chapitre 16
Le top-modèle qui voulait
que je sois son tueur à gages
Au terme de nombreuses années de prison purgées dans différents pays, après cinquante ans de brigandage, de contrebande, de proxénétisme, de braquages, de règlements de comptes souvent mortels et toujours sanglants, de trafic de contrefaçon, d’armes, de bijoux, de voitures volées et maquillées, d’escroqueries à la carte de crédit, aux faux chèques, aux faux billets de banque, et j’en passe et des meilleures… je pensais avoir tout vu, tout entendu et tout compris à la vie. Mais c’était sans compter avec les femmes que j’avais connues, qui, dans l’ombre, attendaient le moment de se venger de mes trahisons, de mes tromperies, de mes absences prolongées, et parfois même de mes abandons.
Toute ma vie durant j’ai été aux aguets, méfiant, défiant vis-à-vis des hommes, jusqu’à la parano. Je savais que d’aucuns n’espéraient qu’un relâchement de ma vigilance pour me séquestrer, me tirer dessus ou me balancer aux flics, pendant que d’autres attendaient l’occasion de me cambrioler, de m’arnaquer ou de me voler ma marchandise ou mon argent, quand ils ne cherchaient pas à me prendre mes femmes.
Laissez-moi vous conter la mésaventure que j’ai vécue avec une jeune fille promise à la célébrité, qui utilisait et utilise encore plusieurs faux noms : Myriam Mohammedi, Myriam Hamedi ou encore Myriam Anaïa.
À l’âge de 16 ans, Myriam avait quitté son père, un milliardaire vivant en Californie dans un palais digne des Mille et une Nuits , après lui avoir piqué sa carte de crédit. Elle s’est installée en France, à Sèvres, où habitait sa mère, divorcée, d’origine hollandaise.
Cette jeune fille aussi belle que vénéneuse est devenue la maîtresse d’un policier de la PJ de Versailles qui fermait les yeux sur ses activités illicites : vol dans les grands magasins de luxe, trafic de cartes de crédit et j’en passe. En même temps ce policier a réussi à faire d’elle son indicatrice.
Sa mission était à chaque fois de se mettre en couple avec un gros trafiquant, peu importe ce qu’il trafiquait – cartes de crédit, drogue, voitures volées –, le temps qu’il lui fallait pour tout savoir sur lui avant de le livrer aux flics, dossiers et preuves compromettantes à l’appui.
Je l’ai rencontrée dans une salle de sport où je me rendais quotidiennement. Je vis un jour une véritable apparition qui jetait sur moi un regard appréciateur. Des yeux vifs et pétillants d’intelligence, un corps voluptueux : telle une chatte aux aguets, elle me regardait avec beaucoup d’insistance.
Intrigué, j’essayais de croiser son regard pour m’assurer que c’était bien à moi qu’elle s’intéressait, quand elle me gratifia d’un sourire coquin. Puis, sûre de ses courbes, de sa jeunesse et de son charme, elle vint vers moi avec assurance.
Je l’interrogeai du regard, comme pour lui demander ce qu’elle désirait.
La réponse fut on ne peut plus claire : elle leva son bras et m’envoya un baiser, tout en me faisant de la tête un signe amical.
Que faire ? Pour le dragueur que j’étais, l’aborder était la suite logique. Mais le renard en moi me disait qu’il ne fallait pas me précipiter. Avec les très belles femmes, il m’arrivait d’hésiter : les aborder n’étant pas aussi simple qu’avec les femmes « ordinaires ». Mais là, la situation était si peu à mon avantage, la demoiselle étant d’une pointure au-dessus de ce que j’avais l’habitude de me mettre sous la dent, et de quelques décennies plus jeune, que le mieux était encore de me contenter de répondre à ses appels de phares, par politesse, en lui envoyant à mon tour un bisou. Ensuite, faire comme si je n’avais pas plus de temps à lui consacrer.
Cette tactique que j’utilisais en général avec les jolies femmes semblait fonctionner avec elle. Car à peine avais-je détourné mon regard de sa superbe anatomie, que, vexée, elle vint se planter devant moi.
– Alors bel homme, on préfère le spectacle des vieilles rombières pleines de cellulite qui essaient en vain de s’en débarrasser, plutôt que celui d’une jeune et jolie femme, mince et bien foutue ?
Si je lui répondais par l’affirmative, je l’offensais, et si je le faisais par la négative, elle pouvait interpréter ma réponse comme une invitation à me tenir compagnie. Je ne me sentais pas de taille à converser avec cette jolie jeune fille qui prenait l’initiative de m’aborder, alors que d’habitude c’est toujours moi qui le faisais. Elle m’avait ôté tous mes moyens, moi qui en général prenais l’initiative de leur servir un baratin bien ciselé. Je ne pouvais pas me comporter comme un goujat, d’autant plus qu’elle m’avait fait l’honneur de faire le premier pas. Déontologie du séducteur oblige, je répondis, d’un ton un peu exalté par sa beauté :
– Non, pas du tout ! Vous êtes le plus beau spectacle du monde à mes yeux ! D’ailleurs vous avez pu constater que depuis que je vous ai surprise en train de m’observer, je suis tombé totalement en extase devant votre visage. Ensuite je dois avouer que devant vos longues paupières bistre, ourlées de cils fins, votre bouche éclatante de vie, votre nez menu, votre si belle gorge aussi, sans oublier la chaude teinte dorée de votre peau, qui ne m’a pas échappée, je n’ai pas pu m’empêcher de vous contempler.
– Ah ! Je vois que j’ai affaire à un connaisseur. Mais on m’a tellement dit que j’étais la plus belle femme du monde que maintenant ce genre de compliment glisse sur moi.
– Je comprends. Ça doit être plutôt ennuyeux d’entendre à longueur de journée les mecs vous susurrer que vous êtes belle… Mais voyez-vous, moi je fais dans la spontanéité, pas dans les mondanités ou les civilités. Alors quand je vous dis que vous êtes belle, et même au-delà, c’est après une franche appréciation, celle de l’artiste qui s’émeut devant un chef-d’œuvre, car je suis un grand amateur de jolies femmes et je les repère à distance ! Ceci dit, puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler ?
– Tout simplement à la meilleure amie de Nabil !
– Nabil ? sursautai-je, vous le connaissez bien ?
– Oui, très bien même…
Nabil ? Ce parangon de laideur ! Décidément les femmes ont parfois des goûts surprenants et les hommes d’étranges comportements… Curieux qu’il ne m’ait jamais parlé de cette fille, lui qui avait toujours pris un malin plaisir à me parler de ses multiples conquêtes. Quelque chose clochait dans cette histoire…
– Vraiment ! Il m’a parlé une fois d’une femme qui tient une grande place dans son cœur, serait-ce vous par hasard ? me risquai-je à lui demander.
– Ce n’est pas impossible ! répondit-elle, avec un sourire malicieux.
– Je suis étonné qu’il ne m’ait jamais parlé de votre existence, alors que je suis son confident attitré. Apparemment il vous garde pour lui, et ça, je le comprends parfaitement.
– Eh bien si vous voulez en savoir plus sur Nabil, sachez que c’est un ami de longue date, sincère et fidèle, avec lequel j’ai une relation particulière, basée sur l’amitié, la confiance et des échanges sexuels épisodiques, car c’est un homme marié. Par contre, vous, je vois que même après avoir été échaudé par certains déboires amoureux il y a peu, vous avez retrouvé une nouvelle concubine, dont vous paraissez, selon Nabil, être très amoureux, tout en restant un indécrottable dragueur !
– On peut dire ça, oui. Je l’admets. C’est dans ma nature… Au fait, si on se tutoyait ?
– Avec plaisir. Si je suis venue te voir aujourd’hui, c’est parce que je me suis laissé dire par Nabil que tu étais un excellent coach sportif. Alors, te voyant seul au milieu de tous les boudins qui traînent dans cette salle, je me suis dit que peut-être tu accepterais de me coacher au niveau de la musculation une petite heure par jour. J’ai besoin de retrouver ma forme pour pouvoir reprendre mon boulot le plus vite possible. Tu vois, je suis mannequin. Et après trois semaines de vacances et de bombance, j’ai pris tellement de kilos qu’il me faut les perdre au plus vite si je veux décrocher quelques contrats. C’est pour quoi je compte sur toi. En même temps, nous pourrions être de bonne compagnie l’un pour l’autre ?…
Si je fus subjugué au tout début, ce ne fut que parce que sur certains points elle ressemblait beaucoup à ma nouvelle concubine. De loin on aurait pu les confondre, notamment par le teint cuivré de leur peau, leurs sourires ensoleillés qui faisaient rayonner leur visage, et le blond de leurs cheveux. Mais de près il n’y avait pas photo, cette jeune femme l’enterrait à tous les niveaux !
Elle sentait que j’avais envie de la croquer, mais la défiance me faisait hésiter à aller plus loin dans la séduction.
– Si j’ai bien compris, les jeunes filles ne t’intéressent pas ?
– Pas vraiment non. Bien sûr il m’arrive parfois de m’encanailler avec des gamines de ton âge, mais seulement quand je n’ai rien d’autre à me mettre sous la dent. De plus j’ai une concubine qui me comble. Alors que chercher de plus ?
– Que tu aies tout ce qu’il te faut chez toi, j’en suis ravie pour toi. Tu mérites ce que tu as conquis. Par contre, ce que tu ne mérites pas, c’est que je sois encore là à te parler, alors que je te trouve très prétentieux. Le mieux serait peut-être que nous arrêtions là notre conversation… Si tu acceptes de m’aider à faire ce pour quoi je suis venue, peut-être serait-ce pour tous les deux une sortie honorable ? Qu’en penses-tu ?
– C’est d’accord.
Elle s’en alla sans me remercier, comme si tout lui était dû, s’écriant en partant, avec un sourire en coin et un regard plein de promesses :
– Bon, eh bien à plus tard mon très cher Gérard !
À cet instant précis je me sentais le plus heureux des hommes, malgré le sentiment de culpabilité que je ressentais vis-à-vis de ma concubine que je venais de tromper en pensées. Hop, en deux temps, trois mouvements, me voilà ficelé, ligoté, prêt à satisfaire tous les désirs et les perversions de Myriam, si d’aventure je lui en découvrais.
L’essentiel était pour moi de croire que c’était d’amour qu’il s’agissait, que j’avais enfin été entendu dans mes prières et que j’allais désormais pouvoir vivre en homme amoureux, fidèle et vertueux.
Mon ami Nabil était le plus apte à m’apporter des réponses. Je l’appelai le lendemain.
– Gérard me répondit-il, cette fille t’a vu discuter deux ou trois fois avec moi et depuis elle n’a pas arrêté de me parler de toi. Elle m’avait l’air tellement intéressée par ta personne que je me suis senti obligé de lui indiquer où te trouver, en s’inscrivant à ta salle de sport, puis de t’aborder en mon nom, sous le prétexte d’un éventuel coaching. J’ai eu tort ?
– Pas du tout ! Des femmes comme elle, tu peux m’en envoyer dix par jour si tu veux ! Sauf que celle-là, elle me semble avoir beaucoup de caractère et être un peu compliquée…
– C’est sûr ! Mais c’est une personne de qualité, de bonne extraction, doublée d’une petite sauvageonne… Un peu jeune pour toi, je pense, mais je l’ai mise au courant de ton âge.
– Ah bon ! Et alors, que t’a-t-elle dit ?
– Qu’elle s’en foutait royalement.
– As-tu eu des relations sexuelles avec elle ?
– Dans le passé. Mais aujourd’hui ce n’est plus qu’un souvenir. C’est une bonne copine avec qui je sors de temps en temps en boîte pour draguer. Tu le sais, il n’y a pas mieux que d’avoir une belle femme à ses côtés pour intéresser les autres. Les chasseurs ne se servent-ils pas d’oiseaux pour en attirer d’autres ? Cette fille a de l’expérience dans beaucoup de domaines et particulièrement dans celui du sexe. C’est une vraie bombe sexuelle, crois-moi ! Maintenant je me suis mis d’accord avec elle pour jouer le jeu du grand amoureux jaloux en ta présence, alors fais comme si tu étais dupe, d’accord ?
– Je n’y manquerai pas, tu me connais !
Désormais je savais ce que je voulais, mais mon intuition me disait que malgré tout il y avait anguille sous roche… Soit Nabil jouait un jeu avec moi, soit il était, sans le savoir, totalement manipulé lui aussi, et donc n’en savait pas plus que moi sur elle. Dans ce cas, je devais doublement me méfier…
Parano, je l’étais sans aucun doute ! Mais toujours à bon escient, grâce à la coke qui aiguise considérablement les sens. Notamment l’instinct de survie.
Bien sûr j’ai déjà été balancé dans le passé, en Hollande, en Belgique, en Italie et au Maroc, par des femmes qui travaillaient pour les services de police avec qui j’avais eu le malheur d’avoir des aventures, et donc je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Mais lorsqu’une femme qui pendant plus de cinq ans avait partagé ma vie en parfaite intelligence, et sans histoires, ne cessant de me jurer un amour éternel, m’avait à son tour trahi, cela m’avait marqué au fer rouge.
Quelques jours passèrent, quand occupé à soulever des haltères à la salle de sport, je la vis entrer. À sa vue, je ressentis aussitôt un énorme bouleversement.
– Bonjour Gérard, lança-t-elle, prêt pour une séance de réhabilitation musculaire ? J’ai parlé de notre rencontre à Nabil, tu sais. Je lui ai raconté tout ce que tu m’as dit la dernière fois.
– Ah oui ! Et qu’est-ce qu’il en a pensé ?
– Pas grand-chose, hormis le fait que tu fais l’indifférent devant moi alors que tu meurs d’envie de me sauter. Et que tu crois tout savoir sur la gent féminine, comme beaucoup d’hommes d’ailleurs. Pour être franche je vais te dire ce que je n’ai pas osé te dire la dernière fois. J’ai des doutes sur ta virilité. Les mecs qui se la racontent comme toi sont souvent les moins performants au niveau du sexe.
– Vraiment ! m’écriais-je, comme ça tu t’attaques allègrement à ma virilité, alors qu’on ne se connaît même pas. Pour être franc moi aussi, je pense que c’est Nabil qui t’a conseillé de me tenir ce langage, car c’est mon talon d’Achille, et lui seul le sait. Ou alors c’est un jeu que tu t’es inventé pour prendre ton pied en te foutant de ma gueule… Tu es trop sûre de toi, fillette, et pleine de suffisance. Je ne vois vraiment pas ce qu’une gamine comme toi, qui vient à peine de perdre sa virginité, pourrait me faire découvrir de plus en amour que je n’aurais pas découvert en cinquante années de pratiques sexuelles.
– Pfft ! Tu sais ce que tu es en plus d’un sale macho ? Un ours mal léché, un rustre et un pauvre misogyne ! Je ne sais même pas ce que je fais encore ici à t’écouter… Il faut vraiment que j’en pince pour toi pour avaler tes ignominies… Si j’affirme certaines choses sur ta sexualité, c’est parce que j’ai pris des renseignements sur toi auprès d’une fille avec qui tu as couché et qui m’a affirmé que tu faisais l’amour comme un primate.
– Si c’est vrai, alors le mieux serait que je m’abstienne de coucher avec toi et que je me contente de mes conquêtes habituelles qui sont assurément moins exigeantes !
– Alors je me serais trompée sur toi ! C’est ça que tu veux ? Rester figé comme un minable alors que le monde avance ? Car pour être honnête, même si j’ai l’impression qu’en matière de sexualité tu en es encore au stade de l’homme de Néandertal, contrairement aux autres hommes, tu es ouvert à la critique, curieux, et donc récupérable, voire éducable. Ce qu’il te faudra faire, c’est apprendre à te plier à toutes mes volontés dans la mesure où je me plierai aux tiennes. Et te mettre bien dans le crâne qu’une partie de jambes en l’air n’est rien d’autre qu’un échange de bons procédés. Il n’y a ni maître ni esclave, ni dominateur ni dominé, seulement deux partenaires en recherche de plaisir et d’échanges, à l’amiable. Ensuite il te faudra être attentionné et besogneux jusqu’à ce que je n’en puisse plus de jouir. Je prends mes précautions avant de coucher avec un homme, j’exige de lui qu’il prenne du Viagra avant toute chose.
– Du Viagra ? Même s’il est encore jeune ?
– Oui. Parce que ce produit augmente les performances physiques, l’endurance, et il entretient en permanence le désir.
– Le Viagra, je connais, j’en prends de temps en temps. Mais j’ai mieux.
– Ah bon ! Quoi ?
– La cocaïne, ma chère ! Grâce à ce produit magique, celui qui en consomme devient, ô miracle, plus tendre, plus altruiste, plus concerné par les besoins de sa partenaire que par les siens. Ce qui l’amène à se dépenser bien plus qu’il ne le fait d’habitude, à être plus imaginatif avec sa langue, afin de bien découvrir, caresser et embrasser les zones érogènes de la femme, et s’en occuper jusqu’à la rendre folle…Tu vois de quoi je parle ? lui demandai-je d’un air moqueur.
– Alors si j’ai bien compris, pour toi, sans coke, les préliminaires c’est hors de question ? Faire l’amour, pour toi, c’est juste ramoner une femme pendant des heures, jusqu’à ce qu’elle demande grâce, c’est ça ? Ce qui t’intéresse en fait, c’est ton plaisir, celui de la femme, tu t’en moques, hein ? Et quand tu décides de t’occuper un peu d’elle, ce n’est qu’à grand renfort de cocaïne, sinon rien de bon ne sort de toi. Eh bien mon cher, si tel est le cas, tu as apparemment un grave problème auquel il te faudra remédier avant d’entreprendre quoi que ce soit avec moi.
– Si je prends de la coke, c’est que, à mon sens, ce produit n’est pas aussi dangereux que ce qui est dit dans les discours officiels. Je dis bien « à mon sens », car ça n’en reste pas moins un produit très dangereux qu’il faut utiliser avec beaucoup de précautions. Ce produit peut t’apporter d’agréables sensations tant que tu restes sur les rails, en n’en usant que modérément. Par contre, et c’est là où le bât blesse, si tu prends trop de rails, inévitablement tu dérailles. Je n’oblige jamais personne à en prendre, et je n’insiste pas quand je sens que la personne est réticente. Voilà, en tout cas, ce que je peux t’apporter… et toi ?
– Qu’est-ce que je peux t’apporter ? T’es sérieux là ? Mais mon pauvre ami où étais-tu ces dix dernières années pour ne pas avoir entendu parler des bienfaits que peuvent t’apporter les filles modernes, niveau sexe ? Ces libertines en savent plus que les femmes vieilles et expérimentées, tu peux me croire, car elles osent tout. Rien ne les arrête ou les dégoûte.
– T’as raison, je suis un vieux con, formaté dès mon enfance pour pratiquer le sexe comme je l’ai toujours fait, à la sauce vieux con. Et pour moi comme c’est difficile de changer, le mieux est encore de baiser des femmes de ma génération. Avec elles, au moins, pas de réclamations, pas d’exigences saugrenues, pas de moqueries en cas de panne. Elles prennent ce qu’on leur donne sans se plaindre, sans vouloir donner de leçons et sans jamais se rebiffer.
– Je t’en prie Gérard, ne sois pas désobligeant et accède à mes désirs sans tergiverser, cela ne pourra te faire que du bien, crois-moi sur parole. Si tout se passe bien, tu n’en ressortiras que plus armé contre les femmes. Et je peux t’assurer que si tu as des états d’âme, il te suffira de dix secondes dans mon lit pour les oublier.
Soudain, Nabil qui venait d’arriver par surprise nous demanda, souriant mais avec un air légèrement inquisiteur :
– Alors les comploteurs, tout va bien ?
Nous répondîmes en prenant un air candide et avenant.
– Tu ne vas pas essayer de me la piquer celle-là, j’espère ! me lança alors Nabil, sur le ton de la plaisanterie, mais à la fois menaçant et complice.
Il ne me restait plus qu’à jouer le jeu de celui qui croit qu’entre eux c’est le grand amour.
– Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher là ! De toute façon, c’est impossible, elle est si éprise de toi que je me demande si tu ne lui as pas fait des gris-gris pour la mettre dans cet état…
– Non, pas encore ! s’esclaffa Nabil. Mais ça ne saurait tarder. Pour la tenir en main, cette tigresse, je crois que je serai bien obligé d’en passer par là un jour. N’est-ce pas, petite gueule d’amour ? lui lança-t-il en lui prenant la pointe du menton entre ses grosses mains.
– Non, je ne crois pas que tu auras besoin de quelque artifice surnaturel que ce soit pour m’envoûter, c’est déjà fait naturellement mon chéri.
– C’est vrai ce que tu dis là, mon petit amour ? lui demanda-t-il en lui caressant tendrement les cheveux. Je peux donc te laisser seule avec mon plus dangereux rival sans risquer de te voir passer à l’ennemi, en me trahissant dans son lit ?
Si complot il y avait au sein de notre trio, n’était-il pas ourdi contre moi ? Car voir débarquer une déesse de beauté, venant demander de l’entraîner et cherchant à m’appâter par tous les moyens pour m’attirer dans son lit, il y a matière à réflexion… Et à défiance… C’est pourquoi lors d’une énième joute verbale avec Myriam, je provoquai un clash entre nous et décidai de stopper net notre marivaudage.
Je croyais notre histoire terminée avant même de l’avoir commencée, lorsque quelques mois plus tard je vis Myriam attablée au café où je me rendais tous les jours, en train de discuter âprement avec Nabil.
Mon premier sentiment fut que ces deux-là voulaient me tendre un piège. Depuis le jour où j’avais été en présence de ces deux larrons, j’avais pressenti un danger.
– Que fais-tu là ? lui demandais-je, intrigué par sa présence dans mon quartier alors qu’elle habitait à au moins 20 kilomètres de chez moi. J’espère que tu n’as rien de grave à m’annoncer…
– Non. Tout va bien. Je voulais simplement te dire que j’habite dans le coin maintenant.
– Quoi ? Où ça ?
– En face de chez toi. Il suffit de traverser la rue pour être chez moi.
– Mais pourquoi es-tu venue habiter ici, tu n’as rien trouvé ailleurs ?
– Pour être près de toi, voilà tout !
– Non mais je rêve là…
– Non, tu ne rêves pas. C’est la pure réalité. J’ai quitté l’appartement de luxe de ma mère à Sèvres pour une chambre de bonne de 18 mètres carrés. Que ne faut-il pas faire pour l’amour d’un homme ? J’espère que tu apprécieras mon geste à sa mesure au moins…
– La belle histoire… Pourquoi devrais-je apprécier ? Je ne t’ai rien demandé que je sache !
– Je sais, je sais, tout est de ma propre initiative et je ne te demande rien, OK. Tout ce que je veux c’est t’apercevoir de temps en temps ou prendre parfois un café avec toi. C’est tout !
Mmm… Ça sentait le soufre. Tout ça était louche. Cette explication ne tenait pas la route, et elle ne répondait à mes questions que vaguement et à contrecœur. Si elle était venue habiter en face de chez moi, ce ne pouvait être que pour pouvoir mieux m’espionner. Son amour pour moi, je n’y croyais pas trop…
Au lieu de me rebiffer, en signe d’amitié je lui proposais de faire avec mon ami Carlos, ouvrier qualifié dans le bâtiment qui habitait dans le même immeuble qu’elle, des transformations chez elle, ce qu’elle accepta volontiers.
Ainsi nous changeâmes, à mes frais, son lavabo, ses toilettes et une partie de sa cuisine sans oublier de peindre les murs qui étaient noirs de crasse. Tout cela pour ne même pas récolter un mot gentil de sa part.
Carlos, qui s’était tapé tout le travail et qui de surcroît était un homme sensible, fut profondément affligé par tant d’ingratitude. D’autant plus que, après qu’il eut terminé tous ces travaux, au lieu de le saluer aimablement comme elle le faisait auparavant quand elle le croisait, elle l’évitait et changeait de trottoir dès qu’elle le voyait ou regardait ailleurs.
La vie reprit son train-train quotidien. Jusqu’à ce qu’un jour, la rencontrant dans la rue, elle me balance :
– T’es vraiment un salaud ! Tu ne vois pas que je suis folle amoureuse de toi, putain ? Fais quelque chose enfin !
– Et alors, lui répondis-je d’un air méchant, qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? On s’est tout dit, me semble-t-il.
– Je sais ! Mais ce fut sur un moment de colère. Moi j’ai envie de reprendre la relation où on l’a laissée. Tu veux bien, dis ? demanda-t-elle d’un air suppliant et avec une moue de désespoir.
Ce n’était pas dans son caractère de se conduire comme une mendiante. Je devais donc redoubler d’efforts et être encore plus vigilant qu’avant si je ne voulais pas terminer en prison, car cette fille
me semblait vraiment redoutable. Prudent, je refusai
catégoriquement sa demande de réconciliation amoureuse.
– Bon, on pourra quand même aller déjeuner ou dîner de temps en temps en copains, me lança-t-elle en réponse à mon refus.
– À la limite. Mais ne t’attends pas à ce que je change d’avis, d’accord ?
– Ouais ça va j’ai compris. Puisque tu es d’accord pour dîner avec moi de temps en temps, on se voit samedi soir si tu peux ?
– OK pour samedi.
Le samedi venu, heureuse de me voir, elle m’emmena dîner dans un restaurant thaïlandais au centre de Versailles. Je pensais que tout irait bien mais une chose étrange se passa pendant que nous mangions. Un beau mec attablé derrière moi nous surveillait du regard, pendant qu’un micro directionnel dans mon dos enregistrait tout ce qu’on disait.
Ce beau mec je m’en souvenais parfaitement : en 2004, lors de mon arrestation et de ma garde à vue à l’hôtel de police de Versailles, je l’avais aperçu dans le bureau de la PJ en train de trifouiller un dossier. Que faisait-il dans ce restaurant ce soir-là ? Était-elle de mèche avec lui ? Savait-elle que c’était un flic ? Ou étais-je tout simplement de nouveau suivi par la PJ de Versailles ? La réponse ne tarda pas à venir quand je surpris un regard et une moue assez complice de Myriam dans sa direction, qui voulait dire qu’elle était lasse de m’entreprendre pour rien.
Quelques minutes plus tard, la voyant se lever pour aller aux toilettes, je m’aperçus que le flic faisait de même… C’était chaud pour moi ! Que faire ? Me taire et jouer avec elle en l’abreuvant de fausses informations, qui la mèneraient immanquablement sur de fausses pistes, maintenant que j’étais sûr qu’elle était un agent de la PJ de Versailles ? C’était, me paraissait-il, la meilleure option. Je lui ferais perdre son temps et celui de la PJ, ce qui serait à mourir de rire…
Cela m’énervait mais j’allais devoir lever le pied sur mes activités illicites pendant un moment. Pour moi la liberté comptait plus que l’argent. En attendant, par où commencer les restrictions ? La réponse ne se fit pas attendre lorsque je vis que Myriam s’intéressait au restaurant où je faisais une grande partie de mes affaires. Fréquenté surtout par des voyous, il était l’endroit idéal pour récolter des renseignements et piéger des trafiquants. C’est en tout cas ce que je pensais et apparemment ce que les flics pensaient aussi, pour y envoyer Myriam en éclaireuse.
Après lui avoir demandé ce qu’elle faisait dans ce lieu pas très fréquentable, je décidai de n’y mettre les pieds que rarement. Mes amis qui le fréquentaient eux aussi assidûment furent mis au courant, de façon que Myriam se retrouve sans suspect à surveiller. Un jour, alors qu’elle en sortait, je la vis entrer dans une voiture où le flic que j’avais vu une fois dîner avec elle l’attendait confortablement.
Une fois à l’intérieur, elle lui sauta dessus et l’embrassa amoureusement sur la bouche, puis après avoir déplacé la voiture de quelques mètres, afin qu’on ne puisse pas les voir du restaurant, ils descendirent et, main dans la main, se rendirent au parc de Versailles pour y manger un morceau, sans se douter un instant que je les avais suivis.
Quelle saloperie, cette fille ! Et moi qui avais cru que ce serpent venimeux m’aimait sincèrement… Quelle mauvaise surprise de voir qu’elle en aimait un autre. Un flic de surcroît !
Mais bon, pas de quoi me lamenter, je devais me faire une raison. D’autant que si je perdais définitivement ma foi en elle ainsi que mes illusions, j’avais maintenant la preuve que j’avais eu raison depuis le début de me méfier d’elle, et aussi que j’étais surveillé par la police.
Pendant quelques jours elle fut absente. Et le jour où elle réapparut, elle vint me saluer à la table où j’étais assis, un sourire sardonique aux lèvres…
– Ça va Gégé ?
J’avais envie de lui dire que non, ça n’allait pas du tout et de lui expliquer pourquoi après lui avoir mis mon poing dans la gueule. Mais Carlos, mon ami, voyant la grosse bourde se profiler à l’horizon, lui répondit à ma place en feignant la plaisanterie :
– Gégé il va très bien quand il te voit…
– C’est vrai ce qu’il dit mon Gégé ? demanda-t-elle, un léger sourire de satisfaction aux lèvres.
– Tu sais bien que oui ! lui répondis-je en grinçant des dents et en songeant en mon for intérieur qu’elle ne perdait rien pour attendre. Mais dis-moi, que faisais-tu hier après-midi dans une voiture devant la maison de Cécile, rue de l’Ermitage ?
– Moi ? Mais je n’ai jamais été devant la maison de qui que ce soit, ni hier ni jamais. D’ailleurs je ne connais pas personnellement cette Cécile.
Oh la menteuse ! Oh l’effrontée ! Oh la comédienne ! Elle connaissait parfaitement Cécile pour l’avoir vue maintes fois au restaurant de mon ami où elle était barmaid. Elle l’espionnait depuis quelque temps. De plus elle savait parfaitement que c’était l’une de mes maîtresses attitrées, ainsi que l’une de mes revendeuses principales de cannabis et de coke, puisqu’une fois elle avait cherché à en savoir plus sur elle.
Vraiment quel horrible personnage c’était ! Comment pouvait-elle nier l’évidence avec tant d’aplomb ? Carlos et moi l’avions vue postée devant la maison de ma copine pendant plus de deux heures, bien cachée dans une petite Mercedes classe A noire. Et pourtant elle niait énergiquement.
Je décidai de ne plus lui parler. Mais voulant se faire pardonner ses mensonges, elle vint sonner chez moi un soir à 22 heures, alors que j’étais en pleine lecture :
– Salut Gégé, ta meuf n’est pas là ?
– Non, elle est chez ses parents.
– Super ! Tu peux m’ouvrir alors, j’ai un problème urgent que tu es le seul à pouvoir résoudre… Mais d’abord, puis-je utiliser ta salle de bains ? Mon chauffe-eau est en panne.
J’acceptai, histoire de voir quelle idée elle avait en tête cette fois-ci. Peut-être avait-elle l’intention de poser des micros, allez savoir ! Donc je me devais de la surveiller étroitement.
Une fois savonnée, rincée, frictionnée, parfumée, elle me rejoignit dans mon alcôve, après avoir éteint toutes les lumières, s’engouffra prestement dans mon lit, et me prenant fougueusement le pénis sans me demander mon avis elle me fit une fellation comme jamais encore on me l’avait faite, histoire de me mettre en appétit.
Après plus d’une heure de préliminaires, réalisant que j’étais en train de faire une belle connerie, je repris soudain le contrôle de moi-même, et bien que je n’aie eu qu’une envie, la pénétrer brutalement, je me détachai d’elle brusquement et lui intimai l’ordre de s’en aller illico presto …
– Mais enfin, Gégé ! Pourquoi refuses-tu de prendre du plaisir avec moi ? Ça ne mange pas de pain une partie de jambes en l’air, et c’est si bon !
– Écoute-moi bien salope, je t’ai déjà dit que ce n’était pas la peine d’insister avec moi, alors dégage au plus vite et ne reviens plus jamais ici, compris ?
Elle ne revint pas pendant quelque temps. Jusqu’au jour où, me croyant dans un meilleur état d’esprit que la fois précédente, elle remit ça, cette effrontée. Et avec un culot hors du commun !
Curieux de voir ce qu’elle me voulait encore, je la fis monter. Elle monta. En ouvrant ma porte j’eus un sursaut en la voyant : Myriam était maquillée et habillée comme si elle se rendait à un concours de Miss Univers.
– Ouah ! tu vas où comme ça ? En discothèque ? Tu es invitée à une fête ? Tu vas à un concours de beauté ?
– Non, rien de tout cela ! Je viens juste te demander si je peux prendre un bain chez toi ce soir car mon chauffe-eau ne marche pas.
– Bien sûr ! fis-je sans la moindre arrière-pensée. Tu sais que tu es la bienvenue chez moi quand ma concubine est absente. Mais attention, je ne veux pas d’histoire de cul avec toi, que ce soit bien enregistré dans ta tête.
– Promis ! Juré !
Ceci dit, elle se rendit dans la salle de bains et resta dans la baignoire pendant plus d’une heure…
Son bain terminé, elle vint me voir dans ma chambre, habillée d’une nuisette en voile transparent, alors que j’étais occupé à lire :
– Je peux entrer ? demanda-t-elle d’un air de sainte-nitouche.
– Oui, mais pas dans cette tenue ! Tu cherches quoi, là ?
– À me blottir dans tes bras, c’est tout.
– Non, non et non ! Il n’en est pas question ! Je savais que tu cherchais quelque chose…
– Allez Gégé, sois gentil, quoi ! J’ai juste besoin d’un peu de tendresse, c’est tout. Rien de plus. Je sais bien que tu ne veux pas de relations sexuelles avec moi. Pourquoi ? Je ne sais toujours pas, mais me serrer dans tes bras tu pourrais, non ?
– Je te l’ai déjà dit, tu es trop jeune pour moi. Imagine que je tombe amoureux, que vas-tu faire après ? Me mettre une laisse autour du cou et faire de moi ton toutou ?
– Mais non ! Ce sera plutôt toi qui me mettras la laisse autour du cou et qui me passeras les menottes.
– Ouais… C’est ce que vous dites toutes, mais dès que vous avez l’occasion de mettre votre mec à genoux, d’en faire une descente de lit, vous le faites sans le moindre état d’âme et sans crier gare.
– Pff… N’importe quoi ! Et que ferais-je d’un petit chien à mes pieds ? Tu crois que ce serait un trophée pour une fille comme moi ? Non, moi j’ai besoin d’un homme, un vrai. Pas d’un eunuque ! Ou d’une lopette. Si je suis venue c’est parce que j’ai envie de te prouver que je te veux à moi pour toujours et tel que tu es. Chez toi il n’y a rien à changer, j’en suis consciente et je l’ai compris le jour même où je t’ai connu. C’est ce qui m’a incitée à jeter mon dévolu sur toi.
– Mais c’est quoi tout ce cinéma, une demande en mariage ou quoi ?
– C’est un peu ça, tu as vu juste.
– Mais t’es pas bien non ? Tu vas me dire que c’est ce qu’il te manque dans la vie pour être heureuse ?
– Le mariage oui… Rien d’autre. Tu vois je suis raisonnable, je n’exige même pas d’enfant.
– Il ne manquerait plus que ça ! Un enfant avec un homme de cinquante ans ton aîné, ce serait ridicule, non ? Mais ne suis-je pas en train de rêver ? Tu es bien là, dans ma chambre à coucher, presque nue, à me demander en mariage ?
– C’est ça ! Et à genoux si tu me le demandes.
Je la regardais. Et en m’illusionnant, je songeai qu’après tout ce serait peut-être une bonne chose d’épouser une fille pareille. Elle semblait tellement vouloir me rendre heureux, me câliner, m’apporter le bonheur, celui qu’aurait connu Adam et Ève, Tristan et Yseult ou encore Roméo et Juliette. Tout compte fait, la tentation d’en faire ma femme grandissait en moi.
Pourtant s’il y avait au bout de cette tentation un « pour » qui me faisait voir la vie en rose, il y avait aussi un « contre » qui lui me la faisait voir plutôt lugubre. Et au lieu de voir en elle une petite chienne docile, soumise et n’attendant de moi que des caresses, je voyais plutôt une chatte essayant de s’insinuer dans ma vie le premier jour à grand renfort de ronronnements, de frottements et de miaulements pour me mettre en confiance, et qui le lendemain montrerait ses griffes et ses dents pointues, et le surlendemain, fatiguée de toutes ces simagrées, se transformerait en tigresse prête à me croquer…
– C’est bon, tu commences à m’emmerder avec tes conneries ! m’écriai-je soudain, lassé de tergiverser et de tourner autour du pot.
Cette fois il n’y eut ni préliminaires, ni érection, ni orgasme, fût-il spirituel ou sexuel : je la renvoyai chez elle comme une malpropre.
Vexée, elle disparut sans demander son reste, et ne réapparut pas pendant quelque temps, jusqu’au jour où elle m’appela de nouveau :
– Gégé, j’ai besoin de toi. Accorde-moi quelques instants s’il te plaît, il s’agit d’une affaire sérieuse où il y a beaucoup d’argent à prendre pour toi.
Que pouvait-elle avoir comme affaire sérieuse, cette gueuse, à part envoyer en prison les quelques trafiquants qui lui faisaient confiance ? Allez savoir ! Mais bon, moi quand on me parle d’argent, ce n’est pas comme quand on me parle sentiments, je ne fais pas la sourde oreille. Et donc de l’autoriser à venir chez moi, brièvement et sans avoir en tête le prétexte d’un bain.
– Voilà Gégé, je suis venue te proposer de garder chez toi des sacs Vuitton et d’autres produits de maroquinerie de grandes marques. Tu peux les vendre au prix que tu veux, moi je veux juste 10 % du prix.
L’affaire était belle. Mais pour être sûr qu’elle n’essayait pas de me faire tomber dans un piège, j’exigeai un papier signé de sa main dans lequel elle reconnaissait avoir déposé ces marchandises chez moi. Ce qu’elle fit volontiers.
– Comment as-tu obtenu tout cela ? lui demandai-je tout de même.
– J’ai presque tout acheté avec de fausses cartes de crédit, me répondit-elle, en arborant un large sourire de satisfaction aux lèvres. Le reste je l’ai volé dans des grands magasins de luxe.
Ah bon ! Voilà que la demoiselle découvrait un pan de ses activités, plutôt avec fierté. Nous nous mîmes d’accord sur le prix de chacun des objets et deux semaines plus tard, ayant tout vendu, je la payais rubis sur l’ongle. Une belle somme il faut le dire.
Un mois plus tard elle revint avec une bonne centaine de parfums de grandes marques, qu’elle voulait vendre à 30 % de leur prix. Pour moi l’affaire était belle, les parfums se revendant plus facilement que les sacs Vuitton, les foulards Hermès et la maroquinerie de luxe.
Une fois de plus je vendis tout en une semaine et lui donnai son argent.
Les affaires étant trop belles, je me demandais quand même ce que cela cachait. Venant d’une opportuniste pareille, je pouvais m’attendre à tout… Mais là, vraiment, je ne voyais pas l’intérêt d’un piège, pour l’instant en tout cas, car en cas d’arrestation pour recel de produits obtenus par le biais de malversations, je l’aurais accusée d’être l’initiatrice de ce commerce, et ses amis policiers auraient été obligés de l’incarcérer elle aussi.
La dernière fois qu’elle vint me voir, c’était pour me proposer des bijoux de grande valeur.
– Tiens Gégé, je te laisse ce sac plein de bijoux, me dit-elle, en toute confiance. Vends-les et paie-moi quand tu auras tout vendu. D’accord ?
– D’accord.
– Mais j’aimerais être sûre qu’ils sont vraiment à l’abri chez toi, tu as une cache secrète ?
– Oui bien sûr ! répondis-je naïvement.
Et de lui montrer fièrement ma cache, sans penser un instant que le piège qu’elle m’avait tendu, c’était ça…
– Super Gégé ! Me voilà tranquille…
Étant la seule au monde à connaître cet endroit, elle pouvait ! Sauf que moi, après avoir réalisé l’erreur que j’avais faite, je ne l’étais plus…
Trois mois plus tard je lui donnai l’argent des ventes.
Dix-huit mois avaient passé depuis que nous avions fait connaissance. Et voyant que du côté de mon business de cocaïne et du côté du cœur elle n’arrivait pas à me coincer, elle déménagea et partit ailleurs à la chasse aux trafiquants…
Je me croyais définitivement débarrassé de Myriam, quand je reçus un appel téléphonique provenant de France. Je me trouvais alors en Espagne, à Torremolinos où j’avais un pied-à-terre que je venais d’hériter de mes parents.
Curieux de savoir ce qu’elle avait encore à me dire, je décrochai.
– Gégé, murmura-t-elle, je ne peux pas te parler plus fort parce que je me trouve dans la maison d’une amie qui m’a invitée à passer quelque temps chez elle. Je m’amuse bien et les gens sont sympas, mais je ne fais que penser à toi, jour et nuit. Voilà… Ta présence me manque si cruellement, et je t’aime si fort que je n’ai pas pu résister à la tentation de t’appeler pour te le dire.
– Qu’est-ce que tu veux que cela me fasse que tu m’aimes ou pas ? lui répondis-je froidement. Tu n’en as pas marre de me courir après pour essayer de me mettre en cage ? Maintenant que je suis convaincu que tu bosses pour les flics, je suis doublement méfiant avec toi. Donc tu perds ton temps à essayer par tous les moyens de me faire tomber, jamais je ne te donnerai l’occasion de me prendre en défaut.
– Gégé, déconne pas… Je t’aime vraiment !
Sur ce, elle éclata en sanglots.
Je n’en revenais pas ! C’était la première fois que je l’entendais pleurer, cette orgueilleuse. Mais une bonne crise de larmes était tout à fait ce qu’il fallait à cette teigne.
– Et alors ? Que puis-je faire pour toi ?
– Viens me chercher à Montpellier. Je m’ennuie à mourir ici sans toi.
– Écoute Myriam, pour l’instant je ne peux pas. Je suis trop occupé par mes affaires pour laisser tout tomber, tu comprends ?
– Mais arrête Gégé, je suis sérieuse quand je te dis que je t’aime à la folie !
– Ça ne m’étonne pas venant d’une folle… Mais bon, pour l’instant je te le répète, je ne peux pas venir te voir en France. Tu n’as qu’à venir, toi !
– OK je viens ! Mais ne me fais pas faux bond, tu m’attends vraiment !
– Je t’attendrai oui, lui répondis-je, sur un ton peu enthousiaste. Mais ne te presse pas, j’ai tout mon temps tu sais.
On était au milieu du mois de novembre. Deux semaines venaient de s’écouler, lorsqu’un matin j’eus la surprise de la voir débarquer chez moi.
Étonnée de me voir seul dans mon lit, une barbe hirsute, les yeux cernés, triste comme un chien battu, elle lâcha, hostile :
– Tiens, monsieur a dormi tout seul cette nuit !
Jamais, elle n’avait été aussi belle que ce jour-là ! Mais pour quoi était-elle venue ? Pour m’espionner de nouveau ? Pour encore une fois me pourrir la vie ? Ou pour obtenir de moi la séance de jambes en l’air que je lui avais toujours refusée ?
À quels risques m’exposais-je alors qu’on était en Espagne ? Qu’elle pose des micros ? Qu’elle me pose des questions sur mes avoirs dans ce pays ? Qu’elle fouille dans mes tiroirs à la recherche de papiers compromettants ? Une perte de temps : je ne gardais rien chez moi qui puisse me mettre en difficulté. Alors que me restait-il à faire, sinon la mettre dans mon lit ?… Après deux mois d’abstinence sexuelle, j’en avais une envie folle. Après tout elle semblait être là pour ça. Alors que la fête commence ! me dis-je.
À peine débarquée elle se mit à déambuler de long et en large presque nue dans mon appartement, s’arrêtant parfois pour prendre des poses lascives. J’évitais de lui montrer mon impatience pour lui laisser l’initiative du départ de « feu ».
Pour la première fois, le séducteur doublé d’un excellent bonimenteur que j’étais ne trouvait pas ses marques. Et elle, la grande affabulatrice devant l’Éternel, n’était curieusement pas très offensive. La seule chose que je pouvais faire pour l’instant était d’entrer pleinement dans cette partie de poker menteur. Mon égoïsme, mon sexisme, ma misogynie, l’écart d’âge entre nous, tout cela n’était pas important pour elle.
– Allez, prends-moi tout de suite, sauvagement ! Montre-moi que tu es un vrai mec ! Je veux que tu prennes du plaisir avec moi. Je veux que tu goûtes à ma chair. Que tu prennes ce qui te revient de droit. Tout mon corps est à ta disposition, fais-en ce que tu veux !
La prenant par la main, je la levai de sa chaise et la jetai sur le lit. Après qu’elle se fut « déshabillée » dans l’obscurité à la vitesse de l’éclair, nous nous enlaçâmes, nous nous embrassâmes et nous entrâmes dans un cycle de folies.
Pendant quelques instants, à la lumière de la lampe de chevet, je vis sur son visage une expression de béatitude. Son corps frissonnait d’une jouissance infinie. Tout au long de son extase je l’écoutais, en tressaillant de plaisir, s’exprimer en louanges et onomatopées avec un sourire exquis qui, joint à la sérénité de son regard, me transporta dans un monde enchanté que je n’avais connu que dans mon enfance.
« Mon Dieu, coke ou pas coke, dit-elle, je n’arrive pas à croire qu’un homme m’ait si bien fait l’amour. J’ai enfin trouvé quelqu’un qui m’a fait l’amour comme j’en ai toujours rêvé ! »
Ces éloges flattèrent mon ego, réveillèrent mon orgueil ainsi que ma fierté que j’avais mis depuis longtemps en veilleuse, et ils titillèrent ma virilité. Surtout lorsqu’elle en redemanda.
Le lendemain matin, après de nouvelles roucoulades, je la vis à la lumière du jour et je ressentis comme une déception. C’était donc ça, la star ? Celle qui se vantait d’être la plus belle, la meilleure, la plus sensuelle, la plus sexy des filles… Ses os étaient proéminents et je ne pus m’empêcher de commenter à voix haute ce qui, à mon sens, était une grossière supercherie. Ce qui bien sûr entraîna une réponse cinglante et des remontrances d’un autre temps :
– Tu es un salaud ! Ce que tu me dis là, c’est injuste et méchant ! C’est tout ce que tu as à me dire alors que j’ai été si malheureuse pendant ton absence ? Mais mon vieux, tu es d’une incorrigible naïveté ! Comment as-tu pu croire un instant à mes boniments ? Oui comment as-tu pu croire que je t’aimais vraiment ? Tu es un vieux renard, mais tu sais quoi, tu as fait ton temps !
Le lendemain matin, nous nous levâmes tous les deux de mauvaise humeur. Myriam alla se préparer un petit déjeuner. Mais en chemin elle se ravisa :
– Décidément tu es un vrai salaud ! Je ne sais pas quel pouvoir tu exerces sur moi, mais apparemment il est puissant, voire surnaturel… En temps normal, je serais déjà très loin avec mes valises, mais là, je n’arrive pas à partir. Je suis comme aimantée à toi, attendant comme une mendiante que tu veuilles bien me faire l’obole de quelques paroles gentilles, ou au moins d’excuses. C’est incroyable !
Tâchant de retrouver sa dignité, sa fierté, elle se passa un mouchoir sur le visage pour essuyer ses larmes, et les mains dans les cheveux pour leur redonner de l’allure, elle me dit :
– Bon, oublions tout cela un instant veux-tu, pour parler de quelque chose de plus important.
À ces mots, je me levai pour la serrer dans mes bras, apaisé et plein d’assurance. Je la menai vers la chambre à coucher, pendant qu’elle, heureuse de me voir la prendre par la main pour la mener à la salle des tortures comme on mène un agneau au sacrifice, s’écria joyeusement :
– Enfin tu redeviens raisonnable ! J’en suis très heureuse !
Après l’avoir embrassée à en perdre haleine et lui avoir fait l’amour sans la moindre peine ni le moindre dégoût, je demeurais allongé sur le lit, stupéfait mais heureux de m’être réconcilié avec elle grâce à une partie de jambes en l’air.
Désormais sûr de l’emprise que j’avais sur elle, je la questionnai d’une voix caressante :
– As-tu songé qu’un jour viendra où je me lasserai de toi ?
– Oui. Mais il faudra bien que tu restes avec moi.
– Peut-être, mais si on reste trop longtemps ensemble, ce sera toi qui exigeras que je me défasse de toi.
– Non, je te veux éternellement ici et dans l’au-delà, pour moi toute seule !
– C’est impossible. Bientôt, je serai trop vieux pour toi. Tu te lasseras de moi inévitablement. Je n’ai plus l’énergie d’un jeune homme, ni les mêmes envies sexuelles. Qu’est-ce qui peut justifier ton intérêt pour moi et te donner envie d’une vraie liaison amoureuse ?
– Mais l’amour mon Gégé, tu le sais bien ! Un amour très fort que j’éprouve pour toi malgré ton âge et ta situation. Peu m’importe que tu sois un voyou de grand renom, un repris de justice, je te veux dans mon lit et dans mon cœur, voilà tout ! Est-ce trop te demander ?
– Je le pense oui, et je le répète, à cause de mon âge.
– Gégé, il faut me croire quand je te dis que tes défauts, j’en ai rien à foutre. On en a tous ! Peut-être pas les mêmes mais on en a.
Cette fille était incroyable. Elle avait un talent hors du commun pour revigorer et faire revivre un moribond. Elle reprit :
– Tout cela est bien beau mais une mise au point s’impose mon chéri. C’est ce qui te vaut ma visite. J’étais tellement désespérée quand j’ai appris que tu avais repris ta relation avec ton ex que j’ai failli en mourir… Gégé, on va devoir passer aux choses sérieuses maintenant. J’ai une proposition très intéressante à te faire.
– Je t’écoute.
– Voilà, pour être franche, si je suis ici aujourd’hui, c’est aussi parce que depuis le début j’ai senti en toi un homme déterminé, courageux et pragmatique, en bref l’homme de la situation. Tu dois savoir que j’ai un père millionnaire qui vit en Californie dans un palais qui vaut environ 50 millions de dollars.
– Ce père vois-tu, depuis mon enfance, je l’ai aimé à la folie, au-delà même… Au point que lorsque ma mère l’a quitté pour aller s’installer en France, j’ai fini par accepter de la remplacer dans son lit. Mon amour pour lui, contrairement à celui de ma mère, était totalement désintéressé.
– Je m’attendais à tout venant d’une dévergondée comme toi, mais l’inceste, puisque tu sembles avoir été consentante, ne m’était jamais venu à l’esprit. Ton père est le premier responsable de cette horreur. Mais bon c’est ton problème, si jamais cela a été un problème pour toi… Je sais par expérience que, dans ce monde, on peut s’attendre à tout venant des êtres humains. Mais tout de même, l’inceste…
– Bon on ne va pas tricoter ce sujet toute la journée.
– OK, mais si tu aimais tant ton père, pourquoi l’as-tu quitté ?
– Parce que lui ne m’aimait pas autant que moi je l’aimais…
– Ça c’est normal, il y en a toujours un qui aime plus que l’autre.
– Ce n’est pas le vrai problème, tu as raison. Mais moi je n’étais pas prête à partager mon père avec une autre.
– Ah je vois, ton père t’a « trompée » avec une autre…
– Pire que ça : il m’a abandonnée pour une autre, moi qui jusque-là avais été sa muse, son bébé d’amour.
– Ah ça ce n’est pas gentil et pas correct…
– Arrête de te foutre de ma gueule Gégé, je n’apprécie pas !
– Non mais attends, tu ne pensais tout de même pas que ton père allait finir sa vie avec toi ! Qu’il allait t’épouser et fonder un foyer avec toi après t’avoir fait des enfants ?
– Peut-être pas, mais l’amour que je lui portais me faisait oublier tout le reste. Moi je ne voyais que mon bonheur avec lui, c’est tout, et ça me suffisait ! Le reste, je m’en foutais royalement…
– Alors que s’est-il passé lorsqu’il a emmené l’autre à la maison ?
– D’abord j’ai ressenti un sentiment de haine envers cette fille. Elle sentait à plein nez la chercheuse d’or. Avec mon père elle pensait avoir trouvé sa mine, ce qui était vrai vu qu’il est plein aux as. J’ai tout de suite compris que si cette fille splendide arrivait à garder mon père dans son giron et prenait ma place, au bout de quelques années elle le quitterait après l’avoir saigné à vif, jusqu’à sa dernière goutte de sang. Et moi qui suis habituée à vivre dans le luxe je me retrouverais SDF.
– Donc tu as décidé de ne pas le laisser seul entre ses mains et de rester près de lui pour surveiller les opérations et intervenir le jour venu pour éviter la catastrophe, c’est bien ça ?
– C’est ça. Mais ça n’a pas duré longtemps… Chaque jour qui passait, l’animosité entre elle et moi grandissait. Jusqu’au jour où ça a explosé.
– Comment ça, « explosé » ?
– Excédée par son comportement possessif et son hostilité envers moi, j’ai pris un couteau et je l’ai poursuivie dans la maison dans l’intention ferme de la tuer.
– Ça n’a pas marché j’imagine ?
– Non… Mon père est intervenu à temps et devant le danger que je représentais désormais pour elle, il m’a mise à la porte. Incroyable mais vrai ! C’est à ce moment que je me suis rendu compte qu’il ne m’aimait pas autant que je le pensais. J’ai pris l’avion pour Paris avec une carte de crédit que j’avais volée à mon père et je suis allée chez ma mère à Sèvres qui a accepté de m’héberger quelque temps. Pour subsister, j’ai volé des vêtements de luxe dans les grands magasins et des objets d’art chez les antiquaires. Subjugués par ma beauté, ils ne voyaient même pas que pendant qu’ils m’admiraient moi je les volais. En même temps j’utilisais la carte de mon père pour me payer des trucs Vuitton, Hermès, Dior et d’autres couturiers. Jusqu’au jour où mon père a porté plainte. La PJ de Versailles m’a arrêtée. J’ai fait deux jours de garde à vue et on m’a laissée sortir sans aucune charge.
– Mmm, c’est curieux ça…
– Pourquoi ? Je me suis tout simplement arrangée avec le flic qui m’avait arrêtée pour qu’il me relâche en échange d’un dîner aux chandelles dans le meilleur restaurant de Versailles et d’une partie de jambes en l’air, voilà tout !
– Une partie de jambes en l’air qui est devenue une habitude, car ton flic, Yann, je le connais, et je t’ai vue plusieurs fois dîner avec lui à Versailles.
– N’importe quoi !
– Bon. Que comptes-tu faire maintenant ? Te venger ?
– T’épouser !
– Quoi ? Mais décidément tu es fêlée… quel intérêt as-tu à m’épouser ?
– Celui de présenter à mon père un bel homme de son âge, histoire de lui montrer que je n’ai pas perdu au change.
– Ah ouais, je vois. Tu veux rendre ton père jaloux si je comprends bien ?
– C’est ça ! Je veux faire un pied de nez à mon père et un bras d’honneur à sa maîtresse en t’utilisant, ça te dérange ?
– Pas le moins du monde.
– Alors accepte de m’épouser à Gibraltar.
– Pourquoi Gibraltar ? demandai-je, étonné par ce choix.
– J’aime cet endroit et dans cette ancienne colonie britannique se marier est simple, divorcer aussi d’ailleurs. Mon plan c’est de t’épouser sous le régime de la communauté de biens. Comme ça, le jour où mon père passera l’arme à gauche, on partagera son héritage, si tant est que sa concubine ne lui ait pas tout pris…
– Pourquoi pas ? Mais à condition que les biens à partager soient ceux que ton père laissera derrière lui, pas les miens…
– Pas de problèmes Gégé, tu peux me croire, tu ne seras pas lésé dans cette histoire.
– Bon, on va à Gibraltar quand tu veux pour préparer notre mariage.
– Demain alors !
Le lendemain nous nous rendîmes comme prévu à Gibraltar pour nous inscrire au bureau des mariages et choisir une date. Nous passâmes une matinée idyllique avec les singes gibraltariens, mes futurs témoins.
En début d’après-midi Myriam me demanda de l’emmener à Tarifa, en Espagne, une plage appréciée par les grands surfeurs du monde. Pourquoi voulait-elle absolument s’y rendre, elle qui n’avait rien d’une surfeuse ? Trouvant cela mystérieux je lui posai la question.
– Mon père était un grand surfeur et nous venions souvent sur cette plage. J’en ai gardé de bons souvenirs. Tu verras, ça te plaira.
Arrivés à Tarifa, après avoir mis sa tablette en marche pour filmer le paysage, elle me demanda de prendre un chemin qui menait vers un vieux village abandonné. Je dois avouer que j’étais légèrement inquiet. Je m’étais rendu compte qu’en fait c’était moi qu’elle filmait. Une fois au village elle me dit de descendre de la voiture et de la suivre.
– Pour aller où ? demandai-je.
– Je veux te montrer quelque chose d’intéressant, me répondit-elle, agacée par ma curiosité.
Au bord de la mer, au bout du village en ruine, elle s’arrêta près d’un puits et me le montra du doigt :
– Tu vois ce puits, en fait c’est un trou qui a été creusé dans la roche par les gardes civils de l’époque franquiste…
– Et alors, qu’est-ce que cela a d’intéressant ? Tu penses que cela peut attirer les touristes ?
– C’est dans ce puits qu’ils jetaient les mecs qui mouraient en garde à vue, ou parfois encore vivants. En fait c’était une sorte de cimetière.
– À cette différence près que les cadavres ressortaient dans la mer en bas.
– Pas du tout, en bas c’est fermé. Les cadavres pourrissent sans espoir d’être jamais retrouvés…
– Pourquoi me racontes-tu cela ?
– Parce qu’un jour peut-être tu auras à en jeter deux dans ce trou…
– Mais tu n’es pas bien ou quoi ?
– Écoute ma proposition avant de décider que je suis folle.
– Je t’écoute.
– Gégé, je suis en train d’assister, impuissante, à la ruine de mon père et à la captation de mon héritage par sa maî tresse qui est une véritable mante religieuse. Peux-tu comprendre ce que je ressens ?
– Oui bien sûr. Mais en quoi cela me regarde ?
– Si tu deviens mon époux cela te regardera, car ce sera notre héritage que cette salope est en train de détourner. Tu saisis ?
– Oui mais ce n’est pas pour autant que j’ai envie d’entrer dans ta combine, tu es trop retorse pour que je puisse te faire confiance…
Et je repris la route sans mot dire. Elle se montra d’une morosité inhabituelle, jusqu’à ce que nous arrivions chez moi.
– Pourrais-tu me dire pourquoi tu as boudé cet après-midi ?
– Je ne boudais pas ! s’exclama-t-elle, c’est toi au contraire qui ne t’abandonnes jamais tout à fait à moi.
– Voilà c’est encore ma faute ! Jamais la tienne ! Tu es trop bien pour avoir tort… Et c’est avec une fille comme toi que je devrais passer le restant de mes jours ? Écoute, très franchement je n’ai plus envie de t’épouser. Alors prends ta valise et rentre en France.
– Je partirai, ne t’inquiète pas, mais pas tout de suite.
Je fus bien forcé de prendre mon mal en patience : elle n’avait aucune intention de me lâcher. À bout d’arguments lors d’une énième prise de bec, elle laissa tomber le masque :
– Espèce de salaud, maintenant ça suffit de tourner autour du pot et de faire toutes ces simagrées ! Alors ou tu m’épouses ou je t’assigne devant les tribunaux pour viol et détournement de mineure.
– N’importe quoi… Tu as 21 ans !
– Détrompe-toi, je n’ai que 17 ans, répondit-elle calmement. Je t’ai menti, voilà tout.
– Mais alors on n’aurait pas pu se marier à Gibraltar ?
– Si, avec une autorisation de mes parents que j’ai dans mon sac…
– Oh là mais tu avais tout prévu toi !
– Eh oui ! Je te tiens par les couilles. Désormais si tu ne fais pas ce que je veux je vais directement chez les flics.
Je savais que le détournement de mineure en Espagne existait mais jusqu’à 16 ans et elle en avait 17. Dès lors elle n’avait aucun moyen de pression sur moi.
– Tu m’as bien comprise ? continua-t-elle.
– Très bien, alors que veux-tu que je fasse à part t’épouser ?
– Tu assassines mon père et sa concubine, puis tu les fais disparaître dans le puits que je t’ai montré.
Nous y voilà, me dis-je, c’était donc ça qu’elle voulait de moi… À coup sûr son ami policier lui avait parlé de mon passé et ça n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Quelle horrible créature ! Que faire, que dire maintenant ? Refuser catégoriquement ou jouer le jeu avec elle histoire de lui tirer les vers du nez ? Le mieux était encore de lui faire croire que j’étais prêt à aller jusqu’au bout de ses délires, et donc d’entrer dans son jeu en lui posant des questions…
– Mais s’agissant de ton père et sa maîtresse, comment comptes-tu faire pour les faire venir en Espagne ? Pour ma part je suis interdit d’entrée aux États-Unis…
– C’est simple, pour attirer mon père en Espagne rien de tel que lui concocter un joli petit mariage : le nôtre ! Et ensuite les inviter à une petite excursion à Tarifa dans le camp abandonné de la Guardia Civil, histoire de sabrer le champagne dans un endroit « spécial »…
– Ensuite ce sera à moi d’agir en leur mettant une balle dans la tête et en jetant les cadavres dans le puits, c’est ça ?
– Tu as oublié un détail d’importance : nous ne serons pas seuls dans l’héritage, donc cela nous posera problème plus tard…
– Ah oui, j’avais oublié que tu avais un petit frère et une sœur… que bien entendu, après le meurtre de ton père et de sa maîtresse, tu me demanderais d’assassiner aussi afin que toute la fortune de ton père nous revienne, c’est bien ça ?
– On ne peut rien te cacher mon Gégé.
– Donc tu ne veux pas partager l’héritage avec ta sœur et ton frère ?
– Je ne peux pas les sentir ces salopards, ils sont tous du côté de mon père. Mais on trouvera bien le moyen de les expédier ad patres .
– Pourquoi ne pas faire d’une pierre quatre coups ?
– J’aurais adoré, mais si on les assassine tous en même temps, ça risque de faire un peu trop de morts d’un coup et d’alourdir l’enquête policière qui inévitablement sera ouverte…
– Et toi, bien sûr, tu as cru que j’allais accepter d’exécuter tous ces gens-là, en m’aguichant avec ton cul, ton soi-disant amour pour moi et la fortune de ton père ?
– Quoi ! Tu refuses ? Mais bon sang, as-tu oublié qu’après, avec cette fortune, notre vie ne sera qu’un immense bonheur que nous partagerons ensemble ?
– Je suis sûr qu’au premier interrogatoire des flics, tu leur balanceras tout, histoire de me faire passer le restant de mes jours en prison !
– Pourquoi dis-tu cela ?
– Parce que j’ai compris que si tu m’avais filmé, ainsi que ma voiture, pendant tout le trajet vers le puits, ce n’était pas pour garder un souvenir de notre séjour ici, mais pour avoir des preuves de mon passage ici. Avec mon casier judiciaire de criminel, quelques séances de pleurs et de comédie venant de toi, on t’aurait crue et on m’aurait envoyé en prison pour une bonne trentaine d’années, le temps que tu puisses fonder une famille avec un nouveau mec…
Elle se mit à jurer qu’elle arriverait quand même à s’emparer de la fortune de son père, pour l’utiliser à bon escient, et certainement mieux que sa maîtresse, sans moi puisque je ne voulais pas me sacrifier à sa cause.
Je lui demandai de prendre la chambre d’amis pour la nuit et de disparaître au petit matin, ce que bien sûr elle refusa.
– Tu ne veux pas me faire l’amour pour la dernière fois, mon chéri, pour changer d’ambiance ? J’ai une envie folle de te caresser, de sentir ton corps contre le mien.
– Quoi ? Tu ne manques pas d’aplomb ! Tu plaisantes j’espère ?… Maintenant que je connais le fond de ta pensée, j’aurais beau faire, je n’y arriverais pas ! Surtout avec la tête de déterrée que tu as au naturel, sans fard et sans tricheries. Si demain tu es encore là, je te massacre !
– Fais-le tout de suite alors, parce que demain je serai encore là !
– Puisque tu le demandes si poliment, prends ça ! Et je la giflai.
– Espèce de salaud, comment oses-tu me frapper ?
– Et toi, comment as-tu pu oser me voler 1 000 euros dans ma table de nuit et fouiller dans mes affaires pour me piquer un carnet de chèques, sale petite voleuse !
– N’importe quoi !
– Je me doutais que tu allais dire ça. Alors les 1 000 euros, tu peux les garder pour payer ton voyage retour en France. Le carnet de chèques, tu peux le garder aussi pour le donner à tes amis policiers. Je n’en ai plus besoin puisque demain je vais le déclarer perdu.
– Merci, c’est gentil…
– Maintenant, n’oublie pas que tu dois déguerpir demain matin à 7 heures, après je ne jure plus de rien quant à ta sécurité.
– Ne t’inquiète pas, j’ai compris. Demain je ne serai plus là, mais attends-toi à ce que mon ami policier vienne t’arrêter quand tu rentreras en France.
– Ah bon et pour quelle raison ?
– Tu verras bien… Je trouverai quelque chose. Crois-moi Gégé, tu vas regretter ton geste. Jamais personne ne m’avait giflée, tu vas le payer cher, très cher !
– C’est toi qui as du souci à te faire, car quand ton papa apprendra que tu as voulu l’assassiner en faisant miroiter une partie de sa fortune au tueur, la première chose qu’il fera sera de te déshériter. Et le reste de ta famille te tournera le dos.
– Je m’en fous… D’ailleurs ils ne te croiront pas !
– Allez va te coucher, je t’ai assez vue.
Le lendemain matin elle avait quitté mon appartement, à mon grand soulagement car il m’avait été difficile de trouver le sommeil. Je craignais qu’à un moment donné cette folle entre dans ma chambre avec un couteau de cuisine et me l’enfonce dans le ventre.
Quelques semaines plus tard, à mon retour d’Espagne je fus arrêté par la PJ de Versailles. Myriam m’avait balancé comme trafiquant de drogue et avait raconté tout ce qu’elle savait sur moi à son ami Yann, notamment l’endroit où se trouvait ma cache secrète qu’elle seule connaissait pour y avoir planqué ses bijoux un jour. Cette perquisition me coûta plus de 200 000 euros (en cash, coke, cannabis, sans oublier les saisies sur mes comptes). Beau joueur, j’ai ouvert les deux bouteilles de champagne que j’avais dans mon frigo et les ai bues avec les policiers de la PJ.
J’écopai de trois ans de prison, tandis que la demoiselle ne fut pas inquiétée, bien que je l’avais mise nommément en cause.
Aujourd’hui, « Myriam » est une mannequin mondialement connue. Ma vengeance est de raconter son histoire et de laisser planer le suspense sur sa véritable identité, que je dévoilerai peut-être plus tard. Je garde par-devers moi beaucoup d’autres informations sur cette créature qui a cru que sa beauté pouvait acheter le plus horrible des crimes.
Cette ultime aventure et le séjour en prison qui a suivi m’ont servi de leçon : il était plus que temps d’arrêter les conneries et de me retirer pour de bon des « affaires ».
Il ne faut pas croire qu’il n’y a que du bonheur dans la vie d’un voyou, surtout s’il est un homme séduisant. S’il a de l’argent et des femmes faciles, tôt ou tard, il finit par payer cher. Et, grand paradoxe, ce sont d’« honnêtes » gens qui l’incitent au crime.
Si chaque histoire, belle ou lugubre, doit s’achever par un happy-end, pour moi ce fut, après dix-huit ans de prison pendant lesquels j’ai écrit, de voir mon premier livre classé parmi les meilleures ventes de l’année 2018-2019. Encouragé par ce succès inattendu, j’ai voulu me réinsérer encore plus solidement dans la société, mais aussi me vider le cerveau de tous les mauvais souvenirs qui me hantent.
Puisse mon histoire servir de leçon à tous ceux qui sont fascinés par la drogue.