NOSSIS [LOCRES ÉPIZÉPHYRIENNE IIIe siècle aV. J.-C.]
Poétesse grecque.
Native de la colonie dorienne de l’Italie du Sud, Nossis est une poétesse contemporaine d’Anyté* et comme elle auteure d’épigrammes, écrites non pour être inscrites sur des pierres tombales ou sur des offrandes votives, mais plutôt à des fins littéraires, à savoir pour la publication dans un volume de recueil. Considérée par Méléagre de Gadara (IIe-Ier siècle av. J.-C.) comme une des neuf poétesses lyriques de l’époque hellénistique, elle occupe une place de premier plan dans le panorama littéraire du temps ; dans le canon établi par l’épigrammatiste Antipater, elle est présentée comme une poétesse « aux accents féminins » (thelyglossos, IX, 26), non pas tant en raison de sa voix douce, mais plutôt parce qu’elle s’inscrit dans une tradition de poésie féminine, apparemment bien ancrée dans sa ville, qui reflète un monde dominé par des figures de femmes (Nossis mentionne sa fille, sa mère, ses amies) et de déesses (Aphrodite, tout d’abord, mais aussi Artémis, Héra et les Muses). Comme Sappho*, Nossis se met plusieurs fois en scène et donne un tour personnel à ses poèmes, se faisant passer pour une adepte du culte d’Aphrodite. D’ailleurs, elle ne manque pas de rendre hommage à la célèbre poétesse de Lesbos. Sûre de l’amour que lui portent les Muses et du fait que son nom triomphera de l’oubli, Nossis, dans une épigramme funéraire qui se présente comme une épitaphe autographe (VII, 718), se réclame explicitement de son modèle et lie son propre sort à celui de Sappho, soulignant l’identité d’inspiration qui les lie toutes deux, poétesses chères aux Muses. En effet, les sources anciennes lui attribuaient surtout une veine amoureuse. Toutefois, des 12 épigrammes conservées, une seule chante l’amour, « la chose la plus douce », qui « passe tous les bonheurs » (Anth. pal., V, 170), sorte de manifeste de son univers poétique et de son imaginaire, qui dans l’évocation des roses, du miel et d’Aphrodite rappelle de près la prière à Aphrodite de Sappho. Les autres, pleines de grâce et d’élégance, sont des dédicaces aux dieux, des épitaphes, des prières, des éloges ou des descriptions d’objets (ekphraseis, Anth. pal., VI, 275 ; IX, 332 et 605). Nossis évoque d’un ton sensuel ses rêves voluptueux et les délices de l’amour, exalte souvent la beauté féminine (Anth. pal., VI, 275 et 354 ; IX, 332, 604 et 605), comme celle de sa fille Mélinna qui lui ressemble (VI, 353), et dans une épigramme funéraire fictive (épitymbe) elle exprime son affectueuse admiration pour le poète Rhinthon de Syracuse (VII, 414), inventeur de l’hilarotragédie.
L’opinion voulait que Nossis fût une hetaira, ce qui n’est guère compatible avec sa prétention affichée (dans une offrande à Héra, Anth. pal., VI, 265) de descendre d’une noble lignée. Ailleurs, elle évoque avec fierté un événement historique lié à sa ville, la reconquête de Crotone par les Locriens (en 301 av. J.-C.), hommage d’une aristocrate à ses compatriotes pour leur victoire contre les indigènes Bruttiens (Anth. pal., VI, 132). Comme dans le cas de son modèle Sappho, on s’est appuyé sur ses poèmes, empreints de sincérité dans l’expression des sentiments amoureux, pour échafauder des hypothèses biographiques sans fondement. Sa réputation de poétesse de l’éros est attestée également dans un Mimiambe du poète comique Hérondas (IIIe siècle av. J.-C.), qui se moque d’elle en lui prêtant la possession d’un godemiché en cuir (VI, 20-36). On lui attribuait en outre des chants licencieux dans le style de la chanson locrienne, qui mettait au premier plan la thématique des deux amants déplorant l’approche du jour, qui les contraint à se séparer après leur furtive et trop brève rencontre nocturne. Nossis avait composé également des poésies lyriques (l’épigramme VII, 414 la qualifie de melopoios), mais elles sont entièrement perdues, si bien que pour nous le seul auteur certain de chants locriens, aismata lokrikà kai mele, dans le style de la chanson d’aube, est Théano de Locres, désignée comme poétesse lyriké par le lexique byzantin de la Souda (Anth. pal., V, 283).
Marella NAPPI
■ BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Imp. nationale, 1998 ; GUTZWILLER K., Poetic Garlands : Hellenistic Epigrams in Context, Berkeley, University of California Press, 1998 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004 ; SKINNER M. B., « Nossis Thelyglossos : the private text and the public book », in GREENE E. (dir.), Women Poets in Ancient Greece and Rome, Oklahoma, University of Oklahoma Press, 2005 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.
NOTAT, Nicole [CHÂTRICES 1947]
Syndicaliste française.
Nicole Notat, issue d’une famille paysanne, poursuit des études à l’école normale de Bar-le-Duc et entre à l’Éducation nationale, choisissant de se consacrer aux enfants inadaptés. Elle entre en 1969 à la CFDT (Confédération française démocratique du travail), et, après une progression fulgurante au sein de l’organisation, elle est la première femme à diriger une confédération syndicale en France. Elle est d’abord secrétaire générale adjointe en 1988, avant d’être élue secrétaire générale en 1992, fonction qu’elle occupe pendant dix ans. Convaincue qu’une réforme de la Sécurité sociale est devenue inévitable pour réduire le déficit, elle soutient le plan de réformes du gouvernement Juppé. Cette prise de position lui vaut de très vives critiques, prenant souvent un caractère misogyne, au sein de son propre syndicat et également de la part du secrétaire général du syndicat Force ouvrière. D’octobre à décembre 1995 ont lieu partout en France des grèves quasi générales et six grandes manifestations contre cette réforme des retraites et de la Sécurité sociale. Au cours d’une de ces manifestations, elle est violemment prise à partie par des militants. Face à la fronde de certaines fédérations, comme celle des cheminots et des mineurs, elle ne fléchit pas. Elle passe le relais à François Chérèque au congrès de Nantes en 2002. De 1992 à 1994 et de 1996 à 1998, elle est par ailleurs présidente du Conseil de l’assurance chômage (Unedic). À son départ de la CFDT, elle fonde Vigeo, société européenne d’évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises, dont elle est présidente.
Luce MICHEL
■ Avec HAMON H., Je voudrais vous dire, Paris, Seuil/Calmann-Lévy, 1997.
■ FLANDRIN P., Nicole Notat, l’archange de la CFDT, Paris, Éd. du félin, 1997.
NOTENBERG, Eleonora Genrikhovna VON VOIR GOURO, Elena
NO TEN O QUAH VOIR THORPE, Grace
NOTHOMB, Amélie [KOBE 1967]
Écrivaine belge d’expression française.
D’une famille aristocratique et lettrée qui incarne, en Belgique, la droite catholique, Amélie Nothomb constitue un véritable phénomène littéraire depuis la publication d’Hygiène de l’assassin (1992). Elle publie à chaque rentrée un roman et son succès ne se dément pas. À travers les livres, les entretiens, les rencontres avec ses lecteurs, elle érige sa propre légende comme pour ajuster sa vie à la grandeur de ses aspirations. Son père est consul général à Osaka et les premières années de sa vie, elle les passe au Japon, pays nourricier de son œuvre (Stupeur et tremblements [1999], Grand prix du roman de l’Académie française ; Ni d’Ève ni d’Adam [2007], prix de Flore) et de sa fantasmagorie tératologique. En 1975, l’installation de la famille en Chine traumatise l’enfant : on l’oblige à quitter son Japon tant chéri (Le Sabotage amoureux, 1993). Elle vivra ensuite chaque nouvel exil comme une petite mort. Elle fait ses études à l’Université libre de Bruxelles, en philologie romane. Son mémoire porte sur la problématique de l’intransitif et de l’intransitivité dans les romans de Bernanos, un des auteurs de son panthéon personnel (avec Pascal, Nietzsche, Kierkegaard). Outre ses romans souvent dialogués, elle a écrit une pièce de théâtre (Les Combustibles, 1994), des contes, des nouvelles et des textes pour la chanteuse ROBERT (1964). Son œuvre est traduite dans plus de 35 langues et adaptée au théâtre, à l’opéra, au cinéma. Elle a reçu le Grand prix Jean-Giono en 2008 pour l’ensemble de son œuvre romanesque.
Michel ZUMKIR
■ ZUMKIR M., Amélie Nothomb de A à Z, portrait d’un monstre littéraire, Bruxelles, Le Grand Miroir, 2007.
NOTLEY, Alice [BISBEE 1945]
Poétesse américaine.
Alice Notley commence sa carrière dans les années 1970, à New York. Avec son premier mari, le poète Ted Berrigan, elle occupe une place centrale au sein de la seconde génération de l’école de New York en poésie. Ses premiers livres témoignent de la poétique du quotidien et du détail, dans le sillage de Frank O’Hara. Après la mort de T. Berrigan en 1983, A. Notley rencontre son second mari, le poète britannique Douglas Oliver, et s’installe avec lui à Paris. Cet exil volontaire lui permet de prendre ses distances avec l’école de New York. Suivant le poète moderniste William Carlos Williams, à qui elle rend hommage dans Dr. Williams’Heiresses (« les héritières du Dr William », 1980), et se souciant de la musique du poème, elle cherche une nouvelle mesure pour la poésie américaine, un vers qui transmettrait sa voix personnelle et lui permettrait d’écrire ce qui reste pour elle sans précédent : une épopée féminine. Homer’s Art (1990) pose les jalons de ce poème, qui trouvera sa pleine forme dans The Descent of Alette (1996), l’un de ses livres les plus importants. Elle s’inspire dans ce dernier du mythe sumérien de La Descente d’Inanna aux enfers pour décrire le passage de son héroïne, Alette, à travers les enfers de la ville. Le texte est composé de morceaux de phrases entre guillemets qui sont autant de voix ralentissant le rythme de l’histoire tout en la condensant. Avec Mysteries of Small Houses (« mystères des petites maisons », 1998), A. Notley donne à cette épopée un tour autobiographique, puis continue, avec Disobedience (2001), sa recherche d’une « poétique de la désobéissance », loin du bien écrire, des règles de la poésie masculine et des conventions sociales. Bien que féministe, elle ne se reconnaît d’aucun mouvement ni d’aucune théorie. Elle est finaliste pour le prix Pulitzer et reçoit des prix prestigieux. Certains de ses essais sont réunis dans Coming After (« venir après », 2005). Ses archives sont déposées à la Mandeville Special Collections Library de l’Université de Californie à San Diego.
Vincent BROQUA
■ NELSON M., « Dear Dark Continent », in Women, the New York School, and Other True Abstractions, Iowa City, University of Iowa Press, 2007.
NOTTAGE, Lynn [NEW YORK 1964]
Auteure dramatique américaine.
Entourée de livres, Lynn Nottage se recentre sur le théâtre, après avoir pris conscience de la vie tragique que mènent les femmes autour d’elle, une vie qui recoupe en partie celle, refoulée, de sa propre famille. Sa première pièce, Las Meninas (« les Ménines », 1989), est la dramatisation d’une histoire d’amour vraie, faite de mensonges à la cour et dans la chambre de Louis XIV. Son esthétique prend un tour politique avec Poof ! (1993), où la mise en scène dévoile une revendication de justice pour les femmes. La violence domestique est selon elle la forme d’aliénation la plus pernicieuse. Dans Mud, River, Stone (1998), l’intrigue tourne autour d’un couple afro-américain à la recherche d’autres formes de passion pour se sauver de l’ennui. Intimate Apparel (2003) porte une signature autobiographique. Elle relate la vie d’une couturière afro-américaine qui ose chercher l’amour. Le texte s’inspire de l’histoire de sa grand-mère, immigrée de la Barbade à New York où elle devient couturière. Crumbs from the Table of Joy (2005) met clairement en scène le refus d’une jeune Noire américaine de se laisser enfermer dans les conventions sociales. La quête de la justice est au cœur de l’esthétique de L. Nottage.
Frida EKOTTO
NÕU, Helga [TARTU 1934]
Romancière et nouvelliste estonienne.
En 1944, à la veille de la seconde occupation soviétique de l’Estonie, la famille d’Helga Nõu se réfugie en Suède. La jeune fille y termine sa scolarité, obtient un diplôme d’institutrice puis enseigne dans différentes écoles, principalement à Uppsala, où elle s’installe en 1957. Elle devient à partir des années 1970 une figure importante de la littérature estonienne de l’émigration, dans laquelle elle introduit des thématiques et des techniques narratives nouvelles. Son premier roman, Kass sööb rohtu (« le chat mange de l’herbe », 1965), analyse la crise d’identité vécue par les étudiants estoniens de Suède, déchirés entre l’image idéalisée de l’Estonie transmise par leurs parents et la nécessité de s’intégrer dans la société suédoise. Son deuxième roman, Tiiger, tiiger (« tigre, tigre », 1969), s’intéresse aux relations difficiles entre l’émigration estonienne et l’Estonie soviétique, à travers le récit de deux émigrés qui se rendent dans leur pays d’origine. Ce roman polyphonique, à la composition soigneusement étudiée, mêle deux niveaux de réalité dans desquels l’intrigue suit un cours différent. H. Nõu poursuit ses expérimentations narratives dans Paha poiss (« un mauvais garçon », 1973), roman sur le hasard qui entremêle plusieurs séries causales situées dans des mondes possibles concurrents, dont la communication stupéfiante constitue l’un des nœuds du récit. La narration éclatée multiplie les points de vue et les genres textuels (monologues, extraits de journaux intimes, reportages, interviews, données statistiques) dans une quête d’objectivité et de neutralité maximales qui laisse paradoxalement une place importante à l’émotion. Après cet ouvrage, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature moderniste estonienne, H. Nõu a publié plusieurs autres romans, des récits pour la jeunesse, ainsi qu’un volume de mémoires.
Antoine CHALVIN
NOUGAYRÈDE, Natalie [DIJON 1966]
Journaliste et dirigeante de presse française.
Natalie Nougayrède passe une partie de son enfance et de son adolescence à l’étranger. Elle apprend l’anglais à Londres dès l’âge de 4 ans et commence plus tard l’apprentissage du russe, au Canada. Elle commence des études de médecine, puis entre finalement à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et réussit en 1988 le concours du Centre de formation des journalistes, à Paris. Au moment de la chute du mur de Berlin, elle part pour la capitale allemande puis poursuit son voyage à Prague, Budapest et en Transylvanie. Son premier article, le portrait d’un opposant à Ceaucescu, paraît dans Libération en décembre 1989. Après un stage au journal, elle en devient la correspondante à Prague où elle suit notamment la présidence de Václav Havel en République tchèque. En 1993, elle se déplace dans le Caucase, en Géorgie et en Azerbaïdjan et couvre l’Asie centrale et la Turquie. Après avoir été longtemps pigiste, elle obtient son premier poste à Libération en tant que responsable de la rubrique Portraits en 1995. Recrutée par le service Étranger du Monde, elle part en Ukraine puis en Russie. À partir de 1997, elle est responsable pour le quotidien du soir de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS et participe à la couverture de la guerre du Kosovo et du renversement de Milošević. Nommée en 2001 correspondante à Moscou, elle défie les autorités russes, passant en Tchétchénie déguisée en paysanne. En 2005, elle reçoit le prix Albert-Londres pour ses articles et particulièrement ceux concernant la prise d’otages tragique de l’école de Beslan. De retour à Paris, elle devient correspondante diplomatique et marque son indépendance par un portrait très critique de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères. En janvier 2013, la journaliste crée la surprise. Bien que n’ayant jamais occupé de fonctions hiérarchiques au sein du journal, elle propose sa candidature au poste de directrice du Monde. Les actionnaires la retiennent et la société des rédacteurs la confirme, lui donnant près de 80 % des suffrages. Première femme à avoir dirigé le célèbre quotidien, N. Nougayrède démissionne de ses fonctions en mai 2014, suite à plusieurs désaccords avec la rédaction. En octobre 2014, elle rejoint The Guardian en tant qu’éditorialiste sur les questions internationales.
Nathalie COUPEZ
NOURSE, Elizabeth [MOUNT HEALTHY 1859 - PARIS 1938]
Peintre américaine.
Née dans le Midwest au sein d’une famille catholique de la classe moyenne, Elizabeth Nourse est admise, à l’âge de 15 ans, à la Mac Micken School of Design de Cincinnati, dont elle suit les cours jusqu’en 1881. Un an plus tard, elle étudie à New York le modèle vivant sous la direction du peintre et graveur William Sartain. Revenue dans l’Ohio, elle fréquente ensuite les premières classes d’après modèle vivant ouvertes aux femmes à la Mac Micken School. Après la mort de ses parents en 1882, pour subvenir à ses besoins elle commence à réaliser des peintures pour panneaux décoratifs, parfois en collaboration avec sa sœur Louise. En 1887, avec 5 000 dollars en poche, les deux sœurs partent pour la capitale française. Elizabeth suit d’abord les cours de Gustave Boulanger et de Jules-Joseph Lefebvre à l’académie Julian, mais ouvre très vite son propre atelier. Dès 1888, son œuvre La Mère (Cincinnati Art Museum, 1888) est acceptée au Salon de Paris et exposée en bonne place. Reconnue par ses pairs, la jeune artiste expose chaque année au Salon puis au Salon de la Société nationale des beaux-arts jusqu’en 1920. Elle voyage en Russie, en Ukraine, en Italie, en Hollande, puis en Afrique du Nord en 1897 (Une mosquée à Tunis, collection privée, 1897). Après un unique retour aux États-Unis en 1893 à l’occasion de la World’s Columbian Exposition de Chicago et d’une exposition individuelle au Cincinnati Art Museum, qui lui permet de vendre 21 toiles, elle se fixe définitivement à Paris avec sa sœur. La peintre propose un art plus proche des réalistes du XIXe siècle que de ses contemporains impressionnistes ou post-impressionnistes. Comme Mary Cassatt*, elle privilégie les portraits de femmes et d’enfants, mais elle s’attache aussi au monde des travailleurs et en particulier à celui des paysans. Dans les scènes domestiques, elle représente le dur quotidien des petites gens de Bretagne et de Normandie, où elle séjourne, faisant preuve d’une grande empathie lorsqu’elle peint des personnes modestes. Ses portraits de commande mondains, réalisés entre 1904 et 1910 dans un but strictement commercial, montrent au contraire des modèles beaucoup plus rigides.
Marie GISPERT
■ Elizabeth Nourse, 1859-1938 : A Salon Career (catalogue d’exposition), Burke M. A. H. (dir.), Washington, Smithsonian Institution, 1983.
LA « NOUVELLE FEMME » – LITTÉRATURE D’EXPRESSION ALLEMANDE [1918-1933]
Vers 1930 apparaît un nouveau courant d’écrivaines qui produisent une littérature urbaine, souvent hédoniste, très autoréférentielle, et ouverte aux expérimentations. Nombre de ces auteures sont simultanément journalistes ; extrêmement productives, elles se meuvent avec aisance et fierté dans un paysage littéraire et culturel qui change à vive allure et qui prend progressivement part (néanmoins de façon autonome) à l’industrie de la culture et du divertissement.
La qualité et l’importance de ces auteures est incontestable : Vicki Baum (1888-1960), Erika Mann (1905-1969), Ruth Landshoff-Yorck (1904-1966), Marieluise Fleisser*, Gabriele Tergit*, Irmgard Keun*, Thea von Harbou*, Claire Goll*, Annemarie Schwarzenbach* et Mascha Kaléko (1907-1975) ou encore Anna Seghers*. Leurs œuvres sont conceptuelles, engagées, stylistiquement brillantes, formellement parfois très innovantes et thématiquement en résonance avec les problèmes de leur temps. Elles apportent informations et divertissement, possibilité de rêve et d’évasion. Cela prend un tour évidemment différent chez une auteure résolument socialiste comme A. Seghers par rapport à des auteures bourgeoises comme V. Baum ou I. Keun. Mais même A. Seghers joue consciemment avec les conditions du marché du livre quand elle signe sa première publication, La Révolte des pêcheurs de Sainte-Barbara (1928), d’un « Seghers » sexuellement neutre qui eut un grand retentissement. Celle qui connaît le plus de succès est V. Baum, présentée dès le milieu des années 1920 comme mondaine et couronnée de succès. L’image de l’auteure solitaire apparaît dès lors comme obsolète : les nouvelles auteures sont féminines, indépendantes, célèbres et toujours à l’écoute des attentes de leurs lectrices et lecteurs. Le culte de la star est transposé à l’univers littéraire, et V. Baum est la première de ces « nouvelles femmes » – selon le mot d’Alexandra Kollontaï* –, qui s’offrent avec une coiffure à la garçonne, une cigarette, une jupe courte, un mode de vie urbain, qui évoluent avec aisance dans les innovations techniques et la culture de divertissement. Derrière cela, on trouve une nouvelle façon, pour les femmes, d’être au monde. La Nouvelle Femme est autonome, « affirme sa personnalité », proteste contre « l’asservissement de la femme vis-à-vis de l’État, de la famille, de la société » et lutte pour ses droits.
Ce phénomène inquiète les contemporains : des journaux comme Querschnitt ou Die Literarische Welt publient des cahiers thématiques, des volumes collectifs comme Die Frau von morgen wie wir sie wünschen (« la femme de demain telle que nous la souhaitons », 1929) paraissent, la discussion sur les différences sexuelles se déplace, comme le montre notamment le « bilan psychologique » d’Alice Rühle-Gerstel (1894-1943) Das Frauenproblem der Gegenwart (« la question féminine contemporaine », 1932). Ces changements, visibles après 1918, sont étroitement liés à la situation des femmes, qui se transforme alors très vite. Avec le droit de vote actif et passif qu’introduit la constitution de Weimar en 1919, un des pas les plus importants pour l’émancipation politique de la femme est franchi, permettant un changement de fond de leur statut juridique. Les Länder allemands ont en outre, à partir de 1900, progressivement permis aux femmes de faire des études à l’université, et ce jusqu’au doctorat. À la rentrée de 1931, 16 % des étudiants inscrits sont des femmes, soient 20 000. De surcroît, 12 000 femmes actives ont déjà à cette époque suivi avec succès une formation académique. À la fin des quelque quinze années de la République allemande, les femmes ont donc un niveau de formation et d’éducation nettement supérieur à celui de 1918 – ce qui n’est pas sans influence sur leur activité littéraire.
La « Grande Guerre » et l’hyperinflation (qui atteint son point culminant en 1923) a en outre profondément ébranlé les normes de comportements telles qu’elles s’appliquaient dans la classe bourgeoise. Les femmes ont dû assumer des tâches et des missions dans l’économie de guerre, qui sont à l’origine de nouveaux devoirs mais également de nouveaux droits au quotidien. L’hyperinflation a aussi détruit les capitaux petits et moyens, dont vivaient avant tout les familles bourgeoises. La nécessité de travailler ne touche désormais pas que les prolétaires. Enfin, avec le progrès technologique et économique, les grandes entreprises fondées à la fin du XIXe siècle se développent en vastes Konzern. Les femmes assument des tâches nouvelles et spécifiques au sein des nouveaux centres administratifs et productifs (en particulier Berlin) qui atteignent au début du XXe siècle le sommet de leur croissance éclair. Les jeunes femmes passent du statut de domestiques à celui d’employées. Celles qui sont bien éduquées travaillent surtout en ville dans les bureaux et les magasins, et constituent simultanément une réserve de clientèle pour une industrie du divertissement en voie rapide de structuration.
En 1925, environ 3 % des 37 000 auteurs enregistrés sont des femmes. À côté des femmes connues et de haut rang, apparaît une série d’auteures aujourd’hui oubliées, parmi lesquelles Joe Lederer (1907-1987), avec des romans tels que Das Mädchen George (« Mlle George », 1926) ou Drei Tage Liebe (« trois jours d’amour », 1931), qui peut encore être rattachée au groupe des auteures de premier ordre. Les textes de Christa Anita Brück (pseudonyme de Christa Laab, 1899-1958) ou Maximiliane Ackers (née en 1897) visent un public intéressé moins par les innovations formelles et les apologies hédonistes que par une restitution stricte de la réalité.
Les auteures de la Nouvelle Femme peuvent être considérées comme représentatives de l’entre-deux-guerres, même si toutes les écrivaines de la période 1918-1933 ne relèvent pas de ce label. D’anciennes auteures ont publié encore après 1918, parmi lesquelles Ricarda Huch* et Clara Viebig*, et pour le roman de divertissement traditionnel Hedwig Courths-Mahler* et Eufemia von Adlersfeld-Ballestrem (1854-1941). La différence avec les auteures plus jeunes tient surtout à leurs personnages, pas encore complètement délivrés de la soumission à l’homme, et qui cherchent seulement une solution à leur dilemme entre leur indépendance professionnelle et leur rôle de mère. C’est visible dans Liebe (« amour »), l’unique roman de la défenseuse des femmes, pacifiste et journaliste d’Helene Stöcker *(1869-1943). Ce roman à thèses évoque la répartition des rôles sexués, l’importance de la pureté et de la virginité pour une relation amoureuse vraie, la domination masculine intellectuelle et sexuelle. C’est encore plus visible chez les auteures conservatrices des années 1918 à 1933. Ainsi, des auteures à succès comme Ina Seidel (1885-1974) ou Agnes Miegel (1879-1964) en restent à une conception figée de la femme où la maternité, la fertilité, la famille et l’empathie sont centrales.
Walter DELABAR
■ BOCK P., KOBLITZ K. (dir.), Neue Frauen zwischen den Zeiten, Berlin, Hentrich, 1995 ; BRINKER-GABLER G. et al. (dir.), Lexikon deutschsprachiger Schriftstellerinnen 1800-1945, Munich, Beck, 1986 ; BUDKE P., SCHULZE J., Schriftstellerinnen in Berlin 1871 bis 1945, Berlin, Orlanda Frauenverlag, 1995 ; FÄHNDERS W., KARRENBROCK H. (dir.), Autorinnen der Weimarer Republik, Bielefeld, Aisthesis, 2003 ; FREVERT U., Frauen-Geschichte, Francfort, Suhrkamp, 1986 ; PEUKERT D. J. K., Die Weimarer Republik, Francfort, Suhrkamp, 1987 ; THÉBAUD F. (dir.), Geschichte der Frauen, vol. 5, 20. Jahrhundert, Francfort, Campus, 1995.
« LES NOUVELLES AMAZONES » – LITTÉRATURE [Russie XXe siècle]
Au début des années 1990, alors que la littérature russe adopte le postmodernisme, le monde littéraire attend de nouveaux noms, mais seuls des noms masculins émergent : Oleg Ermakov, Viktor Pelevine, Vladimir Sorokine, entre autres. Il y a encore peu de publications d’écrivaines en dehors de celles déjà connues. Le public découvre la prose inédite de Ludmila Petrouchevskaïa* ou de Tatiana Tolstoï*, mais pas celle de jeunes auteures.
Les Nouvelles Amazones, dont le nom affirme le désir de lutter pour les droits de femmes en littérature, apparaissent en 1988. Dans leur manifeste, Novye amazonki iziachtchnoï slovesnosti (« les nouvelles amazones des belles-lettres »), elles tentent de définir leur prose, issue de la perception féminine du monde, particulière, et qui mérite d’être présentée au public. Cette jeune prose féminine se manifeste par un premier recueil, Nepomniachtchaïa zla (« celle qui ne se souvient pas du mal », 1990) où entrent les œuvres d’Irina Polianskaïa*, d’Elena Tarassova*, de Larissa Vaneïeva, de Svetlana Vassilenko, de Nina Gorlanova*, de Svetlana Vassilieva, de Natalia Korenevskaïa, de Nina Sadour*, de Galina Volodina et de Valeria Narbikova*. Un deuxième recueil, Novye Amazonki (« Les Nouvelles Amazones »), élargit les frontières géographiques et stylistiques du groupe, avec T. Tolstoï, Marina Paleï*, Tatiana Nabatnikova, Marina Vichnevetskaïa*, Nina Iskrenko, Evelina Rakitskaïa, Lioudmila Abaïeva, Irina Grivnina et Tatiana Morozova.
Puis sont publiés Jenskaïa loguika (« logique de femme », 1989), Tchistenkaïa jizn’(« une vie très pure », 1990), Tchego khotchet jenchtchina (« que veut la femme », 1993), qui font découvrir les écrivaines de province, Tatiana Taïganova, Galina Chtchekina, Nina Vesselova, Olga Slavnikova*, et d’autres, prêtes à raconter leur expérience. Le groupe attire l’attention des spécialistes occidentaux, mais la critique russe est hostile : on leur reproche une vision noire de la réalité, et leur écriture est qualifiée de « pornographique ». La littérature russe est alors submergée par les sujets noirs : alcoolisme, drogue, violence, chômage, guerre. Abordés par les hommes, ces sujets sont bien accueillis, mais le point de vue féminin suscite dégoût et mépris de la part de la critique, qui refuse ces expériences du corps et des sentiments, jusque-là cachées et censurées. La maternité, expérience unique, est un des leitmotive de la prose féminine. Ainsi, T. Taïganova parle de l’élargissement des limites de la compréhension de la reproduction humaine jusqu’à la maternité spirituelle : la femme est non seulement l’épouse et la mère, mais la femme d’affaires, la femme active, la femme créatrice ; tels sont, selon elle, les visages qui, tous rassemblés, font la femme nouvelle.
Les écrivaines ont aussi introduit des sujets liés à la mondialisation et à l’ouverture pour les Russes des frontières, politiques, mentales ou esthétiques. Les rencontres au cours des voyages, les histoires d’amour et les déceptions produites par l’étranger sont les sujets favoris de L. Petrouchevskaïa, de T. Tolstoï, d’Alexandra Fomina. Les jeunes auteures comme Maria Rybakova, N. Sadour et Galina Chtcherbakova développent des sujets de fiction. La prostitution, l’alcoolisme ou la violence continuent à trouver une place dans les œuvres chez M. Vichnevitskaïa ou Nina Chouroupova, aussi bien que l’autobiographie, l’aveu, l’inconstance de la conscience, les sentiments de culpabilité et de sacrifice (S. Vassilenko, Dina Roubina*).
En 2000, un colloque réunit des femmes écrivains et journalistes de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie, où sont abordées les questions de la création féminine et de la censure sexiste, donnant le recueil Bryzgui champanskogo (« éclaboussures de champagne »), prolongement de la discussion engagée par les Nouvelles Amazones à la fin des années 1990. C’est aussi le reflet de dix ans de la création féminine et de l’attitude des auteurs envers elles-mêmes et envers leurs sujets. Selon la formule de Nadejda Ajguikhina, « on va de l’épanchement, de la déclaration, de l’exposition publique vers une forme de minimalisme, une esquisse minutieuse du détail, un regard de chercheur dans son microscope. Cela s’applique aux récits de N. Gorlanova, de S. Vassilenko, de I. Polianskaïa, malgré toutes leurs différences. »
Les Nouvelles Amazones se sont regroupées pour publier leurs œuvres et pour changer radicalement l’attitude vis-à-vis de la littérature écrite par des femmes. Elles ont désormais cessé leur activité : L. Vaneïeva s’est retirée dans un monastère, I. Polianskaïa est morte, d’autres ont émigré ou ont délaissé la littérature. Mais, en quinze ans, la prose féminine russe a parcouru un immense chemin : elle parle de la liberté du créateur et a détruit l’image de la femme russe, créée par les hommes.
Larissa SHUBB
■ AJGUIKHINA N., « La nouvelle prose féminine au miroir des débats d’idées », in MÉLAT H. (dir.), Le Premier Quinquennat de la prose russe du XXIe siècle, Paris, Institut d’études slaves, 2006.
NOVA, Jacqueline (ou NOVA SONDAG) [GAND, BELGIQUE 1935 - BOGOTÁ 1975]
Compositrice colombienne.
D’origine belge, Jacqueline Nova accomplit sa formation complète en Amérique latine, et obtient tout d’abord le diplôme de composition du Conservatoire de Bogotá après des études menées sous la direction de Fabio González-Zuleta, Olav Roots et Blas Emilio Atehortua. Elle produit en 1963 Secuencias pour piano, puis Doce moviles pour ensemble de chambre en 1965. Cette dernière pièce obtient un premier prix au concours de Caracas l’année suivante. En 1966 a lieu à Bogotá la création de Metamorfosis III par l’orchestre symphonique national. Ce brillant début de carrière lui vaut une bourse pour deux ans d’études à l’institut Torcuato di Tella de Buenos Aires où elle développe ses recherches dans le domaine des techniques aléatoires et électroniques qui vont désormais marquer ses compositions. Musica para audiovisual sobre Machu-Pichu, Oposicion-fusion (1968), Resonancias I (1969) conduiront, dans le domaine purement électronique, aux Cantos de la creacion del mundo (1972) sur un texte en langue indigène Tunebo. Cette œuvre, qui sera créée à Buenos Aires puis jouée en France (1973), fait suite à Uerhayas (1967) d’intention similaire. D’autres œuvres combinent l’orchestre traditionnel et les dispositifs électroacoustiques comme Pitecanthropus (1971), l’oratorio Hiroshima ou Omaggio a Catullus (1972). Notons enfin la musique du film Camilo, el cura guerrillero, réalisé en 1974 par Francisco Norden sur Camilo Torres Restropo.
Philippe GUILLOT
NOVÁKOVÁ, Tereza (née LANHAUSOVÁ) [PRAGUE 1853 - ID. 1912]
Écrivaine tchèque.
Née dans une famille cosmopolite de la bourgeoisie pragoise, d’une mère issue d’une riche famille juive allemande et d’un père tchèque, Tereza Nováková est éveillée très tôt par ce dernier à la question de l’identité nationale. Son engagement en faveur du mouvement d’émancipation de la femme naît d’une rencontre décisive avec Karolina Světla*, à qui elle consacre une monographie publiée en 1890. Celle-ci lui fait intégrer le club américain des dames tchèques, première association tchèque de femmes. L’écrivaine publie des essais sur le combat pour l’égalité des sexes au travail et pour l’accès des femmes à l’éducation et au droit de vote : Slavin žen českých (« le panthéon des femmes tchèques », 1894), Ze ženského hnutí (« du mouvement d’émancipation féminine », 1912). En 1876, elle épouse Jan Novák, avec qui elle aura sept enfants. Installée dans la ville de Litomyšl avec sa famille, elle se consacre tout d’abord à l’étude des coutumes populaires et à des travaux ethnographiques ainsi qu’à des réflexions sur l’évolution de la société en Bohême. Son premier roman, dédié à K. Světlá, Maloměstský román (« le roman d’une petite ville », 1890), est la biographie fictive de la fille de Karel Havlíček Borovský, l’une des figures les plus marquantes du Renouveau national tchèque autour de 1848. De retour à Prague en 1897, elle crée la revue Ženský Svět (« le monde de la femme »), qui a pour vocation de propager les idées progressistes d’orientations socialiste et féministe, avant de se concentrer sur son œuvre en prose. Ses récits et nouvelles mettent en scène des femmes confrontées à l’incompréhension de la société et des personnages du peuple. Le parcours de ses héros populaires est souvent tragique. Jan Jílek (1904) est un Frère morave fidèle à ses convictions malgré les persécutions dont il est victime. Na Librově gruntě (« sur le domaine de Libra », 1907) évoque les années qui précèdent 1848 par le biais d’un personnage de fermier défenseur des idéaux nationaux. Alors que ses premières œuvres sont teintées de romantisme, sous l’influence de K. Světlá, les suivantes s’orientent vers un réalisme social et villageois caractérisé par une écriture objective et de plus en plus concise.
Stéphane GAILLY
■ MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; MUKAŘOVSKÝ J. (dir.), Dějiny české literatury, Prague, Victoria Publishing, 1995 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.
NOVAKOVSKAIA, Nina ALEXANDROVNA [VARSOVIE 1889 - PARIS 1966]
Architecte russe.
Le nom de Nina Novakovskaia a été volontairement effacé de la mémoire russe, bien qu’elle ait été la première femme à avoir obtenu un diplôme d’architecte. La raison tient au fait qu’elle a émigré en France après la révolution de 1917 et y a vécu jusqu’à la fin de sa vie. Après être sortie de l’institut Smolny, l’une des premières institutions féminines progressistes en Russie, destinée aux jeunes filles nobles, elle entame des études à la faculté de physique et de mathématiques du cours supérieur de Bestoujev, lui aussi l’un des premiers, en 1878, à offrir aux femmes un enseignement supérieur. Puis, figurant parmi les 21 femmes reçues sur les 135 qui s’y sont présentées, elle est admise à la faculté d’architecture de l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, lors de l’ouverture de ses portes aux femmes, en 1903. Elle suit les enseignements de Léonti Benois (1856-1928) et obtient son diplôme avec un projet d’hospice pour invalides pour 2 000 soldats et 100 officiers, comprenant une cathédrale pouvant accueillir jusqu’à 3 000 personnes. Durant les huit années suivantes, elle travaille à l’Académie d’architecture, puis, sous la direction de Georgij Kosyakov (1872-1925), elle participe à l’élaboration du projet de la bibliothèque de la Marine militaire de Kronstadt (1909-1910). Elle conçoit ensuite, sous la direction d’Hermann Grimm (1865-1942), un projet de cantine pour l’Institut de médecine des femmes, ouvert en 1897. En 1917, elle est chargée de la reconstruction de l’hôtel particulier du prince Dolgoroukij à Saint-Pétersbourg. Deux ans après la Révolution, elle émigre en France où elle ne pratiquera plus en tant qu’architecte, mais devient membre de différentes organisations publiques et participe à des événements culturels russes. Elle repose au cimetière orthodoxe de Sainte-Geneviève-des-Bois, près de Paris.
Vlada TRAVEN
■ YVERT-JALU H., Femmes et famille en Russie d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Éd. du Sextant, 2007.
NOVARO, María (María Luisa NOVARO PEÑALOZA, dite) [MEXICO 1951]
Cinéaste mexicaine.
Sans doute la plus célèbre et la plus prolifique des réalisatrices mexicaines, María Novaro étudie la sociologie dans les années 1970 à l’Université autonome de Mexico (Unam) où elle s’investit dans une coopérative de cinéma féministe en tant que conseillère pour la production de documentaires. Cette activité l’incite à étudier au Centro universitario de estudios cinematográficos (Cuec), dont les locaux se trouvaient à l’Unam. Dans le cadre de ses études, durant les années 1980, elle commence à tourner des courts-métrages en super 8 et 16 mm avant de travailler au mixage et à la photo. Elle est ensuite l’assistante d’Alberto Cortés pour son film Amor a la vuelta de la esquina (« l’amour au coin de la rue », 1985). Immédiatement après elle commence à tourner un court-métrage, Una isla rodeada de agua (« une île entourée d’eau », 1984), grâce auquel elle obtient le premier de ses nombreux prix, le prestigieux Ariel. Suivront deux documentaires – Pervertida (1985) et Azul celeste (« bleu ciel », 1988) – et cinq longs-métrages de fiction – Lola (1989) ; Danzón (1991) ; Le Jardin d’Éden (El jardín del Edén, 1994) ; Sin dejar huella (« sans laisser trace », 2000) ; Bonnes herbes (Las Buenas Hierbas, 2010). Ses talents artistiques sont évidents à la fois dans les deux domaines.
Miriam HADDU
NOVIKOVA, Elena BORISOVNA [MOSCOU 1912 - ID. 1996]
Architecte russe.
Née avant la révolution d’Octobre dans une famille de commerçants fortunés, Elena Novikova réussit en 1929 le concours d’entrée des VHUTEMAS (Ateliers supérieurs d’art et de technique, Moscou), mais, en raison de ses origines « non prolétariennes », s’en voit refuser l’accès. Elle travaille alors pour une organisation chargée de concevoir des bâtiments pour l’industrie textile, Tekstilstroj, où elle rencontre son futur mari, l’architecte de renom Michail Barchin (1906-1988). En 1931, après s’être construit un passé prolétarien grâce à cet emploi, elle est acceptée aux VHUTEMAS, entre-temps rebaptisés VHUTEIN (Institut d’art et de technique). Brillante, elle est repérée par l’architecte constructiviste Andrei Burov (1900-1957), qui la considère comme la plus talentueuse de ses jeunes étudiants. En 1940, elle présente un projet intitulé « Le cirque » pour son diplôme, obtenu avec mention. De 1943 à 1946, sous la direction d’A. Burov et au sein de la nouvelle Académie d’architecture, elle rédige une thèse sur les bâtiments en hauteur dans l’architecture russe, et, en 1946, est invitée à enseigner au MARKhI (Institut d’architecture de Moscou). Le couple répond à de nombreux concours d’État ou internationaux. En 1956, ils sont classés deuxièmes au premier tour du concours pour le Palais des Soviets, organisé après l’abandon du projet lauréat de 1932, et, en 1959, troisièmes lors du second tour. En 1960, elle obtient le premier prix au concours international pour « Un quartier d’habitation expérimental » à Santiago du Chili. Puis, durant les années 1960 et 1970, elle participe également, en collaboration avec d’autres architectes, aux concours lancés pour une « Exposition universelle à Moscou », un « Monument de la playa Girón à Cuba » et la « Conception d’aménagement de l’Anneau des jardins à Moscou ». Elle s’intéresse aussi à la conception des espaces intérieurs des bâtiments publics ; deux ouvrages ont d’ailleurs résulté de cette recherche : Inter’er obŝestvennyh i žilyh zdanij (« l’intérieur des bâtiments d’habitation et des bâtiments publics », 1973) et Inter’er obŝestvennyh ždanij hudožestvennye problemy (« l’intérieur des bâtiments publics. Problèmes artistiques », 1984). Elle a enseigné, dirigeant l’organisation des cours du soir de l’Union des architectes de l’URSS, et, de 1946 à 1996, au MARKhI où elle est devenue professeure d’État. Elle est restée active jusqu’à la fin de sa vie, recevant encore des doctorants à l’âge de 83 ans, et a écrit ses mémoires, passionnante histoire de sa famille sur cinq générations à travers les péripéties du régime soviétique.
Vlada TRAVEN
NOVOSELSKA, Maya [SOFIA 1963]
Actrice bulgare.
Formée à l’académie nationale de théâtre et de cinéma Krastyo Sarafov à Sofia, Maya Novoselska s’oriente plus particulièrement vers le théâtre de marionnettes et suit l’enseignement de Julia Ognianova, unanimement loué en Bulgarie. Durant ses études, elle rencontre le metteur en scène Stefan Moskov dont elle devient la compagne et l’actrice fétiche. Ses débuts de comédienne dans des productions de théâtre de marionnettes la font rejoindre les théâtres nationaux à Varna, Dobritch ou Smolyan, ou le Théâtre de la jeunesse à Sofia. En 1991, elle intègre la compagnie théâtrale La Strada à Sofia, participant ainsi à la création d’une des premières compagnies indépendantes en Bulgarie, dont S. Moscov est l’un des fondateurs. Avec cette compagnie, elle élargit sa palette d’actrice, définissant un style de jeu essentiellement basé sur un travail d’improvisation. Durant les années 1990, elle est régulièrement invitée en Allemagne, lorsqu’elle ne tourne pas avec la troupe en Europe ou aux États-Unis. Ainsi, elle acquiert une notoriété qui dépasse les frontières bulgares et reçoit plusieurs prix nationaux et internationaux. Depuis 1991, sa science et son sens aigu de l’art de la scène se sont particulièrement épanouis dans les créations de S. Moscov, telles que Le Maître et Marguerite d’après Mikhaïl Boulgakov, Marmelade - théâtre musical jazzy, ou la série produite par la télévision nationale, La Rue. Elle y campe un personnage singulier, proche des figures de Giulietta Masina et de Charlie Chaplin, sensible, fragile et parfois marginal. Son charisme, sa capacité d’improvisation et son talent de chanteuse de jazz à la voix unique en font une des comédiennes les plus appréciées du public et de la critique.
Marianne CLÉVY
NOVY, Lili (née HAUMEDER) [GRAZ, AUJ. EN AUTRICHE 1885 - LJUBLJANA 1958]
Poétesse slovène.
Née d’une mère d’origine slovène, rien ne semblait la destiner à devenir l’un des plus grands poètes de Slovénie. Dans sa famille issue de la haute aristocratie installée à Ljubljana, la langue exclusivement utilisée était l’allemand, le slovène ayant le statut de langue des couches inférieures, malgré une littérature florissante. En 1911, elle épouse l’aristocrate tchèque Edvard Novy. Ce dernier, découvrant que sa femme écrit des poèmes en allemand depuis l’enfance, l’encourage à publier. Parallèlement, elle entre en contact avec le groupe des « modernes » slovènes qui se réunit à Ljubljana et qu’elle étonne par sa vaste culture littéraire. Elle se fait très vite connaître dans le milieu intellectuel local comme une excellente traductrice de poésie. En 1941, alors que Ljubljana vit sous occupation italienne, elle publie son recueil de poèmes slovènes Temna vrata (« la porte sombre) », le seul paru de son vivant. Elle opte pour la résistance au fascisme et au nazisme, allant jusqu’à demander à entrer au parti communiste après la guerre. Celui-ci repousse la catholique et surtout l’aristocrate qu’elle est. Sans ressources, elle trouve du travail dans l’édition et se met à écrire des poèmes et des piécettes pour enfants. Dans ces derniers textes, les animaux permettent d’exprimer ce qui n’est pas de mise dans la société de l’époque, un peu à la manière de Jean de La Fontaine. Sous une forme plutôt classique, la poésie de L. Novy exprime ses sentiments, ses désirs, ses rêves. Son œuvre, dont on peut admirer la perfection linguistique et formelle, donne l’image d’une femme secrète et sensuelle, consciente de sa force intellectuelle, mais aussi du tragique de la vie. Elle n’a pas peur d’exprimer un érotisme profond et authentique, ce qui n’était guère habituel dans le milieu à l’époque.
Antonia BERNARD
■ JAVORŠEK J., Lili Novy, Ljubljana, Partizanska knjiga, 1984 ; PONIŽ D., « Med temnimi vrati svetle zvezde poezije », in Goreče telo, Ljubljana, Mladinska knjiga, 1985.
NOWAK, Maria [LVOV, POLOGNE 1935]
Économiste française.
Maria Nowak a introduit en France et en Europe le principe du microcrédit. Ayant fui la Pologne occupée en 1943, elle arriva en France avec son frère en 1946. Après des études à l’Institut d’études politiques de Paris et à la London School of Economics, elle entra à la Caisse centrale de coopération économique, future Agence française de développement, où elle se consacra à l’Afrique. Elle rencontra en 1985 l’économiste bangladais Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit et fondateur de la Grameen Bank. Inspirée par son exemple, elle fonda en 1988 l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) dont elle devint présidente à titre bénévole. Le but de l’association, présente sur tout le territoire français, est d’aider les personnes exclues du système bancaire traditionnel à créer leur propre entreprise grâce à des prêts de petites sommes. Parallèlement, détachée à la Banque mondiale en 1991, M. Nowak participa à la mise en place de programmes de microcrédit en Europe centrale, et cofonda en 1997 le Centre de la microfinance de l’Europe centrale et orientale. Après avoir été conseillère spéciale (2000-2002) auprès de Laurent Fabius, ministre de l’Économie et des Finances, elle constitua en 2003 le Réseau européen de la microfinance dont elle prit la présidence jusqu’en 2008.
En mars 2011, elle a cédé la présidence de l’Adie à Catherine Barbaroux. Ayant conservé le titre de présidente-fondatrice, elle continue à exercer des fonctions au sein du conseil d’administration.
Alban WYDOUW
■ La Banquière de l’espoir, celle qui prête aux exclus, Paris, Albin Michel, 1994 ; On ne prête (pas) qu’aux riches, la révolution du microcrédit, Paris, J.-C. Lattès, 2005 ; Le Microcrédit ou le Pari de l’homme, Paris, Rue de l’échiquier, 2009 ; L’Espoir économique, de la microfinance à l’entrepreneuriat social, les ferments d’un monde, Paris, J.-C. Lattès, 2010.
NOZEMAN, Ariana (née VAN DEN BERGH) [MIDDELBURG 1626/1628 - AMSTERDAM 1661]
Actrice et danseuse néerlandaise.
La première apparition professionnelle d’Ariana Nozeman a lieu en 1655, dans une pièce de théâtre qui, par coïncidence, portait son nom, Onvergelijkelijke Ariana (« incomparable Ariana »), à une époque où les rôles de femmes étaient encore souvent tenus par des hommes. Elle est la première femme à jouer Badeloch dans la fameuse pièce historique Gijsbrecht van Aemstel, de Joost Van den Vondel. Durant la saison théâtrale 1658-1659 du théâtre d’Amsterdam, elle se produit dans plus de 50 rôles différents. Elle semble, pour ce faire, avoir bénéficié du départ de plusieurs acteurs de la troupe, et a elle-même ouvert la voie à d’autres comédiennes. Dans sa jeunesse, elle faisait probablement partie de la troupe de théâtre itinérante de son père. Elle aurait ensuite appartenu à la compagnie de Jan Baptist Van Fornenbergh, qui, entre 1649 et 1654, parcourt le nord de l’Allemagne et la Scandinavie, se produisant dans les foires aussi bien que dans les cours princières, telle celle de Christine de Suède*. A. Nozeman jouait principalement les rôles tragiques des auteurs alors en vogue (Chimène, dans Le Cid de Corneille) et chantait dans des opéras (Granida dans Granida en Daifilo de Pieter Corneliszoon Hooft). Elle est également la première danseuse de ballet des Pays-Bas, entre autres dans Juffren Balet, avec lequel le théâtre d’Amsterdam se rend à l’Opéra de Paris, vingt-cinq ans avant que des danseuses françaises ne puissent s’y produire.
Mercita CORONEL
N’SOUMER, Lalla Fathma (Fatma SID AHMED, dite) [PRÈS DE AIN EL HAMMAM, KABYLIE 1830 - ID. 1863]
Héroïne kabyle de la résistance algérienne anticoloniale.
Surnommée « la Jeanne d’Arc du Djurdjura » par l’historien Louis Massignon, Lalla Fathma N’Soumer est une personnalité de premier plan dans la lutte contre la conquête de l’Algérie par l’armée française dans les années 1850. « Lalla » est un titre honorifique, réservé à des femmes de haut rang ou tenues pour saintes. « N’Soumer » signifie « de Soumer », le village où son père tenait une école religieuse. Après avoir reçu de lui une instruction religieuse, un important privilège dans la Kabylie du XIXe siècle, elle s’oppose rapidement aux règles patriarcales en cours et, très jeune, refuse de se marier avec un cousin que veulent lui imposer les hommes de sa famille. Ce refus lui vaut un statut peu enviable au regard des conventions sociales de l’époque. Elle se résigne à se marier quelques années plus tard mais quitte le domicile conjugal après quelques mois pour s’installer chez son frère, marabout à Soumer. Sa vive intelligence lui permet de régler de nombreux litiges et de gagner le respect des villageois. Mais ce sont ses mystérieux talents de prédiction qui lui valent de devenir un emblème de la lutte anticoloniale : elle aurait, en 1852, convoqué le village pour lui annoncer l’approche imminente des envahisseurs. Elle participe à la résistance armée en lui apportant réconfort et assistance jusqu’au cœur des combats. Capturée par l’armée française le 27 juillet 1857, dans un village où elle avait organisé un noyau de résistants, elle est emmenée dans le camp de Beni Slimane où elle meurt six ans plus tard à l’âge de 33 ans. Dans les années 1980, les pouvoirs publics algériens ont organisé le transfert de ses cendres de Kabylie vers le Carré des martyrs à Alger.
Lydie FOURNIER
NTETEMA, Vicky [DAR ES-SALAAM 1958]
Journaliste tanzanienne.
Journaliste internationale de par sa carrière et sa formation, Vicky Ntetema a étudié le journalisme à la fois au Belarus, du temps où la Tanzanie avait des liens avec le bloc soviétique, et à la London School of Economics. Elle vit en Tanzanie et travaille en free-lance, en particulier pour la BBC depuis le début des années 1990. Particulièrement reconnue pour son combat courageux en faveur des albinos, victimes de trafic international et de nombreux meurtres dans son pays, elle a reçu, en 2010, le prix du Courage de l’International Women’s Media Foundation (IWMF). En masquant sa profession et en se faisant passer pour une consommatrice potentielle, V. Ntetema a pu réaliser un reportage sur le marché clandestin des corps des albinos : dépecés et utilisés pour les rituels de magie noire, ils sont réputés porter chance et vendus très chers. Les sorciers qui les tuent sont d’autant plus dangereux, a-t-elle montré, qu’ils sont souvent protégés par la police, voire par les autorités publiques. Selon la BBC, 170 sorciers auraient été arrêtés pour des faits liés à ces meurtres et trafics, mais plus de 17 000 albinos tanzaniens vivraient dans l’angoisse. Depuis ce reportage, la journaliste vit sous la menace : elle se cache et doit être protégée. Elle est désormais conseillère bénévole de l’ONG Under the Same Sun, qui mène des campagnes pour améliorer le sort des albinos partout dans le monde.
Cécile MÉADEL
NU GIOI CHUNG, FÉMINA ANNAMITE – HEBDOMADAIRE [Vietnam 1918]
La nécessité de créer un périodique consacré aux femmes avait déjà été soulignée dans la presse vietnamienne, mais c’est le 1er février 1918 que paraît le premier numéro de Nu gioi chung (« son de cloche des femmes »). Henri Blaquière, directeur du Courrier saigonnais, ajoute à son journal en langue française un supplément en vietnamien dédié aux lectrices et demande à Suong* Nguyêt Anh d’en être la rédactrice en chef. Certaines sources affirment que des patriotes vietnamiens ont été à l’origine du choix de cette femme : Suong Nguyêt Anh, née Nguyên Thi Khuê (1864-1921), une poétesse de renom, est la fille du lettré patriote Nguyên Dinh Chiêu (1822-1888).
Nu gioi chung, hebdomadaire en quôc ngu (écriture vietnamienne à base d’alphabet latin), sous-titré en français Fémina annamite, paraît tous les vendredis pendant 22 numéros (jusqu’au 19 juillet 1918). Certaines rubriques sont récurrentes d’une livraison à l’autre : l’éditorial, souvent rédigé par Suong Nguyêt Anh, un essai, une rubrique sur l’apprentissage professionnel, une autre sur le travail ménager, les « Belles lettres », qui présente des écrits d’auteures, « Divers » et un feuilleton.
Ce premier périodique féminin exprime des idées qui sont largement partagées par l’élite intellectuelle patriote aussi bien masculine que féminine. Il plaide pour le respect des femmes et la reconnaissance de leur « position et [de leur] force » ainsi que de l’importance de leur rôle ; mais il s’en tient néanmoins à défendre un pouvoir confiné à la cellule familiale, « n’osant concurrencer les hommes dans l’arène socio-politique ». Il se refuse à promouvoir le « droit des femmes » (nu quyên), néologisme vietnamien qui sert également à traduire le mot « féminisme » – bien compris par Suong Nguyêt Anh comme lutte pour l’égalité entre hommes et femmes. Ce droit apparaît trop novateur au Vietnam, où les priorités portent alors sur l’éducation morale et intellectuelle des femmes ainsi que sur leur professionnalisation, gage de développement personnel et d’autonomie.
Malgré la modération – choisie ou imposée par la nécessité de plaider pour une réforme culturelle non violente en contexte colonial – de sa rédactrice en chef et la brièveté de son existence, Nu gioi chung est le « son de cloche » qui a permis de réveiller l’opinion publique et d’attirer l’attention sur le droit des femmes – concept qu’il fut le premier périodique féminin vietnamien à utiliser.
BÙI TRÂN PHUONG
NUIĆ, Rada [TUZLA 1947]
Compositrice bosnienne.
Diplômée du conservatoire de Sarajevo en 1969, Rada Nuić a composé de nombreuses œuvres pour l’orchestre et les chœurs de la radiotélévision de Sarajevo. Elle a travaillé sur l’héritage de la musique populaire traditionnelle, comme dans Dvije stilizovane bosanske sevdalinke za glas i klavir (« deux sevdalinkas stylisées pour voix et piano ») et a mis en musique la poésie de poètes bosniaques, notamment Mak Dizdar, Modra Rijeka (« la rivière bleue »). Elle a également signé la musique de plusieurs dizaines de pièces de théâtre : Le roi se meurt ; Médée ; Léonce et Léna ; Crime et Châtiment ; Un tombeau pour Boris Davidovitch ; ainsi que de ballets, dont Prikazivanje Peruna (« l’apparition de Perun »), et de cinq films. En 2007, à l’occasion du Festival d’hiver de Sarajevo, R. Nuić a composé la pièce Bilo gdje Sarajevo (« Sarajevo partout ») pour la cantatrice Barbara Hendricks*.
Dragana TOMAŠEVIČ
NU LUU THO QUAN – MAISON D’ÉDITION [Vietnam XXe siècle]
La maison d’édition féminine et féministe vietnamienne Nu luu tho quan (ou NLTQ, « librairie des femmes ») est créée par Phan Thi Bach Van, née Phan Thi Mai (1903-1980), qui réunit autour d’elle un comité de rédaction composé de femmes instruites et féministes du centre et du Sud-Vietnam, telles que Dam* Phuong (ville de Huê), Nguyên Thi Dan Tâm (centre), Hoang Thi Tuyêt Hoa (qui serait en fait un autre pseudonyme de Phan Thi Mai), ainsi que d’enseignants et écrivains de Hanoi. La volonté d’établir des filiales dans chacune des provinces du pays n’aboutit pas mais NLTQ a néanmoins un bureau de représentation et des correspondants dans chacun des « pays » du Vietnam (Cochinchine, Annam, Tonkin) et en France. Dans son manifeste, NLTQ expose sa mission : « Proposer aux femmes, à des prix très modiques, des livres édités dans le pays qui soient utiles à la morale et à l’éthique nationales et élèvent le niveau d’éducation féminine ; se charger de la rédaction, de la traduction et de l’édition des écrits de valeur en sciences politiques, en histoire, sur les questions féminines, sur le travail féminin, en littérature, en sciences, en sciences commerciales et sur le monde professionnel ainsi que de romans et de nouvelles. » Son objectif est « d’aider au progrès moral et intellectuel des femmes afin qu’elles accèdent rapidement à la position honorable qu’elles devraient occuper, mais qu’elles n’occupent pas encore ».
D’après le bilan que dresse Phan Thi Bach Van elle-même, NLTQ a édité 39 ouvrages, dont un tiers a été interdit. Les titres édités appartiennent à des genres divers : romans d’aventure comme Giam hô nu hiêp (« les héroïnes du lac Giam »), romans d’amour tels que Hông phân tuong tri (« relations intimes entre femmes »), romans sociaux comme Trân Minh Ha, autobiographies comme Lâm Kiêu Loan, biographies de personnages célèbres comme Ghandi, Guong nu kiêt (qui raconte la vie de Mme Roland*), livres d’histoire tels que Lich su Nam tiên cua dân tôc ta (« histoire de l’avancée de notre peuple vers le Sud ») ou My quôc cach mang su (« histoire de la révolution américaine »), ouvrages scientifiques, philosophiques ou politiques présentant la pensée de Darwin, Montesquieu, Rousseau ou du moderniste chinois Liang Qichao. NLTQ se spécialise cependant dans l’édition féministe, avec notamment Tân nu hoc sinh (« collégiennes modernes ») et Phu nu tân giao khoa (« nouveau manuel éducatif pour les femmes »). Phan Thi Bach Van explique dans la préface de la biographie de Mme Roland qu’hommes et femmes ont un même devoir envers le pays et qu’un pays qui peut compter sur ses femmes comme sur ses hommes ne sera pas condamné à voir sa terre foulée par les envahisseurs. Seule écrivaine vietnamienne poursuivie en justice, elle est accusée de « porter atteinte à la sécurité publique par la littérature et la pensée », mais son statut de mère de quatre enfants en bas âge lui permet d’éviter d’être condamnée. La maison d’édition doit pourtant fermer peu de temps avant son procès. Même si l’expérience fut éphémère, Nu luu tho quan témoigne de l’intrépidité d’une féministe qui fut à la fois femme d’affaires, journaliste, écrivaine, éditrice et militante. Elle montre aussi les visées éducatives du féminisme vietnamien, ainsi que sa volonté de s’organiser à l’échelle nationale.
BÙI TRÂN PHUONG
■ VO VAN NHON, Van hoc quôc ngu truoc 1945 o Thanh phô Hô Chi Minh (La littérature en quoc ngu avant 1945 à Hô Chi Minh-Ville), Hô Chi Minh-Ville, Van hoa Sai Gon, 2007.
■ THIEU SON, « Nu si Vietnam » (Écrivaines vietnamiennes), in Phu nu tân van, Saigon, nos 230-231-232, 1934.
NUNGARRAYI, Jeannie EGAN [AUSTRALIE vers 1948]
Peintre australienne.
Artiste aborigène, Jeannie Egan Nungarrayi parle le warlpiri. En 1987, elle expose avec les Warlukurlangu Artists à la Reconnaissance Gallery de Melbourne et remporte le National Aboriginal Art Award et le Rothmans Foundation Award pour son œuvre qui se distingue par la reprise du style traditionnel des motifs aborigènes colorés et l’intervention d’éléments narratifs. Ses tableaux ont été exposés à plusieurs reprises et sont présents dans les collections de la National Gallery of Australia (Canberra), de la National Gallery of Victoria (Melbourne), de l’Art Gallery of New South Wales (Sydney), de l’Akademie der Künste (Berlin) et du musée des Arts africains et océaniens à Paris. L’utilisation de couleurs terreuses, ocre et rouges, ainsi que l’organisation par ensembles de courbes, de points, de lignes tracées de manière répétitive sont caractéristiques de son travail. Rain Dreaming (« rêve de pluie », 2007), une peinture acrylique sur toile, est représentative de l’iconographie traditionnelle warlpiri, avec ses ornements abstraits qui renvoient à la mythologie aborigène : d’un côté, un ensemble de courbes jaunes et rouges représente la cérémonie des femmes ; de l’autre, les hommes sont évoqués par des dessins ocre, dans des compositions bien séparées. Cette œuvre fait référence aux Jangala, dont on dit que leur chant de pluie a déclenché une tempête ; les lignes incurvées symbolisent la montée des eaux. L’œuvre Women’s ceremony (2007) reprend le même type d’organisation de l’espace et convoque les rites warlpiri, qui comprennent des chants, des danses et l’awelye, une cérémonie qui se caractérise notamment par la peinture des corps.
Marion DANIEL
■ JOHNSON V., Aboriginal Artists of the Western Desert : A Biographical Dictionary, Sydney, Craftsman House, 1994 ; MCGAHEY K., The Concise Dictionary of New Zealand Artists, Wellington, Gilt Edge Publishing, 2000.
NURI HADŽIĆ, Bahrija [SARAJEVO 1904 - BELGRADE 1993]
Cantatrice bosnienne.
Originaire de Mostar, fille du célèbre écrivain Osman Nuri Hadžić, Bahrija Nuri Hadžić commença l’apprentissage du piano à Sarajevo. Après la Première Guerre mondiale, sa famille s’installa à Belgrade. Encouragée par un professeur de chant, elle s’inscrivit en 1923 à l’Académie de musique et d’arts scéniques de Vienne et y obtint son diplôme en chantant le deuxième acte de Tosca et La Fanciulla del West de Giacomo Puccini. Engagée par l’Opéra de Berne, elle y interpréta Tosca, Aïda, la comtesse dans Le Mariage de Figaro, Dona Ana dans Don Juan, Salomé, Elsa dans Lohengrin, Ève dans Meistersinger. Elle poursuivit sa carrière à l’Opéra de Belgrade. Entre 1935 et 1938, la cantatrice fut invitée au Volksoper de Vienne. Lors de la première mondiale de Lulu, d’Alban Berg, en 1937 à Zurich, elle interpréta le rôle principal. Le compositeur français Darius Milhaud intitula sa critique : « Nuri Hadžić a été divine ! » Dans son texte, il rendait hommage à sa « magnifique capacité de transformation dans l’interprétation de Lulu, rarement vue sur la scène de l’opéra ». B. Nuri Hadžić atteignit le sommet de sa carrière en 1939 en interprétant Salomé, sous la baguette de Richard Strauss, à l’occasion de la célébration de son soixante-quinzième anniversaire. « C’est la voix de Salomé que j’ai attendue pendant trente-cinq ans », confia le maestro après le spectacle. Lors de chacune de ses nombreuses prestations dans Salomé, la soprano interprétait la célèbre danse des sept voiles sans doublure, ovationnée par le public et la critique. La même année, elle chanta plusieurs fois La Traviata à Vienne, avant de rentrer à Belgrade avec la ferme intention de mettre un terme à sa carrière. La pause dura six ans, elle reprit le chant à la fin la Seconde Guerre mondiale, avec le rôle de la comtesse dans Le Mariage de Figaro. B. Nuri Hadžić est restée la cantatrice vedette de l’Opéra de Belgrade jusqu’à sa retraite en 1960. Son dernier rôle fut celui de Madeleine, dans l’opéra André Chénier, d’Umberto Giordano. Elle mourut en 1993 à Belgrade, sans laisser aucun enregistrement sonore de ses interprétations. La Poste de Bosnie-Herzégovine a récemment publié un timbre à son effigie.
Dragana TOMAŠEVIČ
■ PAVLOVIĆH M., « In memoriam Bahrija Nuri Hadžić », in Politika, Belgrade, 27-10-1993.
NURKURNIATI, Aisyah Dewi VOIR DINATA, Nia
NÜSHU – « ÉCRITURE DES FEMMES » [Chine]
Système d’écriture secret inventé par les femmes de la minorité Yao, du comté de Jiangyong dans le Hunan, pour communiquer entre elles, le nüshu (« écriture des femmes ») n’est pas une langue mais une façon d’écrire le mandarin de façon incompréhensible aux hommes qui ne l’ont pas apprise. Les caractères nüshu sont très gracieux et composés de quatre éléments : des traits, des points, des virgules et des arcs. Les mots qui composent la langue servent essentiellement à décrire la vie quotidienne et les malheurs des femmes, les violences subies au nom de la tradition – mariages arrangés, isolement, entre autres. Né de la résistance des femmes à la domination masculine, le nüshu comme moyen de communication entre femmes se serait transmis de mère en fille dans des régions rurales coupées du monde. Croyant à l’infériorité des femmes, les hommes ne se sont pas intéressés à ces codes secrets qui sont ainsi restés inconnus pendant des siècles, jusque dans les années 1960. Au cours de la Révolution culturelle, les gardes rouges, soupçonnant le nüshu d’être utilisé à des fins d’espionnage, persécutent les femmes qui l’utilisent, brûlent des livres et parfois aussi les femmes elles-mêmes. Aujourd’hui la langue nüshu est en voie d’extinction. Au cours des années 1980, des experts chinois, hommes et femmes, ont lancé un appel pour l’étudier et la sauver, dans le cadre universitaire du Central-South China Institute for Nationalities.
Anne LOUSSOUARN
NUSSBAUM, Martha CRAVEN [NEW YORK 1947]
Philosophe américaine.
Formée aux lettres classiques à Harvard, le parcours de Martha C. Nussbaum emprunte les chemins de la philosophie et du droit à l’image des postes qu’elle occupe alternativement à Harvard en lettres classiques, à Brown University en philosophie, puis à Chicago où elle est professeure de droit et d’éthique. Intellectuelle engagée dans les combats politiques des femmes, et plus généralement de celles et ceux qui se trouvent au « seuil » des relations de justice, elle témoigne dans son œuvre des vertus de l’humanisme classique en veillant à ne pas le réduire à un rationalisme qui exclut et marginalise. C’est à travers le concept de « vulnérabilité » (Fragility of Goodness : Luck and Ethics in Greek Tragedy and Philosophy, « un bien si fragile, éthique et fortune dans la tragédie et la philosophie grecques », 1986) qu’elle déploie une véritable théorie des émotions dont les modalités d’expression et de reconnaissance sont centrales pour le développement et l’épanouissement de l’individu (The Therapy of Desire : Theory and Practice in Hellenistic Ethics, « la thérapie du désir, théorie et pratique dans l’éthique hellénistique », 1994 ; Upheavals of Thought : The Intelligence of Emotions, « les tremblements de terre de la pensée, l’intelligence des émotions », 2001). Mais les émotions ne sont pas cantonnées à la sphère privée de l’éthique, elles sont aussi les vecteurs d’une politique (Hiding from Humanity : Disgust, Shame, and the Law, « échapper à l’humanité, le dégoût, la honte, et la loi », 2004). Ses positions sur des libertés fondamentales comme la liberté sexuelle ou religieuse, sur l’éthique animale, ou encore son féminisme pragmatique (Femmes et Développement humain, l’approche des capabilités, 2000) se fondent sur un néo-aristotélisme qui aboutit à l’établissement d’une liste de« capabilités » (capabilities) qui sont des aptitudes (functionnings) indissociables des conditions réelles de leur épanouissement dans une société donnée ; cette approche, élaborée conjointement avec Amartya Sen, vise à corriger les défauts des théories rawlsiennes du droit (Frontiers of Justice : Disability, Nationality, Species Membership, « frontières de la justice, handicap, nationalité, appartenance aux espèces animales », 2006). L’universalisme de cette approche s’assortit d’une réflexion continue sur l’éducation que M. Nussbaum souhaite diversifiée dans ses approches et émancipatrice dans ses effets (Cultivating Humanity : A Classical Defense of Reform in Liberal Education, « cultiver l’humanité, le rôle des classiques pour réformer l’éducation libérale », 1997) ; car c’est aussi à travers la littérature et la musique que l’éducation morale devrait atteindre son objectif premier : permettre une société moins discriminante et plus juste.
Olivier RENAUT
■ Femmes et développement humain, l’approche des capabilités (Women and Human Development : The Capabilities Approach, 2000), Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, 2008 ; La Connaissance de l’amour, (Love’s Knowledge : Essays on Philosophy and Literature, 1990), Paris, Éditions du Cerf, 2010 ; Les Émotions démocratiques, comment former le citoyen du XXIe siècle (Not For Profit : Why the Democracy needs the Humanities, 2010), Paris, Climat, 2011.
NÜSSLEIN-VOLHARD, Christiane [MAGDEBOURG 1942]
Généticienne allemande.
Prix Nobel de médecine 1995.
Spécialiste de génétique du développement, Christiane Nüsslein-Volhard est lauréate du prix Nobel de physiologie ou médecine, en 1995, pour ses recherches sur les mécanismes de développement précoce de l’embryon. Diplômée de biochimie en 1968, elle obtient un doctorat en génétique en 1973, à l’université Eberhard-Karl de Tübingen. Après une bourse de recherche à Bâle et à Fribourg, elle rejoint Eric Wieschaus comme chef d’équipe au Laboratoire européen de biologie moléculaire à Heidelberg, en 1978. En 1981, elle retourne à Tübingen, où, en 1985, elle prend la direction de l’institut Max-Planck de biologie du développement. En collaboration avec E. Wieschaus, elle poursuit les recherches d’Edward Lewis, qui utilisait la mouche du fruit ou mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster) comme modèle expérimental. Ses observations s’appliquent au développement de tous les organismes multicellulaires et de l’homme en particulier. À Heidelberg, elle passe plus d’un an avec E. Wieschaus à croiser 40 000 familles de drosophiles et à examiner systématiquement leurs caractéristiques génétiques au microscope binoculaire. Leur méthode d’essai-erreur leur permet de découvrir que sur les 20 000 gènes de la mouche, 5 000 sont importants pour les premiers stades du développement, et environ 140 sont essentiels. Ils identifient trois catégories de gènes ayant une responsabilité dans le développement embryonnaire de la mouche du vinaigre : les gènes gap, ou gènes lacunaires, responsables du développement de l’axe longitudinal (tête-queue) du corps ; les gènes pair-rule, ou gènes de la règle d’appariement, qui déterminent la segmentation du corps ; et les gènes de polarité segmentaire, qui assurent le développement des structures répétées au sein de chaque segment. C. Nüsslein-Volhard identifie également des « gènes architectes » fondamentaux qui interviennent, à un stade très précoce, dans la détermination du plan de segmentation de l’embryon. Ces gènes ont été retrouvés, presque identiques, chez tous les organismes pluricellulaires, de la méduse à la souris, ce qui renforce l’hypothèse de l’existence d’un ancêtre commun. C. Nüsslein-Volhard reçoit de nombreux prix, en particulier, en 1991, le prix Albert-Lasker pour la recherche médicale fondamentale, et, en 1995, le prix Nobel de physiologie ou médecine avec Eric Wieschaus et Edward Lewis, pour leurs recherches sur les mécanismes de développement précoce de l’embryon. Elle décrit dans Zebrafish l’un des modèles les plus importants pour l’étude des processus biologiques dans un corps vivant ; ce modèle offre de nombreux avantages pour étudier le développement embryonnaire physiologique et anormal à l’origine de maladies génétiques.
Yvette SULTAN
■ Avec DAHM R., Zebrafish : A Practical Approach, Oxford, Oxford University Press, 2002 ; Coming to Life : How Genes Drive Development, Carlsbad, Kales Press, 2006.
■ « Gradients that organize embryo development », in Scientific American, vol. 275, août 1996.
NUTTING, Mary Adelaide [FROST VILLAGE, QUÉBEC 1858 - NEW YORK 1948]
Soignante et historienne américaine.
Née dans une famille bourgeoise, Mary Adelaide Nutting se destine à la profession de soignante. Elle fait des études de nurse au sein du Johns Hopkins Hospital (1889-1891) avant d’assister la directrice, Isabel Hampton, puis de la remplacer. M. Nutting cumule pendant treize ans (1894-1907) la direction du personnel infirmier de cet hôpital et celle de l’école. En 1899, M. Nutting contribue à fonder l’International Council of Nurses dont elle est longtemps secrétaire. Elle participe aussi à la création de l’American Journal of Nursing, publié à Philadelphie. Parallèlement, elle participe à l’élaboration et à l’expérimentation de la gestion des hôpitaux par le personnel infirmier. Après des années d’enquête, elle publie avec Lavinia L. Dock un imposant ouvrage en deux tomes, A History of Nursing : The Evolution of Nursing Systems from the Earliest Times to the Foundation of the First English and American Training Schools for Nurses (1907 et 1912). Elle dispense un cours au Teachers College de l’université Columbia où I. Hampton a créé un cycle de formation supérieure théorique et pratique pour les nurses diplômées qui peuvent s’y spécialiser en enseignement et en administration du nursing. En 1910, le Teachers College ouvre pour M. Nutting une chaire d’institutional management. Elle devient ainsi le premier professeur d’enseignement infirmier dans une université aux États-Unis et dans le monde. Auteure de nombreux articles dans les journaux professionnels, M. Nutting rédige en 1917 les programmes des écoles d’infirmières américaines. Elle reçoit après sa retraite de nombreuses marques d’estime : nomination comme présidente honoraire de la Fondation internationale Florence-Nightingale (1934), création par l’association nationale de l’enseignement infirmier américain de la médaille Mary Adélaide Nutting. Toute sa vie, elle parcourt le monde et se bat pour une formation infirmière d’excellence.
Évelyne DIÉBOLT
■ MARSHALL H. E., Mary Adelaide Nutting, Pionneer of Modern Nursing, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1972.
NWAOZUZU, Gabriella IHUARUGO [UMUAGWU MBIERI 1948]
Écrivaine nigériane d’expression igbo.
Née dans le sud-est du Nigeria, Gabriella Ihuarugo Nwaozuzu a enseigné à l’université de Nsukka après de brillantes études de linguistique (doctorat en syntaxe et sémantique de l’igbo obtenu en 1991). Ses pièces de théâtre démontrent sa maîtrise de l’igbo littéraire et ses récits, caractérisés par des scénarios complexes et bien menés, rendent aussi compte de la richesse de la culture igbo. Nke m ji ka (« ce que j’ai vaut mieux »), une pièce nourrie d’oralité, fait revivre l’époque coloniale et la lutte d’influence entre un village traditionnel et l’Église, autour de la conversion de l’épouse du chef, qui a accouché de jumeaux, alors que ses coépouses n’avaient jusqu’alors donné naissance qu’à des filles. Le drame O me ihe jide ofo (« en tout, il faut être intègre », 1991) traite de la jalousie et fait pénétrer le lecteur dans le quotidien troublé d’un foyer polygame, et la tragédie Eruru (« les fourmis soldats ») se déroule elle aussi au sein d’une communauté traditionnelle. Son chef-d’œuvre Ajo Obi (1998) se distingue par un scénario différent des autres. Son originalité réside d’abord dans le sujet, nouveau dans la littérature igbophone : une sombre histoire de jalousie et de vengeance dans le milieu des affaires à Owerri sur fond d’enquête policière, qui peut aussi se lire comme un plaidoyer en faveur des veuves.
Les ouvrages critiques de G. I. Nwaozuzu, publiés pour la plupart au Nigeria, se partagent entre théorie et linguistique appliquée et permettent de mieux apprécier le talent des écrivains masculins sur lesquels elle se penche (Tony Ubesie, Anelechi B. Chukuezi et F. Chidozie Ogbalu), inscrits au programme des écoles depuis l’indépendance mais peu connus en dehors de leur zone linguistique. Elle a également enrichi la linguistique igbo de nombreuses publications sur les dialectes, jusque-là peu étudiés, et sur les verbes et les noms composés, n’hésitant pas à explorer des domaines peu connus et à approcher des sujets controversés avec humilité et respect ; elle a ainsi apporté sa pierre à la connaissance de cette langue qui a nourri les romans de Chinua Achebe et de Chimamanda Ngozi Adichie. G. I. Nwaozuzu jouit d’une importante visibilité dans le domaine de l’enseignement. Elle contribue à la diffusion de la recherche universitaire auprès des étudiants et du grand public. Elle est aussi active au sein de plusieurs associations féminines, universitaires et religieuses, qui jouent un rôle important dans le pays.
Françoise UGOCHUKWU
■ Avec ANASIUDU B. N., OKEBALAMA C. N., Language and Literature in a Developing Country, Onitsha, Africana First Publishers, 2007 ; Dialects of the Igbo Language, Nsukka, University of Nigeria Press, 2008.
NWAPA, Flora [OGUTA 1931 - ENUGU 1993]
Romancière nigériane.
Connue pour être l’une des premières femmes à avoir écrit dans les années 1960, Flora Nwapa ouvre la voie à l’écriture féminine, avec son roman Efuru (1966), au sein d’une littérature nigériane qui exprime la lutte d’un pays qui, après l’exploitation coloniale, a été bouleversé par plusieurs coups d’État souvent violents et une terrible guerre civile. La carrière de F. Nwapa ainsi que son univers romanesque, culturel et mythique doivent beaucoup à l’écrivain Chinua Achebe. C’est notamment grâce à lui qu’Efuru fut publié à Londres chez Heineman. F. Nwapa est également la première femme à créer une maison d’édition au Nigeria, avec Tana Press pour la littérature adulte et Flora Nwapa and Co pour la jeunesse. Efuru est basé sur l’histoire d’une femme, belle et forte, choisie par les dieux qui, après la perte d’un enfant et deux mariages malheureux, se bat pour devenir une femme d’affaires à succès. Elle se rend alors au lac de la déesse Uhamiri (qui n’est que le reflet de sa propre image), laquelle lui donne la santé, la beauté et quelques enfants. Son deuxième roman, Idu (1970), est également une histoire de femme, entrecroisée avec celle de son mari. Quand ce dernier meurt, elle décide de le rejoindre au royaume des morts plutôt que de vivre sans lui. Auteure de nombreux livres destinés à la jeunesse, F. Nwapa évoque dans Mammywater (1979) la déesse de l’eau Ogbuide, ou Uhamiri, déjà présentes dans ses romans pour adultes. Son roman Never again (« plus jamais », 1975) ne parle que de la guerre civile au Nigeria tandis que Wives at War and Other Stories (« femmes à la guerre et autres histoires », 1980) rend compte du conflit du Biafra. Son dernier roman, The Lake Goddess (« le lac de la déesse », non publié), évoque la figure de Mammy Water, qui a inspiré beaucoup de ses histoires.
Frida EKOTTO
■ Efuru (1966), Paris, L’Harmattan, 1988.
NYE, Naomi Shihab [SAINT LOUIS 1952]
Poétesse américano-palestinienne d’expression anglaise.
Née aux États-Unis d’un père palestinien et d’une mère américaine, Naomi Shihab Nye n’a pas vécu la Nakba (l’exode palestinien de 1948), mais dit avoir grandi avec un « fort sentiment d’exil ». On retrouve dans sa poésie les récits de son père, expulsé avec sa famille de Jérusalem en 1948. Elle exprime dans ses vers un sentiment de révolte face à l’injustice subie par le peuple palestinien, ainsi que des interrogations impuissantes, car elle ne connaît la guerre qu’à travers la télévision. Sa poésie (Different Ways to Pray, 1980 ; 19 Varieties of Gazelle : Poems of the Middle East, 2002 ; You and Yours, 2005) s’attache aux détails poétiques du quotidien et doit son audience à son souffle de conteuse. Elle édite également des anthologies de poésie et traduit des poètes du Proche-Orient.
Dina HESHMAT
NYEMBE, Dorothy [THALANE, KWAZULU-NATAL 1931 - ID. 1998]
Femme politique sud-africaine.
Originaire des régions rurales de ce qui constitue désormais la province du Kwazulu-Natal, Dorothy Nomzansi Nyembe participe activement à la « campagne de défiance » contre les lois de l’apartheid, en 1952, et rejoint à cette occasion les rangs du Congrès national africain (ANC). Cet engagement précoce conduit cette petite vendeuse des rues à participer, deux ans plus tard, à la fondation de la Ligue des femmes de l’ANC, dont elle devient l’une des responsables. Elle côtoie alors les principaux dirigeants de l’organisation de lutte contre la ségrégation, notamment Albert Lutuli et Nelson Mandela. Le 9 août 1956, elle est aux premiers rangs de la marche des femmes organisée à Pretoria contre le pass, document imposé à tous les non-Blancs par le régime de l’apartheid pour le contrôle de leurs déplacements. Puis elle s’illustre dans la conduite du boycott des beer halls, ces débits d’alcool contrôlés par le régime et destinés à concurrencer les bars clandestins des townships. Elle est arrêtée pour haute trahison en décembre 1956, mais verra les charges pesant contre elle abandonnées un an plus tard. C’est à partir du début des années 1960 que D. Nyembe acquiert le surnom de « lionne de l’ANC ». Ayant multiplié les activités clandestines, elle figure en effet, en décembre 1961, parmi les premiers membres de l’Umkhonto we Sizwe (« la lance de la nation »), véritable bras armé d’un ANC désormais contraint aux activités souterraines ou à l’exil. Elle est cependant arrêtée en 1963 et condamnée à trois ans de prison, durant lesquels elle croise une autre détenue particulièrement redoutée de Pretoria : Winnie Mandela*. Surveillée par le régime à sa libération et touchée par des mesures de restriction de liberté l’empêchant de quitter Durban, elle n’en abandonne pas pour autant ses activités secrètes. De nouveau arrêtée en 1968, elle est torturée et condamnée à une peine de prison de quinze ans qui lui vaudra notamment d’être décorée par l’Union soviétique de l’Ordre de l’amitié entre les peuples. À sa sortie, en mars 1984, elle renoue avec l’Umkhonto we Sizwe et participe activement, au sein de l’Organisation des femmes du Natal, aux campagnes de protestation contre l’augmentation des loyers et des tarifs des services urbains ; campagnes visant notamment à rendre les townships « ingouvernables ». Distinguée par le prix Albert-Luthuli en 1992 pour son combat, celle que les militants de l’ANC appellent désormais « Mam D » est élue députée à l’occasion des premières élections démocratiques, en avril 1994, et participe à la rédaction de la nouvelle Constitution. Elle meurt quatre ans plus tard.
Jérôme TOURNADRE
NYEMBEZI-HEITA, Nonkululeko [PIETERMARITZBURG 1960]
Chef d’entreprise sud-africaine.
Fille d’avocat, Nonkululeko Nyembezi-Heita suit des études d’ingénierie à l’étranger, dans des secteurs d’activités innovantes, à un moment où encore peu de femmes le faisaient. Elle commence sa carrière professionnelle aux États-Unis chez IBM avant de retourner en Afrique du Sud, où elle acquiert une solide expérience managériale. Depuis 2008, elle dirige la filiale sud-africaine d’Arcelor-Mittal, le géant indien de l’acier, et siège dans cinq conseils d’administration. Mère de deux enfants, elle s’organise pour travailler efficacement. Sa politique de recrutement et de gestion privilégie la diversité des talents, pour former des équipes compétentes et cohérentes. Sa tâche est difficile : tenir la production d’acier à bas coût, dans un contexte de forte concurrence et de récession.
Jacqueline PICOT
NYIRUMBE, Rosemary [PAIDHA, OUGANDA 1961]
Religieuse ougandaise.
Rosemary Nyirumbe entre dans la congrégation des Sœurs du Sacré-Cœur en 1976 à Moyo, dans le nord de l’Ouganda. Après des études de sage-femme, elle passe un Bachelor en sciences sociales et développement à l’université des Martyrs de l’Ouganda à Nkozi. Assistante chirurgienne lorsque la Lord’s Resistance Army (LRA), « armée de résistance du Seigneur » – constituée à 80% d’enfants-soldats dont 30 à 40% de filles –, répand ses atrocités, elle appelle par radio les jeunes rescapées à venir se réfugier à Gulu, au nord du pays, dans l’école de couture Santa-Monica. Devenue sa directrice en 2001, elle en fait un centre de réhabilitation, d’éducation et de formation professionnelle (agriculture, coiffure, tissage, couture, secrétariat). Pourvu d’un dispensaire et d’une crèche, le centre accueille les jeunes filles ex-enfants soldats reniées par leur famille pour avoir été violées et torturées. Depuis 2002, plus de 2 000 jeunes filles ont ainsi échappé à la rue et la prostitution, et deux autres centres ont ouvert. R. Nyirumbe, docteure honoris causa des universités de Chicago et Philadelphie, participe au Forum mondial des Femmes de 2015 à Manhattan, aux côtés notamment de Meryl Streep*, Manal al-Sharif et Hillary Clinton*. L’argent récolté grâce à la vente en ligne des objets fabriqués par ses « pensionnaires » est versé à ces dernières pour aider à leur réinsertion professionnelle.
Claudine BRELET
■ WHITTEN R et HENDERSON N., Sewing Hope, s.l., Dust Jacket Press, 2013.
■ Sewing Hope, Derek Watson, 54 min, 2013.
NYMAN, Gunnel (née GUSTAFSON) [1909-1948]
Designer finlandaise.
Après un diplôme de designer de mobilier de la Central School of Arts and Crafts en 1932, Gunnel Nyman devient designer pour la compagnie Taito : de 1932 à 1936, elle dessine des lampes et des appliques. Entre 1936 et 1938, elle crée des meubles pour la firme Boman. Dans les années 1930, elle dessine des objets pour différents verriers et devient dans les années 1940 la « designer officielle de verre finlandais ». Lauréate en 1933 du concours organisé par la verrerie Riihimäki, G. Nyman entre comme designer dans l’entreprise, où elle travaille jusqu’en 1947, tout en dessinant aussi pour d’autres verriers : Karhula, puis Iittala. De 1946 à 1948, elle travaille pour Nuutajärvi, le plus ancien fabriquant de verre finlandais, où, devenue directrice artistique, elle œuvre en collaboration avec les souffleurs de verre, ce qui est nouveau à l’époque, surtout pour une femme. Cela lui permet d’expérimenter les bulles et la coloration du verre, et de mener une étude approfondie sur ce matériau : son travail a servi de base au nouveau design du verre finlandais. Elle crée également des papiers peints, des objets en argent ou en céramique, et obtient un franc succès dans le design de mobilier, remportant le premier prix du concours de Création d’une chaise standard organisé par la Société finlandaise d’artisanat et de design en 1931, et le prix principal de la Loterie annuelle de la Société en 1932 avec un ensemble de meubles pour salle à manger et salon. Ce projet marque le début de sa collaboration avec la manufacture Keravan Puusepäntehdas. En 1945, elle crée un ensemble de meubles fabriqués en rowan, sorte de bois de charpente utilisé après guerre. Ses objets en verre ont été primés à la Triennale de Milan de 1933, à l’Exposition internationale des arts et des techniques de Paris de 1937, et, à titre posthume, lors de la IXe Triennale de Milan en 1951. Une rétrospective à la mémoire de G. Nyman, morte prématurément, eut lieu à l’automne 1948, à l’occasion de l’exposition annuelle des Arts appliqués d’Helsinki.
Auli SUORTTI-VUORIO
■ POUTASUO T., « Modern Glass Design : Artists and Designers », in Visions of Modern Finnish Design, STENROS A (dir.), Helsinki, Otava Keuruu, 1999.
■ MATHIESEN B., « Gunnel Nyman. Modernism in Finnish Art Glass », Form Function Finland vol. 2, 1987 ; ID., « Gunnel Nyman », The Bulletin of the Finnish Glass Museum. Lasitutkimuksia - Glass Research IV, 1987.
NYONIN-GEIJUTSU – REVUE LITTÉRAIRE [Japon XXe siècle]
Nyonin-geijutsu (« les arts au féminin ») est une revue littéraire japonaise conçue par et pour les femmes, qui parut mensuellement en 48 numéros (5 volumes) de juillet 1928 à juin 1932. Hasegawa Shigure (1879-1941), écrivaine, la fonda afin d’élargir le champ d’activité littéraire des femmes, sous le patronage de son mari, Mikami Otokichi, écrivain populaire en vogue à cette époque. Durant ses quatre années d’existence, la revue fut rédigée et éditée par des femmes, même si quelques hommes y participèrent ensuite. Au début, elle était particulièrement riche de tous les genres littéraires : essais, waka, poèmes, romans et traductions de la littérature étrangère. Toutefois, dès la deuxième année, elle changea de direction avec le déclenchement de discussions entre anarchistes et marxistes. Ce débat prit fin en janvier 1930, mais la revue inclinait désormais à gauche au point d’être interdite en septembre et en octobre de la même année. Elle continua néanmoins à présenter dans ses pages la condition ouvrière des femmes soviétiques ainsi qu’à publier des écrits fictionnels ou documentaires autour de la question prolétarienne. Un de ses mérites est d’avoir sensibilisé les ouvrières à leurs conditions de travail et de vie. Mais son rôle le plus important dans l’histoire de la littérature japonaise est d’avoir découvert et fait connaître des écrivaines de talent, telles que Hayashi* Fumiko, auteure de Hōtōki (« chronique de mon vagabondage »), Enchi* Fumiko, Miyamoto* Yuriko et Osaki* Midori. La revue contribua ainsi à animer le milieu littéraire féminin, au même titre que Seitō. Après le numéro daté de juin 1932, elle cessa de paraître, à cause de la mauvaise situation financière et de la maladie de sa dirigeante Hasegawa Shigure. Celle-ci fit appel aux participantes de la revue disparue et organisa en janvier 1933 l’association Kagayaku (« rayonner »), qui fit paraître un bulletin de mars 1933 à octobre 1941.
Maki ANDO
■ IKUTA H., Ichiyō to Shigure, Tokyo, Chōbun-kaku, 1943 ; NIHON KINDAI BUNGAKUKAN (dir.), Nihon kindai bungaku daijiten, Tokyo, Kōdan-sha, 1977 ; OGATA A., Nyonin-geijutsu no sekai, Hasegawa Shigure to sono shuhen, Tokyo, Domesu, 1980.
NZIÉ, Anne-Marie [BIBIA, CAMEROUN 1932]
Chanteuse camerounaise.
Surnommée « Maman » par les Camerounais, Anne-Marie Nzié est fille d’un pasteur et joueur de harpe-cithare traditionnelle, le mvet. Grièvement blessée après être tombée d’un arbre à l’âge de 12 ans, elle passe une bonne partie de son adolescence dans un lit d’hôpital. Son frère aîné, Cromwelle N’Zié, guitariste, décide de l’initier à la musique. La jeune fille perfectionne sa superbe voix et écrit ses premières chansons. Sa blessure se guérit peu à peu et elle commence à chanter dans des soirées en s’accompagnant à la guitare hawaïenne. Sa carrière solo est lancée et elle devient rapidement populaire. À la fin des années 1950, elle grave ses premiers morceaux pour le label belgo-congolais Opika et s’impose comme la première femme camerounaise à chanter en solo. Lors de l’accession du Cameroun à l’indépendance en 1960, elle se produit au palais présidentiel. En 1967, elle est la première femme à enregistrer sur le label Africambiance. Sa voix grave lui vaut d’être bientôt consacrée comme la « Voix d’Or du Cameroun ». Dans les années 1970, elle est la chanteuse préférée du président Ahmadou Ahidjo. Dès la fin des années 1960, devenue l’ambassadrice de la musique camerounaise, elle se produit à la tête de son propre orchestre en Europe et dans les grands festivals africains, à Alger en 1969 et à Lagos en 1977. Sa voix et son éclectisme participent à son succès. A.-M. Nzié peut enchaîner rumba congolaise, biguine et bikutsi, une ancienne danse martiale ultra-rapide que les jeunes Camerounais s’amusent à transcrire sur leurs guitares électriques, et alors très populaire à Yaoundé. À l’aube des années 2000, à 67 ans, elle se lance dans une carrière internationale tardive. Elle se produit au festival Musiques métisses d’Angoulême et fait paraître le disque Bézabadzo produit par Brice Wassy en compagnie de Guy Nsangué, Noël Ekwabi, Manu Dibango, Mario Canonge, J.P. Rykiel et Douglas Mbida. En 2008, pour ses soixante ans de métier, un hommage national lui est rendu avec une semaine entière de manifestations, un concert grand public et une exposition de photos. En mai 2010, elle chante pour le cinquantenaire de l’indépendance. Si elle reste peu connue en Occident, A.-M. Nzié fait figure de modèle pour la nouvelle génération, à commencer par ses compatriotes, Sally Nyolo ou Coco Mbassi*.
Elisabeth STOUDMANN
■ Bézabadzo, Indigo/Label Bleu, 1999.
NZOMUKUNDA, Alice [BUJUMBURA 1966]
Femme politique burundaise.
Hutu, Alice Nzomukunda devient vice-présidente du Burundi le 29 août 2005. Pour protester contre la corruption et les violations des droits de l’homme par le gouvernement, elle démissionne le 5 septembre 2006 et part en exil en Belgique. Elle revient au Burundi après l’éviction du président Hussein Radjabu, dont les pratiques avaient été à l’origine de son départ. Elle est élue vice-présidente du Parlement burundais le 25 avril 2007. Destituée en février 2008 après sa radiation du parti présidentiel, elle échappe à un attentat et s’estime menacée par le pouvoir en place. Elle présente sa candidature à l’élection présidentielle de juin 2010 sous l’étiquette de l’Alliance démocratique pour le renouveau (ADR), mais c’est le président sortant, hutu lui aussi, Pierre Nkurunziza, représentant du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), qui est réélu. Elle fait partie du Réseau libéral africain, dont le but est de promouvoir les principes démocratiques dans tout le continent africain.
Armelle LE BRAS-CHOPARD