, elle suit les cours de graphisme de l’artiste Emil Orlik et rencontre Raoul Hausmann, marié, avec qui elle entretiendra une liaison jusqu’en 1922. De 1916 à 1926, elle dessine des motifs de crochet et de tricot pour les magazines du groupe de presse Ullstein – une manne pour alimenter ses photomontages. Elle utilise des papiers fragiles, que l’on retrouve dans ses collages à partir de 1920. En villégiature sur la mer Baltique en 1918, l’artiste et R. Hausmann découvrent une pratique populaire consistant à coller l’image de son propre visage sur des photographies de soldats prussiens – source d’inspiration de leurs premiers collages dadaïstes. H. Höch se lie d’amitié avec Hans Arp et Kurt Schwitters, participe aux réunions du groupe November, et, sporadiquement, à leurs expositions annuelles. Dès 1919, elle est aussi active dans les événements dadaïstes organisés à Berlin. En 1920, la revue Schall und Rauch présente en couverture les silhouettes de deux de ses poupées. Malgré le refus de George Grosz et John Heartfield d’admettre la présence d’une artiste femme, elle expose deux œuvres importantes à la première Foire internationale dada : Dada-Runschau (1919) et Schnitt mit dem Küchenmesser Dada durch die letzte Weimarer Bierbauchkulturepoche Deutschlands (1919-1920). Outre les principales figures politiques et culturelles de la république de Weimar, on y trouve déjà les thématiques de l’identité et du rôle social de la femme, qu’elle développera au cours des années suivantes. La plasticienne assiste aux lundis d’Arthur Segal ; elle y retrouve Ernst Simmel, Erich Buchholz, Alfred Döblin. En compagnie de l’une de ses sœurs et de la poétesse suisse Regina Ullmann (1894-1961), elle entreprend un voyage en partie à pied, à destination de Rome. De cette expérience naît Roma (1925), une toile où l’actrice Asta Nielsen (1881-1972) congédie d’un geste Mussolini. Entre 1920 et 1930, elle essaie d’exploiter des matériaux et des techniques diversifiés, et réalise une série d’œuvres importantes : un ensemble de collages ethnographiques et un nombre considérable de paysages symboliques. Son travail de photomontage parodie la vie bourgeoise et explore les nouvelles images de la féminité, largement répandues dans la culture médiatique de l’entre-deux-guerres ; il lui permet aussi de déconstruire les notions de race et d’identité sexuelle, en fabriquant des visages hybrides. Elle emploie des objets quotidiens d’usage féminin – rubans, boutons, morceaux d’étoffe, passementerie –, les déformant jusqu’à ce qu’ils deviennent grotesques et menaçants. Elle transfère le principe du montage dans le champ de la peinture, en reprenant certaines de ses toiles précédentes et en y ajoutant d’autres éléments. En 1926, elle rencontre l’écrivaine hollandaise Til Brugman (1888-1958), sa compagne jusqu’en 1935. Elle entre en contact avec le groupe De Stilj, fait la connaissance de Mondrian et de Theo et Nelly van Doesburg (1899-1975), puis adhère à l’Onafhankijke. Elle vit les années de guerre dans la solitude, près de Berlin, cachant dans son jardin des caisses métalliques qui contiennent des œuvres de R. Hausmann, H. Arp, K. Schwitters et les siennes propres, ainsi que des catalogues, des lettres, des revues et documents de la période dada. En 1947, elle reprend lentement son travail d’artiste avec des huiles et des collages, dans lesquels, pour la première fois, apparaissent des photos en couleurs. En 1976, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris et la Galerie nationale d’art de Berlin lui consacrent une grande rétrospective. La plasticienne s’éteint deux ans plus tard.
Catherine GONNARD
■ Collages, peintures, aquarelles, gouaches, dessins (catalogue d’exposition), Berlin, Gebr. Mann, 1976 ; Hannah Höch, Gotha 1889-Berlin 1978 (catalogue d’exposition), Pawlow K.(dir.), Gotha, Museen der Stadt Gotha, 1993 ; The Photomontages of Hannah Höch (catalogue d’exposition), Boswell P., Makela M., Makholm K. et al. (textes), Minneapolis, Walker Art Center, 1997.
■ MUZZARELLI F., Femmes photographes, émancipation et performance, 1850-1940, Paris, Hazan, 2009.
HOCHSCHILD, Arlie Russel [BOSTON 1940]
Sociologue américaine.
Spécialiste de l’analyse des rapports entre vie professionnelle et vie familiale, Arlie Russel Hochschild a passé toute sa carrière à l’université de Californie à Berkeley (États-Unis), où elle obtient un doctorat de sociologie en 1969. Lectrice de Charles Wright Mills et ancienne élève d’Erving Goffman, elle s’inspire de leurs travaux lorsqu’elle élabore, dans The Managed Heart (« la gestion du cœur », 1983), la notion de travail émotionnel (emotional labor) : nos émotions ne sont pas toujours spontanées, elles peuvent s’exprimer de manière socialement réglée et être manipulées. La sociologue s’intéresse par la suite à la double journée de travail des femmes qui exercent une activité professionnelle et assument l’essentiel de la responsabilité du travail domestique et des soins aux enfants (The Second Shift, « la seconde équipe », 1989), et aux interpénétrations entre vie professionnelle et vie familiale dans les couples où la femme et l’homme occupent des emplois très qualifiés (The Time Bind : When Work Becomes Home and Home Becomes Work, « le temps contraint, quand le travail devient la maison et la maison devient travail », 1997). Dans Global Women (« la femme globalisée » 2002), elle étudie avec Barbara Ehrenreich (1941) les activités de service domestique rémunérées dans le contexte des rapports Nord-Sud. Moyennant salaire, des femmes des Philippines ou du Sri Lanka quittent leur propre famille pour aller s’occuper d’enfants et de personnes âgées dans les pays riches, apprennent à endurer la souffrance de la séparation et à éprouver un attachement sincère pour les personnes dépendantes dont elles prennent soin. L’amour, les émotions, les sentiments filiaux ou maternels sont ainsi assimilables à des ressources minières telles que l’or ou le pétrole, que les pays riches puisent dans les pays pauvres à l’ère de la globalisation. A. Hochschild a reçu plusieurs prix de l’Association américaine de sociologie et l’Award for Public Understanding of Sociology pour l’ensemble de son parcours et de ses engagements.
Alain CHENU
■ Avec EHRENREICH B., Global Women : Nannies, Maids and Sex Workers in the New Economy, New York, Metropolitan Books, 2003 ; The Commercialization of Intimate Life : Notes from Home and Work, Berkeley, University of California Press, 2003.
HODGKIN, Dorothy CROWFOOT [LE CAIRE 1910 - SHIPSTON-ON-STOUR 1994]
Chimiste britannique.
Prix Nobel de chimie 1964.
Dorothy Mary Crowfoot Hodgkin a obtenu le prix Nobel de chimie en 1964 pour la détermination par cristallographie aux rayons X de molécules biologiques. Née en Égypte d’un père archéologue et d’une mère experte en techniques de tissages ancestrales, elle part pour l’Angleterre, chez sa grand-mère à Worthing, pendant la Première Guerre mondiale. Durant celle-ci, quatre de ses oncles maternels trouvent la mort, ce qui va lui insuffler un dégoût profond pour les conflits armés. C’est à la Secondary School, près de Beccles, qu’elle croise la route de la chimie pour la première fois et est fascinée par les cristaux qu’elle obtient en classe. En 1921, elle entre à l’école de Sir John Leman. Sa passion pour la chimie l’amène à Somerville College, l’université d’Oxford réservée aux filles. À Cambridge ensuite, elle est placée sous la tutelle de John Desmond Bernal, spécialiste de la diffractométrie par rayons X. Ce dernier a une influence importante sur elle, tant dans les domaines scientifique, politique que privé. En 1934, elle obtient un poste à Somerville College, poste qu’elle garde jusqu’en 1977. En 1937, elle épouse Thomas Hodgkin. Son domaine de recherche, celui pour lequel elle obtient le prix Nobel de chimie en 1964, est la cristallographie des protéines par rayons X. Elle commence par chercher à déterminer la structure en trois dimensions de l’insuline, mais se heurte à la grande complexité de cette molécule. Elle perfectionne donc, au fil des années, la diffractométrie, détermine la structure de la pénicilline, de la vitamine B12, du cholestérol, entre autres. En 1969, après trente-cinq ans de recherche, elle parvient enfin à résoudre la structure de l’insuline. Outre le prix Nobel de chimie, Dorothy Hodgkin est la deuxième femme à se voir décerner, en 1965, l’Ordre du Mérite britannique. Elle est chancelière de l’université de Bristol de 1970 à 1988. Marquée par l’expérience des deux guerres mondiales, elle voit la prolifération d’armes nucléaires d’un mauvais œil ; elle s’engage dans le mouvement Pugwash, du nom de la ville où est organisée la première réunion de scientifiques, au Canada, et en devient présidente de 1976 à 1988. L’organisation reçoit le prix Nobel de la paix en 1995.
Yvette SULTAN
■ « The X-ray analysis of complicated molecules », in Science, vol. 150, no 3699, nov. 1965 (discours de réception du prix Nobel de chimie) ; avec ADAMS M. J., BLUNDELL T. L. et al., « Structure of rhombohedral 2-zinc insulin crystals », in Nature, vol. 224, nov. 1969.
HODGKINS, Frances [DUNEDIN 1869 - DORCHESTER, DORSET 1947]
Peintre néo-zélandaise.
Avec sa sœur aînée Isabel, Frances Hodgkins apprend de son père, avocat émigré en Nouvelle-Zélande et aquarelliste amateur renommé, la technique de l’aquarelle, qu’il pratique comme paysagiste dans la lignée de William Turner. Alors qu’Isabel, qui connaît d’abord plus de succès que sa cadette, s’inscrit dans la lignée de son père, sa sœur préfère se consacrer à l’étude de la figure humaine. Elle est aidée en cela par les cours de l’aquarelliste italien Girolamo Pieri Nerli, récemment émigré, dont l’influence est visible dans des œuvres comme Girl With the Flaxen Hair (« jeune fille aux cheveux de lin », Museum of New Zealand Te Papa, Wellington, 1893). En 1895-1896, elle fréquente également la Dunedin School of Art. Son art juxtapose alors des scènes de la vie rurale qui l’entoure et qu’elle traite avec un réalisme un peu mièvre (Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki : Washing Day [« jour de lessive »], vers 1895 ; At the Pump [« à la pompe »], 1901). Ayant épuisé les possibilités de formation dans la colonie britannique, la jeune peintre parvient à réunir assez d’argent pour un voyage en Europe, où elle suivra notamment les classes de croquis de Norman Garstin en Normandie pendant les étés 1901 et 1902. À son retour en Nouvelle-Zélande en 1903, elle ouvre un atelier à Wellington. Son œuvre est alors clairement influencée par les mouvements européens, particulièrement l’impressionnisme. À Paris, en 1908, elle devient la première femme professeure à l’académie Colarossi. Elle y enseigne l’aquarelle avant d’ouvrir sa propre école. Lorsqu’elle revient dans l’hémisphère Sud, en 1912-1913, l’Australie lui réserve un accueil triomphal, la considérant alors à la pointe de la modernité. Pendant la Première Guerre mondiale, son installation à St Ives, en Cornouailles, où elle rencontre de nombreux jeunes artistes comme Cedric Morris ou Arthur Lett-Haines, marque un tournant majeur ; de l’aquarelle, elle passe à de grandes peintures à l’huile, et le post-impressionnisme joue désormais un rôle essentiel dans son travail : dans Loveday and Ann : Two Women With a Basket of Flowers (« Loveday et Ann : deux femmes avec un panier de fleurs », Tate Modern, Londres, 1915) ou dans The Edwardians (Auckland Art Gallery, vers 1918), les effets décoratifs et les textures d’un intérieur intimiste se ressentent de l’influence de Pierre Bonnard ou d’Édouard Vuillard. Malgré plusieurs expositions, elle ne parvient que difficilement à vendre et doit travailler comme graphiste pour la Calico Printers’Association de Manchester. Le succès surviendra avant 1930, en même temps qu’une dernière évolution stylistique. En 1929, elle devient membre de la Seven and Five Society, groupe moderniste mené par Ben Nicholson et dont font partie également la sculptrice Barbara Hepworth* ou Roger Moore, de vingt ans plus jeunes qu’elle. Après une première exposition personnelle à la Claridge Gallery de Londres en 1928, elle connaît la consécration avec une exposition à la St Georges Gallery en 1930 et signe, durant la même année, un contrat avec le marchand londonien Arthur R. Howell. À plus de 60 ans, l’artiste néo-zélandaise devient alors l’une des figures emblématiques du modernisme britannique. Elle propose alors un art très coloré, avec une approche de plus en plus libre de la forme et de la ligne. Elle se distingue surtout par ses recherches sur le thème de la nature morte-paysage, explorant toutes les possibilités nées de la confrontation de ces deux genres, comme dans Wings Over Water (« des ailes au-dessus de l’eau », Tate Modern, Londres, 1930), où trois coquillages sont posés devant une fenêtre ouverte sur un paysage côtier. C’est également sous forme de nature morte qu’elle choisit de se représenter dans Selfportrait : Still Life (« autoportrait : nature morte », Auckland Art Gallery, vers 1935), dans lequel différents objets symbolisent sa présence. Les années 1940 voient l’artiste se tourner peu à peu vers l’abstraction. Mais la guerre l’épuise physiquement et psychologiquement, et elle sera finalement admise dans un hôpital psychiatrique, où elle finira ses jours.
Marie GISPERT
■ Letters of Frances Hodgkins, Gill L. (dir.), Auckland, Auckland University Press, 1993 ; Frances Hodgkins : Paintings and Drawings (1994) (catalogue), Buchanan I., Eastmond E., Dunn M. (dir.), Auckland, Auckland University Press, 2001.
■ DRAYTON J., Frances Hodgkins : A Private Viewing, Auckland, Godwit, 2005 ; MCCORMICK E. H. (dir.), Portrait of Frances Hodgkins, Auckland/Oxford, Auckland University Press/Oxford University Press, 1981.
HODKINSON, Juliana [EXETER 1971]
Compositrice britannique.
Maintenant établie à Copenhague, Juliana Hodkinson arrive jeune au Danemark et travaille avec Per Nørgård et Hans Abrahamsen, qui la guident avec compétence dans ses études de composition. Elle se sent d’abord attirée par la musique de chambre et compose des pièces qui impliquent souvent deux ou plusieurs solistes aux timbres divers. Très intéressée par le théâtre musical, les installations vidéo et sensibilisée à la matière sonore, elle produit des pièces souvent marquées par des références à des bruits ou des objets. Parmi ses dernières œuvres figurent I Greet You a Thousand Times (2005) pour grand orchestre et, récemment, Why Linger You Trembling in Your Shell ? pour violon et percussion.
Pierrette GERMAIN
HODROVÁ, Daniela [PRAGUE 1946]
Romancière et traductrice tchèque.
Spécialiste de la théorie littéraire, et tout particulièrement du genre romanesque, Daniela Hodrová publie sur ce sujet (Hledání románu, « à la recherche du roman », 1989). Ce n’est qu’après la révolution de velours de 1989 qu’elle peut être éditée et connue en tant que romancière, bien que ses premiers récits remontent aux années 1970. Podobojí (« sous les deux espèces ») paraît en 1991 en France, sous le titre Le Royaume d’Olšany. De même, Město vidím (1992), qui s’apparente à une promenade littéraire pragoise, est d’abord édité en France en 1991 sous le titre Prague. Son œuvre romanesque se caractérise par un traitement particulier de la temporalité. Dans la trilogie Trýznivé město (« cité dolente », 1991-1992), elle dépasse l’expérience immédiate de la réalité en développant des récits chronologiquement distants qui se recoupent grâce à des motifs récurrents. Cela confère à l’ensemble des trois romans une dimension philosophique qui questionne la place de l’individu dans le temps. La métaphore et le symbole jouent un rôle prépondérant dans l’esthétique de l’écrivaine, qui donne à voir le monde comme une énigme. Tout est signe, les êtres imaginaires au même titre que les figures historiques ou les contemporains. L’interpénétration du passé, du présent, du réel, du rêve ou du souvenir personnel, la coexistence de personnages historiques et imaginaires, le refus d’une intrigue traditionnelle et d’une voix narrative clairement identifiable caractérisent sa poétique en même temps qu’ils confèrent à ses récits une dimension critique à l’égard du genre romanesque. Ses œuvres ultérieures confirment l’importance de la temporalité en tant que problématique littéraire et existentielle, avec une composante autobiographique dans Komedie (« comédie », 2003). Son récent ouvrage Citlivé město – eseje z mytopoetiky (« ville sensible – essai de mythopoétique », 2006) est une présentation très érudite de la ville de Prague du point de vue de la littérature et de ses habitants.
Stéphane GAILLY
■ Le Royaume d’Olšany (Podobojí, 1991), Paris, R. Laffont, 1992 ; Prague (Město vidím, 1992), Paris, Éditions du chêne, 1991.
■ JANOUŠEK P. (dir.), Dějiny české literatury, 1945-1989, tome 3, Prague, Academia, 2008 ; MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.
HÖFER, Candida [EBERSWALDE 1944]
Photographe allemande.
Candida Höfer est l’une des photographes conceptuelles les plus importantes de la seconde moitié du XXe siècle. Fille du journaliste Werner Höfer, elle intègre la Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf, suit aussi des cours de cinéma sous la férule d’Ole John, puis devient l’élève de Bernd et Hilla Becher* jusqu’en 1982. Ce duo d’artistes, qui renouvelle profondément le genre photographique dans les années 1970 en prônant l’objectivité et la distanciation, influencera durablement le groupe de l’École de Düsseldorf (Andreas Gursky, Beat Streuli, Thomas Struth, Thomas Ruff), à laquelle W. Höfer appartient. Entre 1973 et 1979, elle réalise un diaporama intitulé Turken in Deutschland, où elle documente avec compassion le mode de vie des nouveaux travailleurs immigrés. Suivant la pratique conceptuelle des Becher, elle abandonne par la suite toute narration et détourne son objectif de l’individu pour élaborer un catalogage des lieux publics, à commencer par des intérieurs urbains, et essentiellement des bureaux. Nombreux critiques soulignent, à ce titre, la portée sociologique de son œuvre, qui met alors en scène un mobilier d’entreprise – des chaises et des tables rigoureusement alignées dans un décor aseptisé. Parallèlement, la photographe dresse l’inventaire des institutions patrimoniales, qu’elles soient culturelles ou cultuelles. Elle édite ainsi plusieurs monographies qui recensent diversement les bibliothèques et les archives historiques, les églises baroques du Brésil, les salles prestigieuses du musée du Louvre, les scènes de théâtres et d’opéras à travers le monde. Son style photographique se caractérise par un traitement frontal d’un espace architectural inhabité. À la manière d’un peintre du Quattrocento, elle place le point de fuite précisément au centre de son image. L’impression de profondeur, saisissante, est souvent doublée d’un effet de miroir, de dédoublement du plafond au sol, comme dans Trinity College Library Dublin I (2004). Chaque prise de vue est faite à la chambre argentique, en couleur, sans adjonction de lumière artificielle. Dans ce long et rigoureux travail d’archivage, chaque photographie ne peut s’appréhender réellement que dans son appartenance à un corpus beaucoup plus vaste. C’est une œuvre universelle que nous livre l’artiste, à la fois contemplative et atemporelle, mais qui porte en germe un risque de perte, de disparition. C. Höfer participe à la Documenta 11 de Kassel en Allemagne en 2002. L’année suivante, elle représente l’Allemagne à la Biennale de Venise, au côté de Martin Kippenberger. Sa première exposition personnelle se tient en 1975, à la galerie Konrad Fischer à Düsseldorf. Depuis, plusieurs musées lui ont consacré des expositions monographiques.
Pauline GUÉLAUD
■ Douze-Twelve (catalogue d’exposition), Calais, Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle, 2001 ; Monographie, Krüger M. (textes), Munich, Shirmer/Mosel, 2003 ; Architecture of Absence (catalogue d’exposition), Glenn C. W. (textes), New York, Aperture Foundation, 2004 ; Libraries, Eco U. (textes), Munich, Shirmer/Mosel, 2005.
HOFFLEIT, Dorrit [ALABAMA 1907 - NEW HAVEN 2007]
Astronome américaine.
Issue d’une famille d’origine allemande, Dorrit Hoffleit grandit en Pennsylvanie, avant de déménager à Cambridge (Massachusetts) lorsque son frère aîné est accepté à l’université Harvard. Bien que moins soutenue par ses parents dans ses études que ce dernier, D. Hoffleit, têtue et travailleuse, entreprend des études de mathématiques. Assistante de recherche à l’observatoire d’Harvard à partir de 1929, elle obtient son doctorat au Radcliffe College en 1938, Harvard ne délivrant pas encore de diplômes aux femmes, poursuit son travail à l’observatoire, avec une brève interruption due à la Seconde Guerre mondiale durant laquelle elle est chargée par le gouvernement de calculer des trajectoires de missiles, et décroche le titre d’astronome en 1948. En dépit d’un salaire inférieur à celui de ses collègues masculins, D. Hoffleit reste à Harvard jusqu’en 1956, puis continue sa carrière à l’université Yale jusqu’en 1975. Elle est l’auteure du Yale Catalogue of Bright Stars (« catalogue d’étoiles brillantes ») où sont compilées des informations sur les 9 110 étoiles les plus brillantes du ciel. Elle est également co-auteure du General Catalogue of Trigonometric Stellar Parallaxes (« catalogue général des parallaxes trigonométriques stellaires »), recensant les mesures précises des distances de 8 112 étoiles, et permettant la compréhension des propriétés cinématiques de la Voie lactée et de l’évolution du voisinage solaire. L’astronome dirige pendant quelque temps l’observatoire Maria-Mitchell sur l’île de Nantucket, où, par ailleurs, elle fait de la recherche et dispense des cours d’été à de jeunes étudiantes en astronomie entre 1957 et 1978. De nombreux témoignages soulignent son enthousiasme sans limite pour son travail, auquel elle consacre toute sa vie, encourageant de nombreuses femmes à emprunter la voie de l’astronomie. En 1988, D. Hoffleit reçoit le prix George-Van-Biesbroeck de la Société astronomique américaine pour l’ensemble de sa carrière vouée à l’astronomie, et cinq ans plus tard, le prix Annenberg pour ses activités d’enseignement. À sa mort, survenue peu après l’anniversaire de son centenaire, elle était considérée comme la plus âgée des femmes astronomes en activité.
Florence DURRET
■ Misfortunes as Blessings in Disguise : The Story of My Life, Cambridge USA, American Association of Variable Star Observers, 2002.
■ PAPACOSTA P., « Dorrit Hoffleit : From leaf-clovers to variable stars », in American Astronomical Society, janv. 2006.
HOFFMAN, Malvina [NEW YORK 1885 ou 1887 - ID. 1966]
Sculptrice américaine.
Aujourd’hui oubliée, sans doute parce que son œuvre la plus importante – une série de sculptures représentant les races humaines – est profondément dérangeante, Malvina Hoffman, fille d’un musicien et épouse du violoniste Samuel B. Grimson, s’est formée à la Women’s School of Design, à l’Art Students League et auprès de Rodin (1910-1911). De l’enseignement du sculpteur, elle conserve la force vitaliste des effigies et l’émergence de la figure polie d’un bloc de marbre laissé brut (Tête de John Keats, achevée en 1823). Elle manifeste un intérêt précoce pour le portrait qu’elle se soucie de rendre ressemblant dans le détail et l’harmonie propres aux différents modèles. Le Paris des Ballets russes lui fournit un premier sujet de prédilection : ainsi, les 24 panneaux de la Bacchanale Frieze (1915-1924) déclinent les différents instants du mouvement décomposé, jouent sur les diagonales et les torsions des corps qui se dénouent, le mouvement des silhouettes étant prolongé par celui des étoffes. La sculptrice étudie aussi l’anatomie, apprend à constituer des armatures, à fondre et à retravailler le bronze. Le sculpteur croate Ivan Mestrovic lui enseigne la sculpture équestre, à Zagreb, en 1927. Durant l’année suivante, le Field Museum of National History de Chicago lui confie une considérable commande : le Hall of Man, inauguré en 1933, et constitué de 104 figures de bronze qui doivent donner à voir les différentes races de l’humanité en grandeur réelle. L’artiste termine par la physionomie qui lui semble la plus problématique : celle que les idéologues nazis affirment alors être la seule parfaite, la physionomie aryenne. Ce travail, qu’elle veut anthropologique, sera dès lors contesté dans les cercles scientifiques et regardé dans les années 60 comme profondément raciste. Après la Seconde Guerre mondiale, elle reçoit la commande de sculptures pour le cimetière américain d’Épinal.
Anne LEPOITTEVIN
■ Heads and Tales (1936), Garden City, Garden City Pub., 1943 ; Yesterday Is Tomorrow : A Personal History, New York, Crown, 1965 ; The Woman Sculptor : Malvina Hoffman and Her Contemporaries (catalogue d’exposition), New York, Berry-Hill Galleries, 1984.
■ TUFTS E. (dir.), American Women Artists, 1830-1930 (catalogue d’exposition), Washington, National Museum of Women in the Arts, 1987.
■ HIBBS DECOTEAU P., « Malvina Hoffman and the “Races of Man” », in Woman’s Art Journal, no 21, 1989-1990.
HOFFMANN, Maja [1956]
Mécène suisse.
Appartenant à une famille où s’illustrent plusieurs femmes mécènes, Maja Hoffmann apporte son soutien à de nombreuses institutions d’art contemporain, dans différents pays : les Kunsthalle de Bâle et de Zurich, le Fotomuseum de Winterthur (Suisse), le Kunst-Werke de Berlin, le Palais de Tokyo à Paris, la Biennale de Venise, le New Museum of Contemporary Art de New York, la Serpentine Gallery et la Tate à Londres. Ses parents, Luc Hoffmann, héritier du groupe pharmaceutique suisse Hoffmann-La Roche, et Daria Razumovsky, comtesse russe exilée, élèvent leurs quatre enfants en France, en Camargue, près d’un centre d’étude des oiseaux migrateurs et des zones humides créé par le père, docteur en zoologie et cofondateur du World Wildlife Fund. Sa grand-mère paternelle, Maja Hoffmann-Stehlin, créatrice de la première fondation familiale, l’initie à l’art moderne et lui transmet la charge de veiller sur la fondation et sur ses collections. En 2004, M. Hoffmann crée la Fondation Luma (d’après les prénoms de ses enfants, Lucas et Marina), dont l’orientation essentielle est d’aider les artistes et leurs projets. Attachée à Arles, où elle est allée à l’école, et où elle a soutenu les Rencontres photographiques, elle engage et pilote la réalisation d’un important centre culturel, le parc des Ateliers, autour d’une tour conçue par l’architecte Frank Gehry. Ce sera un lieu d’exposition, de résidences d’artistes, d’archives, et un jardin public, qui doit ouvrir en 2017.
La sœur de Maja Hoffmann, Vera Michalski*, éditrice, exerce son mécénat au bénéfice des écrivains ; sa cousine, Maja Oeri, en soutenant les musées de Bâle et en créant un nouveau lieu d’exposition près de cette ville, le Schaulager.
Catherine GUYOT
HOFFMANOWA, Klementyna (née TAŃSKA) [VARSOVIE 1798 - PARIS 1845]
Écrivaine polonaise.
Originaire de la petite noblesse, Klementyna Hoffmanowa se forme en autodidacte et se consacre à une carrière pédagogique, au cours de laquelle elle occupe des postes importants, notamment celui d’inspectrice des écoles de jeunes filles. Après l’échec de l’insurrection de 1830, elle rejoint l’émigration polonaise à Paris. Elle débute en littérature, en 1819, par un traité : Pamiątka po dobrej matce (« en souvenir d’une bonne mère »). Ses nombreux récits, notamment Rozrywki dla dzieci (« amusements pour enfants et adolescents »), ont joué un grand rôle dans l’éducation patriotique des jeunes Polonais de l’époque.
Maria DELAPERRIÈRE
■ BORKOWSKA G., « Strategia pszczoły. Żmichowska wobec Hoffmanowej », in Teksty Drugie, nos 4-5-6, 1993.
HOFMANN, Margrit [M. À MÄNNEDORF 2002]
Paysagiste suisse.
La vie est l’œuvre de Margrit Hofmann, pionnière dans le domaine du paysagisme en Suisse, sont caractérisées par de nombreuses zones d’ombre. Comme toutes les femmes paysagistes de sa génération qui ont cherché une formation supérieure dans ce domaine, elle a d’abord fait un apprentissage de jardinière et a exercé quelques années son métier, avant de s’inscrire à la Haute École d’horticulture de Kösteritz, en Thuringe, où elle s’est initiée aux méthodes de dessin, du relevé de terrain et de la composition du projet. En 1939, dans la région zurichoise, à Männedorf, elle a ouvert un bureau avec la paysagiste Lisa Bächle, sa camarade d’études. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’est engagée dans le service agricole et a donné avec succès des cours de jardinage maraîcher. M. Hofmann a réalisé un grand nombre de jardins privés et aménagé beaucoup d’espaces publics, tous réaménagés aujourd’hui, comme le jardin de l’école de Männedorf ou le cimetière d’Uetikon, dans le canton de Zurich. En 1958, dans le cadre de l’exposition nationale Saffa 58 sur le travail des femmes en Suisse, elle a aménagé le parc de la villa Schneeligut. Malheureusement, aucun fonds d’archives n’existe qui documenterait son travail. Les renseignements fragmentaires que nous possédons proviennent pour l’essentiel de quatre textes qu’elle a publiés dans la revue populaire Dasideale Heim (« le foyer idéal »), entre 1941 et 1958, consacrés aux plantes aquatiques et au rôle de l’eau dans la composition du jardin privé, ainsi qu’à quelques-unes de ses réalisations. Un court portrait lui a été consacré dans cette revue.
Katia FREY
■ « Die Gartengestalterin Margrit Hofmann », in Dasideale Heim, no 7, 1958.
HOLIDAY, Billie (Eleanora FAGAN, dite) [BALTIMORE 1915 - NEW YORK 1959]
Chanteuse de jazz américaine.
L’enfance de Billie Holiday est un long calvaire : à 10 ans, elle est violée par son voisin. Pour aider sa mère domestique, elle lave, repasse, et se prostitue même. Arrêtée, elle passe quatre mois en prison. Le jazz est là pour l’enchanter : elle admire Louis Armstrong, dont elle achète tous les disques, et Bessie Smith*. « Bien sûr, se rappellera-t-elle, ma mère trouvait ce genre de musique scandaleux, et j’avais droit à ma trempe chaque fois qu’elle me surprenait en train de l’écouter. » Après sa mauvaise expérience en prison, elle se présente aux portes des clubs de Harlem, espérant devenir chanteuse. Le Log Club Cabin lui donne sa chance, en la payant au pourboire. C’est dans ce lieu que le producteur John Hammond la repère alors qu’elle interprète des chansons populaires. « Je décidai cette nuit qu’elle était la meilleure chanteuse de jazz que j’avais jamais entendue », écrira-t-il dans ses mémoires. B. Holiday rejoint l’orchestre de Teddy Wilson. Elle accompagne le légendaire saxophoniste Lester Young, intègre l’orchestre de Count Basie puis celui d’Artie Shaw. Elle vit mal cette période. Chanteuse noire au milieu d’un big band blanc, elle est obligée de passer par la porte de service et ne peut réserver des chambres d’hôtel. Les barmen refusent de la servir. Elle met un terme à la tournée et rentre chez elle. Mais un cadeau va bâtir sa légende : un enseignant juif communiste, Abel Meeropol, connu sous le nom de « Lewis Allan », lui confie la chanson Strange Fruit, qui aborde d’une manière métaphorique le lynchage, les « fruits pendus » désignant les corps des Noirs exécutés. Elle commence à la chanter dans le très progressiste Café Society, à New York, et veut l’enregistrer. Columbia hésite, craignant de s’aliéner les États du Sud. Malgré tout, le 20 avril 1939, B. Holiday entre en studio et obtient une célébrité immédiate, grâce à une œuvre qui, selon Angela Davis*, replace « la protestation et la résistance au centre de la culture musicale noire contemporaine ». Les années 1940 seront fertiles. Elle grave de nombreux chefs-d’œuvre, comme Night and Day, mais aussi des compositions personnelles, Fine and Mellow (1939), God Bless the Child (1941), Don’t Explain (1945) et un standard, My Man (1948). Miles Davis se souvient dans son autobiographie : « Quand j’allais la voir, je lui demandais toujours de me chanter I Loves You, Porgy, parce que quand elle arrivait à “qu’il ne me touche pas avec ses mains chaudes”, on pouvait presque sentir ce qu’elle éprouvait. Sa façon de chanter, c’était beau et triste. Tout le monde l’aimait. » Ses accompagnateurs ne tarissent pas d’éloges sur elle. Le pianiste Bobby Tucker dit qu’elle « reste en mesure aussi parfaitement qu’un métronome. » Elle-même a révélé un peu de sa création : « Je ne pense pas que je chante. J’ai plutôt l’impression de jouer d’un instrument. J’essaie d’improviser comme Les Young, comme Armstrong, ou comme ceux que j’admire. Ce qui vient, c’est ce que je sens. J’ai horreur de chanter sans improviser. » Elle se produit dans les plus grandes salles, l’Apollo, le Carnegie Hall. Malheureusement, l’alcool provoque des ravages. Sa voix commence à vaciller. En 1956, elle publie son autobiographie, Lady Sings the Blues. Sa notoriété repart de plus belle et, en 1957, elle joue au festival de Newport, malgré une santé déclinante. La mort de son vieux complice Lester Young en mars 1959 l’anéantit. Épuisée par l’alcool, les combats, les déceptions amoureuses, Lady Day finit par s’éteindre elle-même quelques mois plus tard, à 44 ans. Sa vie a fait l’objet de plusieurs biographies.
Stéphane KOECHLIN
■ Lady in Satin, Columbia, 1958 ; Best of 1935-1948, Body & Soul, 2003 ; Lady Day & Pres, 1937-1941, Frémeaux et associés, 2009.
■ Avec DUFTY W., « Lady Sings the Blues » : ma vie (Lady sings the Blues, 1956), Paris, Plon, 1960.
■ DAVIS A. Y., Blues Legacies and Black Feminism : Gertrude “Ma” Rainey, Bessie Smith and Billie Holiday, New York, Pantheon books, 1998 ; HAMMOND J., TOWNSEND I., John Hammond on record : an autobiography, New York, Ridge Press, 1977.
HOLLANDA, Cirlei DE [RIO DE JANEIRO 1948]
Compositrice brésilienne.
Diplômée en piano, direction et composition à l’école de musique de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, Cirlei de Hollanda occupe diverses charges de gestion et d’organisation dans le domaine musical, tout en assurant la production et aussi, souvent, la direction artistique de concerts, représentations lyriques ou événements musicaux incluant ses propres œuvres. Sa production est essentiellement tournée vers la musique vocale, qu’il s’agisse de chœurs (Topologia do medo, 1978), de cantates (Isso é aquilo/palavra, 1976 ; Projeto de carta, 1985 ; O que se diz, 1987 ; As sem razoes do amor, 1994, sur des textes de Carlos Drummond de Andrade), de spectacles scéniques ou d’opéras (Judas em sabado de alléluia, 1986 ; Palabras de libertade, 2000 ; O vestido de noiva, à partir de 2001).
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
HOLLEMAN, Marybeth S. [CLEVELAND 1958]
Essayiste et écologiste américaine.
Née dans une famille d’origine italo-américaine, Marybeth Scotchie Holleman grandit dans les Appalaches, en Caroline du Nord. Après ses études supérieures, elle découvre l’Alaska en 1985 et s’installe dans les montagnes Chugach. Enseignante dans divers campus, notamment à l’université d’Alaska (Anchorage), elle se consacre très vite à la cause environnementale. Parmi ses ouvrages figurent Alaska’s Prince William Sound : A Traveler’s Guide (« la baie du Prince-Williams en Alaska : guide de voyage », 2000) ; The Heart of the Sound : An Alaskan Paradise Found and Nearly Lost (« le cœur de la baie : un paradis trouvé et presque perdu en Alaska », 2004) ; Alaska’s Polar Bears : A Crisis Response (« les ours polaires en Alaska : réponse à une situation de crise », 2011). Des extraits de ses œuvres ont été publiés dans une dizaine d’anthologies. Ses essais, poèmes et articles sont parus dans de nombreuses revues. Cofondatrice de l’Alaska Nature Writing Institute, elle enseigne l’écriture sur la nature par des ateliers en extérieur, le long de la Copper River. Elle a reçu de nombreux prix, dont l’Alaska Women’s Bookstore Award for Feminist Studies. M. Holleman écrit également pour des organisations à but non lucratif sur les questions environnementales. Activiste engagée, elle a organisé des manifestations marquant la Journée mondiale de l’océan en 2010 et le cinquantième jour de marée noire dans le golfe du Mexique. Elle fait partie du Conseil consultatif de l’Alaska Wildlife Alliance.
Beatrix PERNELLE
■ Avec CORAY A., Crosscurrents North : Alaskans on the Environment, Fairbanks, University of Alaska Press, 2008.
■ LORD N., « The Heart of the Sound : An Alaskan Paradise Found and Nearly Lost, and The Whale and the Supercomputer : On the Northern Front of Climate Change, and Rowing to Latitude : Journeys along the Arctic’s Edge », in Fourth Genre : Explorations in Nonfiction, vol. 9, no 2, 2007.
HOLLIDAY, Judy (Judith TUVIM, dite) [NEW YORK 1921 - ID. 1965]
Actrice et chanteuse américaine.
Bien que sa carrière n’ait duré que quinze ans, Judy Holliday tient une place importante dans l’histoire de la comédie américaine. Le cinéaste qui met le mieux en valeur sa personnalité effervescente est George Cukor, avec qui elle tourne à cinq reprises. Winged Victory (1944) est un film dramatique, qui sera pourtant suivi de comédies à succès. Dans Madame porte la culotte (Adam’s Rib, 1949), elle joue aux côtés de Katharine Hepburn* et de Spencer Tracy. Après avoir triomphé à Broadway dans Born Yesterday, elle reprend le même rôle dans la version adaptée pour le cinéma par Cukor, Comment l’esprit vient aux femmes (Born Yesterday, 1950), pour lequel elle remporte l’Oscar en 1951. Je retourne chez maman (The Marrying Kind, 1952) et Une femme qui s’affiche (It Should Happen to You, 1954) sont aussi parmi ses plus grands succès. Après Une Cadillac en or massif (The Solid Gold Cadillac, Richard Quine, 1956), en 1960, J. Holliday incarne une opératrice du téléphone dans Un numéro du tonnerre (Bells Are Ringing), adaptation par Vincente Minnelli de la comédie qu’elle avait chantée à Broadway. Elle joue par la suite dans la comédie musicale Hot Spot jusqu’en 1963.
Bruno VILLIEN
HOLM, Hanya (Johanna ECKERT, dite) [WORMS, ALLEMAGNE 1893 - NEW YORK 1992]
Danseuse et chorégraphe américaine.
Formée à la méthode Dalcroze à Francfort puis à Hellerau, Johanna Eckert poursuit son apprentissage à Dresde auprès de Mary Wigman*. Elle prend le nom d’Hanya Holm, intègre la compagnie, assiste M. Wigman, puis commence à enseigner à partir des fondamentaux de Laban jusqu’en 1931, quand M. Wigman lui confie la direction de l’école qu’elle vient d’ouvrir à New York. H. Holm découvre la civilisation américaine et son travail se débarrasse progressivement du mysticisme sombre de la danse allemande. En 1936, alors que M. Wigman règle les défilés pour les Jeux Olympiques de Berlin à la demande des nazis, l’école devient la Hanya Holm School of Dance ; peu à peu, elle réalise la synthèse entre la danse d’Europe centrale et la danse américaine. Remarquable pédagogue, elle s’appuie sur les théories de Laban sur l’espace tout en permettant aux jeunes danseurs de personnaliser leurs créations. Son système personnel, appelé « Holm Lyricism », figure dans le programme du Bennington College et à Colorado Springs où elle enseigne régulièrement. En 1937, elle crée Trend, imposante fresque chorégraphique pour vingt-sept danseurs, musique de Varèse et de Riegger, qui évoque les processus de survie de l’homme face aux cataclysmes, pièce prémonitoire sur les dérives de l’Allemagne. En 1939, elle crée Tragic Exodus. Elle transmet ses concepts dans des conférences-démontrations. Après la guerre, elle se distingue à Brodway où elle signe les chorégraphies de Kiss Me Kate (1948) et de My Fair Lady (1956). À plus de 90 ans, elle enseigne encore dans la compagnie d’Alwin Nikolaïs et à la Juilliard School. Son héritage pédagogique est exploité par Murray Louis et Valerie Bettis*.
Geneviève VINCENT
HÓLM, Torfhildur [KÁLFAFELLSSTADUR 1845 - REYKJAVÍK 1918]
Écrivaine et éditrice islandaise.
Fille d’un pasteur luthérien, contrairement à d’autres jeunes femmes de sa génération, Torfhildur Hólm a le privilège d’étudier les langues et la couture à Copenhague. De retour en Islande, elle se marie mais devient veuve au bout d’un an sans avoir eu d’enfant. Comme beaucoup d’Islandais à cette époque, elle s’installe au Canada. Pendant treize ans, elle écrit, pratique la peinture, la couture et l’enseignement au bénéfice de jeunes filles. C’est alors qu’elle commence à recueillir des contes folkloriques parmi les colons de la diaspora islandaise. Certains de ces contes seront publiés plus tard sous le titre Thjódsögur og sagnir (« contes et récits », 1962). Considérée comme pionnière dans bien des domaines, T. Hólm est la première Islandaise à publier des romans et à vivre de son écriture. En 1891, deux ans après son retour en Islande, le gouvernement lui accorde une pension pour la qualité de son œuvre et parce qu’elle est la première écrivaine reconnue en Islande. Cette décision provoque de vifs débats, tant au parlement que dans la presse ; la somme est d’abord réduite, puis intégrée à sa pension de veuve. Dans une lettre écrite vers 1900, l’écrivaine note : « J’ai été la première que la nature a condamnée à récolter les fruits amers des vieux et tenaces préjugés contre les femmes de lettres. » Premier écrivain islandais à écrire des romans historiques, T. Hólm tenait à ce que ses récits soient véridiques et dépeignent fidèlement l’époque en question. Outre des romans, elle a écrit des nouvelles et publié la revue littéraire Draupnir (1891-1908), la revue pour enfants Tíbrá (1892-1893) et la revue d’histoire Dvöl (1901-1917). Ses écrits ont influencé de nombreux écrivains islandais, notamment Halldór Laxness, prix Nobel de littérature.
Ester Ösp GUNNARSDÓTTIR
■ BIRGISDÓTTIR S., Sögur íslenskra kvenna 1879-1960, Reykjavík, Mál og menning, 1993 ; KRESS H., Ótharfa unnustur og adrar greinar um íslenskar bókmenntir, Reykjavík, Bókmennta-og listfrædastofnun Háskóla Íslands, 2009 ; TOBIASSON B., Hver er madurinn : Íslendingaævir, Reykjavík, Fagurskinna, 1944.
HOLMÈS, Augusta [PARIS 1847 - ID. 1903]
Compositrice française.
Augusta Holmès bénéficie d’une adolescence hors normes. Son père, le major Holmès, d’origine irlandaise, érudit, amateur d’art, s’installe à Versailles. Son épouse, Tryphina Shearer, Anglaise, conserve alors un pied à terre à Paris dans l’immeuble où demeure Alfred de Vigny. Elle y tient un salon littéraire et, lorsqu’y naît Augusta, on murmure que le poète pourrait être son véritable père. Il sera son parrain, s’occupera beaucoup d’elle et lui écrira de fort jolies lettres. Tryphina meurt lorsque Augusta a 11 ans. Le major garde alors sa fille auprès de lui et recherche pour elle les meilleurs professeurs. À 14 ans, elle parle quatre langues, joue remarquablement du piano. À 16 ans, elle chante ses propres compositions et devient l’étoile du salon que tient à Versailles Guillot de Sainbris, musicien fortuné, fréquenté par Gounod, Ambroise Thomas, Saint-Saëns, déjà concertiste célèbre, les peintres Regnault et Clairin, le poète Cazalis, le romancier Theuriet, Villiers de L’Isle-Adam. Parallèlement, elle noue des amitiés inattendues. Elle envoie des partitions à Franz Liszt, qui lui répond que « certaines mélodies sont à l’égal des plus belles inspirations de Schubert ». Elle le rencontrera durant l’été 1869, à Munich où elle se rend pour assister à la création de L’Or du Rhin. À Tribschen, elle chante devant Wagner ses propres créations et le maître lui conseille de ne se laisser influencer par personne. En 1870, le major meurt et Augusta s’installe dans un appartement rue Mansart, audace mal perçue pour une jeune femme. Tout Paris sait que c’est là le second domicile de Catulle Mendès, dont elle est tombée follement amoureuse. Leur liaison durera dix-sept ans, et elle donnera naissance à cinq enfants. A. Holmès se consacre désormais à sa carrière. Ses premières pièces pour orchestre, In exitu Israel, Invocation, lui ouvrent, en 1872, les portes de la salle Pleyel. Élève de César Franck vers les années 1875, elle passe à des œuvres orchestrales plus ambitieuses conçues pour solistes, orchestre et chœurs – Lutèce (1878), Ludus pro patria (1888) – empiétant ainsi sur des domaines jusque-là exclusivement masculins. Elle compose non seulement sa musique mais, à l’instar de Wagner, en écrit l’argument. En 1880, elle présente Les Argonautes au Concours de la Ville de Paris. Le second prix qui lui est décerné déclenche les protestations indignées du monde musical. Créée aux Concerts populaires, cette symphonie dramatique remporte un triomphe. En 1889, pour célébrer le centenaire de la Révolution, elle compose, à la demande de la Ville de Paris, L’Ode triomphale, représentée trois fois au palais de l’Industrie devant un parterre comble. L’ensemble, dirigé par Édouard Colonne, nécessitait 900 musiciens et choristes, 300 figurants et les grandes voix de l’heure. L’année suivante, ce sera un Hymne à la Paix pour la ville de Florence, et les États-Unis lui demandent de composer une œuvre pour l’Exposition universelle de 1893 à Chicago. Le style d’A. Holmès lui ressemble : ardent, flamboyant. Elle mêle l’audace guerrière et la romance, le lyrisme amoureux et l’épopée héroïque, fait sonner les cuivres et les cymbales, puis passe à l’élégie et à la cantilène. Ses sujets laissent rêveur. Elle prône l’amour de la patrie, défend le sacrifice, les libertés (Irlande, Pologne, L’Ode triomphale). Encensée par la presse, elle est qualifiée de « talent viril » dans toutes les critiques de l’époque. En 1895, son opéra La Montagne noire est joué à l’opéra Garnier, mais A. Holmès a sous-estimé les rancœurs suscitées par ses succès. Un mois avant la générale, la presse, sous pression, rappelle « les infortunes des rares auteurs féminins d’opéras » (Le Figaro, 27 janv. 1895). Le soir de la première, le public applaudit, mais, le lendemain, la hargne des critiques se déverse. La Montagne noire tient cependant durant 13 représentations. Blessée mais imperturbable, la compositrice persévère. L’année de sa mort, elle travaille à un nouvel opéra, Marie Stuart, et, ultime revanche, est en pourparlers pour la reprise de La Montagne noire au Metropolitan à New York. Au lendemain de sa disparition, le silence enveloppe l’œuvre d’A. Holmès. Le contraire d’un modèle par sa vie privée, elle a effrité, par sa carrière, le mythe de la primauté masculine. Inclassable, trop particulière pour se couler dans un moule, trop indépendante pour faire partie d’un sérail ou former des élèves, trop célébrée pour n’avoir pas éveillé des jalousies, elle ne pouvait que disparaître des programmes comme des encyclopédies, au grand soulagement de ceux auxquels elle avait fait de l’ombre, compositeurs, censeurs et moralisateurs.
Michèle FRIANG
■ BARILLON-BAUCHE P., Augusta Holmès et la femme compositeur, Paris, Fisbacher, 1912 ; GÉFEN G., Augusta Holmès, l’outrancière, Paris, Belfond, 1988 ; FRIANG M., Augusta Holmès ou la Gloire interdite, Paris, Autrement, 2003.
HOLMES, Shirlene [NEW YORK 1958]
Dramaturge, pédagogue de théâtre et militante américaine.
Shirlene Holmes joue en solo, et par son travail témoigne d’un désir de stylisation d’où ressort le thème de l’homosexualité dans la communauté afro-américaine. Ses performances sont des canaux qui donnent la voix aux exclus pour lesquels elle se bat. Dans sa pièce Conversation with a Diva (1999), elle met en scène la souffrance d’un acteur noir, homosexuel et rejeté par la société. À travers une écriture raffinée et un langage doux, elle met en évidence la politique qui commande le fonctionnement de la répression sociale, où l’homosexuel se retrouve prisonnier.
A Lady and a Woman (2003) raconte l’histoire de deux Afro-Américaines qui s’aiment dans les années 1890. L’une d’elles porte une cicatrice assez visible sur le visage, conséquence des violences qu’elle a subies dans son mariage. Noires, femmes et lesbiennes : c’est tout un programme – et un défi en soi – pour l’Amérique puritaine et ségrégationniste. Son travail est joué dans tous les États-Unis, mais aussi en Afrique et dans les Caraïbes.
Frida EKOTTO
HOLT, Nancy [WORCESTER, MASSACHUSETTS 1938]
Plasticienne américaine.
Après des études de biologie à la Tufts University de Medford, Nancy Holt s’installe à New York. En 1963, elle épouse Robert Smithson, avec qui elle collabore à plusieurs reprises. Ses premiers travaux – des photographies et des vidéos – s’inscrivent dans une période charnière, au cours de laquelle les artistes souhaitent développer une pratique dépourvue des contraintes muséales et marchandes, en réalisant des œuvres à partir d’éléments naturels, en extérieur. Dans ce contexte, la photographie acquiert une valeur d’œuvre et la vidéo devient un outil de création. Entre 1963 et 1973, l’artiste réalise cinq films avec Michael Heizer, liés aux interventions de R. Smithson dans le désert du Nevada : Untitled/Mono Lake (1968) ; East Coast, West Coast (1969) ; Spiral Jetty (1970) ; Swamp (1971) ; Amarillo Ramp (1973). Dès 1968, elle entreprend, à son tour, une version personnelle du land art : pour Buried poems (1969-1971), elle enterre dans le sol des contrées de son pays une série de poèmes qu’elle a offerts à cinq personnes, dont son époux, Carl Andre et M. Heizer. À l’instar de ses compagnons du land art, la plasticienne voit dans la nature, et, plus particulièrement, dans les grandes plaines américaines, la possibilité d’un renouveau artistique. Ses interventions se caractérisent par une prise en compte totale du site, qui détermine le choix des matériaux et induit la forme de l’œuvre. Sa démarche se singularise par une volonté de « ramener le gigantisme du désert à échelle humaine », ce qui correspond à la nécessité de tisser une relation directe entre l’œuvre, sa situation topographique, les éléments qui l’entourent (terre, soleil, lumière) et le spectateur. Ainsi, sa pièce majeure, Sun Tunnels (1973-1976), se présente sous la forme de quatre buses évidées, disposées dans le Grand Bassin, au nord-ouest de l’Utah, orientées en fonction des solstices d’hiver et d’été, que le visiteur peut traverser pour observer la lumière du soleil et de la lune, variable selon les saisons. L’ensemble de ses interventions in situ, comme Hydra Head (1974), Rocks Ring (1977-1978), Up and Under (1998) ou encore Annual Ring, Solar Web (1984), témoigne d’une interaction directe avec les éléments naturels environnants et vise à interroger la perception du temps et de l’espace par l’homme, invité à prendre conscience de sa place sur le site, et, plus largement, dans l’univers. En parallèle, l’artiste continue d’utiliser d’autres médiums, tels que la photographie, la vidéo, les livres et les installations. Considérée comme une figure singulière du land art pour en avoir renouvelé l’approche et le sens, N. Holt a été la seule représentante féminine du mouvement.
Ludovic DELALANDE
■ Randsacked : Aunt Ethel, an Ending, New York, Printed Matter, 1980 ;
■ KASTNER J., WALLIS B., Land art et art environnemental, Paris, Phaidon, 2004.
HOLT, Yvette [BRISBANE 1971]
Poétesse aborigène australienne.
Descendante des nations bidjara et wakaman du centre et du grand nord du Queensland, Yvette Holt grandit à Inala, dans la banlieue de Brisbane. Elle est diplômée en Adult Education and Community Management de l’université technologique de Sydney, où elle reçoit un prix des droits de l’homme et de la réconciliation, saluant son engagement pour une plus grande justice sociale pour les Aborigènes. Elle a été chercheuse pour la section Black Words d’Austlit, une base de données nationale recensant les publications relatives à la littérature australienne. Elle est, depuis 2012, maître de conférences en création littéraire pour le Centre australien de savoirs et d’éducation autochtones. Première poétesse à avoir reçu le prix David-Unaipon pour son recueil de poésie Anonymous Premonition (2008), elle anime des ateliers d’écriture et de promotion de la littérature aborigène au niveau local et national. En prose ou en vers, sa poésie travaille le mélange des genres, lyrique, tragique, narratif, humoristique ou ironique, entrelaçant des récits d’enfance et de matchs d’AFL (rugby australien) avec des personnages ordinaires ou extraordinaires, comme ce couple exceptionnel des années 1960 qui, par le pouvoir de l’amour, efface sous ses pas de danse les frontières culturelles et les préjugés. Anonymous Premonition est habité de femmes et d’enfants maltraités, de silence, de souvenirs agités ou trop vite effacés, mais aussi de bons esprits qui veillent sur ceux qui ne peuvent, de douleur, parler, sur ceux qui ne savent d’où ils viennent. Il est hanté par les tragédies et le chagrin, face à la perte d’êtres chers, au nombre élevé des morts aborigènes en garde à vue et en milieu carcéral, et au scandale de la faible espérance de vie des Aborigènes, égale à celle de pays du tiers-monde. Avec des poèmes sensuels ou autobiographiques dans lesquels l’auteure se décrit avec humour en soixante secondes et des poèmes sur une enfance à Inala ou sur Brisbane (The River City) qui évoquent les oubliés de nos « riches » sociétés, le lecteur découvre des « paysages enragés, une sérénité contenue dans des pensées de papier ».
Estelle CASTRO
HOLTBY, Winifred [RUDSTON, YORKSHIRE 1898 - LONDRES 1935]
Journaliste et écrivaine féministe britannique.
Née dans une famille de fermiers prospères, Winifred Holtby a 13 ans quand sa mère fait publier un livre de ses poèmes. En 1918, bien qu’acceptée à Oxford, elle part en France servir comme infirmière aux armées et auxiliaire militaire. En 1919, elle étudie l’histoire à Oxford et se lie d’amitié avec Vera Brittain*, avec qui elle s’installe à Londres. Ses premiers romans (Anderby Wold, 1923 ; The Crowded Street, « la rue noire de monde », 1924, réédité en 2008) rencontrent un succès d’estime. Journaliste prolifique, elle écrit dans plus de vingt journaux et magazines, publie une étude critique sur Virginia Woolf* et un recueil de nouvelles. Militante internationaliste, elle fait de nombreuses conférences à la Société des nations. De plus en plus critique vis-à-vis du système des classes en Angleterre, elle rejoint l’Independent Labour Party. En 1926, elle part en Afrique du Sud et y milite en faveur de la création d’un syndicat d’ouvriers noirs. En 1931, condamnée par la médecine, elle met toute son énergie dans la rédaction de Province anglaise. Basée sur ses expériences d’enseignante et son enfance dans le Yorkshire, cette fiction offre le portrait très vivant d’une communauté rurale confrontée aux effets de la crise de 1929. Publié à titre posthume en 1936 et constamment réédité depuis, ce roman est encore adapté pour la BBC en 2011. Dans tous ses écrits, ses personnages sont animés du désir d’émancipation et font preuve de force et de courage. V. Brittain a écrit sur leur amitié (Testament of Friendship, 1940) et publié, en 1960, des morceaux choisis de leur correspondance
Michel REMY
■ Province anglaise (South Riding, 1936), Paris, Julliard, 1946.
■ SHAW M., The Clear Stream : A Life of Winifred Holtby, Londres, Virago, 1999.
HOLZER, Jenny [GALLIPOLIS 1950]
Plasticienne américaine.
Après avoir étudié le dessin, la peinture et l’imprimerie, à l’université Duke, puis à celles de Chicago et de l’Ohio, Jenny Holzer obtient un master de beaux-arts à la Rhode Island School of Design. Acceptée au programme d’études indépendantes du Whitney Museum of American Art, elle s’installe à New York en 1977 et travaille comme photocompositrice au studio graphique Old Typosopher de Daniel Shapiro. Elle abandonne alors son travail pictural abstrait, proche de Mark Rothko et de Morris Louis, et commence à utiliser le langage pour questionner la représentation. Pour sa première série, Truisms (« truismes », 1977-1979), elle se sert de supports publicitaires ou d’espaces publics pour énoncer en majuscules des sentences telles que « la propriété privée provoque le crime » ou encore « le travail de chacun a la même importance ». Influencée par les conteurs de rue américains, les récits du Reader’s Digest, l’art conceptuel et minimal, les découvertes de l’écriture féminine et le travail corporel d’Yvonne Rainer*, elle se conçoit comme une agitatrice. En référence aux constructivistes russes, elle accorde une fonction utilitaire à l’art, utilisant à ses propres fins la culture médiatique dont elle est imprégnée. Sa deuxième série, Inflammatory Essays (1979-1982), est composée de textes inspirés par les écrits de politiques et de philosophes (Emma Goldman*, Lénine, Rosa Luxembourg*) imprimés sur du papier de couleur vive et collés sur les murs. Plus tard, elle grave aussi des textes sur des bancs en granit ou sur des sarcophages et utilise l’électroluminescence. Elle réalise ainsi des mémoriaux contre le racisme, contre les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, ou pour la lutte contre le sida (Laments [« complaintes »], Dia Art Fondation, New York, 1989). En 1990, à la Biennale de Venise, elle expose un travail polémique sur les liens ambivalents et les peurs qui unissent la mère à l’enfant (Mother and Child), pour lequel elle reçoit le Lion d’or. Par l’attention particulière portée aux stéréotypes politiques et sociaux, elle tente de faire réfléchir à des sujets cruciaux, utilisant les moyens de communication les plus visibles pour toucher un large public. À partir des années 1990, elle évoque des histoires personnelles et les liens intimes entre le langage et le corps, glissant des messages idéologiques et des aphorismes vers des méditations sur la condition humaine. En 2009, le musée Guggenheim de New York lui a consacré une rétrospective.
Fabienne DUMONT
■ Jenny Holzer (1998), Joselit D., Simon J., Saleci R. (dir.), Londres, Phaidon, 2010 ; Jenny Holzer : Oh (catalogue d’exposition), Paris, Réunion des musées nationaux, 2001 ; Jenny Holzer : Truth Before Power (catalogue d’exposition), Schneider E. (dir.), Bregenz/Cologne, Kunsthaus Bregenz/Walther König, 2004.
HOMBURGER, Lilias [1880-1969]
Ethnologue et linguiste française.
Ses recherches, dans la lignée d’Antoine Meillet, conduisent Lilias Homburger à établir une parenté génétique entre les langues négro-africaines et l’égyptien ancien d’abord, puis avec le dravidien, enfin avec un indo-africain commun conjectural, hypothèse aujourd’hui contestée. Elle préside la Société de linguistique de Paris entre 1940 et 1944. À l’École pratique des hautes études, elle a notamment pour élève Léopold Sédar Senghor. Enfin, elle participe à l’extension de l’enseignement des langues africaines dans le cadre de l’École nationale des langues orientales vivantes (auj. Inalco).
Thomas VERJANS
■ Étude sur la phonétique historique du bantou, Paris, E. Champion, 1914 ; Noms des parties du corps dans les langues négro-africaines, Paris, E. Champion, 1929 ; Les Préfixes nominaux dans les parlers peul, haoussa et bantous, Paris, Institut d’ethnologie, 1929 ; Le Langage et les Langues, Paris, Payot, 1951 ; Les Langues négro-africaines et les Peuples qui les parlent (1941), Paris, Payot, 1957.
HOMESPUN, Prudentia VOIR WEST, Jane
HÔ NANSÔRHÔN (née CHÔ CH’OHUÎ, dite) [GANGNEUNG 1563 - ID. 1589]
Poétesse coréenne.
En un temps où régnait l’oppression patriarcale de la dynastie confucéenne Joseon, particulièrement dure pour les femmes, qui n’avaient même pas droit à un nom, Huh Lan-Seol-Hun a grandi dans une famille à l’esprit ouvert. Son père, Huh Yup (Heo yeop), est un écrivain renommé. Sous son impulsion et celle de ses frères, et sous l’autorité du poète le plus éminent de l’époque, Lee Dal (Yi Tal), elle a pu affirmer ses qualités littéraires et mener à bien une œuvre poétique qui ne compte pas moins d’un millier de textes. L’un de ses jeunes frères, Huh Gyun (Ho Kyun), est un écrivain apprécié, auteur des Chroniques de Hong-gil-dong (1610), considéré comme le premier roman coréen. À seulement 8 ans, Huh Lan-Seol-Hun écrit son premier texte, « Gwang Han Jun Baek Ok Ru Sang Ryang Moon » (« l’écrit de la poutre faîtière pour le pavillon du paradis dans le palais de la lune »). Écrivant abondamment, elle apparaît comme un véritable prodige. À 15 ans, elle épouse Kim Sung-rip. Son existence est alors une succession de chagrins et de souffrances : son père et sa mère meurent, ainsi que son frère aîné Huh Bong, puis ses enfants en bas âge. Elle s’en lamente dans son poème « Gokja » (qui figure dans Le Monde poétique des écrivains féminins coréens classiques de Lee Hai-soon). Nombreux sont ses poèmes empreints d’esprit critique et de références taoïstes. Elle dit regretter trois choses dans sa vie : être née femme, s’être mariée, avoir vécu sous la dynastie Joseon. Elle meurt à l’âge de 27 ans, après son dernier poème intitulé « Mong Yoo Gwang San San ». Bien qu’elle ait demandé par testament que tous ses écrits soient brûlés, Huh Gyun parvient à en conserver un certain nombre, et à publier en 1590 Nan-Sul-Hun Jip (œuvres de Nan-Sul-Hun). Un exemplaire, remis aux représentants de la dynastie chinoise Ming, est publié en Chine en 1606, puis au Japon au siècle suivant. C’est ainsi que Nan-Sul-Hun acquiert une renommée internationale.
Ranjoo HERR
■ YANG HI CHOE-WALL, « The Impact of Taoism on the Literature of Mid-Choson, 1568-1724 », in Korean studies : new Pacific currents, Dae-sook Suh (dir.), Honolulu, Center for Korean Studies, University of Hawaii, 1994.
HONDIUS, Gerrie [OOST-SOUBURG 1970]
Auteure de bandes dessinées néerlandaise.
Après avoir été chanteuse et artiste de café-théâtre, Gerrie Hondius se lance dans la bande dessinée en publiant une série humoristique dans le magazine féministe Opzij. Le public français a pu la découvrir à l’occasion de sa participation au Salon du Livre de Paris, en 2003, à la suite de la parution de son premier album, Il faudrait m’inventer. Un titre français qui est plutôt éloigné du titre original, lequel peut se traduire par « si tu te la pètes pas, t’es rien »… Parfois comparée à une Claire Bretécher* « nouvelle génération », G. Hondius tient un journal intime dans lequel elle relate, avec un trait minimaliste et sans respecter la moindre chronologie, les petits et grands épisodes de sa vie, de ses numéros de cabaret au viol qu’elle a subi à 17 ans, d’une balade à vélo à un coup de fil à sa mère. Elle a aussi réalisé un deuxième album autobiographique, Pindakaas, resté inédit en France.
Camilla PATRUNO
■ Il faudrait m’inventer (Als je je niks verbeeldt dan ben je niks, 2000), Paris, L’An 2, 2003.
HONEYMAN, Janice [LE CAP 1949]
Actrice, metteuse en scène et directrice de théâtre sud-africaine.
Janice Honeyman fait des études d’arts du spectacle à l’université du Cap avant un début de carrière à Johannesburg. En 1974, membre fondatrice de The Company – qui deviendra le Market Theatre –, elle rencontre très vite un grand succès en tant que comédienne dans une adaptation de Lysistrata. La même année, elle dirige La Nuit des rois, de Shakespeare. Surtout connue pendant les années 1980 pour son travail de metteur en scène et dramaturge de spectacles marqués par une libération sexuelle (An Arabian Night, adaptation tirée des Mille et une nuits, en 1980, Tales from the Pleasure Palace, « contes du palais des plaisirs », en 1986), elle se forge une réputation de metteur en scène éclectique et passe même deux ans comme directrice associée de la Royal Shakespeare Company à Londres (1988-1990). Elle travaille avec les théâtres d’État du régime, en particulier la Performing Arts Council (Pact) à Pretoria en tant que directrice associée de 1988 à 1993. Quand le Civic Theatre de Johannesburg est rebâti en 1993, elle en assure la direction artistique et plus tard la direction exécutive. La décennie 2000-2010 est riche de mises en scène en tout genre : opéras (La Belle Hélène, Cosi fan Tutte et La Chauve-Souris), drames classiques et modernes (The Beauty Queen of Leenane de Martin McDonagh, Oncle Vania, I Am My Own Wife de Doug Wright, Nothing But the Truth de John Kani), comédies musicales (Boys in the Photograph de Andrew Lloyd Webber et Ben Elton, Showboat, de Jerome Kern et Oscar Hammerstein, présentée à Paris en 2010). Sans oublier la dernière pièce d’Athol Fugard, Booitjie and the Oubaas (2006), et de nombreux spectacles co-écrits.
Anne FUCHS
HONG (princesse HYEGYÔNG, dite Dame) [SÉOUL 1735 - ID. 1815]
Mémorialiste coréenne.
Auteure supposée du texte publié sous le titre de Mémoires d’une reine de Corée, Dame Hong, du palais Hyegyông, épouse du prince Sado, a accompagné son mari dans tous ses déboires. Fils d’un roi dément, Sado est condamné à périr étouffé dans un coffre à riz. S’il semble que le prince ait été lui aussi quelque peu dérangé, il sera réhabilité par son fils, qui déclenchera pour cela une purge terrifiante à la cour, n’épargnant pas les partisans du prince Sado, auxquels il reprochait de ne pas l’avoir sauvé. En raison du caractère très tardif du manuscrit, on ignore s’il s’agit de véritables Mémoires ou d’une fiction rédigée à l’occasion ou après la réhabilitation du prince et de son élévation posthume au rang de roi. De deux choses l’une : ou bien l’œuvre est entièrement fictive, ce qu’il est impossible de prouver en raison de sa date de parution, cent ans après les événements décrits, ou bien elle est effectivement le journal tenu par la princesse (ou quelqu’un de très proche), ce que tendrait à prouver l’acuité des descriptions. Seule une femme vivant à l’intérieur d’un gynécée royal pouvait fournir autant de détails privés. En tout état de cause, on sait que Dame Hong, qui sera élevée au rang de reine en 1799, a rédigé quatre longues lettres d’autojustification (un des reproches qui pouvaient lui être adressés étant de ne pas s’être donné la mort à la suite de son époux !). Tout porte à croire que c’est là l’origine du livre que nous connaissons, et qui a manifestement subi de nombreux remaniements. Il est certain que la part romanesque de l’aventure a alors été privilégiée. Le titre original, Hanjunnok, peut être compris comme « souvenirs après m’être retirée » ou « mémoires de mon ressentiment », ou encore « écrits du silence ». On peut quoi qu’il en soit légitimement considérer ce texte (et son auteure réelle ou supposée) comme la dernière manifestation d’une fiction ou d’une narration écrite par une femme jusqu’au tournant moderne des années 1915-1920.
Patrick MAURUS
■ Mémoires d’une reine de Corée (Hanjunnok, s.d.), Arles, P. Picquier, 1996.
■ CHUNG C., Korean Classical Literature, Londres, Kegan Paul, 1989 ; BOUCHEZ D., CHO T., Histoire de la littérature coréenne, Paris, Fayard, 2002 ; HOYT J., Soaring Phœnixes and Prancing Dragons : A Historical Survey of Korean Classical Literature, Séoul/Somerset, Jimoondang Publishing, 2000.
HÔNG HA NU SI VOIR DOAN THI DIÊM
HONGRIE – ART DU TEXTILE [depuis 1970]
« Des années 1970 au début des années 1980, le textile en tant que matière a joué un rôle important dans l’art censuré (à la fois interdit, toléré et parfois soutenu). D’abord parce que l’exposition des “textiles-sculptures” au sein de l’espace public, comme partie décorative d’un édifice, disparaît graduellement faute de commandes officielles. Ensuite, l’esthétique prenant de plus en plus d’importance, l’exposition devient un but en soi ; le processus créatif de l’art du textile s’institutionnalise. » (Péter Fitz, historien de l’art.) En 1975 est fondée à Velem, dans le nord-ouest du pays, la colonie d’artistes Atelier créatif, où s’élaborent des œuvres expérimentales remarquables sortant du modèle standard. En 1976, a lieu la IIe Biennale thématique de mini-textile, et, en 1978, la Ve édition de la biennale Procédures. De nouvelles matières s’intègrent et se mêlent aux tissus. C’est le moment où Anikó Bajkó, Judit Droppa, Gabriella Farkas, Erzsébet Golarits, Csilla Kelecsényi, Ilona Lovas, Judit Nagy et Anna Pauli font remarquer leurs noms aux côtés d’artistes pionniers, déjà connus mais capables de se renouveler, comme Gábor Attalai, Aranka Hübner, Marianne Szabó et Margit Szilvitzky. I. Lovas (1948) s’est préoccupée toute sa vie de problèmes sociaux à travers le textile, mais une fois admise dans le « grand art » – l’art visuel englobant peinture, sculpture et art graphique –, elle abandonne le textile pour d’autres matériaux et montre ainsi la faillite de l’art expérimental. Entre 1977 et 1984, les œuvres comportent des enjeux spirituels, linguistiques et artistiques, comme en témoignent les expositions Textile sans textile, Textile après le textile et Textile vivant. Avec la nouvelle génération, les œuvres conceptuelles et les performances (Judit Kele, György Galántai, Zsuzsa Szenes, I. Lovas), l’action (Kati Gulyás, Cs. Kelecsényi, Zs. Szenes), l’installation (Lujza Gecser, C. Kelecsényi), le happening (G. Galántai, András Szirtes) et le « mail art » apparaissent. Ces tendances parallèles sont alors admises, voire soutenues par l’État, même s’il existe une surveillance politique continue. Des artistes comme Ilona Keserü*, Ana Lupas, Dóra Maurer* ont aussi commencé leur carrière en utilisant le textile, mais en l’intégrant déjà dans des œuvres expérimentales. L’année 1980 se caractérise par des œuvres « environnementales », et la thématique de la VIe édition de la Biennale signe le retour du gobelin. Les œuvres de Zsuzsa Péreli, Gizella Solti, Rózsa Polgár, J. Nagy et Ildikó Dobrányi sont les plus importantes au sein de cette tendance expérimentale. Le gobelin a ouvert la porte au postmoderne, en s’éloignant du contexte du textile qui dominait jusque dans les années 1983-1984.
Judit FALUDY
■ FITZ P., « Textilművészet 1977-84 között », in Szombathelyi textilbiennálék 1970-2000, Szombathelyi Képtár, Szombathelyi, 2002.
HONGRIE – ARTISTES [XIXe siècle]
Dans les classes moyennes, ce sont parfois les traditions familiales qui orientent les femmes vers la pratique professionnelle des arts. Henriette Kärgling (1821-1873) apprend les éléments du métier avec son père, Tobias, et peint plus tard des natures mortes, des fleurs, des portraits et des retables. La peintre de natures mortes et de portraits Henriette Barabás (1842-1892) et la portraitiste Ilona Barabás (1844-1929) sont aussi formées par leur père, Miklós, portraitiste alors en vogue. Cependant les charges domestiques, l’éducation des enfants, l’obligation de satisfaire aux normes sociales interrompent parfois pour des décennies la carrière des femmes artistes. Dès la seconde moitié du siècle, toutefois, dans certains couples le mari adhère aux ambitions artistiques de son épouse. Ainsi, Róza Jókai (1861-1936), soutenue par Árpád Feszty, a laissé nombre de portraits, de tableaux de genre et d’illustrations. Mais ni la critique professionnelle ni l’opinion ne les ont beaucoup encouragées.
En revanche, les artistes issues des classes supérieures bénéficient de commandes prestigieuses en raison de leurs relations et de leur travail bénévole. La comtesse Henriette Brunswick (1789-1857), par exemple, réalise en 1835 le portrait de son père (Le Comte József Brunswick, chef du comitat de Csongrád), exposé pendant des décennies dans la salle de réunion de l’assemblée du comitat. Les filles de l’aristocratie peuvent effectuer leur apprentissage dans des ateliers de Vienne, de Munich ou de Paris, formation parachevée auprès des meilleurs maîtres hongrois. La vie de famille ne les empêche pas d’épanouir leurs talents. La comtesse Blanka Teleki (1806-1862), d’abord formée par M. Barabás, se rend à Munich puis à Paris, où elle devient l’élève de Léon Cogniet. Rentrée en Hongrie, elle fréquente dans les années 1840 l’atelier de sculpture d’István Ferenczy et crée des reliefs représentant les membres de sa famille. En 1846 elle ouvre un pensionnat de jeunes filles de haut niveau et réclame lors de la révolution de 1848-1849 le droit des femmes à poursuivre des études universitaires. En 1851, condamnée pour ses activités révolutionnaires, elle sculpte dans la prison son autoportrait en pied la représentant devant le tribunal. Ayant eu parmi ses maîtres Friedrich Amerling, Berta Gyertyánffy (1819-1882), épouse du comte Kálmán Nákó, voit ses études de visages de femmes rom exposées à Vienne et à Paris. Dans les années 1860 et 1870, son salon de Vienne devient l’un des centres de la vie artistique et musicale de la capitale impériale. Élève de maîtres hongrois et étrangers de grand renom, la baronne Élise Ransonnet-Villez (1843-1899) présente ses tableaux lors d’expositions à Pest, Vienne et Munich. De son vivant, son autoportrait a été le premier tableau hongrois exposé à la galerie des Offices de Florence, et elle a reçu plusieurs commandes officielles de portraits (Ferenc Deák, 1876).
Les femmes peintres créent le plus souvent des natures mortes. Comme elles représentent les objets de la sphère privée réservée aux femmes, la critique et l’opinion y voient un genre « émasculé ». Les peintres professionnelles exécutent surtout des portraits privés et officiels, mais certaines cultivent aussi la peinture de « grand genre ». H. Kärgling exécute une série de dessins sur la ville de Pest inondée en 1838 ; outre ses portraits, Katalin Ivanovics (1817-1882) peint aussi des tableaux d’histoire (Le Serment du roi Mathias à l’église Sigismond, v. 1867) ; pour sa revue destinée aux lectrices hongroises (Családi Kör, 1860-1880), l’écrivaine et rédactrice Emilia Kánya (1830-1905) dessine des scènes d’histoire représentant des femmes, réalisées ensuite sous forme de gravures sur bois. Plusieurs s’essaient à la peinture de retables : H. Kärgling crée pour le maître-autel de l’église de Balatonfüred Le Christ et la Samaritaine, tandis que de nombreuses églises situées sur de grandes propriétés sont décorées par des dilettantes de l’aristocratie. Erzsébet Angyalffy (1861-1940) doit aussi une partie de sa renommée à ses tableaux traitant de sujets religieux peints au tournant du siècle.
Les activités artistiques des femmes sont ainsi déterminées par les structures hiérarchiques sexuelles et sociales ainsi que par les institutions relatives à la vie artistique, nouvellement fondées et dominées par des hommes. Ces réalités limitent le progrès de leur émancipation et conduisent à une reconnaissance tardive par la critique et le public du rôle des établissements d’enseignement et d’exposition de haut niveau créés pour les femmes peintres dans le dernier tiers du XIXe siècle. La fondation de l’Académie hongroise des beaux-arts marque ainsi l’aboutissement d’un long processus : dans l’une de ses ancêtres, l’Académie de peinture de Jakab Marastoni, une salle est réservée dans les années 1840 aux femmes désireuses de s’initier à l’art de la peinture. Créée en 1871, l’École normale royale hongroise du dessin forme officiellement des professeurs de dessin, mais dispense en réalité un enseignement académique. Des femmes y sont admises dès le début – surtout en raison du nombre très bas des élèves –, mais elles suivent des cours dans une classe à part, avec des frais d’études beaucoup plus élevés que ceux des hommes, et doivent se contenter d’un enseignement purement pratique. Elles devront attendre l’année 1902-1903 pour obtenir une formation de base d’artiste et de professeure de dessin.
Une nouvelle étape est franchie en 1882-1883 avec la création d’un atelier-école de peinture réservé aux hommes. Les femmes refusées étant très nombreuses, un cours de peinture pour femmes est ouvert en 1885, où elles sont initiées à la peinture des natures mortes et des paysages, genres de rang inférieur dans la hiérarchie académique. Le cours est supprimé au début des années 1890, et les élèves reléguées dans la « classe de femmes » de l’École normale du dessin ; il recouvre son autonomie au milieu des années 1890 sous le nom d’École royale hongroise de peinture pour femmes, dont le programme, beaucoup moins ambitieux que celui des hommes, contribue à marginaliser les femmes. À partir de l’année 1908-1909, l’École normale du dessin, les ateliers-écoles et l’École royale de peinture sont réunis dans le cadre de l’Académie hongroise des beaux-arts. L’École royale de peinture est définitivement supprimée en 1921-1922 : hommes et femmes sont désormais formés ensemble, mais la discrimination des sexes perdurera.
Les expositions « mixtes » sont très limitées au XIXe siècle. H. Kärgling est toutefois régulièrement présente aux expositions de la Société artistique (Műegylet) de Pest. Mais les élèves du cours de peinture pour femmes ne peuvent que très peu exposer, et uniquement dans les genres mineurs ; c’est pourquoi elles organisent leur propre exposition en juin 1890. Après 1900, les élèves de la « classe de femmes » et de l’École royale de peinture exposent en commun sous la direction de la baronne Ilona Huszár (1865-1932), peintre de portraits et d’intérieurs. En 1904 est fondée une association de femmes sous le nom d’Art et Culture, mais la présence de peintres sans formation conduit les élèves de l’École royale de peinture à créer en 1908 l’Association hongroise des femmes artistes, sous la présidence de la baronne Anna Korányi. Elles présentent des études, des autoportraits, des nus et des compositions majeures lors d’expositions annuelles, mais leurs œuvres continuent à être appréciées sur la base de la hiérarchie des sexes. Seules sont jugées dignes d’intérêt les femmes peintres exposant avec des hommes et uniquement des œuvres relevant du domaine des activités artistiques dites « féminines » (dont les arts décoratifs) – c’est-à-dire celles qui ne concurrencent pas les hommes.
Éva BICSKEI
HONGRIE – ARTISTES [début du XXe siècle]
Au début du XXe siècle, le développement progressif de l’enseignement des arts favorise la participation des femmes aux activités artistiques. L’École normale de dessin (Mintarajztanoda) ouvre ses portes aux jeunes filles, qui reçoivent une formation dans une classe à part. Celles qui se destinent à la peinture sont aussi séparées des hommes, l’enseignement dispensé étant moins ambitieux. Cependant, après 1900, les femmes peuvent bénéficier elles aussi d’une formation du plus haut niveau dans les beaux-arts, et les écoles libres qui leur sont dédiées se multiplient. Les progrès sur le plan organisationnel sont aussi manifestes : l’école des femmes peintres propose des expositions à partir de 1890, l’Association des femmes artistes est créée dès 1908. Celles qui accèdent à la notoriété sont le plus souvent liées (épouses, personnes très proches) à des hommes appartenant à des communautés artistiques ou responsables d’établissements d’exposition.
L’idéal artistique démocratique du Modern Style (ou Art nouveau) et son ambition de s’étendre à tous les arts entraînent la valorisation des activités féminines classiques : l’étude des traditions populaires amorcée dès le XIXe siècle et les activités des associations d’artisanat domestique constituent des ressources précieuses pour le modern style hongrois.
À côté du mouvement Arts and Crafts, ce sont les arts populaires hongrois qui inspirent Aladár Körösfői-Kriesch (1863-1920), créateur en 1904 de l’atelier de tissage de la colonie d’artistes de Gödöllő. Au début, les cartons sont réalisés par le peintre Léo Belmonte (1875-1956), formé à la manufacture parisienne des Gobelins. L’atelier, qui emploie de jeunes artisanes locales désireuses de gagner de l’argent et attire de toute la Hongrie les femmes s’intéressant au tissage, est promu au rang d’atelier-école du Conservatoire des arts industriels en 1907. Les activités artistiques des femmes sont reconnues au sein de la colonie, dont les membres cherchent à réaliser l’égalité sur le plan du travail comme sur celui des loisirs. Mariska (Mária) Undi (1877-1959) et Laura Kriesch (1879-1966), sœur d’A. Körösfői-Kriesch, sont parmi les premières élèves de l’École normale de dessin. Épouse de Sándor Nagy (1869-1950), l’autre maître dirigeant la colonie, L. Kriesch est dotée d’une très forte personnalité : elle est parmi les premières à refuser de porter le corset, et c’est probablement elle qui a introduit la robe moderne à Gödöllő. S. Nagy et L. Kriesch marquent leurs œuvres d’un monogramme commun et travaillent dans une entente artistique et spirituelle parfaite. Ils partagent sur une base égalitaire travaux domestiques et artistiques. La plupart des œuvres de L. Kriesch représentent des foyers familiaux ou des enfants qui jouent (Mademoiselle Gulliver, 1911). Après 1920, elle prend la direction de l’atelier de tissage. Sur ses dessins souvent minuscules elle exprime sa religion de l’amour par des enlacements de rinceaux, donnant ainsi une traduction plastique très particulière de l’esthétique de William Morris, inspirateur du mouvement Arts and Crafts en Grande-Bretagne.
M. Undi est la seule des femmes de la communauté à assumer un rôle autonome dans la vie publique. Elle n’habite pas à Gödöllő, mais s’y rend souvent. Ses cartons sont publiés dans la revue Magyar Iparművészet (« arts industriels hongrois ») à partir de 1903. Son œuvre entière s’inspire des traditions populaires et intègre de nombreux éléments d’origine folklorique. Elle crée des tableaux, des dessins, des illustrations et des fresques, conçoit des cartons pour des tapis et des modèles de robes, des meubles, des peintures sur verre et des jouets. Elle est la seule à adopter les thèmes mythologiques affectionnés par les grands maîtres de la colonie (La Chasse du cerf merveilleux). Elle adhère au mouvement féministe et écrit plusieurs articles pour populariser la robe moderne. Elle s’intéresse aussi à l’art de la danse et fonde son propre atelier de tissage. Ses autoportraits et ses tableaux représentant l’intérieur de son appartement reflètent sa philosophie du foyer. On a conservé quelques photos où elle porte ses propres modèles de robes, entourée de meubles et d’objets décoratifs conçus par elle. Ses sœurs, Carla (1881-1956) et Jolán (1884-1958) Undi (Springholz), se consacrent surtout à la conception et à la réalisation d’objets d’art industriel.
D’autres communautés n’adoptent pas de programme idéologique clairement défini. La société d’artistes Kéve (« la gerbe », 1907-1947) s’emploie à synthétiser (mettre en gerbe) les orientations les plus diverses de l’époque, dont le « pleinairisme » de l’école de Nagybánya, les aspirations du modern style et de l’avant-garde. Les salles d’exposition aménagées dans l’esprit du Jugendstil viennois accueillent des œuvres de tout genre, y compris les arts populaires représentés notamment par les créations d’Elemér Tóthváradi Korniss (m. en 1920). À la suite de la présentation de ses activités au Hagenbun de Vienne, Kéve noue des liens solides avec des artistes autrichiens, et plusieurs de ses créateurs – dont Ernesztin Lohwag (1878-1940) – deviennent membres honoraires du Künstlerbund Hagen de Vienne. Les créations d’Elza Kövesházi Kalmár* figurent aussi à leurs expositions. La plupart des femmes artistes ont déjà abandonné les genres traditionnellement réservés aux femmes et se consacrent pleinement à la peinture et aux arts graphiques. Le fondateur de Kéve, le peintre et artiste décorateur Ferenc Szablya Frischauf (1874-1962), formé à Nagybánya, marque de son influence les tableaux de sa sœur, Frida Konstantin (1884-1918), qui valent par la netteté des contours et l’ordonnancement à la viennoise de l’espace (Autoportrait). Il influence aussi les œuvres de sa femme, E. Lohwag, demeurée fidèle aux traditions de Nagybánya.
Les artistes de la communauté se distinguent également dans les arts graphiques appliqués. Le catalogue et l’affiche de la première exposition de la Société sont dus à E. Lohwag. Parmi les continuatrices du mouvement novateur de Nagybánya, signalons aussi Valéria Dénes* et Erzsi Fejérváry (1896). Fondée par Béla Iványi Grünwald, la colonie d’artistes de Kecskemét (1909-1944) a accueilli plusieurs peintres de l’école de Nagybánya. On y a créé aussi un atelier de tissage où ont travaillé de nombreuses femmes artistes.
Katalin GELLER
HONGRIE – ARTISTES [dans l’entre-deux-guerres]
La période qui suit la Grande Guerre et les révolutions successives de 1918 et 1919 conduisent à de nombreux bouleversements dans la vie artistique du pays, à commencer par la réforme de l’Académie des beaux-arts en 1920. Le choix des professeurs devient libre, et la structure, divisée jusqu’alors en deux sections, est unifiée en une formation mixte. Des professeurs aux conceptions modernes sont engagés au département de la peinture : János Vaszary (1867-1939) et István Csók (1865-1961). Signe de changement, les femmes peuvent jouer un rôle considérable dans l’engagement de Vaszary, autour de qui s’est formé dans les années 1920 le premier Cercle moderne d’artistes femmes, de tendance féministe, lié par des relations d’amitié avec Józsa Járitz (1893-1986), Vilma Kiss (1893-1943) et Anna Czillich (1893-1923). Elles créent un art original et de nature spirituelle tout en s’attachant à l’expressionnisme tardif du maître. Cette alliance intellectuelle solide sert de base en 1931 au nouveau groupe de l’Association des artistes femmes hongroises, qui se sépare de l’ancienne Union des femmes dans les beaux-arts. Parmi ces pionnières figurent Anna Bartoniek (1896-1978), Piroska Futásfalvi Márton (1899-1996), Angela Szuly (1893-1975). Huit créatrices du groupe participent à l’exposition organisée au Salon national de 1931, à propos de laquelle la presse lance la formule « Huit femmes », allusion au premier groupe d’avant-garde masculin hongrois apparu avant 1914, Nyolcak (les « Huit »). L’irruption des femmes dans le domaine des beaux-arts représente un tournant dans l’histoire de l’art féminin en Hongrie ; leur activité passe pour annonciatrice des mouvements féministes postérieurs, bien qu’elles n’aient jamais rédigé de programme cohérent. Après l’exposition, leur communauté se désagrège, faute de soutien officiel, et plusieurs artistes émigrent.
Erzsébet Korb*, dont la carrière débute dans les années 1920, est la seule femme admise dans le cercle de peintres Szőnyi, de style néoclassique. Parmi les peintres hongroises devenues populaires grâce à l’Art déco, Gitta Gyenes (1888-1960) pose les problèmes de l’identité féminine dans sa série d’autoportraits. Entre les deux guerres, la dénomination de « femme peintre » comporte encore des connotations péjoratives ; pour la plupart des créatrices, c’est donc plus l’assimilation que la recherche de la différence qui ouvre une voie vers l’émancipation. Rarement reconnues, c’est souvent par le mariage avec un artiste qu’elles entrent dans la vie artistique, avant d’obtenir des succès et le droit d’exposer en tant que créatrices autonomes, comme Margit Gráber*. Ce statut d’épouse peut cependant rendre plus difficile la reconnaissance de l’art d’une femme, comme dans le cas de Margit Anna*, classée comme simple épigone de son mari Imre Ámos (1907-1944 ou 1945) par la critique et les jurys, refusant ses tableaux pour cette raison. Mária Modok*, elle, s’impose comme artiste autonome et influencera ses contemporains (avant son mariage avec Béla Czóbel), par sa peinture représentant des pauvres, développée et pratiquée au milieu des années 1930. Une autre voie d’accès à la reconnaissance est offerte par l’appartenance à une famille d’artistes, comme pour Judit Beck (1909-1995), Mária Barta (1923-2011) et surtout Noémi Ferenczy*, qui, dans le domaine de la tapisserie où œuvre sa famille, pratique une branche de l’art typiquement féminine (négligée par les hommes), le gobelin, qu’elle a promu au rang de la peinture. L’appartenance à une communauté d’artistes aussi peut jouer en faveur de la reconnaissance. Ainsi, Eszter Mattioni (1902-1993), membre de la colonie de Szentendre, puis de celle de Szolnok, obtient plusieurs prix et un diplôme d’honneur lors de l’exposition à Paris des femmes d’artistes européennes (1937). Elle a inventé (avec Iván Pólya) et breveté une technique moderne de la mosaïque.
Les femmes artistes peuvent davantage peser dans les associations d’artistes fondées sur des idéologies de gauche, où l’émancipation féminine passe pour un devoir prioritaire. Plusieurs artistes peintres de style néoréaliste, dont Ilona Kassitzky (1910-1985), exposent dans le cadre de l’Union des artistes socialistes refondée dans les années 1940. Dans la sculpture, la situation des femmes est plus défavorable encore, au point que Lenke Földes (1896-1986), disciple exceptionnellement douée de Bourdelle, préfère vivre à Paris. Le mouvement de l’Art déco, qui entraîne dans les années 1930 un essor du commerce des objets d’art et des sculptures de petites dimensions, permet de nouveau aux femmes de se faire valoir : Margit Kovács* et Hajnalka Zilzer (1893-1947) obtiennent des succès grâce à leurs poteries populaires. Autre disciple de Bourdelle, Erzsébet Forgács-Hann (1897-1954) cultive les arts plastiques dans un style symboliste ; Erzsébet Schaár* excelle surtout dans les portraits. La carrière de ces artistes ne se développera cependant pleinement qu’après 1945.
Le premier groupement artistique où des femmes figurent parmi les fondateurs est l’École européenne, créée en 1945 – ce qui témoigne du changement de statut survenu pour les femmes artistes. Les créatrices appartenant à ce groupe – Piroska Szántó (1913-1998), E. Forgacs-Hann, Júlia Vajda (1913-1982), Magda Zemplényi (1899-1965), Ibolya Lossonczy (1906-1992) – se concentrent avant tout sur les problèmes philosophiques de la vie et veulent contribuer à former des communautés, tout comme les hommes. M. Anna, également cofondatrice, s’attache plus amplement dans son art à l’interprétation des rôles féminins et à exprimer l’identité féminine sous toutes ses formes.
Anna KOPÓCSY
HONGRIE – ARTISTES [depuis 1945]
La modernisation entreprise en Hongrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a été, en raison de l’occupation soviétique et de l’avènement d’une dictature communiste, un processus à la fois lent et ambigu qui a déterminé dans une large mesure les perspectives pour les femmes créatrices et l’existence même de l’art féminin. Les mouvements de femmes se réduisant à l’unique organisation officielle, l’Association démocratique des femmes hongroises, sous le contrôle étroit du parti au pouvoir, un esprit conservateur a dominé longtemps après l’effondrement du régime de type soviétique.
Il existe aujourd’hui cinq établissements d’enseignement supérieur dans les divers arts. Malgré les programmes officiels favorisant les femmes, celles-ci ne représentaient en 1960 que 29,2 % des effectifs, en 1980, 50 %. En 2008, on trouve 60 % de femmes parmi les élèves contre 27 % parmi les enseignants. Une seule femme a été élue au poste de recteur. Sur les 5 901 artistes de Kortárs Magyar Művészeti Lexikon (« encyclopédie des arts hongrois contemporains », 1999-2001), on ne compte que quelque 25 % de femmes ; la proportion des lauréates du prix Munkácsy, créé en 1949, n’est que de 19 %. Ces chiffres témoignent de l’inégalité des chances, et ceux relatifs aux disciplines exercées montrent à quel point les rôles féminins traditionnels sont figés : 25 % d’artistes de la tapisserie, 18 % de céramistes, seulement 14 % de peintres ou d’artistes graphiques, 12 % de sculptrices, 11 % dans divers arts industriels, 4 % d’architectes et d’artistes décoratrices, et 2 % de photographes.
Entre 1945 et 1949, le foyer principal de la modernité artistique était l’École européenne, qui comptait de nombreuses femmes. Parmi elles, les peintres Margit Anna*, Ibolya Lossonczy (1906-1992), Piroska Szántó (1913-1998), Júlia Vajda (1913-1982) et Erzsébet Vaszkó (1902-1986), ou la sculptrice Erzsébet Forgács-Hann (1897-1954) ont perpétué les traditions modernes de l’art abstrait et du surréalisme. L’artiste emblématique du « réalisme socialiste » dans les années suivantes a été Anni Feleki-Gáspár (1902-1992) avec son tableau représentant un Contrôleur sifflant, tandis que l’art de Margit Kovács*, céramiste affectionnant les formes naïves et populaires, a bénéficié aussi de reconnaissances officielles. Dans cette période sombre, plusieurs artistes, dont Anna Márk*, Vera Molnár*, Márta Pán*, Judit Reigl*, se sont exilées ou ont choisi la voie de l’« émigration intérieure », en restant dans leur pays mais sans travailler pour le régime.
L’art moderne ne réapparaît que dans les années 1960. L’œuvre d’Ilka Gedő* et de Lili Ország (1926-1978) se nourrit essentiellement de leur vécu, de leur mémoire et des traditions juives. Les sculptures inspirées par des réalités quotidiennes d’Erzsébet Schaár* évoquent parfois des thèmes féminins (Étalage, 1970). Les créatrices qui se réclament d’un art d’avant-garde aux aspirations universelles mettant en avant leur identité sexuelle manifestent leur position de manière indirecte : Ilona Keserü* couvre de couleurs vives les formes organiques en relief appliquées sur ses toiles, tandis que certaines actions d’avant-garde de Dóra Maurer (1937), comme Que peut-on faire avec un pavé ? (1971), sont aussi conçues dans une optique féminine. La question de l’identité féminine ne se pose en fait que dans la seconde moitié des années 1970, notamment dans les œuvres d’Orsolya Drozdik *et de Mária Berhidi*. Les figurines créées dans les matières les plus diverses d’Ildikó Várnagy (1944) sont des idoles féminines où se mêlent force et vulnérabilité. La seule représentante féminine de la nouvelle peinture des années 1980, El Kazovszkij*, a créé un univers pictural mythologique fondé sur des motifs éternels.
Malgré les deux Expositions d’artistes hongroises (1958, 1959) et une Exposition internationale d’artistes femmes (1960) à la Galerie d’art de Budapest, l’art féminin et féministe était, hormis quelques traces significatives, absent en Hongrie avant le changement de régime. C’est aussi lors de la seconde moitié des années 1970 qu’on observe une percée néo-avant-gardiste affichant ouvertement des valeurs féminines dans l’art du textile expérimental. Les arts céramiques sont aussi pratiqués par de nombreuses femmes, de l’expérimentation au design, à travers la création d’objets individuels. Lívia Gorka (1925) s’est signalée par des figurines de céramique modernistes aux couleurs pâles, couvertes de vernis qu’elle élabore elle-même ; Mária Minya (1946), par des poteries fonctionnelles destinées à la fabrication en série ; Mariann Bán (1946), par l’adoption – avec une distance ironique, il est vrai – de techniques d’arts folkloriques et de formes naïves ; Ildikó Polgár (1942), par des idoles de porcelaine. Zsófia Karsai (1964) se sert de matières à base de chamotte colorée pour façonner ses objets ludiques rappelant ceux du Néolithique ou provenant d’Extrême-Orient, tandis que les vases et les pots de Zsuzsa Ujj (1968) évoquent des calices de fleurs.
Bien que l’effondrement du régime communiste n’ait pas été suivi de changements radicaux dans le domaine artistique, la direction exercée par l’État a été progressivement relayée par une économie de marché offrant de multiples possibilités pour les artistes, femmes comprises. Pourtant, à cause de la prédominance d’attitudes conservatrices, le mouvement féministe et les études féminines ne trouvent d’adeptes que dans un milieu assez étroit d’intellectuels (composé essentiellement de sociologues et de linguistes), et les créatrices adoptant ouvertement des optiques féminines ou féministes sont rares. Cela vaut aussi pour les théoriciennes de l’art, pourtant de plus en plus nombreuses : en raison de la domination masculine au sommet de la hiérarchie professionnelle, les approches féminines ou féministes dans l’histoire des beaux-arts ou la théorie de l’art restent limitées.
À partir du milieu des années 1990, on constate l’émergence de tendances et d’aspirations jusque-là refoulées. Une première série d’expositions d’art féminin a été montée en 1995 par Gábor Andrási sous le titre Vizproba (« épreuve de l’eau »), suivie de l’exposition Féminin-Masculin organisée par Erzsébet Tatai, et d’une grande rétrospective en 2000 au musée Ernst de Budapest par Katalin Keserű. La conscience et l’optique proprement féminines dominent l’art de Marianne Csáky*, d’Ágnes Eperjesi*, de Kriszta Nagy* et de la photographe Luca Gőbölyös (1969). Emese Benczúr* cherche à détruire les frontières et les hiérarchies traditionnelles entre les deux sexes par ses broderies de texte, tandis que la sculptrice Ágnes Deli (1963), Mariann Imre*, Gyönrgyi Kámán (1970) et Ilona Németh* s’efforcent de miner par leurs installations les préjugés relatifs à la sphère traditionnellement attribuée aux femmes. L’art d’Ágnes Szabics (1967) est marqué par les réflexions que l’artiste fait sur sa façon de vivre (Exercices de survie). Ágnes Háy* et Hajnal Németh* choisissent rarement des thèmes explicitement et exclusivement féminins, mais puisent largement dans l’arsenal des stratégies et des expériences du mode de vie féminin au tournant du millénaire, cependant qu’Ágnes Szépfalvi* construit son œuvre d’une manière toute traditionnelle autour des thèmes de la vie féminine actuelle. L’héritage pictural du XXe siècle survit dans les intérieurs mystiques et vides d’Erzsébet Vojnich (1953), dans les paysages et les natures mortes naturalistes délicats recélant toujours quelques éléments troublants de Kinga Hajdú (1964) ou dans les tableaux centrés chaque fois sur un seul motif élaboré avec une gamme de couleurs réduite de Kata Káldi (1971). Les aquarelles riches en couleurs de Mária Chilf*, de Zsuzsa Mojzer (1979) et de Dorottya Szabó (1975) représentent des têtes d’enfants, des paysages surréels, des accouplements d’objets ou des scènes absurdes, tandis que Kamilla Szíj* emploie des procédés graphiques pour construire sur d’immenses papiers des tissures de lignes évoquant parfois des objets.
Erzsébet TATAI
■ ANDRÁS E., ANDRÁSI G. (dir.), Vízpróüba/Water Ordeal, Budapest, Óbudai Társaskör, 1995 ; KESERŰ K. (dir.), Women’s Art in Hungary, 1960-2000 (catalogue d’exposition), Budapest, Ernst Múzeum, 2000.
HONGRIE – CULTURE UNDERGROUND [XXe-XXIe siècle]
S’il est difficile de synthétiser tous les courants nouveaux – les femmes jouant un rôle polyvalent dans le mouvement underground hongrois –, trois représentantes des plus importantes se démarquent.
Kriszta Nagy*, dite Tereskova, artiste pluridisciplinaire. Chanteuse et fondatrice du groupe Tereskova, elle est la figure de proue de la version hongroise du mouvement musical punk féminin Riot grrrl, né aux États-Unis dans les années 1990 et lié à la troisième vague du féminisme. Elle est la première artiste reconnue de l’underground musical, domaine essentiellement réservé aux hommes. Ses paroles franches, volontiers provocantes et obscènes, ses chansons proclamant avec un humour sarcastique un désir ardent de liberté interpellent avec force le public. Une attitude analogue préside à ses créations dans les beaux-arts. Chacune de ses créations peut être considérée comme une performance conceptuelle, où texte et image livrent une vision subversive du corps féminin. Cette même expressivité caractérise aussi son univers mélodique, qui dialogue avec ses créations visuelles. Les banalités quotidiennes et les bribes de pensées provocantes exprimées sur l’écran ou les photos font écho à la franchise subversive et spirituelle des chansons, où la mise en évidence de l’autoréflexion place l’auditeur ou le spectateur dans une position de voyeur. K. Nagy affectionne les formules choc, ne recule pas devant le scandale, assume alternativement plusieurs « rôles » féminins. Elle se délecte à composer des paroles de chansons susceptibles de soulever l’indignation. Il suffit de citer la chanson Illatos a pinám (« mon con sent bon »), où elle blâme les hommes incapables de tenir compte du principe de plaisir autonome gouvernant la sexualité féminine.
Kati Rácz (Budapest 1960), chanteuse la plus en vue du jazz et du funk depuis près d’une trentaine d’années, commence sa carrière à 18 ans. Après des études de piano classique et jazz au Conservatoire de Budapest, elle rencontre Stefi Ákos, qui devient sa professeure de chant. Reine incontestée des chanteuses de jazz hongroises, K. Rácz « à la voix noire » s’est longtemps produite avec Zsuzsa Cserháti (1948) au Moulin-Rouge, célèbre boîte de nuit de Budapest, et a été avec celle-ci l’une des premières à obtenir le prix de la Lyre, distinction des plus prestigieuses. En 1995, elle donne un concert au festival Tyykijazz (Forssa, Finlande), où elle obtient le Grand Prix. Durant trois ans rédactrice et présentatrice pour Radio C, seule station de radiodiffusion rom émettant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle anime des talk-shows avec des centaines d’invités de renom. Elle est l’hôte régulière des manifestations du défilé Fierté gay, organisé chaque année depuis 1995. En 2004, elle crée son propre groupe d’accompagnement sous le nom Rácz Kati és Triója (« Kati Rácz et son trio »), auquel succède en 2007 Rácz Kati és a Flush.
Bea Palya (Bag 1976), interprète polyvalente de la musique folklorique hongroise et internationale, née dans un petit village près de Budapest, rejoint dès son enfance l’ensemble de danse folklorique local. Diplômée en ethnographie de l’université de Budapest en 2002, elle est d’abord chanteuse du groupe folklorique Zurgó, puis fonde avec András Monori le groupe de musique folklorique internationale Folkestra. Boursière de l’Institut français de Budapest en 2002, elle devient l’élève, à Paris, de la chanteuse indienne Kakoli Sengupta. De retour en Hongrie, elle se produit comme soliste et est accompagnée dès 2005 de son propre groupe, Palya Bea Quintet. Elle interprète des chansons folkloriques hongroises, tsiganes et bulgares avec une instrumentation authentique, en y introduisant des éléments de jazz. En 2005, elle chante, sur la musique de Samu Gryllus, les poèmes aux accents frivoles de Psyché, poétesse du XIXe siècle inventée par Sándor Weöres, ce qui la promeut interprète la plus éminente de la poésie chantée. Son disque Adieu les complexes (2008) est classé parmi les 20 meilleures productions sur la liste du prestigieux World Music Charts Europe. Elle obtient son plus grand succès au Carnegie Hall (New York 2009), lors d’un concert organisé dans le cadre des Semaines de la culture hongroise. En 2007, Année européenne de l’égalité des chances, le gouvernement hongrois la nomme ambassadrice honoraire en reconnaissance de son travail d’ethnomusicologue et de ses performances artistiques inspirées par le legs musical des contrées les plus diverses du monde entier. Plusieurs prix lui ont été décernés.
Erzsébet BARÁT
■ TERESKOVA, UFO (OST), 1995 ; RÁCZ K., Rácz Kati, 1996 ; PALYA B., Ágról-ágra. Tradition in motion, 2003 ; Álom-álom, kitalálom, 2004 ; Egyszálének, 2009.
HONGRIE – ÉCRIVAINES [XVIe-XIXe siècle]
Les pionnières
Les guerres successives ayant ravagé les bibliothèques, peu de matériaux permettent d’évoquer les débuts de la littérature féminine en Hongrie. Parmi les traces qui subsistent, les copies des manuscrits latins rédigés et/ou copiés au début du XVIe siècle par Lea Ráskai, religieuse dominicaine d’origine aristocratique, à qui l’on doit notamment la transcription de la Légende de Marguerite (daté des années 1300). La première poétesse de langue hongroise connue est Kata Telegdy (1550-1599), dont la seule œuvre parvenue jusqu’à nous est une épître en vers de style Renaissance, avec des accents ironiques par rapport aux idylles pastorales. Les psautiers ont permis de sauvegarder des poèmes religieux, dont le plus connu et le plus riche est le recueil dit de Bornemisza contenant les textes de trois poétesses : Ilona Dóczi, Ágnes Massai et Sára Ládonyi.
La prose baroque de piété est largement représentée par des aristocrates, comme la baronne Erzsébet Révay (v. 1660-1732), qui a composé plusieurs recueils de prières manuscrits et probablement rédigé Siralmas beszélgetések (« conversations plaintives », 1703) ; son ton personnel la distingue de ses contemporaines. Autre poétesse remarquable de l’âge baroque, la baronne Anna Vay Zay (? -1733), que l’échec de la guerre d’indépendance, en 1711, force à s’exiler jusqu’en 1722 en Pologne, où elle vit dans une misère extrême. Ses œuvres n’ont été publiées qu’à titre posthume, notamment Nyomoruság oskolája (« l’école de la misère »), recueil qui s’intègre bien dans la tradition mélancolique des œuvres féminines d’inspiration autobiographique, et Herbarium : Orvos könyv (« livre de conseils médicaux traduit du tchèque »), qui nous sont parvenus sous forme de copies. Les poétesses sont toutes de grandes aristocrates qui cultivent une poésie courtoise suivant des modèles italiens, comme Erzsébet Rákóczi (1654-1707) ou Magdolna Esterházy (XVIe-XVIIe siècle). La plus importante, Kata Szidónia Petrőczy (1664-1708), à qui l’on doit 50 poèmes pleins d’amertume, pratiquait la prose de piété aussi bien que la poésie baroque.
Des exceptions intéressantes colorent ce tableau avant tout occupé par des femmes d’origine aristocratique et de milieux aisés de la bourgeoisie. On trouve ainsi des femmes d’origine rurale, voire des illettrées qui apprennent à écrire pour entrer en contact avec le monde littéraire, en évolution rapide dans la Hongrie du XVIIIe siècle. Le genre de la correspondance, et a fortiori la correspondance à tendance autobiographique, parfois même mise en vers, entrouvre une porte aux exclues de la vie culturelle. Celles qui savent profiter de cette possibilité peuvent obtenir non seulement un succès d’estime, mais gagner de l’argent avec leurs œuvres.
Les premières lettres étaient privées et n’affichaient aucune ambition esthétique, ni en prose, ni en vers. Néanmoins, les grandes dames qui écrivent à leurs maris, amis ou amants le font dans une langue raffinée et parfois même poétique. De leur côté, les poétesses chantent leurs peines, récitent leurs prières et racontent l’histoire de leur vie. Parmi les plus remarquables, la princesse Apafi II, Kata Bethlen (1678-1725), qui chante ses malheurs avec une ardeur biblique, et sa parente, autre Kata Bethlen, dite « l’Orpheline » (1700-1759), dont les prières (protestantes) rimées et le style d’une « rigidité brillante » ont marqué des générations de littérateurs. Vers le milieu et plus encore vers la fin du siècle, prolifèrent subitement des correspondances versifiées et apparaissent des recueils d’échanges épistolaires mis en vers qui établissent des contacts entre des femmes d’origines et de rangs sociaux fort dissemblables, qui souvent ne se connaissent pas et dont les liens restent exclusivement littéraires et philosophiques. On suppose, à l’origine, une volonté générale d’organiser la vie littéraire en vue de développer la littérature de langue nationale. Les écrits véhiculent de nouvelles idées ‑ d’indépendance nationale ou de vertus morales, de progrès social ou d’éducation, en particulier celle des femmes et des jeunes filles. Le mouvement est toujours dirigé par des hommes, mais les femmes revendiquent déjà la place qui leur revient sur la scène publique, le droit au bonheur et à l’épanouissement dans la vie privée. L’irruption d’un petit groupe de femmes venant de milieux sociaux très divers vers le tournant des XVIIIe et XIXe siècles et leur succès tant commercial (Borbála Molnár, 1760-1825) que littéraire (Judit Dukai Takách, 1795-1836) ne dénotent cependant pas une véritable émancipation littéraire et sociale des femmes, car le phénomène reste isolé et extraordinaire. La littérature offre alors un moyen puissant de surmonter la solitude féminine et de prêter voix au silence de la majorité. L’ambition de créer et de sortir de l’isolement du foyer n’est pas illusoire, même si la perspective d’une république des lettres mixte ne se réalisera qu’un siècle plus tard. Le mouvement se ralentira vite, mais ne disparaîtra plus jamais.
Des deux cercles féminins poétiques importants qui se sont constitués, le premier, dit « Hélicon », se forme autour de la poétesse B. Molnár, devenue très populaire ; le second, nommé « Hélicon de Göcsej » (1813-1821), nouveau forum littéraire où les femmes peuvent prendre la parole, naît autour d’Ádám Pálóczi Horváth. Outre les poétesses Klára Kazinczy (dite elle aussi « l’Orpheline »), Teréz Dótzi ou les sœurs Tuboly, la figure principale et le plus grand talent poétique en est sans aucun doute J. Dukai Takách (Malvina, en poésie). Plusieurs hommes, dont Gvadányi et Pálóczi Horváth, ont joué un rôle de protecteur « patriarcal » dans la formation de ces premiers clubs féminins.
La riche aristocrate Krisztina Ujfalvi (1761-1818), faisant abstraction des différences sociales, prend l’initiative d’écrire à l’auteure à succès qu’est la roturière B. Molnár, et de lui proposer des publications communes. Elle possède un talent poétique plus puissant que son modèle et nourrit des ambitions féministes sans pouvoir développer un mouvement quelconque. Julianna Fábián (1765-1810), couturière et femme de cordonnier, apporte une nouvelle couleur à la palette des personnages : son salon littéraire (et maison de rendez-vous, dit-on) était fréquenté par les meilleurs poètes de l’époque (dont Csokonai Vitéz) comme par une sage femme nommée Klára Vályi, qui pouvait correspondre avec eux tout comme la maîtresse de maison, nouvelle « parvenue » de la littérature.
Les précurseurs ayant préparé le terrain et l’évolution économique favorisant les activités culturelles, le XIXe siècle verra une véritable floraison de la poésie et de la prose féminines ainsi que l’apparition de figures étranges comme Sarolta Vay*, entre autres. Avec des intervalles et des pauses, on pourra dès lors néanmoins parler d’un âge d’or de la littérature féminine en Hongrie.
Ilona KOVÁCS
L’activité littéraire des femmes au XIXe siècle se dessine autour des querelles sur le droit des femmes à s’exprimer en littérature. Éva Takács (1779-1845), issue d’une grande famille aristocrate, mère de six enfants et tenant un salon littéraire, est une des premières femmes à soulever publiquement les problèmes matériels et existentiels des femmes célibataires ainsi que ceux de l’éducation des femmes (1823). Elle provoque un débat sur le droit des femmes à écrire des critiques, s’oppose à la conception conservatrice selon laquelle les femmes écrivaines et savantes négligent leur famille, revendique une égalité des droits et des obligations politiques et civils entre les deux sexes. Dans les années 1820, ses écrits sur ce sujet sont publiés sans réserve, avec plus de réticence à partir de 1827. Le rôle des femmes dans la littérature est pourtant primordial à cette époque : le lectorat féminin est germanophone, écrit et lit mal en hongrois, et les femmes écrivant dans la langue nationale contribuent donc à l’éducation linguistique, objectif premier des écoles nouvellement fondées.
Teréz Karács (1808-1892), la fille d’Éva, consacre toute sa vie à la cause de l’éducation des femmes. Ses œuvres enseignent notamment à ses contemporaines l’importance du choix délibéré d’un mari. Polixéna Wesselényi (1801-1878) est considérée comme la première auteure féminine hongroise à cultiver le récit de voyage ; Olaszhoni és schweizi utazás (« voyage en Italie et en Suisse », 1842) est aussi le premier ouvrage romantique féminin. Elle est alors fort critiquée pour son style « nonchalant », aujourd’hui considéré comme vivant et spontané. En 1847, la gazette Életképek (« genres ») commence à publier le journal intime de Júlia Szendrey (1828-1868), femme et muse du poète Sándor Petőfi, qui fait paraître la même année une pièce de théâtre, Ábrándképek (« rêveries »), où elle revendique le droit des femmes à l’amour et à l’autonomie. S. Petőfi, malgré son opposition à l’activité politique des femmes, suggère aux rédacteurs de la revue d’ouvrir une nouvelle rubrique appelée Hölgyszalon (« salon des dames ») qui serait réservée aux femmes poètes et écrivains. Les revues littéraires, comme Pesti Divatlap (« magazine de mode de Pest) vont souvent plus loin et deviennent les porte-parole de la liberté et de l’égalité juridiques, politiques et morales des femmes.
Si dans la première moitié du XIXe siècle, les romancières et les poétesses apparaissent plutôt sporadiquement, après 1849 les jeunes femmes ambitieuses – de jeunes épouses d’intellectuels et d’écrivains, exceptionnellement des célibataires ‑ cherchent et trouvent leur place dans la littérature hongroise. Les poèmes au ton authentiquement féminin assumé de Flóra Majthényi (1837-1915), Malvina Tarnóczy (1843-1917) ou Atala Kisfaludy (1836-1911), entre autres, sont accueillis favorablement par la critique. Deux anthologies rédigées par deux poètes témoignent du talent des femmes écrivains : le recueil Nemzeti hárfa (« harpe nationale », 1862), rassemblant les poésies de 27 femmes, et Hölgyek lantja (« luth des dames », 1864).
Emília Kánya (1830-1905), rédactrice du Családi Kör (« cercle de famille »), contribue également au débat sur le droit des femmes à l’écriture dans son étude Néhány szó a nőnem érdekében (« quelques mots en faveur des femmes », 1863). Première rédactrice en chef hongroise, célibataire, vivant de son travail, elle défend la cause de la liberté d’emploi des femmes. Son entreprise sera suivie par d’autres rédactrices : Mária Csapó (1830-1896) se voit cependant refuser, pour raisons politiques, l’autorisation de fonder Képes családi lap (« revue de famille »), tandis qu’Irma Beniczky (1828-1902), auteure populaire d’Egy emancipált nő (« une femme émancipée », 1865), travaille successivement à la tête de cinq journaux féminins.
Vers 1850, une vague d’immigrés arrive à Paris. La comtesse Emma Teleki (1815-1893) accueille les intellectuels de l’immigration hongroise dans son salon fréquenté par de célèbres écrivains français, dont Michelet, et s’occupe en même temps de l’éducation de ses enfants, pour qui elle rédige, entre 1851 et 1859, Attila és Antónia könyvei (« les livres d’Attila et Antónia »).
Anikō ÁDÁM
HONGRIE – ÉCRIVAINES [XXe-XXIe siècle]
Depuis le début du siècle, malgré le nombre d’écrivaines hongroises et l’abondance de leur production, l’étude de la littérature féminine ne commence que dans les années 1990, et la seule écrivaine officiellement reconnue est Margit Kaffka (1880-1918), une des créatrices du roman moderne. À partir des années 1950, les communistes font bannir des bibliothèques publiques les œuvres de la plupart des écrivaines populaires avant la Seconde Guerre mondiale, et interdisent leur réimpression ; c’est ainsi que la tétralogie romanesque historique féministe de Lola Kosáryné Réz* a pu échapper à l’attention des historiens de la littérature. La politique culturelle officielle popularise fortement les œuvres des écrivaines de gauche, notamment celles de la poétesse pacifiste et antifasciste Zseni Várnai (1890-1981) ou d’Erzsi Újvári (1899-1940), qui avait fait siennes les orientations poétiques de l’avant-garde française. Cependant, la critique littéraire, dans l’ensemble demeurée patriarcale, n’a pas non plus apprécié la littérature féminine à sa juste valeur.
La plupart des écrivaines de l’avant-guerre sont issues de familles de propriétaires terriens moyens – comme Szefi Bohuniczky*, Cécile Tormay (1876-1937) ou Julianna Zsigray (1903-1987) –, les autres appartenant aux couches inférieures de la classe moyenne, comme Gizella Dapsy (1885-1940), familière des cercles de poètes les plus modernes et auteure de poésies conventionnelles sous le nom de Nil, ou Ilona Unger (dite Alba Nevi, 1886), qui publie des poèmes érotiques. Certaines viennent de familles de grands propriétaires, telles Minka Czóbel (1855-1947) et Anna Lesznai (1885-1966), ou de la haute aristocratie : la comtesse Teleki (1864-1937), membre actif de la Société des féministes créée en 1904 et fondatrice du Cercle des écrivaines hongroises (1924), publiant sous le nom de Szikra (« étincelle »). Les écrivaines issues de l’intelligentsia ou de la bourgeoisie (Mária Berde*, une des plus grandes figures de la littérature hongroise de Transylvanie ; L. Kosáryné Réz, écrivaine régionaliste) sont peu nombreuses ; encore plus rares, celles originaires de milieux pauvres, comme Renée Erdős*, d’une famille de paysans juifs orthodoxes, ou Gizella Mollináry (1896-1978), fille illégitime d’un Italien élevée par l’Assistance publique, auteure d’un roman-fleuve d’inspiration autobiographique très populaire.
Sur le plan de la forme, la plupart des poétesses de l’époque restent fidèles aux formes conventionnelles : l’œuvre de M. Czóbel, des poèmes en vers libres, est demeurée sans écho. Les premières années du siècle ont pourtant vu la parution de poésies verlainiennes de Jutka Miklós* ; les années 1910, les poèmes en vers libres de M. Kaffka et les poèmes en prose de coloration surréaliste et futuriste d’E. Újvári ; les années 1920, les calligrammes d’Ida Urr (1904-1989) inspirés d’Apollinaire ou les haïkus de Lilla Wagner (1903-1978). Rejetant les valeurs patriarcales, certaines poétesses abordent la sexualité féminine avec de plus en plus d’ouverture. R. Erdős, A. Lesznai et Anna Hajnal (1907-1978) contribuent au renouvellement du langage jusqu’alors généralement allusif de la poésie amoureuse, mais il faudra attendre 1989 pour que les poèmes décrivant des actes sexuels de Sophie Török (1895-1955) puissent être imprimés. Les thèmes féminins se développent : Erzsi Szenes (1902-1981) représente ironiquement le ménage à trois, Boris Palotai (1904-1983) parle de la grossesse et de l’accouchement, Nil (1883-1940), de la stérilité, Méda Nagy (1899-1984), du vieillissement du corps féminin.
Si les poétesses se situent plutôt du côté de la modernité formelle et du progressisme, les romancières – dont M. Kaffka et M. Nagy, qui se disent ouvertement féministes – restent fidèles à la tradition du roman réaliste du XIXe siècle. La prose féminine de l’époque n’échappe pas aux valeurs patriarcales : les romans didactiques pour jeunes filles, dont la série « Cilike » d’Anna Tutsek*, propagent les normes et les règles assurant le maintien du pouvoir masculin. D’autres tentent de réexaminer les rapports entre l’homme et la femme : Lili Bródy (1906-1962) met en scène le personnage de la Môme, jeune adolescente délurée ; les héroïnes des romans sociaux de la journaliste populaire Anna Szederkényi (1882-1948) et de J. Zsigray essaient de voler de leurs propres ailes avant d’accepter la domination des hommes : elles leur demandent seulement davantage d’équité et de compréhension. Quant au théâtre, peu de femmes s’y consacrent durant la première moitié du siècle. Toutefois une pièce d’A. Szederkényi (1911) mettant en lumière les problèmes de la sexualité adolescente a suscité de violents débats.
Judit KÁDÁR
Le dogme de l’égalité sociale maintient en vigueur la conception patriarcale de la littérature. Comme dans les autres pays est-européens de la zone d’influence soviétique, les mouvements pour les droits de l’homme et les mouvements féministes sont quasi absents en Hongrie. La conception officielle de la littérature du « socialisme réel » identifie automatiquement la notion d’auteur avec celle d’homme. L’interprétation et l’appréciation des faits littéraires sont de même placées sous le signe d’un ordre de valeurs exclusivement masculin. Les femmes auteures ne peuvent que constituer des exceptions. Même les plus estimées, dont Ágnes Nemes Nagy*, Erzsébet Galgóczi* ou Magda Szabó*, ne bénéficient pas d’un statut littéraire égal à celui de leurs contemporains masculins, et l’aspect féminin très prononcé de leur œuvre est ignoré par la critique officielle, sourde à toute représentation littéraire des vies, des relations et des expériences féminines. La politique littéraire communiste empêche ainsi la constitution d’une tradition littéraire féminine, voire d’une tendance littéraire féministe. Comme l’ont souligné des écrivaines (Kriszta Bódis*, Zsuzsa Bruria Forgács*, Agáta Gordon*, Noémi Kiss*) qui ont violemment critiqué la misogynie de la tradition littéraire hongroise, les programmes de littérature dans l’enseignement secondaire et supérieur comprennent presque exclusivement des auteurs hommes. C’est donc hors des cadres de l’enseignement officiel de la littérature que les auteurs femmes de l’ère postcommuniste découvrent la littérature féminine et féministe.
Le changement de régime politique et le démantèlement du rideau de fer déclenchent automatiquement la libéralisation de la vie culturelle, la révision de la politique littéraire et de la conception de la littérature. Par le truchement des départements universitaires de littératures et de cultures occidentales, les idées des théoriciennes et des critiques féministes occidentales connaissent une certaine diffusion en Hongrie à partir des années 1990. Cependant les autorités de la vie culturelle, attachées au maintien de l’ordre des valeurs héritées du passé, présentent les approches féminines et féministes de la littérature comme « antilittéraires » et « antiscientifiques ». Cela provoque un vif débat sur la légitimité de l’approche féministe de la littérature, auquel le prestigieux hebdomadaire Élet és irodalom (« vie et littérature ») va servir de forum principal.
Le tournant du millénaire voit apparaître une nouvelle génération d’écrivaines qui critiquent ouvertement le système normatif imbu de préjugés. Elles optent pour des optiques et des sujets féminins afin d’ouvrir la vie littéraire hongroise à une esthétique féministe et de revendiquer des droits égaux pour les femmes dans le domaine de l’autorat. Irodalmi Centrifuga (« centrifugeuse littéraire »), association artistique et civique interculturelle féministe fondée par A. Gordon en 2004, organise à cette intention conférences et manifestations littéraires et artistiques et offre un site Internet à la disposition des auteurs féministes.
La question de la légitimité d’une approche féministe de la littérature est soulevée en 2003, à la suite d’une critique publiée par l’écrivain de renom Gábor Németh, qui met en cause, sur un ton sarcastique, la raison d’être d’une anthologie d’études critiques écrite exclusivement par des femmes sur les œuvres d’auteurs hommes contemporains. L’accueil réservé à Éjszakai állatkert. Antológia a női szexualitásról (« zoo de nuit. Anthologie sur la sexualité féminine », 2005) reflète également la remise en cause de la valeur littéraire de la littérature féminine et la confirmation tacite du statut secondaire des auteurs femmes. Pourtant, Éjszakai állatkert représente une avancée certaine : cette anthologie est unique dans l’histoire de la littérature hongroise dans la mesure où elle contient les écrits de 33 femmes sur l’expérience de la corporéité féminine. Les rédactrices (Z. B. Forgács, A. Gordon et K. Bódis) ont suivi ouvertement des principes féministes à visées politiques pour donner aux auteures plus de visibilité dans la vie culturelle hongroise. Bien que la plupart des critiques aient contesté la valeur littéraire de l’anthologie, Éjszakai állatkert est devenu un succès de librairie et ses auteures se sont fait largement connaître.
L’autorat féminin demeure néanmoins contesté, comme cela ressort du scandale suscité par la parution en 2006 de Trans, recueil de nouvelles de N. Kiss : les rédacteurs de la revue Élet és irodalom refusent de publier l’article de Z. B. Forgács réagissant à une critique misogyne parue dans l’hebdomadaire. Néanmoins celle-ci rend public son article et sa correspondance électronique avec la rédaction de la revue par le biais d’une installation présentée lors d’une soirée littéraire. La présence littéraire des femmes est renforcée par la publication en 2007 de Szomjas oázis. Antológia a női testről (« la soif de l’oasis. Anthologie du corps féminin »), dont la réception critique témoigne d’une plus grande ouverture d’esprit de la critique littéraire. Cette évolution est due aussi, outre la présence active des auteures elles-mêmes, aux progrès de la critique littéraire féministe et des études féministes dans l’enseignement supérieur, la théorie littéraire et les périodiques.
Andrea P. BALOGH
HONGRIE – PÉDAGOGUES [XIXe-XXe siècle]
Malgré l’opposition de certains hommes politiques, les femmes prennent en main très rapidement tous les moyens pour faire évoluer l’enseignement des filles en Hongrie. Aristocrates et grandes bourgeoises possèdent la vaste culture et les ressources nécessaires pour tenir des salons et fonder des institutions. Soit par foi religieuse, soit par conviction patriotique, des femmes zélées, soutenues par quelques hommes perspicaces, se tournent vers la question de l’éducation des enfants et des jeunes filles. Elles contribuent à la formation linguistique et artistique des adolescents en écrivant des manuels et en publiant des articles sur des questions pédagogiques. La formation des institutrices s’impose en même temps que s’ouvrent les premières écoles maternelles (1828). Le métier d’enseignante est alors la première occasion pour une femme de s’émanciper et de devenir autonome financièrement ; la question de l’égale rémunération des hommes et des femmes dans les écoles est abordée pour la première fois lors de la révolution de 1848. Au tournant des XIXe et XXe siècles, savoir si les enseignantes doivent ou non se marier, alors qu’elles ont à se consacrer en priorité aux élèves, suscite une vive querelle. Le dilemme entre vie professionnelle et vie familiale n’est toujours pas résolu.
La comtesse Teréz Brunszvik (1775-1861) vit d’abord en Hongrie, puis en Autriche et en Suisse où elle fait la connaissance de Johann Heinrich Pestalozzi et de sa pédagogie. Elle s’engage à éduquer les enfants de son frère en Bohême, puis retourne à Buda en 1828, où elle organise l’École d’industrie et la première école maternelle de l’Empire austro-hongrois, nommée « Jardin d’anges ». Elle fonde en 1829 une école pour l’instruction des bonnes et en 1836 une association pour la publicité et la diffusion des écoles maternelles ; elle en inaugure encore onze. Avec sa nièce, Blanka Teleki (1806-1862), elle fonde le premier institut d’éducation féminine. B. Teleki, partisane de l’éducation et de l’égalité des femmes, naît dans une famille aristocratique de Transylvanie. Elle étudie l’art à Munich, à Paris et à Budapest, mais sa carrière sera influencée par sa tante, la pédagogue Teréz Brunszvik, qui l’emmène en voyage dans les pays étrangers. Elle choisit de se consacrer à éduquer les femmes : en 1846, elle ouvre un institut pour filles en langue hongroise ‑ entreprise exceptionnelle à l’époque. Après l’échec de la guerre d’indépendance, elle sera condamnée pour ses écrits à dix ans de prison (à Kufstein). Après avoir été amnistiée en 1857, elle vit en Autriche et en France où elle porte secours aux réfugiés politiques. Amália Bezerédj (1804-1837), institutrice de petits enfants, reçoit une excellente éducation, parle plusieurs langues, joue du piano, chante, danse, peint, mais est surtout passionnée de littérature. Son mari, István Bezerédj, l’aide dans son travail pédagogique. Ils ont une fille en 1834 et s’intéressent vivement aux tendances pédagogiques de l’époque, aux livres de Pestalozzi et de Samuel Wilderspin, ainsi qu’aux premières écoles maternelles anglaises. Ils correspondent avec T. Brunszvik sur les problèmes pratiques de l’organisation des écoles maternelles. A. Bezerédj écrit un livre adressé à sa fille Flóriana : Flóri könyve (« le livre de Flóri »), plus tard utilisé comme manuel d’instruction pour les enfants. Le couple fonde dans leur domaine la treizième école maternelle qui accueille les enfants des paysans du village.
Mme Pál Veres (1815-1895), fondatrice de la première école pour femmes en Hongrie, propose en 1867 de créer une association pour soutenir la cause de l’éducation des femmes. À son initiative sera fondée en 1868 l’Association nationale de la formation des femmes avec pour devise : « Progressons ! » La pédagogue et écrivaine Klára Leövey (1821-1897) reçoit une très bonne éducation artistique. À partir de 1846, elle est institutrice dans l’école fondée par B. Teleki. Comme cette dernière, elle sera condamnée, pour ses idées et publications progressistes, à cinq ans de prison après la guerre d’indépendance. Après sa libération, elle est l’éducatrice de la fille de son cousin Gábor Várady, qui accueille dans sa maison dix autres fillettes. Il fonde ainsi un petit institut qui sera à l’origine de l’Institut national pour jeunes filles, créé avec le soutien de l’Association des femmes. À la fin de sa vie, K. Leövey vit avec la famille de Gerando à Paris et s’occupe de l’éducation d’enfants français. Antónia de Gerando (1845-1914), pédagogue et écrivaine, est élevée à Paris où elle obtient son diplôme d’institutrice. Elle vit en Hongrie à partir de 1872, enseigne à l’institut de l’Association des femmes et à l’École d’industrie et est préceptrice dans des familles de la noblesse. À partir de 1880, elle est chargée de la direction de l’École supérieure pour filles à Kolozsvár (auj. Cluj-Napoca, Roumanie). Elle publie des articles sur l’éducation des jeunes filles et traduit en français le grand roman de Mór Jókai Les Trois Fils de Cœur-de-Pierre. Valéria Dienes*, pédagogue de la danse, obtient d’abord un diplôme d’institutrice, puis un doctorat en philosophie. Première professeure universitaire hongroise, elle publie des essais psychologiques et philosophiques, s’intéresse à la sémiotique des mouvements humains ainsi qu’à la chorégraphie gestuelle. Elle élabore une méthode, fondée sur un art du mouvement appelé orchestika (« orchestique ») qui aide, grâce à la danse, au développement harmonieux du corps. Elle fonde à Budapest en 1915 son école, Orchestika, qu’elle dirige jusqu’en 1944. Blanka Péchy (1894-1988), actrice et écrivaine hongroise, met en rapport l’art et la pédagogie. Elle se produit d’abord au Théâtre national (1913-1914), et après avoir obtenu son diplôme à l’Académie des arts scéniques devient successivement membre de presque toutes les compagnies théâtrales de Hongrie. Elle mène une activité littéraire à partir de 1942 et, entre 1948 et 1951, est conseillère culturelle de l’ambassade de Hongrie à Vienne et directrice du Collegium hungaricum. Elle fonde le prix Kazinczy attribué pour le bon usage de la langue hongroise en 1962 et enseigne à partir de cette même année la diction théâtrale à l’Académie de musique de Budapest. Retirée de la scène, elle dirige et anime des émissions sur la langue à la radio. Flóra Kozmutza (1905-1995) enseigne dès 1934 à l’École normale de pédagogie médicale, qu’elle dirige de 1972 jusqu’à sa retraite. Elle publie des essais sur des questions de psychologie et de pédagogie médicale.
Anikō ÁDÁM
HONGRIE – PHOTOGRAPHES [XXe-XXIe siècle]
Vingt ans après la présentation du premier daguerréotype, une femme ouvre son propre atelier. À partir des années 1880, les studios de photographie se multiplient, le nombre des femmes qui y travaillent augmente. Issues principalement de familles en voie d’ascension sociale, elles tentent de réussir en exerçant le métier mi-artistique, mi-artisanal de photographe, non seulement par nécessité, mais pour acquérir indépendance et liberté d’expression et de décision.
Sous la monarchie austro-hongroise, les femmes devaient faire leur formation dans les écoles privées de Berlin, Hambourg, Munich, Paris ou Vienne. Certaines, dont Olga Máté*, ont étudié en Allemagne chez de grands maîtres comme Dührkoop, Perscheid ou Erfurth.
L’évolution du statut social des femmes change l’image traditionnelle qui leur était attachée et influe grandement sur la nouvelle génération, qui tente de conquérir les domaines où elles sont encore minoritaires, comme la photographie. L’exemple des femmes qui ont déjà réussi et l’estime dont jouit leur travail jouent un rôle déterminant dans ce choix.
Si la première génération (1840-1890) a rencontré des difficultés pour se former, la deuxième (entre 1890 et 1919) se voit offrir davantage de lieux d’apprentissage et de possibilités de réussite. L’Exposition internationale de photographie organisée à Budapest en 1910, avec des milliers de photos venant de 12 pays, marque un tournant pour de nombreuses photographes hongroises comme O. Máté ou Erzsi Gaiduschek (1875-1956), qui peuvent désormais se mesurer aux plus grands, en Hongrie comme à l’étranger. Cette manifestation a encouragé la photographie d’art et contribué au développement de la tendance pictorialiste, caractérisée par des portraits et des nus à contours doux, un peu flous, et la technique d’estompage. Si dans les années 1920, ce style a inspiré des œuvres importantes à des photographes comme O. Máté (qui a ainsi photographié les disciples hongroises d’Isadora Duncan*), Ilka Révai*, Ergy Landau* ou Irén Werner (1890-1970), toutes les tendances des beaux-arts influencent aussi la photographie : les préceptes de la Nouvelle Vision ou de l’école du Bauhaus se retrouvent dans les œuvres d’Irén Blüh*, de Teréz Bergmann (1904), de Judit Kárász* et d’Éva Besnyő *(1910-2003) notamment.
Cependant, 1920 voit l’entrée en vigueur du numerus clausus appliqué aux Juifs, loi qui restreint également l’accès pour les femmes aux études supérieures et entraîne une vague d’émigration : E. Landau, Jutka Miklós, I. Révai, Rogi André, Nora Dumas (1890-1979), Ylla, É. Besnyő vont poursuivre leurs activités à l’étranger, notamment en France et ce pendant toute la période de l’entre-deux-guerres. L’attrait excercé par Paris sur les artistes hongrois (par exemple, les photographes André Kertész, Lucien Hervé ou Brassaï) depuis longtemps très vivace l’est encore davantage pour des femmes qui espèrent s’épanouir dans la capitale après avoir dû fuir la Hongrie. E. Landau s’y installe à partir de 1923 ; elle aménage un atelier fréquenté par les membres de l’émigration hongroise, artistes, écrivains, politiciens, et qui devient un lieu de rencontres du monde artistique franco-hongrois. J. Miklós (1884-1976), après des études au début des années 1920 aux États-Unis, ouvre aussi un atelier à Paris. R. André (1900-1970) arrive à 20 ans à Paris où elle fait la connaissance d’A. Kertész, qu’elle épouse en 1928. N. Dumas (1890) devient l’assistante de E. Landau en 1928, se consacre à l’étude de la vie rurale en Île-de-France. Ylla (1911-1955) arrive à Paris en 1931 et commence l’année suivante à travailler comme retoucheuse dans l’atelier de E. Landau, puis devient photographe indépendante.
Jusqu’en 1920, les femmes « décoratives », élégantes, sont au centre du portrait, mais l’image de la femme se modifie peu à peu. Dans les années 1920-1930, de nombreuses femmes pratiquent déjà la photographie de publicité, de nature morte, de ville, d’architecture et le photojournalisme, comme O. Máté, J. Laub et Márta Aczél (1909-1997). Elles soignent leurs éclairages et présentent des femmes modernes, libérées – J. Laub, Marian Reismann*, Jolán Vadas (1910-1973), Márta Rédner (1909-1991), Ella Wellesz (1910 -1945), Klára Wachter (1905). Les jeunes filles douées d’ambitions artistiques des familles aisées fréquentent les écoles privées où l’on enseigne l’expression corporelle, la danse, les arts appliqués, l’histoire de l’art, la photographie. Après avoir appris la danse et la peinture, certaines, comme Kata Kálmán*, Kata Sugár*, Rosie Ney (1897-1972), Klára Langer*, choisissent un terrain tout différent : la sociophototographie, un art qui « n’a rien à voir avec la commisération devant la misère » (Iván Hevesy, 1934). Elles s’engagent à gauche pendant la crise économique, au début des années 1930, et photographient paysans pauvres, chômeurs et mendiants, gens de la rue et exclus. Dans le cercle de la photographie d’ouvrier (Arbeiterphotograph) menée par l’artiste d’avant-garde Lajos Kassák (avec T. Bergmann et Anna Schmidt) et de la revue Sarló (« faucille »), l’activité des femmes photographes (R. Ney, I. Blüh, J. Kárász) est remarquable. Leurs clichés sont présentés dans les expositions, publiés dans des journaux et des livres. Le plus grand succès est réservé à l’album Tiborc (1937), de K. Kálmán.
La fin des années 1930 donne lieu à une nouvelle vague d’émigration des artistes d’origine juive et affecte la génération très douée des femmes photographes. M. Reismann, restée à Budapest où elle a ouvert un atelier en 1934, vit les dernières années de la guerre dans la clandestinité. Elle constitue un pont entre deux générations, ayant formé des jeunes comme K. Langer et K. Sugár. Katalin Mannheim fait figure d’exception en gérant une agence de photo dans la première moitié des années 1940.
À partir de 1945 commence une période de création intense, mais sur laquelle s’exerce déjà la pression de l’idéologie socialiste. Beaucoup de femmes participent à la réorganisation du métier de photographe et à la création de l’Association des photographes hongrois – K. Langer, Erzsébet Zinner (1909-1977), M. Reismann, K. Kálmán, M. Rédner, par exemple. Dans les années 1950, l’avant-garde et le photoreportage, qui essaient de donner une vue objective de la réalité, sont relégués à l’arrière-plan. La fin des années 1960 voit naître des expériences et les débuts de la photo non figurative, mais les genres traditionnels – portrait, nature morte, paysage – dominent encore. Dans la photo documentaire, la sociophotographie et le reportage, la création visuelle reste traditionnelle tandis que le choix du sujet joue un rôle de plus en plus important. Des photographes comme Irén Ács*, Éva Keleti* et Edit Molnár* font leur apprentissage dans les grands laboratoires et à Firme Photo, avant de réaliser des reportages pour la presse et l’agence de presse hongroise MTI. Elles figurent parmi les meilleures représentantes de la photographie de théâtre, avec leurs portraits d’écrivains et d’artistes exclus par la politique culturelle. Elles rendent également compte des événements politiques.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, apparaît la photographie conceptuelle avec diverses tendances liées à l’art d’avant-garde. Dóra Maurer* produit des séquences, des photogrammes : grâce à la lumière et avec des moyens réduits, elle documente chaque série du processus expérimental, étudie les mouvements minimaux. Dans les années 1980, Lenke Szilágyi* oriente sa pratique vers le social : elle photographie des marginaux – écrivains et intellectuels non reconnus, mais tolérés, pauvres, malades – et réalise des compositions étranges, imprégnées d’une atmosphère surréelle, sur la culture underground hongroise, donnant à des sujets quotidiens une dimension lyrique.
En Hongrie, les recherches sur le rôle des femmes artistes n’ont commencé que dans les années 1990, et l’histoire de la photographie hongroise contemporaine est loin d’être achevée. On peut néanmoins affirmer que les mutations de l’identité féminine, les nouveaux rôles de la femme dans la société, l’autoreprésentation et la représentation des marginaux sont parmi les thèmes chers à la nouvelle génération, où se distinguent, entre autres, Gabriella Csoszó (1969), Luca Göbölyös (1969), Judit Elek (1937), Anna Fabricius (1980), Zsuzsa Kemenesi (1971), Lilla Szász (1977).
Csilla CSORBA
■ BOUQUERET C., Les Femmes photographes de la Nouvelle Vision en France 1920-1940 (catalogue d’exposition), Paris, Marval, 1998 ; CSORBA C., Magyar fotográfusnők, 1900-1945, Budapest, Enciklopédia, 2001.
HONGRIE – PREMIÈRES ENSEIGNANTES ET CHERCHEUSES [XIXe-XXe siècle]
L’entrée des femmes dans les écoles et les universités hongroises correspond à un projet de formation des enseignantes lancé en 1843 lors du Congrès œcuménique de l’enseignement. Auparavant, la formation était dispensée par des institutions religieuses où le niveau n’était pas très élevé. Une réforme des écoles normales, qui pouvaient assurer l’instruction générale des femmes, paraissait nécessaire. Celles qui s’investissent dans la pratique des sciences sont issues de familles aristocratiques, qui dispensaient à leurs filles une éducation. Souvent influencées, plus tard, par leur mari, pour la plupart scientifiques, écrivains ou artistes, ces femmes talentueuses, énergiques et cultivées sont néanmoins exclues pendant longtemps des milieux intellectuels et artistiques. Elles sont aussi écartées des universités jusqu’au tournant des XIXe et XXe siècles, et les premières étudiantes en lettres, en médecine et en pharmacie s’inscrivent à l’université de Budapest en 1896.
Cependant, entre 1914 et 1918, les hommes étant à la guerre, l’effectif des étudiantes double. En 1926, le Parlement hongrois instaure la loi qui admet l’égalité de la formation des hommes et des femmes dans les écoles secondaires : les baccalauréats ont désormais la même valeur et ouvrent aux deux sexes l’entrée à l’université. Bien que le nombre des étudiantes augmente, on trouve peu de femmes diplômées dans le domaine des sciences. Celles qui s’y présentent pratiquent des « sciences viriles » : archéologie, mathématiques, physique, architecture. Progressivement, elles dépassent le statut d’élèves et deviennent enseignantes et chercheuses dans des disciplines très variées. Pourtant, si l’effectif des femmes reste considérable aux grades inférieurs, elles sont peu présentes dans les postes universitaires et scientifiques. L’année académique 1937-1938 ne compte que deux professeures d’université.
Même si la tradition veut que l’entretien du foyer et l’éducation des enfants soient des tâches spécifiquement féminines, on trouve en Hongrie des couples où mari et femme travaillent ensemble, en partenaires égaux. Une des premières femmes savantes, Zsófia Torma (1831-1899), archéologue appartenant à une famille d’historiens et d’archéologues, obtient son diplôme universitaire d’archéologie en 1899, avec l’autorisation exceptionnelle du roi. Encouragée à entreprendre des fouilles dans le chantier de Tordos, on lui doit la découverte de fragments de poterie sur lesquels les caractères d’écriture attesteraient d’une présence humaine dans le bassin des Carpates depuis près de huit mille à neuf mille ans.
Valéria Dienes* (1879-1978), philosophe, pédagogue de la danse, première professeure universitaire du pays, obtient le titre, alors exceptionnel, de docteur ès lettres. Elle passe en 1905 son doctorat en esthétique et en mathématiques avec une thèse sur les théories de réalité (Valóságelméletek). Elle a épousé le célèbre mathématicien Pál Dienes. Si la publication de sa première étude en français sur un sujet de mathématiques éveille l’intérêt des milieux scientifiques internationaux, c’est finalement vers la philosophie qu’elle se tourne. À Paris, elle suit les cours de Bergson ‑ dont elle traduira en hongrois les œuvres les plus importantes ‑ et développe l’idée de l’homme comme être géométrique, conception dont naîtra l’orchestika, un art du mouvement inspiré de la danse auquel elle consacrera une école à Budapest. En 1943, elle obtient le prix Baumgarten pour l’enrichissement du langage philosophique hongrois.
Mária Göllner (1894-1982) historienne, anthroposophe hongroise, vient d’une famille cultivée. Elle étudie la géographie, l’histoire et la philosophie et obtient son doctorat en 1928. Sa première publication, Az ókor szellemi művelődésének geográfiai alapjai (« les bases géographiques de la culture spirituelle de l’Antiquité »), porte sur les bases géographiques de la culture spirituelle antique. Elle traduit en hongrois l’œuvre de Rudolf Steiner et compte parmi les sept fondateurs, en 1926, de la Société hongroise des amis de l’anthroposophie. Elle fonde et dirige en Hongrie en 1926 l’école Waldorf, soutenue financièrement et moralement par son mari. À partir de 1960, elle enseigne également à l’École normale populaire de Bâle, en Suisse. Sa trilogie – A magyar ősvallás és a kereszténység a magyar népmese tükrében (« les religions païennes et chrétiennes hongroises dans les contes populaires ») ; Népszokások, mondák és az ember (« les coutumes populaires, les légendes et l’homme »), A Kalevala titkairól (« des mystères de Kalevala ») – forme la base de son travail scientifique. Son dernier texte publié, Dialog der Hemisphären (« le dialogue des hémisphères »), est inséré en hongrois dans le livre des Michaelites. Stefánia Mándy (1918-2001), poétesse, traductrice, historienne de l’art hongroise, cultive à la fois la poésie et la science. Si son père, historien de l’art, son mari, le philosophe Béla Tábor, et ses deux enfants, écrivain et poète, soutiennent sa vie intellectuelle et artistique, c’est l’histoire qui fera obstacle à sa carrière : le nazisme (elle est déportée à Auschwitz en 1944) et l’époque communiste (elle est exclue de la Société hongroise des écrivains et ses poésies ne sont accessibles qu’à l’étranger). Elle ne sera réhabilitée qu’en 1989, l’année du changement de régime. Ses poésies seront enfin publiées, d’abord dans le journal littéraire Szép szó (« belle parole »), ensuite dans les revues Újhold (« nouvelle lune ») et Válasz (« réponse »). Elle se consacre, tout au long de sa vie, à l’activité pédagogique, donnant des cours sur les plus grands artistes européens et hongrois, dont László Moholy-Nagy et Lajos Kassák. Elle publie aussi des textes sur l’histoire de l’art et organise des expositions.
Rózsa Péter (1905-1977), première femme correspondante de l’Académie hongroise des sciences, obtient son diplôme en mathématiques et en physique en 1927 à l’université de Budapest. En raison de ses origines juives, elle est exclue de l’enseignement de 1939 à 1947. Entre 1947 et 1955, elle fonde et dirige le département des mathématiques à l’École normale de Budapest, puis devient docteur et professeure des sciences mathématiques à l’université de Budapest. Ses recherches portent sur les équations récursives. Ses écrits et ses activités sont à la frontière des sciences pures et des lettres, comme en témoigne son livre de vulgarisation scientifique Jeux avec l’infini. Voyage à travers les mathématiques. Traduit en de nombreuses langues, il obtient un immense succès.
Margit Techert (1900-1945), historienne de la philosophie, étudie les lettres entre 1918 et 1923 à l’université de Budapest, puis à Louvain et à la Sorbonne. En 1923, elle devient professeure à l’université de Szeged. Son œuvre traite de l’histoire de la philosophie antique. Elle traduit les textes de Plotin et publie en 1934 A hellén újplatonizmus története (« néoplatonisme hellénistique »).
Anikō ÁDÁM
HONG XIANNÜ (KUANG JIANLIAN, dite) [KAIPING, GUANGDONG 1927 - ID. 2013]
Actrice chinoise.
Appartenant à un clan familial important qui compte de nombreux acteurs d’opéra cantonais yueju, Hong Xiannü entame l’apprentissage de ce métier à Hongkong. Elle apparaît pour la première fois sur scène en 1939, sous le nom de Xiao Yanhong, et adopte son nom actuel en 1940. Entrée en 1942 dans la troupe de l’acteur Ma Shizeng, son futur époux, Hong Xiannü se produit dans toute l’Asie du Sud-Est. Elle fonde la compagnie Zhen-Shan-Mei (« vérité-bonté-beauté ») en 1952 et joue dans plus de 90 films. En 1955, de retour à Canton, elle prend la direction artistique de la troupe de yueju de la province du Guangdong. Elle enrichit sa gestuelle de techniques propres à l’opéra de Pékin et son chant, d’airs issus d’autres formes d’opéras locaux ou de chantefables. Dotée d’une voix aux possibilités infinies, elle emploie même des placements vocaux de bel canto et travaille le chant comme une esthète. On dit qu’elle « attaque chaque son comme un dragon et le termine comme un phénix ». Elle joue l’héroïne de nombreuses pièces, dont la plupart existent en version filmée : Sou shuyuan (« la fouille de l’école »), Guan Hanqing, racontant la vie du célèbre dramaturge de l’époque mongole, et Hong mei ge (« le pavillon aux prunus rouges »), notamment, pour le répertoire classique, ainsi que d’autres créations plus modernes. Ses tournées internationales sont acclamées par une diaspora chinoise majoritairement cantonaise. Durant la Révolution culturelle, on lui interdit d’exercer son métier, et elle est envoyée travailler aux champs. Dans les années 1980, elle prend la direction de la troupe de yueju de la jeunesse et de la troupe expérimentale de yueju. Elle fonde la troupe Hongdou (« haricot rouge », son surnom) afin d’assurer sa relève. En 1998, la ville de Canton ouvre un centre consacré à son art.
Pascale WEI-GUINOT
HONG YING [CHONGQING 1962]
Écrivaine chinoise.
S’il est une œuvre, dans la littérature féminine contemporaine en Chine, qui semble résister à toute étiquette tant elle explore une diversité de genres et de thèmes, c’est bien celle de Hong Ying. Depuis 1990, son œuvre poétique, romanesque et autobiographique lui a assuré une célébrité internationale mais quelque peu paradoxale : en effet, profondément ancrés dans la misère, que cette « fille de la faim » a elle-même vécue, et dont le souvenir hante sa propre génération, ses récits n’ont été acceptés et compris par ses compatriotes qu’après son succès en Occident. C’est dans une pauvreté tant matérielle que culturelle que l’écrivaine, née pendant la grande famine d’une mère coolie et d’un père batelier, a passé son adolescence. À 18 ans, quand elle apprend qu’elle est une enfant naturelle, issue de la rencontre de sa mère avec un jeune employé, elle refuse toute expression d’amour paternel. Décidée à se libérer du joug familial mais privée de la chance de poursuivre des études supérieures, elle se livre, dès sa majorité, à une vie de bohème ; dans l’émergence de la littérature d’avant-garde des années 1980, elle fréquente les cercles artistiques clandestins, et, nourrie d’auteurs occidentaux, elle écrit des poèmes publiés sous le manteau. En 1989, elle part étudier à l’académie Lu Xun et à l’université Fudan, ce qui constituera ses seules expériences universitaires en Chine. En 1991, elle rejoint son mari (critique et enseignant chinois) en Angleterre, où elle mène une vie paisible, vouée à l’écriture, et fait de leur maison un cénacle littéraire d’outre-mer. L’écrivaine publie successivement une dizaine de romans, recueils de nouvelles et ouvrages poétiques, écrits en langue maternelle mais traduits en plus de 20 langues. La parution en 1997 d’Une fille de la faim, témoignage de ses malheurs d’enfance et de sa rage de vivre, lui vaut une gloire internationale, d’innombrables prix littéraires et une reconnaissance – quoique tardive – en Chine continentale. Après son retour à Pékin en 2000, elle est encore considérée comme une représentante de la littérature féminine d’outre-mer. Si l’on considère cet ouvrage comme le récit autobiographique privilégié pour comprendre la complexité de son écriture, deux points essentiels sont à souligner : la quête de sa propre identité (« Qui suis-je ? », ressasse-t-elle) et l’acte d’écrire conçu comme une rédemption. Son aspiration à réaliser ses désirs personnels à travers ses personnages prévaut dans les romans suivants tels que L’Été des trahisons (1988), Nüzi youxing (« les voyages d’une fille », 1997), Le Livre des secrets de l’alcôve (2000). Pour les lecteurs du nouveau siècle, la transcription des désirs ne se réfère plus à des stéréotypes romantiques et esthétisants. Hong Ying a considérablement renouvelé le registre expérimental du roman, notamment avec son livre A Nan (« Ananda », 2001), à tel point que certains critiques n’hésitent pas à la qualifier de « romancière postmoderne ». Pour elle, le corps s’inscrit dans une perspective historique, altruiste et intersubjective : il offre la possibilité de s’ouvrir à l’autre, de percevoir l’autre dans sa différence, comme le suggère son roman Peacock Cries : At the Three Gorges (« le cri du paon aux Trois-Gorges », 2003), et le confirment des publications récentes. C’est peut-être la raison pour laquelle elle refuse l’expression d’« écriture féminine ». En 2009, comme en écho à son autobiographie parue douze ans auparavant, et en souvenir de sa famille aimante mais taciturne, l’auteure publie Hao ernü hua (« balsamine des jardins »), un roman dédié à sa mère bien-aimée.
GONG MI
■ L’Été des trahisons (Beipan zhi xia, 1988), Paris, Seuil 1997 ; Une fille de la faim (Jin’er de nü’er, 1997), Paris, Seuil, 2000 ; Le Livre des secrets de l’alcôve (K, 2000), Paris, Seuil, 2003 ; Peacock Cries at the Three Gorges (Jiaohan de kongque, 2003), Londres, M. Boyars, 2004.
HONG YUNSUK [CHONGJU, AUJ. EN CORÉE DU NORD 1925]
Poétesse sud-coréenne.
Après des études à l’Université nationale de Séoul, Hong Yunsuk débute comme journaliste au Munye Shinbo. Elle va par la suite mener une double carrière de journaliste et de poétesse, devenant rapidement, après No* Ch’ônmyông, une figure de proue de la poésie d’après-guerre. Cependant les temps ont changé. L’enthousiasme des modernistes sous l’occupation japonaise a cédé la place à la solitude et au pessimisme, voire au nihilisme. Un des recueils de Hong Yunsuk est intitulé Kodok-ûi irûmûro kot’ong’ûl saranghada (« aimer la douleur au nom de la solitude », 1984), qui reflète à la fois l’ambiance de l’époque et une inclination religieuse : la vie se traverse seul(e) et ne conduit à aucun bonheur garanti, elle est un voyage vers une fin prévisible, qui plus est un voyage dans la monotonie. La poétesse ajoute même, dans le célèbre Chakshiknon (« essai sur l’ornementation », 1968), que les ornements de la vie, comme les bijoux ou les titres qui s’accumulent, ne sont que la mesure de la jeunesse qui s’en va. Enseignante et membre de diverses associations d’auteurs, liée aux milieux catholiques officiels, elle oriente avec le temps sa réflexion sur la question de la division du pays, motivée en cela par ses origines.
QING TAI
■ KACF (dir.), Who’s Who in Korean Literature, Séoul, Hollym, 1996.
HONIGMANN, Barbara [BERLIN 1949]
Écrivaine et peintre allemande.
Fille de Juifs rentrés à Berlin-Est en 1947 de leur exil en Angleterre, Barbara Honigmann écrit, peint, met en scène et réalise depuis le milieu des années 1970. Sa production littéraire comprend des pièces de théâtre, des pièces radiophoniques, des romans et des essais. En 1985, elle quitte la RDA et s’exile à Strasbourg pour pouvoir vivre comme Juive, dans une communauté vivante. L’expérience de l’exil est au premier plan de ses écrits, plus encore que la réflexion sur le fait de vivre de nos jours en Allemagne en tant que Juive de la deuxième génération survivant à la Shoah. On retrouve dans ses écrits et ses romans une tentative pour approcher le sentiment de dépaysement à travers sa propre histoire familiale, mais toujours en lien avec l’histoire allemande et européenne. Lieux et personnes traversent de façon récurrente ses textes : le quotidien à Strasbourg, les cimetières et les tombes comme lieux de mémoire, les espaces géographiques mettent en évidence les interactions entre la vie et la mort, entre le départ et le retour. Ses textes se distinguent non seulement par leur langue simple et dense, mais également par leur façon de raconter : introspectifs, souvent écrits à la première personne, ils entrent en communication avec leurs lecteurs. B. Honigmann a reçu pour ses travaux de nombreux prix, parmi lesquels le prix Stefan-Andres en 1992, le prix Kleist en 2000 et le Koret Jewish Book Award en 2004.
Moi VAN DER LINDE-HAMANN
■ Un amour fait de rien (Eine Liebe aus nichts, 1991), Paris, Liana Levi, 2001 ; Le dimanche le rabbin joue au foot (Am Sonntag spielt der Rabbi Fussball, Kleine Prosa, 1998), Paris, Eden, 2001 ; Les Îles du passé (Damals, dann und danach, 1999), Nîmes, J. Chambon, 1999 ; Très affectueusement (Alles, alles Liebe ! , 2000), Paris, Liana Levi, 2001 ; L’Agent recruteur (Ein Kapitel aus meinem Leben, 2004), Paris, Denoël, 2008.
HONTHY, Hanna (née Hajnalka HÜGEL) [BUDAPEST 1893 - ID. 1978]
Chanteuse d’opérette hongroise.
Hanna Honthy vient d’un milieu modeste. À 10 ans, elle est élève du ballet de l’Opéra, puis étudie dans la meilleure école d’acteurs de Pest (Szidi-Rákosi). Jeune fille, elle est déjà un modèle d’application et de maîtrise de soi et le restera tout au long de sa carrière. Son succès à l’examen final public est tel que le directeur de l’Opéra populaire l’engage aussitôt. Elle quitte ce théâtre un an plus tard, pour se perfectionner en suivant des cours de chant et de danse (rigoureuse, elle continuera à en prendre à l’âge de 70 ans). Elle accepte ensuite l’invitation du directeur de Kolozsvàr (auj. Cluj-Napoca, Roumanie) et devient très vite la grande favorite du public. Plusieurs directeurs proposent des contrats à cette vedette dont les cachets sont les plus élevés du pays. Elle opte finalement pour le théâtre Király, alors dominé par un autre mythe de l’opérette, Sári Fedák*. Une lutte acharnée commence entre les deux rivales. En 1925, H. Honthy est engagée au théâtre de l’Opérette, mais elle se produit aussi au théâtre Belvárosi, dans des rôles parlés, et en tant qu’artiste invitée sur la scène du Víg et du théâtre de la Ville entre 1927 et 1929. Comédienne-née, elle a conquis tous les publics grâce à sa personnalité éblouissante et son grand sens de l’humour. Au cours de sa longue carrière, elle a joué tout le répertoire de l’opérette, et son nom suffisait pour produire un spectacle. Elle jouissait d’une immense popularité : dès qu’elle apparaissait sur scène, la salle croulait sous les applaudissements. En 1932, lors de la première retransmission de la radio hongroise, elle chante le premier rôle dans l’opérette radiodiffusée de Szabolcs Fényes. Pour son quatre-vingtième anniversaire, elle renouvelle sa performance mythique dans La Princesse Czardas d’Emmerich Kàlman, où elle interprète les deux rôles féminins principaux : la jeune Silvia, qui brille par son art de danser la csárdás, la danse des auberges, et qui finit par épouser un prince ; la princesse âgée – la mère du jeune prince, elle-même ancienne danseuse de cabaret devenue la princesse Cécile (Czardas, donc). H. Honthy reste la reine absolue de l’opérette. Elle est le symbole d’une Hongrie et d’une époque heureuses révolues, comme l’illustre la monographie que lui a consacrée Péter Molnár Gál, Honthy Hanna és kora (« Hanna Honthy et son époque », 1967).
Anna LAKOS
HONZAKOVÁ, Anna [KOPIDLNO 1875 - PRAGUE 1940]
Féministe et médecin tchèque.
Née en Bohême centrale, Anna Honzaková est la fille d’un médecin et patriote progressiste, qui l’inscrit parmi les premières élèves du lycée de filles Minerva, inauguré en 1890. Son père la destine d’emblée à des études de médecine, pourtant encore inaccessibles aux femmes dans l’Empire austro-hongrois, à l’égal du reste des études universitaires. Son inscription de plein droit ayant été rejetée par l’université de langue tchèque, A. Honzaková suit en qualité d’auditrice externe les cours dispensés au sein de l’université allemande, avant d’intégrer, aux mêmes conditions, celle en langue tchèque en 1897. Ses efforts personnels menés auprès de hauts fonctionnaires viennois, qui s’inscrivent dans la continuité de ceux menés depuis près de vingt ans par les féministes tchécoslovaques, sont couronnés de succès en 1900, lorsqu’un décret impérial ouvre aux femmes l’accès aux études supérieures. En 1902, elle est la première femme à bénéficier de ce décret et devient la première titulaire d’un doctorat en médecine de l’Empire, parachevant le combat engagé deux décennies plus tôt par des nationales tchèques et hongroises, notamment au sein des services médicaux de l’armée impériale à la suite de l’occupation de la Bosnie. Parallèlement, elle devient une figure du mouvement féministe, s’engageant également dans le combat en faveur du droit de vote. Après quelques années d’exercice au sein d’une clinique privée, elle ouvre un cabinet privé de gynécologie, spécialité au titre de laquelle elle sera consultée par l’assemblée de la première République tchécoslovaque à propos d’un éventuel accès à l’avortement. Fondatrice de l’association des femmes médecins et d’organisations caritatives, elle comptera également parmi les membres fondatrices du Conseil national des femmes, en 1923.
Maxime FOREST
HOOKHAM, Peggy VOIR FONTEYN, Margot
HOOKS, Bell (Gloria Jean WATKINS, dite) [HOPKINSVILLE 1952]
Écrivaine et militante féministe américaine.
Gloria Jean Watkins a forgé son nom de plume « bell hooks » à partir des noms de sa mère et de sa grand-mère. L’emploi volontaire des initiales en minuscules exprime sa volonté de marquer dans ses travaux la primauté de la « substance de ses livres » sur sa personne. Née dans une famille ouvrière de six enfants, elle grandit dans la communauté noire d’une petite ville du Kentucky. Elle fréquente les écoles publiques où règne la ségrégation raciale, puis une école où étudiants et professeurs sont majoritairement blancs. Après des études à l’université de Stanford, puis à l’université du Wisconsin, elle obtient un doctorat (PhD) à l’université de Californie à Santa Cruz, en 1983, en soutenant une thèse sur Toni Morrison*. Ayant commencé, dès 1976, sa carrière dans l’enseignement, elle publie sous son pseudonyme, en 1978, And There We Wept (« et là nous avons pleuré »), et dès 1981, avec la parution de Ain’t I a Woman : Black Women and Feminism (« ne suis-je pas une femme : les femmes noires et le féminisme », 1981), elle devient l’une des intellectuelles noires féministes les plus largement publiées. En 1995 paraît Killing Rage : Ending Racism (« la rage de tuer : en finir avec le racisme », 1995), qui prône une approche proactive face au problème du racisme aux États-Unis. Bien que considérée comme une penseuse, bell hooks couvre dans ses ouvrages un très large éventail de questions : racisme, sexisme, autodéfense, pédagogie engagée ou lecture politique de la culture visuelle. Elle touche une large audience en multipliant les médias et en adaptant sa manière de parler et d’écrire au public visé. En 2004, elle rejoint la faculté de Berea dans le Kentucky, comme professeure émérite en résidence.
Beatrix PERNELLE
■ NAMULUNDAH F., bell hooks’Engaged Pedagogy : A Transgressive Education for Critical Consciousness, Westport, Bergin & Garvey, 1998 ; STANLEY S. K. (dir.), Other Sisterhoods : Literary Theory and U.S. Women of Color, Chicago, University of Illinois Press, 1998.
HOOVER, Nan [NEW YORK 1931 - BERLIN 2008]
Artiste visuelle, performeuse et peintre néerlandaise d’origine américaine.
Née aux États-Unis, Nan Hoover obtient la nationalité néerlandaise en 1975. Aux côtés de Bill Viola (1951), de Douglas Gordon (1966) et de Nam Jun Paik (1932-2006), elle appartient à la génération des pionniers de l’art vidéo. Formée aux beaux-arts à la Corcoran Gallery School of Art de Washington, elle s’installe à Amsterdam en 1969, puis en Allemagne en 2003. Avant de découvrir la vidéo, en 1973, et de se laisser séduire par ses possibilités de transparence et de lumière, les œuvres qu’elle peint et dessine, durant une vingtaine d’années, lui assurent une première et relative notoriété. Les questions picturales subsisteront dans ses vidéos et installations, marquées par un jeu de formes, d’ombres et de lumières. Pendant les années 1980, elle se filme souvent elle-même, avec des macro-perspectives créant une image abstraite qui devient figurative au fur et à mesure que son corps se révèle à la caméra. Dans Half Sleep (« à demi endormie », 1984), elle laisse entrevoir peu à peu son visage fragmenté, qui devient pure forme, éclipsée par l’ombre. Sa méthode « documentaire » – sans montage et où prédomine le temps réel – contribue à intensifier la tension entre l’abstrait et le figuratif, entre la peinture et le film. Son intérêt pour les potentialités de la forme, du mouvement et de la lumière, guide ses recherches qui aboutissent à des installations hybrides, où sont combinés jeux de lumières, photographie, architecture et performance. L’artiste tente ainsi d’explorer en profondeur les spécificités et les limites de chaque médium. Ainsi « l’intensité de l’immédiateté du moment », comme elle l’écrit à propos de l’art de la performance, constitue l’une de ses principales sources d’inspiration. Dans ses installations lumineuses, l’artiste explore l’espace extérieur et l’architecture (Die Spur des Lichtes, « la trace de la lumière », 1991, Glyptothek Museum, Munich, prix RischArt). Ses œuvres, qui établissent un rapport assez énigmatique avec le spectateur, sont régulièrement présentées dans des expositions individuelles au Museum of Modern Art (MoMA) de New York et au Stedelijk Museum d’Amsterdam. L’artiste a aussi participé à la Documenta 6 (1977) et 8 (1987) de Kassel et à la Biennale de Venise (1984).
Lúcia RAMOS MONTEIRO
■ Night Letters, Cologne, Salon Verlag, 2000 ; avec PERRÉE R., Dialogue About Nan Hoover, Cologne, Salon Verlag, 2001.
HOPKINS, Lady Patricia Ann (dite Patty, née WAINWRIGHT) [STOKE-ON-TRENT, STAFFORDSHIRE 1942]
Architecte britannique.
Patty Hopkins est la seule femme de son pays à avoir reçu la plus haute récompense dans le domaine de l’architecture en Grande-Bretagne, la Royal Gold Medal, simultanément décernée à son mari et partenaire avec lequel elle avait fondé l’agence Michael Hopkins & Partners en 1974, aujourd’hui Hopkins Architects. Diplômée de l’Architectural Association depuis 1968, elle participe en 1976 à la conception d’une maison d’architecte classique qui sert de logement, de bureau et de matériel publicitaire au couple en illustrant leur engagement à l’égard du verre et de l’acier. Son modernisme élégant et technologiquement avancé s’enrichit avec l’entrée, en 1984, de la brique et d’autres matériaux naturels dans sa panoplie. Elle a joué un rôle clé dans une série de projets prestigieux associant modernité, tradition et respect de l’environnement, notamment le très prisé opéra de Glyndebourne (Sussex 1988-1994).
Lynne WALKER
■ TOY M. (dir.), The Architect. Women in Contemporary Architecture, New York, Watson-Guptill, 2001.
■ « Patty Hopkins, Architect », in Country Life, vol. 191, mars 1997.