MANEVA-ČUPOSKA, Jana [SKOPJE 1970]

Peintre et styliste de mode macédonienne.

« La vie est l’art, l’art est la vie. » C’est la devise de Jana Maneva-Čuposka, qui a grandi dans l’atelier de son père, Kole Manev, un peintre réputé, et a su depuis son plus jeune âge que l’art serait au centre de ses préoccupations. Son diplôme de la faculté d’arts plastiques de Skopje en poche, elle s’installe à Prague, après un séjour à Paris, et se spécialise à la faculté d’architecture, d’art et de design. Elle termine son cursus par une maîtrise de design et d’art à l’Académie des beaux-arts de Skopje. J. Maneva-Čuposka enseigne actuellement à la faculté des arts et du design à l’Université européenne de Skopje. En quelques années, elle a présenté une dizaine d’expositions personnelles dans sa ville natale, puis à Paris, à Prague et à New York, et a participé à plus d’une quarantaine d’expositions collectives. Le dessin a toujours représenté pour elle un véritable défi. Partant du point, il naît sous sa main formant un filet composé d’innombrables lignes droites, courbes, minces ou épaisses. C’est de là que surgissent les figures ou les personnages toujours reliés entre eux par une histoire. La technique qu’elle utilise demande une parfaite précision du mouvement de la main. Le monde de J. Maneva-Čuposka naît à mi-chemin entre la fantaisie et la réalité. Sa peinture est figurative. Ces dernières années, elle y introduit des techniques numériques. Ses peintres préférés, mis à part son père, sont Max Ernst, Max Beckmann, Gustav Klimt, Egon Schiele, Pablo Picasso, Otto Dix. La mode l’attire aussi et, après avoir travaillé pour les maisons de couture Orka et Magnolia, elle est devenue l’une des fondatrices de l’Association des designers de mode de Macédoine. Les défilés qu’elle organise sont de véritables spectacles son et lumière et ses modèles sont portés par les vedettes de la chanson de son pays. Elle réalise également des costumes pour le théâtre et le cinéma et s’intéresse à la photographie. Elle est membre de l’Association des artistes peintres de Macédoine.

Maria BÉJANOVSKA

CHUPOSKY A., About Jana Maneva-Cuposka, New York, Gallery MC, 2008.

LOGAN BARMEYER M., « Jana Maneva Cuposka », in Papermag, août 2008.

MANGANO, Silvana [ROME 1930 - MADRID 1989]

Actrice italienne.

De mère anglaise et de père sicilien, Silvana Mangano fait ses débuts au cinéma après avoir été élue Miss Rome en 1946. Riz amer (Riso amaro, Giuseppe De Santis, 1949) fait d’elle une star, elle y apparaît notamment décolletée et cuisses nues dans l’eau d’une rizière. En 1949, elle épouse le producteur Dino De Laurentiis. Elle alterne les rôles comiques – L’Or de Naples (L’oro di Napoli, Vittorio De Sica, 1954) – et dramatiques – Mambo (Robert Rossen, 1954). En 1957, elle tourne Barrage contre le Pacifique (The Angry Age, René Clément, d’après Marguerite Duras*). Avec La Grande Guerre (La grande guerra, 1957), Mario Monicelli la fait participer à une satire ironique ; dans Le Procès de Vérone (Il processo di Verona, 1963), Carlo Lizzani s’attaque au fascisme. Elle a un rapport privilégié avec Luchino Visconti, qui la dirige en diva dans Les Sorcières (Le streghe, 1967), en mère de Tadzio dans Mort à Venise (Morte a Venezia, 1971), en épouse de Wagner dans Ludwig, le crépuscule des dieux (Ludwig, 1972) ou en bourgeoise qui fascine Burt Lancaster dans Violence et passion (Gruppo di famiglia in un interno, 1974). Avec Pasolini, elle tourne Œdipe roi (Edipo re, 1967) et l’ambigu Théorème (Teorema, 1968).

Bruno VILLIEN

CIMMINO J., Silvana Mangano, le théorème de la beauté, Rome, Gremese, 1998 ; ROCCA F., Silvana Mangano, Palerme, L’Epos, 2008.

MANGESHKAR, Lata [SIKH MOHALLA, PENDJAB 1929]

Chanteuse indienne.

Fille de Dennanath Mangeshkar, acteur de théâtre et chanteur classique, Lata Mangeshkar est la sœur aînée d’Asha Bhosle*. Au décès de leur père, leur famille s’installe à Bombay et en 1943 les sœurs enregistrent ensemble un premier morceau pour le cinéma. Après avoir foulé les planches dès son plus jeune âge dans les pièces de son père, elle est initiée à la musique classique hindoue par Amanat Ali Khan, et signe ses premiers succès avec les films Majboor (1948) puis Mahal (1949). Elle compose ses premiers thèmes dans les années 1950 et collabore avec de nombreux réalisateurs, dont Ali Naushad, pour lequel elle interprète des morceaux inspirés du raga, et Sachin Dev Burman, qui en fait sa première voix féminine. Elle reçoit à l’époque ses premiers Filmfare Awards. En 1963, en réaction au conflit indochinois de l’année précédente, elle compose le morceau Aye merewatankelogo (« Oh, gens de mon pays ») qui émeut aux larmes le Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru. À la même époque, elle signe de nombreux duos et collabore notamment avec son fils Rahul Dev, Madan Mohan et le célèbre duo Laxmikant et Pyarelal, qui lui compose ses plus grands succès. Précédant sa sœur, L. Mangeshkar reçoit son premier National Film Award en 1973 pour Parichay et récidive en 1975 avec Kora kagaz. Elle donne son premier concert à l’étranger au Royal Albert Hall à Londres, et publie ses premiers disques en dehors de Bollywood. Elle y interpréte des bhajan (chants mystiques) de Mîrâbâî, des ghazal (forme traditionnelle poétique), empruntant également au répertoire populaire marathi sur des morceaux de son frère Hridaynath, ou aux musiques tamoule et telugu, avec le compositeur Ilaiyaraaja. En 1990, elle lance sa propre maison de production de films en hindi et remporte l’année suivante son troisième National Film Award. La chanteuse enchaîne les succès et est nommée en 1999 au Rajya Sabha, la chambre haute du Parlement indien. Au fil d’une carrière gigantesque, L. Mangeshkar a enregistré des milliers de morceaux dans une vingtaine de dialectes indiens.

Jean BERRY

Queen of Bollywoodbhajans, Rough Guide to Bollywood Legends, World Music Network, 2004 ; India’s Best Loved Singer, Manteca, 2006 ; Classic Titles, Cantos, 2008.

MANG-FRIMMEL, Eva [VIENNE 1927 - ID. 2000]

Architecte autrichienne.

Dans sa jeunesse, Eva Frimmel est une brillante patineuse professionnelle, puis elle s’engage dans des études d’architecture à l’Université technique de Vienne, où elle devient chargée de cours de 1952 à 1955. À partir de 1954, elle s’associe avec son mari, l’architecte Karl Mang (1922). Dans leur étroite collaboration, elle a la responsabilité du chantier, de l’organisation et de la communication avec les maîtres d’ouvrage. Leur agence se fait un nom grâce à son vocabulaire formel retenu et à l’emploi de matériaux innovants réclamant un savoir-faire artisanal pointu, tel le béton Leca, dans lequel le gravier et le sable sont remplacés par des boules d’argile expansée, qu’ils utilisent à deux reprises : pour leur propre maison (1967) et pour l’atelier de l’artiste Lydia Roppolt (1922-1995) à Oberwang. Ils ont à leur actif de nombreuses réalisations, boutiques, églises, logements. L’église ouvrière Saint-Joseph de Winzendorf, aux volumes de briques et béton étagés, se distingue par une « architecture du silence » enrichie d’œuvres de L. Roppolt et est récompensée par un prix régional ; la maison Weidling (1964) aux blancs volumes cubiques comporte un jardin aménagé par le paysagiste brésilien Roberto Burle-Marx (1909-1994). Ils conçoivent aussi des aménagements et des réaménagements intérieurs : le bureau et la bibliothèque du Secrétaire général des Nations unies à New York et, à Vienne, le magasin de meubles Thonet et le palais Lobkowitz pour le musée du Théâtre (1991).

Elke KRASNY

MANG K., Architektur der Stille, Vienne, Bölhau, 2007 ; SARNITZ A., Wien Neue Architektur 1975-2005, Vienne/New York, Springer, 2003.

MANICOM, Jacqueline [GUADELOUPE 1935 - ID. 1976]

Romancière guadeloupéenne.

D’origine indienne, aînée d’une famille de 20 enfants, Jacqueline Manicom fait ses études secondaires en Guadeloupe et devient sage-femme à Paris, où elle étudie le droit et milite en faveur des droits des femmes à la contraception et à l’avortement. D’inspiration marxiste et féministe, ses romans dénoncent les discriminations de races, de classes et de sexes. Madévie, l’héroïne de Mon examen de blanc (1972), œuvre largement autobiographique, est une femme de couleur amoureuse d’un médecin métis : l’intrigue sentimentale laisse progressivement place aux considérations politiques sur fond de manifestations indépendantistes. La revendication politique s’oriente vers le combat féministe dans La Graine, journal d’une sage-femme (1974), plaidoyer en faveur de la contraception et de l’émancipation ; l’auteure y décrit avec réalisme les milieux médicaux, dénonce la situation des Antillais en France, et critique la phallocratie guadeloupéenne.

Stéphanie BÉRARD

ZIMRA C., « Society’s mirror : A sociological study of Guadeloupe’s Jacqueline Manicom », in Présence francophone, no 19, 1979.

LE MANIFESTE POUR LA VIE DES FEMMES CORSES [France XXe-XXIe siècle]

Au début des années 1990, la Corse est déchirée par des assassinats entre des factions nationalistes rivales. Révoltées par cette dérive mortifère, des femmes de Bastia – dont Victoire Canale, militante du Mouvement de libération des femmes et ancienne militante indépendantiste – lancent le Manifeste pour la vie en décembre 1994. Dans le droit fil des Femmes siciliennes contre la mafia*, avec lesquelles elles sont en contact, ces femmes indépendantes, issues de toutes les tendances politiques, refusent l’intimidation et le meurtre comme mode de fonctionnement de la société corse. Elles veulent l’application de la loi dans tous les domaines. Elles dénoncent les fraudes et le mauvais usage des fonds publics, exigent le désarmement de la Corse. Sans hiérarchie ni subvention, le mouvement du Manifeste pour la vie fait un travail de sensibilisation dans les écoles, organise des débats et des rencontres, notamment avec les femmes siciliennes. Peu nombreuses au début, elles seront parfois plus de 2 000, en 1996, à se retrouver une fois par mois devant la Préfecture, malgré les insultes machistes. Le 12 février 1998, moins d’une semaine après le meurtre du préfet Claude Érignac, 40 000 personnes répondent dans l’île à leur appel à manifester en silence. Des rapports, des commissions parlementaires, des promesses politiques vont suivre – telles que protection des témoins, création d’un pôle financier, mise en place de cellules d’investigation sur les crimes non élucidés –, mais resteront sans suite. Tout au long de l’année 2012, les assassinats de type mafieux entre bandes rivales se sont multipliés. En novembre, un groupe de signataires du Manifeste pour la vie, adresse une lettre ouverte au président François Hollande, pour qu’enfin la loi républicaine soit appliquée en Corse.

Jacqueline PICOT

MANLEY, Delarivier (ou Mary DE LA RIVIERE) [JERSEY ? V. 1670 - LONDRES 1724]

Écrivaine britannique.

Les recherches récentes ont modifié la connaissance et l’évaluation de cette auteure, depuis son prénom jusqu’à sa personnalité, en passant par le canon de ses œuvres. Pourtant, sa relation avec Swift, à qui elle avait succédé à la direction de The Examiner, lui conférait déjà une certaine renommée, attestée par son association à Aphra Behn* et Eliza Haywood* dans le « Fair Triumvirate of Wit », (« le triumvirat féminin de l’esprit ») selon l’expression de leur contemporain, James Sterling. Au cours de ses périples en Angleterre entre 1694 et 1696, elle rédige une comédie, The Lost Lover, et une tragédie, The Royal Mischief (« la royale espièglerie », 1696). En 1709, elle publie L’Atlantis, contenant les intrigues politiques et amoureuses de la noblesse de cette île où elle pourfend le duc de Marlborough et la maîtresse de Charles II, Barbara Villiers, tout en révélant des événements de sa propre vie sous le nom de Delia. L’année suivante paraît Memoirs of Europe. Ces deux ouvrages, plus tard associés, mêlent le combat politique contre les Whigs – qui lui valent l’intérêt (et parfois des émoluments) du ministre Robert Harley – aux propos scandaleux. Pour échapper à la diffamation, D. Manley fait publier par Curll The Adventures of Rivella, étrange combinaison d’autobiographie et de romanesque, où elle invite ses détracteurs à prouver que ses ouvrages sont des attaques ad hominem. Les intéressés préfèreront le silence… De nos jours, des critiques comme Janet Todd ou Rosalind Ballaster cherchent à corriger l’image criarde de l’auteure obèse, bigame, maîtresse du directeur de Fleet Prison puis du Lord Mayor de Londres, pour la remplacer par celle d’une proto-féministe maniant avec plus ou moins de réussite allégorie, satire politique et parodie à la première personne.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

L’Atlantis, contenant les intrigues politiques et amoureuses de la noblesse de cette île (Secret Memoirs and Manners of Several Persons of Quality of Both Sexes, from the New Atlantis, an Island in the Mediterranean, 1709), La Haye, H. Scheurleer, 1713.

CARNELL R., A Political Biography of Delarivier Manley, Londres, Pickering and Chatto Publishers, 2008 ; MORGAN F., A Woman of No Character, An Autobiography of Mrs Manley, Londres, Faber & Faber, 1986.

MANNEQUINS – HAUTE COUTURE [XXe-XXIe siècle]

Le premier mannequin professionnel de défilé connu est Marie Vernet, femme de Charles Frederick Worth, désigné traditionnellement comme le père de la haute couture. Elle exerce à la fin des années 1850, mais la profession est attestée dès le siècle précédent. Les premiers mannequins célèbres viennent des maisons de couture, notamment de la maison londonienne Lucile et de celle du couturier Paul Poiret dès les années 1900. D’origine populaire, elles sont priées de se contenter de sourire pour ne pas trahir leur accent. Pour exercer leur métier, elles sont rebaptisées : Lilian, Gladys, Lola…

L’agence John Robert Powers s’ouvre aux États-Unis en 1923 et Lucy Clayton inaugure la sienne à Londres en 1928. En 1924, le couturier français Jean Patou fait venir de New York à Paris ses mannequins. Grandes, sportives et élancées, elles séduisent la clientèle anglo-saxonne. En 1946, se crée l’agence Ford Models. Dans les années 1950, les mannequins attachés à des maisons sont dits « de cabine », ceux qui effectuent des remplacements ou des défilés ponctuels sont « volants », et il y a enfin les « modèles », travaillant davantage pour les photographies de magazines. Cette classification cependant n’est pas stricte. La multiplication des journaux de mode médiatise la profession. Jusque dans les années 1960, les figures d’après-guerre les plus connues sont Dovima, Lisa Fonssagrives, Suzy Parker, Anne Saint Marie, Capucine, Praline, Lucky, Bettina, Dorian Leigh, Jean Shrimpton, Mimi d’Arcangues ou Matsumoto Hiroko. Avant 1964 et l’initiative de Jacques Estérel, il n’y a pas de mannequins noirs sur les podiums de défilés : la première est Kesso. Twiggy, mannequin britannique d’aspect adolescent, est peut-être la première star. Son succès correspond à un changement de société : sa morphologie est associée au style de vie « jeune » rêvé en masse au cours des années 1960. Provocateur, Jean-Paul Gaultier fait défiler une femme âgée aux cheveux blancs en 1988.

Dans les années 1980, les mannequins deviennent des égéries très médiatiques : Inès de la Fressange inspire ainsi Karl Lagerfeld à partir de 1983 pour la maison Chanel. Le phénomène de starisation atteint son apogée au début des années 1990 : Christy Turlington, Naomi Campbell, Linda Evangelista, Cindy Crawford, Claudia Schiffer, Heidi Klum, Kate Moss, par exemple, sont de véritables stars mondiales, top models ou supermodels. Leur salaire peut être exorbitant, comparé à celui de la génération de S. Parker qui touchait 60 dollars de l’heure. Les agences Ford, Elite, ou d’autres qui organisent les défilés depuis la fin des années 1970 entre Milan, Londres, Paris et New York, transforment le métier en véritable industrie. Plus tard, des jeunes filles moins starisées et moins bien payées sont engagées pour les saisons de défilé, selon des cycles de mode et des castings propres à chaque maison qui recrutent souvent des sosies – premier nom du mannequin au début du XXe siècle. En 2006, la mort d’un mannequin anorexique brésilien, Ana Carolina Reston, fait scandale. La controverse sur l’éthique de la profession est à la mesure de l’influence prêtée aux mannequins sur les autres femmes dont elles seraient les modèles.

Anne ZAZZO

MANNER, Eeva-Liisa [HELSINKI 1921 - TAMPERE 1995]

Écrivaine finlandaise.

Avant tout connue en tant que poétesse, précurseure du modernisme finlandais, Eeva-Liisa Manner est aussi auteure dramatique, romancière, essayiste, critique et traductrice, et n’a pas hésité à dissoudre les limites des genres littéraires. De par sa profonde connaissance de la littérature et de la philosophie, elle a été influencée par les grands classiques européens, comme Spinoza ou Heidegger, et par la mythologie antique. Elle a passé son enfance à Viipuri (aujourd’hui Vyborg), ville de l’est de la Finlande cédée à l’Union soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le souvenir de cette ville perdue, resté intact dans sa mémoire, apparaît fréquemment dans son œuvre. Au début de sa carrière littéraire, en 1946, elle se livre à des expérimentations en prose sur le modèle de Franz Kafka, dont une partie a été publiée dans le recueil de nouvelles Kävelymusiikkia pienille virtahevoille (« marche pour les petits hippopotames », 1957). Mais c’est avec Tämä matka (« ce voyage », 1956) qu’elle trouve une véritable audience. Ce recueil de poèmes figure parmi les ouvrages les plus importants du modernisme finlandais des années 1950. Au travers d’images denses et fortes, il évoque la solitude dans toutes ses dimensions. Ses recueils suivants : Orfiset laulut (« les chants orphiques », 1960), Niin vaihtuivat vuoden ajat (« ainsi changent les saisons », 1964), Kirjoitettu kivi (« la pierre écrite », 1966), Jos suru savuaisi (« si la tristesse fumait », 1968) sont également des classiques du modernisme. Fahrenheit 121 (1968), né durant un séjour en Espagne, et Kuolleet vedet (« les eaux mortes », 1977) embrassent les thèmes de la mort et du vide. Ses poèmes ont été traduits en plusieurs langues et certains d’entre eux publiés en français sous le titre Le Rêve, l’ombre et la vision (1994). Ses pièces Eros ja Psykhe (« Éros et Psyché », 1959), Uuden vuoden yö (« la nuit de la nouvelle année », 1965), Toukokuun lumi (« neige en mai », 1967) et Poltettu oranssi (« orange brûlé », 1968) ont redéfini l’expression dramatique et marqué une étape dans l’évolution de la dramaturgie finlandaise. Elle y analyse en particulier le comportement des hommes dans leurs rôles sociaux. Elle a également écrit un roman policier parodique, Oliko murhaaja enkeli ? (« le meurtrier était-il un ange ? », 1963), publié sous le pseudonyme de Anna September. Au moment de la parution de Runoja 1956-1977 (« œuvres complètes », 1980), elle élimine sévèrement certains de ses poèmes les plus anciens, puis elle cesse de publier.

Janna KANTOLA, Hannu K. RIIKONEN et Riikka ROSSI

MANNIN, Ethel Edith [LONDRES 1900 - ID. 1984]

Romancière britannique.

Née dans une famille d’origine irlandaise, Ethel Mannin est scolarisée dans des écoles publiques jusqu’à l’âge de 15 ans. Elle commence à 19 ans sa carrière d’écrivaine par des collaborations à la revue Women’s Page et devient rapidement une auteure prolifique et très populaire. Militante politique inquiète des problèmes de société, elle se situe résolument à gauche et rejoint le Labour Party, mais une visite en Union soviétique la désillusionne du communisme et elle s’oriente alors vers une sorte d’anarcho-syndicalisme, soutenant, pendant la guerre d’Espagne, le groupe des anarchistes de la mouvance d’Emma Goldman*. Mariée deux fois, elle a une liaison avec Bertrand Russell et une autre, orageuse et passionnée, avec W.B. Yeats. Dans la centaine de livres, très engagés politiquement, qu’elle a écrits – romans, autobiographies, livres de voyage, essais polémiques, manifestes politiques, biographies et livres pour enfants –, elle est souvent d’une rare virulence contre le colonialisme et le sionisme, et en faveur des guerres de libération arabe et des milieux lesbiens.

Michel REMY

Filles du vent (Children of the Earth, 1930), Paris, Éditions de la Paix, 1950 ; Lucifer et l’enfant (Lucifer and the Child, 1945), Rennes, Terre de brume, 2004 ; Vous qui êtes ma vie (Late Have I Loved Thee, 1948), Paris/Bruxelles, Éditions de la Paix, 1953

MANNING, Emily (dite Australie) [SYDNEY 1845 - BLANDVILLE 1890]

Poétesse et journaliste australienne.

Installée en Australie à partir de 1837, la famille d’Emily Manning appartient à la haute société. Le directeur de l’Université de Sydney, professeur de lettres classiques, la pousse à s’orienter vers la littérature. Elle part pour l’Angleterre, où, grâce à ses relations, elle évolue dans le monde des lettres et rencontre des écrivains reconnus. Sa carrière journalistique débute au journal périodique de Charlotte Mary Yonge*, Monthly Packet, dont la lecture est destinée à l’éducation des jeunes filles. De retour en Australie au début des années 1870, elle est l’une des premières femmes dont les articles paraissent régulièrement dans la presse. Souvent de manière anonyme, elle écrit pour le Town and Country Journal, le Sydney Morning Herald et le Sydney Mail. En 1873, elle épouse un notaire avec lequel elle aura six enfants, tout en continuant à écrire. Son recueil The Balance of Pain and Other Poems (« l’équilibre de la douleur et autres poèmes ») paraît à Londres en 1877, sous le pseudonyme d’Emily Australie. L’un de ses poèmes, « The Emigrants », fait l’objet d’une adaptation musicale sous forme de cantate par la Petersham Musical Society en 1880. La critique littéraire salue l’élévation intellectuelle et la pureté de son style, sa curiosité et sa capacité à aborder tous les sujets, ainsi que son empathie avec les souffrances humaines.

Marion PAOLI

MANNING, Mary [DUBLIN 1905 - CAMBRIDGE, ÉTATS-UNIS 1999]

Dramaturge, romancière et critique irlandaise.

Après avoir suivi les cours de l’école d’art dramatique de l’Abbey Theatre, Mary Manning commence une carrière de comédienne à l’Abbey et au Gate Theatre au début des années 1930. Sa première pièce, Youth’s the Season ? (« la saison de la jeunesse ? ») est créée au Gate Theatre alors qu’elle n’a que 23 ans. Elle émigre aux États-Unis en 1934, s’installe dans la région de Boston, et devient professeure d’art dramatique à Radcliffe College, puis directrice du Poet’s Theater à Cambridge, dans le Massachusetts, théâtre où se font entendre les voix nouvelles des années 1950, comme Gregory Corso, Alison Lurie* ou John Ashberry. C’est dans ce théâtre qu’elle produit un spectacle adapté d’extraits du Finnegans Wake de James Joyce. Amie d’enfance de Samuel Beckett, elle collabore avec lui sur des projets théâtraux ou littéraires, puis retourne en Irlande en 1967 et devient critique théâtral pour le Irish Times, avant de repartir aux États-Unis. Elle publie alors deux romans et écrit une pièce de théâtre consacrée à Rose Kennedy, Go Lovely Rose (1996).

Sylvie MIKOWSKI

MANNING, Olivia [PORTSMOUTH 1908 - ÎLE DE WIGHT 1980]

Romancière britannique.

Née d’un père officier de marine et d’une mère autoritaire, Olivia Manning étudie à l’école presbytérienne de Bangor et au lycée de Portsmouth. Elle travaille comme secrétaire, publie en feuilleton trois romans policiers, sous le pseudonyme de Jacob Morrow, puis 20 nouvelles entre 1929 et 1935. Attirée par Londres, elle brave l’interdit de sa mère et s’y installe, encouragée par un conseiller littéraire Hamish Miles. En 1937, elle publie The Wind Changes (« le vent change ») dont l’action se déroule à Dublin pendant les événements de juin 1921. Elle se marie en 1939 avec Reggis Smith, conférencier et professeur d’université auprès du British Council. Il est nommé en Roumanie et ils arrivent à Bucarest le jour de la déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne. Cette expérience fournit la matière des ses deux premiers opus de The Balkan Trilogy (dont Fortune des armes en 1960 et La Ville gâtée en 1962). Fuyant la progression des armées allemandes, elle le suit dans ses postes en Grèce (Les Montagnes de Thessalie, 1965, dernier volume de la trilogie balkanique), en Égypte et en Palestine, matière romanesque de Levant Trilogy. De retour à Londres après la guerre, elle travaille à la BBC, écrit des fictions sur l’actualité politique et collabore à de nombreux journaux et magazines. Critique ardente de la guerre, du racisme, du colonialisme et de l’antisémitisme, elle traite des crises d’identité, de l’altérité et de l’aliénation des réfugiés entre autres, du refus des identités imposées, et ses intrigues sont des dénonciations et des quêtes, dans une écriture dense, vivante mais qui n’évite pas toujours les stéréotypes et le manque de recul. The Balkan Trilogy et The Levant Trilogy sont réunis après sa disparition sous le titre La Fortune des armes, et reprise sous ce même titre dans une série télévisée en 1986.

Michel REMY

Fortune des armes (The Great Fortune, 1960), Paris, Nil, 2000 ; La Ville gâtée (The Spoilt City, 1962), Paris, Nil, 2000 ; Les Montagnes de Thessalie (Friends and Heroes, 1965), Paris, Nil, 2000.

MANNING OCONNOR, Eleanor (née MANNING) [LYNN, MASSACHUSETTS 1884 - MEXICO 1973]

Architecte américaine.

Après sa licence d’architecture, obtenue à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) en 1906, Eleanor Manning travailla pour Lois Lilley Howe comme dessinatrice puis devint son associée en 1913. Elles fondèrent ainsi la première agence de femmes architectes à Boston et la deuxième dans le pays. Rejointes par Mary Almy en 1926, le cabinet prit alors le nom de Howe, Manning and Almy. Connues pour leurs maisons fonctionnelles et bien dessinées, elles réalisèrent des centaines de projets en Nouvelle-Angleterre, entre autres à Old Harbor Village (1933-1938), qui fut le premier ensemble d’habitations à loyer modéré construit à Boston. Conçu pour répondre aux besoins des locataires, il comprenait des immeubles de trois étages et des maisons de ville à deux étages groupés autour de cours et d’entrées spacieuses, se distinguant ainsi des autres logements publics du même type. Outre ses plans primés de petites maisons, l’agence était aussi connue pour ses réhabilitations et réutilisations de structures existantes. Le trait essentiel de sa philosophie en matière d’architecture était de préserver les maisons qui existaient plutôt que d’en construire de nouvelles, de réutiliser les matériaux et de dessiner des espaces de vie confortables avec un minimum de gaspillage. Membre de l’Institut américain des architectes (AIA) en 1923, elle publia sous le nom d’E. Manning O’Connor plusieurs articles, dont « Architecture as a Profession for Women » (« l’architecture, une profession pour les femmes », 1934), dans le Simmons Review, et « Building for national Welfare » (« construire pour la prospérité nationale », 1935) dans le National Altrusan. S’intéressant principalement aux questions sociales, ses projets visaient à proposer aux familles américaines des logements décents à des prix abordables. Elle diffusa ses idées à travers son enseignement à Simmons College et dans d’autres établissements de la Nouvelle-Angleterre. Malgré la dissolution de l’agence en 1937, E. Manning continua à participer à plusieurs comités de logement au plan national et, à l’époque où elle travaillait pour la Massachusetts Civic League, fonda l’un des premiers cours de gestion domestique aux États-Unis. Elle continua à pratiquer son métier sur le plan privé jusqu’en 1959. À la fin de sa vie, elle s’intéressait à la culture amérindienne.

Meredith CLAUSEN

ALLABACK S., The First American Women Architects, Urbana, University of Illinois Press, 2008 ; COLE D., TAYLOR K. C., Lady Architects : Howe, Manning, and Almy, 1893-1937, New York, Midmarch Arts, 1990 ; TORRE S. (dir.), Women in American Architecture, New York, Whitney Library of Design, 1977.

MANNONI, Maud (née Magdalena VAN DER SPOEL) [COURTRAI 1923 - PARIS 1998]

Psychanalyste française.

Le nom de Maud Mannoni s’inscrit dans la prestigieuse liste de ces femmes qui ont contribué au développement théorique et clinique de la psychanalyse. Elle passe son enfance à Colombo (aujourd’hui au Sri Lanka) où son père est consul des Pays-Bas. Une succession de changements de résidences, l’oubli de sa langue maternelle – l’anglais –, l’apprentissage du français, puis du néerlandais et le retour vers l’anglais, constituèrent un parcours traumatisant qui fut sans doute le terreau de son écoute de la détresse des enfants handicapés et de leurs parents. À Bruxelles, M. Mannoni passe un diplôme de criminologie qui la conduit à fréquenter des services de psychiatrie et à rencontrer des enfants et adolescents psychotiques. Elle entreprend une première cure analytique, puis se rend à Paris où elle rencontre Jacques Lacan avec lequel elle reprend une analyse. Elle le suit dans ses ruptures institutionnelles et dans ses avancées théoriques sans pour autant renoncer aux enseignements que lui apportent ses fréquents séjours à Londres auprès de Donald Winnicott. À Paris, elle travaille avec Françoise Dolto* à l’hôpital Trousseau où elle rencontre Octave Mannoni. Avec lui, elle fréquente les milieux politiques de gauche, s’engage dans les luttes anticolonialistes, signe le Manifeste des 121 défendant le droit à l’insoumission pendant la guerre d’Algérie. Dans Les Temps modernes, elle diffuse les idées psychanalytiques et celles du courant de l’antipsychiatrie anglaise dont, par l’intermédiaire de Donald Winnicott, elle a connu les principaux représentants, Ronald Laing et David Cooper. En 1954, elle publie un rapport centré sur la question du sens que peuvent revêtir, pour une famille, les déficits organiques et psychiques d’un enfant. En 1964, dans L’Enfant arriéré et sa mère, elle expose ses conceptions de la maladie mentale, la nécessaire prise en charge des parents d’enfants handicapés, et fait une violente critique des pratiques en vigueur dominées par des conceptions essentiellement classificatrices et ségrégationnistes. Le livre dessine de manière programmatique ce que sera son École expérimentale de Bonneuil, créée en 1969 avec Robert Lefort, qui mettra en pratique son concept d’institution éclatée, ouverte vers l’extérieur – elle coopère avec Fernand Deligny qui recevra des enfants de Bonneuil dans son « lieu de vie » dans les Cévennes. Elle traite les enfants en sujets et leur propose des activités « vraies », c’est-à-dire impliquant professionnels, artistes ou artisans. Avant cette création, soutenue par l’École freudienne de Paris, M. Mannoni a été à l’origine, en 1967 à Paris, d’un important colloque sur les psychoses marqué par des interventions de Lacan et de Winnicott ainsi que par la participation de représentants de l’antipsychiatrie anglaise. Après la dissolution de l’École freudienne en 1980, elle crée successivement deux associations psychanalytiques : le Centre de formation et de recherches psychanalytiques (CFRP) qui, à la suite d’une scission, donnera naissance à l’« Espace analytique ». Son dernier ouvrage, Elles ne savent pas ce qu’elles disent, est un essai sur Virginia Woolf*.

Michel PLON

L’Enfant, sa « maladie » et les autres, le symptôme et la parole, Paris, Seuil, 1967 ; Le Psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, Paris, Seuil, 1979 ; La Théorie comme fiction, Freud, Groddeck, Winnicott, Lacan, Paris, Seuil, 1979 ; D’un impossible à l’autre, Paris, Seuil, 1982 ; Un savoir qui ne sait pas, l’expérience analytique, Paris, Denoël, 1985 ; Amour haine séparation, renouer avec la langue perdue de l’enfance, Paris, Denoël, 1993.

MANO, Aleksandra [LESKOVIK 1924 - TIRANA 2005]

Archéologue albanaise.

Première femme archéologue albanaise, Aleksandra Mano est également la première femme nommée directrice de l’Institut d’archéologie de Tirana (1976-1983). Spécialiste de l’Antiquité, sa contribution couvre un demi-siècle d’histoire et concerne les sites les plus importants de l’Illyrie méridionale, notamment Dyrrhachion et Apollonia – mentionnée par Cicéron comme Magna urbs et gravis (« grande et influente cité »). À Apollonia, A. Mano a découvert des monuments de première importance : le théâtre, les habitations antiques et une grande partie de la nécropole hellénistique et romaine. Ses recherches portent sur la colonisation hellénique du littoral de l’Illyrie méridionale et ses conséquences sur les villes illyriennes de l’arrière-pays. Elles ont été publiées pour l’essentiel dans sa monographie Apolonia e Ilirisë, kërkime dhe studime arkeologjike (« Apollonia d’Illyrie, recherches et études archéologiques », 2006), qui contient des résumés en français.

Faik DRINI

MANOU, Rallou [ATHÈNES 1915 - ID. 1988]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie grecque.

Formée à l’école dalcrozienne Koula Pratsika d’Athènes, puis à Paris, Munich et New York, auprès de Doris Humphrey*, de Hanya Holm* et surtout de Martha Graham* (1945-1947), Rallou Manou ouvre une école en 1941 qui prend rapidement une dimension professionnelle classique et moderne. Cette attitude novatrice à l’époque révèle au public grec le langage grahamien. En 1951, elle crée sa compagnie, le Choréodrame hellénique, pour promouvoir « la pure tradition hellénique éclairée sous un nouveau jour et ranimée par les conceptions chorégraphiques modernes » pour qu’elle « se rapproche de notre sensibilité ». Pari réussi dès sa première saison où Marsyas, Le Serpent maudit, inspiré du théâtre d’ombres grec, et Six peintures populaires, œuvres emblématiques, mettent l’accent sur la quête identitaire du peuple grec. Quête qu’elle partage avec l’avant-garde artistique de son temps, en majorité masculine, avec qui elle collabore d’égal à égal, promouvant la créativité féminine. À l’éclectisme de sa thématique et de ses choix esthétiques, répond celui de son vocabulaire gestuel, synthèse des différents langages chorégraphiques. Fédérant harmonieusement des éléments en apparence hétérogènes, posant la question fondamentale de la place de l’humain dans ses rapports à lui-même et à l’autre, son œuvre, loin d’être réductrice à une simple expression nationale, atteint une dimension universelle.

Eugénia ROUCHER

Hellēniko chorodrama, 1950-1960, Athènes, s. l., 1961 ; Choros, Athènes, Gnossi, 1987.

MANOUBIA, Lella AL- [TUNIS V. 1180 - ID. 1257]

Sainte guérisseuse soufie tunisienne.

Née Saïda Aïcha al-Manoubia, celle que l’on surnomme la Grande Dame de Tunis est si renommée que son hagiographie, intitulée Manāqib (« vie, vertus et prodiges de la sainte »), est rédigée par l’imam de la mosquée de La Manouba, quartier de Tunis, consécration très rare pour une femme à cette époque. Dès l’âge de 12 ans, elle étudie les hadith (ensemble des paroles du Prophète) et la jurisprudence islamique avec le maître soufi Abou Hassan al-Chadhili qui la nomme à la tête de son ordre, la Chadhiliya. Dirigeant de ce fait des imams, elle peut prier dans la mosquée Zitouna de Tunis, véritable révolution dans le monde musulman. Elle rompt avec la tradition en restant célibataire et en travaillant pour subvenir à ses propres besoins. Son érudition, sa compassion envers les femmes malades et en détresse, sa capacité à communiquer avec le monde intermédiaire des esprits, saints et prophètes, au cours de ses retraites dans le djebel Zaghouan, font d’elle une haute figure du maraboutisme, mélange de mysticisme soufi et d’anciennes croyances, si critiqué par le malékisme dominant. À sa mort, la population de Tunis suit son cortège funèbre. Une cérémonie de transe animée par des femmes se déroule tous les dimanches sur sa sépulture. Deux zaouïa (mausolée de saint marabout) lui sont consacrées, l’une à la Manouba et l’autre à Tunis même, cette dernière datant du XIIIe siècle a été détruit en octobre 2012. Ses deux sanctuaires sont fréquentés par les beldi (la grande bourgeoisie tunisienne) jusqu’à la modernisation de la capitale dans les années 1950, mais les pèlerins continuent de demander des guérisons à la sainte et d’affluer vers sa maison natale, sa retraite de la Sayida (restaurée en 1993) et le lieu où elle priait dans le Djebel Zaghouan.

Claudine BRELET

BOISSEVAIN K., Sainte parmi les saints, Sayyda Mannūbia ou les recompositions cultuelles dans la Tunisie contemporaine, Paris/Tunis, Maisonneuve & Larose/Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2006.

MANSFIELD, Katherine (Kathleen BEAUCHAMP, dite) [WELLINGTON 1888 - FONTAINEBLEAU 1923]

Écrivaine néo-zélandaise.

Après une enfance en Nouvelle-Zélande, Kathleen Beauchamp étudia au Queen’s Collège de Londres de 1903 à 1906. À son retour, elle trouva la Nouvelle-Zélande très ennuyeuse et en 1908, persuada ses parents de retourner en Angleterre pour s’essayer aux lettres. Dès son arrivée, elle tomba enceinte et épousa un parfait inconnu, qu’elle quitta la nuit de leurs noces. Sa mère, exaspérée, l’emmena en Bavière, craignant qu’elle ne « souffrît » d’un penchant lesbien, contre lequel était prescrite à l’époque la spécialité allemande de l’« épreuve par l’eau ». De retour en Nouvelle-Zélande, elle s’empressa de déshériter sa fille rebelle qui repartit en Angleterre, adopta le pseudonyme de Katherine Mansfield et publia son premier recueil de nouvelles, Pension allemande (1911), à partir des souvenirs de son séjour en Bavière. En 1918, elle épousa le critique John Middleton Murry. Sur le conseil de ses médecins et afin d’enrayer sa tuberculose, l’écrivaine passa de plus en plus de temps en France où elle vécut trois ans. Félicité (1920) fut suivi de La Garden-party (1922). Trois mois avant sa mort, K. Mansfield rejoignit, à Fontainebleau, la communauté ésotérique de George Gurdjieff, dont la philosophie spirituelle l’attirait profondément. Elle y mourut le 9 janvier 1923, à 34 ans. Parmi ses publications posthumes figurent Le Nid de colombes (1923), Quelque chose d’enfantin (1924), mais ce furent le Journal (1928) et les Lettres (1928) qui établirent sa réputation en France. Considérée comme l’une des pionnières de la nouvelle moderniste, l’auteure a développé un style d’écriture lié à l’impressionnisme littéraire, proche du stream of consciousness britannique. Ses thèmes récurrents sont la violence, la guerre, la mort, l’accouchement, les rapports humains, dont les relations conjugales, ainsi que les questions liées au féminisme et à la sexualité. Son écriture rejette la structure conventionnelle de l’intrigue et de l’action en faveur de la présentation du personnage par le truchement de la voix narrative. De ce fait, l’auteure est l’une des figures de proue les plus passionnantes et les plus avant-gardistes de la mouvance moderniste. Sa technique narrative, savamment construite et empreinte d’une philosophie personnelle, aboutit à la production d’une prose vive et raffinée, traversée de symbolisme. La romancière exige de son lecteur qu’il ne prenne pas les choses pour argent comptant, qu’il soit confronté à la superficialité, qu’il méprise la cruauté, qu’il nie les fausses valeurs, qu’il revienne à un point de vue infantile, qu’il renverse les règles de la société et recrée des lois régissant la vie, plus spontanées et moins sectaires.

La popularité littéraire de K. Mansfield en Angleterre resta, pendant de nombreuses années, sujette à controverse en raison de la surenchère orchestrée par J. M. Murry autour des textes littéraires de sa femme. Ce dernier rassembla, au fil des années, les journaux intimes, les lettres et des nouvelles inédites de sa défunte épouse, et les fit paraître sous forme de volumes contenant les vestiges de sa vie d’écrivaine. Leur publication entacha la réputation de l’auteure en Angleterre et suscita beaucoup de protestations parmi ceux qui la connurent. Les Français, à leur tour, s’éprirent de cette jeune femme fantasque néo-zélandaise, qui mourut tragiquement sur leur territoire ; mais celle qu’ils promouvaient avec si peu de discernement critique ressemblait à peine à l’esquisse qu’en faisaient ses proches.

K. Mansfield devint alors un pion littéraire sur le vaste échiquier éditorial de J. M. Murry et l’objet de spéculations idéologiques de la part des critiques français. Ceux d’entre eux qui tentèrent de redresser cette perception biaisée de l’écrivaine furent engloutis par l’immense vague de l’opinion critique française, déterminée à faire suivre cette image artificielle sans le moindre souci d’exactitude historique. Néanmoins, les nouvelles de K. Mansfield sont en elles-mêmes suffisamment éloquentes pour élever leur auteure au rang des nouvellistes les plus doués du XXe siècle.

Gerri KIMBER

Journal (Journal of Katherine Mansfield, 1928), Paris, Stock, 1973 ; Lettres (The Letters of Katherine Mansfield, 1928), Paris, Stock, 1985 ; Les Nouvelles, Paris, Stock, 2006.

KAPLAN S. J., Katherine Mansfield and the Origins of Modernist Fiction, New York, Cornell University Press, 1991 ; KIMBER G., Katherine Mansfield : The View from France, Berne, P. Lang, 2008.

MANSILLA, Eduarda [BUENOS AIRES 1834 - ID. 1892]

Écrivaine argentine.

Née dans une famille aisée appartenant à la fois au monde politique et littéraire – elle est la nièce de Juan Manuel de Rosas et la sœur de l’écrivain Lucio Mansilla –, épouse de diplomate, Eduarda Mansilla voyage et fréquente les milieux de la haute société nord-américaine et européenne. Elle fait ses débuts d’écrivaine dans son pays en tant que feuilletoniste. El médico de San Luis (« le médecin de San Luis », 1860) et Lucía Miranda proposent une première approche de la relation entre civilisation et barbarie sur laquelle elle reviendra avec Pablo ou la vie dans les pampas (1868). Écrit en français à une époque où elle vit à Paris, ce roman est d’abord publié dans la revue L’Artiste, puis traduit en espagnol et publié dans le journal La Tribuna de Buenos Aires. Á partir de l’histoire d’un gaucho (personnage traditionnel argentin, gardien de vaches qui vit dans la pampa) injustement poursuivi par les autorités, l’écrivaine tente d’élaborer une interprétation de l’histoire nationale qui diffère de celle que développe Domingo Faustino Sarmiento dans Facundo, et préfigure d’autres classiques tels que Martín Fierro de José Hernández ou Juan Moreira d’Eduardo Gutiérrez. E. Mansilla a collaboré à diverses publications, parfois sous un pseudonyme. Elle a également abordé d’autres genres littéraires, notamment la nouvelle, le récit de voyage, la chronique de mode, l’essai et le drame, en posant presque toujours un regard critique sur la société. Recuerdos de viaje (« récits de voyage »), Cuentos (« nouvelles »), Creaciones (« créations ») sont quelques-uns des titres publiés dans les années 1880.

Graciela BATTICUORE

MANSION, Suzanne [LIÈGE 1916 - WOLUWE-SAINT-LAMBERT 1981]

Professeure de philosophie antique et médiévale belge.

Suzanne Mansion a grandi au sein d’une famille d’hommes de sciences, très intéressée par les arts. Fille du philologue Joseph Mansion, elle suit les pas de son oncle, Augustin Mansion, théologien et philosophe. Première femme à être agrégée de philosophie en Belgique (école Saint-Thomas-d’Aquin) en 1946, elle publie sa thèse de doctorat, soutenue en 1941 : Le Jugement d’existence chez Aristote. Professeure de philosophie de l’Antiquité et de métaphysique à l’Université catholique de Louvain de 1959 jusqu’à sa mort, elle dirige dès sa fondation, en 1956, le Centre De Wulf-Mansion dont l’objet principal est l’étude transversale des philosophies antique et médiévale. Ayant donné de nombreuses conférences aux États-Unis et au Canada, elle a participé notamment aux rencontres organisées autour des Symposiums aristotéliciens, dont elle édite les actes du deuxième colloque (1960), sous le titre : Aristote et les Problèmes de la méthode.

Marta MARTÍNEZ VALLS

Études aristotéliciennes, recueil d’articles, FOLLON J. (éd.), Louvain-la-Neuve, Éditions de l’Institut supérieur de philosophie, 1984.

MANSO, Juana [BUENOS AIRES 1819 - ID. 1875]

Écrivaine, journaliste et militante féministe argentine.

Très jeune, Juana Manso De Noronha s’exile à Montevideo, où elle dirige une école, puis à Rio de Janeiro, où elle fonde l’hebdomadaire O Jornal das Senhoras (« le journal des femmes », 1852) pour promouvoir l’éducation des femmes. Elle se distingue comme l’une des premières journalistes du continent en dirigeant un quotidien pour femmes sous son véritable nom. Elle y publie la première version de son roman Los misterios del Plata (« les mystères du Plata »). Écrit sous l’influence de l’esthétique romantique, au cœur de la passion politique suscitée par le gouvernement despotique de Juan Manuel de Rosas, ce livre présente une critique acerbe de la « barbarie » incarnée par le pouvoir en place. L’écrivaine en reprend plusieurs fois l’écriture, avant de le laisser inachevé en espagnol, probablement en raison des controverses provoquées par son ton fortement partisan. Ainsi, la première édition du livre est publiée en 1899, après l’intervention de l’éditeur, qui en achève l’écriture en s’inspirant de la version portugaise parue dans O Jornal. Dans son roman La familia del comendador (« la famille du commandeur », 1854), J. Manso témoigne des conflits raciaux dont elle a été témoin au Brésil. À peine rentrée d’exil, en 1854, elle fonde le quotidien Album de señoritas (« album de jeunes filles »), qui cesse de paraître à cause d’un nombre insuffisant d’abonnés et d’un manque de soutien officiel. Avec un esprit volontaire, elle défend l’école laïque et mixte et les droits des femmes à l’éducation et au travail, ce qui lui vaut les injures publiques de conservateurs cultivés. Elle est appuyée par le futur chef de l’État, Domingo Faustino Sarmiento, qui la choisit comme collaboratrice directe en 1858, lorsqu’il lance les Anales de la educación (« annales de l’éducation »), qui diffusent ses propositions en faveur d’une éducation populaire, laïque et mixte. De 1865 à 1875, J. Manso est directrice de la publication, et elle inaugure des pratiques inédites : des lectures publiques pour diffuser leurs idées sur la politique, la religion et l’éducation, ainsi que des conférences destinées aux institutrices, avec pour objectif la professionnalisation de l’enseignement. L’expérience, très contestée, débouche sur une pétition adressée aux autorités pour en demander la suspension. L’œuvre de l’écrivaine est mieux reçue à titre posthume : lors de la modernisation de l’État argentin, après l’adoption des lois sur l’éducation laïque publique, son livre Compendio de la historia de las Provincias Unidas del Río de la Plata (« résumé de l’histoire des Provinces-Unies du Río de la Plata ») est inscrit au programme de lectures obligatoires des écoles publiques argentines. À l’époque, c’est un des seuls manuels qui propose un récit de l’histoire nationale ; il est d’ailleurs réédité neuf fois.

Graciela BATTICUORE

MANSOUR, Ahlam [KHÂNAQÎN, IRAK 1950]

Écrivaine irakienne.

Rien ne prédestinait Ahlam Mansour, née à une dizaine de kilomètres de la frontière iranienne, à devenir écrivaine en langue kurde. Appartenant à un milieu social relativement aisé, elle aurait pu, comme tous les enfants de sa condition, faire ses études dans la langue officielle et dominante, l’arabe, d’autant que le kurde n’était pas enseigné dans les écoles de sa ville, car l’État irakien entendait arabiser la population. Mais après son baccalauréat, en 1970, alors que le mouvement national kurde vient d’arracher une liberté culturelle et politique de quatre ans, elle choisit de faire des études kurdes à Bagdad. C’est une période de véritable liesse, sans doute une des plus importantes qu’ait jamais connues ce peuple. A. Mansour commence à publier dans des revues et se fait connaître comme une écrivaine courageuse dans une société conservatrice, au lieu de se consacrer à l’enseignement comme la plupart de ses condisciples. Elle est auteure de nouvelles où elle met en scène les gens de Khânaqîn, sa ville natale : ville multiculturelle par les influences iranienne, arabe et ottomane ; ville multilingue, où l’on parle le kurde, l’arabe, le turc et où une bonne partie de la population comprend le persan ; ville multireligieuse, où les musulmans, chiites, sunnites ou adeptes de sectes hétérodoxes côtoient les chrétiens. Ce sont les gens ordinaires que l’auteure peint, avec leurs propres mots et leurs propres noms. Elle écrit leur vie quotidienne, leurs rêves, leurs attentes, leurs joies et leurs déceptions, leurs violences aussi. Elle les fait parler avec un naturel étonnant, probablement à l’origine de son succès. En 1981, dix-huit de ces nouvelles ont été regroupées dans Pird (« le pont »), sans doute du nom du vieux pont de la ville. C’est probablement son œuvre majeure.

Halkawt HAKEM

MANSOUR, Haifaa AL- [ARABIE SAOUDITE 1974]

Réalisatrice, scénariste et productrice saoudienne.

Fille du poète Abdul Rahman Mansour, issue d’un milieu saoudien traditionnel mais ouvert, Haifaa al-Mansour grandit au milieu d’une fratrie de douze enfants dans une petite ville proche de Riyad. Les salles n’existant pas en Arabie Saoudite, elle fait connaissance avec le cinéma grâce aux vidéos. Jeune fille, elle part étudier au Caire où elle obtient en 1997 un diplôme de littérature comparée à l’université américaine. De retour au pays, elle enseigne l’anglais et l’arabe dans une compagnie pétrolière, mais souffre de sa condition dans un environnement qui ne reconnaît aucune existence sociale aux femmes. Affectée au département Media corporate, elle apprend à filmer et à monter. Cette expérience lui permet de réaliser un premier court-métrage de fiction. Who ? (2003) prend prétexte d’un fait divers – un serial killer agit caché sous un voile intégral – pour dénoncer une tradition qu’elle juge absurde et ayant plus à voir avec le conservatisme qu’avec la religion musulmane. Le film soulève des critiques en Arabie Saoudite. Pour répondre à ceux qui jugent qu’elle tourne le dos à sa culture, H. al-Mansour réalise un deuxième court-métrage : The Bitter Journey (2005), filmé dans le village de son père. Après un troisième court-métrage – The Only Way Out (2005) –, elle réalise Women Without Shadows (2006), un documentaire tourné cette fois dans le village de sa mère et qui rend compte des paroles libres d’un groupe de Saoudiennes. Visionné dans plusieurs festivals internationaux, il reçoit notamment un Prix spécial du jury au Festival du film arabe à Rotterdam. H. Mansour décide de compléter ses études par un master de cinéma à l’université de Sydney, dont elle sort avec un prix d’excellence. Au retour, elle tourne son premier long-métrage de fiction en Arabie Saoudite même, ce qui en fait une pionnière parmi les réalisateurs saoudiens. Wadjda (2013) est l’histoire d’une petite fille qui s’inscrit au concours de récitation coranique pour s’acheter… une bicyclette, est une satire subtile des préjugés conservateurs de la classe moyenne. Visionné pour la première fois au festival de Venise de 2012, Wadjda reçoit le Prix du meilleur film art et essai. Il est également lauréat au Festival international du film de Dubaï.

Nathalie COUPEZ

MANSOUR, Ilham [RAS BAALBECK 1944]

Romancière libanaise.

Professeure à la faculté des lettres et des sciences humaines de Beyrouth, Ilham Mansour a travaillé tant sur la philosophie d’Amin al-Rihani que sur la psychanalyse chez Freud ou le rôle du Liban dans le mouvement de libération arabe. Son espace romanesque se situe dans un Orient où les femmes vivent dans la peur et la dissimulation (tasattur). Elle aborde surtout la sexualité féminine sans pour autant verser dans l’érotisme ; ses héroïnes restent pudiques, et leurs sentiments se trouvent sublimés. Dans’Anā hiya’anti (« toi, c’est moi », 2000), l’homosexualité féminine, même secrète, est décrite comme un fait avéré dans la société libanaise. En filigrane, on peut y lire que le progrès et l’affranchissement des tabous de la société orientale et machiste viendront des femmes.

Nehmetallah ABI-RACHED

MANSOUR, Joyce (née ADÈS) [BOWDEN, ANGLETERRE 1928 - PARIS 1986]

Poétesse égyptienne d'expression française.

Originaire d’Alexandrie, élevée en Angleterre, Joyce Mansour perd sa mère à l’âge de 15 ans, puis son premier mari après quelques mois de mariage. Le souvenir de ces deux disparitions hante son écriture, marquée par la violence et la mort. Arrivée à Paris en 1953, elle fréquente le groupe surréaliste, et publie son premier recueil Cris, une soixantaine de poèmes d’un ton entièrement nouveau, qui lui valent d’emblée la réputation d’écrivaine licencieuse, plus volontiers célébrée comme l’égérie des derniers surréalistes que comme collaboratrice à part entière du groupe. Entre 1954 et 1959, sa production se caractérise cependant par son étonnante diversité et son talent multiforme, de la poésie à la prose narrative, sans oublier le théâtre. Cette multitude d’écritures provient assurément de l’admiration qui l’attache à André Breton – le premier à lui reconnaître du talent –, qui lui conseillait de « tout savoir écrire », et à qui elle dédie son premier récit Jules César (1956). Le style baroque de Déchirures (1955), les contes des Gisants satisfaits (1958), qui restent son recueil le plus célèbre, Rapaces (1960), exposent la violence de la douleur… À partir de Carré blanc (1965), ses textes, autrefois courts et incisifs, deviennent de longs monologues incantatoires au rythme haletant. Dans Les Damnations (1966), elle se dit possédée par « le désir du désir sans fin ». À partir de 1969, elle trouve dans l’objet esthétique un moyen de renouveler son inspiration. En 1973, Îles flottantes, texte narratif à la première personne, décrit la mort de son père ; testament littéraire, ce récit met secrètement en scène la fin d’un langage et d’un passé, signe l’abandon définitif de la forme narrative pour affirmer la priorité à l’image extérieure. Ainsi, en 1982, les dessins de Robert Lagarde, illustrant les poèmes de Jasmin d’hiver, deviennent le point de départ d’un voyage dans les profondeurs d’un corps monstrueux où la déchéance physiologique préfigure les atteintes du cancer qui l’emportera. Cette menace qui accompagnait depuis le début le lyrisme mansourien surgit dans les derniers poèmes, notamment dans Trous noirs (1986), où les dessins de Gerardo Chávez interprètent cette représentation de la mort imminente. Grâce à la collaboration intime avec ses « frères de peinture », l’auteure accède enfin à cette « objectivité lyrique » que visait, depuis ses débuts poétiques, l’ensemble de son œuvre.

Marie-Noëlle CAMPANA

MANSOUR M.F., Une vie surréaliste, Joyce Mansour, complice d’André Breton, Paris, France Empire, 2014 ; MATTHEWS J. H., Joyce Mansour, Amsterdam, Rodopi, 1985 ; MISSIR M. L., Joyce Mansour, une étrange demoiselle, Paris, J.-M. Place, 2003.

STAMELMAN R., « Le fauve parfum du plaisir, poésie et éros chez Joyce Mansour », in La Femme s’entête, la part du féminin dans le surréalisme, Paris, Lachenal & Ritter, 1998.

MANSOUR, Khairiya AL- [BADGAD 1958]

Réalisatrice irakienne.

Quasiment la seule Irakienne réalisatrice (malgré quelques compatriotes dans la diaspora), Khairiya al-Mansour a étudié à l’Académie des arts de Bagdad de 1976 à 1980, avant de poursuivre des études de cinéma au Caire en 1980. Assistante de cinéastes renommés d’Irak ou d’Égypte, tels Salah Abu Seif, Tewfik Saleh et Youssef Chahine, elle est aussi l’auteure de deux longs-métrages de fiction : Sitta ‘ala sitta (« vision 20/20 », 1988) et Miya ‘ala miya (« cent pour cent », 1992) qui a remporté le Prix de la meilleure comédie au Festival du film arabe de 1992. Elle a également tourné une quarantaine de documentaires (courts et moyens) pour la télévision. Ces derniers sont très marqués politiquement et dénoncent la situation des femmes ou des enfants victimes de l’embargo. Elle s’intéresse aussi beaucoup aux portraits d’artistes. Depuis la chute de l’industrie cinématographique irakienne, elle travaille principalement pour les télévisions irakienne et jordanienne.

Brigitte ROLLET

HILLAUER R., Encyclopaedia of Arab Women Filmmakers, Le Caire/New York, The American University in Cairo Press, 2005.

MANSOURI, Mariam AL- [ABU DHABI 1979]

Pilote de chasse émiratie.

Née dans une famille de huit enfants, Mariam al-Mansouri obtient un baccalauréat en littérature anglaise de l'université des Émirats arabes unis. Aspirant à une carrière de pilote depuis l'école secondaire, elle doit attendre que les femmes y soient autorisées. Elle entre alors dans l'armée et travaille pour l’état-major général avant de pouvoir suivre la formation de l’école des pilotes de l'Armée de l'air des Émirats arabes unis, dont elle sort diplômée en 2007, devenant la première femme émiratie pilote de chasse. Habituée des déclarations médiatiques, elle explique avoir eu à surmonter les stéréotypes de genre tout au long de son parcours, et prend la parole à plusieurs reprises pour défendre le droit de ses compatriotes de sexe féminin à servir leur pays, y compris dans l'armée : « L'homme et la femme ont le droit d'intégrer tous les domaines pour se hisser au plus haut niveau », déclare-t-elle à la télévision d'État d'Abu Dhabi. En septembre 2014, M. al-Mansouri prend la tête de la première escadrille de quatre F-16 engagée par les Émirats arabes unis dans la coalition de plusieurs pays contre les djihadistes de l'organisation de l’État islamique, en Syrie. Pour son action dans cette opération militaire – conduite par les États-Unis –, elle a été décorée des plus hautes distinctions de son pays.

Elisabeth LESIMPLE

MANTEAU, Angèle [DINANT 1911 - ALOST 2008]

Éditrice belge.

Fille d’un industriel lillois prospère et d’une mère belge, Angèle Manteau grandit en Wallonie. Pendant ses études à Bruxelles, elle apprend le néerlandais et découvre la littérature flamande grâce aux écrivains hollandais réputés qui fréquentent la maison où elle est logée. En 1932, elle ouvre à Bruxelles une librairie spécialisée en littérature néerlandaise. En 1938, elle associe une maison d’édition à la librairie. Pendant l’occupation allemande, elle reprend les éditions Lumière, où elle publie des écrivains français célèbres, comme Colette*, Mauriac ou Éluard. Elle découvre le jeune auteur flamand Louis Paul Boon et entreprend la publication des œuvres complètes du grand poète Karel Van de Woestijne. Après la guerre, le marché du livre belge s’effondre et elle doit fermer les éditions Lumière. La traduction en flamand d’auteurs étrangers de renom, comme Malaparte ou Françoise Sagan*, avec Bonjour tristesse, en 1955, permet à la maison d’édition Manteau de tenir pendant la crise. Dans les années 1950 et 1960, elle fait émerger de jeunes auteurs flamands comme Hugo Claus, Ward Ruyslinck, Walter Van den Broeck. En 1971, elle quitte la maison d’édition qu’elle a créée pour les éditions Elsevier, à Amsterdam, où elle publie notamment les écrits très populaires de Godfried Bomans et des traductions d’Heinrich Böll. Considérée comme le plus grand éditeur littéraire belge du XXe siècle, elle a reçu de nombreuses distinctions.

Kevin ABSILLIS

ABSILLIS K., « Angèle Manteau (1911-2008), éditrice wallonne d’auteurs flamands », in Septentrion, vol. 37, no 3, mars 2008.

MANTEOLA, Flora [BUENOS AIRES 1936]

Architecte argentine.

La loi permettant l’établissement de capitaux étrangers en Argentine, en 1960, ayant provoqué une ouverture économique, de nouvelles entreprises internationales s’y installent tandis que l’État investit dans les travaux publics et l’architecture. Beaucoup de concours sont alors lancés, formations post-universitaires rêvées. Flora Manteola n’est pas encore diplômée lorsqu’elle obtient le deuxième prix du concours de la Bibliothèque nationale d’Argentine, en 1960, avec un groupe de jeunes architectes : Justo Solsona (1931), Josefina Santos (1931) et Javier Sánchez Gómez (1936). Admiratrice de Louis Kahn (1901-1974), elle développe une architecture pleine d’audace, interrogeant les programmes, inventant des solutions inédites, explorant de nouveaux matériaux, tout en cherchant à concevoir avec rapidité et en valorisant la dimension esthétique. L’agence (MSGSSS) intègre de nouveaux collaborateurs : Rafael Viñoly (1944), Ignacio Petchersky (1944-1971) et Carlos Sallaberry (1944), construit des édifices aussi nombreux que variés dans les principales villes d’Argentine, d’Uruguay et du Chili, dont plusieurs tours, les installations des télévisions argentine et chilienne, et réalise l’agrandissement de l’aéroport international d’Ezeiza à Buenos Aires. F. Manteola s’investit particulièrement dans la conception d’édifices scolaires et la restructuration de silos et de docks dans le quartier de Puerto Madero. Elle enseigne à la faculté d’architecture de l’université de Buenos Aires et occupe une place remarquable comme juré dans les concours.

Claudia SHMIDT

LIENUR J. F., « Cinco figuras », in Trazas de futuro. Episodios de la cultura arquitectónica de la modernidad en America Latina, Santa Fe (Argentine), Universidad nacional del Litoral, 2008.

MANTERO, Vera [LISBONNE 1966]

Danseuse et chorégraphe portugaise.

Après avoir étudié la danse classique, Vera Mantero travaille à Lisbonne au ballet Gulbenkian, et y crée sa première chorégraphie en 1987. Elle se tourne ensuite vers la danse contemporaine à New York et Paris, et travaille également la voix et le théâtre. Elle crée beaucoup de solos, lors de performances courtes mêlant danse, art plastique et théâtre. Ses univers sont très variés, fantaisistes et donnent lieu à des tableaux souvent percutants. Dans Peut-être elle pourrait danser d’abord et penser ensuite (1991), elle expose ses questionnements sur la création ; Olympia (1993) est une très courte référence à l’œuvre de Manet ; en 1996, elle crée Une mystérieuse chose, a dit e.  e. cummings, en hommage à Joséphine Baker* ; en 2007, elle livre sa vision du strip-tease dans Nightshade. Elle a reçu de nombreux prix : Une rose de muscles (prix SE7E de la meilleure chorégraphie 1990) ; Pour des tristesses ennuyées et profondes (Rencontres chorégraphiques de Bagnolet et Festival Mudanças 1996) ; en 1996, l’American Dance Festival lui décerne le premier Scripps/ADF Primus-Tamiris Fellow. Une rétrospective de son œuvre est réalisée à Lisbonne en 1999 et, en février 2002, elle reçoit le prix Almada pour l’ensemble de sa carrière d’interprète et de chorégraphe. Elle effectue de nombreuses tournées dans le monde et participe à des projets collectifs internationaux ; elle crée également pour la Batsheva Dance Company et plusieurs pièces pour le ballet Gulbenkian. Elle est aussi interprète pour d’autres artistes, tels Francisco Camacho, Catherine Diverrès*, Robyn Orlin*, Alain Buffard ou Claudia Triozzi. Depuis les années 2000, elle initie des projets collectifs et intensifie son travail sur la voix, se produisant parfois dans des concerts.

Hélène MARQUIÉ

MANUEL, Jeannine (née STEEL) [GRENOBLE 1920 - PARIS 2003]

Pédagogue franco-américaine.

Jeannine Steel part, seule, en 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale, rejoindre le général de Gaulle à Londres où elle rencontre son mari, André Manuel, lui-même résistant. En 1944, elle est officier de liaison à Paris et en 1945 elle accueille les déportés au Lutetia. Elle rejoint un temps une partie de sa famille aux États-Unis après la guerre, puis s’installe à Paris. Désireuse que ses enfants puissent renforcer le niveau d’anglais acquis pendant leur séjour en Amérique et qu’ils évoluent dans un environnement international, elle décide de créer ce qui deviendra l’École Active Bilingue Jeannine-Manuel (EABJM). Elle réunit quelques enfants d’amis et se lance dans l’aventure. C’est à partir de cette année 1954 que, psychologue de formation, elle révèle ses talents de pédagogue et d’innovatrice. D’emblée, elle opte pour la mixité et cache à tour de rôle les garçons ou les filles lorsque les inspecteurs se présentent. Elle organise l’apprentissage de l’anglais pour tous dès le plus jeune âge, ce qui est révolutionnaire à l’époque. Pour mettre en place cet enseignement du jardin d’enfants à la terminale, elle conçoit une méthode d’une grande rigueur et simplicité : les élèves sont inscrits dans des groupes de niveau dont ils peuvent changer en fonction de leur progression, ce qui permet un suivi individualisé de chacun. Ce système stimule leur désir d’apprendre et leur évite de s’enfoncer dans l’échec. Puis la maîtrise des deux langues se confirmant, l’enseignement artistique, les cours d’histoire, de géographie, de sciences peuvent être suivis en français ou en anglais. Au fil des années, de jeunes étrangers, ignorant le français et souvent l’anglais, forcés à l’exil par des conflits divers ou conduits à l’expatriation par des changements économiques, rejoignent ces classes où un enseignement adapté leur est proposé. J. Manuel, par son énergie, sa vision pédagogique, a concrétisé son rêve : promouvoir la compréhension internationale. Aujourd’hui, 3 000 élèves sont scolarisés à l’EABJM de Paris et de Lille, tandis que de nombreux établissements s’inspirent de ce projet éducatif, illustrant ainsi, soixante ans plus tard, sa modernité.

Martine LUX

MAN’YŌ-SHŪ – LITTÉRATURE [Japon VIIIe siècle]

Le Man’yō-shū (« recueil des dix mille feuilles ») est une anthologie de poèmes (waka) compilée à la fin du VIIIe siècle. Il contient environ 4 500 waka dont 400 sont écrits par des femmes. Les auteurs sont issus de toutes les classes sociales : des empereurs, des nobles, des fonctionnaires provinciaux ou des paysans anonymes, et 130 sont des femmes. Une de ces auteures, Nukata no Ōkimi, est poétesse de cour, active durant la seconde moitié du VIIe siècle. Maîtresse de l’empereur Tenmu, elle devient plus tard l’épouse de l’empereur Tenji, frère de Tenmu. On dit aussi que lors d’un banquet elle a récité, pour amuser le public, des poèmes évoquant l’adultère. L’époque était encore tolérante concernant l’amour et la sexualité. Une autre poétesse célèbre de la fin du VIIe au début du VIIIe siècle, Sakanoue no Iratume, était l’épouse de Hozumi-no Miko (le fils de l’empereur) : « Je vous aime et je vous aime. Puisque c’est enfin un moment où l’on peut se voir, donnez-moi les plus tendres paroles si vous voulez que cela dure. » La douceur et le sérieux sont ici mêlés harmonieusement, en évitant le chantage. La poétesse Sano no Otogami no Otome est connue surtout pour son amour tragique avec Nakatomi no Yakamori, condamné à l’exil dans la province de l’Est : « Ce chemin qui vous emmène en exil, je veux qu’il soit détruit et brûlé par le feu du Ciel ! »

L’époque du Man’yō-shū permettait aux poétesses d’exprimer directement leurs sentiments, sans recourir à l’artifice ou à la coquetterie, mais, à partir du Xe siècle, cette forme de poésie n’existera plus. Bien antérieure à la naissance du récit romanesque (Dit du Genji), des mémoires (Mémoires d’une éphémère) ou des essais (Notes de chevet), la forme poétique qu’est le waka fonctionnait comme un lieu d’expression privilégié pour les femmes de sensibilité.

KATŌ MASAYOSHI

MANZANO, Sonia [GUAYAQUIL 1947]

Écrivaine équatorienne.

Sonia Manzano participe au Front culturel ou Génération huracanada de Guayaquil aux côtés des poètes Fernando Artieda et Agustín Vulgarín, et de l’artiste plasticien Hernán Zúñiga. Pendant les années 1970-1980, elle publie sept recueils de poèmes, dans lesquels elle cherche une voix propre, qui arrivera à maturité dans ses œuvres Full de reinas (« full de reines », 1991), Patente de corza (1997) et Último regreso a Edén (« dernier retour à Eden », 2006). Dans son écriture, elle revient sur l’essence de la femme poète. Sa poésie passe en revue les classiques des mythes occidentaux, avec un intérêt particulier pour les personnages bibliques, ce qui ne l’empêche pas d’utiliser des icônes contemporaines. Elle se tourne ensuite vers la prose et reçoit en 1989 le premier prix au Concours de la nouvelle féministe équatorienne. Son premier roman, Y no abras la ventana todavia – zarzuela ligera sin divisiones aparentes (« et n’ouvre pas encore la fenêtre – zarzuelas légères sans divisions apparentes », 1994), se déroule dans le milieu intellectuel de Guayaquil ; l’intrigue, narrée par une voix féminine, raconte l’histoire des modernistes locaux. S. Manzano a également été distinguée pour son recueil de nouvelles Flujo escarlata (« flux écarlate ») en 1999. En 2001 paraît un autre roman, Que se quede el infinito sin estrellas (« que l’infini perde ses étoiles »). En 2005, dans Eses fatales (« des s fatals »), elle décrit comment une écrivaine décide d’écrire un livre en découvrant à quel point la santé de sa mère se détériore.

Yanna HADATTY MORA

MANZIARLY, Marcelle DE [KHARKOV 1899 - OJAI, CALIFORNIE 1989]

Pianiste et compositrice française.

De père français et de mère russe, Marcelle de Manziarly arrive à Paris en 1904 et devient, en 1911, l’élève de Nadia Boulanger*, à qui elle voue rapidement une admiration passionnée. Très jeune, elle compose, et, lorsque sa Sonate pour piano et violon est créée en 1921, elle a pour interprètes N. Boulanger et Gaston Poulet. En 1922, son Trio pour piano, violon et violoncelle sera joué par N. Boulanger, Maurice Maréchal et Lucien Bellanger. Lors d’un voyage aux Indes, en 1924, M. de Manziarly s’entretient avec Rabîndranâth Tagore et des musiciens professionnels, qui l’initient aux subtilités de la musique hindoue et éveillent son intérêt pour les gammes et les systèmes tonaux indiens. En 1930-1931, elle suit, à Bâle, le cours de direction de Felix Weingartner. L’interprétation qu’elle fait, en 1933, de son Concerto pour piano, sous la direction d’Alfredo Casella, fait sensation. Lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1937, elle est sollicitée pour écrire la musique de scène de deux pièces d’Henri Ghéon, La Parade du Pont au Diable et Suzanne et les Vieillards. En 1942, elle se rend à New York et perfectionne sa technique de piano avec Isabelle Vengerova. À son retour à Paris, sa Sonate pour deux pianos est exécutée, en 1946, par Monique Haas et elle-même, lors d’une émission radiodiffusée. Dès lors, elle poursuit sa carrière comme pianiste, chef d’orchestre et enseignante, tant aux États-Unis qu’en France et en Suisse, le plus souvent entourée des grands de son époque – dont la princesse Edmond de Polignac, commanditaire entre autres, en 1934, de ses Trois duos pour deux sopranos, ou Louise de Vilmorin*, qui écrit à son intention L’Île à privilèges. Parmi ses œuvres – compositions pour piano, musique de chambre ou pour orchestre (dont la Sonate pour Notre-Dame, écrite pour la Libération de Paris ou Musique pour orchestre, 1950), musique chorale et vocale (La Femme en flèche, opéra de chambre, 1954), entre autres –, son Trio pour flûte, violoncelle et piano a particulièrement marqué les esprits, suscitant des commentaires élogieux dans la presse. L’évolution du langage de M. de Manziarly a suivi une voie personnelle. De nature indépendante, elle n’adhéra à aucun groupe, à aucun système, tenant essentiellement à l’authenticité de son effort créateur. Son besoin de renouvellement la mit sur la voie de possibilités non encore explorées par elle, qui servirent de base à la composition des œuvres de ses vingt dernières années, telles Stances, pour piano, Dialogue, pour violoncelle et piano, Sphères, pour orchestre, Trilogue II, pour violon, violoncelle et piano.

Michèle FRIANG

CHIMÈNES M., Mécènes et musiciens, Du salon au concert à Paris sous la IIIe République, Paris, Fayard, 2004.

MANZINI, Gianna [PISTOIA 1896 - ROME 1974]

Écrivaine italienne.

En 1915, Gianna Manzini s’établit à Florence, où elle se destine à la carrière d’enseignante. Après l’échec de son mariage, elle se lie avec le critique Enrico Falqui. Son premier roman, Tempo innamorato (« le temps de l’amour », 1928), reflète l’atmosphère grise des amours impossibles et de la mort, tout en témoignant déjà d’une attention minutieuse à l’égard des détails, d’une temporalité complexe et du dialogue entre le narrateur et ses personnages. Plusieurs recueils de récits suivront : Incontro col falco (« la rencontre avec le faucon », 1929) et Bosco vivo (« bois vivant », 1932), où elle expérimente différentes techniques narratives qui lui permettent de s’attacher aux objets les plus modestes, aux plantes et aux animaux. Parallèlement, elle dirige la revue Quaderni Internazionali di Prosa, qui s’intéresse aux écrivains européens et américains, collabore à Lettura, le supplément mensuel du quotidien Il Corriere della sera, puis à Giornale d’Italia et à Oggi. Parmi ses œuvres, Un filo di brezza (« une brise légère », 1936), volontairement inachevé, se situe à mi-chemin entre le roman et le récit. Dans Rive remote (« rivages lointains », 1940), s’amorce un dialogue avec son père et sa mère et une réflexion sur la mort. Lettera a un editore (« lettre à un éditeur », 1945) mêle le récit autobiographique, l’essai et le roman. En 1953 paraissent Animali sacri e profani (« animaux sacrés et profanes ») et Il valzer del diavolo (« la valse du diable »), voyage dans le passé inauguré à la vue d’une blatte, emblème d’un monde souterrain à explorer et à dépasser pour renaître. Foglietti (« feuillets », 1954) réunit des portraits d’artistes tels que Giuseppe Ungaretti et André Gide. L’Épervière (1956), roman empreint de symbolisme, plonge ses racines dans l’enfance du protagoniste. Cara prigione (« chère prison », 1958), Un’altra cosa (« une autre chose », 1961) et Allegro con disperazione (« allegro désespéré », 1965) témoignent d’un travail d’épuration et d’allégement des textes. Un’altra cosa (« une autre chose ») analyse le rôle de la femme écrivain, les risques de compromis, de passivité et de dégradation que ce rôle sous-tend et les moyens mis en œuvre pour les vaincre. Dans ses deux livres suivants s’entrecroisent, par le canal de la mémoire, la perception sensorielle et l’analyse intérieure : dans Portrait en pied (1971, prix Campiello), l’écrivaine trace le portrait de son père, anarchiste persécuté par les fascistes ; dans Sulla soglia (« sur le seuil », 1973), elle aborde des questions qui lui sont chères – la polysémie, l’interprétation, la dimension autre et le dialogue instauré avec les morts, à tel point que l’ordre temporel en est bouleversé. G. Manzini a également publié des impressions de voyage en Grèce, en Irlande, en Hollande et dans les pays scandinaves.

Graziella PAGLIANO

L’Épervière (La sparviera, 1956), Paris, Stock, 1958 ; Portrait en pied (Ritratto in piedi, 1971), Paris, Mille et une nuits, 2002.

FAVA GUZZETTA L., Gianna Manzini, Florence, La Nuova Italia, 1974 ; ID. (dir.), Omaggio a Gianna Manzini, Messine, Prometeo, 1986.

MAO, Mme VOIR JIANG QUING

MAO SAMNANG (ou TUNSAY) [KOMPONG SOM, AUJ. SIHANOUKVILLE 1959]

Écrivaine, parolière et scénariste cambodgienne.

Née dans la province méridionale du Cambodge, Mao Samnang est élève en classe de première lors de la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges. Son père, professeur de lycée considéré comme un intellectuel, est tué. Sa vie, à l’image de celle de ses compatriotes, est alors remplie de larmes, de privations et de durs labeurs. Lorsque le régime s’effondre, elle se retrouve en charge de sa mère, d’une sœur et de trois frères. Elle devient institutrice pour subvenir à ses besoins ; l’époque est difficile et les situations précaires. Elle écrit un premier roman pour son plaisir et ne songe guère à le publier ; à sa lecture, un homme d’affaires lui en achète les droits et le met en vente dans toute la capitale à un prix équivalent à son salaire d’enseignante. Aussi décide-t-elle de se consacrer à l’écriture. Les lecteurs plébiscitent ses écrits, mais afin de ne pas dévoiler son identité sous le contrôle communiste, elle adopte le pseudonyme Tunsay qui signifie « lapin », en référence à l’animal des contes et légendes du Cambodge, loué pour sa sagesse et son intelligence. Elle ne signe de son vrai nom que depuis 1987, année au cours de laquelle elle commence à écrire des scénarios pour des films vidéo. Ses protagonistes révèlent une personnalité plus complexe qu’ils ne le laissent paraître et sont pris dans des séries d’aventures et d’intrigues sociales dont la lecture est parfois déroutante. L’auteure n’hésite pas à insérer dans ses histoires des thèmes qui rongent la société actuelle, tels que le viol, la violence familiale, l’arrogance et l’impunité des riches. Elle utilise un vocabulaire volontiers simple et direct, secret de son succès. Bien qu’elle ne se considère pas comme une romancière, elle a rédigé quelque 120 romans entre 1981 et 1985 ; elle a écrit plus d’une centaine de scénarios de films vidéo et s’est essayée au journalisme. Au cours de sa carrière, elle a reçu plusieurs distinctions dont le premier prix Preah Sihanouk Raja en janvier 1995 pour son roman Rolok baok khsac (« les vagues qui s’échouent sur le sable ») et le deuxième prix décerné en 2000 par l’association Save the Children Norway pour Kamrang phkaa melih (« la guirlande de jasmin »). Aujourd’hui, elle met son expérience au service de l’Association des écrivains khmers, en encourageant les jeunes auteurs et en les faisant profiter de sa compétence de distributrice. L’ensemble de son œuvre a été récompensée par le royaume du Cambodge en 2003 et en 2008, et deux de ses romans, Kamrang phkaa melih et Samut ngogneut (« la mer sombre ») ont été traduits en japonais en 2003. Mao Samnang est l’un des rares écrivains à vivre de sa plume dans un pays où les artistes sont contraints d’exercer un second métier. Son écriture foisonnante et inventive lui a permis de conforter sa notoriété de scénariste de feuilletons télé et de films vidéo.

Suppya Hélène NUT

Samnieng saok, Phnom Penh, édition de l’auteure, 2006 ; Béh dong peuh pol, Phnom Penh, édition de l’auteure, 2009 ; Chit mouy thlaem mouy, Phnom Penh, édition de l’auteure, 2010.

KHING H. D., « Mme Mao Samnang (1959) », in Littérature cambodgienne du XXe siècle, écrivains et textes, Phnom Penh, Éd. Angkor, 2007.

MA PAN YOU VOIR THAN MYINT AUNG

MA QUAN [CHANGSHU V. 1690 - ID.  ? active durant la première moitié du XVIIIe siècle, époque Qing]

Peintre chinoise.

Issue d’une famille importante d’artistes professionnels, Ma Quan (ou Jiangxiang) est la fille du peintre Ma Yuanyu (1669-1722). Son grand-père Ma Mei s’était illustré dans le genre des fleurs et oiseaux, et son père avait étudié la peinture avec Yun Shouping (1633-1690), maître du mogu (peinture dite « sans os », c’est-à-dire sans contours), ce qu’il transmet à sa fille, qui reçoit ainsi une solide formation. Mariée au peintre Gong Chonghe, elle se rend avec lui dans la capitale pour échapper à la pauvreté ; ils vivent alors de leur peinture, très appréciée. À la mort de son mari, elle retourne dans sa ville natale et mène une vie de veuve fidèle, mais surtout de peintre professionnelle à succès. Sa réputation grandit au point que les gens affluent des environs, offrant de la soie et de l’or dans l’espoir d’obtenir ses peintures. Pour répondre à la forte demande, une organisation du travail s’impose, et plusieurs domestiques sont chargés de mélanger les pigments. Dans les dernières années de sa vie, elle est frappée de cécité, et l’une de ses domestiques nommée Zhen ainsi qu’une autre personne du nom de Qian Zhang peignent en son nom, sans doute pour honorer les demandes en nombre croissant. Bientôt, des artistes réalisent des copies d’après ses œuvres, si fidèles que l’on peut s’y méprendre. Aussi de nombreux faux subsistent-ils, ce qui décourage des collectionneurs. L’influence de l’artiste s’exerce aussi par son enseignement, qui est recherché par nombre de dames et de gentilshommes de Qinquan (région de Changshu). Elle acquiert une grande renommée en peignant des œuvres aux contours précis (gongbi), tandis que sa contemporaine Yun Bing (XVIIIe siècle) excelle dans la technique mogu perpétuant la technique de son aïeul Yun Shouping. Les gens du Jiangnan les nomment la « paire d’incomparables ». Suivant la tradition familiale, Ma Quan se spécialise dans les peintures de plantes, d’insectes et de fleurs (Chrysanthème et insectes, Urban Council, Hong Kong Museum of Art ; Fleurs et papillons, A. W. Bahr Collection, The Metropolitan Museum of Art, New York), et son style est marqué également par l’héritage de Yun Shouping dont elle recueille le goût pour une observation exacte de la réalité et l’utilisation de couleurs fraîches. Elle puise aussi son inspiration dans l’art de la dynastie des Song, dont elle assimile la délicate technique en gong bi, comme en témoigne Fleurs et insectes d’après les Maîtres Song (collection privée, Honolulu, 1723).

PENG CHANG MING

WEIDNER M. S, LAING E. J., CHU C. et al. (dir.), Views from Jade Terrace : Chinese Women Artists, 1300-1912 (catalogue d’exposition), Indianapolis/New York, Indianapolis Museum of Art/Rizzoli, 1988 ; WEIDNER M. S., « The conventional success of Ch’en Shu », in ID. (dir.), Flowering in the Shadows : Women in the History of Chinese and Japanese Painting, Honolulu, University of Hawaii Press, 1990.

MAR, Florentina DEL VOIR CONDE, Carmen

MARAINI, Dacia [FIESOLE, FLORENCE 1936]

Écrivaine italienne.

Fille de l’ethnologue Fosco Maraini et de Topazia Alliata, descendante de l’antique famille sicilienne des Alliata di Salaparuta, Dacia Maraini passe son enfance au Japon où son père effectue ses recherches. En 1943, lorsque le gouvernement japonais, allié de l’Italie fasciste, prétend que les Maraini adhèrent à la République de Salò, toute la famille est internée dans un camp de concentration dont elle sera libérée par les Américains à la fin de la guerre. De retour en Italie, les Maraini s’installent à Bagheria en Sicile. À 18 ans, D. Maraini quitte la Sicile pour Rome où elle finit ses études secondaires et publie ses premières nouvelles dans les revues Paragone, Nuovi Argomenti et Il Mondo. Au début des années 1960, elle rencontre l’écrivain Alberto Moravia, dont elle deviendra la compagne.

Journaliste affirmée et auteure de poèmes, ainsi que de pièces de théâtre publiées en partie dans Il ricatto a teatro e altre commedie (« le chantage au théâtre et autres comédies », 1970) et Fare teatro (« faire du théâtre », 1974), D. Maraini a également collaboré à des scénarios de films de Pier Paolo Pasolini. Nombre de ses romans ont pour protagonistes des figures féminines aux prises avec une réalité difficile et animées par les luttes féministes : L’Âge du malaise (1963), récit de l’éducation sentimentale d’une adolescente romaine au début des années 1960 ; Teresa la voleuse (1972), inspiré par une enquête sur les prisons de femmes ; Femmes en guerre (1975) ; Il treno per Helsinki (« un train pour Helsinki », 1984), où se détache la figure autobiographique d’une auteure dramatique en voyage à l’étranger. Certains de ses livres reconstituent la vie romancée de femmes ayant réellement existé, mais dont l’histoire n’a gardé aucune trace : La Vie silencieuse de Marianna Ucrìa (1990), où une jeune femme sourde et muette, mariée à un vieil oncle, trouve dans la lecture et l’écriture le moyen de s’affirmer ; Isolina (1992), récit d’une jeune femme poussée par son amant à un avortement qui cause sa mort, et dont ni le corps ni la mémoire ne sont respectés. Dans ses livres suivants, le récit autobiographique prévaut : Retour à Bagheria (1993) évoque les années d’emprisonnement au Japon et l’arrivée en Sicile ; Le Bateau pour Kobé (2001) est une transcription commentée des journaux intimes de sa mère pendant leur séjour au Japon ; La grande festa (2011) évoque les figures qui ont marqué sa vie affective. En 2012, elle a publié L’amore rubato (« l’amour volé »), sur les violences faites aux femmes.

Francesco GNERRE

L’Âge du malaise (L’età del malessere, 1963), Paris, Gallimard, 1963 ; Teresa la voleuse (Memorie di una ladra, 1972), Paris, Stock, 1974 ; Femmes en guerre (Donna in guerra, 1975), Paris, Des femmes, 1977 ; La Vie silencieuse de Marianna Ucrìa (La lunga vita di Marianna Ucrìa, 1990), Paris, Robert Laffont, 1992 ; Le Bateau pour Kobé (La nave per Kobe, 2001), Paris, Seuil, 2003.

MARANT, Isabel [BOULOGNE-BILLANCOURT 1967]

Styliste de mode française.

Dès l’âge de 15 ans, Isabel Marant taille ses premiers vêtements ; elle lance, avec son ami Christophe Lemaire, une petite marque, Aller Simple. Elle entre au Studio Berçot en 1985, puis travaille pour diverses marques. En 1989, elle crée une ligne de bijoux et d’accessoires, suivie un an plus tard par une ligne de maille, Twen, qui devient, en 1994, Isabel Marant. C’est à cette occasion qu’elle présente son premier défilé. En 1997, elle s’installe dans le 11e arrondissement de Paris et ouvre sa première boutique de vêtements et d’accessoires rue de Charonne, l’année suivante. Aujourd’hui I. Marant propose sa ligne éponyme, la ligne Étoile, moins chère, et, depuis 2004, une collection enfant. Chef de file de la jeune génération de stylistes, elle a lancé le style bohème chic. Des mélanges ethniques de ses débuts, elle est passée aux mélanges d’époques, dans un esprit vintage, et ses créations sont devenues plus sophistiquées et citadines. Elle aime les beaux tissus dans des tons rompus, donnant l’impression d’avoir vécu, et les travaille dans un esprit artisanal, particulièrement visible dans les détails de broderies.

Zelda EGLER

KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

GROPPO P., « Le Charme Marant », in Vogue Paris, n° 877, mai 2007 ; GUILLAUME H., « Isabel Marant, l’allure au présent », in Le Figaro, 17-18 nov. 2007.

MARAT, Dolorès [PARIS 1944]

Photographe française.

Dolorès Marat est l’une des photographes contemporaines françaises les plus singulières. Apprentie à 15 ans chez un photographe de quartier, elle devient en 1969 laborantine pour le magazine Votre beauté, mais ne se lance qu’à 37 ans dans un travail personnel. En continuant à exercer comme photographe pour le magazine jusqu’en 1994, elle réalise, à partir de 1981, avec son Leica, des images souvent floues, aux éclairages surnaturels et aux couleurs parfois antinaturalistes. Son univers inquiétant est peuplé de fantômes, de mannequins, de poupées et de silhouettes dans un décor sans âge, où l’étrange s’impose (Le Rendez-vous, Londres, 6 avril 1996, qui montre un couloir décrépit du métro londonien). Certaines œuvres sont macabres, comme l’image d’un fœtus déformé dans du formol (Le Petit Bocal, Pékin, 30 septembre 2002), ou inspirées par l’univers pornographique, telles ses images prises dans les sex-shops du monde entier. Son livre Labyrinthe (2001) est construit comme un maelström, un tournoiement d’images de marginaux, de mannequins, de lieux urbains désolés et de parallèles violents entre les viandes et les femmes sous plastique. Les lieux de passage (cafés, rues, métros) et les lieux de spectacles (cirques, zoos) sont nombreux. Sa démarche artistique est essentiellement liée à ses errances dans Paris, « emboîtement de perspectives et de destins ». Elle explique qu’elle n’a pas de méthode particulière ou de sujet de prédilection. Elle recherche la « magie des lieux, les mystères du temps ». Pour ses tirages, elle utilise, en virtuose de la couleur, le procédé Fresson au charbon direct, qu’un photographe lui a fait découvrir dans les années 1970 : les tons sont mats et les contours estompés. C’est aussi par le cadre, le découpage d’un fragment de réel, qu’elle crée l’énigme. Ses clichés sans mise en scène sont néanmoins plus proches du rêve que du quotidien. La singularité de ses photos réside dans leur fort potentiel narratif. Dans son livre Passage (1992) elle accompagne ses images de très courts textes. Elle a travaillé en collaboration avec des écrivains comme Marie Darrieussecq* (Illusion, 2003) ou Jean-Luc Bitton (La Mer de la tranquillité, 2005). Sa première grande exposition personnelle date de 1986 (musée de la Photographie de Charleroi en Belgique), mais c’est surtout le support livre qu’elle privilégie depuis.

Anne REVERSEAU

Labyrinthe, Cherbourg, Le Point du jour, 2001 ; Illusion, Trézélan/Enghien-les-Bains, Filigranes/Centre des arts, 2003 ; La Mer de la tranquillité, Paris, Les Petits Matins, 2005.

MARATHONIENNES ET COUREUSES DE FOND [XXe-XXIe siècle]

Contrairement aux idées toutes faites, aucune distance supérieure au dolichos (soit un peu moins de 5 000 mètres) ne figura au programme des Jeux antiques. Suggéré par le philologue français Michel Bréal à Pierre de Coubertin durant la période préparatoire aux premiers Jeux olympiques modernes, le marathon a d’emblée pris une place à part. Sa distance fut définitivement fixée à 42, 195 km, parcours mesuré du château de Windsor jusqu’à la ligne d’arrivée au stade de Sheperd’s Bush, à partir des Jeux de Londres 1908. Il n’était pas imaginable qu’une femme souhaitât s’y attaquer, ni qu’elle fût admise à y participer. Et pourtant…

Ainsi, en 1967, deux concurrentes s’engagent au marathon de Boston sous les noms de K. (pour Kathie) Switzer et Bobby (pour Roberta) Lou Gibb (Bingay) ; malgré des scènes vaudevillesques quand les organisateurs tentent de les stopper, elles finiront le parcours. Mais cette « course des femmes » avait commencé dès 1896 lorsque, à en croire les historiens grecs de l’athlétisme, Stamatha Reviti tenta de s’aligner au départ du marathon olympique, en fut évincée, mais s’élança le lendemain matin et rejoignit Athènes. En octobre 1926, une Anglaise, Violet Percy, est officiellement chronométrée en 3 h 40 min 22 s. Cependant, les autorités athlétiques, prenant prétexte de l’issue un peu difficile du 800 mètres féminin des Jeux olympiques d’Amsterdam en 1928, freinent l’inscription (ou la réinscription) d’épreuves censées dépasser les capacités des femmes et ne cèdent que pied à pied : 200 mètres (Jeux de Londres 1948), 800 mètres (1960), 400 mètres (1964), 1 500 mètres (1972), 10 000 mètres (1988), 5 000 mètres (1996). Mais dans les années 1960, avec la vague du jogging venue d’outre-Atlantique, le mouvement se fait irrésistible. En 1971, l’Australienne Adrienne Beames passe sous les trois heures : 2 h 46 min 30 s. C’est une Norvégienne, Grete Waitz (née en 1953), qui donne au marathon féminin sa légitimité. Cinq fois championne du monde de cross country, lauréate de l’épreuve féminine du marathon de New York en 1978, elle le gagne de nouveau à huit reprises jusqu’en 1988 ; ses performances sont meilleures que celles de l’Argentin Delfo Cabrera, vainqueur des Jeux de Londres en 1948, et toutes proches des 2 h 25 min d’Alain Mimoun à Melbourne en 1956. G. Waitz ouvre à Helsinki en 1983 le palmarès mondial.

Seule fait défaut la consécration olympique ; ce sera chose faite en 1984. À ces Jeux de Los Angeles, quatre-vingt-huit ans après Athènes, l’épreuve féminine du marathon réunit tous les contrastes. Partie dès le quatrième kilomètre, l’Américaine Joan Benoit devance G. Waitz de 1 min 26 s, en 2 h 24 min 52 s. Mais ce que les spectateurs du Coliseum et les téléspectateurs n’oublieront pas, c’est le dernier tour interminable (400 mètres en 5 min 44 s) de la Suissesse Gabrielle Andersen-Schiess, victime de la déshydratation bien que parfaitement préparée. Certains tentent alors de reprendre les diatribes d’Amsterdam 1928, mais on ne peut revenir en arrière : 44 des 50 concurrentes de 28 nations ont terminé. À Séoul, ce n’est pas l’ancienne skieuse de fond norvégienne Ingrid Kristiansen – un temps triple détentrice du record des 5 000 et 10 000 mètres ainsi que du marathon, 2 h 21 min 6 s en 1985 – qui l’emporte mais la Portugaise Rosa Mota, qui accumule trois titres européens et un titre mondial entre 1982 et 1990. À Barcelone, en haut de l’éprouvante montée finale sur la colline de Montjuich, la Russe Valentina Yegorova arrache huit maigres secondes à la Japonaise Arimori Yuko ; la première est représentative des athlètes de l’Europe de l’Est qui gagneront aussi à Pékin en 2008 avec la Roumaine Constantina Tomescu ; la seconde fait partie de l’école japonaise, dans ce pays qui professe la philosophie, sinon le culte, d’une discipline pour laquelle il organise des épreuves réservées aux femmes depuis les années 1980, à Osaka, Nagano, Nagoya et Tokyo. En 1993, Asari Junko devient championne du monde à Stuttgart devant une autre Portugaise, Manuela Machado, couronnée à son tour en 1995, tandis que Suzuki Hiromi reprend ce titre en 1997 à Athènes. Malgré le dangereux retour de la Roumaine Lidia Simon dans l’emballage final, Takahashi Naoko conserve huit secondes aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, devenant une figure de proue nationale ; sa compatriote Noguchi Mizuki lui succède en 2004 à Athènes. Le 30 septembre 2001 à Berlin, Takahashi Naoko court en 2 h 19 min 46 s. Le 7 octobre à Chicago, la Kényane Catherine Ndereba fait mieux, 2 h 18 min 47 s ; deux fois championne du monde, elle remporte la médaille d’argent en 2004. L’avènement des coureuses de longue distance africaines constitue l’un des faits les plus marquants dans l’évolution du statut féminin du continent noir. En 1992 à Barcelone, l’Éthiopienne Derartu Tulu a gagné un 10 000 mètres olympique hautement symbolique devant la Sud-Africaine Elena Meyer, et toutes deux ont accompli ensemble le plus acclamé des tours d’honneur ; D. Tulu récidivera en 2000 à Sydney. Si la Kényane Tegla Loroupe éparpille son talent, deux autres Éthiopiennes, Meseret Defar, médaillée d’or du 5 000 mètres à Athènes en 2004, et Tirunesh Dibaba, double lauréate des 5 et 10 kilomètres à Pékin en 2008, ont rejoint sur la plus haute marche Fatuma Roba, gagnante olympique à Atlanta où elle devança dans l’ordre les deux premières de Barcelone.L’Anglaise Paula Radcliffe, longtemps devancée sur les distances inférieures mais championne d’Europe en 2002 du 10 000 mètres à Munich, s’accomplit sur les 42 195 mètres du marathon. Depuis ses débuts victorieux sur la distance en 2002 à Londres, elle est restée invaincue huit fois sur dix, ne manquant, hélas pour elle, que les deux courses olympiques d’Athènes et de Pékin. Elle a haussé le record à un niveau naguère impensable pour une femme : 2 h 17 min 8 s le 13 octobre 2002 à Chicago, 2 h 15 min 25 s – soit à 9 secondes du temps de Abebe Bikila en 1960 à Rome – le 13 avril 2003 au marathon de Londres. Dans l’histoire non seulement de l’athlétisme et du sport féminins, mais aussi de la condition des femmes, la « bataille du marathon » est exemplaire.

Jean DURRY

MARATTI, Faustina [ROME vers 1679 - ID. 1745]

Poétesse italienne.

Fille naturelle du peintre Carlo Maratta, Faustina Maratti reçut une bonne formation humaniste, étudia la musique et les arts figuratifs, et se consacra à la poésie, sous l’influence d’Alessandro Guidi. Après avoir été reconnue par son père, en 1698, la jeune femme entra de plein droit dans la société intellectuelle romaine. Victime d’une tentative d’enlèvement par le duc Sforza Cesarini, elle en garda une blessure à la tempe. Considérée dès lors comme une héroïne, elle fut accueillie en Arcadie* en 1704 sous le nom pastoral Aglauro Cidonia. En 1705, elle épousa Giambattista Felice Zappi, le poète le plus important selon le goût de Giovanni Mario Crescimbeni, qui s’était affermi pendant la première Arcadie romaine. La maison des Zappi devint un des lieux de « conversations » les plus influents de l’Académie et offrit un écho à ceux qui arrivaient à Rome. Il en fut ainsi pour Georg Friedrich Haendel et Domenico Scarlatti.

Les poèmes de F. Maratti peuvent être lus dans Rime degli Arcadi (1716) et Rime di Giovanni Battista Felice Zappi e di Faustina Maratti, sua consorte (1723). Ses sonnets de jeunesse, écrits dans le style de Pétrarque, sont élégants et équilibrés ; ils ont pour principaux thèmes les grands personnages féminins de la romanité (Véturie, Tucie, Lucrèce, Porcie), qui figuraient aussi dans la peinture de son père. Les vers de la maturité, qui chantent l’affection familiale avec une sensibilité psychologique et une participation affective intense et inhabituelle pour l’époque, sont très efficaces.

Anna Teresa ROMANO CERVONE

MARC, Rita VOIR LAGESSE, Marcelle

MARÇAL, María Mercè [BARCELONE 1952 - ID. 1998]

Écrivaine espagnole d’expression catalane.

Après des études de philologie classique à l’université de Barcelone, María Mercè Marçal fonde, en 1973, avec son mari, l’éditeur Ramon Pinyol, Llibres del Mall, la maison d’édition qui publiera et diffusera ses premières œuvres. En 1977, avec Cau de llunes (« gîte de lunes »), elle apparaît comme une des voix novatrices de la génération des années 1970. Parallèlement, membre du Partit socialista d’alliberament nacional (PSAN) et de l’Assemblea de Catalunya, elle mène une lutte politique contre le franquisme en déclin. Elle présente des exposés sur le « féminisme et la littérature », et crée en 1979 la section de féminisme à l’université catalane d’été de Prada de Conflent, dont elle est la coordinatrice pendant six ans, organisant des conférences et des expositions à caractère indépendantiste, laïque et lesbien. La publication, en 1979, de Bruixa de dol (« sorcière en deuil ») et de deux autres titres lui vaut un grand succès. Ces textes, sortes d’autobiographies imaginaires, où amour et solitude sont des thèmes récurrents, témoignent de la construction d’une identité de femme. La naissance de sa fille l’incite à traduire sur le mode poétique, d’une manière inédite dans le monde catalan, l’expérience de la maternité dans Sal oberta (« sel ouvert », 1982) ; puis Terra de mai (« terre de jamais », 1982) et La germana, l’estrangera (« la sœur, l’étrangère », 1985) traitent de sujets alors tabous : l’amour entre femmes, la force des rapports homosexuels. Au sein du collectif de femmes du Pen Club catalan, l’auteure théorise le besoin d’une généalogie de la culture féminine, en collaboration avec des philosophes de l’université de Barcelone, dont Fina Virulés, qui deviendra sa compagne. Sa poésie, axée sur l’identité féminine, fait référence à Adrienne Rich*, Sylvia Plath* et Anne Sexton*, et rend notamment hommage à Frida Kahlo* et à Maria Àntònia Salvà*. La passió segons Renée Vivien* (« la passion selon Renée Vivien », 1994), où elle rend hommage à celles qui l’ont précédée dans la voie d’une écriture fondée sur la différence, en fait une grande romancière, dans la lignée de Virginia Woolf* et de Djuna Barnes*. Sa vie durant, elle contribue à l’enseignement de la langue et de la littérature catalanes. Elle a traduit en catalan des textes de Léonor Fini*, d’Anna Akhmatova*, de Marina Tsvetaeva*, de Colette* et de Marguerite Yourcenar*. Certains de ses livres ont fait l’objet de traductions en plusieurs langues, dont le castillan. Desglaç (« dégel »), sa dernière œuvre publiée en 1997, est une mise en question des rapports entre père et fille.

Concepció CANUT

Contraban de llum, antologia poètica, Ulià L. (dir.), Barcelone, Proa, 2001.

IBARZ M. (dir.), María Mercè Marçal, sota el signe del drac, proses 1985-1997, Barcelone, Proa, 1979 ; SISTAC D., Líriques del silenci, la cançó de dona a Safo, Renée Vivien i Maria Mercè Marçal, Lleida, Pagès Editors, 2001.

MARCA Y ARIOA, Casandro Mamés DE LA VOIR CASAMAYOR Y DE LA COMA, María Andrea

MARCEAU, Sophie [PARIS 1966]

Actrice, scénariste et réalisatrice française.

Elle fait ses débuts au cinéma à l’âge de 14 ans, dans le rôle principal de La Boum (Claude Pinoteau, 1980). Cette comédie familiale et sa suite (La Boum 2, 1982) lui valent une immense popularité. Sophie Marceau prend un risque par la suite en plongeant dans l’univers morbide du réalisateur polonais Andrzej Zulawski, qui devient son mari et avec lequel elle aura un fils. Elle joue sous sa direction dans L’Amour braque (1985), Mes nuits sont plus belles que vos jours (1989), La Note bleue (1991) où elle incarne Solange, la fille ennemie de George Sand*, ou encore dans La Fidélité (2000). Sa carrière prend une tournure internationale lorsqu’elle incarne une James Bond girl dans Le monde ne suffit pas (The World Is Not Enough, Michael Apted, 1999). Elle tourne également avec Maurice Pialat, pour le film noir Police (1985), et joue dans des œuvres en costumes : Chouans ! (Philippe de Broca, 1988) ; La Fille de d’Artagnan (Bertrand Tavernier, 1994) ; Marquise (Véra Belmont*, 1997). Elle apparaît dans le dernier film de Michelangelo Antonioni (et Wim Wenders), Par-delà les nuages (Al di la delle nuvole, 1995). Elle tourne Je reste ! (Diane Kurys*, 2003), À ce soir (Laure Duthilleul, 2004), De l’autre côté du lit (Pascale Pouzadoux, 2008), Lol (Liza Azuelos, 2008), Ne te retourne pas (Marina de Van, 2009). Elle fait ses débuts de scénariste et de réalisatrice avec Parlez-moi d’amour (2002), suivi de La Disparue de Deauville (2007), film interprété par son compagnon Christophe Lambert. Sur scène, l’actrice joue avec Lambert Wilson dans Eurydice de Jean Anouilh et dans Pygmalion de Bernard Shaw. En 2011, elle revient au théâtre avec un monologue d’Ingmar Bergman.

Bruno VILLIEN

MARCEGAGLIA, Emma [MANTOUE 1965]

Femme d’affaires italienne, dirigeante d’organisation patronale.

Après de brillantes études à Bologne puis aux États-Unis, Emma Marcegaglia a rejoint l’entreprise industrielle créée par son père pour en prendre la direction en 1996. Première femme élue à la tête des jeunes entrepreneurs de la Confindustria, elle devient, à 32 ans, vice-présidente de la confédération. Soutenue par les dirigeants de petites et moyennes entreprises, elle est la première femme à prendre la tête, pour deux mandats, de 2008 à 2012, de ce puissant syndicat patronal créé au début du XXe siècle. Femme moderne dans un milieu traditionnel, ouverte au dialogue social, elle est convaincue que le travail des femmes est facteur de croissance économique. Dans un pays où le taux d’activité féminin et le taux de fécondité sont parmi les plus bas d’Europe, elle plaide pour stimuler l’emploi des femmes par des aides aux entreprises qui les embauchent et par la création de systèmes de garde d’enfants. Elle refusera d’être ministre du gouvernement Berlusconi, dont elle dénonce l’immobilisme politique et le manque de crédibilité au moment où la crise financière s’abat sur l’Europe, participant ainsi aux mouvements qui poussent Berlusconi à la démission en 2011. Elle accepte de négocier avec Susanna Camusso*, secrétaire générale de la Confederazione generale italiana del lavoro, et Elsa Fornero*, ministre du Travail, pour réformer le Code du travail. Ces trois femmes réussissent à trouver un accord historique en 2012, ce qu’aucun gouvernement précédent n’avait réussi à faire.

Jacqueline PICOT

MARCELA DE SAN FÉLIX (née DEL CARPIO) [MADRID 1605 - ID. 1687]

Poétesse, auteure dramatique et mystique espagnole.

Fille illégitime de l’auteur dramatique Félix Lope de Vega y Carpio et de la comédienne Micaela de Luján, elle adopte le nom de Marcela de San Félix et vit au couvent Saint-Ildefonse des Trinitaires déchaussées, à Madrid, à partir de 1621. Son destin, sa retraite monastique et son intérêt pour les thèmes religieux ont souvent été interprétés comme provenant de l’exemple de son père, ordonné prêtre après une vie de désordres sentimentaux. Son œuvre tient en deux manuscrits : le plus important, composé de 508 feuillets, réunit six Coloquios espirituales (« colloques spirituels ») allégoriques, huit loas (« louanges ») et 27 romances, ainsi que deux exemples de compositions du genre seguidillas (« séguedilles ») et un exemple de liras (« lires »), d’endechas (quatrains en vers de six ou sept syllabes) et de villancicos (chants de Noël). Les Coloquios espirituales, comédies sacrées écrites à l’occasion de grandes solennités et représentées par les religieuses, sont précédés d’une loa, que l’auteure rédige, en prétendant être un disciple du théâtre de Lope de Vega. Les poésies ont toujours trait à la vie et aux mœurs monacales : description du jardin, des activités quotidiennes des religieuses, notes sur la vie spirituelle. De son écriture d’un vitalisme passionné surgissent la beauté et la douceur des images, le sens de l’humour, un ton intime et communicatif. Le second manuscrit, Vidas de religiosas trinitarias descalzas (« vies de religieuses trinitaires déchaussées »), regroupe Noticias de la vida de la madre Sor Catalina de San Josef, religiosa trinitaria descalza (« nouvelles de la vie de mère Catherine de Saint-Joseph, religieuse trinitaire déchaussée ») − biographie d’une sœur, écrite sur commande, qui couvre treize feuillets − et Fundación del convento de Descalzas de la Santísima Trinidad de Madrid, y noticia de las religiosas que en él han florecido (« fondation du couvent des déchaussées de la Très Sainte Trinité de Madrid et nouvelles des religieuses qui s’y sont épanouies » »), un compendium de biographies de religieuses. Son œuvre s’adresse presque exclusivement à ses compagnes de couvent, excepté quelques poèmes composés lors de festivités ou de professions de foi, auxquelles assiste un public plus vaste de parents et de paroissiens. Ses poèmes, notamment ceux de Noël, étaient accompagnés de musique, dont elle était elle-même la compositrice et l’interprète. Elle a brûlé ses documents autobiographiques, probablement à la demande de son confesseur.

María José VILALTA

ARENAL E., SABATDERIVERS G. (dir.), Literatura conventual femenina, Sor Marcela de San Félix, hija de Lope de Vega, obra completa, Barcelone, PPU, 1988.

ARENAL E., « Vida y teatro conventual, Sor Marcela de San Félix », in BOSSE M. et al. (dir.), La creatividad femenina en el mundo barroco hispánico, vol. 1, Reichenberger, Kassel, 1999.

MARCELLA [ROME V. 210 - ID. V. 280]

Néoplatonicienne romaine.

Fille de Marcellus Orrontius, disciple de Plotin, Marcella épousa en secondes noces le philosophe néoplatonicien Porphyre de Tyr qui souhaitait prêter secours à la veuve d’un ami, mère de sept enfants, dont certains encore en bas âge. Dix mois après leur union, Porphyre dut partir en Orient, peut-être afin d’appuyer Dioclétien dans sa persécution contre les chrétiens. Le philosophe lui adressa sa célèbre Lettre à Marcella dans laquelle il justifiait son mariage et louait son « aptitude naturelle pour la droite philosophie ». D’après Damascius, le sophiste Théon d’Alexandrie serait l’un de ses fils.

Marta MARTÍNEZ VALLS

PORPHYRE, Vie de Pythagore/Lettre à Marcella (éd. bilingue), Paris, Les Belles Lettres, 1982.

MARCELLI, Aline (née BARGE-MERCIER) [PARIS 1930]

Médecin biologiste et pharmacienne française.

Après des études de pharmacie à Paris, Aline Marcelli effectue son internat de 1954 à 1958. Elle complète ensuite sa formation avec un doctorat de médecine, un diplôme d’études et de recherche en biologie humaine et l’agrégation en immuno-hématologie. Elle a d’abord exercé au centre de transfusion sanguine de l’hôpital Laennec, mais c’est à l’hôpital Saint-Louis qu’elle a effectué toute sa carrière scientifique, comme chef de travaux assistante de biologie, maître de conférence, puis professeure des universités-praticien hospitalier (PU-PH). Elle a été experte auprès de la cour d’appel de Paris de 1973 à 1996, présidente du Conseil de l’ordre des médecins de la ville de Paris entre 1985 et 1993, conseillère nationale (1986) puis vice-présidente de l’Ordre national des médecins à partir de 1993. Elle a lutté contre la commercialisation de la médecine et défendu le secret médical que certains voudraient partager de façon à répartir les risques en cas de plainte des patients. Elle a été également membre de l’association France Transplant, vice-présidente de l’Association française des femmes médecins, membre du conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur et administratrice du comité parisien de la Ligue nationale contre le cancer.

Nadra OUNNOUGHENE

MARCELLO VOIR CASTIGLIONE COLONNA, Adèle, duchesse DE

MARCET, Jane (née HALDIMAND) [GENÈVE 1769 - LONDRES 1858]

Auteure scientifique britannique.

Fille d’une Anglaise, qui décède alors qu’elle n’a que 15 ans, et d’un marchand de biens suisse, Jane Haldimand reçoit la même éducation que ses frères, tout en s’occupant de la vie familiale et des réceptions organisées par son père. Elle fait la connaissance des scientifiques de l’époque et, à 30 ans, épouse Alexander John Gaspard Marcet, bientôt docteur en médecine de l’université d’Édimbourg. Elle écrit de nombreux livres de vulgarisation scientifique qu’elle intitule « Conversations » et qui portent sur « l’économie politique » (1816), « la philosophie naturelle » (1819), sur « la chimie » (1806) et « la physiologie végétale » (1821). Elle dessine elle-même les illustrations de ses publications, représentant la chimie de manière expérimentale. Elle tient à ce que ses ouvrages puissent être facilement accessibles aux jeunes filles et choisit comme personnages principaux de ses « Conversations » deux jeunes filles et leur gouvernante. Dans ses écrits, elle aborde les thématiques scientifiques qu’elle relie toujours aux problématiques culturelles et sociales. L’œuvre de J. Marcet sera longtemps rééditée et traduite dans plusieurs langues. De nombreux scientifiques diront qu’ils ont lu ses livres, qui serviront de supports à l’introduction à la chimie, à la physique ou à l’économie à l’université, puis dans des lycées d’Europe et des États-Unis.

Carole ÉCOFFET

Conversations sur la chimie (Conversations on Chemistry, 1806), Genève, Manget et Cherbuliez, 1809 ; Conversations sur l’économie politique (Conversations on Political Economy, [s.l.], [s.n.], 1816), Genève, J.-J. Paschoud, 1817 ; Conversations sur la philosophie naturelle (Conversations on Natural Philosophy, [s.l.], [s.n.], 1819), Paris, J.-J. Paschoud, 1820 ; Conversations sur la physiologie végétale (Conversations on Plant Physiology, [s.l.], [s.n.], 1821), Paris, A. Cherbuliez, 1830.

MARCHAND, Chrystel [CAEN 1958]

Compositrice française.

Après avoir commencé ses études de piano au conservatoire de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles avec Désiré N’Kaoua, Chrystel Marchand les poursuit au Conservatoire de Paris dans diverses classes d’écriture et de composition, où elle obtient quatre prix. Sa formation est complétée par l’enseignement de Nadia Boulanger*. Elle est titulaire d’un DEA en sciences de l’éducation et obtient, en 2007, un doctorat de musicologie à l’université de Paris-Sorbonne. Actuellement directrice d’un conservatoire d’arrondissement de Paris, elle enseigne aussi la culture musicale et mène des recherches en sciences de l’éducation musicale. Ses compositions s’ancrent dans les grands mythes fondateurs : nos origines, comme dans son cycle de quatre pièces retraçant l’ontogenèse de l’enfant, le tragique, comme dans Requiem pour un déporté composé sur un poème de son ami résistant et déporté à Buchenwald Yves-Pierre Boulongne. L’ensemble de son œuvre témoigne d’une volonté de ne répondre qu’à la sincérité d’une inspiration forte, dans une langue fermement élaborée. Elle compose actuellement un cycle pianistique d’après le roman Vie et destin de Vassili Grossman sur la bataille de Stalingrad. Sa pensée la conduit à soutenir la thèse que la musique peut – mieux peut-être que la littérature –, capter les vibrations des grands mythes humains.

Pierrette GERMAIN

MARCHANDES DE MODES ET COUTURIÈRES [France XVIIIe-XIXe siècle]

La création en couture et agrémentation de parure a laissé peu de traces pour les périodes antérieures à la fin du XIXe siècle. Sous l’Ancien Régime, le système des communautés de métiers limitait les initiatives individuelles. Néanmoins, dès le XVIIe siècle, l’importance des femmes créatrices de modes s’affirme. En 1675, les couturières obtiennent la création d’une communauté distincte de celle des tailleurs et peuvent confectionner jusqu’en 1781 tout l’habillement des femmes sauf les corps à baleines. De même les marchandes de modes se dissocient des merciers lors du remaniement des communautés en février 1776. Cette communauté nouvelle dont Mlle Bertin* est alors syndic comprend les faiseuses de modes, les plumassiers et les fleuristes. Les femmes sont reconnues comme créatrices et les enseignes de boutique et les écrits contemporains témoignent de noms féminins. Souvent, il s’agit d’entreprises familiales dont les capitaux sont gérés par des hommes, mais le renom de la boutique est mis au compte de l’épouse. C’est le cas des marchandes de modes célèbres de la fin du XVIIIe siècle telles : Mmes Alexandre, Pompey, Eloffe.

Juridiquement l’indépendance totale est l’apanage des veuves et des filles célibataires, souvent en association de sœurs ou de condisciples d’apprentissage. Après la suppression des corporations en 1791, puis l’essor économique encouragé par le régime impérial, le commerce de mode se diversifie mais reste dans le même cadre juridique. Les créatrices de mode se rencontrent dans les professions de lingères, de marchandes de modes, dites « modistes » après 1850, et de couturières, aussi célèbres à l’époque que les couturiers hommes. Ces derniers, issus du commerce des nouveautés, leur raviront la première place après les années 1870 avec des personnalités comme Charles Frederick Worth, A. Félix, John Redfern. On cite pour les années 1800-1820 Mmes Raimbault et Minette, Mlle Augustine, puis Mme Palmyre (association d’une mère et de ses filles) et Maggy Rouff ; enfin, dans les années 1840-1870, Mmes Camille, Elise, Vignon, de Baisieux, Hermentine du Riez, Roger, Eugénie Maugas, Guys. Certaines prennent l’initiative d’asseoir leur renom par de nouveaux procédés commerciaux comme la griffe authentifiant leurs créations, qui se met en place lentement en France dans les années 1850, puisque la protection des marques n’est effective qu’après 1860 environ. On signale, dès 1842, Lucie Hocquet, modiste, qui appose une marque sur ses chapeaux et, vers 1864, les couturières Roger et du Riez, qui, comme les confectionneurs hommes Emile Pingat ou C. F. Worth, impriment leur raison sociale sur les vêtements qu’elles confectionnent pour les clientes et les magasins de nouveautés étrangers. À la manière ancienne, le patronage des cours européennes est un élément de distinction apprécié sur le papier commercial et il contribue, avec le développement de la réclame dans la presse, à promouvoir l’importance des créations de ces femmes fournisseurs internationaux.

La fin du XIXe siècle voit l’éclosion d’un grand nombre de maisons féminines ; les plus connues sont celles des sœurs Léontine et Aurélie Duluc (le créateur est leur ami Félicien Rops) et des sœurs Kerteux, Dolignon, Callot*. Cette dernière est une des grandes maisons de la haute couture lorsque celle-ci existe véritablement dans les années 1900, à côté de Mmes Paquin*, Lalanne ou Chéruit, en attendant les créations de Jenny Sacerdote, de Nicole Groult et bientôt de Chanel*. L’importance d’une véritable formation professionnelle, dispensée par la Société pour l’enseignement professionnel des femmes dès 1862 sous l’impulsion d’Elisa Lemonnier*, n’est peut-être pas étrangère à l’émergence d’une création véritablement professionnelle dans les métiers de la mode.

Françoise TÉTART-VITTU

VITTU F., Au Paradis des dames, nouveautés, modes et confections 1810-1870, Paris, Paris musées, 1992.

HARU CROWSTON C., Fabricating Women, the Seamstresses of Old Regime France, 1675-1791, Durham, Duke University Press, 2001.

MARCHELLO-NIZIA, Christiane [NANTUA 1941]

Linguiste française.

Normalienne, reçue première à l’agrégation de lettres modernes (1964), Christiane Marchello-Nizia a mené de pair des études de philologie médiévale à l’École nationale des chartes et une thèse d’État en linguistique, sous les directions successives de Robert-Léon Wagner et de Jean-Claude Chevalier. En même temps, elle participe à la création d’un groupe de recherches (le Groupe de linguistique romane) qui s’attache à la période délaissée du moyen français (XIVe-XVe siècle), et va modifier l’appréhension de la langue médiévale. C’est aussi en appliquant de nouvelles théories linguistiques à l’histoire des langues et en introduisant en France la théorie de la « grammaticalisation » – consacrée à l’étude des changements linguistiques – que ses recherches vont se développer. Elle a renouvelé la linguistique de corpus (cofondation de la Base de français médiéval), ainsi que certains aspects de l’édition de textes. Professeure émérite à l’ENS-LSH de Lyon, aux nombreuses responsabilités institutionnelles, C. Marchello-Nizia a suscité de très nombreuses thèses en histoire des langues et en linguistique de corpus. Elle a reçu le Grand prix du rayonnement de la langue française décerné par l’Académie française (1990).

Thomas VERJANS

Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Paris, Bordas, 1979 ; L’Évolution du français, ordre des mots, démonstratifs, accent tonique, Paris, Armand Colin, 1995 ; Le Français en diachronie, douze siècles d’évolution, Paris/Gap, Ophrys ; Grammaticalisation et changement linguistique, Bruxelles, De Boeck, 2006.

MARCHESA COLOMBI (Maria Antonietta TORRIANI TORELLI, dite) [NOVARE 1846 - MILAN 1920]

Écrivaine italienne.

Maria Antonietta Torriani a été mariée à Eugenio Torelli-Violler, fondateur et directeur du quotidien Il Corriere della Sera. Elle a collaboré, avec Anna Maria Mozzoni*, au projet d’un nouveau modèle de lycée pour jeunes filles. Elle a adopté le pseudonyme littéraire Marchesa Colombi. Son œuvre illustre ce qu’a pu être l’expérience de la transgression pour une femme écrivaine au XIXe siècle. Née dans une région du Piémont entourée de rizières, elle dénonce dans In risaia (« dans la rizière », 1878) les conditions de travail des femmes. Ce livre est un des premiers exemples de vérisme (mouvement artistique italien lié au naturalisme). Elle publie ensuite des recueils de récits comme Dopo il caffé (« après le café », 1880) ou La cartella n. 4 (« le dossier no 4 », 1901), et des romans comme Il tramonto di un ideale (« le déclin d’un idéal », 1882), récit de l’histoire d’amour entre une jeune paysanne et son maître, ou Prima morire (« d’abord mourir », 1887), qui met en scène une jeune aristocrate frustrée par son mariage de convenance avec un homme plus âgé qu’elle. Son roman le plus connu, Un mariage en province (1885), réédité en 1970 avec une préface de Natalia Ginzburg* et une note d’Italo Calvino, se déroule dans un milieu bourgeois. Satirique et ironique, il relate les dix années qui précèdent le mariage d’une jeune femme et la vie plate et répétitive qui le suit.

Graziella PAGLIANO

Un mariage en province (Un matrimonio in provincia, 1973), Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 1991.

KROHA L., The Woman Writer in Late-Nineteenth-Century Italy, Lewinston/Queenston/Lampeter, The Edwin Mellen Press, 1992.

MARCIA [ROME V. 80 - ID. V. 42 aV. J.-C.]

Stoïcienne romaine.

« Honnête et d’une grande réputation » selon Plutarque, décrite comme une femme « pieuse » par Lucain, Marcia était la fille de Lucius Marcius Philippus, consul en 56, et la seconde épouse de Caton le Jeune. Elle fut l’objet d’une pratique courante à l’époque : l’échange des épouses. L’orateur Quintus Hortensius, souhaitant s’unir à la famille de Caton et assurer sa descendance, avait demandé au philosophe la main de sa fille, Porcia*. Comme cette dernière était déjà mariée, Caton refusa, mais accepta de lui céder Marcia après que son père eut donné son consentement, obéissant aux lois morales et politiques établies par les stoïciens. À la mort d’Hortensius, en 50, Caton la reprit pour femme, lui promettant une union chaste, afin qu’elle s’occupe de son domaine pendant la guerre civile.

Marta MARTÍNEZ VALLS

PLUTARQUE, Vies parallèles, t. 5, Aristide, Caton l’Ancien, Philopoemen, Flamininus (1969), Paris, Les Belles Lettres, 2003 ; LUCAIN, La Guerre civile, la Pharsale, t. 2 (1967), Paris, Les Belles Lettres, 1993.

SALVADORE M., Due donne romane : immagini del matrimonio antico, Palerme, Sellerio, 1990.

CANTARELLA E, « Marzia e la locatio ventris », in RAFFAELLI R., Vicende e figure femminili in Grecia e a Roma, Ancône, Commissione per le pari opportunità tra uomo e donna della Regione Marche, 1995.

MARCIA VOIR IAIA

MARCONDES CESAR, Constança [SÃO PAULO 1945]

Philosophe brésilienne.

Professeure à l’Université fédérale de Sergipe, Constança Marcondes Cesar soutient en 1973, à l’Université pontificale de São Paulo, une thèse de doctorat sur « l’influence de Brunschvicg dans la conception évolutive de la connaissance scientifique chez Gaston Bachelard ». Responsable de la revue philosophique et théologique Reflexão, elle enseigne à l’Université pontificale de Campinas de 1969 à 2010. Historienne de la philosophie, elle s’intéresse en particulier à l’œuvre de Vicente Ferreira da Silva, lequel, introducteur au Brésil de la pensée heideggérienne, met l’accent sur les relations entre mythe, logos et sacré. Elle relève une orientation analogue chez des penseurs portugais tels que Agostinho da Silva et Eudoro de Sousa. Son intérêt pour les philosophes français – Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty et Paul Ricœur (Crise e liberdade em Merleau-Ponty e Ricoeur, 2011) – et pour le penseur grec Moutsopoulos la conduit à souligner les similitudes entre penseurs ibéro-américains et francophones : attachement à la tradition grecque et allemande, critique du monde contemporain et de la société technique. Poursuivant ses recherches sur les écoles phénoménologique et herméneutique contemporaines, C. Marcondes Cesar participe à de nombreux groupes de recherches : l’Institut de philosophie Luso-Brasileira au Portugal, l’Association des Amis de Gaston Bachelard en France. Elle a publié plusieurs ouvrages à propos du philosophe français (Bachelard, ciência e poesia, 1988 ; A hermenêutica francesa : Bachelard, 1996). Le prix George-Bastide lui a été attribué en 1990 pour récompenser ses œuvres philosophiques, au nombre desquelles Filosofia na América Latina (1988). Elle siège au comité scientifique de revues brésiliennes, européennes et latino-américaines.

Marly BULCÃO

MARCONE, Maria [FOGGIA 1931]

Écrivaine italienne.

Après des études de lettres classiques, Maria Marcone enseigne et publie des ouvrages à caractère sociologique : Analisi in famiglia (« analyse familiale », 1977), Alice, la morte, la fame, la scrittura (« Alice, la mort, la faim, l’écriture », 1983), La casa delle donne (« la maison des femmes », 1983). En 1967, paraît son premier recueil de récits, Le stanze vuote (« les pièces vides »). Paraîtront ensuite : Nicolino (1985), pour un public d’adolescents ; Le stelle di Ninella (« les étoiles de Ninella », 1988) ; Le pietre si muovono (« les pierres bougent », 1988), destiné aux jeunes ; I labirinti di Lucia (« les labyrinthes de Lucia », 1991) ; La terra di Francesca (« la terre de Francesca », 1992) ; Storia di Franco (« l’histoire de Franco », 1998).

Graziella PAGLIANO

RICCI A. (dir.), Maria Marcone e la critica, Bari, Levante, 1990-1999.

MARCOUD, Aimée VOIR MISS FILLIS

MARCOUD, Andrée VOIR BEGARY, Maryse

MARCUCCI, Lucia [FLORENCE 1933]

Artiste et écrivaine italienne.

Après avoir séjourné quelque temps à Livourne, où, en 1955, elle a entrepris une collaboration avec un théâtre d’avant-garde, Lucia Marcucci s’installe à Florence. Comme la plupart des jeunes talents des années 1960, elle fait ses débuts avec des artistes poètes, avec le Gruppo 70, la revue Tèchne et plus particulièrement avec le Gruppo internazionale di poesia visiva (« groupe international de poésie visuelle »). Elle participe à de nombreuses revues (Arte Oggi, Il Portico, Nuova Corrente, La Battana, Lotta Poetica) témoignant de l’engagement idéologique de la « lutte artistique ». Ses collages et objets d’art sont exposés lors de nombreuses manifestations, notamment à la Biennale internazionale dell’arte (Venise, 1978), à Florence et à Rome. L. Marcucci s’impose par son étonnante manipulation des codes visuels, gestuels et corporels ; dans la série Impronte e Paesaggi (« empreintes et paysages », 1976), on trouve une sorte d’autobiographie au moyen des marques du corps. Dans ses compositions, les slogans, signes, images et couleurs – surtout les noirs et les rouges –, relevant d’une créativité ludique, tape-à-l’œil, violente et vitale, s’affichent en tant que procédés visant la provocation : un réquisitoire global contre les drames qui affectent le monde. Parmi ses thèmes-griefs : la marchandisation du corps de la femme et de sa beauté, la loi du profit, la guerre du Vietnam et les bombes au napalm, la faim, l’exploitation de la nature. Un tel diagramme se constitue à partir d’œuvres comme Semplice facile divertente (« simple, facile, amusant », 1966), Io ti ex-amo (« je t’ex-aime », 1966), un roman technologique, Nove stanze (« stances nouvelles », 1972), un récit visuel et une série de livres-objets (1983).

Enza BIAGINI

Memorie e incanti, extraitinerario autobiografico, Pasian di Prato, Campanotto, 2005.

SACCÀ L., Poesie visive 1963-2003, Florence, Edizioni Spaziotempo, 2003.

MARCUSSEN, Hanne (née HERMANN) [COPENHAGUE 1937 - ID. 1997]

Architecte danoise.

Diplômée de l’école d’architecture de l’Académie des beaux-arts du Danemark en 1961, Hanne Marcussen a ouvert en 1967 une agence avec Jens Peter Storgaard ainsi que Jørn et Anne Ørum-Nielsen*, avec lesquels elle a travaillé jusqu’en 1987. Ils ont réalisé des lotissements denses d’habitations basses qui se distinguent par leurs variations spatiales, leurs espaces collectifs et leur orientation écologique, notamment ceux de Galgebakken, à Albertslund (1973-1974), Tupperupvænge I (1986-1987) et II (1989-1990), à Herlev. Le lotissement de Skotteparken, à Ballerup, une construction expérimentale économe en énergie réalisée en 1994 avec J. P. Storgaard, leur a valu le prix World Habitat des Nations unies. Par ailleurs, elle s’est engagée dans la formation des architectes à partir de 1967 et a été, en 1996, la deuxième femme à diriger l’école d’architecture de l’Académie des beaux-arts.

Helle BAY

DIRCKINCK-HOLMFELD K., Guide to Danish Architecture, 1960-1995, Copenhague, Arkitektens Forl, 1995 ; LARSEN J. (dir.), Dansk Kvindebiografisk Leksikon, 4 vol., Copenhague, Rosinante, 2000-2001.

MARDZOEKI, Faiza [PURWOKERTO, JAVA-CENTRE 1972]

Dramaturge et productrice indonésienne.

Siti Faiza Hidayati Mardzoeki débute le théâtre en 1992, avec Wiji Thukul (militant et poète « disparu » sous le régime Suharto), et le théâtre de la libération, mouvement qui donne la parole aux opprimés leur permettant d’être les acteurs de leurs propres revendications. En 1994, elle rejoint le PAS, groupe de théâtre du centre Ismail Marzuki à Jakarta, puis exerce un temps au Teater Satu Merah Panggung de Ratna Sarumpaet* avant de se lancer, en 2002, dans le cinéma et l’écriture dramatique. Autodidacte à ses débuts, elle fait, par la suite, des études de littérature anglaise et d’histoire du cinéma au centre de formation continue de l’Université de Sydney (2005). Alliant militantisme et création artistique, elle adapte pour la scène des œuvres d’écrivains engagés. Elle produit ainsi la pièce Perempuan di Titik Nol (« femme au point zéro », 2002) à partir du roman de l’Égyptienne Nawal el-Saadawi*. De même, sa pièce Nyai Ontosoroh (« la concubine Ontosoroh », 2007) reprend un épisode du Monde des hommes, roman du célèbre écrivain indonésien Pramoedya Ananta Toer. En 2011, elle joue pour la première fois Rumah Boneka, adaptation de Maison de poupée d’Henrik Ibsen, qui met en scène une famille de la classe moyenne jakartanaise et critique les codes (mariage, religion, moralité) de la société indonésienne. En revanche, Perempuan Menuntut Malam (« les femmes s’emparent de la nuit », 2008) est une œuvre originale, succession de trois courtes pièces qu’elle a coécrites avec Rieke Diah Pitaloka. Elle travaille à une pièce sur la prostitution, Ini Tubuhku, Dolly (« ceci est mon corps, Dolly »), résultat de recherches menées sur le commerce sexuel à Surabaya. En 2003, elle devient directrice des programmes pour l’institut Ungu de Jakarta, centre culturel et artistique féminin dont elle est une des fondatrices. À ce titre, elle coordonne l’organisation du Festival d’avril, un événement culturel de trois semaines, animé de débats littéraires où sont présentées les œuvres d’une cinquantaine de femmes artistes indonésiennes ainsi qu’une sélection internationale de films ayant trait aux femmes.

Elsa CLAVÉ-ÇELIK

TOER P. A., Le Monde des hommes (Bumi Manusia, 2000), Paris, Rivages, 2001.

MARELLI VALAZZA, Luisa [SORISO, PROVINCE DE NOVARE 1950]

Chef cuisinière italienne.

Luisa Marelli Valazza est venue à la cuisine après avoir, pendant dix ans, accompagné son mari qui possédait un restaurant étoilé à Borgomanero. C’est quand ils achètent Al Sorriso qu’elle se met en cuisine, au départ d’un de leurs cuisiniers. Elle a fait des études universitaires, mais n’a aucune formation culinaire. Elle se plonge alors dans les livres de recettes et apprend seule, méticuleuse, courageuse et tenace ; elle découvre chez les grands chefs français (Angelo Conti Rossini, Frédy Girardet, Georges Blanc, Bernard Pacaud, Jacques Pic) que la passion transforme la cuisine ordinaire en un art véritable. Avec l’obtention d’une, puis deux et enfin trois étoiles, la belle progression de cette table l’autorise à être récompensée par de nombreux prix internationaux. Gardant toujours une base de cuisine traditionnelle, remise au goût du jour, elle partage cette passion de chef avec son époux. Maître des associations de texture, dont les contrastes peuvent être fabuleux, ainsi que des associations avec des herbes simples de la forêt, elle travaille chaque plat avec une détermination sans faille. Elle l’essaye, le teste, le modifie, le complète, l’améliore jusqu’à la perfection. Même si ses influences sont méditerranéennes, L. Valazza s’efforce de promouvoir dans ses assiettes le Piémont et ses producteurs ; pour avoir une maîtrise totale des produits, elle cultive avec amour son propre jardin.

Véronique ANDRÉ

MARETSKAÏA, Vera [BARVIKHA, PRÈS DE MOSCOU 1906 - MOSCOU 1978]

Actrice russe.

Diplômée de philosophie, Vera Petrovna Maretskaïa entre à l’école-studio du théâtre Vakhtangov, où elle est l’élève de Iouri Zavadski. En 1924, il crée le Théâtre-studio, dans lequel elle fait ses débuts. Son art de la métamorphose, son tempérament et son sens de l’humour la destinent à des rôles de composition (Glafira dans Loups et brebis d’Alexandre Ostrovski qu’elle joue avec des contrastes de fausse modestie et de cupidité). Parallèlement au théâtre, elle commence à 19 ans une brillante carrière au cinéma dans un film de Iakov Protazanov. Elle excelle dans des rôles de jeune paysanne et va tourner de plus en plus souvent dans des films imprégnés d’idéologie communiste, interprétant des héroïnes simples et sincères. Sa popularité sera récompensée par plusieurs prix Staline. Après la guerre, elle est remarquée dans le rôle d’une institutrice de campagne dans le film de Mark Donskoï L’Institutrice au village (1947). Si elle tourne peu dans les années 1950 et 1960, sa carrière d’actrice de théâtre reste très active. C’est avec I. Zavadski, dont elle sera pendant quelques années l’épouse, qu’elle continue son compagnonnage artistique : en 1940, sur la base du Théâtre-studio est fondé le théâtre Mossovet, et elle y interprète en 1940 une tonique Mirandoline dans La Locandiera de Goldoni, spectacle vivifiant qui sera joué pendant la guerre sur le front. Son énergie, sa vitalité marquent tous ses rôles : Macha de La Mouette de Tchekhov, Kroutchinina d’Innocents coupables d’A. Ostrovski, lady d’Orphée descend aux enfers de Tennessee Williams. Dans les années 1960, devenue une actrice reconnue, elle se produit avec le Mossovet en Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie et France (Festival des Nations, 1965).

Marie-Christine AUTANT-MATHIEU

MAREVNA (Maria VOROBIEV, dite) [TCHEBOKSARY, TCHOUVACHIE 1892 - LONDRES 1984]

Peintre russe.

Fille d’une actrice et adoptée par un aristocrate polonais à l’âge de 2 ans, Marevna passe une grande partie de sa jeunesse dans le Caucase, en contact avec la culture byzantine. À 18 ans, elle s’installe seule à Moscou, où elle fréquente l’école des arts décoratifs Stroganov et l’Académie libre. Après un séjour à Rome et à Capri, au cours duquel Maxime Gorki lui trouve son pseudonyme, elle arrive à Paris en 1912, découvre l’académie Colarossi, et surtout l’Académie russe où elle travaille le nu. Comme tous les artistes exilés, elle fait des copies au Louvre, visite les galeries, les musées ; elle voyage régulièrement. Après le décès de son père en 1914, elle doit subvenir à ses propres besoins ; elle illustre un recueil de poèmes d’Ilya Ehrenbourg et commence à exposer dans les Salons des Tuileries, des indépendants, d’automne : son travail cubiste intéresse les galeristes Léonce Rosenberg et Gustave Kahn. Avec une grande liberté d’esprit, elle passe, de 1920 à 1943, d’un cubisme synthétique à une forme colorée de néo-impressionnisme, sorte de réflexion sur les sources du cubisme. Si elle travaille les paysages et la nature morte, la figure, l’être humain, est au centre de sa production. De sa relation amoureuse avec le peintre Diego Riviera avant son départ pour le Mexique naît, en 1919, une fille. Cette situation va l’obliger à travailler davantage dans la décoration pour assurer des gains suffisants. Elle conçoit notamment des tissus inspirés de sujets géorgiens pour Paul Poiret. En 1936, elle bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Zborowski. Pendant la guerre, elle se cache dans le sud de la France, puis s’établit en 1949 en Angleterre, près de sa fille. C’est probablement à cette époque qu’elle rédige son livre de souvenirs, dans lequel elle dénonce les difficultés spécifiques des artistes femmes. Dans les années 1960, elle revient sur le continent, exécute des toiles où elle réunit les portraits de tous ses vieux amis (Hommage aux amis de Montparnasse, 1962), reprenant ainsi, sous une forme différente, ses différents tableaux réalisés autour de 1920. Elle expose, entre autres, à Londres en 1951, à Paris en 1953. En 1971, une rétrospective de son œuvre a lieu au Petit Palais de Genève, puis, un an après sa mort, une seconde se déroule au musée Bourdelle à Paris.

Catherine GONNARD

Paintings 1913-1967 (catalogue d’exposition), Peillex G. (textes), Genève, Petit Palais, 1971 ; Mémoires d’une nomade, Paris, Encre, 1979 ; Marevna et les Montparnos (catalogue d’exposition), Paris, Musée Bourdelle, 1985 ; Paintings and Works on Paper, Armstrong A. (dir.), San Francisco, Harcourts Gallerie, 1990.

MARFA LA BOURGMESTRE VOIR POSADNICA, Marfa

MARGERIE, Diane DE [PARIS 1927]

Romancière française.

Fille de diplomate, Diane de Margerie connaît une enfance et une adolescence partagées entre la Chine et l’Italie. Elle fait dans le premier pays l’expérience fondatrice de l’horreur sadique sous l’occupation japonaise. Victime de la tyrannie familiale, elle consacre son énergie à libérer la femme des carcans sociaux et de toute forme d’oppression. Écrire devient pour elle l’enjeu d’une émancipation fondamentale : il s’agit autant d’une naissance que d’une prise de pouvoir décisive pour une conquête identitaire. Une œuvre romanesque, autobiographique et critique s’amorce avec Le Détail révélateur, son premier roman paru en 1973, qui met en scène un univers oppressant dans lequel domine la cruauté psychologique. Le Paravent des enfers (1976) ou La Volière (1979) témoignent toujours que l’écriture est d’abord le signe d’une liberté à prendre. La veine autobiographique de ses travaux s’affirme avec des réflexions plus décisives sur le rôle de la femme, comme en témoigne La Femme en pierre (1989). Son œuvre critique convoque de grandes figures comme George Sand* ou Edith Wharton*. D. de Margerie est jurée du prix Femina.

Johan FAERBER

MARGHIERI, Clotilde [NAPLES 1897 - ROME 1981]

Écrivaine italienne.

Collaboratrice des quotidiens Il Corriere della Sera, Il Mattino, La Nazione et auteure d’essais critiques comme Lento cammino alle lettere (« la marche lente vers la littérature », 1964), Clotilde Marghieri a publié des romans dont le thème dominant, toujours traité avec équilibre et mesure, est la mémoire personnelle : Vita in villa (« la vie dans la villa », 1960) ; Le educande di Poggio Gherardo (« les pensionnaires de Poggio Gherardo », 1963) ; Il segno sul braccio (« le signe sur le bras », 1970) ; Amati enigmi (« énigmes aimées », 1974). En 1989, une partie de sa correspondance avec l’historien de l’art Bernard Berenson a été publiée par Dario Biocca sous le titre A Matter of Passion.

Francesco GNERRE

MARGI SATHI [CHERUTHURUTHY, KERALA 1963]

Actrice et danseuse indienne.

Fille de Subramanaian Embranthiri et de Parvathi Antharjanam, spécialisée dans les personnages féminins du kûtiyattam (théâtre dansé en langue sanskrite remontant au premier millénaire) et dans le nangiǎr kūthu, Margi Sathi est l’une des artistes dominantes de la scène traditionnelle dans l’État indien du Kerala et l’une des rares interprètes d’un art dont l’apprentissage était, encore récemment, réservé aux femmes de la communauté nangiǎr. Branche féminine du kûtiyattam, le nangiǎr kūthu glorifie l’art du solo par l’ampleur de ses développements pouvant s’étendre traditionnellement sur quarante jours consécutifs pour la représentation de la totalité d’une œuvre. Élève à l’académie Kerala Kalamandalam de 1974 à 1982, Margi Sathi participe en 1980 à la première tournée de kûtiyattam en Europe, organisée par le centre Mandapa de Paris. En 1991, elle rejoint la troupe Margi, à Trivandrum, où elle poursuit sa formation et dont elle devient l’une des actrices principales. Selon la coutume, elle prend le nom de cette école et se distingue par sa puissance de jeu et sa maîtrise subtile de l’expression. En 1999, elle se produit avec cette troupe au Théâtre de la Ville, à Paris, puis en 2001 à l’Unesco, lors de la proclamation officielle du kûtiyattam au titre d’« héritage immatériel de l’humanité ». Elle participe à des festivals dans les principales villes de l’Inde, en particulier lorsqu’ils sont axés sur l’art de l’abhinaya (technique traditionnelle des jeux de physionomie). Elle contribue à l’enrichissement du répertoire féminin par la remise en valeur de nombreuses œuvres anciennes. Elle compose notamment un manuel de jeu de nangiǎr kūthu (1999), mettant en scène plusieurs épisodes du long poème épique sanskrit Rāmāyana non inclus dans le répertoire habituel et qu’elle interprète plus tard. Jusque-là restés dans l’ombre et menacés d’extinction en raison de leurs codes et de leurs structures élitistes, le kûtiyattam et le nangiǎr kūthu connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt. Margi Sathi est depuis 2006 l’un des professeurs attitrés de l’académie Kerala Kalamandalam.

Milena SALVINI

MARGOLLES, Teresa [CULIACÁN 1963]

Plasticienne mexicaine.

L’œuvre de Teresa Margolles trouble et fascine : questionnant les frontières entre la mort et la vie, ses vidéos, ses installations ou ses peintures transcendent les tabous sociaux pour proposer une réflexion sur la violence, la disparition et leurs rapports avec la société mexicaine. L’artiste a d’abord travaillé dans une morgue de Mexico avant de fonder, en 1990, le groupe Semefo (nom emprunté au service médico-légal officiel de Mexico), à l’origine de performances et d’installations controversées, dans lesquelles des fragments de cadavre et des photographies de décomposition humaine deviennent vite un élément récurrent de ses investigations artistiques. S’éloignant de ces premières recherches crues et explicites, comme du simple aspect documentaire, elle détourne ensuite la mort et ses causes, et évite d’exhiber la violence pour jouer, implicitement, grâce à la force évocatrice des matériaux et des dispositifs formels, avec la puissance inconsciente de l’imaginaire du spectateur. Réalisées à partir du sang des morts, de l’eau qui a servi à nettoyer les corps ou de morceaux de pare-brise récoltés sur les scènes de crimes à Mexico, ses œuvres témoignent de ce qui apparaît comme la nouvelle banalité quotidienne. T. Margolles renoue alors avec l’esthétique de l’art minimal pour éviter, selon ses dires, de reproduire à nouveau la barbarie, dans une société « déjà submergée d’images de l’horreur ». En 2009, elle représente le Mexique à la Biennale de Venise avec ¿De qué otra cosa podríamos hablar? (« de quoi pourrions-nous parler d’autre ? »), assemblage d’éléments choisis sur les lieux de meurtres, commis par les narcotrafiquants de Sinaloa, au nord du Mexique, près de la frontière avec les États-Unis.

Chantal BÉRET

Caida libre (catalogue d’exposition), Metz, Frac Lorraine, 2005 ; What Else Could We Talk About ? (catalogue d’exposition), Medina C. (dir.), Barcelone/Mexico, RM, 2009.

MARGUERITE D’ANGOULÊME [ANGOULÊME 1492 - ODOS, HAUTES-PYRÉNÉES 1549]

Reine de Navarre et écrivaine française.

Poétesse, conteuse, dramaturge, mécène et protectrice, commanditaire de traductions de l’italien ou du grec, femme d’État, Marguerite d’Angoulême présente tous les traits de la princesse et de la femme de lettres de la Renaissance. Fille de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, et de Louise de Savoie*, elle est élevée au château d’Amboise, pourvu d’une bonne bibliothèque, auprès de son frère François d’Angoulême, et reçoit une éducation humaniste modeste mais solide. En décembre 1509, elle est mariée à Charles IV de Valois, duc d’Alençon. Après l’accession au trône de son frère, devenu François Ier en 1515, elle assume des fonctions politiques à la cour où elle est membre du Grand Conseil, notamment après la mort de la reine Claude de France en 1524 ou en l’absence du roi. Après le désastre de Pavie de 1525, elle se rend en Espagne pour négocier la libération de son frère, prisonnier de Charles Quint. Veuve depuis cette défaite, elle se remarie, en janvier 1527, avec Henri d’Albret, roi de Navarre, dont elle aura une fille, Jeanne d’Albret*. L’affaire des Placards en 1534 va éloigner M. d’Angoulême de son frère et de la Cour : elle sera plus souvent à Nérac, aux côtés de Jacques Lefèvre d’Étaples, protectrice de quelques « mal sentans de la foi » comme Clément Marot ou Bonaventure Des Périers. La mort de son frère en 1547 l’éloigne définitivement de la vie de cour. La généalogie de sa vocation littéraire est possible grâce à sa correspondance avec l’évêque Guillaume Briçonnet, entre 1521 et 1524. On y voit combien le souci spirituel est le moteur de son écriture. C’est de ces échanges épistolaires qu’ont émergé ses premiers textes évangéliques non publiés, le Pater Noster (vers 1524), paraphrase de Luther, puis le Dialogue en forme de vision nocturne (vers 1527), plus influencé par Martin Bucer. Il faut attendre 1531 pour que paraisse anonymement Le Miroir de l’âme pécheresse, dont la seconde édition augmentée en 1533 est brièvement condamnée par la Sorbonne. Cette censure va mener l’écrivaine à une grande prudence dans ses choix de publication puisqu’elle ne donnera plus qu’une anthologie dûment sélectionnée de ses œuvres, Les Marguerites de la Marguerite des princesses (et La Suyte des Marguerites… ), en 1547 à Lyon, alors qu’elle va produire intensément dans la dernière période de sa vie. Elle a en chantier, dans la foulée de la retraduction de Boccace qu’elle a commandée en 1545 à Antoine Le Maçon, un recueil de 100 nouvelles, nommé de manière posthume L’Heptaméron, mais aussi le grand poème allégorique des Prisons, plusieurs pièces de théâtre, et Le Triomphe de l’agneau, La Navire, la suite des Chansons spirituelles. De cette production intensive, Brantôme nous donne une idée plusieurs décennies après sa mort, la décrivant dictant ses œuvres sur les routes de France et de Navarre dans d’inconfortables coches. L’audace militante des premiers textes s’est atténuée après 1533, la mystique prenant le relais de l’évangélisme : plus de tentation luthérienne, éloignement d’avec Calvin, choix d’un catholicisme critique, parfois très anticlérical, tenté par le vertige du néant face au tout de Dieu. La lecture de Marguerite Porete*, les leçons d’un J. Lefèvre d’Étaples vont la mener à épurer le didactisme initial, et à choisir une austère et intense voie mystique, sensible dans certains vers des Prisons et de la Comédie jouée au Mont-de-Marsan. Que la postérité ait surtout retenu L’Heptaméron, le plus alléchant de ses textes quoique tout aussi audacieux en matière de mysticisme, ne doit pas occulter la grande poétesse qu’est M. d’Angoulême, interrogeant sans relâche la difficile aventure spirituelle de l’homme incarné.

Michèle CLÉMENT

Marguerite d’Angoulême, Guillaume Briçonnet, Correspondance (1521-1524), Martineau C., Veissière M. (éd.), Genève, Droz, 1975-1979 ; L’Heptaméron (1559), Cazauran N. (éd.), Paris, Gallimard, « Folio », 2000 ; Œuvres complètes, Cazauran N. (éd.), Paris, H. Champion, 2001-2012.

CLIVE H. P., Marguerite de Navarre : An Annotated Bibliography, Londres, Grant & Cutler, 1983 ; REYNOLDS-CORNELL R. (dir.), International Colloquium Celebrating the 500th Anniversary of Marguerite de Navarre, Birmingham, Summa Publications, 1995.

MARGUERITE D’AUTRICHE [BRUXELLES 1480 - MALINES 1530]

Mécène française.

Petite-fille de Charles le Téméraire, fille de Marie de Bourgogne et de Maximilien Ier, Marguerite d’Autriche épousa Jean de Castille, puis Philibert le Beau. À partir de 1507, elle fut régente des Pays-Bas et resta au centre de la vie politique européenne jusqu’à sa mort. Elle joua un important rôle de mécène, initiant la construction de l’église de Brou, à Bourg-en-Bresse, protégeant poètes et artistes comme Jean Lemaire de Belges ou Jean Perréal. Elle constitua une somptueuse bibliothèque dont le catalogue nous permet d’entrevoir sa culture et laissa des albums poétiques regroupant 171 pièces choisies, dont l’une est peut-être de sa propre composition.

Daniel MARTIN

Correspondance de l’empereur Maximilien Ier et de Marguerite d’Autriche, sa fille, gouvernante des Pays-Bas, 1507-1519, Paris, J. Renouard, 1839 ; Correspondance de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, avec ses amis, sur les affaires des Pays-Bas de 1506-1528, Van den Bergh L. P. C. (éd.), Leide, S. et J. Luchtmans, 1845-1847, 2 vol. ; Albums poétiques de Marguerite d’Autriche, Marcel Françon M. (éd.), Genève, Droz, 1934.

MARGUERITE DE CHAMPAGNE VOIR DUCHESSE DE LORRAINE

MARGUERITE DE NAVARRE VOIR MARGUERITE D’ANGOULÊME

MARGUERITE DE VALOIS [SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1553 - PARIS 1615]

Reine de France et femme de lettres.

Mariée en 1572 à Henri de Navarre, futur Henri IV, Marguerite de Valois, surnommée la Reine Margot, a très vite été délaissée par son mari et se retrouva confinée en Auvergne, répudiée (1587-1605). Elle revint à Paris en 1605. Mécène généreuse, elle exerça toute sa vie une forte attraction sur des hommes de lettres, des musiciens et des peintres. On lui attribue depuis le XVIIIe siècle le Mémoire justificatif pour Henri de Bourbon, qui fait suite à l’échec du complot des Malcontents. Dans le Discours docte et subtil (1614), elle défend la cause féminine. Ses lettres mêlent privé et public, de même que ses Mémoires, considérés comme la première autobiographie de femme. Témoin et actrice de l’histoire, elle donne à son récit une couleur romanesque. Marguerite de Valois lança ainsi une vogue mémorialiste au XVIIe siècle.

Guillaume PEUREUX

Correspondance 1569-1614, Viennot É. (éd.), Paris, H. Champion, 1998 ; Mémoires et autres écrits 1574-1614, Viennot É. (éd.), Paris, H. Champion, 1999.

LAZARD M., CUBELIER DE BEYNAC J., Marguerite de France, reine de Navarre et son temps, Agen, Centre Matteo Bandello, 1994.

MARGUERITE D’OINGT [M. À POLETEINS 1310]

Mystique et prieure française.

De haute naissance (fille de Guichard, seigneur d’Oingt en Beaujolais), Marguerite d’Oingt était, dès l’année 1286, moniale à la chartreuse de Poleteins dans l’Ain. En 1288, elle devint la quatrième prieure de ce couvent fondé en 1225, au cœur d’une région lyonnaise qui possédait déjà plusieurs chartreuses d’hommes. Sa vie monastique fut fertile en expériences mystiques (visions, apparitions, extases) qui retinrent l’attention sur elle et provoquèrent plusieurs enquêtes, notamment de la part du chapitre général des chartreux en 1294. Après sa mort, sa personne fit l’objet d’un culte qui dura jusqu’à la Révolution. Ses œuvres, conservées dans un unique manuscrit provenant de la Grande Chartreuse, comprennent : des Méditations en latin ; en franco-provençal, un Miroir, récit de trois visions mystiques, ainsi que La Vie et les Miracles de sainte Béatrix d’Ornacieux, première prieure de la chartreuse de Parménie ; cinq lettres ou fragments de lettres écrits en français. Les deux textes composés en franco-provençal constituent les premiers témoins que nous ayons conservés de cette langue. Si sa spiritualité est très directement imprégnée de sa propre tradition cartusienne, elle subit également une double influence, cistercienne et franciscaine. L’ancrage christocentrique en forme la principale caractéristique. Il se traduit en particulier par un intérêt porté à la vie terrestre du Christ (enfance, souffrances), au thème de l’âme, épouse mystique, et à la féminité maternelle de Jésus. Le don des larmes joue un rôle fondamental dans sa dévotion. Marguerite, très cultivée, rédigeait habituellement en latin, langue des clercs. Néanmoins, comme tant de ses consœurs mystiques et visionnaires qui se disaient « illettrées », elle déclarait que son savoir procédait de Dieu seul : son Miroir s’ouvre par la vision du Christ tenant un livre clos dans sa main pour l’enseigner. Faute d’une grande diffusion manuscrite, ses écrits n’ont cependant pas exercé de réelle influence.

Jean-René VALETTE

Œuvres, Duraffour A., Durdilly P., Gardette P. (dir.), Paris, Les Belles Lettres, 1965.

MÜLLER C. M., Marguerite Porete et Marguerite d’Oingt de l’autre côté du miroir, New York, P. Lang, 1999. MAISONNEUVE R., « Traditions sacrées et inspiration personnelle : la mystique Marguerite d’Oingt et l’infini divin », in L’inspiration, le souffle créateur dans les arts, littératures et mystiques du Moyen Âge européen et proche-oriental, GROZELIER R., KAPPLER C. (dir.), Paris, L’Harmattan, 2006.

MARGUERITE PORETE [VALENCIENNES ? V. 1250 - PARIS 1310]

Mystique et écrivaine française.

Originaire du Hainaut, Marguerite Porete est présentée comme une béguine dans les actes de son procès en hérésie, et comme une « béguine clergesse » par les Grandes Chroniques de France. Elle est l’auteure d’un traité de mystique spéculative intitulé le Miroir des âmes simples et anéanties. Condamnée une première fois en 1306 à Valenciennes, elle est brûlée à Paris en 1310 pour ne pas avoir renoncé à une doctrine qui se situe aux limites hérétiques de la vie spirituelle, à un moment où l’Église cherche à contrôler strictement le mode de vie béguinal et la voie de salut laïque qu’il promeut. Sans qu’il soit possible de rattacher formellement la béguine à la secte du Libre Esprit, sa pensée est, en partie, liée avec les mouvements cathares et vaudois. Représentante typique de la mystique rhéno-flamande, Marguerite s’inscrit, ainsi que Hadewijch d’Anvers (vers 1240), Béatrice de Nazareth (1200-1268) ou Mechtilde de Magdebourg (vers 1207-1294), dans la lignée de saint Bernard et de Guillaume de Saint-Thierry, cherchant à unir la mystique de l’Amour (Minnemystik) avec celle de l’Être (Wesenmystik). Le modèle littéraire de ces auteures est celui de la fin’amor ; leur langue est la langue vulgaire (flamande, allemande ou française) ; leur vocabulaire et certains de leurs motifs sont empruntés au registre de la courtoisie (Roman d’Alexandre, Roman de la Rose dans le cas de Marguerite). Marguerite est la plus proche de Mechtilde et à l’instar de l’auteure de la Lumière ruisselante de la déité, elle crée, grâce à la forme dialoguée, une tension dramatique entre les personnifications mises en présence : Âme et dame Amour, entourées de Courtoisie et Entendement d’Amour, confrontées à Raison, Entendement de Raison et aux Vertus. Le Miroir des âmes simples se présente comme un itinéraire mystique dans lequel l’anéantissement de la volonté égotiste a pour corollaire la déification. Il annonce des thèmes qui seront développés et systématisés par Maître Eckhart : le « nient vouloir » ouvre la voie au « pâtir Dieu » ; l’âme est alors passive sous la motion de la volonté divine qui opère en elle et sans elle. Le thème du « trépas » renvoie au caractère inconnaissable et imparticipable de la déité (distinguée de Dieu) malgré l’union mystique, tandis que la figure de l’homme noble désigne à la fois le Christ et l’homme accompli, appelé, par grâce, à devenir fils dans le Fils. Tel un noble Alexandre, Dieu est ainsi présenté comme ce « gentil Loin-Près » (selon une expression relevée par Marguerite d’Angoulême* au XVIe siècle), que l’être humain peut atteindre à la fois dans sa dissemblance infinie et au plus intime du moi. Cette œuvre majeure de la littérature spirituelle française, très largement diffusée au Moyen Âge, a franchi le barrage des langues comme aucun autre écrit mystique en langue vulgaire (outre les versions française et latine originales, on compte deux traductions italiennes, une traduction anglaise et peut-être une traduction allemande). Un tel succès s’explique, car l’écrivaine mystique est devenue, pour la France, ce que Maître Eckhart représente pour l’Allemagne.

Jean-René VALETTE

Le Mirouer des simples âmes anienties et qui seulemnt demourent en vouloir et désir d’amour, GUARNIERI R.(éd.), Rome, Edizioni di storia i litteratura, 1961 ; Le Miroir des âmes simples et qui seulement demeurent en vouloir et désir d’amour (1984), HUOT DE LONGCHAMP M. (trad.), Paris, Albin Michel, 1997.

ÉPINEY-BURGARD G., ZUM BRUNN É., Femmes troubadours de Dieu, Turnhout, Éditions Brepols, 1988 ; MÜLLER C. M., Marguerite Porete et Marguerite d’Oingt de l’autre côté du miroir, New York, P. Lang, 1999.