Introduction

INTRODUCTION

« L’identification des tableaux pathologiques » (bian zheng en chinois) traduit le processus d’identification des déséquilibres de base qui sous-tendent les manifestations cliniques. C’est-là l’essence même du diagnostic et de la pathologie en médecine chinoise. Identifier un tableau pathologique implique que l’on discerne le tableau de déséquilibre sous-jacent en prenant en compte l’image qui nous est donnée par tous les signes et tous les symptômes.

Plutôt que d’analyser les signes et symptômes un par un pour essayer d’en trouver la cause, comme le fait la médecine occidentale, la médecine chinoise travaille sur l’image globale fournie par tous les signes et symptômes afin d’identifier le déséquilibre sous-jacent (Cadre P6.1). À cet égard, la médecine chinoise ne recherche pas les causes mais les tableaux pathologiques. Ainsi, lorsqu’on dit qu’un patient quelconque présente un vide de Yin du Rein, il ne s’agit pas de la cause de la maladie (qu’il faut rechercher dans la vie de la personne) mais du déséquilibre sous-jacent à la maladie ou à la façon dont celle-ci s’exprime. Bien évidemment, après avoir identifié le tableau pathologique la médecine chinoise va plus loin et cherche à identifier la cause du déséquilibre.

LE CONCEPT DE « MALADIE » EN MÉDECINE CHINOISE

Le concept de « maladie » n’est pas le même en médecine chinoise et en médecine occidentale. Ce que l’on nomme « maladie » en médecine chinoise est en fait ce que la médecine occidentale considère comme un « symptôme ». Par exemple, en gynécologie, les « Règles Douloureuses » représentent une catégorie de maladie, alors qu’en médecine occidentale, il s’agit d’un symptôme (et la médecine occidentale va alors chercher à identifier la « maladie » : par exemple, une endométriose qui provoque le symptôme de règles douloureuses) (Fig. P6.2). On peut donner d’autres exemples de « maladies » en médecine chinoise : la Diarrhée, la Constipation, la Toux, l’Essoufflement, les Sensations Vertigineuses, la Céphalée, la Douleur Épigastrique, la Douleur Abdominale, etc. Comme on peut le voir, tous représentent ici des « symptômes » plutôt que des « maladies » en termes de médecine occidentale.

Toutefois, il n’y a aucune raison pour que l’on ne puisse pas appliquer la façon dont la médecine chinoise différencie les tableaux pathologiques aux maladies de la médecine occidentale et, en fait, c’est ce que font de nombreux ouvrages de médecine en Chine.1 Par exemple, la maladie que les Occidentaux appellent « maladie coronarienne » correspond, en gros, au « Syndrome d’Obstruction Douloureuse de la poitrine » (Bi de la poitrine) en médecine chinoise. Si l’on examinait un grand nombre de patients présentant une maladie coronarienne et si l’on posait un diagnostic médical selon la médecine chinoise, on pourrait identifier les tableaux pathologiques les plus courants chez ces patients. Étant donné les structures hospitalières qui pratiquent la médecine chinoise en Chine et le grand nombre de patients qui en bénéficient, les médecins chinois sont à même d’appliquer les principes de la médecine chinoise pour différencier les maladies de la médecine occidentale.

Un autre exemple qui me vient à l’esprit est celui de l’endométriose. Comme le principal symptôme de l’endométriose sont les règles douloureuses, on peut le traiter en se reportant à la maladie que les Chinois appellent « Règles Douloureuses » (voir Fig. P6.2). Toutefois, si on analyse les tableaux pathologiques que présentent la majorité des femmes qui souffrent d’endométriose, il est tout aussi possible de différencier les cas d’endométriose en fonction des tableaux pathologiques chinois. En fait, dans certains cas, une différentiation selon la médecine occidentale plutôt que selon la médecine chinoise peut permettre de rendre le traitement plus efficace. L’endométriose en est un bon exemple. Actuellement, en Chine, il existe un consensus pour dire qu’il faut considérer la migration du tissu endométrial en dehors de l’Utérus comme un cas de stases de Sang. Si l’on se contente de prendre en compte le diagnostic et la différentiation des tableaux pathologiques chinois, on peut ne pas trouver de signes de stases de Sang chez un certain nombre de femmes souffrant d’endométriose (la langue n’est pas Pourpre, les règles ne sont pas très douloureuses, il n’y a pas de masses abdominales, etc.), et donc ne pas appliquer cette importante méthode de traitement qu’est la tonification du Sang.

Le concept de « maladie » est un concept ancien en médecine chinoise et on le rencontre déjà dans le « Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune ». Par exemple, « L’axe spirituel » présente le trouble maniaco-dépressif (Dian Kuang) au chapitre 22 et le Syndrome d’Obstruction Douloureuse (Bi) au chapitre 27.2 Les « Questions simples » évoquent la Toux au chapitre 38 et le Syndrome d’Obstruction Douloureuse (Bi) au chapitre 43.3

Bien évidemment, il existe des correspondances entre les maladies chinoises et les maladies occidentales. Par exemple, la maladie chinoise « Douleur Épigastrique » peut sans aucun doute correspondre aux maladies digestives occidentales comme l’ulcère gastrique avec douleur épigastrique. Toutefois, il n’existe jamais de correspondance directe, d’égale à égale, entre une maladie chinoise et une maladie occidentale. Si on reprend l’exemple ci-dessus, de très nombreuses personnes souffrent d’une douleur épigastrique sans pour autant avoir un ulcère gastrique.

Enfin, dans de très rares cas, on trouve une correspondance directe entre la maladie chinoise et la maladie occidentale, ces deux entités étant strictement identiques. C’est le cas de l’épilepsie (dian xian), du paludisme (neu ji), et la dysenterie (li ji) et de la rougeole (ma zhen).

Le cadre P6.2 résume le concept de « maladie » en médecine chinoise.

RELATION ENTRE LES MALADIES ET LES TABLEAUX PATHOLOGIQUES EN MÉDECINE CHINOISE

Un des principes important et fondamental de la médecine chinoise est que la même maladie peut se manifester dans différents tableaux pathologiques, et qu’un seul et même tableau pathologique peut engendrer de nombreuses maladies différentes (Fig. P6.3).

C’est ce que résume la phrase « Une maladie, plusieurs tableaux pathologiques ; un tableau pathologique, plusieurs maladies ». Gardez bien à l’esprit que cette phrase s’applique aux « maladies » chinoises et non pas aux maladies occidentales. Par exemple, la maladie des « Règles Douloureuses » peut se rencontrer dans différents tableaux pathologiques (par exemple, une stagnation du Qi, des stases de Sang, un Froid dans l’Utérus, une Chaleur-Humidité dans l’Utérus, etc.). C’est un principe très important de la médecine chinoise que de s’assurer que chaque per sonne est bien traitée comme un cas unique, et qu’il n’y a aucun traitement standard pour les « Règles Douloureuses ».

D’un autre côté, on peut rencontrer le même tableau pathologique dans de nombreuses maladies différentes. Par exemple, le tableau de stagnation du Qi du Foie peut être un facteur des Règles Douloureuses, du Syndrome Prémenstruel, de la Douleur Épigastrique, de la Douleur Abdominale, de la Douleur des Hypochondres, etc.

Le cadre P6.3 résume ces relations.

LE CONCEPT DE « MALADIE » EN MÉDECINE CHINOISE COMPARÉ AU CONCEPT DE MALADIE EN MÉDECINE OCCIDENTALE

Le même principe « Une maladie, plusieurs tableaux pathologiques ; un tableau pathologique, plusieurs maladies » s’applique à la relation entre les maladies chinoises et les maladies occidentales, et on pourrait inventer une nouvelle expression comme « une maladie chinoise, de nombreuses maladies occidentales » (Fig. P6.4).

Par exemple, la « maladie » chinoise nommée Douleur Abdominale peut correspondre à plusieurs maladies occidentales comme la rectocolite hémorragique, le syndrome du côlon irritable, la diverticulite, etc. Inversement, une maladie occidentale peut correspondre à plusieurs maladies chi noises. Par exemple, l’hypertension peut correspondre aux Sensations Vertigineuses, aux Céphalées, aux Acouphènes de la médecine chinoise ; la rectocolite hémorragique peut correspondre à la Douleur Abdominale ou à la Diarrhée.

Le cadre P6.4 résume la relation entre les maladies en médecine chinoise et les maladies en médecine occidentale.

CARACTÉRISTIQUES DES « SIGNES » ET DES « SYMPTÔMES » EN MÉDECINE CHINOISE

Les « signes et symptômes » en médecine chinoise ont un sens quelque peu différent de celui qu’on leur accorde en médecine occidentale. Il est différent du sens relativement étroit que leur donne la médecine occidentale, en dépit de ses batteries de tests de laboratoire et ses examens radiologiques. Par contre, la médecine chinoise élargit la conception qu’elle en a pour y inclure les modifications d’un grand nombre de fonctions corporelles diverses (en plus des symptômes visibles) comme les mictions, les selles, la transpiration, la soif, etc.

De plus, la médecine chinoise prend en compte les manifestations cliniques allant de certains signes faciaux et corporels aux caractéristiques psychologiques et émotionnelles qui ne sont pas réellement des « signes » ou des « symptômes » en tant que tels, mais plutôt l’expression d’un certain déséquilibre. Bon nombre de manifestations cliniques qui contribuent à donner une image du déséquilibre sous-jacent ne sont pas considérés comme des « signes » ou des « symptômes » en médecine occidentale.

Par exemple, l’absence de soif, l’incapacité à prendre des décisions, des yeux au regard terne, une soif avec envie de boire par petites gorgées, des oreilles petites sont tous des éléments significatifs en médecine chinoise mais ne sont pas considérés comme tels en médecine occidentale. Aussi, chaque fois que les mots « signes » ou « symptômes » apparaissent, il faut leur donner ce sens large. Grâce à une expérience clinique accumulée depuis de nombreux siècles par un nombre incalculable de praticiens, la médecine chinoise a élaboré un système de diagnostic et une symptomatologie très complets et extrêmement efficaces pour identifier les tableaux pathologiques et les déséquilibres qui les sous-tendent.

Le cadre P6.5 résume les « signes » et « symptômes » en médecine chinoise.

IDENTIFICATION DES TABLEAUX PATHOLOGIQUES

L’identification des tableaux pathologiques est également conforme à la philosophie médicale chinoise typique, qui recherche des relations plutôt que des causes. Chaque signe et chaque symptôme n’ont de sens qu’en relation avec toutes les autres manifestations. C’est pourquoi un symptôme précis peut avoir des significations différentes dans des situations différentes. Par exemple, une langue sèche qui s’accompagne d’une sensation de chaleur en soirée, d’une gorge sèche la nuit avec un désir de boire par petites gorgées, de transpirations nocturnes, et d’un pouls Flottant et Vide traduit un vide de Yin (cause la plus fréquente d’une langue sèche) ; toutefois, une langue sèche qui s’accompagne d’une sensation de froid, d’une absence de soif, de mains froides et de mictions pâles et profuses traduit un vide de Yang (cause rare d’une langue sèche).

L’identification des tableaux de déséquilibre considère le diagnostic, la pathologie et le principe de traitement comme un ensemble unique. Lorsqu’on dit qu’un certain tableau pathologique se caractérise par un vide de Yang de la Rate avec rétention d’Humidité, on définit la nature de la pathologie (vide de Yang), son siège (la Rate) et, implicitement, le principe de traitement (tonifier la Rate et éliminer l’Humidité).

Dans le cas particulier des invasions externes, en identifiant le tableau pathologique on identifie la cause du déséquilibre (par exemple, le Vent externe), la nature de la pathologie (invasion de Vent), son siège (l’Extérieur du corps), et le principe de traitement, c’est-à-dire libérer l’Extérieur et chasser le Vent.

Ainsi, l’identification du tableau pathologique nous permet d’identifier la nature et le caractère de la pathologie, le siège de la maladie, le principe de traitement, et le pronostic.

Comme le montre « Essentials of Chinese Acupuncture », « l’identification [des tableaux pathologiques] ne se fait pas grâce à une liste de signes et de symptômes, mais grâce à une réflexion sur la pathogenèse de la maladie ».4 Autrement dit, il ne faut pas seulement identifier le tableau pathologique mais aussi comprendre comment il est né et quels sont les différents aspects qui entrent en interaction. Par exemple, si on identifie un tableau de stagnation du Qi du Foie accompagné d’un vide de Yang de la Rate, il faut aller plus loin et comprendre comment ces deux tableaux agissent l’un sur l’autre, tout comme il faut se demander si l’un peut être considéré comme la cause de l’autre.

Le cadre P6.6 résume l’identification des tableaux pathologiques en médecine chinoise.

MÉTHODE D’IDENTIFICATION DES TABLEAUX PATHOLOGIQUES

On peut identifier les tableaux pathologiques en fonction de différents aspects. Ceux-ci s’appliquent dans des situations diverses et ont été formulés à des moments différents de l’évolution de la médecine chinoise. Les différentes façons d’identifier les tableaux pathologiques sont :

Chacune de ces méthodes peut s’appliquer dans différents cas et ce qui suit est une brève présentation des applications possibles de chacune de ces mét hodes pour l’identification des tableaux pathologiques. Une présentation plus détaillée de chaque méthode se trouve dans les chapitres qui leur sont consacrés.

Identification des tableaux pathologiques selon les Quatre Couches

Elle a été énoncée par Ye Tian Shi (1667-1746) dans son ouvrage « Traité sur les maladies de type Chaleur » (Wen Bing Lun, 1746)6 et elle décrit les tableaux pathologiques engendrés par le Vent-Chaleur externe. Il s’agit de la méthode d’identification des tableaux pathologiques la plus importante et la plus largement utilisée dans le traitement des maladies infectieuses fébriles qui commencent par une invasion de Vent-Chaleur externe. Personnellement, je trouve cette méthode d’identification des tableaux pathologiques extrêmement importante et utile pour traiter les pathologies externes et leurs conséquences.

Cette méthode d’identification des tableaux pathologiques est présentée au chapitre 45.

1. Hu Xi Ming 1989 Great Treatise of Secret Formulae in Chinese Medicine (Zhong Guo Zhong Yi Mi Fang Da image), Literary Publishing House, Shanghai. Ce livre n’est qu’un exemple parmi les nombreux livres chinois modernes qui appliquent l’identification des tableaux pathologiques aux pathologies de la médecine occidentale.

2. 1979 Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune - Questions simples (Huang Di Nei Su Wen image), People’s Health Publishing House, première publication environ 100 AEC.

3. 1981 L’axe spirituel (Ling Shu Jing image), People’s Health Publishing House, première publication environ 100 AEC.

4. Collèges de médecine traditionnelle chinoise de Beijing, Shanghai et Nanjing 1980 Essentials of Chinese Acupuncture, Foreign Languages Press, Beijing, p. 60.

5. Collège de médecine traditionnelle chinoise de Nanjing, groupe de recherche sur le Shang Han Lun 1980 Traité sur les maladies dues au Froid Shang Han Lun image de Zhang Zhong Jing, Shanghai Science Publishing House, Shanghai, première publication aux environs de 220.

6. Collège de médecine traditionnelle chinoise de Nanjing 1978 Étude sur les maladies de type Chaleur (Wen Bing Xue image), Shanghai Science Publishing House, Shanghai. L’Étude sur les maladies de type Chaleur a été écrite par Ye Tian Shi en 1746.

7. Wang Zhen Kun 1995 A New Explanation of the Systematic Differentiation of Warm Diseases (Wen Bing Tiao Bian Xin Jie image), Xue Yuan Publishing House, Beijing. La différenciation systématique des maladies fébriles a été écrite par Wu Ju Tong en 1798.

8. L’axe spirituel, p. 30-39.