LORDE, Audre [NEW YORK 1934 - SAINTE-CROIX, ÎLES VIERGES DES ÉTATS-UNIS 1992]
Poétesse et militante américaine.
Fille d’immigrés grenadiens, « femme américaine antillaise africaine » selon ses propres mots, Audre Lorde grandit à New York et étudie la bibliothéconomie au Hunter College et à l’université Columbia. Elle passe également un an à l’Université nationale autonome du Mexique. Après avoir travaillé comme bibliothécaire dans les écoles publiques de New York, elle devient l’un des poètes les plus réputés de la fin des années 1960 jusqu’aux années 1980. Elle est en outre bien connue en tant que militante féministe et lesbienne. Le premier recueil de poésie d’A. Lorde, First Cities (« les premières villes »), paraît en 1968. Puis viennent Cables to Rage (« câbles à la rage ») en 1970 et From a Land Where Other People Live (« d’un pays où d’autres gens vivent ») en 1973. Son sujet de prédilection est alors l’amour. En 1974, commence, avec la publication de New York Head Shop and Museum (« musée et head shop new-yorkais »), une période de poésie politique qui ne prend fin qu’à sa mort. La poétesse proclame son identité politique de femme noire, de mère, de lesbienne et de féministe. Elle insiste alors sur le rapport entre sa sexualité et son identité de poète. Ses livres les plus importants sont sans doute Coal (« charbon », 1976), The Black Unicorn (« la licorne noire », 1978) et Our Dead Behind Us (« nos morts derrière nous », 1986). Ce dernier constitue la plus haute réalisation littéraire et technique de l’auteure, comportant un mélange précis de ligne et de voix poétique, traitant de politique individuelle, sexuelle, mondiale, sur un ton narratif fort et soutenu. Après qu’on lui a diagnostiqué un cancer du sein en 1978, A. Lorde publie The Cancer Journals (« les journaux intimes du cancer », 1980), l’un des premiers ouvrages à évoquer la responsabilité des malades concernant leur traitement. Premier livre également dans lequel un auteur noir parle franchement de sa propre homosexualité, il reçoit le Gay Caucus Book of the Year Award en 1981. Dans les années 1980, outre la publication de trois livres de prose, également bien reçus, elle aide à la formation de la Coalition des femmes de Sainte-Croix, dans les îles Vierges des États-Unis, et cofonde, avec Barbara Smith et Cherríe Moraga notamment, la Kitchen Table : Women of Color Press, première maison d’édition de femmes de couleur.
Brenda Marie OSBEY
■ Chosen Poems : Old and New, New York, Norton, 1982 ; The Marvelous Arithmetics of Distance : Poems 1987-1992, New York, Norton, 1993 ; The Collected Poems of Audre Lorde, New York, Norton, 1997.
LOREDO, Maria Salomé [VIEILLE-CASTILLE, ESPAGNE 1854 - BUENOS AIRES 1929]
Thaumaturge argentine.
Née en Espagne, Maria Salomé Loredo de Subiza arrive en Argentine en 1866. Souffrant d’une tumeur au sein, elle est traitée par un guérisseur spirite très réputé, Pancho Sierra. Les malades qui boivent de l’eau froide magnétisée par le saint Gaucho de Pergamino en prononçant son nom, se disent guéris. Cet homme clairvoyant et austère prédit à Maria qu’elle n’aura pas d’enfants de chair, mais des enfants spirituels par milliers. À la mort de son second mari, elle se consacre au secours des nécessiteux, soigne les malades comme l’ermite l’avait fait avec elle, prêche l’ascétisme, tout en prophétisant et en faisant de sa vie un exemple de compassion. Cette thaumaturge reconnue et très populaire, surnommée Madre Maria, repose dans le vaste cimetière de Chacarita à Buenos Aires ; son mausolée reste toujours fleuri de blanc. Un site Web reçoit des plaques votives virtuelles exprimant la gratitude de ceux qui l’invoquent et que, de l’au-delà, elle continuerait de guérir. Le réalisateur argentin Lucas Demare lui a consacré un film (La Madre Maria, 1974).
Claudine BRELET
■ ANZOÁTEGUI Y. G., Madre María, (María Salomé Loredo de Subiza) pastora inmortal, Buenos Aires, Linotipia Nebal, 1969 ; VALLE A. del, Madre Maria, la primera sanadora, Buenos Aires, Libro Latino, 1998.
■ NAYA, Almas milagrosas, santos populares y otras devociones (CD Rom multimédia), [s. l.], Naya, [2001 ? ].
LOREN, Sophia (née Sofia SCICOLONE) [ROME 1934]
Actrice italienne.
Sophia Loren grandit à proximité de Naples, où sa famille se trouve confrontée à la misère de la crise des années 1930, puis de la guerre. À 14 ans, elle commence à se présenter à des concours de beauté et pose pour des romans-photos. Elle est alors remarquée l’année suivante par le producteur Carlo Ponti, qui décide de la lancer comme rivale de Gina Lollobrigida* (elle l’épousera et aura deux fils avec lui). Elle fait sensation dès ses premiers films, comme dans Aïda (Clemente Fracassi, 1953, d’après l’opéra de Verdi) ou pour son rôle dans des comédies de Vittorio De Sica et Dino Risi. En 1957, elle joue en anglais face à Cary Grant et Anthony Perkins, avant que George Cukor fasse d’elle sa Diablesse en collant rose (Heller in Pink Tights, 1960). Après avoir été Chimène dans Le Cid d’Anthony Mann face à Charlton Heston et la Madame Sans-Gêne (1961) de Christian-Jaque, elle joue pour Jean-Paul Sartre dans Les Séquestrés d’Altona (I sequestrati di Altona, De Sica, 1962). Les comédies qu’elle tourne avec ce même réalisateur remportent un vif succès. Le rôle de la mère tragique qu’elle incarne dans La Ciociara (1930, d’après Alberto Moravia) lui permet de remporter l’Oscar de la meilleure actrice, mais aussi de nombreuses autres récompenses (notamment le Prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes). Charles Chaplin la fait jouer avec Marlon Brando dans son dernier film, La Comtesse de Hong-Kong (A Countess from Hong Kong, 1966). En Dulcinée, elle chante dans L’Homme de La Mancha (Man of La Mancha, Arthur Hiller, 1972), avec pour partenaire Peter O’Toole en Don Quichotte. Elle retrouve un rôle dramatique face à Marcello Mastroianni dans Une journée particulière (Una giornata particolare, Ettore Scola, 1977). Elle incarne enfin une mère pied-noir dans Soleil (Roger Hanin, 1997). En 2009, elle chante dans la comédie musicale américaine Nine, de Rob Marshall.
Bruno VILLIEN
■ La Bonne Étoile, Paris, Le Seuil, 1979 ; Confidence de femme, Paris, Carrère, 1987.
LORIDAN, Marceline (ou LORIDAN-IVENS, née ROSENBERG) [ÉPINAL 1928]
Réalisatrice française.
Née de parents juifs polonais ayant immigré en France en 1919, Marceline Loridan entre dans la Résistance alors qu’elle est à peine adolescente. Arrêtée par la Gestapo en février 1944, à 15 ans, elle est déportée, avec son père dont elle est séparée dès le premier jour, à Auschwitz-Birkenau (elle y arrive dans le même convoi que Simone Veil*, qui deviendra une amie). Transférée ensuite à Bergen-Belsen, elle est finalement libérée du camp de Theresienstadt le 10 mai 1945, par les Russes. Elle a alors 17 ans. Arrivée à Paris durant l’été 1945, elle retrouve sa famille, son père excepté. Elle épouse un homme, dont elle gardera le nom après son divorce, et vit dans le Paris de Saint-Germain-des-Prés. Elle s’engage auprès du Parti communiste, devient porteuse de valises pour le FLN, milite pour l’avortement, et se passionne pour le cinéma dès le début des années 1960. Elle est l’une des protagonistes du film Chronique d’un été, coréalisé par Edgar Morin et Jean Rouch, en 1961, tourne des films pour la télévision puis coréalise avec Jean-Pierre Sergent Algérie année zéro (1962), sur les premiers temps de l’indépendance du pays et le départ des Français. Celui-ci qui, de retour du tournage au Vietnam du film Le Peuple et ses fusils, réfléchit, l’été 1968, avec Monique Wittig* et Antoinette Fouque*, à la création du Mouvement de libération des femmes, l’encourage à participer aux premières réunions de ce mouvement en octobre. Sa rencontre avec le cinéaste Joris Ivens (1898-1989), documentariste néerlandais dont elle a découvert l’œuvre à la Cinémathèque dans les années 1950 avec The Spanish Earth, tourné en 1937 durant la guerre civile, est déterminante. Ils écrivent et tournent ensemble des documentaires politiques, sur la guerre du Vietnam (Le 17e Parallèle, 1968), la Chine de la Révolution culturelle (Comment Yukong déplaça les montagnes, série de films réalisés de 1971 à 1976 et restaurés par les Archives françaises du film en 2014), puis Une histoire de vent (1988), dernier film de J. Ivens, œuvre lyrique et autobiographique sur la velléité du cinéaste à filmer le vent. En 2002, M. Loridan tourne La Petite Prairie aux bouleaux, avec Anouk Aimée*, un film qu’elle a le désir de faire depuis la fin des années 1950, dans lequel elle évoque l’expérience des camps. Elle écrit en 2006 une autobiographie dans laquelle elle évoque de nouveau cette expérience, Ma vie balagan.
Marianne FERNANDEZ
■ Ma vie balagan, Paris, R. Laffont, 2008.
LORIOD, Yvonne [HOUILLES 1924 - SAINT-DENIS 2010]
Pianiste française.
Figure de proue du piano du dernier demi-siècle, interprète pédagogue, Yvonne Loriod a enseigné au Conservatoire de Paris pendant plus de vingt ans (1967-1989), dans plusieurs pays d’Europe, en Argentine et aux États-Unis. Sa mémoire prodigieuse, sa virtuosité, son intelligence lumineuse ont fait d’elle l’une des meilleures interprètes du siècle passé. Ceux qui l’ont approchée gardent d’elle le souvenir d’un être humble et prévenant, cachant en réalité une femme forte aux élans protecteurs. Née de parents musiciens, deuxième d’une fratrie de trois filles (la cadette, Jeanne, était une célèbre ondiste), elle commence le piano à 4 ans et se trouve dix ans plus tard à la tête d’un immense répertoire, grâce à son premier professeur, sa marraine, Sivade Heminger, qui lui payait des leçons avec Lazare Lévy et lui organisait tous les mois un concert. C’est dans la classe d’harmonie d’O. Messiaen, en 1944, qu’elle découvre Claude Debussy. Elle y a notamment pour camarade Pierre Boulez, qui se souvient d’elle comme le point de mire de la classe où elle jouait les exemples choisis par O. Messiaen, qu’elle épousa en 1961. À partir de cette date, Y. Loriod allait non seulement imposer le grand répertoire et la musique de ce dernier, mais aussi la création de son temps qu’elle a défendue jusqu’en 2002, de Jean Barraqué à André Jolivet, en passant par P. Boulez et Charles Chaynes.
Bruno SERROU
LORKOVIĆ, Melita [ŽUPANJA, SLAVONIE 1907 - ZAGREB 1987]
Pianiste croate.
Après des études chez les plus grands pédagogues du piano (Alfred Cortot, Lazare-Lévy, Wanda Landowska*, Eduard Steuermann), Melita Lorković a commencé sa carrière de concertiste en Yougoslavie, avant de jouer en Scandinavie, en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Elle a rapidement figuré parmi les grands pianistes contemporains, avec Emil von Sauer, Myra Hess, Teresa Careno et Dinu Lipatti. Par son large répertoire (Beethoven, Schumann, Brahms, Chopin, Liszt, Tchaïkovski, Rachmaninov, Bartók, Moussorgski, Debussy, Boris Papandopulo, Božidar Kunc, Marko Tajčević), son style riche et une interprétation charismatique, elle s’est imposée comme une pianiste originale. M. Lorković a enseigné à l’académie de musique, à Zagreb et à Belgrade, ainsi qu’au conservatoire du Caire, et n’a jamais cessé de promouvoir la musique classique par son travail pédagogique.
Iva GRGIĆ MAROEVIĆ
■ Opća enciklopedija Jugoslavenskog leksikografskog zavoda, Zagreb, Jugoslavenski leksikografski zavod, 1982.
LOSA, Ilse [BAUER 1913 - PORTO 2006]
Romancière et écrivaine portugaise pour la jeunesse.
D’origine allemande et d’ascendance juive, Ilse Lieblich Losa est née dans la région de Hanovre, en Allemagne. Elle fuit la persécution nazie et se réfugie à Porto, au Portugal, en 1934. Son mariage avec l’architecte Arménio Losa lui donne la nationalité portugaise. Auteure d’importance reconnue dans une langue qu’elle n’a apprise qu’à l’âge adulte, elle est, depuis son premier roman, La Rose américaine (1949), profondément liée à la littérature pour l’enfance, même si son œuvre s’étend par ailleurs au roman, à l’histoire, à la chronique et au travail pédagogique. Elle a également traduit, en portugais, plusieurs auteurs de langue allemande (Bertolt Brecht, Max Frisch, Adolf Himmel, entre autres) et, en allemand, des auteurs portugais consacrés. Dans un style sobre et limpide, son œuvre narrative et poétique a donné à la littérature une rétrospective autobiographique assombrie par la fin d’une innocence meurtrie par l’horreur nazie et l’exil (Sob céus estranhos [« sous des cieux étranges »], 1962, réédité en 1992 ; Caminhos sem destino [« chemins sans destination »], 1991). Elle a obtenu le grand prix Gulbenkian pour l’ensemble de son œuvre de littérature pour la jeunesse, en 1989, et le Grand Prix de la chronique, décerné par l’Association portugaise des auteurs.
Hugo MENDES AMARAL
■ La Rose américaine (O mundo em que vivi, 1949), Paris, Syros jeunesse, 1997.
LOS ÁNGELES, Victoria DE (née Victoria DE LOS ÁNGELES LÓPEZ GARCÍA) [BARCELONE 1923 - ID. 2005]
Soprano espagnole.
Victoria de Los Ángeles a été la première cantatrice espagnole à faire une carrière internationale dans l’après guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale. Une carrière qui a commencé à la suite de sa victoire au Concours international de Genève en 1947. Sa voix pure et naturelle est d’abord celle d’une soprano colorature. Puis elle s’élargit pour devenir celle d’une soprano lyrique, assez ample pour chanter le répertoire dramatique, jusqu’à pouvoir aborder les rôles généralement attribués aux mezzo-sopranos. Elle fait en trois ans ses études de chant et de piano au Conservatoire de Barcelone d’où elle sort diplômée en 1941. Après avoir participé à quelques concerts, elle débute au Liceo de Barcelone dans le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro de Mozart. En 1942, elle chante l’Orfeo de Claudio Monteverdi, et est invitée en 1948 à Londres pour La Vie brève de Manuel de Falla à la BBC. Un an plus tard, elle est Marguerite de Faust de Gounod à l’Opéra de Paris, rôle qu’elle enregistrera par la suite à deux reprises, puis, l’année suivante, elle campe Mimi de La Bohème à Covent Garden, sous la direction de Sir Thomas Beecham, puis, à Salzbourg et à la Scala, Ariane à Naxos de Strauss. En 1951, elle se rend à New York pour chanter Faust de Gounod sur l’invitation du Metropolitan Opera, où elle chante aussi Madame Butterfly et La Bohème de Puccini, ainsi que Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner. Au Teatro Colón de Buenos Aires, à Stuttgart, à la Scala de Milan, elle élargit son répertoire, y ajoutant Don Giovanni, Mithridate Eupatore de Scarlatti, le Freischütz de Weber, le Barbier de Séville de Rossini. En 1957, elle est à l’Opéra de Vienne et, en 1959, elle enregistre Carmen et La Traviata. Invitée à Bayreuth, elle y chante Elisabeth de Tannhäuser en 1961 et 1962. Mais la mélodie, grâce à son sens inné de la diction, et surtout le répertoire espagnol avec Manuel de Falla, Joaquín Rodrigo, Xavier Montsalvatge, et celui de la zarzuela mettent en valeur son art sobre et lumineux. Elle fait ses adieux à la scène en 1979 dans Pelléas et Mélisande de Debussy, mais continue à chanter occasionnellement, notamment lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Barcelone en 1992.
Bruno SERROU
■ BISOGNI V.R., Victoria de los Ángeles. Nella Musica per Vivere (e Sopravvivere), Zecchini, 2008 ; ROBERTS P., Victoria de los Ángeles, Weidenfeld & Nicolson, 1982.
LOSCH, Tilly (Ottilie Ethel LOSCH, dite) [VIENNE 1903 - NEW YORK 1975]
Danseuse, chorégraphe et peintre autrichienne.
Inscrite à l’école de danse de l’Opéra de Vienne, Tilly Losch est engagée à 15 ans dans le corps de ballet. Elle étudie aussi la danse moderne et participe aux spectacles très en vogue de Grete Wiesenthal*. Au début des années 1920, elle travaille avec Mary Wigman* et surtout Max Reinhardt, composant à sa demande ses premières chorégraphies. Elle l’accompagne à l’étranger où elle reçoit des offres qui l’amènent à diversifier ses engagements : elle joue à Londres The Year of Grace, revue musicale de Noël Coward (1928), et à Broadway The Band Wagon, avec Adele et Fred Astaire (1931). Pendant son bref mariage avec Edward James, mécène britannique des Ballets 33, elle travaille avec George Balanchine, créant notamment l’une des deux Anna dans Les Sept Péchés capitaux (Bertolt Brecht et Kurt Weill). Quelques rôles dramatiques à Hollywood accroissent encore sa notoriété (Les Feux de la rampe et Le Jardin d’Allah, 1936 ; Visages d’Orient, 1937 ; Duel au soleil, 1946). Elle doit abandonner la danse à la suite d’une dépression nerveuse et se tourne vers la peinture. À la suite de l’accueil favorable de sa première exposition à New York en 1944, elle vit entre Londres et New York tout en réalisant une œuvre graphique et picturale appréciée.
Virginie GARANDEAU
LOUBAT, Marie-Louise (née GARITEY) [POMEROL 1877-1961]
Vigneronne française.
Fille d’un tonnelier propriétaire de quelques arpents de vigne à Pomerol, Marie-Louise Garitey épouse Edmond Loubat à Libourne, en 1899. En 1923, elle acquiert une partie du vignoble de Château Petrus (qui appartient alors à la famille Arnaud), situé sur une terrasse qui surplombe l’Isle. Alors que le sol est graveleux partout ailleurs, celui de Petrus est composé d’argiles bleues et planté à 95 % de merlot, un cépage qui s’y plaît particulièrement. Le vin de Petrus n’est pas encore très connu. Dès les premières dégustations, M.-L. Loubat le trouve d’une qualité exceptionnelle ; à force de patience, de travail et de ténacité, elle en fait un vin de légende et, bien que Pomerol n’ait pas de crus classés, Petrus sera qualifié de « cru mythique du XXe siècle ». En 1945, M.-L. Loubat devient propriétaire de la totalité des 11, 5 hectares du vignoble de Petrus. Aujourd’hui, une bouteille de Petrus peut se négocier autour de 3 000 et jusqu’à 10 000 euros selon les millésimes.
Marie-Claude FONDANAUX
LOUCACHEVSKY, Sophie [BOULOGNE-BILLANCOURT 1955]
Metteuse en scène française.
De ses études d’architecture, Sophie Loucachevsky acquiert le talent d’agencer et de fédérer les énergies. La rigueur d’Antoine Vitez, dont elle est l’assistante au Théâtre national de Chaillot (1982-1987), lui permet d’appliquer ces capacités au théâtre. Après un voyage au Japon, elle crée sa première mise en scène : Madame de Sade de Mishima (1986). En 1993, elle réalise en Roumanie un travail sur l’identité, Six personnages en quête de… (d’après Paul Claudel dont elle avait monté la Mort de Judas en 1987). Dans le projet « Dire je » (élaboré avec Jean-François Peyret sous le titre Théâtre Feuilleton), elle convoque une cinquantaine d’artistes au Petit Odéon : une trentaine de spectacles y voient le jour. Exploration de l’identité qu’elle poursuit en 1999, avec des ateliers sur le thème : « se raconter ». En 1995, elle reprend sa vie nomade, crée Mots tus et bouches cousues sur des textes de poètes sud-africains et, en 1997, Fragments d’après une nouvelle de Nadine Gordimer*, avec des comédiens, danseurs, musiciens français et sud-africains. L’expérience se conclut en 1998 en Nouvelle-Calédonie avec Jonas : spectacle musical sur Jonas Gwangwa, tromboniste sud-africain et grande figure de la lutte anti-apartheid. En 2003, elle est artiste résidente en Afrique du Sud et y monte, l’année suivante, L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer de Copi. En 2005, elle est invitée chez Germaine Acogny* à l’École des sables pour mener un travail avec des danseurs professionnels issus de 18 pays d’Afrique autour de l’œuvre de Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux. Elle fonde en 1987 les Associations pour la promotion des artistes (APA) : réunion de 150 artistes autour de différents spectacles créés au théâtre de l’Athénée et à Avignon. Va et vient est justement le titre d’une pièce de Samuel Beckett qu’elle met en scène en langue des signes à l’invitation d’Emmanuelle Laborit (2006). Elle monte des classiques revisités par ses contemporains : Phèdre par Marina Tsvetaeva* (1991), Manahattan Medea de Dea Loher (2010). Son goût de la transmission l’amène à enseigner en France et à l’étranger.
Mireille DAVIDOVICI
LOUIE, Alexina [VANCOUVER 1949]
Compositrice canadienne.
D’origine chinoise, la compositrice, pianiste et pédagogue Alexina Louie est l’une des compositrices les plus jouées au Canada. Elle débute ses études de piano à l’université de Colombie-Britannique avec Barbara Custance et Frances Marr Adaskin, puis de composition avec Cortland Hultberg. Suite à sa maîtrise en composition obtenue en 1974, une bourse de l’université de Californie à San Diego lui permet d’entreprendre des études doctorales en composition, avec notamment Pauline Oliveros qui l’initie à la méditation. Elle enseigne ensuite le piano, les matières théoriques et la musique électroacoustique au Pasadena City College (1974-1980), au Los Angeles City College (1976-1980), ainsi que la composition au Conservatoire royal de musique (université York) et à l’université de Western Ontario. Parallèlement, elle poursuit son apprentissage de la musique orientale, plus particulièrement la tradition chinoise avec Lui Tsun-Yuen. Son style en est d’ailleurs fortement marqué : il allie les cultures de l’Orient et de l’Occident (The Eternal Earth et Music for Heaven and Earth, 1986), tout en étant subtilement combiné aux techniques musicales d’avant-garde, notamment électroacoustiques, et des citations (O Magnum Mysterium, 1982, incluant celles d’œuvres de Bach et le Der Abschied de Mahler). En plus de ses nombreuses commandes reçues des plus importants orchestres et ensembles au Canada, A. Louie est récipiendaire d’un nombre impressionnant de prix et de distinctions : compositrice de l’année par le Conseil canadien de la musique (1986), prix Juno pour Songs of Paradise, prix national de musique Joan Chalmers pour Gallery Fanfares (1994), entre autres. Elle devient, en 1999, la première femme bénéficiaire du prix Jules-Léger de composition pour son œuvre Nightfall. Elle est également nommée officier de l’Ordre de l’Ontario (2001) et de l’Ordre du Canada (2005) pour son apport exceptionnel à la musique.
Sophie STÉVANCE
LOUISE DE LORRAINE [NOMÉNY 1553 - MOULINS 1601]
Reine de France et épistolière française.
Fille de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont, et de Marguerite d’Egmont, Louise de Lorraine-Vaudémont devient en 1575 l’épouse du roi de France Henri III. Après l’assassinat de ce dernier en 1589, cette reine, jusque-là plutôt effacée, s’efforce de tenir son rang, d’une part en œuvrant pour que les régicides soient châtiés, d’autre part en se montrant attentive à la difficile question de la succession et en apportant son appui à Henri IV après sa conversion. Elle laisse une correspondance qui rend compte de son engagement vigilant et désintéressé.
Daniel MARTIN
■ BERTIÈRE S., Les Reines de France au temps des Valois, les années sanglantes, t. 2, Paris, Éditions de Fallois, 1994 ; BOUCHER J., Deux épouses et reines à la fin du XVIe siècle, Louise de Lorraine et Marguerite de France, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint- Étienne, 1995.
LOUISE DE SAVOIE [PONT-D’AIN 1476 - GREZ-SUR-LOING 1531]
Régente du royaume de France.
Fille du duc de Savoie Philippe sans Terre et de Marguerite de Bourbon, Louise de Savoie épouse à l’âge de 12 ans Charles de Valois, comte d’Angoulême. Mère de Marguerite* d’Angoulême, qui deviendra reine de Navarre, et de François Ier, futur roi de France, veuve à l’âge de 19 ans, elle se consacre avec dévouement à l’éducation de ses enfants et les protège des intrigues. Elle joue un rôle politique majeur après l’accession de son fils au trône de France en 1515. Elle est régente de France cette même année, et pendant les grandes expéditions italiennes et la captivité du roi, de 1525 à 1526, après la défaite des armées françaises à Pavie. Contre Charles Quint, elle fait régner l’ordre dans le royaume avec une grande autorité et remporte d’importants succès diplomatiques. Elle parvient à tisser une alliance avec l’Angleterre et l’Empire ottoman et obtient la libération de son fils (1526). En 1529, elle s’illustre encore en négociant et en signant avec Marie de Luxembourg et Marguerite d’Autriche un traité, la Paix des Dames, qui permet une brève réconciliation entre François Ier et Charles Quint. Amatrice d’art et bibliophile avisée, elle a influencé, au-delà de la vie politique, les arts, les lettres et la vie intellectuelle du royaume. Le journal qu’elle a tenu de 1459 à 1523, mêlant vie de famille et événements historiques, est passé à la postérité.
Fabienne PRÉVOT
■ Journal de la mère de François Ier, 1459-1522, Clermont-Ferrand, Paleo, 2006.
■ HENRY-BORDEAUX P., Louise de Savoie, roi de France (1954), Paris, Perrin, 1971 ; ZERMATTEN M., Un lys de Savoie, la bienheureuse Loyse, Bruges, Desclée De Brouwer, 1960.
LOUISE DU NÉANT (Louise DE BELLÈRE DU TRONCHAY, dite) [ANJOU 1639 - PARTHENAY 1694]
Épistolière et mystique française.
Manifestant dès l’enfance une forte vocation religieuse, Louise de Bellère du Tronchay rejoint l’Union chrétienne de Charonne en 1676. À la suite d’une méditation sur le péché, elle sombre dans le délire : on la conduit à la Salpêtrière. Après des mois de cachot, le dialogue épistolaire avec plusieurs ecclésiastiques la délivre de ses comportements violents : elle quitte l’hôpital vers 1681. À sa mort, Jean Maillard, son dernier confesseur, se fait son biographe et rassemble sa correspondance (52 lettres). L’écriture de Louise du Néant est symptomatique de ce que devient la mystique à la fin du XVIIe siècle, au moment où le langage du corps cesse d’être perçu comme religieux et bascule dans la pathologie, le parcours mystique se doublant d’un délire mortificatoire. Elle contribue aussi à enrichir une doxa qui est celle de la « folie de la Croix », propre à constituer, dans ces années-là, les critères d’une sainteté féminine.
Antoinette GIMARET
■ BREMOND H., Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1916), Grenoble, J. Millon, 2006 ; MAILLARD J., Louise du Néant, le triomphe de la pauvreté et des humiliations (1732), Grenoble, J. Millon, 1987.
LOUKANINA, Adelaïda (née RYKATCHEVA, épouse LOUKANINA puis PAÏEVSKAÏA) [NOVGOROD 1843 - MOSCOU 1908]
Écrivaine et médecin russe.
Adelaïda Nikolaïevna Loukanina vit dans la province de Novgorod dans le domaine de ses parents avant de partir étudier clandestinement la chimie à l’université de Saint-Pétersbourg, interdite aux femmes. En 1872, le Bulletin de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg publie les résultats de ses recherches, premier travail scientifique d’une femme à y être publié. Elle gagne alors Zurich puis Philadelphie, où elle soutient sa thèse de médecine en 1876. En 1877, elle s’installe à Paris, où elle gagne sa vie en donnant des cours et en assistant Ivan Tourgueniev. En 1885, permission lui est donnée de revenir en Russie, où elle poursuit son travail d’écriture tout en s’adonnant à la médecine. Pour survivre, elle ouvre une teinturerie dont les bénéfices servent à loger et à instruire ses employées. Elle publie ses récits dans Vestnik Evropy (« le messager de l’Europe », 1878-1886), Severnyï Vestnik (« le messager du Nord », 1886-1891) et Rousskoïe Bogatstvo (« la richesse russe », 1903) de ses initiales A. L., puis à partir de 1890, sous son nom marital. Ses biographies de Victor Hugo, Walter Scott, ses articles d’Amérique et ses récits pour enfants paraissent en livres. Elle est également correspondante de deux journaux médicaux. Ses récits sont des chroniques inspirées par sa propre vie : Palata nomer sto tretiï (« la chambre no 103 », 1879) raconte son expérience médicale. Moio znakomstvo s I. S.Tourguenievym (« ma rencontre avec Tourgueniev », 1887) retrace avec fidélité la vie de l’écrivain. God v Amerike (« une année en Amérique », 1881) et Komandirovka na kholerou (« mission contre le choléra », 1903) sont des témoignages précieux. Le cycle de récits Starinnye diela (« histoires d’autrefois ») mêle fiction et souvenirs personnels de la vie rurale. Elle partage avec Tchekhov l’amour de la nature, dont elle célèbre la communion avec l’homme dans ses récits. La disparition d’espèces et de forêts est un phénomène qui, pour elle, appauvrit et affaiblit l’homme (Lechkhine bor, « la forêt de Lechikha », 1890).
Françoise DARNAL-LESNÉ
LOURENÇO, Inês [PORTO 1942]
Poétesse portugaise.
Signataire de l’une des œuvres littéraires contemporaines en langue portugaise les plus provocatrices, Inês Lourenço a publié huit recueils de poésie depuis 1980, parmi lesquels une anthologie qui revient sur son parcours créatif de vingt ans : Um quarto com cidades ao fundo, poesia reunida (« une chambre avec villes en toile de fond, poésie réunie », 2000). Sa poésie semble s’alimenter aux petites épiphanies et aux expériences discrètes du quotidien. Elle se permet le partage et la fragmentation des espaces entre l’intimité (la « chambre ») et les lieux de circonstance et de circulation : Porto, Berlin, Liverpool… Autant de scènes urbaines où la réalité se présente dans la comparution de sa propre distance (Chuva na Hauptstrasse [« pluie sur la Hauptstrasse »], 2000). Dès ses débuts, consacrés aux thèmes de la mémoire et de l’enfance (Os solistas [« les solistes], 1994 ; A enganosa respiração da manhã [« la trompeuse respiration du matin »], 2002) et au corps féminin, son œuvre poétique, également attentive à revisiter certains des motifs les plus célèbres de la mythologie gréco-romaine (comme le montrent les titres des poèmes : « Oximoro » [oxymore], « Ícaro », « Penélope », « Ephebo », « Nenhum Orfeu » [aucun Orphée] et « Janus »), parvient à se détacher d’un laborieux parcours textuel, à la fois trouble et brillant, pour tendre vers une poétique urbaine de la contemporanéité, très souvent liée à la route méridionale des grandes villes européennes. Très proche de la propre expérience de la poétesse, A enganosa respiração da manhã n’abandonnera pas le palimpseste ironique ni la critique sociale, en portant son attention sur le détail et sur le contingent des « petits holocaustes quotidiens ». L’animal est souvent le héros protagoniste (le chat ou le chien, sans oublier les volailles et les insectes) dans la poésie d’I. Lourenço, qui ne choisit pas particulièrement des sujets « poétiques » ou « nobles ». Elle ne cherche même pas la beauté ou la vérité des choses, mais montre du doigt la poésie pédante (Logros consentidos [« duperies consenties »], 2005) et les fissures d’un sens à jamais perdu (A disfunção lírica [« la disfonction lyrique »], 2007). I. Lourenço a coordonné et édité Hífen-Cadernos de poesia, cahiers consacrés à plusieurs générations de poètes, regroupant treize numéros thématiques, où ont collaboré, entre 1987 et 1999, un nombre important de poètes portugais et étrangers.
Hugo MENDES AMARAL
■ LIMA I. P. de (dir.), Vozes e olhares no feminino, Porto, Afrontamento, 2001.
LOVAS, Ildikó [SZABADKA, AUJ. SUBOTICA, SERBIE 1967]
Écrivaine, traductrice et rédactrice hongroise.
Née dans la province de Voïvodine, dans l’ancienne Yougoslavie, Ildikó Lovas étudie le hongrois à l’université de Novi Sad. Rédactrice en chef de la revue de langue hongroise de Szabadka, Üzenet, elle publie des écrits, en hongrois ou en serbe, dans des périodiques des deux pays. Plusieurs de ces textes ont été traduits en slovène et en italien, et elle-même traduit en hongrois des écrivains croates et serbes. Dans ses propres écrits, le récit se déroule le plus souvent dans sa ville natale ; elle tente de rendre l’esprit ouvert et accueillant des habitants, ancré dans la diversité des langues, des cultures et des ethnies. Ses premiers textes sont autant de tentatives de saisir les peurs, les angoisses et l’insécurité suscitées par les guerres de Yougoslavie et la crise de Sarajevo. Son roman Kijárat az Adriára (« débouché sur l’Adriatique », 2005) est à la fois une parodie féminine, et typiquement est-européenne, des romans d’espionnage occidentaux et un miroir ironique de la vie dans les Balkans. Spanyol menyasszony (« la fiancée espagnole », 2007) relie avec originalité la vie de personnages féminins situés dans des espaces et/ou des temps différents et bouleverse les topiques patriarcaux de la féminité. Invoquant pêle-mêle les topoï et les parangons de la culture populaire et de la haute littérature, le roman met aussi en question la conception hiérarchique moderne de la culture.
Andrea P. BALOGH
LØVEID, Cecilie [MYSEN, COMTÉ D’ØSTFOLD 1951]
Écrivaine norvégienne.
Les premiers textes de Cecilie Løveid paraissent dès la fin des années 1960 dans des œuvres collectives où elle se fait remarquer par sa prose expérimentale consacrée à la conscience des femmes. Ses livres traitent d’amour, d’érotisme, de désir, de sensualité et de violence, avec des plongées dans l’inconscient, souvent par la transgression de tabous, tels l’inceste et le parricide dans Sug (« remous », 1979), son principal roman. Son théâtre renouvelle le genre du drame norvégien tant sur scène qu’à la radio. En 1983, elle reçoit le prestigieux prix Italia pour sa première pièce radiophonique, Måkespisere (« mangeurs de mouettes »). Il s’agit d’une histoire classique de séduction d’une fille au service d’une famille aisée, mise en scène avec raffinement : collage sonore de cris d’enfants et de mouettes, récitation de textes de théâtre et description de la préparation de la volaille tirée d’un ancien livre de cuisine. Ses pièces écrites pour le théâtre sont aussi expérimentales et ludiques, avec des histoires de vie et des conflits dramatiques mis en contraste et nuancés par des scènes parallèles où se jouent des tableaux de fantaisie, de rêves et de souvenirs. Après plusieurs drames prenant pour sujet la femme moderne, elle écrit des pièces à partir de biographies historiques : Les Filles du Rhin (1996), sur Hildegarde* de Bingen ; Østerrike (« l’Autriche », 1998), sur Ludwig Wittgenstein. Les recueils de poésie Spilt (« joué », 2001), Gartnerløs (« sans jardinier », 2007) et Nye ritualer (« nouveaux rites », 2008) font partie de ses derniers ouvrages. Toute son œuvre dépasse les frontières entre les genres : ses drames sont poétiques, musicaux et gestuels ; sa prose est lyrique ; et sa poésie, aux images fortes et concrètes, souvent épique. En tant que poétesse, elle a collaboré avec des artistes et des compositeurs ; en 1991, elle a été nommée Poète attitrée du Festival international de musique de Bergen.
Anne Birgitte RØNNING
■ Les Filles du Rhin (Rindøtrene, 1996), Saint-Nazaire, Meet, 1997.
■ ANDERSEN M. M. (dir.), Livsritualer. En bok om Cecilie Løveids dramatikk, Oslo, Gyldendal, 1998 ; LARSEN W., Skuespillet om kvinnekroppen. Bildets og kroppen betydning i Cecilie Løveids dramatikk, Oslo, Unipub, 2005 ; THRESHER T., Cecilie Løveid : Engendering a Dramatic Tradition, Bergen, Alvheim & Eide, 2005.
LOVELACE, Ada [LONDRES 1815 - ID. 1852]
Mathématicienne et informaticienne britannique.
Augusta Ada King, comtesse Lovelace, est née de la brève union entre le poète lord Byron et Anne Isabella (Annabella) Milbanke. Cette dernière s’attache à donner une éducation moralement irréprochable à sa fille, aussi loin que possible de la poésie, afin qu’elle ne tombe pas, comme son père, dans le vice : A. Lovelace apprendra les mathématiques, la morale, la science. À 17 ans, elle fait son entrée à la cour. Elle rencontre la scientifique lady Mary Somerville*, puis le mathématicien Charles Babbage. A. Lovelace est fascinée par sa machine à différences qui exécute des calculs. La description qu’elle en fait, mi-poétique, mi-mathématique, enchante le mathématicien, car A. Lovelace semble être la seule à comprendre la portée universelle de ses travaux. Une collaboration débute. Le premier article sur la machine de C. Babbage est rédigé en français par l’Italien Luigi F. Menabrea en 1842 et traduit par A. Lovelace. Une fois ses notes ajoutées, il double de volume. Elle appelle son mémoire « mon premier enfant », elle qui en a déjà eu trois, mais craint que C. Babbage, qui a écrit un article d’introduction, ne veuille s’approprier son œuvre. Finalement, son mémoire est publié sous ses initiales, afin de dissimuler son identité comme le faisaient d’ordinaire les femmes. Un passage, qu’elle-même et C. Babbage considéraient comme mineur, la rendra célèbre. C’est le programme qui permet de calculer sur la machine analytique les nombres de la suite de Bernoulli, le premier programme informatique écrit. On y trouve le principe de la boucle, une des procédures de base de la programmation. En 1980, un puissant ordinateur de l’armée américaine fonctionnait avec un logiciel programmé en langage ADA, nommé ainsi en sa mémoire.
Isabelle COLLET
■ COLLET I., L’informatique a-t-elle un sexe ? Hacker, mythe et réalité, Paris, L’Harmattan, 2006 ; STEIN D., Ada, a Life and a Legacy, Cambridge, MIT Press, 1985 ; TOOLE B. A. (éd.), Ada, the Enchantress of Numbers : A Selection From the Letters of Lord Byron’s Daughter and Her Description of the First Computer, Mill Valley, Strawberry Press, 1992 ; WOOLEY B., The Bride of Science : Romance, Reason and Byron’s Daughter, New York, McGraw-Hill Book Company, 1999.
LOVINESCU, Monica [BUCAREST 1923 - PARIS 2008]
Journaliste, critique littéraire et mémorialiste roumaine.
Personnalité majeure de l’exil intellectuel roumain, Monica Lovinescu reste certainement la plus emblématique par sa solidarité jamais démentie avec les artistes, les philosophes et les gens de lettres qui ont vécu l’expérience du totalitarisme communiste. Contrainte de fuir la Roumanie, elle s’installe à Paris en 1947 et obtient l’asile politique l’année suivante. Elle collabore aux émissions culturelles de la radiodiffusion française avant de devenir, dès 1962, la principale rédactrice des programmes culturels pour la Roumanie de la station Radio Free Europe. Pendant trente ans, elle est cette voix de la liberté qu’écoutent, chaque semaine, des millions de Roumains, malgré le brouillage systématique de ses émissions et la campagne de dénigrement lancée à son encontre dans la presse asservie au pouvoir communiste. Armée de ce qu’elle appelle modestement « une subjectivité soumise au doute », elle évite de condamner les cas d’abdication morale sous la torture physique ou psychologique, comme pour les philosophes Nicolae Noica et Alexandru Paleologu ou encore le poète Ion Caraion. En revanche, elle se montre intransigeante face à toute forme de prostitution intellectuelle ou artistique. Les faux-semblants de non-conformisme, comme ce qu’elle appelle « la contestation avec la permission de la police », lui répugnent tout autant que la servilité manifeste des apologistes du régime. Sur Radio Free Europe, la journaliste met en parallèle le parcours des intellectuels roumains et français qui, dans le climat idéologique agité de l’après-guerre, ont succombé à une crise des valeurs, certes de nature différente mais d’une gravité comparable. Elle constate d’une part l’affaissement de la résistance des Roumains face à la « rhinocérisation » qu’Eugène Ionesco dénonce dans sa fameuse comédie ; d’autre part, elle retrace l’évolution sinueuse de la gauche intellectuelle française qui, malgré le choc Soljenitsine, demeure réticente à admettre la faillite de l’utopie collectiviste dans les pays du « socialisme réel ». M. Lovinescu milite aussi activement pour les droits de l’homme. Elle refuse tout engagement politique, n’adhérant qu’au seul « parti des victimes ». Ses mémoires La apa Vavilonului (« au bord du fleuve de Babylone », 1999-2001) et son Jurnal (2003-2006) constituent à la fois la biographie d’une intellectuelle militante et l’histoire d’une communauté d’exilés hétérogène, mal organisée mais parfois efficace. Le passage à l’Ouest de la jeune candidate à l’exil, en 1947, relève de l’aventure rocambolesque lorsqu’elle découvre, non sans perplexité, que les gardes-frontière de la zone soviétique sont plus tolérants à son égard que ceux de la zone dite « libre ». Elle raconte ses chassés-croisés avec la police française, chargée d’empêcher les manifestations pour la défense des droits de l’homme devant l’ambassade de Roumanie, et son agression devant son domicile parisien par des tueurs à gages palestiniens commandités par le dictateur Ceauşescu. Le style de la mémorialiste est alerte et expressif et ses évocations prennent une envergure romanesque.
Andreia ROMAN
■ Unde scurte (1978), vol. 1-6, Bucarest, Humanitas, 1990-1996 ; La apa Vavilonului (1999, 2001), Bucarest, Humanitas, 2010 ; Jurnal, vol. 1-3, Bucarest, Humanitas, 2003-2006 ; Jurnal esential, Bucarest, Humanitas, 2010.
■ MANOLESCU N., Istoria critică a literaturii române, Piteşti, Paralela 45, 2008 ; NEMOIANU V., World Literature Today, Oklahoma (USA), Summer, 1979.
■ DIMISIANU G., România literară no 45, Bucarest, 1998 ; NEGOITESCU I., Limite no 40-41, Paris, 1983.
LOW, Barbara [LONDRES 1877 - ID. 1955]
Psychanalyste britannique.
Dernière fille de 11 enfants, née dans une famille anglaise d’origine austro-hongroise, Barbara Low obtient son diplôme à l’University Collegede Londres. Elle enseigne l’éducation, l’histoire et la littérature au London County Council. Elle rejoint le Parti travailliste dont elle a été une militante active. Initiée à la psychanalyse par David Eder, qui avait épousé une de ses sœurs, B. Low abandonne sa carrière d’enseignante pour étudier la psychanalyse, et se rend à Berlin où elle suit une analyse avec Hanns Sachs. Très impressionnée par la policlinique de Berlin, elle milite pour la création d’un organisme semblable à Londres. En 1919, elle sera l’un des membres fondateurs de la Société britannique de psychanalyse. Elle consacre le reste de sa vie à la psychanalyse, formant toute une génération d’analystes anglais, sans toutefois négliger ses autres centres d’intérêt. Dotée d’une grande culture et d’une pensée claire, elle a été reconnue autant comme clinicienne que comme conférencière et interprète de la pensée psychanalytique. Son article « Psycho-Analysis and Education » paraîtra dans l’ouvrage collectif édité par Ernest Jones à Londres, en 1924, sous le titre Social Aspects of Psycho-Analysis, ouvrage plusieurs fois réédité depuis. On lui doit aussi d’avoir utilisé dans ses écrits le principe de Nirvana, introduit en Europe par Arthur Schopenhauer, que Sigmund Freud, dès 1920, théorise comme principe de fonctionnement psychique. Elle a été très active, comme thérapeute mais aussi comme conférencière, au sein de l’Institut pour l’étude et le traitement de la délinquance, tout en participant à de nombreuses réunions internationales et en contribuant avec rigueur à la vie intellectuelle et scientifique de la Société britannique de psychanalyse. Elle sera également à l’origine de la création de la maison d’édition Imago Publishing. B. Low a toujours lutté vigoureusement pour ses idées, comme ce fut le cas lors des Grandes Controverses du début des années 1940, lorsqu’elle se range aux thèses d’Anna Freud* qu’elle défend activement contre celles de Melanie Klein*. Sa santé l’oblige à se retirer les deux dernières années de sa vie.
Nicole PETON
LOWELL, Amy [BROOKLINE 1874 - ID. 1925]
Poétesse américaine.
Issue de l’une des grandes familles de Boston, Amy Lawrence Lowell reçoit une éducation privée, profite de la bibliothèque de son père et découvre des poètes romantiques comme John Keats, dont elle écrit une longue biographie à la fin de sa vie (1925). Après la mort de son père, en 1900, elle hérite de la propriété familiale et y vit pendant de longues années avec son amie Ada Dwyer Russell. Elle est dès lors assez riche pour voyager, soutenir de jeunes poètes et publier ses propres œuvres. Le titre de son premier recueil de poésie, A Dome of Many Coloured Glass (« un dôme de verre multicolore », 1912), fait référence à l’élégie de P. B. Shelley en l’honneur de Keats, dont elle admire le formalisme concis et la perspective progressivement réorientée de la voix lyrique. En tant que critique littéraire, elle célèbre non seulement les romantiques Keats, Blake, Coleridge et Poe, mais aussi Verhaeren, Mallarmé, Frost et Sandburg. En 1913, A. Lowell retrouve à Londres le réseau de jeunes poètes américains qui vont former la base du modernisme, attirée par H. D.* (Hilda Doolittle) et Ezra Pound. Aux dires de E. Pound plus tard, la théorie de l’imagisme qu’elle trouve chez H. D. devient « l’Amygisme » sous sa plume. Enthousiaste, elle publie trois recueils intitulés Some Imagist Poems entre 1915 et 1917. Ce mouvement lui inspire également ses propres innovations techniques : l’hypersymbolisme d’une image clé, les sensations physiques véhiculant des émotions, une voix directe et, souvent, des monologues dramatiques qui dissolvent la versification dans une cadence de prose oratoire et musicale, devenue vers libre. Des éléments du symbolisme aussi bien que de l’orientalisme colorent son vocabulaire et ses tonalités. Le mouvement de ses lignes s’adapte aux thèmes. Cependant, A. Lowell ne pratique pas l’art pour l’art. Selon elle, la poésie est essentielle à la morale du soldat pendant la Grande Guerre. Elle donne ainsi des collections de livres aux foyers de combattants. Dans l’un de ses poèmes, elle décrit la progression des soldats à travers un paysage comme celle d’un serpent lent et sinueux, symbole de force. Situé dans une Renaissance imaginaire, le poème narratif « Patterns » (1915) évoque la perte du bien-aimé, fardeau de silence que l’on porte grâce aux conventions qui soutiennent le corps corseté aussi bien que l’esprit. A. Lowell établit ainsi un parallèle à la fois visuel et thématique entre poème, femme et guerre. En 1918, elle écrit une série de « phantasmes de guerre » et remet en question la priorité du réalisme dans les valeurs critiques de l’époque. Les critiques s’intéressent par la suite à l’expression du désir lesbien dans ses vers adressés à des femmes, où les sentiments s’expriment à travers des métaphores botaniques, comme l’érotisme saphique de Michael Field.
Margaret R. HIGONNET
■ BENVENUTO R., Amy Lowell, Boston, Twayne, 1985 ; GALVIN M. E., Queer Poetics : Five Modernist Women Writers, Westport (Conn.), Greenwood, 1999 ; GOULD J., Amy : The World of Amy Lowell and the Imagist Movement, New York, Dodd Mead, 1975 ; MUNICH A. et BRADSHAW M. (dir.), Amy Lowell, American Modern, New Brunswick (New Jersey), Rutgers University Press, 2004.
LOWTZKY, Fanja (née SCHWARTZMANN) [KIEV 1874 - ZURICH 1965]
Psychanalyste suisse.
Après des études de philosophie commencées en 1898 à Berne, Fanja Schwartzmann épouse le compositeur Hermann Lowtzky, s’installe à Genève et commence une analyse avec Sabina Spielrein*. En 1922 elle part pour Berlin, achève son analyse avec Max Eitingon qui venait lui aussi de Russie, et devient membre de la Société allemande de psychanalyse. Son livre, Sören Kierkegaard : Das subjektive Erlebnis und die religiöse Offenbarung (« Sören Kierkegaard : l’expérience subjective et la révélation religieuse »), paru à Vienne en 1935, analyse les tentatives de résolution du complexe d’Œdipe de l’auteur par l’approche philosophique et religieuse. Après la prise de pouvoir par Adolf Hitler, F. Lowtzky émigre à Paris puis en Palestine en 1939. En 1940, elle organise à l’Institut psychanalytique de Jérusalem un séminaire pour des enseignants et des pédagogues. Centré sur la pédagogie, selon l’approche d’August Aichhorn qui défendait l’idée que le pédagogue pouvait être un parent de substitution pour l’enfant, ce séminaire est déterminant pour l’acceptation de la pensée psychanalytique dans l’instruction publique israélienne. Elle devient membre, en 1944, de la Société israélienne de psychanalyse, fondée quelques années auparavant par Max Eitingon et Moshe Wulff, et rentre en Europe, en 1957, pour s’établir à Zurich.
Nicole PETON
LOY, Mina (Mina Gertrude LOWY, dite) [LONDRES 1882 - ASPEN 1966]
Poétesse et peintre américaine.
D’origine anglaise, Mina Loy quitte l’école à 17 ans pour aller étudier la peinture à Munich. Très tôt influencée par l’impressionnisme, elle s’installe à Paris en 1903 et y rencontre Stephen Haweis, qu’elle épouse et dont elle divorcera en 1917. Elle peint, se lie avec Apollinaire, Picasso, Gertrude Stein*. En 1905, elle expose au prestigieux Salon d’automne. Un an plus tard, elle s’installe et expose à Florence. Fréquentant les futuristes, elle se fait l’écho, dès ses premiers poèmes, de leurs théories révolutionnaires en peinture et en littérature. Ses textes commencent à être publiés par de petites revues américaines. En 1916, elle rencontre, à New York, Marcel Duchamp, Man Ray et Djuna Barnes*. Elle épouse le poète-boxeur précurseur du dadaïsme, Arthur Cravan. En 1923, de retour à Paris, elle se remet à l’écriture grâce au soutien financier de la mécène américaine Peggy Guggenheim*. De 1931 à 1936, elle devient l’agent artistique de plusieurs artistes, dont Braque, De Chirico, Ernst et Giacometti. Elle repart ensuite à New York pour se consacrer à l’écriture.
Comme les poètes de son époque, M. Loy cherche de nouvelles formes de création qui renouvelleraient les images et les mots. Elle donne une priorité absolue aux sonorités et avoue même composer ses poèmes en se souciant uniquement de leur musicalité. Son œuvre centrale, Love Songs (poèmes 1-4, 1915), qu’elle renomme Songs to Joannes (poèmes 1-34, 1917), constitue une suite de 34 poèmes sur l’échec de l’amour romantique. Ses images proches du surréalisme lient la sexualité à la psyché et font scandale. Peintre aimant expérimenter les techniques, elle passe de la peinture à l’huile à l’encre, puis aux lampes et à la sculpture, avec des objets ramassés dans les rues et dans les poubelles de Manhattan.
Beatrix PERNELLE
■ Le Baedecker lunaire, Poèmes I (Lunar Baedecker, 1923), Mont-de-Marsan, Atelier des Brisants, 2000 ; La Rose métisse, Poèmes II et manifestes, Mont-de-Marsan, Atelier des Brisants, 2005.
■ BURKE C., Becoming Modern : The Life of Mina Loy, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1996 ; PRESCOTT T. L., « A Lyric Elixir » : The Search for Identity in the Works of Mina Loy, Claremont Graduate University, 2010.
LOY, Myrna (née WILLIAMS) [RADERSBURG 1905 - NEW YORK 1993]
Actrice américaine.
Myrna Loy débute à 18 ans comme danseuse de revue au Grauman’s Chinese Theater de Hollywood. Rudolph Valentino lui fait passer une audition, mais elle joue d’abord de petits rôles, notamment dans le célèbre Ben-Hur, de Fred Niblo, en 1925. Elle apparaît dans le premier film parlant, Le Chanteur de jazz (The Jazz Singer, Alan Crosland, 1927). En dix ans, elle tourne plus de 60 films. Dans Penthouse (Woody S. Van Dyke, 1933), elle défie avec succès la censure en call-girl de luxe. En 1934, après l’avoir vue jouer dans la version américaine de Topaze (Harry d’Abbadie d’Arrast, 1933, d’après Marcel Pagnol), Van Dyke choisit l’actrice pour incarner Nora face à William Powell dans la comédie policière L’Introuvable (The Thin Man, d’après Dashiell Hammett). Le couple, et son petit chien, obtient un immense succès, qui se prolonge grâce à d’autres épisodes de la série. En 1936, Myrna Loy est la reine du box-office. Après avoir formé un nouveau couple idéal avec Clark Gable, elle se consacre à la Croix-Rouge pendant la guerre. En 1946, elle revient en épouse de Fredric March dans le drame Les Plus Belles Années de notre vie, de William Wyler. Tout en poursuivant sa carrière, elle devient représentante des États-Unis auprès de l’Unesco, et défend la cause du parti démocrate. Elle fait de tardifs débuts à Broadway, en 1973, dans The Women, de Clare Boothe Luce, comédie qui ne comporte que des rôles féminins. À l’écran, elle passe de la comédie – La Fille de l’ambassadeur (The Ambassador’s Daughter, Norman Krasna, 1956) – au drame – Du haut de la terrasse (From the Terrace, Mark Robson, 1960). Dans Folies d’avril (The April Fools, Stuart Rosenberg, 1969), elle est la partenaire de Catherine Deneuve* et de Charles Boyer. Après le film-catastrophe 747 en péril (Airport 1975, Jack Smight, 1974), elle fait une ultime apparition dans Just Tell Me What You Want, satire signée Sidney Lumet (1980).
Bruno VILLIEN
■ Avec KOTSILIBAS-DAVIS J., Myrna Loy : Being and Becoming, New York, Donald I. Fine, 1988.
■ BASINGER J., I Do and I Don’t : A History of Marriage in the Movies, New York, Alfred Knopf, 2013.
LOY, Rosetta [ROME 1931]
Écrivaine italienne.
De mère romaine et de père piémontais, Rosetta Loy vit à Rome, mais reste très attachée à ses origines familiales. Sa carrière littéraire commence avec la parution du roman La Bicyclette (1974), qui obtient le prix Viareggio. Paraissent ensuite : La Porte de l’eau (1976) ; L’estate di Letuché (« l’été de Letuché », 1982) ; À l’insu de la nuit (1984), neuf histoires qui se passent pendant l’été 1939 à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; Les Routes de poussière (1987). Ce dernier connaît un grand succès de librairie et obtient les prix Campiello et Viareggio. L’histoire de cette famille paysanne du Monferrato, est l’occasion pour l’écrivaine de retracer l’histoire politique et civile des guerres napoléoniennes, du Piémont et de l’Italie, mais surtout de dresser le portrait de plusieurs générations qui voient leurs routes parcourues par toutes sortes d’armées, avec des résultats catastrophiques. Deux des livres de R. Loy retracent la période fasciste et l’entrée en vigueur en Italie des lois raciales contre les juifs, et analysent avec lucidité l’indifférence et le silence de la majorité des catholiques face à la Shoah. Dans Un chocolat chez Hanselmann (1995), le thème est développé autour des vicissitudes d’un scientifique juif contraint de quitter l’Italie ; dans Madame Della Seta aussi est juive (1997), c’est l’écrivaine elle-même qui décrit, entre souvenirs personnels et reconstitution historique, de son point de vue de petite fille catholique, les injustices et les abus dont étaient victimes ses camarades juifs. Mais si la petite fille trouvait ces marginalisations et ces injustices mystérieuses, l’auteure adulte ressent le besoin, en tant qu’Italienne catholique, d’en assumer toutes les responsabilités.
Francesco GNERRE
■ Les Routes de poussière (Le strade di polvere, 1987), Aix-en-Provence, Alinéa, 1989 ; À l’insu de la nuit (All’insaputa della notte, 1984), Aix-en-Provence, Alinéa, 1991 ; Un chocolat chez Hanselmann (Cioccolata da Hanselmann, 1995), Paris, Payot & Rivages, 1996 ; Madame Della Seta aussi est juive (La parola ebreo, 1997), Paris, Payot & Rivages, 1998 ; La Porte de l’eau (La porta dell’acqua, 1976), Paris, Payot & Rivages, 2001 ; La Bicyclette (La bicicletta, 1974), Paris, L. Levi, 2002.
LOYNAZ, Dulce María [LA HAVANE 1902 - ID. 1997]
Écrivaine cubaine.
Les premiers poèmes de Dulce María Loynaz paraissent dans le quotidien La Nación en 1919. Docteure en droit à l’Université de La Havane, elle est tantôt avocate, tantôt chroniqueuse pour les journaux El País et Excélsior. En 1959, elle entre à l’Académie cubaine de la langue dont elle occupe la présidence de 1968 à sa mort. Pour sa contribution à la littérature hispano-américaine, elle reçoit plusieurs récompenses, dont le Prix national de littérature (1987) et le prestigieux prix littéraire espagnol Cervantès (1992). L’écriture de D. M. Loynaz se classe dans le registre de l’intimisme postmoderniste, dont on trouve la marque dans la prose de Jardín (1951), ou dans les épisodes de Un verano en Tenerife (« un été à Tenerife », 1958). Jardín, roman d’une grande richesse conceptuelle, permet de retrouver les échos d’une écriture d’avant-garde et les préoccupations d’autres écrivains précurseurs du « boom romanesque » des années 1960-1970 en Amérique latine : il décrit, dans le monde contemporain, la vie d’une femme qui peut être un spectre, un fantôme ou l’image condensée de toutes les femmes. Son expérience de la maternité et de la guerre, ainsi que l’insensibilité généralisée sont captées avec une ironie qui remet en question des idées préconçues sur la féminité, sur l’amour ou sur la mort. Les traces de l’avant-garde se croisent avec l’héritage moderniste ou romantique, montrant l’habileté de l’écrivaine à créer des atmosphères différentes. Son expression maîtrisée, tantôt sobre, tantôt baroque, se conjugue avec une extraordinaire inventivité. La plasticité de son œuvre domine la narration de Un verano en Tenerife, un récit de voyage qui se lit comme un roman. Multiforme et quelque peu contradictoire, sa poésie parcourt différents registres : l’invective féministe dans Canto a la mujer estéril (« chant à la femme stérile », 1937), la philosophie dépouillée dans Poemas sin nombre (« poèmes sans nom », 1953), l’innocence légèrement ironique dans de nombreux textes du Bestiarium (1993), la placidité dans Jeux d’eau et autres poèmes (1947) ou l’exigence péremptoire d’une féminité guerrière dans La novia de Lázaro (« la fiancée de Lázaro », 1991). De la rime à la prose, du déchirement à l’ironie, la poésie de D. M. Loynaz traverse un large spectre d’expression qui établit des liens inattendus avec d’autres créateurs de son temps. À la fin de sa vie, elle écrit Fe de vida (« épreuve de vie », 1994), un recueil de mémoires d’une sincérité amère.
Zaida CAPOTE CRUZ
■ La Fille prodigue, Paris, La Différence, 1994 ; Jeux d’eau et autres poèmes (Juegos de agua, 1947), Paris, Indigo & Côté-femmes, 2003.
■ ÁLVAREZ GONZÁLEZ I., SÁNCHEZ RODRÍGUEZ F., Dulce María Loynaz, la agonia de un mito, La Havane, Centro Juan Marinello, 2001 ; CAPOTE CRUZ Z., Contra el silencio, otra lectura de la obra de Dulce María Loynaz, La Havane, Letras cubanas, 2005 ; GARRANDES A., Silencio y destino : anatomia de una novela lirica, La Havane, Letras Cubanas, 1996.
LOYNES, Antoinette DE [PARIS 1505 - ID. 1569]
Écrivaine française.
Fille de François de Loynes – ami de Guillaume Budé et d’Érasme, et animateur d’un cercle d’humanistes au début du XVIe siècle –, Antoinette de Loynes reçut, comme ses deux sœurs, une bonne éducation humaniste. Possédant une excellente connaissance des auteurs latins, grecs et italiens, elle écrivait couramment en latin. Elle se maria dans les années 1520 avec Lubin Dallier, avec qui elle eut deux enfants. Après le décès de son mari dans les années 1540, elle épousa Jean de Morel, et donna naissance à quatre enfants dont Camille de Morel*. Elle s’occupa de leur éducation jusqu’au moment où leur père engagea, en 1558, le jeune humaniste Charles Utenhove comme précepteur. Dans le fragment d’une lettre trouvée par son époux après sa mort, elle avoue : Me desiderio quodam humaniorum literarum eoque non obscuro vehementer teneri (« je suis vivement possédée par un désir manifeste des lettres humaines »). Elle publia, entre autres, des poèmes dans deux livres associés à la mort de Marguerite d’Angoulême*, reine de Navarre : In mortem divae Margaritae Valesiae, Navarrorum reginae, hecatodistichon (1550), et Le Tombeau de Marguerite de Valois, royne de Navare [… ] (1551).
Philip FORD
■ FORD P., « L’éducation des femmes d’après la correspondance du XVIe siècle, le cas de la famille Morel », in POIRIER G. (dir.), Dix ans de recherche sur les femmes écrivains de l’Ancien Régime, Québec, Presses de l’université Laval, 2009.
■ NOLHAC P. de, « Le premier salon littéraire de Paris », in La Revue universelle, juin 1921.
LOYO, Caroline [MOSELLE 1820 - PARIS 1892]
Écuyère française.
Élève de François Baucher et de Jules Charles Pellier au faubourg Saint-Martin et au manège du Pecq, (Gertrude) Caroline Loyo présente son premier cheval au Cirque de Paris, chez Laurent Franconi, mais débute réellement au Cirque olympique en 1836. Elle est alors saluée comme la première écuyère à présenter en amazone un cheval dressé en haute école. Sportive, solide, opiniâtre, elle dresse elle-même ses chevaux, aptitude rare chez les écuyères du XIXe siècle. F. Baucher et C. Loyo, chacun dans son domaine, apparaissent comme les véritables créateurs de l’École nouvelle d’équitation. Vêtue du costume strict d’amazone, robe fermée et chapeau haut de forme, ou de l’uniforme de maréchale dans les figures des Dames colonels, C. Loyo s’affirme aussi en portant un costume très personnel, emprunté au folklore grec. Elle rencontre (Séraphin) François Loisset au cirque Ernst Renz à Berlin, l’épouse en 1853 et, en 1854, remonte avec lui le cirque Loisset. Ils partent en Allemagne où ils infligent un sérieux revers à leur ancien patron, E. Renz, en présentant à Berlin, l’hiver 1855-1856, une sensationnelle ballerine équestre, Mlle Ella, en réalité l’écuyer Omar Kingsley. Elle forme à l’excellence ses nièces Clothilde et Émilie Loisset*. Elle liquide le cirque à son retour de Suède après la mort brutale de son mari, en 1878.
Marika MAYMARD
■ VAUX B. de, Écuyers et écuyères : histoires des cirques d’Europe (1680-1891), Paris, J. Rothschild, 1893.
LOZANO, Lee (née Lenore KNASTER) [NEWARK 1930 - DALLAS 1999]
Dessinatrice et peintre américaine.
Formée à Chicago, Lee Lozano devient une icône activiste des milieux new-yorkais dans les années 1960-1970 et occupe la scène artistique internationale entre 1960 et 1972 : une carrière courte, intense et fulgurante, à laquelle elle choisit de mettre un terme avec l’œuvre General Strike Piece (« pièce de grève générale », 1969), qui sera le testament de son parcours artistique. Fortement marquée par la prédominance masculine dans le milieu, elle signe des dessins regroupés sous le terme générique de comix, qui détournent ironiquement les symboles et attributs « virils » : vis, marteaux, vilebrequins et autres clés à molette se muent en formes phalliques dans un geste d’érotisation généralisée des objets. Revisitant à la fois les poncifs de l’art conceptuel et le graphisme pop et schématisé de Claes Oldenburg, l’artiste porte un regard acerbe et provocateur sur les clivages et les dissensions qui animent les débats artistiques et les revendications de l’époque. Derrière la distance affective apparente, son œuvre graphique n’en est pas moins animée par une violence revendiquée et une forte charge émotionnelle. Sa peinture tient une place prépondérante dans son travail. Elle expose, en 1932, à la Green Gallery, aux côtés des artistes les plus influents de l’époque tels que Robert Morris, Donald Judd. Dans ses toiles de grand format, elle navigue entre la rigueur minimaliste et la puissance de l’expressionnisme abstrait. Soutenue à ses débuts par la critique féministe et en particulier par Lucy Lippard*, elle boycottera cependant, de manière brutale, le féminisme et les femmes en général en 1971, quelques mois avant son retrait définitif du monde de l’art. C’est surtout par ses engagements et ses prises de position que L. Lozano a marqué les mémoires. Son œuvre plastique, longtemps restée dans l’ombre à la suite de sa mise à l’écart volontaire, a récemment fait l’objet d’une importante rétrospective au Moderna Museet de Stockholm.
Claire BICKERT
■ Win First Don’t Last, Win Last Don’t Care (catalogue d’exposition), Szymczyk A. (dir.), Bâle, Schwabe, 2006 ; Lee Lozano (catalogue d’exposition), Ostfildern, Hatje Cantz, 2010 ; Notebooks, 1967-1970, New York, Primary Information, 2010.
LOZANO, Orietta [CALI 1956]
Poétesse et romancière colombienne.
Orietta Lozano est classée par les critiques parmi les écrivaines « postnadaïstes », car elle apparaît dans un contexte où les écrivains de son pays ont perdu tout intérêt pour les mouvements collectifs, autour des années 1980. Sa poésie et ses romans sont récompensés par de nombreuses distinctions, dont le Prix national de poésie en 1986. En 1995, elle est invitée à Paris dans le cadre de la XIIIe Biennale internationale des poètes. La poésie domine son œuvre, avec Fuego secreto (« feu secret », 1980), Memoria de los espejos (« mémoire des miroirs », 1983), El vampiro esperado (« le vampire attendu », 1987), Antología amorosa (« anthologie amoureuse », 1995), El solar de la esfera (« le solaire de la sphère », 2002), Agua ebria (2005). Elle a aussi publié un essai consacré à la poétesse argentine Alejandra Pizarnik*, Luminar (« luminaire », 1994), et une anthologie de poètes de sa région. O. Lozano est connue pour ses thèmes érotiques, dont certaines images sont faciles à interpréter et d’autres plus expérimentales. Dans son œuvre abondent les motifs comparant la femme aux éléments de la nature, qui expriment l’idée d’une reddition : le fruit mûr prêt à être dégusté, la fleur qui s’ouvre… Son style se caractérise par des vers très rythmés. La poésie, le langage, l’écriture sont pour elle sensuels, et la jouissance des mots passe par l’odorat, le goût, le toucher.
Victor MENCO HAECKERMANN
LTAIF, Nadine [LE CAIRE 1961]
Poétesse libanaise.
Après une enfance et une adolescence passées au Liban, pays de ses parents, Nadine Ltaif s’installe à Montréal en 1980. Exerçant dans le cinéma indépendant, elle est assistante de Hejer Charf pour le film canadien Les Passeurs (2003) et réalise une vidéo de 37 minutes pour l’Office de la langue française, 8 mars 94, l’égalité entre les hommes et les femmes est-elle acquise ? Poétesse, elle enracine, sans l’y enfermer, son écriture dans le Moyen-Orient. Dès son premier recueil, Les Métamorphoses d’Ishtar (1988), traduit en anglais en 2011, elle entremêle ses différentes cultures. Elle consent à son exil mais refuse d’y être emprisonnée. Dans sa quête insatiable de vie, elle se méfie de toute pensée rigide et préfère opter pour une éthique de l’incertain. Aux pays de l’enfance et à celui de l’adoption, elle préfère un « hors-lieu » fertile, où rien n’est prédéterminé, où l’inédit est encore possible et où le paradoxe trouve une résolution fragile et éphémère. Son recueil Ce que vous ne lirez pas (2010), très épuré, illustre la manière dont, sans discours, la poétesse reste fidèle à son rêve de combattre « l’humaine inhumanité », bien qu’elle sache que le paradis est à jamais perdu. Dans sa quête, « interminée » et interminable, d’une compréhension de soi et de ses différentes cultures, elle entretient cette posture interrogative, qui lui permet un certain émerveillement d’être, si fugace soit-il. Son écriture se veut outil de déplacement du sens, nourriture pour son aspiration à la beauté et arme contre le mal afin que l’enfer n’occupe pas tout l’espace.
Lucie LEQUIN
■ Le Rire de l’eau, Montréal, Éditions du Noroît, 2004 ; Les Métamorphoses d’Ishtar (1988) suivi de Entre les fleuves, Montréal, Éditions du Noroît, 2008.
■ LEQUIN L., « Mélancolie et hors lieu, l’écriture de Nadine Ltaif », in Revue des lettres et de traduction, 1998, no 4 ; VERDUYN C., « Je voi(e)s double(s), l’itinéraire de Nadine Ltaif », in Tessera, vol. 12, été 1992.
LUARASI, Edi (née MIRDITA) [TIRANA 1940]
Actrice albanaise.
Originaire de la région de Mirditë, elle débute avec sa sœur aînée à Korça au théâtre de comédie l’Estrade. Très connues sous le nom de scène « Les sœurs des Mirdites », dès le milieu des années 1950, elles se produisent dans des spectacles musicaux de variété, au théâtre de l’armée, puis sur la scène nationale de Tirana. Plus que par le chant, où elle excelle pourtant, elle est attirée par le théâtre et commence par prendre part à des sketches et à des scénettes, et s’inscrit aux cours d’art dramatique de l’Institut supérieur des arts de Tirana. En 1963, tout juste diplômée, elle est engagée par le Théâtre national, pour interpréter, dès la première saison, le rôle de Vera dans Shtëpia në bulevard (« la maison sur le boulevard ») de Fadil Paçrami. Pendant dix ans, elle enchaîne les rôles : Lena dans Doktor Aleks (« le docteur Alex ») d’Ibrahim Uruçi, Cordelia dans Le Roi Lear, le rôle titre dans La Fille des montagnes de Loni Papa, celui de Christina dans Fytyra e dytë (« le visage caché ») de Dritëro Agolli. Le rôle de Léa, dans Les Taches sombres de Minush Jero, est certainement le plus marquant de sa carrière. Mis en scène par son mari en 1969, le spectacle est censuré et qualifié par les autorités centrales de « tache noire pour l’art révolutionnaire », et elle est limogée pour motif politique. Il faut attendre le début de la transition démocratique, en 1991, pour qu’elle revienne à la scène dans le rôle titre de La Visite de la vieille dame de Dürrenmatt. Elle se distingue par un tempérament quelque peu rebelle, par une intuition et une imagination artistique débordante. Elle se consacre entièrement au théâtre et interprète très peu de rôles au cinéma.
Évelyne NOYGUES
LUBERT, Marguerite DE [PARIS vers 1702 - ID. 1785]
Écrivaine française.
Fille d’un premier président de chambre, Marguerite ou Marie-Madeleine de Lubert choisit de ne pas se marier et vécut discrètement. D’abord connue par son Épître sur la paresse, qui la fit surnommer Muse et Grâce par Voltaire, elle publia ensuite plusieurs contes de fées en 1743 : Le Prince Glacé et la princesse Étincelante : La Princesse Lionnette et le prince Coquerico ; La Princesse Sensible et le prince Typhon ; La princesse Couleur de rose et le prince Céladon. Tecserion, publié en 1737 sous le pseudonyme M. B. de S., reparut à La Haye en 1743 sous le titre Sec et Noir, anagramme du titre original ; il inclut une Apologie des contes de fées dont M. de Lubert ne serait pas l’auteure. Son bref roman Léonille (1755) fut acclamé de son vivant. Elle rédigea aussi des abrégés de romans de chevalerie : Amadis des Gaules (1750), et Les Hauts Faits d’Esplandian (1751), ouvrage dédié à Mme de Graffigny*, qui la connaissait bien, ainsi qu’à son frère Louis-Pierre de Lubert.
Charlotte SIMONIN
■ La Princesse Camion (1743), Paris, Mercure de France, 1995 ; Tecserion ou Sec et Noir ou la Princesse des Fleurs et le prince des Autruches (1743), Paris, Le Promeneur, 1997 ; Contes, Paris, H. Champion, 2002.
LÜ BICHENG [JINGDE 1884 - KOWLOON 1943]
Poétesse, éducatrice et militante féministe chinoise.
Née dans une grande famille de lettrés et de fonctionnaires de l’Anhui, Lü Bicheng est connue comme la première poétesse chinoise moderne, pionnière de l’instruction des femmes. On rapporte qu’à 7 ans, elle savait réaliser des peintures de paysages en grand format, et à 12 ans, composer des textes poétiques. Orpheline de père en 1895, elle loge chez un de ses oncles à Tanggu. En 1904, elle se rend seule à Tianjin, où elle travaille comme assistante de rédaction pour le journal Dagong bao (« l’impartial »), fondé en 1902, puis devient la première femme rédactrice en Chine. Elle se rend rapidement célèbre pour ses poèmes et articles, qui promeuvent les droits et l’instruction pour les femmes. La publication de l’un de ses poèmes à chanter, « Man jiang hong ganhuai » (« réflexions sur le fleuve empourpré », 1904), suscite en particulier de multiples échos : condensé sous forme brève, il formule une critique passionnée de la condition féminine de son temps, fait l’éloge de Jeanne d’Arc* et appelle à la libération des femmes, en mentionnant les mouvements féministes démocratiques en place partout ailleurs dans le monde. La figure de proue du mouvement en Chine, Qiu Jin*, vient faire sa connaissance et elles deviennent très liées. En 1904, Lü Bicheng crée à Tianjin le lycée de jeunes filles Beiyang, première école publique de jeunes filles en Chine, et se consacre activement à l’instruction des élèves et à l’amélioration de leur statut. Entre 1908 et 1909, elle étudie la logique auprès du grand penseur moderne Yan Fu. Après la révolution de 1911, elle compose un poème en l’honneur de cet événement. Nommée conseillère du gouvernement de Yuan Shikai, successeur de Sun Yat-sen, elle démissionne néanmoins en 1915, en signe de protestation contre la volonté du président de rétablir l’Empire. À cette époque, la plupart de ses poèmes sont consacrés au destin des femmes : l’auteure y revendique l’égalité entre les sexes, tout en ménageant un espace pour la féminité, à l’inverse de la tendance plus offensive de certaines féministes telles que Qiu Jin. Sa production, rédigée en chinois classique et non vernaculaire (contrairement à celle des auteurs « modernes » et progressistes à partir de 1917), joue un rôle non négligeable dans l’émancipation des femmes de la Chine contemporaine. Après avoir étudié les beaux-arts à l’université Columbia (1920-1922), la poétesse effectue plusieurs voyages en Europe. Cette période hors de Chine correspond à l’âge d’or de sa création littéraire : poèmes louant les paysages naturels et culturels européens, recueil de récits de voyages intitulé Oumei manyou lu (« pérégrinations en Europe et aux États-Unis »), rédigé entre 1926 et 1933. En 1916, elle s’initie au taoïsme auprès du maître Chen Yingning, avec qui elle entretient une correspondance ultérieure. À partir des années 1930, elle se convertit au bouddhisme. Après la parution de son livre Oumei zhi guang (« les lumières en Europe et aux États-Unis », 1932), qui évoque les associations bouddhistes, végétariennes et protectrices des animaux en Occident, elle achève en 1940 son ouvrage spirituel le plus important, Guanwuliangshoujing shilun (« de l’interprétation du sūtra Amitāyurdhyāna »).
Considérée aujourd’hui comme la première femme chinoise à avoir mené un travail systématique de traduction et d’interprétation des canons bouddhiques, elle meurt de maladie au temple de l’Éveil du lotus de l’Est, à Hongkong en 1940. Elle a non seulement illuminé la scène littéraire par ses poèmes et ses essais de jeunesse, mais elle a aussi incarné une figure exceptionnelle dans le mouvement des réformistes et des féministes, au début du XXe siècle. Par son expérience des pérégrinations et l’œuvre poétique qui en a découlé, elle a reflété une image de la nouvelle femme moderne en Chine.
JIANG DANDAN
■ Lü Bicheng ji, Fei S. (dir.), Shanghai, Zhonghua shuju, 1929.
■ HUANG Y. Qingdai si da nüciren, Shanghai, Hanyu dacidian chubanshe, 2002 ; LI B. (dir.), Lü Bicheng ci jianzhu, Shanghai, Shanghai guji chubanshe, 2001 ; LIU N., Lü Bicheng pingzhuan, Pékin, Zhongguo wenshi chubanshe, 1998.
LUBIN, Germaine [PARIS 1890 - ID. 1979]
Soprano française.
Germaine Lubin apprend le piano dès l’âge de 6 ans avec son père. À 18 ans, elle se présente au Conservatoire de Paris où elle est reçue à l’unanimité. Elle a pour professeures les grandes sopranos Felia Litvinne* et Lilli Lehmann*, obtient en 1912 trois premiers prix au Conservatoire et commence sa carrière à l’Opéra-Comique dans le rôle d’Antonia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Elle intègre la troupe de l’Opéra de Paris en 1915 et y effectue la plus grande partie de sa carrière. Elle interprète entre autres Marguerite du Faust de Gounod, Thaïs de Massenet, avant d’aborder des rôles plus difficiles : Aïda, Marguerite de la Damnation de Faust de Berlioz, Salammbô d’Ernest Reyer, et ses premiers Wagner, en français. Elle y crée La Légende de saint Christophe de Vincent d’Indy, La Chartreuse de Parme d’Henri Sauguet, et Maximilien de Darius Milhaud. Elle y est aussi la première et phénoménale Elektra de Richard Strauss. Sa voix est devenue immense et somptueuse, avec des graves et un médium de velours et un aigu étincelant, ce qui lui donne accès aux grands rôles dramatiques : Donna Anna, la Maréchale, Alceste, Iphigénie, Fidelio, Brünnhilde, Kundry et, par dessus tout, Isolde qu’elle chante pour la première fois, en français, en 1930 et dont elle assure une triomphale centième au Palais Garnier, en allemand, en 1938 sous la direction de Wilhelm Furtwängler. Elle reprend le rôle en 1941 avec la troupe de l’Opéra de Berlin sous la direction de Herbert von Karajan, mandaté par Joseph Goebbels. Sa Kundry sous la direction de Franz von Hoesslin en 1938 et son Isolde sous celle de Victor de Sabata à Bayreuth en 1939 font d’elle une véritable idole. Diva assoluta, elle a été l’une des meilleures interprètes des grands rôles de Richard Wagner, ce qui l’a conduite naturellement au Festival de Bayreuth, où elle a fait sensation jusqu’en 1945, suscitant l’engouement d’Hitler qui la protégea et la combla d’honneurs ; ce fut son malheur… Jugée au moment de l’épuration, elle fut interdite de scène, ce qui mit un terme définitif à sa carrière. Jusqu’à l’âge de 89 ans, elle se consacra à l’enseignement du chant dans son appartement, où elle forma notamment Régine Crespin*.
Bruno SERROU
■ CASANOVA N., Isolde 39. Germaine Lubin, Paris, Flammarion, 1974.
LUBLIN, Lea [BUENOS AIRES 1929 - PARIS 1999]
Plasticienne franco-argentine.
Formée à Buenos Aires, où elle fait ses études à l’Académie des beaux-arts, Lea Lublin a d’abord peint des toiles de facture expressionniste à contenu politique. À partir de 1963, elle est associée au Centre des arts visuels de Buenos Aires, qui prône un art expérimental avant-gardiste. En 1965, elle quitte définitivement l’Argentine pour s’installer à Paris, mettant par la même occasion un terme à sa carrière de peintre. Durant cette même année, elle réalise la série Voir clair, un assemblage de reproductions repeintes munies d’essuie-glaces, qui invite le public à sortir de son conditionnement face à des figures mythiques ou héroïques (Voir clair, la Joconde aux essuie-glaces). En 1969, elle implique le public dans des parcours polysensoriels. Avec Dehors/dedans le musée (musée des Beaux-Arts de Santiago du Chili, 1971), son installation permet de traverser physiquement les mythes culturels que sont les peintures et d’interroger les conflits entre les ruptures sociales et artistiques. Lors d’une performance intitulée Dissolution dans l’eau (1978), l’artiste jette à la Seine une grande bannière où sont inscrits des préjugés sur les femmes. En 1979, elle présente chez Yvon Lambert Le Milieu du tableau, un ensemble de dessins et de textes sur toiles réalisés autour de la figure d’Artemisia Gentileschi*, peintre du XVIIe siècle, et du tableau de celle-ci représentant Judith décapitant Holopherne – l’épée devient un pénis forçant une femme, sombre évocation du viol dont A. Gentileschi fut victime. Cette exposition représente un tournant dans l’œuvre de l’artiste : désormais, la mémoire, consciente ou surtout occultée, devient le sujet principal de son œuvre. Dans le même esprit, l’artiste fait écho aux analyses de l’historien de l’art Leo Steinberg sur la sexualité du Christ à partir de la Renaissance italienne (La Sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement moderne, 1983). Ainsi, en 1983, sa série Le Strip-tease de l’Enfant-Dieu à la galerie Yvon Lambert explore l’érotisme qui nourrit les représentations de l’enfant Jésus dans les peintures de la Renaissance.
Fabienne DUMONT
■ Lea Lublin, parcours 1965-1975 (catalogue d’exposition), Anvers, Internationaal Cultureel Centrum, 1975 ; Lea Lublin, mémoire des lieux, mémoire du corps (catalogue d’exposition), Quimper, Le Quartier Centre d’art contemporain, 1995.
LUCARINI, Paola [ANCÔNE 1943]
Poétesse italienne.
Paola Lucarini vit à Florence, où elle exerce une intense activité d’organisation culturelle. Ses poèmes ont été traduits en plusieurs langues, dont le français, et sont parus dans des anthologies italiennes et étrangères. Elle a représenté officiellement la poésie italienne lors de congrès internationaux. Très jeune, P. Lucarini fait partie de prestigieux groupes d’intellectuels, réalisant au fil des années une longue série d’interviews qui la mettent en contact avec les principaux écrivains italiens contemporains. Son activité, en tant que poétesse, se concentre dans son dernier livre, l’anthologie Alla vita (« à la vie », 2007). Auparavant, elle a notamment publié : Seme di ulivo (« graine d’olivier », 1981) ; Fiori dallo stagno di inchiostro (« fleurs de l’étang d’encre », 1985) ; Dei fuochi la neve ardente (« des feux la neige ardente », 1989) ; Dal rogo al melograno (« du bûcher au grenadier », 1989) ; Vita inconoscibile tu infiori (« vie inconnue tu fleuris », 1992) ; La parola verso il segno il segno verso la parola (« la parole vers le signe, le signe vers la parole », 1993), livre d’art en collaboration avec Artemisia Viscoli ; La casa dei quattro venti (« la maison des quatre vents », 1994) ; Il pozzo la rocca (« le puits, le roc », 1996) ; Minimum 32, livre d’artiste (2001) ; Un incendio verso il mare (« un incendie vers la mer », 2002).
Ernestina PELLEGRINI
■ LANUZZA S., « L’angelo, il dio Pan e la “domus caeli” », in LUCARINI P., Un incendio verso il mare, Venise, Marsilio, 2002 ; LUZI M., « Da un intervento critico », in LUCARINI P., Alla vita, poesie 1981-2007, Signa, Masso delle Fate, 2007.
LUCAS, Sarah [LONDRES 1962]
Plasticienne britannique.
Depuis les années 1990, Sarah Lucas est connue pour ses installations et photographies à l’humour britannique et provocant. Elle appartient au groupe des Young British Artists – anciens élèves du Goldsmiths College réputé pour sa formation en arts visuels –, groupe devenu célèbre grâce à l’exposition Sensation (Royal Academy, Londres, 1997). Pour déjouer les certitudes, l’artiste déconstruit les codes du genre en mélangeant des référents artistiques connus à des allusions culturelles populaires crues. Après un travail de sculpture essentiellement formaliste dans les années 1980, la découverte des théories féministes donne à son art sa véritable impulsion. Ses œuvres s’orientent autour du constat de l’extraordinaire importance accordée par les médias populaires britanniques à la sexualité, à la violence, et au sensationnalisme en général. Dans une série d’autoportraits photographiques (1990-1998), elle se met en scène dans des attitudes antiféminines de défi, « surconstruisant » et brouillant les rôles en s’appropriant les codes masculins pour interpeller le spectateur. Elle réalise aussi des installations à la trivialité allégorique évidente. En 1994, Au naturel souligne ainsi avec causticité un certain apprentissage de la sexualité.
Fabienne DUMONT
■ Sarah Lucas, autoretrats i més sexe = Self-Portraits and More Sex (catalan-espagnol-anglais) (catalogue d’exposition), Barcelone, Centre cultural Tecla Sala, 2000 ; God Is Dad by Sarah Lucas (catalogue d’exposition), Londres, Sadie Coles, 2005 ; Sarah Lucas : Exhibitions and Catalogue Raisonné 1989-2005, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2005.
■ COLLINGS M., Sarah Lucas, Londres, Tate Publishing, 2002.
LUCE (Luce FROIDEVAUX, dite) [PARIS 1959]
Jongleuse française.
Élevée dans le milieu du spectacle, Luce Froidevaux complète un apprentissage de danse et de musique au Conservatoire, par une formation aux fondamentaux du cirque en fréquentant à la fois l’École nationale de cirque Annie Fratellini* et l’École au Carré de Silvia Monfort* et Alexis Grüss. Mue par une forme d’excitation à l’idée de laisser libre cours à sa capacité d’invention pour construire son parcours, elle façonne son personnage et ses déclinaisons selon les thèmes exploités et les espaces de jeu. Elle crée des spectacles basés sur la manipulation d’objets, le jonglage, mais aussi la magie close-up et accorde une grande importance à la musique. Elle dessine avec minutie ses costumes et ses accessoires, s’adapte à une demande de renouvellement en créant de toutes pièces des personnages très différents et affiche un répertoire très diversifié. Luce se produit au Cirque de Paris en 1979 et reçoit la même année le prix du ministère de la Culture aux Bourses Louis-Merlin, puis enchaîne les saisons dans les cirques français et européens, au Festival Disney (1997-1999), à La Réunion, à Tahiti, au Japon. Elle passe plusieurs fois au Plus grand cabaret du monde de Patrick Sébastien et participe à de nombreux festivals de magie.
Marika MAYMARD
■ DENIS D., « Luce ! Un avion, une malle, une belle inconnue… », in Le Cirque dans l’univers, no 194, 1999.
LUČENIČOVÁ, Valéria [BRATISLAVA 1919 - ID. 2003]
Poétesse slovaque.
Alors qu’elle est encore lycéenne, les premiers poèmes de Valéria Lučeničová sont publiés dans Slovenský Denník. Son premier livre, Rozkvitnutý strom (« l’arbre en fleur », 1950), dépeint les joies et les soucis des relations amoureuses sous forme de poème lyrique. Les recueils Pre zázračné veci života (« pour des choses miraculeuses de la vie », 1966) et Slávičí pahorok (« colline de rossignol », 1973) continuent d’explorer les mêmes thèmes lyriques. Svetlo v nás (« lumière en nous », 1982) et Pieseň o rannom slnci (« chanson sur le soleil du matin ») proposent une poésie plus profonde. Les thèmes de l’impermanence, de l’univers perpétuel et de l’énergie inépuisable de la nature incitent le lecteur à une réflexion sur le sens même de la vie.
Diana LEMAY
■ COLLECTIF, Slovník slovenských spisovateľov 20, storočia, Bratislava, Literárne informačné centrum, 2008 ; MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.
LUCIEN, Frédérique [BRIANÇON 1960]
Peintre et dessinatrice française.
Diplômée en 1987 de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Frédérique Lucien réalise des œuvres présentes dans plusieurs collections publiques, dont le Fonds national d’art contemporain. Elle expose régulièrement en France et à l’étranger. Initiée par son père à l’observation de la nature, elle étudie le monde végétal, minéral et, plus récemment, organique et anatomique. Oscillant entre l’abstraction et la réalité, son travail allie précision formelle et dimension symbolique, situant l’artiste dans une position originale et pionnière dans le champ de l’art. À partir de médiums divers (gouache, pastel, fusain), sur des supports de nature et de format variés (découpe de toile, de papier ; sérigraphie sur verre), elle interroge la ligne, le contour, la courbe, les oppositions entre plein et vide, opacité et transparence, et les rapports d’échelle. À la manière d’un entomologiste, F. Lucien procède par séries, poussant l’investigation d’une même forme, comme dans la série des Follicules (1994), variations de dessins de formes oblongues réalisées à la sanguine sur deux papiers différents ; puis elle travaille à des échelles de plus en plus grandes, notamment pour ses Formes noires (1995), vastes aplats d’acrylique sur papier marouflé sur bois, ou bien pour ses Giornate (2003, 2005), immenses compositions de morceaux de tissus peints, éclatés et redisposés sur les murs. Dans de petits formats, sur le principe de la superposition de plusieurs papiers et couleurs différentes, elle réalise la série des Îles (2000). Depuis 2006, elle s’intéresse au corps humain, avec notamment Anonymes, une série réalisée depuis 2010. Parallèlement, elle mène depuis 1985 des activités très variées pour l’édition : illustration de livres, linogravures, sérigraphies, lithographies tirées sur papier, papier calque, feuille Priplak ou aluminium.
Marion DANIEL
■ Frédérique Lucien (catalogue d’exposition), Valabrègue F. (textes), Angers/Auxerre/Caen/Limoges, Artothèque, 2000 ; Œuvre imprimée 1985-2002 (catalogue d’exposition), Gravelines, musée du Dessin et de l’Estampe originale, Gravelines, 2002 ; Frédérique Lucien, introspectives (catalogue d’exposition), Montreuil-sous-Bois, Lien Art, 2011.
■ BOULBÈS C., « Face au changement incessant des formes du monde », in Frédérique Lucien (catalogue d’exposition), Saint-Paul-Trois-Châteaux/Reims, Centre d’art contemporain Angle/Ancien collège des Jésuites, 2005 ; DOMINO C., « Le temps Lucien (simple temps blanc) », in Les Commencements (catalogue d’exposition), Paris, Panama musées, 2008.
LUCILE (lady GORDON DUFF, née Lucy Christiana SUTHERLAND, dite) [LONDRES 1863 - ID. 1935]
Grand couturier britannique.
Autodidacte, Lucy Christiana Sutherland commence à vendre ses créations au cours des années 1890. Grâce à sa sœur, Elinor Glyn, romancière, femme du monde et bientôt son mannequin, elle voit ses modèles portés par les femmes les plus élégantes de Londres. En 1894, elle ouvre une maison, baptisée Lucile, sur Old Burlington Street, puis à Hanover Square. À partir de 1897, elle dessine des costumes de théâtre, notamment ceux de La Veuve joyeuse, en 1907, qui obtiennent un grand succès. En 1900, elle épouse sir Cosmo Duff Gordon. Elle est d’ailleurs également connue sous le nom de lady Gordon Duff. Entre 1908 et 1912, à son apogée, elle ouvre des succursales à New York, Paris et Chicago. Survivante du naufrage du Titanic, elle s’installe à Paris, puis à New York où elle projette la réalisation de modèles en série. De graves difficultés financières l’obligent toutefois à rentrer en Angleterre. Après la guerre, son style n’est plus d’actualité et sa maison fait faillite en 1923. Première couturière anglaise à connaître un succès international, Lucile est célèbre pour ses créations, mais aussi pour ses défilés. Inspirée par le XVIIIe siècle, et plus encore par le Directoire, elle multiplie broderies, rubans et dentelles dans sa lingerie, sur ses robes de bal, mais surtout sur ses tea gowns (robes pour le thé), pièces maîtresses de la maison. Elle privilégie les étoffes légères et précieuses dans des tons pastel et imagine un style très féminin.
Zelda EGLER
■ COLLECTIF, Showtime, le défilé de mode, Paris, Paris musées, 2006 ; DESLANDRES Y., MÜLLER F., Histoire de la mode au XXe siècle, Paris, Somogy, 1986 ; GORDON-DUFF L., Discretions and Indiscretions, New York, Frederick A. Stokes, 1932 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; MILBANK C., Couture, les grands créateurs, Paris, Robert Laffont, 1986.
ŁUCZYWO, Helena [VARSOVIE 1946]
Journaliste et rédactrice en chef polonaise.
Diplômée d’économie politique de l’Université de Varsovie, pionnière d’une presse alternative, Helena Łuczywo œuvre pour l’instauration de médias indépendants et non censurés au sein du bloc soviétique. De 1977 à 1980, malgré les persécutions régulières de la police, elle coédite le premier journal indépendant de Pologne, Robotnik (« l’ouvrier »), qui disparaît après l’instauration de la loi martiale en 1981. L’année suivante, tout en se cachant, elle fonde la Solidarity News Agency (AS) et dirige, de 1982 à 1989, Tygodnik Mazowsze (« l’hebdomadaire de Mazovie »), pilier de la presse clandestine et source précieuse d’informations non censurées, qui compte plus de 100 000 lecteurs en 1989. Ne reculant devant aucun sujet, H. Łuczywo y publie de très nombreux articles, le plus souvent anonymes. Invitée en 1986 au Bunting Institute of Radcliffe College, aux États-Unis, elle s’enthousiasme des libertés et de l’offre de médias puissants et indépendants dont bénéficient les Américains. À la chute du mur de Berlin, elle négocie avec le gouvernement pour imposer l’idée d’une presse non subordonnée au pouvoir. Avec la collaboration d’Adam Michnik, autre figure importante de la presse clandestine, elle crée la Gazeta Wyborcza (« la gazette électorale »), premier journal d’opposition légal de tout le bloc soviétique, qui tire aujourd’hui à 560 000 exemplaires. Soucieuse d’atteindre un large public et de faire des bénéfices afin que le titre demeure indépendant, elle en adapte l’offre avec, entre autres, des suppléments, des conseils de consommation et des éditions régionales. Au cours des années 1990, avec son amie Wanda Rapaczinsky, revenue de New York, elle transforme la gazette en un géant des médias polonais : la société Agora, qui regroupe journaux, stations de radios et chaînes de TV câblées. Ses larges profits et sa politique généreuse envers ses employés en font un modèle d’économie de marché.
Audrey CANSOT
LÜDERS, Marie-Elisabeth [BERLIN 1878 - ID. 1966]
Femme politique allemande.
À l’université de Berlin, où elle est la première femme allemande à obtenir un doctorat, Marie-Elisabeth Lüders crée un groupe de lobbying pour promouvoir l’égal accès des femmes à l’éducation. Elle est l’une des figures majeures du combat pour les droits des femmes en Allemagne : lutte contre les discriminations et l’obligation pour une femme d’être autorisée par son mari à travailler, engagement pour l’amélioration des conditions de travail des femmes, pour des aides à la garde des enfants, pour la réforme du divorce… De 1920 à 1933, elle est élue au Reichstag et prend part à de nombreuses conférences internationales, notamment à La Haye et à Genève. Mais ses idées libérales lui valent d’être emprisonnée par les nazis en 1937. Après la guerre, elle reprend ses activités politiques. Elle est élue au Bundestag de 1953 à 1961, où elle fait partie du praesidium jusqu’en 1957, consacrant encore et toujours ses mandats à faire avancer les droits des femmes.
Fabienne PRÉVOT
LUDU DAW AMAR [MANDALAY 1915 - ID. 2008]
Écrivaine et journaliste birmane.
Figure légendaire en Birmanie, Ludu Daw Amar ou Ludu Daw Ah Amar (ludu signifie « le peuple », amar, « résistant ») reste à jamais liée à l’histoire d’après-guerre de son pays. Issue d’une famille engagée dans le monde politique et littéraire depuis deux générations, elle étudie à l’American Baptist Mission School, puis à l’université de Rangoon, et commence à publier très tôt sous les pseudonymes de Mya Myint Zu et de Khin La Win, dans un magazine dirigé par Ludu U Hla, qu’elle épousera. Les passions familiales dont elle est l’héritière se renforcent durant son mariage. Fervent partisan des grèves, le couple Ludu s’impose dans le monde de la presse et des lettres durant l’occupation japonaise, notamment en rejoignant un mouvement résistant et en créant l’association Asha lue nge (« la jeunesse asiatique ») à Mandalay, puis dirige l’imprimerie Kyipwa Press (« la presse du progrès »), éditant, entre autres, le journal bimensuel Luda Journal. Le quotidien Ludu Daily, riche en analyses politiques, est très prisé par le peuple opposé à l’occupation britannique. La diffusion du journal est suspendue par le gouvernement militaire birman en 1967. La famille n’échappe pas aux représailles et à l’emprisonnement : deux des fils de l’écrivaine sont contraints de s’enfuir dans la clandestinité et l’aîné meurt lors d’une purge sanglante dans la jungle en 1967. En 1982, elle perd son mari et, en 1984, sa seconde imprimerie est détruite dans l’immense incendie de Mandalay. Elle affronte avec courage ces catastrophes et continue à écrire. Elle crée en 1998 une mutuelle, Byamazo luhmuyay athin (« association de l’aide mutuelle et volontaire »), pour aider les familles à régler les frais de santé et de funérailles. Ouvertement opposée à la junte militaire en place, elle refuse de « danser au rythme imposé par les autorités ». Selon la coutume du pays, qui respecte les personnes âgées, le peuple la surnomme la Mère (amei) de la patrie ou la Grande Vieille Dame. Elle a également mené des campagnes contre le sida et en faveur de l’éducation sexuelle. En 1964, elle publie Pyithu chit taw anupyinnya themya (« des artistes adorés par le peuple »), couronné du Prix national de littérature et, en 1970, Shweman Tin Maung, biographie d’un comédien classique renommé. L’ouvrage Anyeint (1973) est consacré au théâtre traditionnel typiquement birman joué en extérieur. En 2007, dans Amei chei saga (« les vieilles paroles de la mère »), elle regrette l’abandon des traditions birmanes au profit de la culture occidentale, dénonce la dérive économique du pays et l’égarement de ses dirigeants, la globalisation, le matérialisme et l’immigration massive des Chinois du Yunnan. À sa disparition, sa fille, elle aussi écrivaine, a repris le flambeau.
Sabai SHWE DEMARIA
■ SAH M. N., Myanma ah myo the mi, Rangoon, Pi thauk lyain sapa, 2000.
LUDWIG, Christa [BERLIN 1928]
Mezzo-soprano allemande.
Fille du ténor Anton Ludwig et d’Eugenie Besalla-Ludwig (son premier professeur de chant, elle-même mezzo-soprano), Christa Ludwig fait ses débuts à 18 ans en prince Orlovsky dans La Chauve-Souris de Johann Strauss, à l’Opéra de Francfort-sur-le-Main, où elle chante jusqu’en 1952. Elle travaille ensuite pendant deux ans à l’Opéra de Darmstadt puis à l’Opéra de Hanovre. En 1955, elle entre dans la troupe de l’Opéra de Vienne, dont elle devient rapidement l’une des principales artistes du fameux Wiener Ensemble, où elle se produira pendant plus de trente ans. En 1954, elle est pour la première fois au Festival de Salzbourg, où elle chante Chérubin des Noces de Figaro sous la direction de Karl Böhm. En 1966, le Festival de Bayreuth lui ouvre ses portes, avec Brangäne de Tristan und Isolde. Sa carrière internationale a déjà pris son essor lorsque le Lyric Opera de Chicago l’invite à chanter Dorabella dans Così fan tutte. La même année, elle chante au Metropolitan Opera de New York, où elle se produira jusqu’en 1990. Sa première prestation sur la scène du Covent Garden de Londres remonte à 1969 dans Amneris d’Aïda. À mesure que sa voix gagne en maturité, elle aborde des rôles de mezzo-soprano lyrique dans un répertoire plus dramatique – Carmen, Kundry, Ortrud, Ulrica d’Un bal masqué, Eboli, Ottavia du Couronnement de Poppée, Didon des Troyens –, et des rôles plus contemporains comme Claire Zachanassian dans Der Besuch der alten Dame de Gottfried von Einem, qu’elle a créé. Elle remporte également un grand succès dans le répertoire de soprano dramatique, interprétant Iphigénie dans Iphigénie en Aulide de Gluck, Léonore de Fidelio de Beethoven, Lady Macbeth dans le Macbeth de Verdi, Ariane dans Ariane à Naxos, la Teinturière de La Femme sans ombre, et une inoubliable Maréchale du Chevalier à la rose de Richard Strauss. En plus de ses prestations à l’opéra, C. Ludwig a consacré une part notable de sa carrière aux récitals de lieder, aussi bien dans des enregistrements de studio qu’en concert, particulièrement dans le cadre des Liederabend du Festival de Salzbourg. Elle a également beaucoup chanté l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. En 1993-1994, elle effectue une tournée d’adieux dans un grand nombre de villes d’Europe et d’Amérique, avec en point d’orgue une Fricka dans La Walkyrie, sur la scène du Metropolitan Opera de New York. Elle vit aujourd’hui dans le sud de la France.
Bruno SERROU
■ Ma voix et moi (Und ich wäre so gern Primadonna gewesen, 1994), Paris, Les Belles Lettres, 1996.
LUENGO, Maria Teresa [QUILMES 1940]
Compositrice argentine.
Maria Teresa Luengo obtient ses diplômes de composition et de musicologie de l’Université catholique d’Argentine en 1969, où elle a étudié avec Alberto Ginastera, Luis Gianneo et Juan Francisco Giacobbe. En 1973, elle obtient une bourse en composition qui lui permet d’aller étudier au Cicmat (Centro de Investigación en Comunicación Masiva, Arte y Tecnología) de Buenos Aires, avec Francisco Kröpfl (musique électroacoustique), Gerardo Gandini (analyse) et Fernando von Reichenbach (laboratoire). Elle assiste également aux cours du compositeur Peter Maxwell Davies. En 1976, elle est invitée par le CAYC (Centro de Arte y Comunicación) à participer à l’exposition Music 76 et à y présenter deux œuvres. En 1978, G. Gandini la convie au séminaire de musique contemporaine organisé par le Goethe Institut. Son œuvre Cuatro Soles (1973) lui vaut le premier prix de composition de la ville de Buenos Aires, et une mention spéciale du Fondo nacional de las artes lui est décernée au concours de composition Juan-Carlos-Paz pour The Imaginary Museum pour orchestre de chambre (1975). Suivront entre autres œuvres The Book of The Mirrors pour orchestre de chambre (1976), Nao pour quintette à vents (1983, prix de l’Université nationale), et The Luz’s Waters pour quintette, commande du Fondo nacional de las artes (1988). Depuis 1989, elle enseigne les techniques de la musique contemporaine à l’Université catholique d’Argentine, et a créé en 1990 le département de musique électroacoustique de l’Université nationale de Quilmes, qu’elle dirige depuis.
Odile BOURIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
LUFT, Lya [SANTA CRUZ DO SUL 1938]
Écrivaine brésilienne.
Après des études de lettres, Lya Luft embrasse la carrière universitaire et traduit en portugais de grands auteurs allemands et anglais tels que Virginia Woolf, Thomas Mann et Rainer Maria Rilke. Elle vit quelque temps à Rio de Janeiro avant de s’installer à Porto Alegre. Dans son premier recueil de poésie, Canções de limiar (« chants du seuil », 1962), pointe déjà le leitmotiv de son œuvre, la conscience d’une existence entre le matériel et le spirituel, entre la vie et la mort. Cette inquiétude existentielle, également très vive dans ses romans, fait d’elle la représentante de l’un des thèmes les plus fertiles de la prose moderne, celui des relations humaines, apparemment rythmées par le quotidien, mais en réalité influencées par des pulsions et des désirs à fleur de peau. Ses personnages féminins sont en général marqués par des drames et des souffrances, à la recherche d’eux-mêmes, enfermés dans un monde d’apparences, dans des relations familiales hypocrites qu’ils cherchent à briser, souvent sans en tirer aucun bénéfice. La trilogie As parceiras (« les complices », 1980), A asa esquerda do anjo (« l’aile gauche de l’ange », 1981) et Reunião de família (« réunion de famille », 1982), en est un parfait exemple. Le style est objectif et sec, apparemment détaché de ce qui est raconté, tantôt chargé d’un lyrisme acide, tantôt mâtiné d’une mélancolie délicate. Dans son œuvre poétique se distinguent les recueils Canções do limiar (« chants du seuil », 1962) et Para não dizer adeus (« pour ne pas dire adieu », 2005). Ses romans sont imprégnés d’une grande force de pénétration psychologique, notamment O quarto fechado (« la chambre fermée », 1984), Exílio (« exil », 1987), O ponto cego (« l’angle mort », 1999) et Histórias do tempo (« histoires du temps », 2000). Dans les années 2000, elle a aussi publié des ouvrages pour la jeunesse et des chroniques, comme Perdas e ganhos (« pertes et profits », 2003) et O silêncio dos amantes (« le silence des amants », 2008).
Tânia PELLEGRINI
LUGN, Kristina [TIERP, COMTÉ D’UPPSALA 1948]
Poétesse et auteure dramatique suédoise.
Auteure de poèmes d’un humour macabre, jouant de clichés empruntés au langage familier, Kristina Lugn met en scène avec une perspective féministe prononcée des personnages de femmes au foyer mélancoliques et angoissées caractérisées par leur faible estime de soi. Malgré les traits réalistes et autobiographiques de ses poèmes, sa poésie ne reproduit pas en premier lieu la réalité. Au contraire, elle offre de nouvelles perspectives sur l’existence, en la regardant dans un miroir déformant. Cette tentative relève à la fois de la philosophie de l’absurde et de l’existentialisme. Elle fait ses débuts en poésie avec le recueil Om jag inte (« si je ne », 1972), puis publie, entre autres, Till min man, om han kunde läsa (« à mon mari, s’il savait lire », 1976) et Döda honom (« tuez-le », 1978), où l’homme et son comportement codifié sont exposés à une radiographie ironique. Elle devient célèbre avec le recueil Bekantskap önskas med äldre bildad herre (« désire rencontrer monsieur cultivé d’un certain âge », 1983), qui révèle, par une rare alliance de douleur et d’ironie, l’aliénation de l’individu moderne, illustrée par le désir angoissé propre aux annonces des rubriques « Rencontres ». Les deux recueils qui suivent, Hundstunden. Kvinnlig bekännelselyrik (« l’heure du chien, lyrique de confession féminine », 1989) et Hej då, ha det så bra ! (« au revoir, portez-vous bien ! », 2003), montrent, par des images caustiques, que l’existence d’une femme peut être désespérément recluse. Sous la façade bien polie se cachent la solitude, le chagrin et l’angoisse, apaisés par des tranquillisants. Chef artistique du Teater Brunnsgatan Fyra à Stockholm, K. Lugn s’est aussi imposée comme auteure dramatique à succès avec des pièces de théâtre de l’absurde, telles Idlaflickorna, (« les jeunes filles du groupe Idla », 1993) et Nattorienterarna (« les coureurs d’orientation nocturnes », 1999), où deux femmes marchent de nuit dans une ville en réfléchissant à tâtons et confusément sur la vie. Dans ces pièces le dialogue a tendance à se transformer en monologue ou en dialogue de sourds. D’après l’auteure, son œuvre parle de la crainte de perdre, y compris celle de se perdre soi-même. Elle est membre depuis 2006 de l’Académie suédoise.
Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU
■ ANDERSSON A.-H., « Jag är baserad på verkliga personer », ironi och röstgivande i Kristina Lugns författarskap, Umeå, Umeå universitet, 2010 ; ELLESTRÖM L., En ironisk historia, från Lenngren till Lugn, Stockholm, Norstedts, 2005.
LUIK, Viivi [TÄNASSILMA 1946]
Poétesse et romancière estonienne.
Lorsqu’à 18 ans elle publie son premier recueil de poèmes, Viivi Luik est aussitôt considérée comme une « enfant prodige » de la poésie estonienne. Issue d’une famille rurale du sud de l’Estonie, autodidacte, elle privilégie dans ses premiers textes des évocations fraîches et limpides de la nature. Ses recueils ultérieurs témoignent d’une maturation et d’une densification de son expression poétique, qui devient peu à peu plus abstraite et hermétique. À partir du milieu des années 1990, elle se détourne progressivement de la poésie pour se consacrer à la prose. Son premier roman, Seitsmes rahukevad (« le septième printemps de la paix », 1985), qui évoque son enfance dans l’Estonie du début des années 1950, a connu un énorme succès et a été traduit dans de nombreuses langues. Outre sa valeur documentaire sur les débuts de la collectivisation des campagnes en Estonie, il captive par son évocation subtile du monde de l’enfance où le merveilleux se mêle à la réalité. Le deuxième roman de V. Luik, Ajaloo ilu (« la beauté de l’histoire », 1991), relate une histoire d’amour silencieuse entre une poétesse estonienne et un sculpteur juif de Lettonie à qui elle sert de modèle. Le récit principal se déroule en 1968, au moment où les chars soviétiques entrent en Tchécoslovaquie. Autour d’une trame narrative assez ténue, cet ouvrage constitue surtout une sorte de poème symphonique qui évoque, par la magie d’une écriture glissante et tourbillonnaire, l’Europe de l’Est noyée dans la grisaille du communisme : Tallinn, Riga, Prague, Varsovie, Bucarest ; les lieux et les époques défilent et se confondent ; tout semble vu du ciel, comme à travers les yeux d’un ange, que l’on croise d’ailleurs de temps à autre au cours du roman. V. Luik a publié par la suite des pièces radiophoniques, des essais rassemblés en 1998 dans Inimese kapike (« le petit placard de l’homme ») et un récit autobiographique inspiré par un séjour de quelques années à Rome, Varjuteater (« théâtre d’ombres », 2010).
Antoine CHALVIN
LUÍS, Agustina BESSA [VILA MEÃ, AMARANTE 1922]
Écrivaine portugaise.
Sans jamais avoir fréquenté l’université, Agustina Bessa Luís s’est vu décerner deux doctorats honoris causa. Auteure d’une œuvre littéraire reconnue, qui va du roman au conte pour enfants, de la biographie au drame, de la chronique à l’essai, et du journal aux Mémoires, elle a publié son premier livre en 1948, Mundo fechado (« monde fermé »), suivi par Os super-homens (« les superhommes », 1950) et par Contos impopulares (« contes impopulaires » 1951-1953). Classé comme nouvelle, ce dernier anticipe La Sibylle (A sibila, 1954) : ce roman, qui consacrera l’écrivaine, ouvrirait, selon l’avis de certains critiques, une nouvelle ère dans la littérature portugaise, voire dans le roman européen, et signalerait la fin du néoréalisme. L’influence d’écrivains comme Kafka, sensible dans l’absurde de certaines situations (Contos impopulares), ou Marguerite Duras*, lorsque la romancière prend une envergure de « maître à penser », est notable. Mais, c’est bien plutôt une sorte de « pensée sans maître » qui donne une place originale et privilégiée à l’ensemble de son œuvre, dont l’ancrage dans la culture portugaise n’exclut pas une ambition d’universalité, ainsi que l’illustrent ses nombreux portraits de femmes : Le Confortable Désespoir des femmes (O mosteiro, 1980) ; Les Terres du risque (As terras do risco, 1994) ; Le Principe de l’incertitude (O princípio da incerteza, 2001-2003). Sur un mode différent, ses romans historiques − Fanny Owen (Fanny Owen, 1979), La Cour du Nord (A corte do Norte, 1987) − disent implicitement que « l’histoire est une fiction contrôlée ». La romancière exploite les ressources de l’héritage classique, soit par des « références distribuées au long de l’œuvre », soit par la composition structurale et thématique d’un roman comme Un chien qui rêve (Um cão que sonha, 1997). Son dernier roman, La Ronde de nuit (A ronda de noite, 2006), est paru en français en 2008. A. Bessa Luís, dont l’œuvre littéraire a été honorée de nombreux prix, est également scénariste de plusieurs films de Manoel de Oliveira.
Ana Paula ARNAUT
■ BULGER L. F., A sibila, uma superação inconclusa, Lisbonne, Guimarães, 1990 ; LOPES S. R., Agustina Bessa Luís, as hipóteses do romance, Rio Tinto, ASA, 1992 ; MACHADO Á., Agustina Bessa Luís, o imaginário total, Lisbonne, Dom Quixote, 1983.
LUMIÈRES – ÉMANCIPATION [France XVIIIe siècle]
Si l’émancipation est un acte par lequel un individu – une femme en l’occurrence – se libère d’une tutelle paternelle ou conjugale, cet acte ne saurait définir le processus d’autonomisation des femmes pendant la période des Lumières. La pensée des Lumières s’est voulue pensée de l’universel, mais elle a échoué à résoudre ses propres contradictions, notamment à l’égard de la place et des fonctions des femmes dans l’espace public. Montesquieu, dans l’Esprit des lois (1748), désigne clairement le lien entre la forme de gouvernement, les mœurs et la présence des femmes dans la cité. Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes (1755), vante les « aimables et vertueuses citoyennes de Genève », femmes de citoyens, pour mieux vilipender la corruption des mœurs françaises qui accordent la suprématie aux femmes dans les lieux de sociabilité, au risque de provoquer la dégénérescence de la virilité. Les maîtresses de Louis XV, la présence jugée maléfique de Marie-Antoinette auprès de Louis XVI ont avivé un fort sentiment de méfiance, voire de ressentiment à l’égard d’un éventuel pouvoir des femmes. Au regard de cette situation, l’émancipation des femmes se doit d’être d’abord intellectuelle. Elle se joue dans les cadres autorisés : ceux de la sociabilité, ceux de la prise de parole par l’écriture, elle- même dépendante de l’accès au savoir.
Le salon, souvent compris comme un lieu de promotion et de pouvoir symbolique des femmes, constitue un espace dans lequel la régulation des comportements et des prises de parole s’ordonne sous l’égide exclusive d’une femme. Mme de Tencin*, Mme de Lambert*, Mme Geoffrin, Julie de Lespinasse* en sont des modèles remarquables, mais leur légitimité sociale et intellectuelle n’est acceptée que dans la mesure où elle ne transgresse pas les codes de la société civile. L’un des chefs d’accusation retenus contre Mme Roland*, décapitée en 1793, est, en particulier, son activisme politique lors de réunions tenues à son domicile : elle a enfreint les règles de réserve propres aux femmes.
C’est donc dans le cadre de comportements et de discours autorisés que la femme des Lumières, acquise aux idéaux d’émancipation prônés par les philosophes, acquiert une relative autonomie dans le champ littéraire ; néanmoins, la réaction révolutionnaire, brutale à l’égard des femmes, confirme les propos de Condorcet en 1789, qui, dans ses considérations Sur l’admission des femmes au droit de cité note l’aberration qui consiste à accorder l’égalité des droits à quelques centaines d’hommes qui en étaient privés, en oubliant 12 millions de femmes !
Isabelle BROUARD-ARENDS
■ FRAISSE G., Muse de la raison, la démocratie exclusive et la différence des sexes, Paris, Alinéa, 1989 ; HESSE C., The Other Enlightenment : How French Women Became Modern, Princeton, Princeton University Press, 2001 ; LANDES J., Women and the Public Sphere in the Age of the French Revolution, Ithaca, Cornwell University Press, 1988.
■ GODINEAU D., « Autour du mot citoyenne », in Mots, no 16, 1988.
LUMIÈRES – SCEPTICISME [France XVIIIe siècle]
Au siècle des Lumières, la philosophie spéculative est un domaine réservé aux hommes, selon une doxa dont l’Émile de Rousseau se fait l’écho : « La femme observe et l’homme raisonne. » De là, il est aisé d’en conclure que l’exercice du doute est étranger aux femmes qui sont maintenues dans un état de minorité par une société où dominent la religion et les bienséances. L’image colportée par la notice « femme » de l’Encyclopédie établit que la femme a un besoin naturel de certitude et de dévotion. Or, certaines femmes des Lumières, rompues à la lecture de Montaigne et de Bayle, rejoignent la tradition sceptique, se réclamant précisément d’un « pyrrhonisme de théorie et de pratique ». C’est ainsi que Marie du Deffand*, célèbre salonnière proche de Voltaire, et Isabelle de Charrière*, romancière et dramaturge, qui se présente comme « moitié savante, moitié philosophe, un peu bel esprit » (Lettre à Constant d’Hermenches, 9 janv. 1763), tentent de trouver leur voie dans le champ de la réflexion philosophique du XVIIIe siècle. Malgré le caractère fragmentaire et discontinu de leurs remarques, leurs échanges épistolaires témoignent d’un examen critique approfondi des systèmes philosophiques et des dogmes religieux. Leur scepticisme se construit avant tout dans l’irréligion. Si l’incompréhensibilité de la grâce divine et du dogme des peines éternelles heurte particulièrement la pensée rationnelle d’I. de Charrière, M. du Deffand, infléchissant l’attitude sceptique vers la négation athée, entend se passer des vérités révélées, ainsi que de tout appel à la transcendance. Libérées du désir du salut, l’une et l’autre ne ménagent guère la métaphysique, ne croyant pas plus aux vérités spéculatives. Dans le sillage de l’empirisme de Locke et de la philosophie naturaliste du siècle, elles recourent à des métaphores mécanistes pour définir l’homme. Tant leurs interrogations lucides sur l’existence du mal, la survie de l’âme, le libre arbitre et le déterminisme que les réserves qu’elles expriment sur la création ex nihilo, sur le déisme et sur le christianisme sont de véritables provocations dans un siècle qui débat encore des avantages de la bienheureuse ignorance des femmes et de leur vertu morale originelle.
Huguette KRIEF
■ COULET H., « I. de Charrière, femme des Lumières », in ASSOCIATION SUISSE ISABELLE DE CHARRIÈRE, Une Européenne, Isabelle de Charrière en son siècle, Neuchâtel, Attinger, 1994 ; CUSSET C., Qui peut définir les femmes ? , Paris, Indigo, 1999 ; KRIEF H., « Vision sceptique de l’histoire, Isabelle de Charrière (1740-1805) », in PELLEGRIN N. (dir.), Histoires d’historiennes, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2006.
■ KRIEF H., « Pensée sceptique et correspondance féminine », in Dix-huitième siècle, no 36, 2004.
LUMIÈRES – SCIENCES [France XVIIIe siècle]
La culture scientifique est peu fréquente chez les femmes au XVIIIe siècle et ne correspond à aucun débouché professionnel. La science elle-même décrit la femme comme physiquement et intellectuellement inférieure à l’homme ; l’éducation qu’elle reçoit, dénuée de toute formation scientifique – à de rares exceptions près – le justifie pleinement. Aussi la femme devient-elle, à l’âge adulte, un public privilégié pour la vulgarisation scientifique : Fontenelle ne cessera de faire des émules, suivi par Lalande (Astronomie des dames, 1786), ce qui confirme le développement d’un enseignement mondain et le succès des conférences du Jardin du roi, notamment des célèbres cours de physique expérimentale (1735-1760) de l’abbé Nollet. L’engouement des femmes pour le savoir se manifeste diversement. Les unes utilisent leur position sociale pour protéger les sciences, accueillir les savants dans leurs salons, entretenir des correspondances avec eux ou à leur sujet, rassembler des collections dans des cabinets d’histoire naturelle ; d’autres participent au mouvement de diffusion des connaissances : Mme Leprince de Beaumont* publie des articles scientifiques dans le Nouveau Magasin françois ; Marie-Geneviève Thiroux d’Arconville* traduit anonymement des ouvrages anglais de chimie et d’ostéologie ; Marie-Anne Lavoisier*, active collaboratrice de son mari, traduit de l’anglais et de l’italien les plus récents livres de chimie. Certaines se tournent vers des applications pédagogiques : Mme de Genlis* fait fabriquer pour ses élèves princiers des maquettes d’instruments à partir des planches de l’Encyclopédie, exposées au musée des Arts et Métiers ; Mme du Coudray (1712-1789) utilise un mannequin de sa fabrication pour ses cours d’obstétrique et publie en 1759 un Abrégé de l’art des accouchements.
Des talents s’épanouissent au plus haut niveau, dans des spécialités variées. Dans le domaine des sciences philologiques, Mme Dacier s’impose de bonne heure par ses éditions et ses commentaires d’auteurs latins et grecs, et devient membre de l’académie des Ricovrati de Padoue. La supériorité de sa traduction d’Homère (1699-1715) sur celles qui l’ont précédée est reconnue, ainsi que son rôle dans la querelle des Anciens et des Modernes. Historienne, Pauline de Lézardière (1754-1835) se fait remarquer par une œuvre monumentale, fondatrice de la science politique : la Théorie des lois politiques de la monarchie française (1792), une analyse complète, méthodique, argumentée et critique des institutions successives de la France depuis les origines. Marie-Marguerite Biheron (1719-1795) donne des cours publics d’anatomie très prisés, à l’aide de reproductions en cire qu’elle fabrique elle-même. Marie Le Masson Le Golft (1749-1826) publie des critères de classification d’histoire naturelle sous le titre Balance de la nature (1784). Virtuose du calcul astronomique, Nicole-Reine Lepaute* (1723-1788), membre associé de l’académie de Béziers, collabore avec Lalande et Clairaut aux travaux sur le retour de la comète de Halley et établit les tables de l’éclipse annulaire de 1764. Elle est relayée par Mme du Pierry (1746- ?) qui dispense un cours public d’astronomie à Paris vers 1789.
Parmi toutes les femmes de sciences au XVIIIe siècle, la mathématicienne Mme du Châtelet* est la plus remarquable. Elle reçoit la même éducation que ses frères, incluant l’anglais, le latin, les mathématiques, puis bénéficie des leçons de Pierre Louis Moreau de Maupertuis et de Clairaut. En 1739, elle écrit pour le concours de l’Académie des sciences une Dissertation sur la nature et la propagation du feu qui n’obtient pas de prix mais sera publiée en 1744 par l’Académie. Elle rédige à l’intention de son fils un traité méthodique, les Institutions de physique (1744), suivi d’une controverse avec Dortous de Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, première controverse scientifique entre un homme et une femme, qui lui confère rapidement une notoriété européenne. En 1746, elle est élue à l’académie de Bologne, et la Décade d’Augsbourg la classe parmi les dix savants les plus célèbres de l’époque. Elle achève quelques heures avant sa mort une traduction commentée des Principia mathematica de Newton dont elle confie les manuscrits au bibliothécaire du Cabinet des manuscrits à la Bibliothèque royale, le suppliant de « les faire enregistrer afin qu’ils ne soient pas perdus ». Cette traduction (1756-1759) est restée unique jusqu’au début du XXIe siècle. L’exception de Mme du Châtelet, que la critique et la jalousie n’ont pas épargnée, fait rejaillir le mérite de ces innombrables femmes de sciences dont les talents ont été réduits à la diffusion, la traduction et la collaboration avec les hommes des Lumières.
Geneviève ARTIGAS-MENANT
■ HOFFMANN P., La Femme dans la pensée des Lumières, Paris, Ophrys, 1977 ; TATON R. (dir.), Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, Paris, Hermann, 1964.
■ ARTIGAS-MENANT G., LE LAY C., LE MEUR C. et al., « Femmes des Lumières », in Dix-huitième siècle, no 36, 2004.
LUMLEY, Jane (née FITZALAN) [LONDRES ? 1537 - ID. 1577]
Traductrice anglaise.
Fille d’Henry Fitzalan, comte d’Arundel, Jane épouse le baron de Lumley à l’âge de 12 ans et a de lui trois enfants, morts en bas-âge. Elle et son mari sont passionnés par la littérature antique et la traduction, domaine où les femmes se distinguent au XVIe siècle. Entre 1550 et 1553, elle traduit ainsi du grec en latin divers discours d’Isocrate, et surtout, du grec (ou peut-être du latin) vers l’anglais, l’Iphigénie à Aulis d’Euripide, première version anglaise d’une pièce antique. Loin d’être une traduction fidèle, il s’agit bien plus d’une adaptation de cette pièce et d’une création toute personnelle, cette très jeune femme attribuant volontiers au personnage d’Iphigénie sa propre force de caractère. Lorsque J. Lumley hérite de la bibliothèque de son père, elle l’ajoute à celle de son époux pour former une des plus grandes bibliothèques du XVIe siècle, rachetée par Jacques Ier à la mort des Lumley.
Geneviève CHEVALLIER
LUNA, Violeta [GUAYAQUIL 1943]
Poétesse et critique littéraire équatorienne.
C’est en 1964 que paraît le premier recueil de poèmes de Violeta Luna, Poesía universitaria (« poésie universitaire »), écrit en vers libres et courts avec son compagnon Rafael Herrera Gil. Un an plus tard, elle publie El ventanal del agua (« la baie vitrée de l’eau »), remarqué par la revue mexicaine Nivel (« niveau »). Son troisième livre, Y con el sol me cubro (« et avec le soleil je me cache », 1967), aborde des sujets sociaux. En 1968, elle publie un recueil de nouvelles qui relèvent du réalisme social, Los pasos amarillos (« les pas jaunes »), où elle s’intéresse aux marginaux. En 1970, paraît son quatrième volume de poèmes, Posiblemente el aire (« probablement l’air »), au style plus classique, contrairement au suivant, Ayer me llamaba primavera (« hier je m’appelais printemps », 1973), qui opte pour des formes libres. Sa thèse de doctorat, La lírica ecuatoriana (« la lyrique équatorienne », 1973), traite de sept poètes de sa génération dont Ileana Espinel* et Ana Maria Iza*. Dans les années 1980 paraissent La sortija de la lluvia (« la boucle de la pluie », 1980), Corazón acróbata (« cœur acrobate », 1983) et Memoria del humo (« mémoire de la fumée », 1987), trois recueils de poésie qui se caractérisent par leur musicalité et par le thème de la douleur amoureuse, ainsi que par la reprise de l’héritage lyrique des écrivaines postmodernistes. À la même période, V. Luna commence à participer au groupe Mujeres por los derechos humanos (« femmes pour les droits humains »). Les recueils Las puertas de la hierba (« les portes de l’herbe », 1994) et Solo una vez la vida (« on ne vit qu’une seule fois », 2000) réunissent des poèmes intenses et brefs. Invitée au Festival international de poésie de Medellín en 1998, V. Luna a été récompensée par plusieurs prix et fait partie du groupe littéraire Vigilia, basé à Quito, aux côtés de Ramón Armendáriz et R. H. Gil.
Yanna HADATTY MORA
■ BRAVO S. (éd.), Poesía erótica de mujeres, antología del Ecuador, Quito, Mayor Books, 2001 ; CABIEDES-FINK A., MAIER T. (éd.), Between the Silence of Voices : An Anthology of Contemporary Ecuadorean Women Poets, Quito, Asociacion Ecuatoriana de Ejecutivas de Empresas Turisticas, 1997.
LUND, Kristin [NORVÈGE 1958]
Générale de division norvégienne.
Entrée dans l’armée norvégienne en 1980, Kristin Lund participe à plusieurs missions de l’Onu, y compris au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) en 1986, et de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) en ex-Yougoslavie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, entre 1992 et 1994. Elle fait également partie du déploiement des opérations multinationales en Arabie saoudite en 1991 lors de l’opération « Tempête du désert » contre l’Irak. Après une formation de quatre ans, elle est diplômée en 2007 de l’Université militaire américaine, puis devient commandante adjointe des forces armées norvégiennes jusqu’en 2009. Cette même année, elle est la première femme officière à être promue au grade de générale de division, et atteint également le grade de chef d’état-major de la Garde norvégienne. En 2014, elle est nommée à l’état-major de la Défense norvégienne pour diriger le département des anciens combattants, puis devient la première femme à commander les Casques bleus en prenant la tête de la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), avec 930 soldats et 66 policiers sous ses ordres. Désireuse de promouvoir l'égalité des sexes et le changement, la générale K. Lund est très active dans les réseaux civils et militaires : « Il a été crucial pour moi de rencontrer les femmes dans des situations similaires. […] Il est important que d'autres femmes puissent voir qu'il est possible, au sein du système des Nations unies, de gravir les échelons de la hiérarchie militaire jusqu'à prendre les commandes d'une force. »
Elisabeth LESIMPLE
LUND, Signe [BERGEN 1868 - OSLO 1950]
Compositrice norvégienne.
Fille de la pianiste Brigitte Carlsen, Signe Lund fait ses études à Berlin, Copenhague et Paris. Vers 1900 elle part aux États-Unis et vit une vingtaine d’années à New York et Chicago. Elle y enseigne, donne des conférences et des concerts. En 1917, à l’occasion de l’entrée en guerre des États-Unis, elle écrit une ouverture, The Road to France. D’un style très influencé par Edvard Grieg, son catalogue compte, parmi les œuvres symphoniques, un concerto pour piano (1931), de nombreuses œuvres pour piano seul (Ballade ; Valse de concert) et des mélodies.
Pierrette GERMAIN
LUNDBERG, Ulla-Lena [KÖKAR 1947]
Écrivaine finlandaise de langue suédoise.
Son village natal, dans l’archipel d’Åland, en mer Baltique, rattaché à la Finlande mais de langue suédoise, joue un rôle important dans l’œuvre de Ulla-Lena Lundberg. Son premier recueil de poésie, Utgångspunkt (« point de départ », 1962), paraît alors qu’elle n’a que 15 ans. L’année suivante, elle part étudier aux États-Unis où elle passe plusieurs années. Puis elle se met à voyager, faisant des séjours prolongés dans différents pays d’Afrique et d’Asie. À 21 ans, elle est déjà une auteure reconnue et fait partie des rares écrivains qui peuvent vivre de leur plume. Elle écrit de la poésie, des nouvelles, des pièces radiophoniques, mais les deux genres qu’elle pratique le plus sont le roman et le récit de voyage. Ses deux romans les plus connus sont Kungens Anna (« Anna du roi », 1982) et Ingens Anna (« Anna de personne », 1984). Ils ont pour personnage principal une femme de Kökar dont la vie est racontée de l’enfance à la vieillesse, et peignent la vie traditionnelle, dure et isolée, des habitants d’Åland, éloignés des grandes métropoles. Ensuite, elle écrit des romans historiques comme Marsipansoldaten (« le soldat de pâte d’amande », 2001), situé à Kökar pendant la Seconde Guerre mondiale, et des récits de voyages, genre qu’elle contribue grandement à renouveler. Dans des textes qui s’appuient directement sur des observations du réel et des expériences vécues, elle mêle descriptions de paysages, études de sociétés et éléments autobiographiques. Ainsi Sibirien. Ett självporträtt med vingar (« la Sibérie, autoportrait avec ailes », 1993) relate un long voyage en Sibérie au cours duquel la narratrice vit une grande histoire d’amour, en même temps qu’elle participe à une expédition ornithologique : elle décrit la nature encore largement vierge mais très menacée des forêts et des vastes espaces de la région des grands fleuves de Sibérie, et présente les problèmes sociaux qui résultent de l’effondrement de l’URSS.
Annie BOURGUINON
■ GUSTAFSSON U., Världsbild under sammanställning : individ, ensamhet och gemenskap i Ulla Lena Lundbergs författarskap, Turku, Åbo Akademi, 2007.
LUNDEN, Eldrid [NAUSTDAL, COMTÉ DE SOGN ET FJORDANE 1940]
Poétesse norvégienne.
Dans le cadre de ses études universitaires, Eldrid Lunden mène une recherche sur l’image de la femme dans Maison de poupée, de Henrik Ibsen, et deux autres drames contemporains. En parallèle, elle est membre de la rédaction de Profil, une revue littéraire de la faculté des lettres à l’université d’Oslo associée à la « révolte » moderniste de 1966-1967. Dès la publication de son premier recueil de poèmes, F.eks. juli (« p. ex. juillet »), en 1968, elle crée une expression moderniste propre, liant le concret à une imagerie très physique, la réflexion philosophique à l’humour et à l’ironie. Elle écrit en nynorsk (« néonorvégien »), langue officielle plus proche de l’origine norroise et des dialectes modernes des régions rurales que l’autre langue officielle issue historiquement du danois administratif. Son expression est moderne, élaborée, poétique et directe en même temps, avec une syntaxe simple qui laisse paraître sa voix et son souffle. Dans ses recueils des années 1970, Inneringa (« encerclée », 1975), Hard mjuk (« dur doux », 1976), Mammy blue (1977), E. Lunden met au centre de son univers poétique les expériences et le corps féminins ainsi que les relations ambivalentes entre mère et fille. Dans les recueils suivants, Gjenkjennelsen (« la reconnaissance », 1982), Det omvendt avhengige (« la dépendance à l’envers », 1989), Flokken og skuggen (« le troupeau et l’ombre », 2005), ce sont la langue et le discours, la communication et les relations humaines qui priment. Elle valorise également la tradition et les traces des femmes créatrices, par exemple dans Noen må ha vore her før (« quelqu’une a dû être là », 1990), et refuse, bien que féministe, de considérer la femme comme une victime. Elle est lauréate de plusieurs prix littéraires, dont le prestigieux prix Brage (2000).
Anne Birgitte RØNNING
■ LANGÅS U., Dialog. Eldrid Lundens dikt 1968-2005, Oslo, Unipub, 2007 ; ID, Dialogues in Poetry : An Essay on Eldrid Lunden, Bergen, Alvheim & Eide, 2010.
LÚNEZ, Enriqueta [SAN JUAN CHAMULA 1981]
Poétesse mexicaine de langue tzotzile.
La poésie de María Enriqueta Lúnez Pérez rend hommage à son lieu de naissance, au Chiapas, en privilégiant le rêve comme source de création. Elle reprend la pensée indigène des Tzotziles en montrant ses divers aspects : une cosmogonie fondée sur l’harmonie des contraires (vie et mort, amour et haine), une communion entre l’homme et la nature, et un désir de préserver, à travers la parole poétique, l’histoire et la mémoire d’un peuple. Sa poésie est aussi une ode à la femme et aux avatars dans lesquels l’histoire l’engloutit. Ses activités vont au-delà de la poésie et l’amènent à prendre une position politique : elle milite en faveur de l’égalité hommes/femmes et pour la reconnaissance des peuples indigènes amérindiens, constitutifs de l’identité mexicaine. Son engagement poétique devient l’occasion de diffuser une vision de sa culture, et les lettres lui permettent de communiquer aux autres la vision tzotzile en l’enrichissant. Elle a publié Y’ibelaltak ch’ulelaletik (Raices del alma, « racines de l’âme »), ainsi que des poèmes dans les revues Amanecer (« lever du jour »), Artecultura (« artculture ») et dans la revue de la fondation Espriu. Elle a participé à de nombreuses rencontres autour de la poésie, et ses poèmes ont été traduits en anglais, en italien et en serbe. Elle est co-auteure du CD Lluvia de sueños, poetas y cantantes indigenas (« pluie de rêves, poètes et chanteurs indigènes », 2005).
Ingrid SOLANA
LUPINO, Ida [LONDRES 1918 - LOS ANGELES 1995]
Actrice et réalisatrice américaine.
Enfant de la balle (son père est comédien et sa mère vedette de music-hall), Ida Lupino entre à 13 ans à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres. C’est lors d’une tournée à travers l’Angleterre qu’Allan Dwan la repère et lui propose le rôle principal de Her First Affair (1932). Elle s’installe aux États-Unis et enchaîne les rôles, mais ne connaît le succès qu’à partir de 1941 avec La Grande Évasion (High Sierra) de Raoul Walsh. Sa carrière d’actrice est émaillée de collaborations avec des réalisateurs âpres et exigeants (N. Ray, Charles F. Lang, S. Peckinpah, D. Siegel, entre autres). Peu encline à coller à l’image traditionnelle de l’actrice hollywoodienne passive s’ennuyant sur les plateaux, elle se lance dans la production et l’écriture de scénarios. En 1949, elle se découvre un nouveau talent en remplaçant au pied levé le réalisateur Elmer Clifton, victime d’une crise cardiaque, pendant le tournage de Avant de t’aimer (Not Wanted) dont elle est la scénariste. Libérée de la pression des studios grâce à sa maison de production, The Filmmakers (fondée avec son mari scénariste Collier Young), elle réalise sept films entre 1949 et 1966, abordant toujours des sujets sensibles et non conventionnels pour l’époque : la poliomyélite (Never Fear, « faire face », 1949), le viol (Outrage, 1950), la bigamie (Bigamie, The Bigamist, 1953). Elle est alors la seule femme à maîtriser toute la chaîne de fabrication d’un film. Outre l’audace des thèmes, ses films se distinguent nettement des productions hollywoodiennes : décors naturels, histoires tirées de la vie réelle, approche documentaire du milieu (souvent simple) où évoluent des personnages en butte à des drames personnels, mélos tempérés par une certaine noirceur, destins de femmes distincts du « film de femme » en vogue dans les années 1950. En 1953, elle réalise Le Voyage de la peur (The Hitch-Hicker), d’après l’histoire vraie d’un auto-stoppeur serial killer, le premier film noir réalisé par une femme. Ce genre marque la suite de sa carrière à la télévision : de la fin des années 1950 aux années 1970, elle réalise un grand nombre de téléfilms et de séries, dont des épisodes d’Alfred Hitchcock présente ; La Quatrième Dimension ; Le Fugitif ; Les Incorruptibles.
Jennifer HAVE
■ HENRY M., « Ida Lupino, parce que le cœur n’est pas de marbre », in Positif, no 540, fév. 2006.
LU QINGZI [CHANGZHOU, AUJ. SUZHOU V. 1522 - ID. V. 1572]
Poétesse chinoise.
Lu Qingzi est la fille du peintre et calligraphe Lu Shidao, l’épouse du peintre Zhao Huanguang (descendant de la famille impériale des Song), et la mère du peintre et poète Zhao Lingjun. Dotée d’un don extraordinaire en peinture et en poésie, elle partage avec la poétesse de son temps Xu Shu* le surnom de Wumen er da jia (« les deux grands maîtres de la région de Wu »), et le trio qu’elle forme avec son époux et son fils, est appelé Wumen san xiu (« les trois génies de la région Wu »). En 1594, après avoir enterré son père sur le mont Hanshan, Zhao Huanguang convainc son épouse de s’installer dans ce lieu pittoresque, à proximité du cimetière familial. Ils font alors construire une maison avec un jardin, dans laquelle ils vont jouir d’une existence d’ermite et se plonger dans la lecture et la création artistique. L’harmonie conjugale et la beauté naturelle du paysage favorisent la libre expression poétique de Lu Qingzi. Dans la préface de Yongxuezhai yigao (« manuscrits posthumes du pavillon du chant de la neige »), œuvre de la poétesse Xiang Lanzhen, elle écrit : « La poésie n’est vraiment pas le métier des hommes, mais notre devoir, à nous les femmes. » Bercée par sa vie aisée et tranquille – romanesque pour ainsi dire –, que beaucoup de lettrés envient, l’auteure écrit à profusion et laisse plusieurs recueils poétiques en quatre ou six volumes, dont on ignore les dates précises de publication (Kao pan ji, « recueil de flâneries » ; Yunwoge gao, « manuscrits du pavillon Yunwo » ; Xuan zhi ji, « recueil du champignon noir »).
LUO TIAN
■ XIE X., ZI T., Zhongguo funü wenxue shi, Shanghai, Zhonghua shuju, 1921.
LUSSAN, Marguerite DE [PARIS 1682 - ID. 1758]
Écrivaine française.
Probablement fille naturelle du prince Thomas de Savoie, comte de Soissons, et d’une courtisane (ou fille d’un cocher et d’une diseuse de bonne aventure), Mlle de Lussan laisse peu de renseignements sur son existence. Dotée d’une bonne éducation, elle vécut à Paris et, à l’âge de 25 ans, rencontra Pierre-Daniel Huet, qui l’encouragea à écrire des romans. De 1725 à 1757, elle composa huit chroniques historiques et galantes, telles les Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste (1733-1738), axées sur l’analyse psychologique et la recherche d’un pittoresque documenté moins apprécié à la fin de sa vie, notamment par Grimm. Les Veillées de Thessalie (1731-1741) l’inscrivirent dans la lignée des conteuses de l’âge classique. Tenant de la pastorale et du roman, l’ouvrage dut son succès à l’innutrition antique : dans un cadre merveilleux inspiré des Métamorphoses d’Ovide et d’Apulée, il relate les amours des devisants, et la recherche d’une sagesse incarnée par l’Égyptien Théminisès et Mélénide le Scythe face au désordre des passions. Sa production conséquente fut saluée de son temps, quoique soupçonnée de devoir beaucoup à ses amis lettrés.
Laurence VANOFLEN
■ « Les Veillées de Thessalie », in Bibliothèque des génies et des fées, Paris, H. Champion, 2007.
■ ZEMON DAVIS N., « Genre féminin et genre littéraire : les femmes et l’écriture historique, 1400-1820 », in Histoires d’historiennes, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2006.
ŁUSZCZEWSKA, Magdalena [MILAN 1806 - VARSOVIE 1869]
etŁUSZCZEWSKA, Jadwiga [VARSOVIE 1834 - ID. 1908]
Femmes de lettres et salonnières polonaises.
Le salon littéraire des Łuszczewska est déjà réputé dans les cercles intellectuels de Varsovie des années 1840. Mais, après la défaite de l’insurrection de novembre 1830, le tsar Nicolas Ier de Russie entreprend de détruire l’identité nationale polonaise à travers plusieurs modes de répression : la fermeture de l’université de Varsovie, le transport en Russie des fonds des bibliothèques et la russification de l’éducation polonaise. C’est dans ce contexte que Magdalena Łuszczewska et sa fille Jadwiga se consacrent à l’animation de la vie littéraire et artistique de leur pays qui, censurée, se concentre alors dans les salons privés. Dans leur salon, qui est l’un des plus connus à l’époque, se rencontrent gens de lettres, artistes, hommes politiques et scientifiques qui viennent présenter leurs œuvres et leurs théories. C’est un lieu où l’on parle de philosophie, où ont lieu des lectures de poèmes et de romans, et où sont donnés des concerts et des pièces de théâtre. Parmi les habitués du salon se trouvent des figures de renom comme le poète Cyprian Kamil Norwid ou la poétesse Narcyza Żmichowska*. C’est dans le salon de M. Łuszczewska que naît l’idée du mensuel littéraire et scientifique Bibliothèque de Varsovie, publié de 1841 à 1914, et c’est grâce à elle qu’une partie de l’œuvre de Nicolas Copernic est traduite en polonais et publiée. Après sa mort, sa fille, J. Łuszczewska, anime à son tour le salon, qu’elle nomme « jeudis chez Deotyma », en reprenant son pseudonyme artistique d’auteure d’improvisations poétiques sur des thèmes nationaux ou nationalistes. Elle contribue à soutenir la vie intellectuelle, littéraire et artistique polonaise en organisant des expositions, des conférences et des jubilés pour de nombreux savants, écrivains et artistes de son temps.
Agnieszka SZYMUS
LÜTKEN, Tutti (Ingeborg LÜTEKEN, dite) [ELSINORE 1914 - ID. 2012]
Architecte danoise.
Diplômée de l’École d’architecture de l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague en 1954, bien après avoir débuté ses études, Tutti Lütken a reçu la médaille C. F.-Hansen de l’architecture, en 1953 avec un projet de concours pour une école maternelle. Elle a consacré par la suite la majeure partie de son activité à l’architecture et au mobilier scolaires. Durant la Seconde Guerre mondiale déjà, elle avait dessiné des crèches pour la société de logements KAB. En 1950, elle avait fondé sa propre agence, avec les ingénieurs Carl Rønneberg – son mari – et plus tard avec Peer Mogensen. Elle a ainsi réalisé de célèbres maisons en bande à Skovshoved (1956). T. Lütken n’a pas beaucoup construit durant les années 1960, mais a travaillé avec l’entreprise Frie Børnehaver og fritidshjem, spécialisée dans la réalisation de crèches et de maternelles. En 1963, elle a créé avec les architectes Helmer Remark et Asger Barfoed une centrale de diffusion de plans modèles et de matériaux pour les jardins d’enfants. Ce service a permis la réalisation d’environ 200 crèches. Ses bâtiments simples et fonctionnels sont caractérisés par leur prise en compte de l’échelle des enfants et de leurs besoins.
Ning DE CONINCK-SMITH
■ Arkitekten, no 7, 1965 ; DE CONINCK-SMITH N., « Byggeri for børn. Daginstitutionsbyggeri før, under og efter 2. Verdenskrig », in Architectura, no17, 1995.
LUTS, Karin [RIIDAJA 1904 - STOCKHOLM 1993]
Peintre et graveuse estonienne.
Karin Luts étudie les beaux-arts de 1922 à 1928 à l’école Pallas de Tartu, sous la direction de Konrad Mägi puis d’Ado Vabbe. En 1928-1929, une bourse lui permet de séjourner à Paris, où elle suit pendant quelque temps les cours de l’académie de la Grande Chaumière. Elle s’installe à Tallinn en 1929 et se fait rapidement un nom dans la peinture estonienne des années 1930, alors dominée par les hommes. En 1944, à la veille de la seconde occupation soviétique de l’Estonie, elle s’exile en Suède, où elle poursuit sa formation et sa carrière. Elle devient alors membre de plusieurs organisations d’artistes, notamment de l’Union des femmes peintres et sculpteurs (Paris). K. Luts débute son œuvre dans la deuxième moitié des années 1920 avec des compositions fortement influencées par le style de la Nouvelle Objectivité allemande : personnages stylisés souvent vus de profil, à-plats de couleurs, refus de la perspective (Maletajad, « les joueurs d’échecs », 1927). Le naïf et le grotesque resteront des constantes de toute son œuvre. Dans les années 1930, sa peinture subit l’influence du postimpressionnisme. Elle revient progressivement à la perspective et à des couleurs plus vibrantes. Elle peint des personnages aux visages typés, inquiétants, parfois distordus (Koridoris, « dans le couloir », 1935 ; Leerilapsed, « les confirmantes », 1936), des natures mortes, ainsi que des autoportraits sans concession. Dans la deuxième moitié des années 1940, elle commence à pratiquer abondamment la gravure. Sa peinture poursuit une évolution très éclectique : influencée un temps par Picasso et Massimo Campigli, elle se tourne à partir de la fin des années 1950, non sans hésitation, vers une abstraction dynamique et colorée, avant de réintroduire, dans les années 1970, des silhouettes ou des visages humains. Longtemps méconnue en Estonie, son œuvre postérieure à 1944 a été découverte dans les années 2000 grâce à un legs de plus de 3 000 œuvres au musée des Beaux-Arts de Tartu et à une grande exposition organisée par ce musée en 2004-2005. K. Luts est aujourd’hui reconnue comme l’une des artistes estoniennes les plus originales du XXe siècle.
Antoine CHALVIN
■ Conflicts and confessions : Karin Luts 1904-1993, Tartu, Tartu Kunstimuuseum, 2005.
LUTTER, Vera [KAISERSLAUTERN 1960]
Photographe allemande.
Sculptrice de formation, Vera Lutter a étudié à la Kunstakademie de Munich, puis a obtenu un Master of Fine Arts en 1995, à la School of Visual Arts de New York. La contemplation de la ville lui donne l’envie d’enregistrer son énergie, sa lumière et son architecture, avec le procédé photographique le plus primitif : le sténopé ou camera obscura, qui sera, par ailleurs, à l’origine de sa reconnaissance. Elle « théâtralise » le dispositif en transformant une pièce de son appartement, et plus tard, des conteneurs ou des cabanes de chantier, en une vaste chambre photographique, dont elle recouvre les murs de papier sensible. La lumière dégagée par les éléments du paysage urbain se projette au travers du trou étroit de ces singuliers sténopés. Lors de ces prises de vue réalisées par la suite dans divers sites (Battersea, Grande-Bretagne, 2004 ; Campo Santa Sofia, Venise, 2007), le temps d’exposition de la surface sensible peut varier de quelques heures à plusieurs semaines, selon les conditions extérieures. Les clichés en valeurs négatives – par conséquent des pièces uniques – constituent les seules traces matérielles de ces véritables « performances » photographiques. Le large format de ces polyptiques génère une forte impression physique chez le spectateur : comme immergé dans une sorte d’environnement photographique, il est contraint à la circumambulation (pratique magico-religieuse qui consiste à tourner autour d’un symbole), s’il veut appréhender la représentation dans sa totalité. Visions énigmatiques et fantomatiques de paysages urbains ou industriels vidés de toute présence humaine, ses images se situent à la frontière du document et de la révélation fabuleuse et poétique. L’artiste s’inscrit, de la sorte, dans la continuité d’une certaine tradition photographique allemande, documentaire et objective, comme celle d’Albert Renger-Patzsch ou des Becher. Ses œuvres, conservées dans nombre d’institutions, majoritairement nord-américaines, sont régulièrement présentées en Europe et outre-Atlantique, lors d’expositions monographiques et collectives.
Damarice AMAO
■ Inside in (catalogue d’exposition), Pakesh P. (dir.), Cologne, König, 2004 ; Venice, Rheinbraun, New York, London, Philadelphia (catalogue d’exposition), Newman M. (textes), New York, Galerie Gagosian, 2007.
LUTYENS, Elisabeth [LONDRES 1906 - ID. 1983]
Compositrice britannique.
Elisabeth Lutyens, fille de l’architecte Edwin Lutyens, ne fut pas contrariée dans sa vocation précoce de devenir compositrice. Elle étudia d’abord à l’École normale de musique de Paris puis, après un séjour aux Indes, poursuivit sa formation entre 1926 et 1930 au Royal College of Music de Londres. D’abord mariée à un chanteur, elle épousa en secondes noces le chef d’orchestre Edward Clark, disciple de Schoenberg. Elle admirait l’œuvre de Purcell, mais connaissait aussi la technique sérielle comme le montre son premier Concerto de chambre (1939) ; par ailleurs sensible à l’écriture de Debussy, elle ne reniera pas le lyrisme post-romantique. Elle cherche avant tout à ce que son langage corresponde à sa liberté de pensée. En 1946, sa cantate Ô saisons ! Ô châteaux ! (d’après Rimbaud) use du système sériel, tandis qu’en 1955, Music for orchestra I se ressent du courant expressionniste. L’articulation du discours dans le caractère classique ne lui est pas étrangère non plus. Ainsi pour le Quintette à vents (1960) ou The Valley of Hatsu-se (1965), sur des poèmes japonais, ou And Suddenly It’s Evening. Dans l’abondant catalogue d’E. Lutyens, la plus grande part est représentée par des œuvres dont la formation est très diversifiée, mêlant cordes et bois, incluant souvent des voix solistes ou chorales. Y figurent aussi opéras, drame lyrique et musique de scène.
Pierrette GERMAIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
LUTZ, Bertha [SÃO PAULO 1894 - RIO DE JANEIRO 1976]
Femme politique, scientifique et féministe brésilienne.
L’une des pionnières du mouvement des femmes au Brésil, Bertha Lutz découvre les mouvements suffragistes d’Europe et des États-Unis alors qu’elle étudie les sciences naturelles à l’université de la Sorbonne à Paris. De retour au Brésil en 1918, elle étudie le droit à l’université fédérale de Rio de Janeiro, puis réussit le concours d’entrée au Musée national. Elle y conduit des recherches en zoologie et découvre de nouvelles espèces vivantes. Lorsqu’elle prend la direction du Département d’histoire naturelle, elle est la deuxième femme – après Maria José Rabelo Castro Mende au ministère des Relations extérieures – à obtenir un poste de direction dans une institution publique. Combattante inlassable pour les droits des femmes, elle s’engage dans le mouvement suffragiste et crée en 1919 la Ligue pour l’émancipation intellectuelle de la femme. En 1922, déléguée du Brésil à la Conférence panaméricaine des femmes aux États-Unis, convaincue de la nécessité d’unir les différents groupes de femmes pour aboutir au succès, elle fait partie des cofondatrices de la Fédération brésilienne pour le progrès féminin (FBPF). En 1933, elle participe aux travaux de la Commission pour la révision de la Constitution, qui aboutissent à l’obtention par les Brésiliennes du droit de voter et d’être élues. Elle occupe, comme suppléante, un siège de députée fédérale à partir de 1936, et mène un vigoureux combat législatif pour l’amélioration des conditions de travail des femmes et des enfants. Elle défend l’égalité salariale, les congés maternité pour les femmes enceintes et la réduction de la journée de travail. En 1945, elle est déléguée par le Brésil à la Conférence de San Fransciso (États-Unis) au cours de laquelle les représentants des États membres signent la charte fondatrice de l’Organisation des Nations unies (Onu). Trente ans plus tard, à Mexico, elle fait partie de la délégation à la première Conférence de l’Onu faisant de 1975 l’Année internationale de la femme.
Yvette ORENGO
■ SCHUMAHER S., VITAL BRAZIL E. (dir.), Dicionário Mulheres do Brasil de 1500 até a Atualidade, Rio de Janeiro, J. Zahar Editor, 2000.
LUU, Jane [SUD-VIETNAM 1963]
Astronome vietnamienne.
Avec l’aide de son père, traducteur pour l’armée américaine, Jane Luu apprend très tôt plusieurs langues. Après la chute du gouvernement sud-vietnamien, elle émigre avec sa famille aux États-Unis dans l’État du Kentucky. Une visite au Jet Propulsion Laboratory lui donne envie de se lancer dans l’astronomie : elle fait ses études à l’université de Stanford et obtient son diplôme en 1984. Elle travaille ensuite à l’université de Californie à Berkeley où elle identifie avec David C. Jewitt le premier objet de la ceinture de Kuiper, (15760) 1992 QB1, grâce à des observations réalisées avec le télescope de 2,2 mètres de l’université d’Hawaii au sommet du Mauna Kea. C’est le premier objet transneptunien découvert après Pluton et Charon. La Société astronomique américaine décerne à la jeune astronome le prix Annie-Jump-Cannon en 1991 ; l’année suivante, elle bénéficie d’une bourse de l’université de Californie et l’astéroïde 5430 Luu est baptisé en son honneur. Après son doctorat, J. Luu travaille à l’université d’Harvard, puis enseigne à l’université de Leyde aux Pays-Bas. À son retour aux États-Unis, elle occupe un poste d’ingénieure chargée du développement d’instrumentation au laboratoire Lincoln du Massachusetts Institute of Technology. En décembre 2004, J. Luu et D. C. Jewitt découvrent de l’eau sous forme de cristaux dans l’astéroïde Quaoar, qui est à l’époque le plus grand objet connu de la ceinture de Kuiper, ainsi que des traces d’hydrate d’ammonium. Selon leur interprétation, la glace s’est formée en sous-sol et s’est retrouvée à la surface de l’astéroïde, par l’effet d’une collision avec un autre astéroïde, pouvant s’être produite quelques millions d’années auparavant. Par ailleurs, l’astronome contribue à la découverte d’une vingtaine d’astéroïdes.
Florence DURRET
■ BARTUSIAK M., « The remarkable odyssey of Jane Luu », in Astronomy, no 46, fév. 1996.
LUXEMBURG, Rosa (ou LUXEMBOURG) [ZAMOŚĆ, POLOGNE RUSSE 1871 - BERLIN 1919]
Économiste et militante socialiste révolutionnaire allemande.
Issue d’une famille de commerçants juifs aisés, Rosa Luxemburg milite dans les rangs du socialisme dès l’âge de 16 ans. En 1889, face à la montée de l’antisémitisme en Pologne, elle part à Zurich où se trouvent de nombreux exilés politiques européens. Une rencontre décisive avec Léo Zogiches la conduit vers des études d’économie, de droit et de philosophie. Sa thèse, qu’elle soutient en 1897, porte sur le développement industriel de la Pologne. Elle contracte un mariage blanc pour acquérir la nationalité allemande et s’établir en Allemagne. Elle rejoint le parti social-démocrate (SPD), parti dominant du socialisme européen. Ses multiples conférences et articles l’imposent – avec Rudolf Hilferding, médecin autrichien devenu la figure centrale de l’austro-marxisme – comme l’économiste de référence du parti. Tous deux identifient deux événements économiques majeurs depuis la mort de Marx : le développement du crédit bancaire et le colonialisme. Le SPD ayant adopté le marxisme comme doctrine officielle, ses théoriciens doivent élaborer des analyses conformes à son cadre intellectuel, notamment la thèse de la « baisse tendancielle du taux de profit », tout en les adaptant à la réalité des débuts du XXe siècle. Selon le marxisme, le profit finançant l’investissement provient de la récupération, par les capitalistes, d’une partie du travail des ouvriers : c’est l’exploitation des travailleurs, l’« aliénation du travail ». Plus il y a d’ouvriers dans une usine, plus il y a de possibilités d’exploitation et de profit. Or, poussées par la concurrence, les entreprises accumulent les machines pour mobiliser de moins en moins d’ouvriers. Leurs possibilités d’exploitation et de réalisation de profit diminuent, provoquant la fameuse « baisse tendancielle du taux de profit ». Marxiste cohérente, R. Luxemburg considère que la dynamique historique du capitalisme est la succession des tentatives visant à échapper à ce mécanisme inexorable, tentatives parmi lesquelles figurent l’invention du crédit et le colonialisme : le crédit finance les investissements que le profit en recul relatif ne peut assumer ; la colonisation fournit une main-d’œuvre facile à exploiter. L’une de ses originalités est qu’elle complète cette vision par une approche particulière de l’investissement, qui sera celle des keynésiens de gauche. Dans son livre majeur, L’Accumulation du capital, paru en 1913, elle définit également l’investissement comme une composante de la demande. Il garantit l’équilibre offre-demande en fournissant instantanément un débouché aux producteurs de biens d’équipement. Susceptible de créer une offre et une demande, il est l’élément central de l’économie. Son influence est cependant complexe, car il modifie l’offre à long terme et la demande à court terme. R. Luxemburg conclut que le capitalisme porte en lui, parmi ses contradictions, un manque structurel de demande, source de déflation, de baisse des salaires et, in fine, de révolte ouvrière. S’il permet d’éviter celle-ci, en fournissant de la main-d’œuvre à exploiter et des clients, le recours aux colonies ne fait que différer l’apparition du déséquilibre, de la surproduction et de la crise ultime du capitalisme. Avec Clara Zetkin*, à laquelle elle est liée par une grande amitié, elle lutte également pour les droits des femmes. Ensemble, elles fondent dès 1907 l’Internationale socialiste des femmes. Trois ans plus tard, à Copenhague, lors d’une conférence de cette organisation, elles lancent un appel pour que le 8 mars devienne une journée internationale de célébration des luttes des femmes. Les représentantes des 17 pays participants adoptent leur proposition à l’unanimité. Dans son abondante correspondance, avec ses amies Louise Kautsky, Sonia Liebknecht, Mathilde Jacob et C. Zetkin, elle exprime son goût du bonheur, son refus de l’injustice et un pacifisme sans compromis. Fin 1913, alors qu’elle est déjà condamnée à une peine de prison pour son hostilité au nationalisme guerrier, elle constitue – avec notamment C. Zetkin, K. Liebnecht, L. Jogiches –, un groupe qui deviendra la Ligue spartakiste. En 1914, le groupe adresse à plus de 300 dirigeants du SPD un appel contre le vote de crédits militaires. En 1917, la Ligue spartakiste et tous les socialistes opposés à la guerre sont exclus du SPD. R. Luxemburg est libérée de prison en 1918, à la faveur de la révolution allemande. La Ligue spartakiste prône alors une radicalisation de la révolution, avec l’accès au pouvoir des conseils d’ouvriers et de soldats qui se sont constitués lors de la révolte populaire. Hostile à une insurrection armée, elle fait inscrire dans le programme de la Ligue la condamnation de toute pratique terroriste. Mais la tension politique avec le gouvernement du SPD, favorable à une transition politique modérée, est extrême. Le soulèvement spartakiste, que R. Luxembourg jugeait pour sa part prématuré, échoue ; l’insurrection est brutalement écrasée. Le 14 janvier 1919, elle fait paraître son dernier article, « L’ordre règne à Berlin ». Arrêtée le lendemain, elle est exécutée d’une balle dans la tête et son cadavre est jeté dans un canal. Née à la veille de la Commune de Paris, elle est assassinée avec la Commune de Berlin. Femme libre et engagée, elle écrivait dans une lettre à Sonia Liebknecht : « J’espère mourir à mon poste dans une bataille de rues ou dans un pénitencier. Mais, dans mon for intérieur, j’appartiens plus aux mésanges qu’à mes camarades ».
Jean-Marc DANIEL
■ Réforme sociale ou révolution ? (Sozialreform oder Revolution, 1898), Paris, ESI, « bibliothèque marxiste » n° 15, 1932 ; Introduction à l’économie politique (Einfürhung in die Nationalökonomie, s.d.), Marseille, Algone/Smolny, 2009 ; Marxisme contre dictature, Paris, Cahiers Spartacus, 1974 ; L’État bourgeois et la révolution, Paris, La Brèche, 1978 ; La Crise de la social-démocratie, Paris, Amis de Spartacus, 1994.
■ AUDET E., Le Cœur pensant – Courtepointe de l’amitié entre femmes, Québec, Loup de Gouttière, 2000.
LÜYI VOIR SU XUELIN
LUYIN (HUANG SHUYI, dite) [MINGHOU, FUJIAN 1898 - SHANGHAI 1934]
Écrivaine chinoise.
Après la mort de son père en 1903, Luyin vit à Pékin chez son oncle maternel. Elle travaille longtemps comme enseignante de chinois. En 1925, elle publie son premier recueil de nouvelles, Haibin guren (« les anciens amis du bord de mer »). Vers la fin des années 1930, Linghai chaoxi (« les vagues de l’océan de l’âme », 1926) et Man Li (1928) sont marqués par les deuils successifs qui la frappent. Après un court séjour à Tokyo avec son époux, elle fait paraître Dongjing xiaopin (« brefs récits de Tokyo », 1930). Elle meurt lors d’un accouchement, à l’âge de 36 ans. Elle fait partie des 18 écrivaines les plus importantes de la Chine moderne. Son pseudonyme Luyin signifie « ermite » ou « cacher sa véritable identité ». Pessimiste dotée d’une grande sensibilité, elle s’est créé un univers très personnel, où « la vie est plus insaisissable que les rêves », et où elle traduit explicitement son désarroi. Elle brosse des portraits de héros qui ne trouvent aucune issue au sein de la société et marchent vers leur fin de vie, sous le poids d’un désespoir abyssal. Ses romans empruntent volontiers la forme du journal intime ou de la correspondance. L’un des plus célèbres, Renjian tiantang (« le paradis sur terre », 1930), a été considéré comme « un beau poème utopiste et mystérieux ». Son style naturel et sentimental se retrouve aussi dans ses essais, tout aussi réputés.
DONG QIANG
■ Luyin zizhuan, Shanghai, Diyi chubanshe, 1934.
■ DOOLING A. D., TORGESON K. M., Writing Women in Modern China, New York, Columbia University Press, 1997 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxue shihua, Tianjin, Baihua wenyi, 1984.
■ SU X., « Guanyu Luyin de huiyi », in Zhongguo ersanshi niandai zuojia 1920-1930, Taipei, Chunwenxue, 1983.
LUZ ALBA VOIR BONIFANT, Cube
LUŽINA, Jelena [DUBROVNIK 1950]
Théoricienne du théâtre et écrivaine macédonienne.
C’est durant l’année de la naissance de l’un des plus importants festivals de théâtre européens, les Jeux d’été de Dubrovnik, que Jelena Lužina a vu le jour. Dès son plus jeune âge, elle a assisté aux représentations de Hamlet sur les remparts de la forteresse Lovrijenac, devant les fenêtres de sa maison natale. Elle avait à peine 5 ans lorsque ses parents l’ont emmenée voir Iphigénie en Tauride, dans le parc Gradac, où elle fut bouleversée par l’apparition de la célèbre actrice yougoslave Marija Crnobori. Elle ne deviendra pas actrice, mais l’une des meilleures théoriciennes de théâtre de l’espace ex-yougoslave. D’origine croate, elle vit et travaille à Skopje où elle enseigne à la faculté d’art dramatique. Elle y a fondé un institut de théâtrologie qu’elle dirige depuis de nombreuses années. Elle a réalisé une quinzaine de projets dont celui de la numérisation des données théâtrales, puis Rečnik na teatarska terminologija (« dictionnaire de la terminologie théâtrale », sur Internet) et Enciklopedija na teatarot vo Makedonija (« l’encyclopédie du théâtre en Macédoine », 2002). Elle a participé à une centaine de congrès, dont un tiers à l’étranger. Elle est l’auteure d’une trentaine de recueils, d’anthologies et de monographies, dont celles consacrées à Eugène Ionesco et Samuel Beckett. Sans parler des 300 articles, essais et critiques de théâtre et de littérature publiés dans la presse. J. Lužina a publié neuf ouvrages d’auteure. Elle est membre de l’Association des écrivains de Macédoine (2002), ainsi que du Pen Club macédonien.
Maria BÉJANOVSKA