HOPPE, Marianne [ROSTOCK 1909 - SIEGSDORF, BAVIÈRE 2002]

Actrice allemande.

Après des cours d’art dramatique avec la comédienne Lucie Höflich, Marianne Paula Henni Gertrud Hoppe poursuit sa formation avec Max Reinhardt au Deutsche Theater de Berlin en 1928 où elle entame sa carrière. Suivent des engagements à Francfort et à Munich. En 1933, elle inaugure sa carrière d’actrice de cinéma dans Der Judas von Tirol réalisé par Franz Osten. En 1935, elle est engagée à Berlin sous la direction de Gustaf Gründgens, qu’elle épouse en 1936 afin de masquer l’homosexualité de ce dernier et d’échapper aux persécutions du régime nazi. Très rapidement, elle s’impose comme la star de la société de production Universum Film AG, devient une des actrices préférées des nazis et tourne des films de propagande. À la fin de la guerre, elle est arrêtée et emprisonnée. En 1946, après avoir divorcé, elle quitte Berlin pour la Bavière. Par la suite, elle travaille notamment à Düsseldorf, Hambourg, Bochum et Francfort. Couronnée meilleure actrice en 1974 pour le rôle de la mère dans le film Faux mouvement de Wim Wenders, elle poursuit sa carrière à Vienne et au Berliner Ensemble, où elle joue, entre autres rôles, la Merteuil dans Quartett de Heiner Müller, mis en scène par l’auteur. Elle remplace Bernhard Minetti dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui, dernière mise en scène d’Heiner Müller au Berliner Ensemble. Le film Die Königin-Marianne Hoppe (Werner Schroeter) retrace sa vie et met en évidence ses ambivalences artistico-politiques. Sa puissante présence scénique et son jeu sont caractérisés par un savant mélange de retenue émotionnelle, d’intelligence et de subtilité psychologique.

Angela KONRAD

KOHSE P., Marianne Hoppe, Eine Biographie, Berlin, Ullstein, 2001 ; STERN C., Auf den Wassern des Lebens, Gustaf Gründgens und Marianne Hoppe, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 2005.

HOPPER, Grace (née MURRAY) [NEW YORK 1906 - ARLINGTON 1992]

Informaticienne américaine.

Petite fille, Grace Brewster Murray adore les montres et réveils, et aime aussi les démonter. Entrée à Yale après une licence en mathématiques et physique, elle y décroche un master à 23 ans puis un doctorat en 1934. En 1930, elle épouse Vincent Hopper (dont elle divorcera en 1945). Elle enseigne au Vassar College. Avec l’entrée en guerre des États-Unis en 1943, G. Hopper décide de rejoindre la Navy. Elle intègre la Midshipman’s School, école militaire pour les femmes, et sort major de sa promotion. Sa première affectation l’amène à travailler sur le Mark I de l’université Harvard, le premier ordinateur numérique. En 1949, elle rejoint l’équipe d’Eckert et Mauchly pour travailler sur le Binary Automatic Computer (Binac), qui donnera naissance aux premiers ordinateurs commerciaux, les Univac I et II. G. Hopper est convaincue que les ordinateurs pourraient toucher un large public, avec des procédures plus « conviviales » en termes de programmation et d’applications. Un pas décisif est franchi quand elle écrit un premier compilateur, le A-0, permettant de passer du binaire à un langage mathématique symbolique. Elle suggère que l’Univac pourrait être programmé pour reconnaître des commandes en anglais mais suscite l’hilarité de ses collègues. Elle développe tout de même Flow-Matic, un langage compilé permettant d’effectuer des paies et facturations, capable de comprendre 20 commandes en anglais. Il devient alors évident que l’informatique de gestion a besoin d’un langage universel et standardisé. L’équipe de G. Hopper écrit les premières spécifications pour le Cobol, qui deviendra le langage de programmation de l’informatique de gestion pour les cinquante années suivantes. En 1986, à 80 ans, elle prend officiellement sa retraite lors d’une cérémonie sur le pont de l’USS Constitution. Elle est alors l’officier en service actif le plus âgé. En sa mémoire, Anita Borg* et Telle Whitney fondent en 1994 l’Institut Grace Hopper pour la promotion des femmes dans la recherche ou l’industrie de l’informatique.

Isabelle COLLET

BILLINGS C., Grace Hopper : Navy Admiral and Computer Pioneer, New Jersey, Enslow Publishers, 1989 ; COLLET I., L’informatique a-t-elle un sexe ? Hacker, mythe et réalité, Paris, L’Harmattan, 2006 ; NORMAN R., Grace Murray Hopper, Biographies of Women Mathematicians, Decatur, Agnes Scott College, 2001.

HOPPER, Nora (épouse CHESSON) [EXETER 1871 - LONDRES 1906]

Poétesse et écrivaine britannique.

Née d’un père irlandais capitaine d’infanterie au Bengale et d’une mère galloise, Nora Hopper est emmenée à Londres par sa mère à la mort de son père. Très tôt, elle collabore à de nombreuses revues littéraires. En 1894, elle donne des poèmes et une nouvelle au Yellow Book, revue créée par Aubrey Beardsley, et publie un recueil de textes inspirés des mythes du folklore irlandais, Ballads in Prose. Ce recueil est remarqué, salué et admiré par Katharine Tynan*, et W.B. Yeats se dit hanté par ces « étranges histoires et petits poèmes semblables à des oiseaux ». Elle publie Aquamarine (1902), des contes et nouvelles (Old Fairy Legends in New Colours, 1903), quelques romans (The Bell and the Arrow, « la cloche et la flèche », 1905), ou un livret d’opéra (The Sea Swan, « le cygne sur la mer ») avec George Moore. L’univers des légendes celtiques est omniprésent dans ses écrits, avec quelques incursions dans la mythologie grecque. En 1901, elle se marie avec Hugh Chesson, un écrivain, dont elle a trois enfants. Elle joue un grand rôle dans la notoriété du groupe The Celtic Twilight (« le crépuscule celtique »).

Michel REMY

HORÁKOVÁ, Milada [PRAGUE 1901 - ID. 1950]

Femme politique et militante féministe tchèque.

Née dans une famille de la bourgeoisie tchèque, Milada Horáková adopte très jeune des positions anti-autrichiennes qui lui valent d’être renvoyée du collège de Letna. Elle achève ses études après l’indépendance du pays en 1918 à la faculté de droit de l’Université Charles. Elle y croise de nouveau Františka Plamínková*, cofondatrice du Club tchèque des femmes et qui fut sa professeure à Letna. Sous son influence, M. Horáková adhère en 1927 au Parti socialiste-national, dont les positions sont patriotiques et progressistes. Une fois diplômée, elle intègre le département des affaires sociales de la municipalité de Prague, où elle s’attache à développer une politique sociale à l’attention des femmes, dans des conditions défavorables dues à la crise économique qui, au début des années 1930, frappe à son tour la Tchécoslovaquie. Ce contexte justifie son implication croissante au sein du Conseil national des femmes, fondé en 1923 par F. Plamínková afin de traduire dans la réalité l’égalité des sexes proclamée par la Constitution de 1920. M. Horáková en devient la secrétaire générale et participe alors à la fondation d’un comité qui porte assistance aux dizaines de milliers de réfugiés ayant fui la région des Sudètes annexée après les Accords de Munich. Peu après l’occupation de la Tchécoslovaquie, en mars 1939, elle et son époux rejoignent un groupe clandestin décidé à agir contre le régime de protectorat imposé par les nazis. Toutefois, c’est à son engagement féministe qu’elle doit son arrestation par la Gestapo, le 2 août 1940. Elle est condamnée en 1944 à huit ans de prison par un tribunal de Dresde. Libérée en mai 1945, elle fonde un Conseil des femmes tchécoslovaques et s’attelle à la reconstitution du Parti socialiste-national. Puis elle siège au sein de l’Assemblée nationale où elle contribue à la réforme des politiques sociales avec l’appui des communistes. Cependant, après le coup de force de ces derniers en février 1948, M. Horáková renonce à son mandat de députée en signe de protestation. Quelques jours plus tard, le scénario se répète au sein du Conseil des femmes tchécoslovaques où les communistes ont fait de l’entrisme, et elle en perd la présidence au profit d’une des leurs. Courant 1949, l’organisation est démantelée, et comme dix ans plus tôt, M. Horáková s’efforce de prolonger son engagement politique et social dans la clandestinité. Ses efforts lui valent une nouvelle arrestation en septembre 1949 et nourrissent le procès monté de toutes pièces contre elle et 12 coaccusés, dont la féministe Fraňa Zemínová*. Le 8 mai 1950, une cour spéciale la déclare coupable « d’atteinte à l’indépendance de la République et à ses fondements démocratiques et populaires ». Lors des grands procès de l’ère stalinienne en Tchécoslovaquie, elle sera la première et unique femme condamnée à mort et exécutée, le 27 juin 1950, en dépit des demandes de grâce formulées entre autres par Albert Einstein. Les minutes et le film du procès, découverts dans leur intégralité en 2005, de même que les lettres adressées à sa famille à la veille de son supplice, rappellent qu’au cours de cette période, M. Horáková fut l’une des très rares accusés à se défendre pied à pied contre ses procureurs. Jusqu’à ce jour, l’effort de réhabilitation entrepris en sa faveur continue de négliger l’ampleur de son engagement féministe, pourtant à l’origine de sa persécution par les deux grands totalitarismes du siècle.

Maxime FOREST

HORE, María Gertrudis [CADIX 1742 - ID. 1801]

Poétesse espagnole.

Éduquée par des parents d’origine irlandaise dans l’atmosphère cosmopolite du milieu libertin de Cadix, María Gertrudis Hore assiste à des réunions littéraires à Madrid et à Cadix. Ses poèmes sont publiés dans le Correo de Madrid et le Semanario de Cartagena. À 19 ans, elle épouse Esteban Fleming, avec qui elle aura un enfant. En l’absence de son mari, parti en voyage, elle noue une liaison, qui provoque la rupture du mariage. Elle décide alors de se retirer dans un couvent cloîtré. Néanmoins, étant mariée, elle ne peut entrer dans les ordres sans l’autorisation de son époux ; dans cette longue attente, elle suit une préparation à la vie conventuelle. Ce parcours inhabituel suscite de nombreuses questions sur sa vie privée, restées sans réponse, faute d’informations sur sa biographie. Son œuvre lyrique, conservée sous forme manuscrite dans le couvent Santa María de Cadix, puis publié en 2007 dans l’ouvrage de Frédérique Morand, Una poetisa en busca de libertad María Gertrudis Hore, 1724-1801 (« une poétesse en quête de liberté »), laisse entrevoir ce qu’elle a vécu. Sa production littéraire est double : d’une part, une poésie classique, profane, qui alerte les femmes sur les infidélités et les désillusions qui les attendent, fruit de son expérience dans les cénacles madrilènes, et dans laquelle elle met en évidence l’infériorisation des femmes (Aviso a una joven que va a salir al mundo, « avertissement à une jeune fille qui va sortir dans le monde ») ; d’autre part, une poésie religieuse, qu’elle cultive au couvent et dont font partie Novena al Jesús de la Esperanza (« neuvaine à Jésus de l’Espérance », 1778), recueil de plusieurs sonnets qui reflètent sa situation, ses inquiétudes, ses états d’âme par rapport à la vie en communauté, après une vie mondaine, et Traducción del hymno Stabat Mater (« traduction de l’hymne Stabat Mater »), publiée entre 1787 et 1789.

Concepció CANUT

MORAND F., Doña María Gertudis Hore (1742-1801), vivencia de una poetisa gaditana entre el siglo y la clausura, Alcalà de Henares, Ayuntamiento de Alcalà, 2003 ; SERRANO Y SANZ M., Apuntes para una biblioteca de escritoras españolas desde el año 1401 al 1833, Madrid, BAE, Atlas, 1975.

HOREM, Élisabeth [BOURGES 1955]

Écrivaine franco-suisse.

Après des études de lettres classiques à la Sorbonne et à l’Inalco (Paris), Élisabeth Horem a séjourné dans plusieurs pays du Proche-Orient ainsi qu’à Moscou, Berne, Prague, Bagdad et Damas. L’atmosphère d’étrangeté et de mystère de son premier roman, Le Ring (1994, prix Michel-Dentan 1995), se retrouve dans Congo-Océan (1996), qui a pour cadre géographique un port imaginaire d’Afrique, tout comme dans Le Fil espagnol (1998) et Le Chant du bosco (2002), où sont décrits des pays sans nom, opprimés par la dictature. Son écriture sobre et incisive trace le destin, souvent étouffant ou absurde, de personnages complexes, en proie à un malaise existentiel diffus. De ses années passées à Bagdad entre 2003 et 2006, elle a tiré un recueil de nouvelles, Mauvaises rencontres (2006) ainsi que Shrapnels (2005) et Un jardin à Bagdad (2007), carnets de bord d’une expatriée.

Anne-Lise DELACRETAZ

FRANCILLON R. (dir.), Histoire de la littérature en Suisse romande, vol. 4, Lausanne, Payot, 1999.

HORN, Rebecca [MICHELSTADT 1944]

Sculptrice, performeuse et vidéaste allemande.

Après de brèves études de philosophie et d’économie, Rebecca Horn entre à la Hochschule für Bildende Künste (« académie des beaux-arts ») de Hambourg en 1963. À partir de 1967, elle commence à réaliser de grandes sculptures en résine polyester. À la suite d’une intoxication pulmonaire liée à cette résine, elle est confrontée à l’univers médical et à ses appareillages : « Toutes mes premières performances viennent de cette expérience. » En réaction à l’isolement forcé de la convalescence, l’artiste conçoit des œuvres qui favorisent la communication avec les autres, notamment à travers le corps devenu naturellement l’enjeu central du chemin vers la guérison. En 1971, elle poursuit sa formation à la Saint Martins School of Art de Londres. En 1974, elle enseigne à l’université de San Diego et, depuis 1989, à l’université des arts plastiques de Berlin. Überströmer (« machine de sang débordant », 1970) reflète des préoccupations anatomiques de circonstance ; l’installation El rio de la luna (« la rivière de la lune », 1992) montre des veines de plomb traversées de mercure. À la fin des années 1960 s’amorce une abondante série de sculptures corporelles liées à des performances : des extensions du corps en tissu. Avec Arms extensions (« extensions des bras », 1968), le corps est contraint par des prothèses handicapantes. Cornucopia, seance for two breasts (« corne d’abondance, séance pour deux seins », 1970) relie les seins à la bouche, suggérant une forme d’auto-allaitement. Dans le même esprit, l’artiste conçoit la célèbre performance filmée Einhorn (« licorne », 1971), où la silhouette élancée à la démarche gracieuse d’une étudiante est prolongée par une haute corne blanche soutenue par une sorte de corset de bandages. D’autres œuvres articulées s’attachent à créer une seconde peau protectrice, voire un cocon qui double la prison corporelle, soulignant l’isolement, la séparation de l’objet de désir comme Weißer Körperfächer (« éventail blanc pour corps », 1972). Les machines de R. Horn constituent une suite logique de l’œuvre après les extensions corporelles. Ses sculptures cinétiques qui se déploient dans l’espace sous la forme d’installations se détachent du corps pour mimer ses mouvements et les passions humaines. Elles ne s’imposent pas par leur puissance mais par la poésie de leur mécanique, dont la précision fascinante contraste avec le dérèglement fou de leur mouvement frénétique. La performeuse a également réalisé plusieurs films, moyens et longs-métrages, qui utilisent ses œuvres comme éléments ou protagonistes, impliquant une parfaite continuité avec ses installations. Elle a reçu de très nombreuses distinctions pour son œuvre, notamment le Document-Preis (1986), le Carnegie Prize (1988) et le Barnett and Annalee Newman Award (New York, 2004). Elle vit et travaille à Paris et à Berlin.

Raphaël CUIR

Rebecca Horn, lumière en prison dans le ventre de la baleine (catalogue d’exposition), Roubaud J. (dir.), Ostfildern, Hatje Cantz, 2003 ; Rebecca Horn, Drawings, Sculptures, Installations, 1964-2004 (catalogue d’exposition), Ostfildern, Hatje Cantz, 2006 ; Rebecca Horn, Cosmic Maps (catalogue d’exposition), New York/Milan, Sean Kelly Gallery/Charta, 2008.

HORN, Roni [NEW YORK 1955]

Artiste visuelle et écrivaine américaine.

Cette artiste singulière s’est d’abord fait connaître dans les années 1990 par des bâtons carrés en aluminium, sur lesquels étaient gravées des phrases, puis par des blocs de verre bleu ou transparent, posés au sol, ou encore par ce qu’elle appelle l’Asphere (1988-2001), une sorte de boule en acier, pas totalement ronde. Bien que d’obédience formaliste et minimaliste, ces œuvres sont déjà chargées d’un contenu poétique et symbolique. Parallèlement, Roni Horn réalise des séries de photographies sur des vestiaires de piscine (Ellipsis, 1998), des portraits de femmes, des chouettes (Dead Owl, « chouette morte », 1997), des clowns. Une autre partie de son travail est consacrée à de grands dessins, composés de signes bleus ou rouges, fragments de traits éclatés, incisés sur des feuilles de papier blanc. Cette œuvre inclassable par l’hybridité de ses médiums, la dualité figuration-abstraction, texte-image, est révélatrice de sa position artistique, qui tente de rendre compte de ses émotions devant la nature, le paysage et le temps. Depuis 1975, elle séjourne régulièrement en Islande, habitant dans une petite cabane rudimentaire de ramasseurs de plumes de canards sauvages, et photographie ses hôtes, les volcans, la mer. Cette île sauvage et mystérieuse entre volcans et glaciers, avec ses sources d’eau chaude, exerce une influence déterminante sur sa démarche créatrice et donne naissance à une série de livres en neuf volumes, Island : To Place (1990-2006). L’eau est un composant essentiel de sa démarche ; on la retrouve dans la série des photographies de la Tamise, The River Thames (1999), mais aussi dans les blocs de verre qui semblent contenir l’élément liquide. R. Horn est également connue pour une série de portraits d’une amie, You Are the Weather (1994-1995), qui tente de saisir, par un gros plan sur son visage, la variété des sentiments, des humeurs, et le passage du temps ; elle fait aussi le portrait d’Isabelle Huppert* (Portrait of an Image [with Isabelle Huppert], 2005), titre qui indique bien son rapport au modèle. Son travail est hanté par la question de la dualité, du dédoublement, de l’identité et de la différence. Elle s’adresse à l’expérience du spectateur qui, pour elle, fait partie intégrante de l’image. Son œuvre a fait l’objet, en 2009, d’une rétrospective à la Tate Modern de Londres, avant d’être présentée à la fondation Lambert d’Avignon.

Marie-Laure BERNADAC

Events of Relation (catalogue d’exposition), Bernadac M.-L. (textes), Paris, Paris musées, 1999 ; Roni Horn aka Roni Horn (catalogue d’exposition), New York/Göttingen, Whitney Museum of American Art/Steidl, 2009 ; Roni Horn (catalogue d’exposition), Paris, Phébus, 2009.

HORN, Shirley [WASHINGTON DC 1934 - ID. 2005]

Chanteuse et pianiste de jazz américaine.

Shirley Horn fonde un trio dans les années 1950. Elle joue du piano, chante et gère un club à Washington. Les stars du jazz du début des années 1960 tombent sous son charme : John Lewis, le pianiste du Modern Jazz Quartet, Quincy Jones et Miles Davis l’adorent. « Quand j’ai franchi le seuil de sa maison », dira-t-elle en parlant du trompettiste, « ses gamins chantaient les chansons de mon premier album. Cela a été le début d’une formidable période de partage pour moi. Il était comme un oncle très protecteur. » S. Horn profite du génie de Quincy Jones, enregistre avec lui des albums brillants, dont Shirley Horn with Horns en 1963. Elle impose son style, entre comédie musicale et chant à dominante religieuse. On retiendra Forget Me, dans son disque-testament, May the Music Never End, enregistré en 2003 avec des musiciens prestigieux comme le pianiste Ahmad Jamal et le trompettiste Roy Hargrove.

Stéphane KOECHLIN

Live at the Village Vanguard, Classic, 1961 ; Embers and Ashes, Hi-Life, 1961 ; Shirley Horn with Horns, Mercury, 1963 ; All Night Long, SteepleChase, 1981 ; Softly, Audiophile, 1987.

HORNBORG, Signe [TURKU 1862 - HELSINKI 1916]

Architecte finlandaise.

Première Finlandaise architecte et parmi les premières femmes à faire des études professionnelles d’architecture en Europe, Signe Hornborg a débuté comme stagiaire à l’agence d’architecture de la Ville d’Helsinki avant d’être admise à l’université de technologie de la capitale finlandaise. En 1890, après trois années d’études, elle devient architecte. Elle a travaillé dans les agences d’Elia Heikel, de Lars Sonck, et a réalisé quelques projets privés, comme la caserne des pompiers de Hamina et une maison pour Nervander à Pori, dont elle a dirigé la construction, fait exceptionnel à l’époque. Les projets confiés aux femmes sont alors souvent de type social, et elle se voit confier la conception des ateliers dessinés pour les enfants pauvres, le Lasten työhuone, à Helsinki. Elle a également dessiné les façades d’un immeuble d’Helsinki qui sera plus tard démoli. Malgré sa production modeste, elle fut un exemple pour les générations suivantes par son statut de première femme architecte en Finlande.

Anna AUTIO

SUOMINEN-KOKKONEN R., The Fringe of a Profession : Women as Architects in Finland from the 1890s to the 1950s, Helsinki, Suomen Muinaismuistoyhdistyksen Aikakauskirja, 1992.

HORNE, Marilyn [BRADFORD 1929]

Mezzo-soprano américaine.

Marilyn Horne s’est imposée dans des rôles réclamant un son ample, un timbre flamboyant, un souffle hors norme et une souplesse exceptionnelle dans l’exécution des coloratures les plus périlleuses. Enfant, elle chante à l’église de la petite communauté californienne où ses parents se sont installés. À 13 ans, elle est membre du nouveau Los Angeles Concert Chorus. Au début des années 1950, elle exploite ses dons d’imitatrice pour enregistrer des covers de chansons à succès de l’époque. En 1954, elle prête sa voix, alors très claire, au personnage central du film Carmen Jones d’Otto Preminger. C’est en soprano qu’elle se produit alors, avant de se rendre en 1958 en Allemagne, où l’appelle un contrat avec l’Opéra civique de Gelsenkirchen. Elle y chante les grands rôles de soprano lyrique : Minnie dans La Fanciulla del West et Mimi de La Bohème de Puccini, Antonia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. En 1960, elle retourne aux États-Unis, mais, sentant ses aigus fléchir, elle travaille son registre grave, et devient mezzo-soprano tout en préservant sa large étendue vocale, jusqu’au contre-ut. La soprano australienne Joan Sutherland* la remarque au cours d’une reprise de Béatrice de Tende, opéra alors méconnu de Bellini. Cette rencontre marque le début d’une longue collaboration entre les deux cantatrices. Le succès de Norma, donnée au Metropolitan Opera de New York en 1964, et celui de Seminaris de Rossini l’année suivante dans ce même théâtre font de ce duo vocal féminin l’un des plus grands de l’histoire de l’art lyrique. M. Horne débute à la Scala de Milan en 1969 dans Le Siège de Corinthe de Rossini. La pleine maturité n’arrive cependant que dans les années 1970, avec Le Prophète de Meyerbeer et son rôle fétiche, Tancrède de Rossini. En 1975, le « Met » reprend pour elle Rinaldo de Haendel. Son triomphe dans cet ouvrage attise l’intérêt du public pour l’opéra baroque. Après Rinaldo, M. Horne est en 1978 Orlando furioso de Vivaldi à Venise dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi, reprise en 1981 à Paris, au Théâtre du Châtelet ; cette production fera le tour du monde jusqu’en 1989. En 1991, elle participe à la création de l’opéra de John Corigliano The Ghosts of Versailles au « Met ». Grâce à la pérennité de son travail et à son timbre reconnaissable entre tous, M. Horne a su réinventer un registre réputé perdu, celui du contralto rossinien. Elle met fin à sa carrière en 1998.

Bruno SERROU

HORNEY, Karen (née DANIELSEN) [EILBECK, ALLEMAGNE 1885 - NEW YORK 1952]

Psychiatre et psychanalyste américaine.

Née près de Hambourg dans une famille protestante, Karen Horney entreprend avec le soutien de sa mère des études de médecine à Fribourg. Après son diplôme en 1913, elle s’oriente vers la psychiatrie. En analyse avec Karl Abraham, puis avec Hanns Sachs, elle participe à la fondation de l’Institut de psychanalyse de Berlin. Jusqu’en 1932, date de son départ vers les États-Unis, elle est l’une des figures dominantes de la psychanalyse berlinoise. Mère de trois filles, c’est « en tant que femme », et à partir de sa clinique, qu’elle est l’une des premières, avec Melanie Klein* à Londres, à mettre en cause l’orthodoxie freudienne sur la sexualité féminine. Dans ses écrits critiques des années 1920, elle note la présence de sensations vaginales précoces chez les petites filles et la connaissance qu’elles auraient très tôt de leur aptitude à procréer. Affirmant que la féminité ne peut être basée sur la seule « envie du pénis », elle souligne que la prépondérance accordée dans la théorie à la différence anatomique entre les sexes se fait au détriment de « l’autre grande différence biologique, c’est-à-dire les rôles différents joués par l’homme et la femme dans la fonction de reproduction ». Elle s’interroge sur l’absence de réflexion sur la maternité alors qu’elle relève chez ses analysants « une envie de grossesse, d’accouchement, de maternité, d’allaitement ». Elle fait l’hypothèse que cette « envie intense de maternité » – qui peut se sublimer dans des œuvres culturelles –, est à l’origine de « la phobie secrète que la femme inspire à l’homme ». Dans son cours « Psychanalyse et gynécologie » (1927), elle s’adresse aux médecins qui considèrent comme « normaux » les troubles de la féminité – frigidité, troubles menstruels, leucorrhées – et attire leur attention sur leur dimension psychique. En 1932, K. Horney part à Chicago, invitée par Franz Alexander à exercer des fonctions de direction dans son institut. Puis elle enseigne à l’Institut psychanalytique de New York. Elle s’éloigne du freudisme et se rapproche du mouvement culturaliste qui rassemble notamment Erich Fromm et Margaret Mead*. Dans son livre La Personnalité névrotique de notre temps (1953), elle insiste sur les déterminants culturels et environnementaux de la personnalité névrotique. Les conflits se multipliant entre les différents courants de la Société new-yorkaise, elle cofonde, en 1941, l’Association for the Advancement of Psychoanalysis.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

La Personnalité névrotique de notre temps (The Neurotic Personality of Our Time, 1937), Paris, L’Arche, 1953 ; L’Auto-analyse (Self-Analysis, 1942), Paris, Stock, 1953 ; La Psychologie de la femme (Feminine Psychology, 1967), Payot, Paris, 1969 ; Journal d’adolescence (The Adolescent Diaries, 1980), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1987 ; Dernières conférences (Final Lectures, 1987), Des femmes-Antoinette Fouque, 1992.

HOROWITZ, Frances (née HOOKER) [LONDRES 1938 - ID. 1983]

Poétesse britannique.

Après avoir étudié à l’université de Bristol et à la Royal Academy of Dramatic Art, Frances Horowitz travaille à la BBC. Sa poésie, influencée par le haïku japonais, s’articule sur les relations entre monde naturel, homme et histoire. Mariée d’abord au poète Michael Horowitz, elle divorce et se remarie avec le poète Roger Garfitt, futur éditeur de ses textes. Elle laisse neuf volumes de poèmes qui ont la clarté et la délicatesse rythmiques des ballades et respirent toute la puissance des mythes. Inspirés par les paysages des Cotswolds et du Pays de Galles, ils disent la voix et l’esprit de la terre plutôt que l’esprit et la voix du temps et se lisent à la jonction du quotidien et des processus cycliques de la nature. Cette fusion de l’humain et du naturel correspond à une profonde spiritualité bouddhiste et taoïste, semblable à celle que l’on trouve chez Kathleen Raine*. Une édition de poèmes choisis paraît après sa disparition (Collected Poems, 1984).

Michel REMY

HORRA, Sandra VÁSQUEZ DE LA [VIÑA DEL MAR 1967]

Dessinatrice et vidéaste chilienne.

Sandra Vásquez de la Horra fréquente très jeune l’Académie des beaux-arts de Valparaiso, puis part à 19 ans à Santiago, où elle participe à Chile Crea, un mouvement d’artistes et d’étudiants en faveur de la démocratie. Après des études de communication visuelle et de design graphique à l’université de sa ville natale, elle émigre en 1995 avec sa famille en Allemagne ; à Düsseldorf, elle fréquente la classe de Jannis Kounellis à la Kunstakademie, puis celle de Rosemarie Trockel*, et complète sa formation à la Kunsthochschule für Medien de Cologne. L’artiste est connue pour son œuvre graphique singulière et empreinte d’humour, foisonnante et particulièrement originale. Ses dessins, tracés sur des feuilles de papier, sont trempés dans de la cire, qui les recouvre d’une patine délicate, assouplissant la ligne, la rendant plus palpable, et donnant à la feuille une dimension matérielle supplémentaire. Très personnelles et imprégnées de références culturelles et artistiques multiples, ces œuvres donnent corps à un univers merveilleux et grotesque, habité de créatures étranges. L’intérêt de l’artiste pour le mythe, la culture populaire et la religion se manifeste dans son travail à travers l’appropriation de personnages d’origines diverses comme Ellegua, divinité de la mythologie yoruba, mais aussi Orphée, saint Sébastien ou saint Antoine. Si ses créations relèvent d’une vision de la vie, de la mort et de la sexualité à la fois subtile, fantasque et pleine d’humour, des résonances politiques y sont parfois suggérées, notamment dans Conspiración (2006) ou Patibulo (« potence », 2006), qui évoquent avec retenue la violence du pouvoir. La présentation de ses dessins, dont chacun constitue une œuvre à lui seul, dans des installations murales de formes et dimensions variables, crée des configurations éphémères, dont la structure narrative est ouverte et ambiguë. En 2009, S. Vásquez de la Horra a été lauréate du Prix de dessin de la fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain à Paris.

Giulia LAMONI

Mitológica (catalogue d’exposition), Düsseldorf, Museum Kunst-Palast, 2008 ; Sandra Vásquez de la Horra, Düsseldorf, Achenbach, 2008 ; Sandra Vásquez de la Horra (catalogue d’exposition), Judin J. (dir.), Ostfildern, Hatje Cantz, 2010.

ERMEN R., « Sandra Vásquez de la Horra », in Kunstforum International, no 198, août-sept. 2009.

HORSKÁ, Pavla [PRAGUE 1927]

Historienne et démographe tchèque.

Après son baccalauréat passé au lycée français de Prague, Pavla Horská poursuit jusqu’en 1951 des études d’histoire et de français à la faculté des Lettres de l’université Charles. Elle obtient son doctorat en 1952 tout en étant en charge de la bibliothèque du séminaire historique de la faculté. Elle est ensuite chercheuse à l’institut d’histoire de l’Académie des sciences tchèque. Elle fait un stage en France en 1966, à l’École pratique des hautes études, auprès d’Ernest Labrousse, et à l’Institut national d’études démographiques, avant un nouveau séjour de 1968 à 1969. Ses travaux sont alors centrés sur l’histoire économique et sociale : après avoir étudié le développement de l’industrie mécanique tchèque au XIXe siècle (1959), elle se penche sur le processus d’électrification de la deuxième révolution industrielle et sur la concentration qui s’opère dans les années 1880-1930 (1965) ; ses travaux sur la société du XIXe siècle culminent avec son ouvrage sur L’Industrialisation capitaliste et la société centre européenne. Contribution à l’étude de la formation de la société industrielle (1970), qui intègre la dimension sociale à la composante économique. Elle travaille à partir de 1964 au sein du conseil de la Société de démographie tchécoslovaque et fait partie de la Commission de démographie historique auprès de l’Union internationale pour l’étude scientifique des populations. En 1967, Josef Macek, directeur de l’Institut d’histoire, lui confie la fondation de la Commission de démographie historique auprès du collège scientifique de l’Académie tchèque des sciences, ainsi que celle du périodique Historická demografie (« démographie historique »). Elle participe alors à plusieurs grandes synthèses collectives sur l’histoire de la famille en Europe (1990), puis sur l’histoire urbaine (2002). Très attachée à la France, elle est directrice associée à l’École des hautes études en sciences sociales en 1990 et se consacre aux relations franco-tchèques avec le petit ouvrage Prague-Paris (1990) et la synthèse Sladká Francie (« douce France », 1996), jalon important de l’histoire des relations bilatérales. P. Horská s’intéresse à l’histoire des femmes et publie Naše prababičky feministky (« nos aïeules féministes », 1999), qui contribue au développement des études sur le genre. Collaborant avec l’institut de sociologie de l’Académie des sciences tchécoslovaque, elle préside la Commission pour la démographie historique et sociale. Elle enseigne à l’université Charles à partir de 1990 et collabore activement avec le Centre français en sciences sociales de Prague.

Antoine MARÈS

Lexikon českých historiků, Prague, Historický ústav AV ČR, 1999.

HORTA, Maria Teresa [LISBONNE 1937]

Poétesse portugaise.

Figure de la poétesse portugaise la plus habitée par son engagement civique dans la lutte pour les droits des femmes, Maria Teresa Horta, également journaliste et directrice de magazines, a agité à plusieurs reprises la scène culturelle nationale, notamment comme coauteure, avec Maria Velho da Costa* et Maria Isabel Barreno*, des Nouvelles lettres portugaises (1971). Son premier livre, Espelho inicial (« miroir initial », 1960), affirme la volonté de dire la surabondance d’un corps de femme, passé sous silence dans la tradition. La poétesse fait naître la langue ignorée de la sensualité au féminin à travers l’exploration de nouvelles expérimentations linguistiques. Participant au mouvement Poésie 61, elle publie en 1961 Tatuagem (« tatouage ») et Cidades submersas (« villes submergées »). En 1962, commence avec Viagem coincidente (« voyage coïncident ») un périple prolifique à travers la littérature portugaise. Le corps traverse toute sa poésie : un corps ailé, des corps d’anges hybrides qui annoncent l’union sexuelle et l’expression poétique de la sexualité dans une énergie délibérément transgressive. Dès Tatuagem se manifeste une poésie fébrile et sensitive. « Fièvre », « plaisir », « corps », « langue » sont des mots qui palpitent à chaque vibration du poème, qui devient une affirmation puissante du devenir, de l’androgynie et de la non-coïncidence. Mais, bien qu’elle ne se dérobe pas à l’intervention dite « féministe », son écriture ne se réduit pas à un mouvement civique ou à une position éthico-normative. Sa poésie témoigne d’une intériorité ajournée en permanence, qui se heurte à l’incapacité de l’affirmation décisive d’elle-même : dans Minha senhora de mim (« ma dame de moi », 1971), elle proclame ainsi la vibration de non-coïncidence, où l’excès devient possible, de la douleur au plaisir, de la rencontre à l’adieu. « Oh secrète violence/De mes sens domestiqués » : l’évocation de la poétesse contient la force contenue des sensations, pas seulement emprisonnées par une certaine tradition mais également secrètes, car jamais assez dites… ou tout simplement affirmées dans le corps du poème.

Hugo MONTEIRO

Maria Teresa Horta, Ana, poésie, illustrations de Leona Fini, Paris, Des femmes, 1983.

HORTA, Nina [BELO HORIZONTE 1946]

Écrivaine, journaliste et chef de cuisine brésilienne.

Diplômée en pédagogie et en philosophie de l’éducation (Université de São Paulo), Nina Horta tient, à partir de 1986, la rubrique gastronomique d’un des plus grands quotidiens brésiliens, A Folha de São Paulo. En 1995, elle publie Não é sopa (« ce n’est pas une sinécure »), premier livre de chroniques culinaires du Brésil, qui reprend les meilleurs extraits de ses chroniques parues entre 1986 et 1995. En 2002 paraît Vamos comer (« allons manger »), un ouvrage sur l’éducation alimentaire qui sera, à la demande du ministère de l’Éducation et de la Culture, distribué à 250 000 exemplaires dans les écoles publiques. Considérée comme la Elizabeth David* brésilienne, N. Horta compose des textes pleins d’humour qui racontent l’univers de la cuisine, les petits bonheurs et les grandes difficultés du métier. Avec une attention spéciale accordée aux traditions brésiliennes, elle questionne les habitudes alimentaires dans le monde, rapproche cuisine et littérature, art ou cinéma dans ses rubriques hebdomadaires illustrées par Maria Eugênia. Ses innombrables recettes, traditionnelles ou créatives, mais toujours extrêmement variées, s’inspirent des cuisines du monde entier. Depuis 1985, elle traduit également des ouvrages de cuisine et des romans culinaires, dont le plus important est Sopa de romã (« soupe de grenade », 2006), de l’écrivaine iranienne Marsha Mehran. Elle est propriétaire du traiteur Ginger à São Paulo depuis 1991.

Clarissa ALVES-SECONDI

HORTENSIA [ROME Ier siècle aV. J.-C.]

Oratrice romaine.

Fille de l’orateur du courant asianiste Quintus Hortensius Hortalus, rival et ami de Cicéron, Hortensia était une célèbre oratrice romaine. Les matrones romaines firent d’elle leur porte-parole pour plaider contre un projet d’instauration d’une taxe spéciale pesant sur elles. En 42 av. J.-C., trois leaders politiques et militaires, les triumvirs Octave, Marc Antoine et Lépide, avaient publié un édit requérant une aide de la part des 1 400 matrones les plus riches, appelées à contribuer aux dépenses de la guerre civile. Celles-ci résolurent de marcher ensemble vers le forum, où Hortensia prononça devant la foule un discours en leur nom. Hortensia est considérée à tort comme une avocate, car elle plaida pour elle-même en même temps que pour les autres femmes riches. Son discours est rapporté dans une traduction grecque, au IIe siècle apr. J.-C., par l’historien Appien (De bellis civilibus, IV, 32-34). Elle déclara aux triumvirs que les matrones étaient indignées d’être pénalisées pour les conséquences d’une guerre qu’elles n’avaient pas voulue et qui leur avait déjà causé bien des pertes dans leurs familles. Pourquoi paieraient-elles des taxes, alors qu’elles n’avaient part ni aux prises de décision politiques et militaires, ni aux honneurs et aux richesses des hommes ? Pourquoi devraient-elles partager la punition alors qu’elles n’avaient pas partagé la faute ? Si Rome était en lutte contre un ennemi étranger, elles n’auraient pas hésité à appuyer le gouvernement avec tous les moyens dont elles disposaient, comme elles l’avaient fait dans le passé lors du conflit contre les Carthaginois, mais elles refusaient de contribuer aux dépenses d’une guerre civile. Le discours d’Hortensia, qui faisait revivre l’éloquence de son père, entraîna l’adhésion de la foule. Les triumvirs, dépités et furieux devant cette audace insupportable des femmes, se virent contraints de diminuer de 1 400 à 400 le nombre de femmes assujetties à la taxe. Quintilien, célèbre orateur, soulignait l’excellente qualité du plaidoyer d’Hortensia, prononcé avec fermeté et succès (I, 1, 6) : à son époque, le Ier siècle apr. J.-C., le mémorable discours d’Hortensia servait encore d’exemple dans les écoles et il était lu aussi pour faire honneur au sexe féminin.

L’exemple d’Hortensia est particulièrement important, car l’histoire de la rhétorique dans l’Antiquité met surtout en lumière l’exclusion des femmes de la sphère de la parole publique, contraire à la pudeur convenant à leur sexe. Cette exclusion découlait du fait que les femmes ne participaient pas aux activités politiques, ce qui leur laissait peu d’occasions de prononcer des discours. Toutefois, dans les périodes de troubles ou de guerre civile, certaines femmes furent propulsées sur le devant de la scène en raison de leur habileté oratoire. La tradition n’a retenu que le discours d’Hortensia. Toutefois Valère Maxime, auteur d’un recueil d’anecdotes, signalait également deux autres discours de femmes qui, au dernier siècle de la République, avaient osé plaider leur cause devant les magistrats, s’adonnant ainsi à l’éloquence judiciaire (VIII, 3, 3). Parmi ces matrones – dont Valère Maxime, non sans une touche de misogynie, considère la conduite comme indécente – figurent, outre Hortensia, Mésia de Sentinum, à qui un plaidoyer précis et vigoureux valut le surnom d’Androgyne, et Afrania (ou Carfania), épouse du sénateur Licinius Bucco, qui fut critiquée pour avoir préféré se défendre toute seule devant le préteur plutôt que d’avoir recours à un avocat. Son audace jugée outrancière et ses vociférations, peu habituelles au forum, attachèrent à son nom une marque d’infamie, et il devint proverbial pour stigmatiser la chicane féminine.

Ces quelques femmes qui prononcèrent des plaidoiries et réussirent à se faire entendre devant un tribunal restent des cas isolés ; par la suite, et pendant des siècles, nous ne trouvons plus de femmes qui aient plaidé leur cause elles-mêmes.

Marella NAPPI

HERMANN C., Le Rôle judiciaire et politique des femmes sous la République romaine, Bruxelles, Latomus, 1964 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. VIII, no 2, 2481-2482 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.

HÖBENREICH E., « Andróginas y monstruos : mujeres que hablan en la antigua Roma », in Veleia, no 22, 2005 ; PERNOT L., « Femmes devant l’assemblée en Grèce et à Rome », in Logo, no 7, 2004 ; SUMI G. S., « Civil war, women and spectacle in the triumviral period », in The Ancient World, no 35, 2004.

HORVILLEUR, Delphine [NANCY 1974]

Rabbin française.

Après des études de sciences médicales en Israël durant lesquelles elle commence à s’interroger sur son « identité juive », Delphine Horvilleur devient journaliste pour la chaîne de télévision France 2. Les cours du rabbin Gilles Bernheim à Paris lui donnent envie d’« approfondir ses connaissances » par des cours de Talmud. Ceux-ci étant fermés aux femmes en France, elle va étudier à New York où il existe des écoles talmudiques pour les femmes (drisha). Elle entre finalement au séminaire libéral de New York, l’Hebrew Union College, où elle reçoit son ordination rabbinique en 2008. Hormis ses fonctions de rabbin, qu’elle exerce au sein du Mouvement juif libéral de France depuis 2008, elle participe à l’émission télévisée La Source de vie de Josy Eisenberg, dispense des enseignements en pensée juive et en midrash (littérature rabbinique) en France et aux États-Unis, notamment dans le cadre du Café biblique (« cercle d’études interactif ») qu’elle a créé en 1993. Depuis 2009, elle est rédactrice en chef du magazine Tenou’a. Mariée et mère de deux enfants, D. Horvilleur est la troisième femme rabbin de France.

Lucie VEYRETOUT

SOULAINE A., « Mon rabbin est une femme », in La Vie, no 3188, 5 oct. 2006.

HOSAIN, Attia [LUCKNOW 1913 - LONDRES 1998]

Écrivaine indienne d’expression anglaise.

Issue d’une famille de taluqdars, aristocrates musulmans de Lucknow, Attia Hosain est une des premières femmes de son milieu à obtenir un diplôme universitaire. Dans les années 1930, elle subit l’influence du mouvement des écrivains progressistes, le Progressive Writers Movement, qui fonde une école littéraire prônant une écriture réaliste et engagée, capable de dénoncer les méfaits de l’impérialisme et des injustices sociales. Suite à la partition du pays en 1947 et à la création du Pakistan, elle émigre à Londres. Elle y travaille comme journaliste radiophonique pour la BBC et y produit son œuvre littéraire : un recueil de nouvelles, Phoenix Fled and Other Stories (1953), et un roman, Sunlight on a Broken Column (1961). Ces récits se déroulent pour l’essentiel à Lucknow dans les années 1930-1940, et A. Hosain y décrit avec bonheur la richesse et la diversité de la culture indo-musulmane qui s’y épanouissait avant l’exode des musulmans vers le Pakistan. Sunlight on a Broken Column est le texte le plus fortement empreint des souvenirs personnels de l’auteure. Deux thèmes majeurs s’y articulent : l’évocation poignante d’un passé disparu, et une réflexion sur la place de la femme dans l’élite musulmane indienne. Or ces deux thèmes semblent parfois entrer en contradiction lorsque la tradition est évoquée à la fois comme force d’étouffement, mais aussi comme force de préservation du tissu social et d’une culture historique riche et composite. Un discours paradoxal émerge ainsi de son œuvre, mêlant rejet de l’idéologie féodale et patriarcale et nostalgie pour la culture perdue. Cette œuvre est représentative d’un certain type de « récit de Partition », souvent écrit par des femmes, qui place au premier plan non pas la violence concrète des affrontements entre hindous et musulmans, mais les fractures plus intimes, les séparations familiales, ou la schize identitaire vécue par des individus déchirés entre appartenances nationale, régionale, linguistique et religieuse.

Lise GUILHAMON

BURTON A., Dwelling in the Archive : Women Writing House, Home, and History in Late Colonial India, New York, Oxford University Press, 2003 ; JAIN J., KAUL R. K., Attia Hosain. A Diptych Volume, Jaipur, Rawat Publications, 2001.

HOSMER, Harriet [WATERTOWN 1830 - ID. 1908]

Sculptrice américaine.

Personnalité la plus marquante du White, Marmorean Flock (« le troupeau blanc marmoréen », selon l’expression de Henry James), ce groupe de sculptrices américaines néoclassiques venues travailler à Rome au milieu du XIXe siècle, Harriet Hosmer s’est formée auprès de Peter Stephenson et s’est initiée à l’anatomie au Missouri Medical College, à Saint Louis, en 1950. Ce savoir, encore rare dans la formation des sculpteurs américains, même masculins, explique son souci de la juste restitution des corps. Il lui arrive même de mouler des corps vivants. Suivent ses années d’apprentissage (1852-1859) dans l’atelier romain de John Gibson, sculpteur anglais leader du néoclassicisme, lui-même ancien élève du grand maître Antonio Canova, qui marquent sa période la plus fertile : elle réalise notamment le monument funéraire de Judith Falconnet (1856), première sculpture d’église réalisée par un sculpteur américain, ou encore les petites figures de l’espiègle Puck shakespearien et de Will-o’-the Wisp (« feu follet »). Ces dernières, très appréciées, sont déclinées dans le marbre à plus de 50 exemplaires. Ses sujets, presque exclusivement de chastes et fortes femmes, mythologiques ou historiques, sont régulièrement victimes d’un préjudice que leur a fait subir un homme et apparaissent comme préludes, sans doute, aux engagements de la jeune femme en faveur des mouvements féministes à Chicago dans la décennie suivante (Oenone, 1856). Ses austères figures aux tragiques destins, frontales et symétriques, légèrement désaxées par une imperceptible torsion du cou, sont extraites d’un marbre lisse et poli qui ne concède rien aux détails ni aux expressions. Elles témoignent du style épuré cher à son maître J. Gibson, mais sans la sensualité froide qui caractérise si souvent les héritiers de A. Canova. Elles correspondent plutôt à ce que le théoricien Winckelmann appelle le style « sublime » et dont il veut pour parangon le groupe antique Niobé avec sa plus jeune fille, qui inspire probablement la Medusa (1854) de l’artiste. Il ne s’agit pas pour la sculptrice de donner vie ou apparence de vie à la statue, comme le veulent le vérisme et le goût naturaliste qui se forgent alors une légitimité. Elle ne recherche ni effet réaliste, ni expression psychologique. Elle n’en colore pas moins légèrement le marbre de ses figures, par souci de retrouver le vrai et haut modèle de la Grèce hellénistique. Ses œuvres plaisent à un riche public, surtout anglo-saxon. Elle-même, personnage saillant, vêtue souvent en homme, se trouve au centre d’un cercle de lettrés expatriés : les écrivains Nathaniel Hawthorne et Henry James, le peintre anglais Frederic Leighton, entre autres. Elle est soutenue, y compris financièrement, par les poètes anglais Elizabeth Barrett Browning* et Robert Browning pour qui elle sculpte en 1853 les Clapsed Hands of Robert and Elizabeth Barrett Browning (« deux mains entrelacées »), uniques fragments du corps qu’elle ait représentés. Mais elle reçoit aussi les visites des têtes couronnées d’Europe, comme le tsar de Russie ou la reine de Naples en exil. En 1858, à 28 ans, elle devient membre de l’Accademia de Rome. L’année suivante, elle ouvre son propre atelier, largement visité, où elle dirigera une équipe pouvant aller jusqu’à 24 assistants. Les copies de Puck lui assurent, avec l’appui de ses riches commanditaires, une certaine indépendance financière, doublée d’une belle réputation. Néanmoins, en 1858, sa Zenobia, modelée par elle dans la terre et retranscrite dans le marbre par un assistant, lui vaut une campagne de diffamation. Plusieurs journaux anglo-saxons soutiennent qu’elle n’est pas de sa main. C’est un type d’accusation auquel doivent fréquemment faire face les femmes sculpteurs au XIXe siècle – de véritables pionnières – et même au XXe siècle. L’artiste rappelle cependant à juste titre que le procédé du transfert de la glaise au marbre, par un aide et non par le sculpteur, est habituel dans tous les ateliers chargés de commandes. En 1870, elle abandonne presque la sculpture, ou du moins déplace singulièrement ses intérêts. Elle cherche d’abord à créer une matière qui imite le marbre et qui puisse être moulée à la façon du plâtre. Elle souhaite ensuite créer une machine au mouvement perpétuel. En 1900, elle regagne l’Amérique. Ses travaux, populaires auprès d’un public demeuré avant tout anglo-saxon, ont souvent été copiés, y compris en terre cuite.

Anne LEPOITTEVIN

CIKOVSKY N., MORRISON M. H., OCKMAn C. (dir.), The White, Marmorean Flock : Nineteenth Century American Women Neoclassical Sculptors (catalogue d’exposition), Poughkeepsie, Vassar College Art Gallery, 1972 ; The Lure of Italy : American Artists and the Italian Experience, 1760-1914 (catalogue d’exposition), Boston, Museum of Fine Arts, 1992 ; RUBINSTEIN C. S., American Women Sculptors : A History of Women Working in Three Dimensions, Boston, G. K. Hall, 1990 ; SHERWOOD D., Harriet Hosmer : American Sculptor, 1830-1908, Columbia, University of Missouri Press, 1991.

HOSNI, Khaoula [SILIANA, TUNISIE 1982]

Romancière tunisienne.

Après des études de lettres anglaises à Tunis puis en France, au Mans, Khaoula Hosni entame une carrière de traductrice qu’elle mène de front avec celle de romancière. Dès son apparition sur la scène littéraire tunisienne, elle attire l’attention de la critique. En 2012, le Festival des jeunes auteurs de Kélibia lui décerne le premier prix pour sa nouvelle Destin. L’année suivante paraît À ta place, son premier roman, qui reçoit le prix Zoubeida-B’chir du Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif). En 2014, D.A.B.D.A. est distingué au Comar d’Or par le prix spécial du jury. Les récits de K. Hosni frappent par leur caractère novateur et singulier qui contraste avec la production littéraire tunisienne, voire maghrébine francophone en général. Ses fictions sont influencées par le monde anglo-saxon, et plus particulièrement par le roman gothique anglais avec son univers de spectres, fantômes et morts-vivants. Dans À ta place et D.A.B.D.A., nulle frontière entre rêve et réalité, raison et folie, ici-bas et au-delà, passé et présent. Dans cet imaginaire échevelé qui conjugue fantastique et réalisme, les âmes des disparus hantent ou consolent ceux qu’ils viennent de quitter, et les damnés quittent l’enfer avec l’espoir d’une rédemption.

Mohamed Ridha BOUGUERRA

HOSOKAWA, Gracia Tamako [ECHIDZEN, FUKUI 1563 - OSAKA 1600]

Martyre chrétienne japonaise.

Née à une époque de tumulte politique, Gracia Hosokawa est la troisième fille du seigneur Mitsuhide Akechi, exécuté pour avoir trahi le daimyô Oda Nobunaga (1582). Déjà mariée à Tadaoki Hosokawa, G. Hosokawa doit s’exiler mais rentre en grâce en 1584, sous le daimyô Toyotomi Hideyoshi (bientôt persécuteur des chrétiens). Confinée chez elle par son mari, elle se convertit grâce à l’une de ses suivantes, Maria Kojijû Kiyohara (qui baptise sa maîtresse sur recommandation de l’évêque vers 1588), et à un ami de son mari, Ukon Takayma, autre martyr chrétien. Après la mort de Toyotomi Hideyoshi (1598), les luttes pour le pouvoir provoquent la chute de Tadaoki Hosokawa. Par fidélité à son mari, à sa foi chrétienne devenue indésirable au Japon, et pour ne pas finir otage de guerre, G. Hosokawa se laisse décapiter par un garde de sa maison. Elle est canonisée en 1862.

Olivier AMMOUR-MAYEUR

E. GÖSSMANN (dir.), Japan, ein Land der Frauen ? , Munich, Judicum Verlag, 1991 ; LAURES J., Gracia Hosokawa, Kaldenkirchen, Steyler Verlag, 1957 ; ID., Two Japanese Christian Heroes, Rutland/Tokyo, Bridgeway Press, 1959 ; NATORI J., The Life of Gracia Tama Hosokawa, Tokyo, Hokuseido Press, 1956.

HOSPITAL, Janette TURNER [MELBOURNE 1942]

Écrivaine australienne.

Issue d’une famille pentecôtiste, Janette Turner Hospital reçut une éducation stricte à Brisbane, ville vers laquelle se tourne son œuvre, préoccupée par le statut de l’être humain aux prises avec des responsabilités herméneutiques, dans un monde où les signes du langage ne peuvent être considérés comme allant de soi. Sa perception de la réalité trouve une métaphore parlante dans les énergies exubérantes de la forêt équatoriale, où le réel est formé d’un tout dont les parties sont interdépendantes. Titulaire d’un diplôme d’anglais en 1966, elle quitte l’Australie en 1967 pour vivre aux États-Unis et au Canada, tout en effectuant de nombreux séjours sur sa terre natale ainsi qu’en Inde, en France et en Grande-Bretagne. Son œuvre est empreinte du thème du déracinement auquel s’ajoute l’aliénation relationnelle de l’écrivain et du lecteur. Sa langue est marquée par un ludisme contraint et emprunté, qui conserve un côté sérieux par le recours au mystère et au thriller, invitant le lecteur à résoudre de façon éthique différentes énigmes criminelles. The Ivory Swing (« la balançoire d’ivoire », 1982) met en scène Juliette, une femme canadienne vivant en Inde ; si elle y apprécie les cultures locales, elle se trouve en porte-à-faux avec l’oppression féminine perpétuée dans ce pays. Bien que perçu par la critique comme un plaidoyer ethnocentrique, le livre a reçu le Seal Prize du meilleur roman de l’année. Comme un tigre en cage (1983) est une mosaïque de perspectives sur une réunion de famille en Nouvelle-Angleterre, vision de l’histoire travaillée par la petite histoire, tant révélatrice que déstabilisante. Borderline (« cas limite », 1985) s’illustre par l’utilisation ludique d’un narrateur, Jean-Marc, aussi tourmenté par les lois de l’omniscience que par les contraintes de l’historicité et de la vérité. Charades (1988) se joue également de la vérité et de la responsabilité en mettant en scène Charade, par allusion à Schéhérazade, qui essaie de retrouver son père en Amérique du Nord ; physiciens, chroniqueurs de l’histoire, ou encore ceux qui nient l’Holocauste, se réclament de la vérité sur les origines de l’héroïne jusqu’à ce que la quête de celle-ci soit transformée par les anecdotes de sa mère. L’idée d’une mère plurielle – biologique, adoptive, intellectuelle ou de la forêt équatoriale du Queensland – reflète les entrelacs des origines ainsi que des histoires vécues. The Last Magician (« le dernier des magiciens », 1992) évoque avec brio l’enfance de personnages des années 1950 et les hiérarchies sociales de l’époque ; la ville de Sydney y est dépeinte comme surplombant une sombre carrière d’individus flageolants et maladifs, dans une veine cauchemardesque, éclatée par des points de vue divergents sur le hasard, la preuve, la représentation et la différence, dont le principe même se retrouve dans L’Opale du désert (1996) : il y est contrôlé de manière si impitoyable que personne n’ose quitter la petite ville docile du Queensland ni opposer de résistance au gourou local. Après un silence de sept ans, la romancière revient en force avec Dernières recommandations avant la peste (2003), roman entremêlant les réseaux de violence discursive, services d’intelligence américains ou terrorisme islamiste aux États-Unis et à Paris, puis Orpheus Lost (« Orphée égaré », 2007) qui combine les thèmes du terrorisme, de la quête d’un parent, de l’interprétation de la réalité par des codes mathématiques, de la musique et de la numérologie pentecôtiste, ainsi que des bévues des services d’intelligence américains à Boston et au Liban. J. Turner Hospital est également l’auteure de nouvelles : des recueils comme Dislocations (1986), Isobars (1990), North of Nowhere, South of Loss (« au nord de nulle part, au sud de la perte », 2003) reprennent les motifs de ses romans en condensé. Le recours dans son œuvre à une certaine violence émane d’une volonté d’affirmer que pureté et ordre tiennent du fantasme. Cette violence, qui relevait au début de sa carrière du pouvoir patriarcal exercé sur la femme, a été ensuite élargie à celle de l’instrumentalisation systémique du pouvoir par des charlatans. En 2012, elle publie Forecast : Turbulence, nouveau recueil de nouvelles.

David CALLAHAN

Comme un tigre en cage (The Tiger in the Tiger Pit, 1983), Paris, Le Serpent à plumes, 1994 ; Charades (1988), Paris, Payot & Rivages, 2004 ; L’Opale du désert (Oyster, 1996), Paris, Payot & Rivages, 2002 ; Dernières recommandations avant la peste (Due Preparations for the Plague, 2003), Paris, Payot & Rivages, 2004.

HOSPITALITÉ/S

Partir, prendre le large, pourrait répondre au manque de l’Autre, à la violence de la réclusion du Moi à demeure. L’hospitalité, elle, parle la langue de l’accueil de l’Autre, exigeant un décentrement au sein même de l’intime. Décentrement créateur, mais qui ferait de l’hospitalité une difficulté (empirique) et un problème (théorique et éthique), indépassables. Reconnaître la capacité d’hospitalité créatrice des femmes invite à penser autrement l’origine du « problème », et celle de l’hospitalité.

Accueil généreux de l’autre, passager venu d’ailleurs, c’est l’étrangeté même de cet autre que l’hospitalité reçoit. Ce mode pacificateur et fondamental du « vivre ensemble » ne masque ni ambiguïté ni tensions ou péril. Ce que manifeste tant le mot que la chose. L’« hôte », en français, désigne aussi bien l’accueillant que l’accueilli. Et l’« hospitalité » se trouve liée, au cours de l’évolution des termes à l’« hostilité ». Lien que Jacques Derrida formule sous le terme d’« Hostipitalité ». Coutumes, règles et « lois » de l’hospitalité tentent d’en conjurer les dangers. Quitte à contrevenir au principe d’une hospitalité inconditionnelle.

Périlleuse, l’hospitalité n’en est pas moins première. « L’accueil est premier » écrit Alain Montandon dans Le Livre de l’hospitalité (2004), proposant d’entendre l’adage selon lequel « l’homme est un hôte sur cette terre », comme signifiant qu’il est mortel mais aussi que la terre l’accueille, lui « donne l’hospitalité ». Ce trait originaire de l’hospitalité surgit très tôt dans la philosophie, que ce soit sur les plans de la pensée, ou de l’existence politique et éthique. Dans Le Sophiste, c’est à un étranger anonyme que Platon confie le soin d’énoncer les conditions de possibilité théorique du discours et de la pensée. Conditions qui consistent à accueillir aux cotés des catégories parménidiennes de l’Être, de L’Un et du Même, celles jusque-là « excentrées » de l’Autre et du Non-Être. L’altérité est bel et bien accueillie comme intellectuellement et, en d’autres textes, politiquement nécessaire. Cependant, sur le plan symbolique, l’accueil de l’Autre se fait au bénéfice d’un mieux penser le Même. Et sur le plan politique, l’étranger n’accédera jamais à la citoyenneté. « En somme, écrit Henri Joly, dans Études platoniciennes. La question des étrangers (1992), aux citoyens revient la praxis, aux autres, étrangers et esclaves, la poièsis. » Dans les deux cas, si l’accueil nécessaire de l’Autre « blesse la clôture du même sur lui-même » (Catherine Chalier*), l’altérité ne cesse d’être subordonnée au « premier occupant », ou alors, en des philosophies plus tardives, priée de se dissoudre dans le « semblable ». Accusant la philosophie « d’une insurmontable allergie » à « l’Autre qui demeure Autre », c’est une pensée différente de l’hospitalité qu’assume E. Levinas. Pensée où l’Autre, transcendant et « absolument » Autre, ne désigne plus une simple catégorie logique, mais Autrui, l’humain accueilli en une expérience intersubjective d’emblée éthique. Antécédent toute maîtrise et suprématie, l’hospitalité serait véritable commencement, philosophie première et l’Éthique même. La « philosophie première » découvre l’hospitalité comme « l’intrigue éthique », celle de « l’inquiétude du moi, inquiété par l’autre ». Dans son interprétation, E. Levinas accorde au féminin une dimension princeps de l’hospitalité qu’il interroge également sous les formes de l’amour, du désir, des sexes, de l’engendrement et de la fécondité. Ainsi, dans Totalité et Infini, écrit-il de l’enfant que « c’est moi étranger à soi » et que la fécondité « indique mon avenir qui n’est pas un avenir du Même ». Allant jusqu’à affirmer que dans la fécondité, l’être se « scindant en Même et Autre », « nous sortons ainsi de la philosophie de l’être parménidien ». Or, tout en reconnaissant la nécessité de l’Aimée, ce n’est guère qu’à partir de la paternité, et dans la relation du père au fils, qu’E. Lévinas produit cette interprétation. La question se pose donc : que devient, dans cette « intrigue », l’Autre qui demeure Autre quand c’est une femme ?

Sociétés et cultures savent, et souvent même honorent, la participation des femmes au geste d’hospitalité. Pourtant leur part est instrumentalisée, par la suprématie traditionnelle du « despote familial […] du maître de céans qui fait les lois de l’hospitalité » (Jacques Derrida et Anne Dufourmantelle*, De l’hospitalité, 1998). Dans une surenchère de l’inconditionnalité du don d’hospitalité, des femmes seraient même offertes au plaisir de l’hôte reçu, ou en échange de sa sauvegarde. Dans la Genèse, pour sauver son hôte du désir furieux de Sodomites venus pour s’en emparer et le violer, Loth leur offre ses deux filles vierges en échange. Ce qui signifierait que si « l’hospitalité est coextensive à l’éthique », son inconditionnalité absolue la placerait cependant dans certains cas « au-dessus de » toute autre obligation, éthique ou morale. Ici, celle de Loth envers ses filles. (J. Derrida, passim.)

Or, ce genre de sacrifice « biblique » de femmes, commis au nom de l’hospitalité, en saccage de fait l’origine et, plutôt qu’au-delà de l’Éthique, la frappe en plein cœur. En effet, l’hospitalité véritablement première est toujours, pour toutes et pour tous, celle qu’offre le corps d’une femme. « La chair matricielle reste le premier environnement de l’être humain », écrit Antoinette Fouque*, inaugurant la conceptualisation de ce qu’elle nomme « l’hospitalité charnelle » ; pensée d’une expérience qui commence à s’expliciter dès la création du Mouvement de libération des femmes* et du groupe Psychanalyse et politique* en octobre 1968. Hospitalité que la théologie chrétienne de la création, en maintenant Dieu éternel comme le seul créateur, dénie. Un déni qui permet de s’emparer de cette force au bénéfice d’inversions inquiétantes. Ainsi Ève naîtrait-elle d’Adam comme si la fécondité utérine venait dans l’après-coup d’une fécondité virile ou divine. Le « matérialisme charnel », en reconnaissant dans l’hospitalité matricielle des femmes « le paradigme de l’éthique » et sa capacité créatrice, dénonce l’inversion en revenant au réel. Interrogée par les recherches actuelles sur les conditions d’une greffe sans rejet, la grossesse est le modèle de l’accueil de l’autre. Son temps « est celui du partage absolu où l’autre n’est pas, d’emblée, l’ennemi potentiel, l’hostile, tout en demeurant Autre. Plus que fusion ou “symbiose”, dès le premier moment, il y a séparation, division, sexuation, et différence des sexes. » Et pendant tout le temps de sa grossesse, une femme « sait qu’elle va pousser dehors cet être absolument différent… »

La « poïéthique utérine » accorde l’intime corporel et psychique d’une femme, au mouvement d’un décentrement absolu, d’un « donner la vie » à l’autre. L’Autre, qui demeure, et par sa naissance demeurera autre, est dans la gestation, là où, à l’encontre de toute logique de l’identité ou binaire, la capacité génésique créatrice des femmes, du 2 fait du 3.

Ainsi le premier « donner, recevoir, rendre » de l’hospitalité, les trois grâces du don dont parle Sénèque, s’expérimente originairement dans la conception d’un enfant, la gestation et le faire naître. Il a fallu que les femmes accèdent à la maîtrise de la fécondité et la force du MLF pour que, se libérant de la maternité esclave, chacune puisse dire « un enfant si je veux, quand je veux ». Alors, seulement, l’« hospitalité charnelle » peut se formuler, se penser, et découvrir son sens éthique et politique. Car c’est aussi d’une autre politique dont cette « hospitalité » peut devenir le modèle. En 1997, la « Pétition des femmes en mouvements » contre un projet de loi prévoyant un contrôle de l’hébergement des étrangers, en témoigne : «… Oui, nous continuerons d’accueillir qui nous voulons, quand nous voulons, aussi longtemps que nous voulons… Nous, qui, par notre expérience intime, bénéficions d’une personnalité xénophile démocratique […] nous affirmons notre volonté éthique et politique d’une hospitalité citoyenne. » (A. Fouque)

Anne-Marie PLANEIX

DERRIDA J. et DUDFOURMANTELLE A., De l’hospitalité, Paris, Calman-Lévy, 1998 ; FOUQUE A., Gravidanza, Des femmes-Antoinette Fouque, 2007.

HOSSAIN, Selina [RAJSHAHI 1947]

Auteure bangladaise d’expression bengali.

Née l’année de la Partition, Selina Hossain témoigne des grands épisodes de l’histoire du Bengale oriental, d’abord intégré au Pakistan jusqu’en 1971, puis indépendant après une guerre sanglante, enfin confronté à de graves crises politiques, économiques et sociales. L’auteure s’impose très tôt, notamment avec Hângar, Nadi, Grenade (« requins, rivière, grenades », 1972), comme un des chefs de file des écrivains progressistes du Bangladesh. L’humanité et la compassion caractérisent son œuvre multipliant les portraits d’individus qui tentent de décrire l’étau social qui les oppresse, et de se frayer un chemin personnel pour réaliser leurs désirs. Les héros et héroïnes de S. Hossain ont tous des blessures inguérissables : ils portent en eux les victimes de la guerre, le fardeau des discriminations et des exploitations de classes, mais restent inlassablement en quête de légèreté et de liberté. Son œuvre, résolument engagée contre toute forme d’oppression, tombe de fait parfois dans des oppositions trop convenues. L’auteure partage les valeurs des deux héros de son roman historique Nirantar ghantadhvani (« son de cloche interrompu », 1987), Somen Canda et Munir Chaudhuri, militants communistes, figures de la résistance et du sacrifice, le premier assassiné par des fascistes en 1942, le second, figure de la contestation de 1952, exécuté par l’armée pakistanaise en 1971. L’exploration de l’hétérogénéité consubstantielle du pays est cruciale dans une société où les majorités (religieuses, patriarcales, linguistiques) refusent souvent le partage. Les fictions de S. Hossain parcourent les rues – celles de la capitale notamment – et les campagnes en compagnie de ses personnages, multiplient les rencontres, adoptent le rythme, les voix et les nuances des espaces qu’elle arpente, enregistre leur richesse linguistique. Son œuvre s’oriente vers un univers habité de personnages féminins en quête d’autres voies que la soumission, telle Matijan, l’héroïne de Matijâner meyerâ (1995), qui construit avec insolence son propre bonheur en ignorant les harcèlements quotidiens de son mari et de sa belle-mère.

Olivier BOUGNOT

HOUARI, Leïla [CASABLANCA 1958]

Écrivaine et dramaturge marocaine.

Née à Casablanca, Leïla Houari immigre en 1966 avec ses parents en Belgique. Après une tentative d’installation au Maroc en 1977, elle retourne à Bruxelles et se consacre à l’action socioculturelle et à la vie associative. C’est dans ce contexte qu’elle monte un spectacle, Nous l’immigration, qui soulève des questions identitaires que l’on retrouve dans ses romans, Zeïda de nulle part (1985, prix de la Fondation Laurence-Trân 1986), Quand tu verras la mer (1988), Et de la ville, je t’en parle (1996). L. Houari a aussi écrit des pièces de théâtre, des poèmes et des scénarios. Son style impétueux, son écriture qui cultive la parataxe, aussi bien en poésie que dans les textes en prose, participent à la mise en discours de fragments de perceptions, de souvenirs et de rêveries ou de réflexions. Le thème de l’identité-altérité, quoique abordé avec une certaine empathie pour les immigrés de deuxième et de troisième génération, prend un caractère plus universel dans Zeïda de nulle part, où l’héroïne, tout comme l’immigré, doit faire ses preuves pour gagner sa place dans un monde où le racisme et l’exclusion sont des menaces quotidiennes. Quand tu verras la mer explore l’attachement à la terre d’accueil en dépit de la xénophobie des autochtones. Ces deux derniers romans ont été traduits en allemand et en italien.

Selma EL-MAADANI

Les Cases basses, Paris, L’Harmattan, 1992 ; Poème fleuve pour noyer le temps présent, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 1995 ; avec DRAY J., Femmes aux mille portes, Bruxelles, EPO/Syros, 1996 ; avec WIAME S, Damrak, Paris, Céphéides, 1997 ; Le Chagrin de Marie-Louise, Paris, L’Harmattan, 2009.

HOUMENNA, Dokiïa [AUJ. RÉGION DE TCHERKASSY 1904 - NEW YORK 1996]

Femme de lettres ukrainienne.

Encore étudiante à la faculté des lettres et de linguistique de l’Institut d’éducation populaire de Kiev, Dokiïa Houmenna publie ses premiers récits dès 1922 dans diverses revues. Elle s’engage également dans l’organisation des écrivains paysans Plouh (« la charrue »). En 1928, elle est l’envoyée spéciale de la revue de cette association dans les campagnes du sud de l’Ukraine et au Kouban, peuplé essentiellement d’Ukrainiens. Ses chroniques fournissent la matière de deux séries d’essais (Lysty iz Stepovoï Oukraïny, « les lettres de l’Ukraine de la steppe », 1928-1929 ; Ekh, Kouban, ty Kouban, khliborodnaïa, « Eh, Kouban, toi, Kouban, fertile en blé », 1929), qui confirment son talent. Mais ses révélations sur l’état désastreux de l’agriculture, la collecte forcée de blé et la famine avant et pendant la collectivisation soviétique entraînent sa disgrâce auprès des autorités, et elle est privée du droit de publication. Son activité littéraire ne reprend qu’avec la Seconde Guerre mondiale et l’émigration. D. Houmenna quitte Kiev en 1943, d’abord pour L’viv, puis pour l’Autriche et l’Allemagne et enfin pour les États-Unis, où elle s’installe définitivement en 1950. Très productive, elle est l’auteure de plus de 20 œuvres en prose, parmi lesquelles sont à citer, pour leurs différences d’inspiration, de genre et de style, la tétralogie épique Dity Tchoumatskoho chliakhou (« les enfants de la Voie lactée », 1948-1951), qui retrace l’histoire sociale de la nation ukrainienne de l’aube du XXe siècle jusqu’aux années 1930, les contes et nouvelles Velyke tsabe (« un personnage très important », 1952), la chronique romanesque Khrechtchaty Yar (1956), qui met en scène l’occupation de Kiev par les nazis, le roman philosophique Zoloty plouh (« la charrue dorée », 1968), le conte fantastique Nebesny zmiï (« le dragon céleste », 1982), ou encore les souvenirs autobiographiques Dar Evdoteïi. Ispyt pamiati (« le don d’Evdoteïa. L’épreuve de la mémoire », 1990).

Tatiana SIROTCHOUL

MELNYK V., « Dokiïa Houmenna », in Istoriïa oukraïnskoï literatoury XX stolittia, Kiev, Lybid’, 1998.

MOUCHYNKA M., « Dokiïa Houmenna et ses enfants », in Slovo i tchas, Kiev, NAN, n° 1, 1993 ; RODYHINA V., « Avtorska interpretatsiïa nazvy memouarnykh spohadiv Dokiïi Houmennoï “Dar Evdoteïi” », in Visnyk Louhanskoho natsionalnoho ouniversytetou im. T. Chevtchenka, no 1, 2009.

HOUSHIARY, Shirazey [SHIRAZ 1955]

Sculptrice et peintre iranienne.

En 1974, Shirazey Houshiarey s’installe à Londres et s’inscrit à la Chelsea School of Art. De 1979 à 1980, elle fréquente le Cardiff College of Art, puis se retrouve associée au groupe de Richard Deacon et d’Anish Kapoor. Son art est en effet plutôt abstrait, et son intérêt pour le spirituel palpable. Mais elle se distingue par des sources d’inspiration qui lui sont propres, comme l’art et l’architecture islamiques. À partir des années 1990, son œuvre porte également l’empreinte de la doctrine mystique soufie. L’artiste définit l’art comme un dérivé du voyage de l’âme. Elle commence par modeler des sculptures biomorphiques, en utilisant des matériaux comme la terre ou la paille, avant de passer aux métaux. Physiquement, son œuvre se simplifie, le style devient plus épuré et les matériaux plus délicats. La géométrie joue un rôle de plus en plus important : Bloom en 2005 (« fleurir », Midtown, Tokyo) ; Undoing the Knot en 2007 (« en défaisant le nœud », Lisson Gallery, Londres) ; Loom en 2009 (« surgir », Lisson Gallery, Londres). Ce sont des colonnes construites comme des spirales ascendantes, avec des petites briques en aluminium ou en acier. On pense aux Colonnes sans fin de Brancusi, mais aussi et surtout aux minarets, et en particulier à celui de la mosquée de Samarra en Iraq appelée Al-Malwiyya (« la spirale »). Également peintre, la sculptrice commence au début des années 1990 par des œuvres en graphite sur papier monté sur de l’aluminium. Elle passe ensuite à la toile, réalisant des monochromes. Certaines peintures entièrement noires révèlent des voiles transparents, en réalité des marques de stylo contenant des passages de poésie soufie.

Lamia BALAFREJ

Isthmus : Shirazeh Houshiary (catalogue d’exposition), Lewison J., Santacatterina S. (dir.), Londres, British Council, 1995 ; Shirazeh Houshiary (catalogue d’exposition), Londres, Lisson Gallery/König, 2008.

MORGAN A. B., « From form to formlessnes : a conversation with Shirazeh Houshiary », in Sculpture, vol. 19, no 6, juil.-août 2000.

HOU WENZHUO [XINGYANG, HENAN 1970]

Défenseure des droits civiques chinoise.

Hou Wenzhuo est l’une des rares activistes des droits humains à travailler sur le terrain en Chine. Elle fait partie du mouvement des Weiquan Yundong (« défenseurs des droits »). En 1989, elle est détenue pendant trois mois après avoir mené les manifestations prodémocratiques d’étudiants à l’université du Sichuan. Elle travaille ensuite à Pékin au sein d’un programme des Nations unies pour les femmes et les enfants entre 1999 et 2000. Après avoir étudié les droits de l’homme et des réfugiés à la Harvard Law School et à Oxford, elle crée l’EARI (Empowerment and Rights Institute) en 2004, pour proposer une aide légale aux groupes les plus démunis de la société chinoise, en particulier les paysans expropriés. Bien qu’elle utilise les outils que lui fournissent la Constitution et le droit chinois, elle est en butte au harcèlement des autorités. En août 2005, pour l’empêcher de rencontrer la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’Onu, Louise Arbour*, en visite à Pékin, les autorités chinoises placent Hou Wenzhuo en résidence surveillée. La même année, elle suit les révoltes de Taishi et de Nanhai, où les paysans demandent la révocation de cadres locaux corrompus. En danger, elle doit se réfugier aux États-Unis en novembre. Elle revient en Chine plusieurs mois plus tard, poursuivant son travail de défense des droits civiques de manière moins frontale. Elle reçoit d’Amnesty International le titre de « défenseur des droits humains ». Elle est réfugiée au Canada depuis 2009.

Anne LOUSSOUARN

HOU ZHI [NANKIN V. 1768 - ID. 1830]

Poétesse chinoise.

Hou Zhi ou Hou Xiangye (de son prénom de lettrée, qui signifie « feuille parfumée ») est aussi appelée Xiangye ge zhuren (« maîtresse du pavillon des feuilles parfumées »). Issue d’une famille cultivée, elle est l’auteure de tanci, genre de longues ballades dont on chante les différents épisodes, accompagné au sanxian (instrument à trois cordes) ou au pipa (luth au long manche). Fille de poète, versée très tôt dans l’histoire et la littérature, elle s’intéressa en particulier à la poésie. Elle excellait spécialement dans l’écriture et l’adaptation des scripts de tanci. De 1810 à 1826, elle s’appliqua à en corriger certains, tout en publiant ses propres créations. Parmi ses œuvres majeures figurent Jin shang hua (« fleurs de brocart », 1813), Zai sheng yuan (« affinité prédestinée lors de la renaissance », 1821), Zai zao tian (« reconstruction du ciel », 1826) et Yuchuan yuan (« envie d’un bracelet de jade »), dont la trace a été perdue. La pièce Zai sheng yuan, qui lui valut un vif succès, est une réécriture du fameux poème narratif en vers heptasyllabiques éponyme, signé par Chen Duansheng*. La poétesse a juste pris soin de remanier la langue, en veillant à respecter le schéma original. Le poème romanesque Zai zao tian est une création : il raconte les nouveaux épisodes qui prolongent l’histoire écrite par Chen Duansheng. À travers le destin tragique de l’héroïne, militante, fantaisiste et ambitieuse, Hou Zhi tente de pointer les risques que court une femme qui ose se révolter contre le régime social. Grâce à son renouveau stylistique (elle utilise un langage à la fois simple, aimable, spirituel et imaginatif), des écrivaines de tanci, tombées dans l’oubli, ont été réhabilitées. À cette époque, le tanci était le registre de prédilection des femmes de lettres, des auditrices et des lectrices. Des femmes savantes ont ainsi manifesté leurs frustrations et réclamé l’égalité entre les sexes à travers cet art folklorique de choix. L’œuvre de création et de réécriture de Hou Zhi, en rétablissant une continuité dans la littérature féminine et en créant une sorte de chaîne intertextuelle, a incontestablement contribué à la revalorisation de ce genre littéraire jadis négligé en Chine.

WANG DI

BAO Z., Qingdai nüzuojia tanci yanjiu, Tianjin, Nankai daxue chubanshe, 2008 ; HU S., Tanci nüzuojia Hou Zhi xiaozhuan, Hangzhou, Zhejiang wenyi chubanshe, 1984 ; ZHANG H., ZHANG Y. (dir.), Gudai nüshiren yanjiu, Wuhan, Hubei jiaoyu chubanshe, 2002.

HOWARD, Andrée (Louise Andréa Eriquita BARTON, dite) [LONDRES 1910 - ID. 1968]

Danseuse et chorégraphe britannique.

Enfant adoptée par une famille de musiciens, Andrée Howard étudie la danse avec Marie Rambert* puis avec les professeures russes de Paris. Membre du Ballet Club, elle crée des rôles dans Capriol Suite (1930), The Lady of Shalott (1931) de Frederick Ashton, et Lysistrata (1932), Suite of Airs (1937) d’Antony Tudor. Elle règle sa première chorégraphie, La Belle Écuyère (1930), pour Maude Lloyd en récital au Cap lors de leur tournée en Afrique du Sud, et conçoit pour le Ballet Club/Ballet Rambert et le London Ballet ses meilleures créations, telles que Mermaid (1934) et Cendrillon (1935), sources d’inspiration ultérieure pour Ashton. Elle puise les thèmes de Lady into Fox (1939) et The Sailor’s Return (1947) dans les romans de David Garnett et La Fête étrange (1940), son chef-d’œuvre, évoque un épisode du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Ses chorégraphies pour le Sadler’s Wells Theatre Ballet, Assembly Ball (1946) et Selina (1948), sont populaires, mais elle est sujette à la dépression et, en dépit d’épisodiques créations telles Les Barricades mystérieuses (Ankara, 1963), son œuvre poétique est vite oubliée. Comme danseuse, chorégraphe, parfois décoratrice, elle préfère travailler avec des amis, sur des scènes intimes et n’a qu’épisodiquement dansé aux Ballets russes de Monte-Carlo (1933) et à l’American Ballet (1939). Éprise de littérature, elle privilégie les moments clés dont elle restitue la situation et l’atmosphère, usant clairement d’une technique classique toujours sensible et expressive.

Jane PRITCHARD

WALKER K. S., « The choreography of Andrée Howard », in Dance Chronicle, vol. 13, no 3, 1990-1991 ; PRITCHARD J., « The choreography of Andrée Howard : some further information », in Dance Chronicle, vol. 15, no 1, 1992.

HOWARD, Elizabeth Jane [LONDRES 1923 - BUNGAY 2014]

Romancière britannique.

Née dans une famille bohème et aisée, Elizabeth Jane Howard est éduquée par des gouvernantes et des professeurs privés. Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle rejoint une troupe de théâtre et rencontre un jeune officier de marine, fils du capitaine Scott, l’explorateur. Un mariage hâtif en 1941 est suivi de la naissance d’une fille en 1943 et d’un divorce en 1946. Après plusieurs aventures amoureuses, elle vit un mariage agité avec Kingsley Amis, et ils divorcent en 1983. Un temps actrice et mannequin, elle remporte le prix Llewellyn Rhys pour son premier roman, The Beautiful Visit (1951). Il est suivi de 13 autres romans, la plupart mettant en scène des échecs conjugaux. Son œuvre la plus célèbre est Cazalet Chronicles, une saga familiale en quatre volumes, adaptée en série télévisée, qui traverse les changements sociaux que connaît l’Angleterre. En 1975, elle publie un recueil de nouvelles, Mr Wrong, histoire de fantômes. Son thème principal est la quête de l’amour et de la sincérité des relations humaines. Dépassant sa vie tumultueuse, à la recherche de ce qui est immuable dans la vie, elle s’intéresse à l’ésotérisme, et plus particulièrement à P.D. Ouspensky, et à l’hindouisme. Elle publie ses mémoires (Slipstream, « sillage ») en 2002.

Michel REMY

Ce long regard (The Long View, 1956), Paris, Gallimard, 1958 ; L’Air de la mer (The Sea Change, 1959), Paris, A. Michel, 1967 ; L’Oiseau des orages (Odd Girl Out, 1972), Paris, Éditions de Trévise, 1980.

HOWE, Fanny [BUFFALO, NEW YORK 1940]

Écrivaine américaine.

Issue d’une famille d’intellectuels et d’artistes de Nouvelle-Angleterre, Fanny Howe rompt rapidement avec son milieu bourgeois en partant étudier à l’Université de Stanford, mais elle n’obtient pas son diplôme ; elle revient alors à New York où elle vivote et tente d’écrire sans grand succès. C’est seulement en s’engageant dans la lutte pour les droits civiques au début des années 1960 et en militant auprès des communistes qu’elle parvient à surmonter ses échecs personnels. En 1968, au plus fort des violences raciales à Boston, elle épouse Carl Senna, écrivain et activiste métis d’origine chicano et afro-américaine, dont elle a publié les œuvres dans la revue Fire Exit à laquelle elle collabore alors. La question de l’égalité des droits pour les Noirs est au cœur de son œuvre de fiction, surgissant avec une acuité toute particulière dans The Deep North (« Nord profond », 1988), roman poétique et obliquement autobiographique qui traite du traumatisme identitaire de sa jeune héroïne sur fond d’indétermination raciale. Elle dit avoir le sentiment de vivre « en tenue de camouflage » (The Wedding Dress, « la robe de mariée », 2003). Cet entre-deux existentiel demeure caractéristique de sa personnalité et de son œuvre, fortement teintées d’une marginalité qui la situe, pour reprendre le titre d’un de ses romans, In the Middle of Nowhere (« au milieu de nulle part », 1984). Marginalité subie après sa séparation d’avec son mari en 1974 – pendant une quinzaine d’années, F. Howe élève seule ses trois enfants en tirant de maigres revenus de postes d’enseignant peu prestigieux et de l’écriture de livres pour adolescents ; mais aussi marginalité assumée dans le choix qu’elle fait d’embrasser avec ferveur la religion catholique, qui devient l’un des thèmes majeurs de son œuvre, et dans l’acceptation de ce qu’elle nomme « l’étonnement » comme principe existentiel, « point de départ de l’action politique et de la création artistique ». F. Howe se forge alors une solidarité avec les femmes de son quartier, plongées comme elle dans des conditions précaires. Son écriture porte la trace de cette solidarité résolument maternelle plus encore que féminine. C’est seulement en 1987 que F. Howe se voit offrir un poste de professeur titulaire à l’Université de Californie à San Diego. Dès lors, son œuvre gagne en puissance et, tout en restant d’une exigeante radicalité, accède à une notoriété que confirmeront plusieurs bourses et prix attribués à sa poésie : prix Lenore-Marshall de l’Académie américaine de poésie en 2001, prix Ruth-Lily de la Poetry Foundation en 2009. Si l’écriture poétique de F. Howe se caractérise par un lyrisme de facture relativement classique (The Lyrics, 2007) et par une remarquable capacité à exprimer le quotidien au filtre d’un imaginaire volontiers féerique où se devine le substrat irlandais de ses ancêtres maternels (O’Clock, 1995), sa prose est en revanche beaucoup plus expérimentale : les personnages féminins, partiellement autobiographiques pour la plupart, y révèlent par fragments leur personnalité « étonnée et désargentée, honorable et dévastée » (The Wedding Dress), les intrigues s’emballent puis s’engluent, le récit est souvent interrompu par une voix à la fois intime et désincarnée qui ponctue l’action de commentaires mélancoliques sur les conditions de l’existence, la langue est hautement poétique et mine la narrativité de l’intérieur.

Antoine CAZÉ

HOWE, Julia WARD [NEW YORK 1819 - PORTSMOUTH, RHODE ISLAND 1910]

Écrivaine, militante abolitionniste et féministe américaine.

Première femme à devenir membre de l’Académie américaine des arts et des lettres en 1908, Julia Ward Howe est la femme de plusieurs vies ayant l’écriture comme fil directeur. Née dans une famille aisée, ayant perdu sa mère à l’âge de 5 ans, elle est élevée par un père strict et croyant, banquier à Wall Street. Recevant son instruction à l’école, elle s’initie à la maison à la littérature, notamment étrangère, grâce à une bibliothèque familiale fournie, et s’adonne à l’écriture. Après la mort de son père, elle fait ses premiers pas dans la haute société new-yorkaise et épouse en 1843 Samuel Gridley Howe, héros de la Révolution grecque et pionnier dans l’éducation des enfants aveugles, de dix-huit ans son aîné. Leur mariage, qui durera trente-trois ans, est tumultueux : autoritaire et probablement infidèle, S. G. Howe exige de sa femme qu’elle remplisse exclusivement les devoirs d’une mère de famille de six enfants. Mais à la faveur d’un séjour à Rome et d’une séparation de plusieurs mois, J. W. Howe écrit un premier recueil de poèmes, Passion-Flowers, et le publie anonymement en 1854. Ce dernier étonne, y compris son mari, par l’intensité des sentiments exprimés. Il sera suivi d’autres publications confidentielles. En 1862, à la suite de la visite d’un camp militaire, J. W. Howe écrit et publie le poème « Battle Hymn of the Republic », qui, mis en musique, devient l’hymne officieux de l’armée de l’Union pendant la guerre de Sécession et lui apporte une reconnaissance immédiate, synonyme d’émancipation. L’œuvre littéraire qu’elle produit ensuite est imposante tant par sa quantité que par sa diversité : recueils de poèmes, récits de voyages, essais, biographies, musique, livres pour enfants, journal littéraire fondé en 1867 et autobiographie, Reminiscences, publiée en 1899. Parallèlement, J. W. Howe s’engage pour le droit de vote des femmes, la réforme des prisons et le mouvement pour la paix. Première présidente de la New England Woman Suffrage Association en 1868, elle contribue au Woman’s Journal et devient en 1871 la première présidente de la branche américaine de la Woman’s International Peace Association. Sa biographie, écrite par ses filles, reçoit le prix Pulitzer en 1915.

Hélène QUANQUIN

HOWE, Susan [BOSTON 1937]

Poétesse et critique américaine.

Fille d’une comédienne et dramaturge irlandaise et d’un professeur de droit à Harvard, Susan Howe manifeste une foi viscérale en la musicalité de la langue et le désir de s’approprier les domaines jugés patriarcaux que sont l’histoire, la loi et l’écriture. Après des études d’art au Boston Museum School of Fine Arts, elle s’installe à New York et passe progressivement de la peinture au dessin avec des mots et, finalement, à la poésie. Si elle s’apparente aux Language Poets par son sens développé de la matérialité de l’écriture, produisant certains poèmes par découpages et prélèvements de textes, elle se différencie néanmoins de ce mouvement par son caractère lyrique affirmé. En 1966, S. Howe rencontre le sculpteur David von Schlegell avec lequel elle s’installe en 1972 à Guilford (Connecticut). À la bibliothèque Sterling de l’université Yale, elle se découvre une passion pour la recherche, les archives, les manuscrits en général et l’histoire de la Nouvelle-Angleterre en particulier. De 1975 à 1981, elle produit une émission pour la radio WBAI et reçoit un très grand nombre de poètes américains et européens pour des lectures et des entretiens. Son ouvrage critique My Emily Dickinson (1985) renouvelle l’approche de cette poétesse majeure du XIXe siècle et rénove la grande tradition de l’essai poétique. Dans The Birth-Mark : Unsettling the Wilderness in American Literary History (1993) se déploient ses relectures anticonformistes de l’histoire, de la littérature de la Nouvelle-Angleterre et des voix oubliées par l’histoire. Parmi ses influences avouées et ses figures de prédilection, on peut citer le peintre minimaliste Agnes Martin, l’historien Richard Slotkin, les écrivains Emily Dickinson*, Hermann Melville, Charles Olson et Wallace Stevens, les prédicateurs puritains Cotton Mather et Jonathan Edwards ou encore le philosophe Charles Sanders Pierce. En 1991, S. Howe est nommée professeure de littérature américaine et d’écriture à l’université de l’État de New York (SUNY) à Buffalo. Avec ses collègues Robert Creeley et Charles Bernstein, elle contribue à former toute une génération de poètes américains. Lauréate du prix Bollingen en 2011, elle est membre de l’American Academy of Arts and Sciences depuis 1999. Sa collaboration avec le musicien David Grubbs a donné lieu à plusieurs enregistrements.

Abigail LANG

Thorow suivi de Héliopathie (Thorow, in Singularities, 1990 ; Heliopathy, 1986), Courbevoie, Théâtre typographique, 2002 ; Marginalia de Melville (Melville’s Marginalia, in The Nonconformist’s Memorial, 1993), Courbevoie, Théâtre typographique, 1997 ; Deux et : Times two, Courbevoie, Théâtre typographique, 1998.

BACK R. T., Led By Language : The Poetry and Poetics of Susan Howe, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2002 ; MONTGOMERY W., The Poetry of Susan Howe : History, Theology, Authority, New York, Palgrave Macmillan, 2010.

HOWITT, Mary (née BOTHAM) [COLEFORD, GLOUSCESTERSHIRE 1799 - ROME 1888]

Poétesse britannique.

Née dans un milieu quaker, Mary Howitt étudie à la maison, lit énormément et commence très jeune à écrire de la poésie. En 1821, elle se marie avec William Howitt, pharmacien, et tous deux écrivent. En 1823, son mari quitte son officine et se consacre avec elle à l’écriture ; ils envoient leurs poèmes aux magazines et les rassemblent dans The Desolation of Examen (1827). Le milieu littéraire les accueille – Charles Dickens, Elizabeth Gaskell*, E.B. Browning* – et ils séjournent en 1837 chez Wordsworth. M. Howitt commence cette même année à écrire pour les enfants des « histoires naturelles » dont le succès va grandissant. En 1843, le couple s’installe d’abord à Londres puis en Allemagne, à Heidelberg, où leurs enfants sont scolarisés. Elle y découvre la littérature scandinave, apprend le danois et le suédois et traduit Andersen. Pendant trois ans, elle écrit un « Drawing-room Scrap Book », édite le Pictorial Calendar of the Seasons et rédige une histoire « populaire » des États-Unis en deux volumes. Elle est, en tout, l’auteure, la traductrice et l’éditrice de plus de 110 ouvrages et reste célèbre pour son poème « L’Araignée et la Mouche » (1829), parodié par Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles, et sa comptine « Hush’a bye Baby » (« chut, mon bébé »).

Michel REMY

L’Araignée et la Mouche (The Spider and the Fly, 1829), Markham, Scholastic, 2004.

LEE A., Laurels and Rosemary : The Life of Will and Mary Howitt, Oxford, Oxford University Press, 1955.

HOXIE, Vinnie REAM VOIR REAM HOXIE, Vinnie

HÔ XUÂN HUONG [fin du XVIIIe-début du XIXe siècle]

Poétesse vietnamienne.

Les documents officiels relatifs à la vie de Hô Xuân Huong font défaut. La poétesse serait née entre 1775 et 1780 dans le district de Quynh Luu (province de Nghê An). Sa famille se serait ensuite installée à Khan Xuân, un village aux abords de Hanoi. Mariée puis veuve à deux reprises, la poétesse, à l’exemple de sa mère, n’aurait connu que le sort peu enviable d’épouse de second rang. Issue d’une famille désargentée et par ailleurs dépourvue de toute grâce comme le rapporte la tradition, elle fut cependant courtisée par de nombreux lettrés, fascinés par sa vivacité et sa grande culture. Parmi eux figurait Pham Dinh Hô (1768-1839), avec qui elle échangea de nombreux poèmes qui étaient autant de joutes poétiques. Par l’utilisation magistrale des onomatopées et des impressifs vietnamiens, elle sut, comme nul autre, exprimer les sons, les couleurs et les rythmes de la vie. Exceptionnelle, elle le fut tant par son style que par les thèmes dérangeants qu’elle abordait. Si elle a composé tous ses poèmes selon les normes classiques de la poésie Tang – quatrains et huitains de sept syllabes –, elle a choisi de les rédiger en nôm, caractères dérivés des caractères chinois, qui correspondent à la prononciation de la langue vietnamienne et permettront leur transmission orale au peuple. Pétillants de malice, bouillonnants de passion et de révolte, ses poèmes se moquent aussi bien des lettrés au petit pied, des bonzes licencieux que des mandarins et des seigneurs corrompus.

Mais son audace ne s’arrête pas là. Alors que la morale confucéenne imposait les « trois soumissions » aux femmes – à leur père quand elles sont jeunes filles, à leur conjoint une fois mariées et à leur fils lorsqu’elles sont veuves –, elle n’eut de cesse de porter le fer avec verve et humour contre l’hypocrisie et l’injustice de la société féodale. Échappant aux foudres des censeurs par une maîtrise remarquable de la langue, elle osa défier la pudibonderie confucéenne et revendiquer le droit au plaisir charnel. Nombre de ses écrits sont des joyaux inégalés dans l’art de pratiquer le double sens. À travers la description anodine d’un paysage, d’une action ou encore d’un objet usuel se cache une évocation érotique, faisant souvent écho à la gouaille insolente de maints proverbes et chansons populaires vietnamiens. Cependant, au-delà de ses compositions dans lesquelles d’aucuns n’ont consenti à voir que l’expression d’une libido effrénée, elle s’éleva sans équivoque contre le sort réservé aux femmes de son époque.

La poétesse, en alliant avec une grâce infinie poésie savante et poésie populaire pour stigmatiser les maux de la société féodale confucéenne, est sans conteste une grande dame de la poésie vietnamienne.

Marina PRÉVOT

BALABAN J., Spring Essence, the Poetry of Hô Xuan Huong, Washington, Copper Canyon Press, 2000 ; CORRÈZE F., HUU N., Le Voile déchiré, Hanoi, Éd en langues étrangères, 1984 ; DURAND M., L’Œuvre de la poétesse Hô Xuân Huong, Paris, EFEO IX, 1969 ; HUU N., NGUYÊN K. V., NGUYÊN V. H., Anthologie de la littérature vietnamienne, Hanoi, Éd en langues étrangères, 1973.

HOYER, Dore [DRESDE 1911 - BERLIN 1967]

Danseuse et chorégraphe allemande.

Née dans une famille ouvrière, Dore Hoyer reçoit en 1927 une bourse pour se former au professorat à l’École de gymnastique rythmique d’Ilse Homilius, disciple d’Émile Jaques-Dalcroze, puis à l’École de danse moderne de Gret Palucca*. Jusqu’en 1945, elle n’obtient que des engagements ponctuels dans des théâtres, où elle est distribuée principalement dans des œuvres lyriques et dans des troupes modernes. Elle mène en parallèle son propre travail de chorégraphe, présentant ses solos souvent en privé. Menant une existence peu aisée, elle parvient néanmoins à développer un style singulier qu’elle interprète avec une présence scénique magnétique. Son premier spectacle, donné à Dresde en 1933, présente notamment Ernste Gesänge (« chants sérieux »), sur la musique de son compagnon Peter Cieslak. Après le suicide de ce dernier en 1935, elle rencontre le pianiste et percussionniste Dimitri Wiatowitsch avec qui elle travaille jusqu’à la fin de sa vie. Au lendemain de la chute du régime nazi, elle double ses solos de compositions de groupe, tout d’abord au sein de la petite compagnie qu’elle rassemble dans l’ancienne École Wigman, puis au Staatsoper de Hambourg où elle est engagée comme soliste et maîtresse de ballet. À Dresde, elle crée notamment le cycle Tänze für (« danses pour ») Käthe Kollwitz, et le cycle de solos Der grosse Gesang (« le grand chant »), sur le thème des sentiments humains. Mais ce dernier, accusé de « formalisme », l’amène à quitter définitivement la zone d’occupation soviétique en 1948. À Hambourg, elle signe, entre autres, Der Fremde (« l’étranger »), que la critique compare à La Table verte de Kurt Jooss. Mais sa difficulté à moderniser le ballet de l’Opéra la conduit de nouveau à quitter cette institution en 1950. En 1951, alors qu’elle reçoit le Prix allemand de la critique qui consacre « la plus grande personnalité du monde de la danse d’après-guerre » et la compare à Martha Graham*, elle part au Brésil et en Argentine, où son art trouve un écho important. En 1957, elle fait des débuts remarqués à l’American Dance Festival de New London, où elle croise l’élite de la modern dance, mais ne se sent d’affinité qu’avec le groupe de José Limón. La même année, elle interprète l’Élue dans Le Sacre du printemps de Mary Wigman*. Elle tourne ensuite encore en Amérique du Sud, en revient notamment avec Südamerikanische Reise (« voyages sud-américains ») et le cycle Affectos Humanos (1962) inspiré de textes de Spinoza sur les passions humaines. Elle voyage également en Asie du Sud dont elle revient avec des thèmes qui nourrissent son dernier spectacle donné en décembre 1967. Mais, affectée par la désertion du public, une situation économique précaire et des douleurs récurrentes au genou, elle met fin à ses jours. Artiste novatrice, sans compromis, elle aura vécu à une époque dominée par le goût pour le néoclassique. Vingt ans après sa disparition, des artistes comme Susanne Linke* ou Arila Siegert ont rendu hommage à sa mémoire en reconstruisant Affectos Humanos.

Laure GUILBERT

MÜLLER H., PETER F.-M., SCHULDT G., Dore Hoyer. Tänzerin, Berlin, Hentrich, 1992.

HÔ YÔNGJA (ou HUH YOUNG-JA) [HAMYANG 1938]

Poétesse sud-coréenne.

Hô Yôngja débute en poésie en 1962 dans le magazine Hyôndae Munhak, juste après le très bref intermède démocratique entre deux dictatures. Parallèlement à une carrière d’enseignante de littérature coréenne, elle est rédactrice de l’important magazine poétique féminin Ch’ôngmi. Couverte de prix littéraires, elle a beaucoup publié, toujours de la poésie. Ses poèmes se caractérisent d’abord par le refus de l’histoire et de la réalité : la poétesse se concentre sur un flot de sentiments et d’émotions, se refusant à s’exprimer sur la réalité extérieure qui en est peut-être pourtant la source (Jeong Hyo-goo). Son lyrisme fait d’elle l’héritière d’une part importante de la littérature classique, ce qui implique aussi une tendance à un certain nombrilisme. En d’autres termes, n’exprimer que des sentiments privés est une forme d’autojustification d’autant plus forte que la poésie de ce type tend vers un monologue. Aussi le lecteur n’est-il convié qu’à partager les sentiments minimalistes de la poétesse. Les titres de ses principaux recueils parlent d’eux-mêmes : Oyôppûmiya ôjji kkotppunirya (« pourquoi seules les fleurs sont-elles belles », 1977), Kkotp’inûn nal (« le jour où les fleurs fleurissent », 1987), Arûmtaum-ûl wihayô (« pour la beauté », 1989).

QING TAI

KACF (dir.), Who’s Who in Korean Literature, Séoul, Hollym, 1996.

HOYOS, Cristina [SÉVILLE 1946]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie espagnole.

Peu de temps après avoir commencé la danse, à l’âge de 12 ans, Cristina Hoyos apparaît dans Galas Juveniles. À 16 ans, elle se spécialise dans le flamenco et se produit dans des tablaos sévillans. À Madrid, elle auditionne pour Antonio Gades qui l’engage en 1969 et la distribue dans sa Suite flamenca. En 1974, elle incarne la fiancée dans Noces de sang, d’après Federico García Lorca, rôle qu’elle conservera dans le film de Carlos Saura en 1981. Entre la dissolution (1975) et la reconstitution (1978) de la compagnie de Gades, elle présente son propre spectacle dans de nombreux festivals en Europe et au Japon. Puis, pendant dix ans, elle forme avec Gades un couple vedette. Elle est acclamée pour son interprétation saisissante du rôle-titre de Carmen (Gades, 1983), et campe une poignante maîtresse de ballet dans le film éponyme. En 1988, elle quitte la troupe et, l’année suivante, crée sa compagnie, avec laquelle, entre autres succès, elle fait triompher le flamenco à l’Opéra de Paris avec Sueños flamencos (1990). Symbole de l’excellence espagnole, elle est sollicitée pour l’Exposition universelle de Séville, les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux Olympiques de Barcelone (1992), enchaîne tournées internationales, participations et créations, avant de prendre en 2004 la tête du Ballet flamenco d’Andalousie invité sur tous les continents. Elle fait, en 2009, ses adieux d’interprète dans Romancero Gitano, son douzième ballet créé en 2006, l’année de l’ouverture de son école et d’un attachant musée du flamenco qu’elle dirige à Séville. Bien plus que son physique méditerranéen sans particularité, c’est son style épuré, caractérisé par l’éloquence de ses bras qui touche profondément. Interprète hors pair et chorégraphe sans concessions, elle synthétise la tradition et la modernité flamenca, mariant les formes ancestrales et une écriture dramaturgique limpide soigneusement mise en scène. À la suite de la Argentina*, elle incarne l’évolution d’un flamenco féminin authentique, à la portée universelle.

Virginie GARANDEAU

HRATCHIA, Aznif [ISTANBUL 1853 - BAKOU 1920]

Actrice arménienne de Turquie.

Fille d’un avocat d’Ankara, Aznif Hratchia livre son autobiographie en 1903, dans La Patrie, journal ottoman de langue française. Sa première apparition sur les planches date de 1869 au théâtre de Bedros Magakian, dans Hayk (« le brave Arménien ») de Romanos Sedefcian, où elle tient le rôle de Hayganuch. Elle passe ensuite au Théâtre ottoman de Hagop Vartovian (Güllü Agop) dans le rôle principal de La Bergère des Alpes (Marmontel). Dans ce théâtre bilingue où elle interprète de nombreuses pièces, elle reçoit son nom de scène, Hratchia (« Yeux de feu »). Après avoir pris des leçons de prononciation, elle est la première à jouer le rôle de Catherine Howard, dans l’adaptation turque du drame d’Alexandre Dumas père. Elle incarne également avec succès Zekiye, l’héroïne de Vatan yahut Silistre (« la Patrie ou Silistria ») de Namik Kemal ; Haydée dans Monte Cristo ; Catherine dans Angelo, tyran de Padoue ; et l’esprit de l’Arménie dans La Chute de l’empire de Rupenian. En dépit de sa réussite dans le Théâtre ottoman bilingue, elle est davantage attachée à l’arménien. Aussi retourne-t-elle sur une scène arménienne à Ortaköy en 1872-1873, où elle joue le rôle de Marie Tudor, grâce auquel elle se bâtit une réputation de parfaite tragédienne. En 1875, elle épouse son partenaire sur scène, le célèbre Bedros Atamian, dont elle a trois enfants. Après s’être éloignée du théâtre un temps, elle se joint à la troupe de Serope Benligian pour une tournée à Edirne, puis tente de faire revivre la scène arménienne à Ortaköy en 1878, sans y parvenir. Elle choisit alors de partir pour Tbilissi en 1881, à l’invitation du prince Amaduni. Là, elle conquiert le public par son interprétation de Catherine Howard. Retirée à Bakou, auprès de sa fille, elle y enseigne et y dirige des acteurs jusqu’à sa mort.

Aysin CANDAN

AND M., Osmanlı Tiyatrosu, Ankara, Dost Kitabevi, 1999.

La Patrie, journal ottoman, Constantinople, mars-sept. 1912.

HRISTOVA-JOCIĆ, Svetlana [RESEN 1941 - SKOPJE 2012]

Écrivaine macédonienne.

Après des études de philosophie à Skopje, Svetlana Hristova-Jocić a travaillé comme journaliste à Radio Skopje. Fondatrice et rédactrice en chef de la revue Stožer, elle a été la première femme présidente de l’Association des écrivains de Macédoine. Elle a présidé la manifestation internationale de poésie Makedonski duhovni konaci (« les gîtes d’esprits macédoniens ») et dirigé la revue Portal. Sa poésie possède une rare authenticité, un lexique riche de mots anciens et « des visions panthéistes de l’homme dans la nature et de la nature dans l’homme, de l’homme entre la terre et le ciel, de ces courants d’eau qui coulent et emportent tout dans l’infini », écrit le critique Georgi Stardelov. Le poète Ante Popovski dira d’elle qu’elle « crée un monde à elle dans lequel elle marche à travers une réalité hypothétique ». Elle a publié une dizaine de recueils de poésie, des essais et des livres pour enfants, et a reçu les plus prestigieuses récompenses dans son pays. Elle est également auteure d’anthologies thématiques, notamment de Sonceto vo makedonskata poezija (« le soleil dans la poésie macédonienne ») dans laquelle toutes les générations de poètes de Macédoine sont représentées avec un sujet commun : le soleil. Dans une autre anthologie (Sto bez edna pesna, « cent poèmes moins un »), elle a réuni les plus beaux poèmes d’amour en langue macédonienne.

Maria BÉJANOVSKA

JANEVSKI S., Okolu Začetieto, Skopje, Naša kniga, 1990 ; LUŽINA J., Moderato Cantabile ili priod kon mitolosko-poetskiot svet na Svetlana hristova-Jocic, Skopje, Matica Makedonska, 2008.

HRYNEVYTCHEVA, Katria [VYNNYKY 1875 - BERCHTESGADEN 1947]

Femme de lettres ukrainienne.

Katria Hrynevytcheva est une des figures marquantes de la littérature du début du XXe siècle de l’Ukraine occidentale. Née près de L’viv dans une famille de petits fonctionnaires, elle passe toute son enfance à Cracovie, fait ses études au séminaire pédagogique et commence à écrire en polonais. C’est au séminaire pédagogique qu’elle apprend l’ukrainien, mais son véritable intérêt pour la littérature ukrainienne lui vient de sa rencontre avec Vassyl Stefanyk, le maître de la nouvelle expressionniste ukrainienne. À 19 ans, elle retourne à L’viv pour se consacrer à l’écriture, à l’enseignement auprès des enfants défavorisés et aux activités d’édition. De 1910 à 1912, elle est rédactrice de la revue pour enfants et adolescents Dzvinok (« la clochette ») et elle s’engage activement dans le mouvement féministe en Galicie. Elle débute dans la littérature avec le recueil Lehendy i opovidannia (« légendes et récits », 1906) ; destinés aux enfants, ces récits parlent d’enfants de pauvres. Son recueil suivant, Nepoborni (« les invincibles » 1926), relate la Première Guerre mondiale et lui apporte la reconnaissance du public et d’écrivains comme Lioudmyla Starytska-Tcherniakhivska*, Olha Kobylianska* ou H. Khotkevytch. Elle est principalement influencée par Ivan Franko, la personnalité majeure de la culture ukrainienne et le premier à remarquer et à publier les œuvres de la jeune nouvelliste. Elle écrit ensuite deux nouvelles historiques (Cholomy v sontsi, « les casques ensoleillés », 1928 ; Chestykrylets, « le preux », 1929) où elle fait revivre le passé glorieux de la Galicie-Volhynie à la charnière du XIIe et du XIIIe siècle, époque où l’auteure puise souvent son inspiration et des éléments de son style littéraire, fort original et riche mais quelque peu baroque.

Tatiana SIROTCHOUL

HERASSYMOVA H., « Katria Hrynevytcheva », in Entsyklopedia istoriï Oukraïny, Kiev, Naukova dumka, 2003 ; KHARLAN O., Katria Hrynevytcheva, literatourny portret, Kiev, Znannia Oukraïny, 2000 ; MYCHANYTCH O., « Katria Hrynevytcheva », in Istoriïa oukraïnskoï literatoury XX stolittia, Kiev, Lybid’, 1998.

Movoznavstvo, Naukova dumka, Kiev, Naukova dumka, 2001, nos 1-3.

HUA MULAN [V. IVe-VIIe siècle]

Combattante chinoise.

Le nom de Hua Mulan est devenu synonyme d’héroïne en Chine. Les historiens ne s’accordent pas sur le vrai nom de cette jeune femme qui a inspiré une véritable légende. Selon les annales des Ming, son nom aurait été Zhu, mais celles des Qing parlent de Wei… La confusion règne aussi sur son lieu de naissance et de résidence. Certains pensent qu’elle est originaire du comté de Wan dans le Hebei, d’autres de Shangqiu dans le Henan, ou encore de la préfecture Liang dans le Gansu. Certains historiens pensent qu’elle a vécu vers la fin des Wei du Nord (386-534), mais Song Xiangfeng, historien qing, la situe à la fin de la dynastie Sui (début du VIIe siècle). Tous sont en revanche d’accord sur la nature de ses exploits : son père reçut un ordre d’incorporation militaire alors qu’il était vieux et infirme ; comme son frère était encore trop jeune, Hua Mulan décida de se déguiser en homme et de prendre la place de son père pour répondre à l’appel de l’armée. Elle avait été entraînée à l’art du combat comme beaucoup de filles d’officiers. Après douze années de batailles sanglantes contre les Huns, elle revint dans son pays natal, couverte de gloire. Mulan shi (« la ballade de Mulan ») raconte comment, invitée à la cour par l’empereur qui voulait la récompenser pour ses exploits, elle déclina l’invitation et, en échange, demanda un destrier. Ses anciens compagnons découvrirent plus tard qu’elle était une femme lors d’une visite qu’ils lui firent, car elle avait repris le tissage comme avant la guerre. Par son patriotisme et son amour filial, Hua Mulan incarne une image idéale aux yeux des Chinois. Elle a inspiré de nombreuses œuvres artistiques et littéraires, poèmes antiques, pièces d’opéra ou de théâtre contemporain, films, ballades… et un dessin animé des studios Disney en 1998.

Anne LOUSSOUARN

YAN H., Hua Mulan, femme-général de la Chine antique, Paris, You Feng, 2000.

HUANG DAOPO [WUNIJING V. 1245]

Inventrice chinoise.

Huang Daopo naît dans l’actuel district de Songjiang (Shanghai), vers la fin de l’époque des Yuan. Le récit de sa vie reste sujet à interprétation, car elle est devenue quasi légendaire en Chine. Très jeune, elle s’installe sur l’île de Hainan, région abondante en coton, et y apprend les techniques de filature. De retour sur le continent trente ans plus tard, elle y importe de nouvelles techniques de filage et de tissage, améliorant l’efficacité du travail. On lui doit le perfectionnement de la cardeuse, le métier à filer activé au pied et équipé de trois fuseaux, et le développement de la fabrication des « draps de Wunijing », associant la filature avancée des Li et le tissage traditionnel des Han.

Carole ÉCOFFET

WITKOWSKI N., Trop belles pour le Nobel, Seuil, 2007.

HUANG JIELING VOIR HUANG YUANJIE

HUANG SHU QIN [SHANGHAI 1939]

Réalisatrice et scénariste chinoise.

Elle fait ses études à la Beijing Film Academy de 1960 à 1964, mais ne travaille qu’après la Révolution culturelle, tout d’abord comme assistante de Xie Jin pour Tian yun shan chuan qi (« la légende des monts Tianyun », 1980). Elle aborde des thèmes universels à travers des personnages et des événements ordinaires, notamment dans les films suivants : The Modern Generation (1981) ; Qing chu wan sui (Forever Young, 1983) ; Tongnian de pengyou (Childhood Friends, 1984) ; Crossing Border Action (1986), Renguigong (Woman, Demon, Human, 1987, scénario et réalisation) ; Wei cheng (« la forteresse assiégée », 1990, série télévisée) ; Pan Yuliang, artiste peintre (Hua hun, scénario de Huang Shu Qin et coréalisation avec Zhang Yimou, 1994, en partie tourné à Paris) ; Hi Frank ! (2002, scénario et réalisation) ; Mainland Prostitute (2005).

Jean-Paul AUBERT

HUANG YUANJIE [JIAXING XVIIe siècle]

Poétesse et peintre chinoise.

Fille adorée d’une famille intellectuelle assez aisée, Huang Yuanjie ou Huang Jieling (de son prénom de lettrée) est encouragée par son père dans ses activités artistiques : la création poétique, la calligraphie et la peinture. Elle prend pour modèle l’artiste Wu Zhen de la dynastie Yuan, et excelle en particulier dans la peinture de paysages. Elle apprécie aussi la poésie de Du Fu, qui laissera une empreinte dans son style d’écriture. Son père la destine au mariage avec Yang Yuanxun, le fils d’un ami de la famille. Les deux jeunes gens grandissent ensemble dans une parfaite entente, mais leur existence tranquille et heureuse est brisée par la guerre avec les Mandchous. Dans ce contexte de bouleversement social, la vie devient plus difficile pour la famille appauvrie de Huang Yuanjie. Afin de survivre, l’artiste commence à vendre ses œuvres de peinture et de calligraphie. Sa ferveur bouddhiste et sa vertu admirable lui font gagner une brillante réputation, et des femmes de familles nanties viennent suivre son enseignement. Souvent présente dans les activités littéraires féminines organisées par Liu Rushi*, elle se lie d’amitié avec nombre de lettrés illustres, mais elle préserve toujours son indépendance et exclut l’idée de devenir courtisane pour pallier ses difficultés financières. Sa fameuse peinture à l’encre, Xuting luo cui tuzhou (« les ombres vertes tombent sur le kiosque Xu »), exécutée en 1656, est conservée au musée des Beaux-Arts de Shanghai ; Wei He Dong furen zuo qianjiang shanshui (« paysage pourpre dédié à Mme He Dong ») figure dans le catalogue Gudai shuhua guomu huikao (« recueil de peintures de l’Antiquité ») ; certains de ses shi (poèmes avec rimes) sont regroupés par Xu Shichang dans son anthologie Wanqing yishi hui (« recueil de poèmes de la fin de la dynastie Qing », 2009).

LUO TIAN

Huang Yuanjie shi, Zou Y. (dir.), [s. l.], Zoushi yiyizhai, 1655.

QIAN Q., Lie chao shiji xiaozhuan, Shanghai, Zhonghua shuju, 1959.

SONG Q., « Huang Yuanjie, mingji wenhua yu guixiu wenhua ronghe de qiaoliang », in Zhongguo dianji yu wenhua, vol. 3, 2006.

HUANG ZONGYING [PÉKIN 1925]

Écrivaine et actrice chinoise.

En 1941, à l’âge de 16 ans à peine, Huang Zongying quitte sa ville natale pour devenir comédienne à Shanghai – son frère aîné étant l’un des premiers dramaturges de la Chine moderne. Son rôle de « demoiselle ravissante » dans une comédie populaire la rend célèbre. À partir de 1946, elle débute au cinéma et devient l’une des actrices les plus populaires de l’écran chinois. Parallèlement à sa carrière d’actrice, qui est vite légendaire, grâce, entre autres, à son mariage avec Zhao Dan, l’une des figures mythiques du cinéma chinois, elle entre très tôt en écriture. En 1993, treize ans après la mort de son mari, elle épouse Feng Yidai, écrivain de renom et traducteur. Observatrice méticuleuse de la vie quotidienne, l’écrivaine se fait connaître dans un genre où dominaient plutôt les hommes : le reportage. Meili de yanjing (« les beaux yeux », 1978) et Ju (« l’orange », 1983) lui valent successivement le Grand prix national du reportage en 1982 et 1984. Son compte-rendu sur le Tibet, Xiao muwu (« la cabine en bois », 1984), est adapté pour la télévision et couronné d’un prix international en 1985.

DONG QIANG

LI H., Huang Zongying zishu, Zhengzhou, Daxiang chubanshe, 2004 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxue shihua, Tianjin, Baihua wenyi chubanshe, 1984.

HUARUI (XU FEIRU, dite Mme) [QINGCHENG, AUJ. DUJIANGYAN Xe s. - ID. 976]

Poétesse chinoise.

Mme Huarui est la concubine favorite de l’empereur Meng Chang du royaume des Shu postérieurs, à l’époque des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes. Elle est surnommée Huarui par le souverain en raison de sa beauté exceptionnelle : plus que le pistil d’une fleur, ce mot signifie le gynécée, sa partie la plus sécrète et la plus délicate. L’hibiscus et la pivoine étant les fleurs préférées de sa favorite, l’empereur en fait planter partout dans Chengdu, capitale qui est aussi baptisée la Ville des hibiscus. Outre sa splendeur, la poétesse est dotée d’un talent littéraire prodigieux. Elle excelle dans la composition des gong ci (vers à chanter évoquant la vie de cour), dont une centaine lui sont attribués. Ces poèmes décrivent, dans un style frais, parfois somptueux et coloré, les scènes privées et les épisodes savoureux qui se déroulent quotidiennement à la cour : loisirs, repas, chants et danses, tristesse et joie. Simples, vifs, mélodieux, expressifs, empreints d’une sensibilité toute féminine, au plus près de l’intimité de la cour, ces gong ci sont reconnus pour leur valeur non seulement littéraire mais aussi historique. Après la chute de son royaume en 965, Meng Chang se rend à l’empereur Song Taizu, accompagné de sa favorite, qui compose à cette occasion un poème de lamentation sur la lâcheté de l’armée des Shu. Devenue par la suite la concubine du nouveau souverain, Mme Huarui restera jusqu’à sa mort fidèle à son amour pour Meng Chang.

WEI KELING

CAO M., Mandi hongyan li chunfeng, Huarui furen shi pingzhu, Shanghai, Shanghai guji, 2004 ; LIANG Y., Zhongguo funü wenxue shi gang, Shanghai, Kaiming shudian, 1932 ; PENG D., Quan Tangshi (1707), Pékin, Zhonghua shuju, 2008 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxueshi, Tianjin, Baihua wenyi, 2001.

HUBACHER-CONSTAM, Annemarie [ZURICH 1921 - ID. 2012]

Architecte suisse.

Après l’obtention de son diplôme, en 1943, de l’École polytechnique fédérale de Zurich, Annemarie Hubacher-Constam travaille chez Alfred Roth (1903-1998) et Hans Hofmann (1897-1957). En 1945, elle fonde une agence à Zurich, avec son mari, Hans Hubacher (1916-2009), rencontré à l’École. Elle se fait un nom comme architecte en chef de la SAFFA 58 (Schweizerische Austellung für Frauenarbeit, « exposition suisse du travail féminin », 1958). Mais cet engagement, important pour sa carrière ultérieure, ne fait pas d’elle une activiste politique, et on lui reprochera souvent par la suite d’avoir trop peu soutenu le désir d’égalité des femmes. Dans sa vie privée, elle ne fait pourtant pas de compromis : engagée dans sa famille comme dans sa profession, mère de trois enfants et architecte corps et âme. Son fils Matthias deviendra lui aussi architecte, poursuivant la tradition familiale engagée par le grand-père d’Annemarie, Gustav Gull (1858-1942). Avec son mari, elle conçoit des logements, des églises, des écoles et des hôtels, qui suscitent de l’intérêt bien au-delà de Zurich : bâtiments simples, sans prétention, où elle compose habilement avec béton brut, bois et brique. Les œuvres les plus connues du couple sont l’école primaire im Hofacker (Schlieren 1955), l’église Diaspora (Schwyz 1956) et l’hôtel Atlantis (Zurich 1970) ; le lotissement Rietholz (Zollikerberg 1961) est la plus réussie, souvent montrée dans le cadre de l’architecture suisse. Le couple y démontre que, grâce à des structures variées et des types de logements différenciés, il est possible d’atteindre, même dans le logement préfabriqué, une riche expression architecturale.

Anna SCHINDLER

BECKEL I., VOLLMER G. (dir.), Terraingewinn. Aspekte zum Schaffen von Schweizer Architektinnen von der SAFFA 1928 bis 2003, Berne/Wettingen, eFeF, 2004 ; HUBER D., RUCKI I., Architektenlexikon der Schweiz 19./20. Jahrhundert, Bâle/Boston/Berlin, Birkhäuser, 1998.

HUBER, Therese (épouse FORSTER, née HEYNE) [GÖTTINGEN 1764 - AUGSBOURG 1829]

Femme de lettres allemande.

Therese Huber grandit au contact de la société cultivée de Göttingen, dont fait partie son père, le philologue classique Christian Gottlob Heyne. En 1785, elle consent à un mariage sans amour avec le naturaliste voyageur Georg Forster, qu’elle suit à Vilnius puis à Göttingen. Au moment de la Révolution française, ils s’installent à Mayence où la république est proclamée. Elle y rencontre l’écrivain Ludwig Ferdinand Huber qu’elle épouse en 1794, après la mort de G. Forster. Conformément à l’idéal féminin de son temps cantonnant la femme à son seul rôle de mère, T. Huber publie ses premiers textes anonymement ou sous le nom de son mari. Leurs sujets n’en sont pas moins novateurs. Pour preuve, Abentheuer auf einer Reise nach Neu-Holland (« aventures lors d’un voyage en Nouvelle-Hollande »), publié en 1797, aborde pour la première fois dans une œuvre de fiction le thème de la colonisation de l’Australie, et décrit la situation des Anglais vivant dans des colonies pénitentiaires. Dans Luise, elle dépeint la crise d’une société sous le joug des conventions, tandis qu’elle porte un regard critique sur la Révolution française dans Die Familie Seldorf. Transcrit sur le ton de la causerie, également mode d’écriture de sa vaste correspondance, son récit de voyage en Hollande (1809) connaît un vif succès. En 1816, elle prend la direction de la rédaction du Morgenblatt für gebildete Stände (« journal du matin pour les classes instruites »). En dépit de sa réussite, un malentendu avec l’éditeur Cotta provoque, sept ans plus tard, son départ pour Augsbourg où elle finit ses jours. Rompant avec l’accent ironique des débuts, ses romans d’apprentissage des années 1820 sont moralistes : Hannah et Ellen Percy prônent une détermination traditionnelle des rôles entre les sexes et un retour aux valeurs morales de la famille. Alors que ses écrits de jeunesse sont encore empreints de l’esprit des Lumières, on décèle un style Biedermeier naissant dans ses ouvrages tardifs.

Sophie FLORIS

Romane und Erzählungen, Heuser M. (dir.), Hildesheim, Olms, 1989 ; Briefe, Heuser M. et Wulbusch P. (dir.), Tübingen, Niemeyer, 1999.

SOLOVIEFF G., Cinq figures féminines méconnues du romantisme allemand, Paris, L’Harmattan, 2005.

HUBERT, Jeannette VOIR DAYAN, Josée

HUCH, Ricarda [BRUNSWICK 1864 - SCHÖNBERG IM TAUNUS 1947]

Écrivaine et historienne allemande.

Issue d’une famille de commerçants, Ricarda Huch fut l’une des premières femmes à obtenir, à l’université de Zurich, le titre de docteure en histoire. Son premier roman, Erinnerungen von Ludolf Ursleu dem Jüngeren (« souvenirs de Ludolf Ursleu le Jeune », 1893), traite du droit à la passion, abordant de manière ironique et émancipatrice les rapports qu’elle entretient avec son beau-frère Richard. Son œuvre inclut des études historiques, de la prose fictionnelle, deux nouvelles policières, Le Dernier Été et L’Affaire Deruga, quelques œuvres théâtrales et plusieurs recueils de poèmes. Sa correspondance, éditée après sa mort, mérite également lecture. Dans son étude en deux tomes sur Les Romantiques allemands (1902), elle consacre une attention particulière aux écrivaines. Si elle ne s’est jamais engagée dans la cause féministe, sa vie et son travail ont ouvert la voie à des idées nouvelles. Après son mariage en 1898 avec un Italien, elle écrit des romans sur Garibaldi et Confalonieri, et plus tard une étude sur Bakounine. Son divorce en 1905 est suivi d’un bref et malheureux mariage avec son amour de jeunesse. Dans sa description de la guerre de Trente Ans ainsi que dans sa monographie sur Wallenstein, elle traite souvent de la condition féminine. Son livre Luthers Glaube, Briefe an einen Freund (« la foi de Luther, lettres à un ami », 1916) a influencé le théologien réformateur Helmut Gollwitzer. En avril 1933, elle démissionne de l’Académie prussienne des arts, dont elle avait été le premier membre féminin. Le recueil de poèmes Herbstfeuer (« feu d’automne », 1944) contient un hymne aux résistants antinazis rédigé pendant la guerre. R. Huch rassembla sur ces mêmes résistants une documentation, éditée en 1953.

Heidy Margrit MÜLLER

Les Romantiques allemands (Ausbreitung und Verfall der Romantik, 1902), Aix-en-Provence, Pandora, 1978-1979 ; Le Dernier Été (Der letzte Sommer, 1910), Paris, V. Hamy, 1992 ; L’Affaire Deruga (Der Fall Deruga, 1917), Paris, V. Hamy, 1993.

Gesammelte Werke, 11 vol., Emrich W. (dir.), Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1966-1974.

LISKA V., Die Moderne : Ein Weib, Am Beispiel von Romanen Ricarda Huchs und Annette Kolbs, Tübingen, Francke, 2000.

HUDSON, Hilda Phoebe [CAMBRIDGE 1881 - LONDRES 1965]

Mathématicienne britannique.

Venant d’une famille dont tous les membres se sont distingués en mathématiques, après quatre ans d’études à Newham, entre 1900 et 1904, Hilda Phoebe Hudson passe un an à l’université de Berlin, puis revient à Newham pour cinq ans comme chargée de cours. En 1912, le Congrès international de mathématiques se tient à Cambridge. Elle s’inscrit avec son père, mais c’est elle qui fera la communication, devenant ainsi la seule femme à prendre la parole. De 1912 à 1913, elle enseigne un an au Bryn Mawr College, aux États-Unis. Cette période particulièrement productive lui permet de publier six articles. En 1916, elle publie une monographie intitulée Ruler and Compasses (« la règle et les compas »), qui traite de manière élégante de géométrie, en présentant les champs d’applications et les problèmes de constructibilité avec la règle et le compas seuls. Elle enseigne ensuite à l’Institut technique du West Hampshire jusqu’en 1917. Là, elle s’engage dans le service civil et travaille deux ans pour le ministère de l’Air, puis comme assistante technique à Bristol pour l’industrie aéronautique jusqu’en 1921. Pendant cette période, elle publie des articles de mathématiques appliquées à l’aéronautique, toujours en lien avec les transformations de Cremona. En 1921, elle quitte le travail salarié pour se consacrer à l’écriture. C’est à cette période qu’elle publie le travail qui va faire sa célébrité : Cremona Transformations in Plane and Space (« les transformations de Cremona dans le plan et dans l’espace », 1927). Son mémoire met en lien les éléments essentiels de ce champ de recherche. La méthode employée est assez élémentaire, essentiellement de la géométrie analytique, mais son succès vient surtout de la puissance de son intuition en géométrie. Elle ajoute à son texte une impressionnante bibliographie comportant 417 entrées, couvrant une soixantaine d’années de publications sur le sujet. Sa dernière publication mathématique a été une contribution à la 14e édition de l’Encyclopaedia Britannica : « Géométrie analytique courbe et surface » en 1929.

Isabelle COLLET

OGILVIE M., HARVEY J. (dir.), Biographical Dictionary of Women in Science, New York/Londres, Routledge, 1986.

HUGGINS, Jackie [AYR 1956]

Historienne et écrivaine aborigène australienne.

Personnalité birri-gubba juru et bidjara, Jackie Huggins a reçu de nombreuses distinctions pour services rendus à sa communauté, et plus particulièrement pour son travail sur le mouvement de réconciliation, l’alphabétisation, les droits des femmes et la justice sociale. En 2008, le Premier ministre Kevin Rudd la nomme coordinatrice du groupe de réflexion sur les affaires aborigènes dans le cadre du Sommet australien 2020, destiné à préparer l’Australie du XXIe siècle. Ses interventions publiques, ses deux livres et sa pièce de théâtre Maarkkings (« trraaace », 1993) reflètent son engagement intellectuel, communautaire et familial. Écrit avec sa mère Rita Huggins, le récit Aunty Rita (« tata Rita », 1994) s’élève contre l’injustice et l’oppression qui ont frappé les Aborigènes en retraçant la vie de Rita, arrachée enfant à sa famille et emmenée de force dans une réserve. Sa vie de mère isolée et son engagement politique pour la cause des droits aborigènes sont au cœur du livre. Le recueil d’essais historiques et politiques de J. Huggins, Sister Girl (1998), qui comprend aussi un entretien avec bell hooks*, est considéré comme une référence. Il aborde l’histoire longtemps passée sous silence de la contribution des Aborigènes aux « avancées » économiques et sociétales australiennes. L’auteure a également abordé l’exclusion des Aborigènes, consciente ou inconsciente, opérée par le mouvement féministe, auquel elle reproche d’être resté sourd à la manière dont le racisme va de pair avec le sexisme : au moment où les femmes blanches se battaient pour la contraception, les femmes aborigènes se voyaient retirer leurs enfants. Rappelant que « les femmes blanches ont participé à la colonisation et à l’oppression des femmes noires » et peu satisfaite du manque de représentation des femmes aborigènes dans les ouvrages historiques, J. Huggins note toutefois que les meilleurs livres écrits sur les Aborigènes par de non-Aborigènes proviennent de personnes qui ont (eu) de longues amitiés avec eux : les barrières culturelles et sociales peuvent être transcendées lorsqu’une relation, fondée dans le temps et sur le respect, unit des individus.

Estelle CASTRO

Avec HUGGINS R., Aunty Rita, Canberra, Aboriginal Studies Press, 1994 ; Sister Girl, St Lucia, University of Queensland Press, 1998.

HUGGINS, Margaret Lindsay [DUBLIN 1848 - LONDRES 1915]

Astronome britannique.

Orpheline de mère et fille de John Murray, notaire à Dublin, Margaret Lindsay est intéressée à la voûte céleste par son grand-père paternel, un natif des Highlands, terre propice à l’observation des étoiles. Il lui apprend à reconnaître les constellations et elle enrichit en autodidacte ses connaissances en astronomie. Des articles parus dans un magazine grand public lui donnent l’idée de construire son premier spectroscope. En 1875, elle épouse William Huggins, de vingt-quatre ans son ainé, médaille d’or de la Royal Astronomical Society et propriétaire d’un observatoire à Tulse Hill dans le sud de Londres. Elle lui sert d’assistante, mais devient rapidement une chercheuse à part entière. À partir de 1889, W. Huggins associe le nom de Margaret à certaines de ses publications. Elle joue notamment un rôle éminent en incorporant la photographie dans les programmes de W. Huggins sur la spectrographie de masse, bien qu’il ait longtemps sursis à adapter ses méthodes et ses instruments aux besoins spécifiques de la spectroscopie photographique. M. L. Huggins détecte ainsi par des observations à l’œil nu un élargissement significatif du dernier spectre de Nova Aurigae. Dans l’étude du spectre de cette nova, elle s’intéresse particulièrement aux raies d’émission du bromure de radium. Finalement reconnue par ses pairs, elle est élue membre honoraire de la Royal Astronomical Society en 1903.

Nathalie COUPEZ

BECKER B. J., « Eclectism, opportunism, and the evolution of new research agenda : William and Margaret Huggins and the origins of astrophysics », thèse, Baltimore, Johns Hopkins University, 1993.

HUG-HELLMUTH, Hermine VON (née HUG VON HUGENSTEIN) [VIENNE 1871 - ID. 1924]

Psychanalyste autrichienne.

Née dans une famille de militaires, Hermine Hug von Hugenstein fut d’abord institutrice avant de s’inscrire à la faculté de Vienne où elle obtient, en 1909, un doctorat en philosophie. Initiée à la psychanalyse par le Viennois Isidor Isaak Sadger, elle s’intéressa très tôt à l’application de la méthode psychanalytique aux enfants et publia de nombreux articles dont, en 1911, l’analyse du rêve d’un enfant de 5 ans et demi qui paraîtra dans la revue Zentralblatt für Psychoanalyse. En 1912, elle est chargée par Sigmund Freud de la rubrique consacrée à la psychanalyse des enfants dans la revue Imago, et devient membre de la Société psychanalytique de Vienne l’année suivante. Par ses nombreuses conférences, elle contribuera fortement au développement de la psychanalyse d’enfants et sera chargée, en 1921, du cours d’introduction à la pédagogie donné à la policlinique psychanalytique de Berlin. À partir de 1923, elle dirige la première consultation de conseils en éducation du dispensaire psychanalytique de Vienne. Sa technique thérapeutique fut parfois considérée par ses contemporains comme un peu trop dogmatique et systématique. Mais, durant les décennies suivantes, Anna Freud* poursuivra dans cette voie tandis que Melanie Klein* s’en écartera radicalement. En 1919, sous le nom de Grete Lainer, elle publie Journal psychanalytique d’une petite fille, qui connut un succès important et fut salué par Stefan Zweig et Lou Andreas-Salomé*. Comme il apparut très vite qu’il ne s’agissait pas de l’écrit authentique d’une adolescente mais d’un récit entre fiction et autobiographie écrit pour corroborer les thèses freudiennes concernant la sexualité infantile, S. Freud retira la préface qu’il avait écrite pour la première édition. H. von Hug-Hellmuth devait connaître une fin tragique : elle fut étranglée par son neveu orphelin qui avait passé son enfance de famille d’accueil en famille d’accueil ; après l’avoir recueilli, elle avait risqué avec lui des interprétations qu’on qualifierait aujourd’hui de « sauvages ». Nombre de ses principales contributions seront reprises en France dans un ouvrage publié en 1991 sous le titre Essais psychanalytiques, destin et écrits d’une pionnière de la psychanalyse des enfants.

Chantal TALAGRAND

Journal d’une petite fille (Tagebuch eines halbwüchsigen Mädchens, 1919), Paris, Denoël, 1988 ; Essais psychanalytiques, destin et écrits d’une pionnière de la psychanalyse des enfants, Paris, Payot, 1991.

HUGHES, Helen MCGILL [VANCOUVER 1903 - ID. 1992]

Sociologue canadienne.

Née en Colombie-Britannique, Helen McGill fait des études d’allemand et d’économie. Lors d’une visite à Vancouver en 1925, Robert E. Park l’invite à faire sa thèse sur la presse dans le département de sociologie de l’université de Chicago qu’il dirige. Elle démontre, parmi les premières, la liaison entre journalisme et récit dramatique. Par la suite, mariée à Everett C. Hugues (fondateur de la seconde École de Chicago) et mère de deux petites filles, elle se consacre à sa famille et accepte un travail à mi-temps d’éditrice au sein de l’American Journal of Sociology. En 1973, elle y publie un article autobiographique au titre éloquent, Maid of all work or departmental sister-in-law ? The faculty wife employed on campus (« Bonne à tout faire ou belle-sœur du département ? La femme universitaire employée sur le campus »), dans lequel elle dépeint avec humour sa carrière de secrétaire de rédaction et les ambiguïtés du fait que ses « patrons » étaient ses anciens collègues et son mari. En 1969, alors que l’American Sociological Association réunit son congrès à l’hôtel Hilton, des centaines de sociologues femmes décident de tenir un contre-congrès dans une chapelle ; une vingtaine d’entre elles parmi les plus établies fondent une association ayant pour mission de servir de mentor aux étudiantes en sociologie et de les encourager à gravir les échelons universitaires. La sociologue joue un rôle prééminent dans cette association fondatrice, baptisée Sociology for Women in Society (SWS) : elle en est la vice-présidente pendant les deux premières années (le règlement ultérieur stipulera un changement tous les ans). Après la mort de son mari en 1983, elle devient présidente de l’Association des sociologues de la côte Est et vice-présidente de l’American Sociological Association.

Pierre TRIPIER

Avec HUGUES E. C., Where People Meet : Racial and Ethnic Frontiers, Westport, Greenwood Press, 1952.

HUGO, Valentine (née GROSS) [BOULOGNE-SUR-MER 1887 - PARIS 1968]

Peintre et plasticienne française.

Fille de pianiste professionnel, Valentine Gross grandit au sein d’une famille éclairée. Après avoir obtenu un certificat de professeure de dessin, elle entre à l’École des beaux-arts de Paris en 1907 et fréquente l’atelier de Jacques Fernand Humbert ; elle participe pour la première fois au Salon des artistes français en 1909. Passionnée de musique et de danse, la jeune femme réalise de nombreuses études de danseurs et expose croquis au pastel et tableaux à la cire sur bois au Théâtre des Champs-Élysées en 1913. Pour les illustrations de mode qu’elle publie dans La Gazette du bon ton de Lucien Vogel, elle privilégie la technique de la gravure sur bois ; en 1916, elle expose quelques livres enluminés chez Barbazanges à Paris. Elle dessine aussi des costumes pour Jacques Copeau et l’atelier du Vieux-Colombier en 1917. En 1919, elle épouse Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo. Les déguisements et les « masques-marionnettes » qu’elle confectionne pour les bals costumés des Noailles et des Beaumont alternent dès lors avec les costumes et les décors de scène qu’elle dessine avec son mari pour le théâtre (Roméo et Juliette, 1924). Proche des surréalistes, elle devient la maîtresse d’André Breton en 1931 et divorce l’année suivante. Durant la même époque, elle rejoint la « centrale surréaliste » et crée ses premiers « objets » : ainsi L’Objet à fonctionnement symbolique (1931), présenté dans l’Exposition surréaliste de 1933, année où elle accroche avec le groupe au Salon des surindépendants. En 1936, elle participe à l’exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism du Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Elle peint notamment Les Poètes surréalistes (1932-1948) et illustre de nombreux textes surréalistes entre 1933 et 1937. Parallèlement à ses « peintures-collages » oniriques, elle pratique la lithographie et la pointe-sèche. À partir des années 1940, son activité se partage entre l’illustration de livres, dont elle signe quelquefois le texte, et des projets de costumes et de décors pour le théâtre. La mécène Yvonne Zervos (1905-1970) organise une vente de ses archives en 1963 pour parer aux difficultés financières de l’artiste. Ce n’est qu’en 1977, une dizaine d’années après sa mort, qu’est organisée, au centre culturel de Champagne à Troyes, la première importante exposition rétrospective de son œuvre.

Cécile GODEFROY

De Valentine Gross à Valentine Hugo, Seguin B. (dir.), Boulogne-sur-Mer, bibliothèque municipale, 2000.

SEGUIN B., CAUVIN J.-P., Valentine Hugo, écrits et entretiens radiophoniques, suivi de Le Surréalisme de Valentine Hugo, Arles, Actes Sud, 2002.

HUH LAN-SEOL-HUN VOIR HÔ NANSÔRHÔN

HUH YOUNG-JA VOIR HÔ YÔNGJA

HUI, Ann (ou XU ANHUA) [ANSHAN, MANDCHOURIE 1947]

Réalisatrice et scénariste hongkongaise.

Revenue à Hongkong après des études à la London Film School, Ann Hui assiste King Hu et travaille à la télévision de 1975 à 1979, date à laquelle elle réalise Fang jie (The Secret, sur le trafic d’opium imposé par les Britanniques en 1839), qui lance la nouvelle vague hongkongaise. Ce parcours caractéristique (études de cinéma en Occident, passage par la télévision) détermine une certaine approche des problèmes sociaux et de la question de l’identité. Dans Passeport pour l’enfer (Tau ban no hoi ou Boat People, 1982), un journaliste japonais venu prendre des photos du Vietnam trois ans après l’indépendance découvre une réalité très différente de la propagande officielle, qui justifie que la population persécutée tente de fuir le pays. L’analogie avec la situation de Hongkong, dont on envisage alors la rétrocession, explique la colère de Pékin et l’interdiction du film. Le Chant de l’exil (Ke tu qiu hen, 1990), sur le retour au pays d’une jeune Hongkongaise après ses études à Londres, met en rapport des origines et des cultures différentes (Grande-Bretagne, Hongkong, Chine, Japon) avec une multiplicité de perspectives suggérant une difficulté à se définir et une inquiétude quant à l’avenir. Parmi les autres films de A. Hui, citons : Qing cheng zhi lian (Love in a Fallen City, 1984) ; Shu jian en chou lu (Romance of Book and Sword, 1987) ; Shangai jiaqi (My American Grandson, 1991) ; Neige d’été (Summer Snow ou A Woman at 40, Nuren Si chi, 1995) ; Yu guanyin (Jade Goddess of Mercy, 2003) ; et Une vie simple (Tao jie, Festival de Venise 2011, sortie en France en 2013), sur la vie simple d’une femme au service d’une famille depuis quatre générations. Du point de vue du style, la réalisatrice recourt volontiers au flash-back et à la voix off. Son intérêt pour les problèmes des femmes, quant à leur situation dans la société, ne s’exprime que dans un deuxième temps, lorsque le succès confirmé de ses premiers films l’autorise à s’exprimer librement dans ses films suivants.

Jean-Paul AUBERT

HULANICKI, Barbara [VARSOVIE 1936]

Styliste de mode britannique.

Née de parents polonais, Barbara Hulanicki séjourne en Palestine pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de partir pour l’Angleterre, où elle s’inscrit au Brighton College of Art. Elle débute comme illustratrice de mode et crée avec son mari, en 1963, la Biba’s Postal Boutique, concept inspiré de la VPC. L’une de leurs créations, une robe en vichy rose, est commandée à des milliers d’exemplaires, marquant l’envol de la marque. La première boutique Biba ouvre à Londres en 1964. Très vite, le succès est tel que le réassort est fait deux fois par jour. La maison déménage, en 1973, sur Kensington High Street, dans un immeuble de six étages de 37 000 mètres carrés, dont le décor mêle l’Art nouveau à l’Art déco. Big Biba devient « le plus beau magasin du monde » (Sunday Times). Outre des vêtements et des accessoires pour femme, homme et enfant, on y trouve des cosmétiques, des objets de décoration et des produits alimentaires. C’est l’un des premiers concept stores. Bon marché, branché, mêlant les inspirations rétro, le look Biba réunit tous les ingrédients pour captiver une clientèle jeune avec, en tête, les célébrités (Mick Jagger, Marianne Faithfull*, Brigitte Bardot*…) qui font rapidement de l’enseigne un lieu culte. Mais la crise pétrolière est fatale pour la marque qui disparaît en 1975. B. Hulanicki travaille alors en free-lance pour Fiorucci et Cacharel, puis dessine une ligne pour enfant, Minirock, de 1980 à 1992. Elle s’installe, quelques années plus tard, aux États-Unis où elle devient styliste et décoratrice pour des groupes rock. En 2006, l’entrepreneur Michael Pearce rachète la marque, pour la faire renaître, et place à la tête de la création la styliste Bella Freud*. En quelques années, Biba est devenu le symbole du Swinging London et sa créatrice a marqué durablement la mode.

Zelda EGLER

From A to Biba, Londres, Hutchinson & Co, 1983.

KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; TURNER A. W., The Biba Experience, Woodbridge, Antique Collector’s Club, 2004.

Beyond Biba, A Portrait of Barbara Hulanicki, Louis Price, 56 min, 2009.

HULDA (Unnur BENEDIKTSDÓTTIR BJARKLIND, dite) [AUDNUM 1881 - REYKJAVÍK 1946]

Poétesse et écrivaine islandaise.

Élevée à la campagne et éduquée à domicile, Hulda a suivi une formation en gestion domestique et en couture dans le nord de l’Islande avant d’entreprendre des études à Reykjavík. Malgré ses devoirs de mère de famille, elle a pu mener ses travaux d’écriture dans de meilleures conditions que la plupart des femmes écrivaines islandaises de son temps. Elle était très instruite pour son époque et menait une vie aisée avec un mari qui la soutenait. Elle a ainsi pu effectuer deux longs séjours à l’étranger pour se familiariser avec la littérature et les beaux-arts contemporains. Son premier recueil, Kvædi (« poèmes », 1909), a retenu l’attention et suscita même des controverses, traduisant l’hostilité contre les femmes écrivaines mais aussi contre les changements des goûts littéraires et des formes poétiques. Hulda a en effet été l’un des premiers poètes islandais à écrire dans l’esprit néoromantique. Le conflit entre le désir de liberté de l’artiste et le devoir de la femme en tant qu’amante et mère est très présent dans ses premiers poèmes, tel « Er æskan og vonirnar kalla » (« lorsque la jeunesse et les espoirs nous appellent », 1909). Avec le temps, le désir de liberté s’estompe au profit de l’exaltation du sens du devoir, illustrée par exemple dans le poème Thar, sem gæfan grær (« où se cultive le bonheur », 1946). De même, Dalafólk (« les gens des vallées », 1936-1939) est un roman d’apprentissage en deux volumes qui raconte la vie d’une jeune femme souhaitant s’affranchir de la campagne ; il décrit en même temps la culture et les modes de vie des paysans aisés. L’écrivaine a joué un grand rôle dans le bouleversement littéraire qui s’est opéré en Islande dans les années 1900. Elle a notamment renouvelé l’ancienne forme de litanie orale islandaise, la thula, qu’elle marie de manière originale avec des images et des idées modernes, comme dans les thulur « Ljádu mér vængi » (« donnez-moi des ailes », 1909) et « Heyrdi ég í hamrinum » (« j’ai entendu dans la falaise », 1909). Elle a également introduit en Islande des éléments stylistiques tels que le poème en prose. Avec son poème « Hver á sér fegra födurland » (« qui aurait une plus belle patrie »), elle a gagné ex aequo, en 1944, le concours de poésie célébrant l’indépendance de l’Islande vis-à-vis du Danemark.

Ragnhildur RICHTER

BOYER R., Histoire des littératures scandinaves, Paris, Fayard, 1996.

HULL, Peggy (née Henrietta Eleanor GOODNOUGH) [BENNINGTON, KANSAS 1889 - CARMEL VALLEY 1967]

Journaliste et correspondante de guerre américaine.

Élevée dans une ferme du Kansas, la première correspondante de guerre du journalisme américain a un modèle en tête : la reporter Nellie Bly*. Peggy Hull n’a que 16 ans quand un hebdomadaire du Kansas, le Junction City Sentinel, accepte de l’engager comme sténodactylo. Elle fait bientôt ses preuves comme reporter pour différents journaux du Colorado, de Californie ou du Minnesota. Amenée à couvrir en 1916 les opérations du général Pershing contre Pancho Villa au Mexique, elle fait un reportage considéré comme l’un des plus informés et des plus précis sur le retour du général et de ses hommes. Pour le Morning Times, elle couvre la Première Guerre mondiale, survit à une attaque de sous-marin et rejoint Paris, sans aucune accréditation officielle, l’armée américaine étant hostile aux femmes correspondantes de guerre. Ses reportages dans la capitale française et dans un camp d’entraînement ainsi que sa réputation croissante font céder l’armée américaine qui l’autorise à l’accompagner lors de son intervention en Sibérie durant la Révolution russe, en 1918. Se trouvant à Shanghai en 1932, lors de l’attaque de la Chine par le Japon, P. Hull couvre toute la Seconde Guerre mondiale, jusqu’en 1945, sous l’uniforme américain, partageant la vie militaire dans les îles du Pacifique. Ses reportages sont réputés pour leur humanité et leur capacité à rendre compte de l’état d’esprit des soldats, de leur vie quotidienne, de leurs espoirs et de leurs craintes. Trop souvent tenue à l’écart du champ de bataille en raison de son sexe, personnellement concernée par la loi qui, à l’époque, prive les Américaines de leur nationalité dès lors qu’elles épousent un étranger, elle s’illustre aussi dans sa lutte pour les droits des femmes et se bat pour que la loi soit réformée.

Cécile MÉADEL

SMITH WM., BOGART EA., The Wars of Peggy Hull : The Life and Times of a War Correspondent, El Paso, Texas Western Press, 1991.

HULME, Keri [CHRISTCHURCH 1947]

Écrivaine néo-zélandaise.

Aînée de six enfants d’un père anglais et d’une mère d’origine écossaise et maori (des iwi [« tribus »] Kai Tahu, Kati Mamoe), Keri Hulme écrit des nouvelles et poèmes depuis l’âge de 12 ans. À la fin de ses études secondaires, elle préfère récolter du tabac plutôt que de s’inscrire à l’université, puis deviendra, entre autres, postière, cuisinière dans un fast-food, journaliste, vendeuse. Pendant toute cette période, elle rêve régulièrement d’un garçon muet aux cheveux longs et aux yeux verts, celui qui deviendra Simon dans son roman The Bone People ou les Hommes du long nuage blanc. En 1967, elle entreprend des études de droit, qu’elle abandonne définitivement deux ans plus tard pour consacrer son temps libre à l’écriture. Si elle publie peu, elle remporte néanmoins de nombreux prix et bourses, dont le prix Katherine-Mansfield* pour une nouvelle, Hooks and Feelers (« hameçons et tentacules », 1975), et le New Zealand Writing Bursary en 1983. Son premier livre, un recueil de poésie intitulé The Silences Between : Moeraki Conversations (« les silences entre : conversations à Moeraki »), paraît en 1982 ; divisé en six sections, il s’apparente à un journal intime et poétique, où sont inscrits les rêves et pensées d’un personnage central. Un deuxième recueil, Lost Possessions (« possessions perdues », 1985), insistera plus, comme l’indique son titre, sur les dimensions politiques du pays postcolonial où Maori et Pakeha (« blancs ») cherchent à négocier une identité biculturelle. Strands (« brins », 1992) poursuit les expériences linguistiques des ouvrages précédents, jugées par certains critiques comme une tentative de créer une nouvelle langue fusionnant l’anglais et le maori. C’est le magnifique roman The Bone People ou les Hommes du long nuage blanc qui projette K. Hulme sur la scène internationale. Fruit d’une maturation de plus de vingt ans, ce premier roman raconte l’histoire de Simon, de Kerewin Holmes et de Joe Gillayley. Réécrit non moins de sept fois et rejeté par plusieurs éditeurs, en partie parce que l’auteure refuse les coupures proposées, le manuscrit est enfin accepté par un collectif féministe, Spiral, et paraît en 1983. Le livre est couronné par deux prix nationaux, le Pegasus Mobil Award et le New Zealand Book Award, et réimprimé à plusieurs reprises dès 1985, année où il remporte le prestigieux Booker Prize. Ses innovations stylistiques ainsi que ses références implicites à la culture maori, éléments qui avaient posé problème aux éditeurs néo-zélandais, sont désormais reconnues comme essentielles et créatives. Pour l’auteure, qui s’identifie comme auteure maori, il importe néanmoins de reconnaître l’apport de ses deux héritages ; ses références aux mythologies maori, celtique et nordique ont ainsi fait l’objet d’études critiques cherchant à cerner l’hybridité de son écriture. Si K. Hulme utilise des catégories binaires (notamment d’ethnie, de sexe, de genre), c’est finalement pour mieux les subvertir dans des œuvres d’une rare densité intertextuelle. Menant, comme son personnage Kerewin, une vie « asexuelle et aromantique » dans un village isolé sur la côte ouest de l’île du Sud, l’auteure continue de travailler sur deux romans qu’elle désigne comme « jumelés », Bait (« appât ») et On the Shadow Side (« du côté de l’ombre »), projet lancé il y a plus de vingt ans. Deux recueils de nouvelles ont paru pendant cette période : Te Kaihau : The Windeater (« Te Kaihau : le mangeur des vents », 1986) et Stonefish (« poisson-pierre », 2004). Les textes du premier recueil sont extrêmement divers : du postmoderne – le dialogue commenté de notes marginales de « A Tally of the Souls of Sheep » (« décompte des âmes de moutons ») – au réalisme choquant de « Hooks and Feelers », en passant par les vers libres de « Tara » et l’influence des mythes maori (« King Bait », « Te Kaihau »). L’expérimentation stylistique et linguistique de K. Hulme ainsi que sa maîtrise d’une vaste gamme de registres méritent une attention toute particulière que la critique n’a pas encore prêtée à cette œuvre. La souplesse de cette écriture s’affirme encore dans Stonefish, tout aussi négligé jusqu’ici.

Jean ANDERSON

The Bone People ou les Hommes du long nuage blanc (The Bone People, 1983), Paris, Flammarion, 1996.

FEE M., « Keri Hulme : Inventing new ancestors for Aotearoa », in International Literature in English : Essays on Major Writers, Ross R. (dir.), New York, Garland, 1991.

HUMANISTES ALLEMANDES – LITTÉRATURE [XVe-XVIe siècle]

La conscience de la capacité intellectuelle et littéraire des femmes est plus marquée durant l’humanisme qu’à toutes les époques précédentes, même si, en raison du caractère fondamentalement patriarcal de la société, leur participation à la vie publique et aux processus de décision politique reste largement utopique. Les rares femmes qui se font un nom en tant que poétesse sont celles qui ont adopté le rôle d’êtres asexués. Elles ne menacent pas la hiérarchie sexuelle. Le franchissement de la caractérisation sexuelle peut prendre une forme sacrée, comme par exemple chez les religieuses. De même, sur le plan profane, les filles de « savants » héritent de la science paternelle, en l’absence d’héritier mâle. Les poèmes de femmes ayant reçu une formation humaniste s’appuient, comme ceux des hommes, sur une large érudition dans le domaine de la littérature de l’Antiquité. Elles s’adressent exclusivement à un public masculin, même lorsqu’elles embrassent des thèmes spécifiquement féminins. C’est donc à ce public masculin que revient la charge de constituer un canon d’auteures. L’érudit Petrus Lotichius Secundus évoque, dans l’annexe à son histoire de la littérature latine parue en 1625 et intitulée Bibliotheca Poetica, l’œuvre de quatre femmes célèbres ; deux d’entre elles, la protestante italienne Olympia Fulvia Morata (1526-1555) et la poétesse anglaise à la cour de Rodolphe II à Prague Elizabeth Jane Weston (vers 1582-1612), sont reconnues jusqu’au XVIIIe siècle pour la forme accomplie de leur poésie en grec et en latin. Mais au XIXe siècle s’opère un changement de paradigme, qui contraint les savantes à publier sous un pseudonyme. Pourtant, Érasme de Rotterdam, déjà, s’était engagé en faveur d’une participation des femmes au débat sur des problèmes contemporains. Dans son Colloquia familiaria (XXXI), en 1518, il oppose l’abbé non instruit Antronius, qui défend obstinément la division traditionnelle des rôles entre hommes et femmes, à Magdalia, une savante qui lui est bien supérieure au plan intellectuel et qui, pour justifier son projet de lire de la littérature grecque et latine, se réfère à Margaret More*, la fille du lord anglais Thomas More, mais aussi aux parentes de l’helléniste de Nuremberg Willibald Pirckheimer et à celles de la famille des Blaurer-Barer à Constance : toutes constituant, à son époque, des modèles de femmes savantes.

Caritas Pirckheimer (1467-1532), la sœur de W. Pirckheimer, est élue abbesse du couvent de Sainte-Claire à Nuremberg en 1503. Elle fait partie des représentantes les plus reconnues des érudites aux XVe et XVIe siècles. Ses Denkwürdigkeiten (« réflexions ») publiées en langue allemande sont au nombre des témoignages les plus importants sur la lutte des religieuses instruites pour le droit à affirmer leur existence monastique contre la conception luthérienne qui ne leur accordait que le rôle d’épouse. C. Pirckheimer doit sa reconnaissance au fait qu’en tant que religieuse, elle incarne un être préservé du péché, presque asexué et dans lequel les hommes voient plus aisément leur égale que chez leurs épouses dont ils attendent qu’elles soient soumises. En cela, elle correspond davantage à une image de la femme d’inspiration humaniste que médiévale, idéal incarné par la religieuse ottonienne Roswitha* de Gandersheim. Dans ses lettres, avec modestie et en faisant usage d’une rhétorique particulière, C. Pirckheimer prie ses destinataires masculins de corriger sa versification latine lacunaire, prétendant ainsi ne pas savoir écrire des lettres en latin élégantes, en conformité avec le style humaniste de l’époque. Dans le même temps, son dévouement prétendu et son humilité affichée la mettent en position d’exprimer à ses correspondants une critique certes prudente, mais néanmoins réelle en la matière.

La création littéraire de l’Italienne O. F. Morata se trouve prise dans les débats confessionnels qui émergent dans le deuxième tiers du XVIe siècle. En raison de son don remarquable pour les langues, la fille de l’humaniste Fulvio Pellegrino Morato passe pour l’une des femmes les plus érudites de son époque. Si ses études sont consacrées tout d’abord à l’Antiquité classique et en particulier à Cicéron, au sujet duquel elle publie différents textes et tient des conférences, elle se tourne plus tard vers des thèmes religieux. Elle rédige des paraphrases de psaumes grecs à la forme achevée, des épigrammes en latin, des dialogues platoniciens et laisse un corpus étonnant de lettres latines, grecques et italiennes. Son compatriote Celio Secondo Curione, qui a fui l’Inquisition en Italie et s’est installé à Bâle, publie une première édition de ses poèmes et écrits à titre posthume, suivie de trois autres éditions jusqu’en 1580. La poétesse originaire d’Angleterre E. J. Weston, belle-fille de l’alchimiste Edward Kelley, appartient au milieu culturel de l’humanisme tardif praguois à la cour de l’empereur Rodolphe II. Ses poèmes en latin lui valent la reconnaissance d’humanistes de renom, comme le poète palatin Paulus Schedius Melissus, qui la couronne en 1601 avec les lauriers de la poésie ; le roi anglais Jacques Ier fait lui aussi partie de ses admirateurs. À côté de poèmes de circonstance caractéristiques de l’époque en l’honneur d’amis et de bienfaiteurs, figurent des textes éloquents à teneur historique et culturelle, par exemple un texte consacré à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg à Mayence. Le Parthenica, recueil de ses poèmes édité par Georg Martin von Baldhoven, a été précédé par une série de publications séparées.

Malgré de nombreuses amorces d’émancipation, la place des femmes savantes dans l’humanisme est restée précaire. En outre, la fascination qu’exerçaient les femmes sur les humanistes était pour une part superficielle ou même feinte, puisqu’il s’agissait la plupart du temps de dames haut placées, et donc de bienfaitrices potentielles, ou bien des filles et des sœurs de collègues savants. Cependant, l’idée de l’érudition des femmes a très certainement eu une grande importance pour les humanistes. Une femme savante disposait selon eux d’un esprit masculin dans un corps féminin. Au nom de l’opposition paulinienne entre l’« Esprit » et la « Chair », et de la définition afférente de l’homme et de la femme, on comprend que la femme érudite peut symboliser la Chair dominée par l’Esprit et, par là, le triomphe de ce dernier sur la faible nature humaine.

Marianne BEAUVICHE et Ralf Georg CZAPLA

HUMAYDANE-YOUNES, Imane [AYN ENOUB 1956]

Romancière et nouvelliste libanaise.

Nehmetallah ABI-RACHED

HUMBERT, Marie-Thérèse [QUATRE BORNES 1940]

Écrivaine mauricienne d’expression française.

HU MEI [PÉKIN 1958]

Réalisatrice chinoise.

HUMPHREY, Doris [OAK PARK 1895 - NEW YORK 1958]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie américaine.

Née dans l’Illinois, Doris Humphrey grandit à Chicago. Elle est initiée à la musique par sa mère, professeure de piano, étudie les danses classique et folkloriques, mais est surtout influencée par Émile Jaques-Dalcroze auprès duquel elle étudie la rythmique. En 1917, elle entre à la Denishawn à Los Angeles et fait ses premières expériences scéniques auprès de Ted Shawn et Ruth Saint Denis*. Après sa rencontre avec Charles Weidman, elle décide de créer sa compagnie et de développer sa propre conception de la danse. La compagnie Humphrey-Weidman crée des œuvres pour Broadway dans le cadre de la revue Americana (1932). L’été, ils enseignent à la Bennington Dance School avec les autres mentors de la modern dance. Elle cesse de danser dès 1944 pour raisons de santé, devient directrice artistique de la compagnie et, dès 1951, enseigne avec José Limón à la Juilliard School. Sa rencontre avec Dalcroze la pousse à mettre la musicalité au centre de ses œuvres. Dans Water Study (1928), elle explore les rythmes naturels des vagues. Dans Color Harmony (1928), elle explore la notion de groupe s’inspirant des théories sur la couleur. En 1929, Life of the Bee déploie un groupe de danseuses imitant un essaim. Chorégraphe, elle privilégie le groupe comme entité mouvante. Dans With my Red Fires (1936), elle met en place de complexes structures rythmiques pour organiser les groupes. La vie de D. Humprey est marquée par une attitude discrète et opiniâtre, sa conception de la danse est celle d’une chercheuse : elle consacrera une grande partie de sa vie à l’enseignement. Pour elle, le mouvement est à la fois produit par les instincts naturels du corps et par les forces contradictoires qui l’animent. Elle explore la notion de poids et les phases de résistance du corps à la pesanteur. Chaque mouvement est l’amorce d’une chute (fall and recovery). Renonçant aux mouvements symétriques, elle prône un corps en tension permanente entre équilibre et déséquilibre tandis que, dans ses œuvres, elle prône une humanité tendue vers la recherche d’une harmonie perdue : Inquest, The Shakers (1944), Day on Earth (1947). Comme Martha Graham*, elle considère que la danse est l’art absolu de l’expression des émotions intérieures, un acte spirituel où le danseur doit prendre le risque de perdre l’équilibre tout en maîtrisant son geste. C’est dans cette opposition absolue que la danse trouve tout son sens.

Geneviève VINCENT

Construire la danse, Paris, L’Harmattan, 2002.