Lettre d’un ami*2

Mon ami, me voici loin de vous. Nous nous parlions, et je vous écris. C’est, si l’on veut, une chose bien étrange.

Vous allez voir que je suis dans une disposition à m’émerveiller.

Le retour même à ce Paris, après une assez longue absence118, m’est apparu sous quelque espèce métaphysique. – Je ne parle pas seulement du retour matériel, noir sacrifice d’une nuit au vacarme et aux saccades. Le corps inerte et vivant s’abandonne aux corps morts et mouvants qui le transportent. Le rapide a une idée fixe qui est la Ville. On est le captif de son idéal, le jouet de sa fureur monotone. Il faut subir des millions de coups frappés à la cantonade, et ces rythmes et ces ruptures de rythmes, ces battements et gémissements mécaniques, – tout le tapage forcené de je ne sais quelle fabrique de vitesse. On est ivre de fantômes qui tournent, de visions versées au néant, de lumières arrachées. Le métal que forge la marche dans l’ombre fait rêver que le Temps personnel et brutal attaque et désagrège la dure et profonde distance. Surexcité, accablé de sévices, le cerveau, de soi-même, et sans qu’il le sache, engendre nécessairement toute une littérature moderne119

Parfois, la sensation se fait stationnaire. L’ensemble des cahots ne mène à rien. Le total du déplacement se compose d’une infinité de redites ; chaque instant vient convaincre l’autre que l’on n’arrivera jamais…

Peut-être l’éternité et l’enfer sont-ils les naïves expressions de quelque voyage inévitable ?

À force, toutefois, de tant d’agitation de nos os et de nos idées dans les ténèbres, le soleil et Paris sortent enfin du jeu.

Mais l’être de l’esprit, – le petit homme qui est dans l’homme, – (et qui est toujours supposé dans la grossière imagination que nous nous faisons de la connaissance), opère de son côté son changement de présence. Il ne circule point comme la conscience, dans une fantasmagorie de visions et un tumulte de phénomènes. Il voyage selon sa nature, et dans sa nature même. Je m’estimerais beaucoup si je savais me représenter son opération. Si je savais vous la décrire, cette estime pour moi grandirait en moi à l’infini. Mais il n’en est pas question…

Je me figure donc, comme je puis, que le sentiment du changement de notre séjour s’accompagne dans quelque substance inconnue, et qui nous est essentielle, d’un travail de détachement et de renouement subtils. C’est une classification profonde qui se transforme. À peine le départ résolu, et bien avant que le corps ne s’y mette, l’idée seule que tout va changer autour de nous intime à notre système caché une modification mystérieuse. De sentir que l’on s’en va, toutes choses encore tangibles en perdent presque aussitôt leur existence prochaine. Elles sont comme frappées dans les puissances de leur présence, dont quelques-unes s’évanouissent. Hier encore, vous étiez près de moi, et il y avait en moi une secrète personne déjà toute disposée à ne plus vous voir de longtemps. Je ne vous retrouvais120 plus dans le temps rapproché, et cependant je vous tenais la main. Vous m’étiez coloré d’absence, et comme condamné à ne point avoir d’avenir imminent. Je vous regardais de près, je vous voyais au loin. Vos mêmes regards ne contenaient plus de durée. Il me semblait qu’il y eût entre vous et moi deux distances, l’une encore insensible, l’autre immense déjà ; et je ne savais pas quelle il fallait prendre pour la plus réelle des deux…

J’ai observé, pendant le trajet, s’altérer les attentes de mon âme. Certains ressorts se détendent, d’autres se roidissent. Nos prévisions inconscientes, nos étonnements éventuels échangent leurs positions profondes. Si je vous rencontrais demain, ce me serait une grande surprise…

Tout à coup je me sentis à Paris, quelques heures avant que d’y être. Je reprenais sensiblement mes esprits parisiens qui s’étaient un peu dissipés dans mes voyages. Ils s’étaient réduits à des souvenirs ; ils redevenaient maintenant des valeurs vivantes et des sources que l’on doit utiliser à chaque instant.

Quel démon que celui de l’analogie abstraite121 ! – Vous savez comme il me tourmente quelquefois ! – Il me soufflait de comparer cette altération indéfinissable qui se passait en moi, à un changement assez brusque de certaines probabilités mentales. Telle réponse, tel mouvement, telle action de notre visage, qui sont à Paris les effets instantanés de nos impressions, ne nous sont plus si naturels quand nous sommes retirés à la campagne, ou plongés dans un milieu suffisamment écarté. Le spontané n’est plus le même. Nous ne sommes prêts à répondre qu’à ce qui est probablement voisin.

On en tirerait de curieuses conséquences. Un physicien hardi, qui ferait entrer les vivants, et même les cœurs, dans ses desseins, se risquerait peut-être à définir un éloignement par une certaine distribution intérieure…

J’ai grande peur, mon vieil ami, que nous ne soyons faits de bien des choses qui nous ignorent. Et c’est en quoi nous nous ignorons. S’il y en a une infinité, toute méditation est vaine…

Je me sentais donc ressaisir par un autre système de vie, et je connaissais mon retour comme une sorte de rêve de ce monde où je revenais. Une ville où la vie verbale est plus puissante, plus diverse, plus active et capricieuse qu’en toute autre, se préparait en moi par l’idée d’une confusion étincelante. Le dur murmure du train prêtait à ma distraction imagée l’accompagnement de la rumeur d’une ruche.

Il me semblait que nous avancions vers un nuage de propos. Mille gloires en évolution, mille titres d’ouvrages par seconde paraissaient, périssaient indistinctement dans cette nébuleuse grandissante. Je ne savais pas si je voyais ou si j’entendais cette agitation insensée. Il y avait des écritures qui criaient, des paroles qui étaient des hommes, et des hommes qui étaient des noms… Point de lieu sur la terre, pensai-je, où le langage ait plus de fréquence, plus de résonances, moins de réserve, qu’en ce Paris où la littérature, et la science, et les arts, et la politique d’un grand pays sont jalousement concentrés. Les Français ont amassé toutes leurs idées dans une enceinte. Nous y vivons dans notre feu.

Dire ; redire ; contredire ; prédire ; médire… Tous ces verbes ensemble me résumaient le bourdonnement du paradis et de la parole.

Quoi de plus fatigant que de concevoir le chaos d’une multitude d’esprits ? – Chaque pensée dans ce tumulte trouve sa pareille, son adverse, son antécédente et sa suivante. Tant de similitudes, tant d’imprévu la découragent.

Imaginez-vous le désordre incomparable qu’entretiennent dix mille êtres essentiellement singuliers ? Songez à la température que peut produire dans ce lieu un si grand nombre d’amours propres qui s’y comparent. Paris enferme et combine, et consomme ou consume la plupart des brillants infortunés que leurs destins ont appelés aux professions délirantes122… Je nomme ainsi tous ces métiers dont le principal instrument est l’opinion que l’on a de soi-même, et dont la matière première est l’opinion que les autres ont de vous. Les personnes qui les exercent, vouées à une éternelle candidature, sont nécessairement toujours affligées d’un certain délire des grandeurs qu’un certain délire de la persécution traverse et tourmente sans répit. Chez ce peuple d’uniques règne la loi de faire ce que nul n’a jamais fait, et que nul jamais ne fera. C’est du moins la loi des meilleurs, c’est-à-dire de ceux qui ont le cœur de vouloir nettement quelque chose d’absurde… Ils ne vivent que pour obtenir et rendre durable l’illusion d’être seuls, – car la supériorité n’est qu’une solitude située sur les limites actuelles d’une espèce. Ils fondent chacun son existence sur l’inexistence des autres, mais auxquels il faut arracher leur consentement qu’ils n’existent pas… Remarquez bien que je ne fais que de déduire ce qui est enveloppé dans ce qui se voit. Si vous doutez, cherchez donc à quoi tend un travail qui doit ne pouvoir absolument être fait que par un individu déterminé, et qui dépend de la particularité des hommes ? Songez à la signification véritable d’une hiérarchie fondée sur la rareté. – Je m’amuse parfois d’une image physique de nos cœurs, qui sont faits intimement d’une énorme injustice et d’une petite justice combinées. J’imagine qu’il y a dans chacun de nous un atome important entre nos atomes, et constitué par deux grains d’énergie123 qui voudraient bien se séparer. Ce sont des énergies contradictoires mais indivisibles. La nature les a jointes pour toujours, quoique furieusement ennemies. L’une est l’éternel mouvement d’un gros électron positif, et ce mouvement124 engendre une suite de sons graves où l’oreille intérieure distingue sans nulle peine une profonde phrase monotone125 : Il n’y a que moi. Il n’y a que moi. Il n’y a que moi, moi, moi… Quant au petit électron radicalement négatif, il crie à l’extrême de l’aigu, et perce et reperce de la sorte la plus cruelle le thème égotiste de l’autre : Oui, mais il y a un tel… Oui, mais il y a un tel… Tel, tel, tel. Et tel autre !… Car le nom change assez souvent…

Bizarre royaume où toutes les belles choses qui s’y produisent sont une amère nourriture pour toutes les âmes moins une. Et plus elles sont belles, plus amèrement ressenties.

Tenez encore. Il me semble que chaque mortel possède tout auprès du centre de sa machine, et en belle place parmi les instruments de la navigation de sa vie, un petit appareil d’une sensibilité incroyable qui lui marque l’état de l’amour de soi. On y lit que l’on s’admire, que l’on s’adore, que l’on se fait horreur, que l’on se raye de l’existence ; et quelque vivant index, qui tremble sur le cadran secret, hésite terriblement prestement entre le zéro d’être une bête et le maximum d’être un dieu.

Eh bien, mon tendre ami, si vous voulez comprendre quelque chose à bien des choses, il faut songer qu’un appareil si vital et si délicat est le jouet du premier venu.

Et, sans doute, il est des hommes étranges en qui cette aiguille cachée marque toujours le point opposé de celui que l’on gagerait qu’elle indiquât. Ils se haïssent au moment même de l’estime universelle, et au contraire dans le contraire. Mais nous savons qu’il n’est plus de lois toutes satisfaites. Il n’est plus que des à peu près…

Et le train filait toujours, rejetant violemment peupliers, vaches, hangars et toutes choses terrestres, comme s’il avait soif, comme s’il courait à la pensée pure, ou vers quelque étoile à rejoindre. Quel but suprême peut exiger un ravissement si brutal, et un renvoi si vif de paysages à tous les diables ?

Nous approchions de la nuée. Des noms s’illuminaient126. Le ciel s’emplissait de météores politiques et littéraires. Les surprises crépitaient. Les doux bêlaient, les aigres miaulaient, les gras mugissaient, les maigres rugissaient.

Les partis, les écoles, les salons, les cafés, tout se faisait entendre. L’air ne suffisant plus, l’éther se chargeait de messages. On était assourdi par le cliquetis d’un duel dont les épées étaient des éclairs, et bien des pauvretés se propageaient jusqu’aux extrémités du monde avec la vitesse de la lumière.

Je vous prie de m’excuser de cet abus que je fais de l’imparfait de l’indicatif ; mais il est le temps de l’incohérence, et je m’aperçois que je suis en train de vous peindre, si c’est là une peinture, la plus grande incohérence concevable. J’y ajouterai quelques traits au moyen de quelques autres imparfaits.

Je voyais en esprit le marché, la bourse, le bazar occidental des échanges des phantasmes. J’étais occupé des merveilles de l’instable, de sa durée étonnante, de la force des paradoxes, de la résistance des choses usées… Tout se figurait. Les luttes abstraites prenaient forme de diableries. La mode et l’éternel se colletaient. Le rétrograde et l’avancé se disputaient le point d’où l’on tombe. Les nouveautés même nouvelles enfantaient des conséquences très anciennes. Ce que le silence avait élaboré se vendait à la criée… Enfin, tous les événements possibles spirituels se produisaient rapidement devant mon âme encore à demi endormie. Elle était saisie de terreur, de dégoût, de désespoir, et d’une affreuse curiosité, en contemplant, toute lasse et confuse, le spectacle idéal de cette immense activité que l’on nomme intellectuelle

 

— INTELLECTUELLE ?…

 

Ce mot énorme, qui m’était venu vaguement, bloqua net tout mon train de visions. Drôle de chose que le choc d’un mot dans une tête ! Toute la masse du faux en pleine vitesse saute brusquement hors de la ligne du vrai

Intellectuelle ?… Point de réponse. Point d’idées. Des arbres, des disques, des harpes infinies sur les fils horizontaux desquelles volaient plaines, châteaux, fumées… Je regardais en moi avec des yeux étrangers. Je butais dans ce que je venais de créer. Ahuri, au milieu des débris de l’intelligible, je retrouvai inerte et comme renversé, ce grand mot qui avait causé la catastrophe. Il était sans doute un peu trop long pour les courbes de ma pensée…

— Intellectuelle… Tout le monde à ma place aurait compris. Mais moi !…

— Vous le savez, cher Vous, que je suis un esprit de la plus ténébreuse espèce. Vous le savez par expérience, et le savez encore mieux pour l’avoir cent fois ouï dire. Il ne manque point de personnes, et doctes, et bénignes, et bien disposées, qui attendent pour me lire que l’on m’ait traduit en français. Elles s’en plaignent vers le public, lui exposent des citations de mes vers où je confesse qu’elles doivent s’embarrasser. Même, elles tirent une juste gloire de ne point entendre quelque chose ; ce que d’autres cacheraient. « Modeste tamen et circumspecto judicio pronuntiandum est, dit Quintilien, dans un endroit que Racine a pris soin de traduire, – ne quod plerisque accidit, damnent quæ non intelligunt127. » Mais moi, je suis désespéré d’affliger ces amateurs de lumière128. Rien ne m’attire que la clarté. Hélas, ami de moi ! je vous assure que je n’en trouve presque point. Je mets ceci dans votre oreille toute proche. N’allez point le répandre. Gardez excessivement mon secret. Oui, la clarté pour moi est si peu commune que je n’en vois sur toute l’étendue du monde, – et singulièrement du monde pensant et écrivant, – que dans la proportion du diamant à la masse de la planète. Les ténèbres que l’on me prête sont vaines et transparentes auprès de celles que je découvre un peu partout. Heureux les autres, qui conviennent avec eux-mêmes qu’ils s’entendent parfaitement ! Ils écrivent, ils parlent sans trembler. Vous sentez comme j’envie tous ces humains lucides dont les ouvrages font que l’on songe à la douce facilité du soleil dans un univers de cristal… Ma mauvaise conscience me suggère parfois de les incriminer pour me défendre. Elle me murmure qu’il n’y a que ceux qui ne cherchent rien qui ne rencontrent jamais l’obscurité, et qu’il ne faut proposer aux gens que ce qu’ils savent. Mais je m’examine dans le fond, et il faut bien que je consente à ce que disent tant de personnes distinguées. Je suis fait véritablement, mon ami, d’un malheureux esprit qui n’est jamais bien sûr d’avoir compris ce qu’il a compris sans s’en apercevoir. Je discerne fort mal ce qui est clair sans réflexion de ce qui est positivement obscur… Cette faiblesse, sans doute, est le principe de mes ténèbres. Je me méfie de tous les mots, car la moindre méditation rend absurde que l’on s’y fie. J’en suis venu, hélas, à comparer ces paroles par lesquelles on traverse si lestement l’espace d’une pensée, à des planches légères jetées sur un abîme, qui souffrent le passage et point la station129. L’homme en vif mouvement les emprunte et se sauve ; mais qu’il insiste le moins du monde, ce peu de temps les rompt et tout s’en va dans les profondeurs. Qui se hâte a compris ; il ne faut point s’appesantir : on trouverait bientôt que les plus clairs discours sont tissus de termes obscurs.

Tout ceci me pourrait induire en de grands et charmants développements dont je vous fais grâce. Une lettre est littérature. C’est une loi étroite de la littérature qu’il ne faut rien creuser à fond130. C’est aussi le vœu général. Voyez de toutes parts.

J’étais donc dans mon propre gouffre, – qui pour être le mien n’en était pas moins gouffre, – j’étais donc dans mon propre gouffre, incapable d’expliquer à un enfant, à un sauvage, à un archange, – à moi-même, – ce mot : Intellectuel qui ne donne aucun mal à qui que ce soit.

Ce n’était point les images qui me manquaient. Mais au contraire, à chaque consultation de mon esprit par ce terrible mot, l’oracle répondait par une image différente. Toutes étaient naïves. Aucune exactement n’annulait la sensation de ne point comprendre.

Il me venait des lambeaux de rêve.

Je formais des figures que j’appelais des « Intellectuels ». Hommes presque immobiles qui causaient de grands mouvements dans le monde. Ou hommes très animés, dont les vives actions de leurs mains et de leurs bouches manifestaient des puissances imperceptibles et des objets invisibles par essence… Je vous demande pardon de vous dire la vérité. Je voyais ce que je voyais.

Hommes de pensée, Hommes de lettres, Hommes de science, Artistes, – Causes, causes vivantes, causes individuées, causes minimes, causes contenant des causes et inexplicables à elles-mêmes, – et causes de qui les effets étaient aussi vains, mais à la fois aussi prodigieusement importants, que je le voulais… L’univers de ces causes et de leurs effets existait et n’existait pas. Ce système d’actes étranges, de productions et de prodiges avait la réalité toute-puissante et nulle d’une partie de cartes. Inspirations, méditations, œuvres, gloire, talents, il dépendait d’un certain regard que ces choses fussent presque tout, et d’un certain autre, qu’elles se réduisissent à presque rien.

Puis, à une lueur apocalyptique, je crus entrevoir le désordre et la fermentation de toute une société de démons. Il parut, dans un espace surnaturel, une sorte de comédie de ce qui arrive dans l’Histoire. Luttes, factions, triomphes, exécrations solennelles, exécutions, émeutes, tragédies autour du pouvoir !… Il n’était bruit dans cette République que de scandales, de fortunes foudroyantes ou foudroyées, de complots et d’attentats. Il y avait des plébiscites de chambre, des couronnements insignifiants, beaucoup d’assassinats par la parole. Je ne parle point de larcins. Tout ce peuple « intellectuel » était comme l’autre. On y trouvait des puritains, des spéculateurs, des prostitués, des croyants qui ressemblaient à des impies qui faisaient mine de croyants ; il y avait de faux simples et de vraies bêtes, et des autorités, et des anarchistes, et jusqu’à des bourreaux dont les glaives dégouttaient d’encre. Et les uns se croyaient prêtres et pontifes, les autres prophètes, les autres Césars, ou bien martyrs, ou un peu de chaque. Plusieurs se prenaient, jusque dans leurs actes, pour des enfants ou pour des femmes. Les plus ridicules étaient ceux qui se faisaient de leur chef les juges et les justiciers de la tribu. Ils ne paraissaient point se douter que nos jugements nous jugent, et que rien plus ingénument ne nous dévoile et n’expose nos faiblesses que l’attitude de prononcer sur le prochain. C’est un art dangereux que celui dans lequel les moindres erreurs peuvent toujours s’attribuer au caractère.

Chacun de ces démons se regardait assez souvent dans un miroir de papier ; il y considérait le premier ou le dernier des êtres…

Je cherchais vaguement les lois de cet empire. La nécessité d’amuser ; le besoin de vivre ; le désir de survivre ; le plaisir d’étonner, de choquer, de gourmander, d’enseigner, de mépriser ; l’aiguillon de la jalousie, menaient, irritaient, échauffaient, expliquaient cet Enfer.

Je m’y suis vu moi-même ; et sous une figure inconnue de moi, que mes écrits, peut-être, avaient formée. Vous n’ignorez pas, cher rêveur, que dans les songes, il se fait quelquefois un accord singulier entre ce que l’on voit et ce que l’on sait ; mais ce n’est point un accord qui se supporterait dans la veille. Je vois Pierre, et je sais qu’il est Jacques. Je me suis donc aperçu, quoique rarement, et sous un autre visage ; je ne me reconnaissais qu’à une douleur exquise qui me perçait le cœur. Du fantôme ou de moi, il me semblait que l’un de nous dût s’évanouir

Adieu. Je n’en finirais plus si je voulais vous donner à lire tout ce qui vint se colorer et me confondre dans les derniers instants de mon voyage. Adieu. J’oubliais de vous dire que je fus tiré de tout ceci par le pied d’un dur Anglais qui m’écrasa le mien sans nulle peine, cependant que le train noir et suant stoppait. Adieu.

Promenade131

Je le rencontre, l’été, le matin, près d’onze heures, sur un trottoir plein d’oisifs, voisin de la Madeleine où j’ai l’habitude d’aller faire des pas, fumer, réfléchir à ce que dit le journal du jour, c’est-à-dire me raconter tout ce qu’il ne dit pas. Bientôt je me heurte à M. Teste qui médite en sens inverse sur la même ligne facile.

Nous quittons chacun nos idées. Nous nous mettons ensemble et nous regardons le mouvement doux et incompréhensible de la voie publique, qui charrie des ombres, des cercles, de fluides constructions, des actions légères et qui apporte quelquefois quelqu’un de plus pur et d’exquis : un être, un œil, ou une bête précieuse faisant mille formes dorées et qui joue avec le sol.

Nous buvons le passage délicieux. Nous voyons la clarté variée faire sourire, au hasard, toute personne ; fuir sur un front de femme hâtive qui glisse et se brode parmi les voitures minces, et parmi les événements. Une pâle rue, falaise d’ombre tendre aux balcons veloutés, se suspend, abrupte, là, sur un ciel légèrement velu de lumière ; et devant nous, noyés par le pur sol immense d’où remonte le jour, les passants sont venus, nous ressemblent, et se diviseront au soleil132.

Nous écoutons, d’une oreille délicate133, le mélange du bruit de la rue ample, la tête pleine de nuances abondantes du pas des chevaux touffus et de l’homme interminable134, qui anime vaguement les profondeurs, leur faisant rouler comme en songe, une sorte de nombre confus dont la grandeur tremble et rassemble les marches, la mue opulente du monde, les transformations des indifférents les uns dans les autres, la présence générale de la foule135.

Nous nous taisons, nous nous fixons, anxieux de n’être pas tout à fait un fragment de foule.

Mais, moi, l’immense autrui me presse de toutes parts. Il respire, pour moi ; et136 dans sa propre substance impénétrable. Si je souris, c’est un peu de sa pulpe enchantée / inconnue / qui, non loin de mon idée, se tord ; et par ce changement dans mes lèvres, je me sens tout à coup, subtil.

Je ne sais ce qui est à moi137 : pas même ce sourire, ni sa suite à demi pensée… Je le surprends, il fraîchit, et ayant suffi / l’ayant aperçu /, de lui-même il est fini.

 

Ce qui me rend unique se mêle au vaste corps et au luxe passager d’ici ; là, grain politique, coulent les individus parmi quelques individus ; ou bien brille à travers mes réflexions, une flamme d’air et d’hommes qui se remplace infiniment elle-même, déjoue, devance, souffle ou constitue parfois précisément ma pensée. Il y a138 des filles, des doutes, un incessant cheval de couleur qui emporte toute la vue, des morceaux d’êtres, des phrases qui sourdent, (et jusqu’à des moments anéantis ou un vide singulier ont une puissance continuelle de commencement et de fin139). Alors ces roues nouvelles, le vent simple et mou, les facettes de la population / des hommes /, la palpitation de robes, bouches, et ombres frôlent, – mais où ? – d’autres créations purement subites, docilement possibles ; les spectacles au soleil sont singulièrement regardés par quelques images bien plus anciennes, un mot sonne silencieusement, et ils finissent, un instant, parmi140 les changeantes valeurs du plaisir et de l’ennui. Le matin colore ces sentiments : une parole toute profonde juge, et échange entre eux, dans elle-même, des noms également favoris.

Alors, je veux connaître toute mon étendue. J’ai envie de penser à toutes mes pensées. J’entrevois déjà la plus jeune, la plus éloignée… la future, la niaise, l’immonde, l’étrangère… et je vais fondre tout ce qui passe dans ce qui a passé, éteindre le retentissement robuste de ce monde complet, – dans tout ce que je sais… Je crois tenir cette magnifique pluralité : l’ensemble de mes idées ; mais, au lieu, voici que je ne fais sortir du rien qu’un signe, une sorte de symbole / le reflet d’un monde sur la pointe d’une seconde /, et je me borne forcément à concevoir avec ivresse – quelque chose comme une quantité qui me serait familière jusque dans son indéfini et ma façade. Je suis entre ce qu’elle a eu lieu et ce qu’elle va continuer dans son accroissement141.

Nouveau fragment relatif à Monsieur Teste*3

L’homme est différent de moi et de vous. Ce qui pense n’est jamais ce à quoi il pense ; et le premier étant une forme avec une voix, l’autre prend toutes les formes et toutes les voix. Par là, nul n’est l’homme142 ; Monsieur Teste moins que personne.

Il n’était non plus philosophe, ni rien de ce genre, ni même littérateur ; et, pour cela, il pensait beaucoup, – car, plus on écrit, moins on pense143.

Il ajoutait sans cesse à quelque chose que j’ignore : peut-être faisait-il indéfiniment plus prompte sa manière de concevoir : peut-être qu’il se donnait à l’abondance de l’invention solitaire. Ceci ou cela, il demeure l’être le plus satisfaisant que j’aie rencontré, – c’est-à-dire le seul individu durable144 dans mon esprit.

Par conséquent, il n’était ni bon, ni méchant, ni fourbe, ni cynique, ni juste ni autre ; il se bornait à choisir : c’est le pouvoir de faire avec un moment / instant / et une qualité / possibilité /, un ensemble qui plaise. Il était puissant et se plaisait145.

Il avait sur tout le monde un avantage qu’il s’était donné : celui de posséder une idée commode de lui-même ; et, il entrait visiblement pour lui dans chacune de ses pensées un autre Monsieur Teste146, – un personnage bien connu, simplifié, uni au véritable par tous ses points, le représentant toujours dans toute notion, et faisant agir celui-là même qui pensait, au milieu et au niveau de ce qu’il pensait. L’auteur de ce singulier artifice savait, tout le temps, de la sorte, ce qu’il pouvait ou ne pouvait pas faire dans telle région de choses. Il s’était pris tel qu’il était et se mettait en contact avec tout ce qui est, tel que cela est147. Il avait, en somme, substitué au vague soupçon du Moi qui altère tous nos propres calculs et nous met sournoisement au jeu nous-mêmes dans nos spéculations, – qui en sont pipées, – un être imaginaire défini, un Soi-Même bien déterminé ou éduqué, devenu148 sûr comme un instrument, sensible comme un animal, et compatible avec toute chose, comme l’homme.

 

Ainsi, Teste, armé de sa propre image, connaissait à chaque instant sa faiblesse et ses forces ; Le monde se composait, devant lui, d’abord de tout ce qu’il savait et de ce qui était à lui – et cela ne comptait plus ; puis, dans un autre soi, le reste ; et ce reste pouvait ou ne pouvait pas être acquis, construit, transformé. Et il ne perdait son temps ni dans l’impossible ni dans le facile.

 

Un soir, il me répondit : « L’infini, mon cher, n’est plus grand chose, – c’est une affaire d’écriture. L’univers n’existe que sur le papier. Aucune idée ne le présente. Aucun sens ne le montre. Cela se parle, et rien de plus.

— Mais la science, lui dis-je, use…

— La science ! Il n’y a que des savants, mon cher, des savants et des moments de savants. Ce sont des hommes… des tâtonnements, des nuits mauvaises, des bouches amères, un excellent après-midi lucide. Savez-vous donc149 quelle est la première hypothèse de toute science, l’idée nécessaire de tout savant ? C’est… que le monde est mal connu150. Oui. Or, on pense souvent le contraire ; il y a des instants où tout paraît clair, – où tout est plein, tout sans problèmes. Dans ces instants, il n’y a plus de science – ou, si vous voulez, la science est accomplie. Mais, à d’autres heures, rien n’est évident / ne se suit /, il n’y a que lacunes, actes de foi, incertitude ; on ne voit que des lambeaux et d’irréductibles objets, de toutes parts.

« Comme on s’est plus ou moins aperçu de tout ceci – on cherche le moyen de passer, à coup sûr, du second état dans le premier, et de transformer à volonté l’esprit inquiet d’un moment en le possesseur tranquille de tout à l’heure. Mais il y a un peu de folie concernant / approchant / ce désir.

— Bon, répliquai-je. Cependant, dans tous les cas possibles, être, vous l’avouerez, demeure étrange. Être d’une certaine façon, c’est encore plus étrange. Cela est même gênant. »

Et j’ajoutai, répétant ce que pensent tous les gens un peu simples : « Enfin, qu’est-ce que je fais ici ?

— Eh ! dit Mr Teste, vous vous demandez ce que vous y faites.

— Mais encore, pourquoi ? Le plus fort est justement qu’on s’interroge. Pourquoi se demande-t-on…

— Parce que vous y avez songé.

— Vous vous moquez de moi, vous vous moquez de moi.

— Sans doute, dit Mr Teste.

— Revenons, dis-je, à la destinée humaine. (Et à peine avais-je parlé, que151 je me sentis devenir stupide.)

— Je me demande, pensa tout haut Mr Teste, en quoi la « destinée » (comme vous dites) de l’homme m’intéresse ? À peu près autant que… la déesse… Barbara, – dont on n’a jamais ouï parler et dont j’invente le nom tout à coup. C’est la même chose. Au fond, on ne peut donc s’enflammer que pour l’absurde ? Cela n’est point mon fait.

— Ni celui des hommes vraiment – supérieurs, dis-je, pour me sauver.

— Nigaud, s’écria Mr Teste, ne me comparez pas à d’autres : car, primo, vous ne me connaissez pas, – et puis vous ne connaissez pas les autres. Quant à l’enthousiasme, cette foudre stupide, apprenez à le mettre en bouteilles, à le faire courir sur des fils dociles. Séparez-le des objets ridicules où la foule l’éprouve et l’attache. Ridicules, car ils sont tels et tels, et non ceux que vous voulez. Brûlez, brillez, mais seulement à votre commandement, – et méprisant toute chose particulière, retirez un pouvoir de partout. Principalement, – des autres. Tout est vanité, mon cher, mais, – par moments. Cependant, mille choses sont constamment nulles, si l’on veut152. Leur néant est à notre disposition… Tenez, tous les sots se réclament de l’humanité et tous les faibles de la justice ; ayant, les uns et les autres, intérêt à la confusion. Évitons le troupeau et la balance de ces Justes si mal appris ; frappons sur ceux qui veulent nous faire semblables à eux153. Rappelez-vous tout simplement qu’entre les hommes il n’existe que deux relations : la logique ou la guerre154. Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit155. Si l’on refuse, souvenez-vous que vous êtes attaqué et qu’on va vous faire obéir par tous les moyens. Vous serez pris par la douceur ou par le charme de n’importe quoi ; vous serez passionné par la passion d’un autre ; on vous fera penser ce que vous n’avez pas médité et pesé ; vous serez attendri, ravi, ébloui ; vous tirerez des conséquences de prémisses qu’on vous aura fabriquées, et vous inventerez, avec quelque génie, – tout ce que vous savez par cœur.

— Le plus difficile est de voir ce qui est, soupirai-je.

— Oui, dit Mr Teste, c’est-à-dire de ne pas confondre les mots. Il faut sentir qu’on les arrange comme on veut, et à chaque combinaison qu’on en peut former, ne correspond pas forcément quelque autre chose. Il y a deux cents mots qu’il faut oublier, et, quand on les entend, les traduire. Ainsi, il faudrait que le mot de « Droit » soit effacé de partout et des esprits, – afin que personne ne s’endorme156.

— C’est pénible, ai-je répondu, c’est dur. Plus d’erreur, et cette erreur me plaît. »

 

Et nous n’en finîmes plus.

 

Nous voyons un toit et des vitres brûlant sur des arbres157 ; une clarté tachetée où circulaient des personnes amincies158, des visages gris ou bleuâtres de dames, glissant et se brodant parmi les voitures plates / minces /, entre les éclats et les roues en feu. Une délicieuse rue bleue, falaise d’ombre tendre, bleue, aux balcons veloutés, se suspend abrupte, à gauche ; et159, devant nous, noyés par le pur sol immense qui les enlève et d’où remonte une lumière égale qui les élève, les passants ou leurs groupes, se défont et se renouent, flottent, traversent la vue, et se diviseront au soleil160

Mr Teste me dit : « Il n’y a au monde qu’une seule chose que je trouve sublime. C’est la matinée d’un homme qui pense, et qui se porte bien. Il se moque bien du soleil161 !

— Et un amour bien réussi ? lui demandai-je.

— Mon cher, dit-il, soyons exacts : la femme sert à se passer de femme. »

Début du portrait162

MESSIEURS,

 

Le terme aberration est assez souvent pris en mauvaise part. On l’entend d’un écart de la normale qui se dirige vers le pire, et qui est un symptôme d’altération et de désagrégation des facultés mentales, qu’il se manifeste par des perversions du goût, des propos délirants, des pratiques étranges, parfois délictuelles. Mais dans certaines branches de la science ce même mot, tout en conservant une certaine couleur pathologique, peut désigner quelque excès de vitalité, une sorte de débordement d’énergie interne, qui aboutit à une production anormalement développée d’organes ou d’activité physique ou psychique. C’est ainsi que la botanique parle de végétations aberrantes, et que, en un certain sens, la plupart des espèces végétales que l’homme utilise pour ses besoins comme le froment, la vigne, la rose, etc… sont des produits de procédés de culture immémoriaux qui ont réalisé des variétés qu’on peut dire aberrantes, en dépit de leur utilité ou de leur beauté. Nous avons cru devoir faire précéder par ces remarques préalables l’examen du cas singulier, bien connu dans le monde des psychologues163 sous le nom de « cas de M. Teste164 ».

 

M. Teste est né du hasard. Comme tout le monde. Tout l’esprit qu’il a ou qu’il eut lui vient de ce fait.

 

Il n’y a pas d’image certaine de M. Teste165.

Tous les portraits diffèrent les uns des autres.

L’homme sans reflet

Ce fantôme qui est notre moi – ce qu’il se sent être – et qui est vêtu de notre poids.

Songe-t-on le sens de ce mot Mon poids !

Quel possessif !

Comment distinguer ce poids de l’énergie qui en fait ce qu’elle est – lourd, léger, etc.

 

M. Teste est le témoin166.

 

Ce qui en nous est production de tout et donc de rien – la réaction même, le recul en soi.

Supposé l’œil – le voir opposé aux vues – toute vue étant payée par ce qui la détruit pour la conservation de la faculté de voir – et ne pouvant être que consommation de possible et recharge.

De ceci, supposer un individu qui en soit comme l’allégorie et le héros.

 

Conscious – Teste, Testis.

Supposé un observateur « éternel » dont le rôle se borne à répéter et remontrer le système dont le Moi est cette partie instantanée qui se croit le Tout.

Le Moi ne se pourrait jamais engager s’il ne croyait – être tout.

 

Tout à coup la suavis mamilla167 qu’il touche devient chose restreinte à ce qu’elle est.

Le soleil lui-même…

La « bêtise » de tout se fait sentir. Bêtise, c’est-à-dire particularité opposée à la généralité. « Plus petit que » devient le signe terrible de l’esprit. Le Démon des possibles ordonnés.

 

Homme observé, guetté, épié par ses « idées », par mémoire.

 

⇒ Observateur du Temps168

 

Un regard arraché du monde ψ et tout accommodé encore à ce monde avec lequel il était en échanges.

traverse l’instant et tombe ou se trouve dans le monde φ – qui lui paraît un choc, une étrangeté absolue – avec la sensation du déplacement intérieur violent que peut donner une explosion. À partir de quoi, il reprend connaissance avec ce qu’il peut. Rétine.

 

M. Teste,

le plus complet des transformateurs psychiques qui, sans doute, fut jamais.

Le contraire d’un fou (mais l’aberration (si importante dans la nature) devenue consciente) car il en revenait toujours et toujours plus riche sans doute, – portant les dissociations, les substitutions, les similitudes – au point extrême, – mais avec un retour assuré, une opération inverse infaillible.

Tout lui apparaissait comme cas particulier de son fonctionnement mental, et ce fonctionnement lui-même devenu conscient, identifié à l’idée ou sensation (?) qu’il en avait.

Au bout de l’esprit – le corps. Mais au bout du corps, l’esprit.

La douleur. Il cherchait l’appareil qui eût changé la douleur en connaissance169, ce que les mystiques ont entrevu, mal vu. Mais l’inverse était le commencement de cette expérience170.

Dieu n’est pas loin. Il est ce qu’il y a de plus près171.

 

(Une scène). M. Teste transcende. Je transmute. On vit la colère monter, s’épanouir, puis se rétracter, se faner, passer comme l’ivresse tout à coup précipitée par un fait.

 

Teste

 

Chez lui le psychisme est au comble de la séparation des échanges internes et des valeurs.

La pensée est également séparée (quand il est LUI) de ses similitudes et confusions avec le Monde et d’autre part, des valeurs affectives. Il le contemple dans son « hasard » pur.

 

Ou plutôt il est celui qui est « créé » – qui est une réaction à un tel spectacle auquel il faut bien Quelqu’un.

La notion de choses extérieures est une restriction des combinaisons.

L’imagination significative est une tricherie affective.

Comment revenir de si loin ?

 

Jaloux de ses meilleures idées, de celles qu’il croit les meilleures – parfois si particulières, si propres à soi que l’expression en langue vulgaire et non intime, n’en donne extérieurement que l’idée la plus faible et la plus fausse172 – Et qui sait si les plus importantes pour la gouverne d’un esprit ne lui sont pas aussi singulières, aussi strictement personnelles qu’un vêtement ou qu’un objet adapté au corps ? – Qui sait si la vraie « philosophie » de quelqu’un est… communicable ?

— Jaloux donc de ses clartés séparées, – T. pensait : qu’est-ce qu’une idée à laquelle on n’attache pas la valeur d’un secret d’État ou d’un secret de l’art ?…

et dont on n’ait aussi la pudeur comme d’un péché ou d’un mal. – Cache ton dieu173 – Cache ton diable.

 

Dans les représentations, on se donne à soi-même une valeur singulière – que l’on soit figurant en personne, ou âme cachée.

Et pourtant – comment élit-on un personnage pour être soi – comment se forme ce centre ?

Pourquoi dans le théâtre mental, êtes-vous : Vous ? – Vous et non moi ?

Donc ce mécanisme n’est pas le plus général possible.

S’il le fût, … plus de moi absolu.

— Mais n’est-ce point là la recherche de M. Teste : se retirer du moi – du moi ordinaire en s’essayant constamment à diminuer, à combattre, à compenser l’inégalité, l’anisotropie de la conscience ?

 

M. Teste – entre et frappe tous les présents par sa « simplicité »174.

L’air absolu – le visage et les actes d’une simplicité indéfinissable.

Etc…

— Il est celui qui pense (par dressage accompli et habitude devenue nature175) tout le temps et en toute occasion selon des données et définitions étudiées. Toutes choses rapportées à soi et en soi à la rigueur. Homme de précision – et de distinctions vivantes.

 

À cet homme étrange, le souvenir le plus vif et le plus net n’apparaissait que comme une formation actuelle de son esprit, et la sensation même du passé de telle image s’accompagnait de cette notion que passé est un fait du présent – une sorte de… couleur de quelque image – ou bien c’est une promptitude de réponse précise et exacte.

 

Jusqu’à un âge assez mûr, M. Teste ne se doutait pas le moins du monde de la singularité de son esprit. Il croyait que tous étaient comme lui. Mais il se trouvait plus sot et plus faible que la plupart. Cette observation le conduisit à noter ses faiblesses, parfois ses succès. Il remarqua qu’il était assez souvent plus fort que les plus forts et plus faible que les plus faibles ; remarque très grave qui peut conduire à une politique d’abus et de concessions étrangement distribués.

 

Souvenirs de M. Teste. – Journal de l’ami de Teste176.

 

Un des dadas de Teste, non le moins chimérique, fut de vouloir conserver l’art – Ars177 – tout en exterminant les illusions d’artiste et d’auteur. Il ne pouvait souffrir les prétentions bêtes des poètes – ni les grossières des romanciers. Il prétendait que des idées nettes de ce qu’on fait conduisent à des développements bien plus surprenants et universels que les blagues sur l’inspiration, la vie des personnages, etc… Si Bach eût cru que les sphères célestes lui dictassent sa musique178, il n’eût pas eu la puissance de limpidité et la souveraineté de combinaisons transparentes qu’il obtient. Le staccato.

Quelques pensées de Monsieur Teste179

Il faut entrer en soi-même armé jusqu’aux dents.

 

Faire en soi le tour du « propriétaire ».

 

État d’un être qui en a fini avec les mots abstraits, – qui a rompu avec eux.

 

Créer une sorte d’angoisse pour la résoudre.

 

— La partie jouée avec soi-même.

L’action sur les autres jamais oublieuse de leur mécanique – des quantités, intensités, potentiels – et non seulement les traite comme des soi-mêmes mais comme machines, animaux, – d’où un art.

 

« C’est une de mes remarques très anciennes et que j’ai la faiblesse de préférer, que les hommes se ressemblent d’autant plus qu’on les observe dans un temps plus court – au point qu’ils ne se distinguent pas dans l’instant, et c’en est une autre, non moins chère à mon esprit, que la même similitude croissant jusqu’à l’identité, résulte de l’intensité de leurs émotions. »

(Cf. M. Teste180.) Il est naturel de chercher si ces deux aspects-limites de l’identification (neuropsychique) ne se lieraient pas.

La hâte suffit d’ailleurs – la surprise, etc…

Il y a donc des conditions aux limites.

 

— Le fond de la pensée est pavé de carrefours.

— Je suis l’instable.

— L’esprit est la possibilité maxima – et le maximum de capacité d’incohérence.

— Le MOI est la réponse instantanée à chaque incohérence partielle – qui est excitant.

 

Je veux n’emprunter au monde (visible) que des forces – non des formes, mais de quoi faire des formes.

Point d’histoire – Point de Décors – Mais le sentiment de la matière même, roc, air, eaux, matière végétale – et leurs vertus élémentaires.

Et les actes et les phases – non les individus et leur mémoire.

 

La première chose est de parcourir son domaine181.

 

Puis on y met une clôture, car bien qu’il soit limité par d’autres circonstances extérieures, on veut être pour quelque chose dans cette limitation qu’on n’a pas voulue.

L’homme s’essaie à vouloir ce qu’il n’a pas voulu.

On lui donne une prison dont il dit : Je m’enferme.

On n’en sort pas plus que celui-là ne sort du cachot qui en a compté les pierres – ou que les phrases qu’on peut sur les murs tracer, ne font choir les murs.

 

Personne n’aurait l’idée d’expliquer le mouvement par des considérations de couleur, tandis que le contraire est ou fut tenté182. Il y a donc inégalité. C’est peut-être que nous sommes sources de mouvements et non de couleurs – et que ce pouvoir est la condition de l’explication.

Je dis : sources. Mais comme nous le sommes de douleur ou de volupté. Nous sentons « venir de nous » des… (je ne sais comment dire) – des modifications – des valeurs – des grandeurs, des « sensations » – des « accélérations » qui sont à la fois le plus nôtres et le plus étrangères, nos maîtres, nos nous du moment, et du moment-venant.

Comment décrire ce fond si variable et sans référence – qui a les rapports les plus importants, mais les plus instables avec « la pensée ». La musique seule en est capable. Sorte de champ qui domine ces phénomènes de la conscience – images, idées, lesquels sans lui ne seraient que combinaisons, formation symétrique de toutes les combinaisons.

Cf. M. Teste – opposition épique de cette objectivité combinatoire et du champ en question.

 

L’esprit ne doit pas s’occuper des personnes ;

De personis non curandum183.

 

Ce qui importe véritablement à quelqu’un – j’entends à ce quelqu’un qui est unique et seul par essence – c’est justement ce qui lui fait sentir qu’il est seul.

C’est ce qui lui apparaît quand il est véritablement seul (même étant matériellement avec d’autres).

 

Considérer ses émotions comme sottises, débilités, inutilités, imbécillités, imperfections – comme le mal de mer et le vertige des hauteurs, qui sont humiliants.

… Quelque chose en nous, ou en moi, se révolte contre la puissance inventive de l’âme sur l’esprit.

 

… Parfois, c’est QUELQU’UN d’entièrement étranger au corps et à la sensibilité, aux intérêts de SOI, qui prend la parole.

Il voit et qualifie froidement la vie, la mort, le danger, la passion, tout l’humain de l’être, – comme un autre, un témoin tout intelligence…

Est-ce l’âme ?

Mais non. Car ceci est comme au delà de toute « affectivité ». C’est connaissance pure, avec une sorte de singulier mépris et détachement du reste, – comme un œil verrait ce qu’il voit, et n’y donne aucune valeur non chromatique… Ceci compterait les boutons de la veste du bourreau…

 

Je méprise ce que je sais – ce que je puis184.

Ce que je puis est de même faiblesse ou force que mon corps. Mon « âme » commence au point même où je n’y vois plus, où je ne puis plus rien – où mon esprit se ferme devant soi-même la route – et revenant des plus grandes profondeurs, regarde avec pitié ce que marque la ligne de sonde, et ce que rapporte la nasse où il trouve les misérables proies saisies dans le médiocre abîme… Que de peine, que de bonheurs pour cette capture ! Et qu’est-ce qui est le plus ridicule : de se ronger ou d’exulter devant ce qu’on se répond ?

 

Le seul espoir de l’homme est la découverte de moyens d’action qui diminuent son mal et accroissent son bien, c’est-à-dire qui directement ou indirectement donnent à sa sensibilité de quoi agir sur elle-même, selon elle-même.

Ici, un bilan de ce qui a été fait en ce sens. La sensibilité est tout, supporte tout, évalue tout.

 

Les « Idées » sont pour moi des moyens de transformation – et par conséquent, des parties ou moments de quelque changement.

Une « idée » de l’homme « est un moyen de transformer une question ».

 

Tu es plein de secrets que tu appelles Moi.

Tu es voix de ton inconnu.

 

Je ne me sens aucun besoin des sentiments d’autrui, et je n’ai point plaisir à les emprunter. Les miens me suffisent. Quant aux aventures, elles peuvent me divertir à la condition que je ne perçoive pas que je les puis modifier sans effort.

 

Je n’ai besoin de rien. Et même ce mot de besoin n’a pas de sens pour moi. Donc je ferai quelque chose. Je me donnerai un but ; et pourtant, rien n’est hors de moi. – Je ferai même des êtres qui me ressemblent quelque peu, et je leur donnerai des yeux et une raison. Je leur donnerai aussi un très vague soupçon de mon existence, tel qu’ils soient conduits à me la dénier par cette raison que je leur ai conférée ; et leurs yeux seront faits de telle sorte qu’ils voient une infinité de choses et non moi-même.

Ceci réalisé, je leur donnerai pour loi de me deviner, de me voir malgré leurs yeux, et de me définir malgré leur raison.

Et je serai le prix de cette énigme. Je me ferai connaître à ceux qui trouveront le rébus univers et qui mépriseront assez ces organes et ces moyens que j’ai inventés pour conclure contre leur évidence et contre leur pensée claire.

 

Je ne suis pas tourné du côté du monde. J’ai le visage vers le MUR. Pas un rien de la surface du mur qui me soit inconnu.

 

Pour moi – dit-il – les sentiments les plus violents se présentent avec quelque chose en eux – un signe – qui me dit de les mépriser. – Simplement, je les sens venir d’au delà de mon royaume, une fois pleuré, une fois ri.

 

La douleur est due à la résistance de la conscience à une disposition locale du corps185. – Une douleur que nous pourrions considérer nettement et comme circonscrire deviendrait sensation sans souffrance – et peut-être arriverions-nous par là à connaître quelque chose directement de notre corps profond – connaissance de l’ordre de celle que nous trouvons dans la musique. La douleur est chose très musicale, on peut presque en parler en termes de musique. Il y a des douleurs graves et d’aiguës, des andante et des furioso, des notes prolongées, points d’orgue, et des arpèges, des progressions – de brusques silences, etc…

 

— Bien (dit M. Teste). L’essentiel est contre la vie.

 

Liberté – Généralité.

 

Tout ce que je fais et pense n’est que Specimen de mon possible.

L’homme est plus général que sa vie et ses actes. Il est comme prévu pour plus d’éventualités qu’il n’en peut connaître.

M. Teste dit : Mon possible ne m’abandonne jamais.

 

— Et le Démon lui dit : Donne-moi une preuve. Montre que tu es encore celui que tu as cru être.

Fin de Monsieur Teste

Il s’agit de passer de zéro à zéro. – Et c’est la vie. – De l’inconscient et insensible à l’inconscient et insensible.

Le passage impossible à voir, puisqu’il passe du voir au non voir après être passé du non voir au voir.

Le voir n’est pas l’être, le voir implique l’être. Non exactement l’être, le voir. On peut être sans voir, ce qui signifie que le voir a des coupures. – On s’avise des coupures par les modifications survenues… qui sont révélées par un voir qui s’appelle mémoire. La différence entre le voir « actuel » et le voir « souvenir » si elle est discontinue, et si le voir actuel ne la contient pas, s’attribue à un « temps » intermédiaire. Cette hypothèse n’a jamais été trouvée en défaut.

Le regard étrange sur les choses, ce regard d’un homme qui ne reconnaît pas, qui est hors de ce monde, œil frontière entre l’être et le non-être, – appartient au penseur. Et c’est aussi un regard d’agonisant, d’homme qui perd la reconnaissance. En quoi le penseur est un agonisant, ou un Lazare, facultatif. Pas si facultatif.

 

M. Teste me dit186 :

Adieu. Bientôt va – finir – une certaine manière de voir. Peut-être brusquement et maintenant. Peut-être cette nuit avec une dégradation qui peu à peu s’ignorera elle-même… Cependant j’ai travaillé toute ma vie à cette minute.

Tout à l’heure, peut-être, avant d’en finir, j’aurai cet instant important, – et peut-être me tiendrai-je tout entier dans un coup d’œil terrible187 – Pas possible.

 

Les syllogismes altérés par l’agonie, la douleur baignant mille images joyeuses, la peur jointe à de beaux moments passés – quelle borne !

Quelle tentation, pourtant que la mort.

Une chose inimaginable et qui se met dans l’esprit sous les formes du désir et de l’horreur, tour à tour.

 

Fin intellectuelle. Marche funèbre de la pensée.

1. C.I.248.

2. Voir p. 1513-1524.

3. Voir p. 159-168, la Notice.

4. Voir p. 370-373, l’Introduction de la deuxième section de cette édition.

5. Voir p. 371 sq.

6. C’est la « Promenade » (voir p. 1063 sq.).

7. C.V.231.

8. Lettres inédites, archives de la famille Valéry.

9. L’expression de « Cycle Teste », dont Valéry use parfois, apparaît pour la première fois en 1930 dans les Morceaux choisis. Elle y intitule la dernière section du livre qui reprend des fragments de l’édition de 1926.

10. An Evening with M. Teste figure dans le vol. LXXII, no 2, february 1922, p. 158-168.

11. Aventures de l’esprit, Émile-Paul, 1929, p. 136.

12. Lettre inédite du 12 avril 1924, BNF.

13. Voir p. 1058 sq.

14. Voir p. 1052.

15. La « Lettre du Capitole » (voir p. 1646 sqq.), une lettre adressée au critique Paul Souday et quelques lettres à Louÿs. On notera que si cette édition redonne sans changement la préface et la Soirée de 1926, les autres textes sont très légèrement remaniés.

16. Reprises en plaquette l’année suivante chez Ronald Davis sous le titre de Madame Émilie Teste. Lettre à un ami.

17. Voir p. 1029.

18. BNF, Naf 19026, f° 64.

19. Voir p. 936, « Le Montpellier de 1890 ».

20. Voir p. 1030.

21. Voir Monsieur Teste, note 101.

23. Lettre du 26 juillet 1925, in Jean Prévost et Paul Valéry, Marginalia, Rhumbs et autres, p. 434.

24. Page 95 de l’édition de 1946.

25. Voir t. 3, p. 1354.

26. C.XXVI.346.

27. BNF, Naf 19084, fos 116-138.

28. C.XXIII.289.

29. Lettre inédite non datée [septembre 1944], Médiathèque de Sète.

30. Voir p. 1076.

31. Voir p. 1021.

32. Voir p. 1063.

33. Voir t. 2 de cette édition, p. 100.

34. Voir p. 1071.

35. BNF, Naf 19026, f° 140.

36. Voir p. 1072.

37. T. 3 de cette édition, p. 1384.

38. Voir p. 1072, « Début du portrait ».

39. Voir p. 1017.

40. Voir p. 1030.

41. Voir p. 160, la Notice de la Soirée, et t. 3, p. 1180.

42. Voir p. 182 et p. 1084.

43. Jean Prévost, Paul Valéry, Marginalia, Rhumbs et autres, p. 75-79. Voir aussi p. 1071, « Début du portrait ».

44. Voir p. 1073.

45. BNF, Naf 19026 f° 115.

47. Leitmotiv valéryen. Voir p. 20, la Préface de cette édition.

49. Au sens, déjà donné comme vieilli par Furetière (1690), de « diviser », « partager ».

51. On retrouve ici le ton d’autobiographie intellectuelle du Discours de la méthode que Valéry a beaucoup lu, et qui a marqué la Soirée (voir p. 159).

52. « Robinsonisme » que Valéry évoque souvent dans les Cahiers. Voir p. 19, la Préface de cette édition, mais aussi L’Idée fixe (t. 2 de cette édition, p. 118). Sur ce motif de l’île, voir p. 1038, la « Lettre de Madame Émilie Teste ».

53. En 1926 et 1927, ce membre de phrase n’est pas souligné.

54. Cette épigraphe (qui ne figurait pas dans la version de 1896 ni dans celle de 1906) apparaît dans la réédition de 1919 suivie de la mention de sa source : « M. de Raey à M. Van Limborch », mention qui disparaît ensuite. La phrase complète est : « Vita Cartesii res est simplicissima & Galli eam corrumperent » (« La vie de Descartes est une chose très simple et les Français la corrompraient »). Elle figure dans la préface de la Vie de Monsieur Descartes (1691, p. XXX) d’Adrien Baillet que Valéry affectionnait. Baillet y raconte qu’ayant demandé à Philippe Van Limborch, professeur de théologie à Amsterdam, de recueillir, pour sa biographie, le témoignage de Johannes de Raey, professeur de philosophie dans la même ville, celui-ci avait, par cette réponse, refusé de fournir la moindre information.

55. On lit déjà dans le Carnet de Londres de 1894 (Gallimard, 2005, p. 114) : « La bêtise ne sera jamais mon fort. »

56. En 1919, 1926 et 1927, les points-virgules sont des virgules, comme en 1896.

57. On lit au début des Cahiers : « Nous portons dans notre mémoire quelques centaines de visages / dix arbres / dix grands spectacles / 20 livres » (C.I.50).

58. En 1919, « dans le but d’éclairer quelque ».

59. Il faut se garder de surestimer l’importance de cette date, mais Valéry, qui s’apprête à regagner Montpellier après une année passée à Paris auprès de sa mère et de son frère qui préparait l’agrégation de droit, traverse, en cet octobre 93, des jours particulièrement, et parfois douloureusement, vides. Et ce prologue – « Souvent, j’ai supposé que tout était fini pour moi » – est lourd d’une tristesse latente, qui traverse d’ailleurs l’ensemble du texte, bien loin de l’audace conquérante et de la sensualité euphorique du Léonard.

60. C’est bien la faculté d’identification telle qu’elle apparaît chez Poe, dans La Lettre volée : « Quand je veux savoir jusqu’à quel point quelqu’un est circonspect ou stupide […] ou quelles sont actuellement ses pensées, je compose mon visage d’après le sien, aussi exactement que possible, et j’attends alors pour savoir quelles pensées ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon cœur, comme pour s’appareiller et correspondre avec ma physionomie » (trad. de Baudelaire, « Histoires, essais et poèmes, Le Livre de Poche, « La Pochothèque », 2006, p. 141). Cette faculté d’identification est déjà évoquée dans l’Introduction (voir p. 886).

61. En latin, « mûrir ». Le mot vient d’une certaine manière conclure ce qui était dit juste avant : « […] beaucoup d’autres années avaient été disposées pour mûrir ses inventions et pour en faire ses instincts. Trouver n’est rien. Le difficile est de s’ajouter ce qu’on trouve. » Thème de la croissance repris ensuite par « nourrir » et « arroser de nombre ».

62. En 1919, « dans la limite d’un but » comme en 1896.

63. Ces phrases, presque identiques, figurent dans les Cahiers (C.I.126).

64. En 1919, « a voulu » comme en 1896.

65. En 1919, « quelqu’une » comme en 1896.

66. Formule directement reprise des Cahiers (C.I.46).

67. En 1919, « lui-même », comme en 1896.

68. Toutes ces formules (biffées, parce que utilisées ici) figurent à l’identique dans les Cahiers (l’édition du CNRS ne les donne pas ; voir l’édition 1894-1914 de Gallimard, t. 1, p. 143).

69. Autre phrase biffée des Cahiers : « Et que m’importe leur talent, leur génie » (op. cit., p. 151).

70. Cf. l’Introduction : « Il est aisé de se rendre universel ! » (voir p. 875).

71. Signe du prix que Valéry lui accorde, la phrase figurait déjà sous une forme voisine dans les brouillons de l’Introduction (BNF, Naf 19054, f° 9 v°). En 1889, le tout jeune Valéry écrivait dans le « Conte vraisemblable » : « Quand il lisait les grands, les connus, les victorieux, des rages le prenaient de ne pas être lui aussi créateur de chefs-d’œuvre » (voir p. 276).

72. C’est mot pour mot ce que pensait le jeune Valéry inquiet d’être sans emploi, et la description du logis de Teste est étonnamment proche de ce qu’était la chambre, « quelconque », elle aussi, qu’occupait Valéry dans sa pension de la rue Gay-Lussac – avec cette différence qu’elle était encombrée « de papiers et de plumes ».

73. Au tout début de 1924, Valéry notera encore : « Combat de l’intellect et du mal aigu. / Le plus étonnant sujet » (C.IX.756). En 1919, une ligne blanche après ce paragraphe.

74. La même image se retrouvera dans Mélange (t. 3 de cette édition, p. 98) : « Comme le grand navire s’enfonce et sombre lentement gardant ses ressources, ses machines, ses lumières, ses instruments… / Ainsi dans la nuit et dans le dessous de soi-même l’esprit descend au sommeil avec tous ses appareils et ses possibles. »

75. En 1919, « devant », qui est peut-être une coquille.

76. On lit aux toutes premières pages des Cahiers : « Alors, avant de travailler, je pense à tous ceux que je connais, à tous ceux qui m’ont fait plaisir, bêtes, choses et figures, – moments » (C.I.16).

77. On lit dans un Cahier de 1899 : « L’homme qui se sait par cœur. / Vieille chanson mienne » (C.I.649).

78. En 1919, « de ces », comme en 1896.

79. Clin d’œil à Louis Lambert ? Ce n’est pas impossible. Valéry avait lu le roman de Balzac, et savait que si son héros, à la différence de Teste, veut être célèbre, il a en commun avec lui d’être un « chimiste de la volonté ».

80. Voir p. 1069, le « Nouveau fragment » : « Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit. »

82. Écho de Pascal, et du célèbre fragment intitulé « Divertissement » : « Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs », etc. (Pensées, Le Livre de Poche, 2000, p. 121). Dans les Cahiers, Valéry a noté ces mots accompagnés du numéro de l’édition Havet : « Penser de plus près… / Pascal 59 » (C.I.64).

83. Cf. « On s’endort à propos de n’importe quoi » (C.I.138).

84. Curieusement, et sans doute par inadvertance, les éditions de 1926, 1927 et 1931 referment le texte sur des guillemets, de même qu’en 1896, alors que la première phrase n’est plus précédée de guillemets. L’édition de 1919 donne en dessous la date : « 1896 », et celles de 1926 et 1927, à tort, « 1895 », mentions qui disparaissent dans l’édition de 1931.

85. Cette Note qui précède la « Lettre » n’apparaît que dans le numéro de Commerce qui la publie à l’automne 1924. Le sommaire de la revue ne mentionne d’ailleurs pas le nom de Valéry, mais porte : « Émilie Teste : Lettre ».

86. Cf. la Soirée (voir p. 1020) : « Si cet homme avait changé l’objet de ses méditations fermées, s’il eût tourné contre le monde la puissance régulière de son esprit, rien ne lui eût résisté. »

87. Cf. le titre du livre d’Adèle Hugo : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (1863).

88. Cf. la « Fin de Monsieur Teste » (voir p. 1084) : « Tout à l’heure, peut-être, avant d’en finir, j’aurai cet instant important, – et peut-être me tiendrai-je tout entier dans un coup d’œil terrible – Pas possible. »

89. En 1926 et 1927, « ou à un peu moins ».

90. En 1926 et 1927, point d’interrogation.

91. En 1926 et 1927, « plus familier ».

92. Voir p. 1001, la Notice.

93. En 1926 et 1927, « et je ne puis consentir ».

94. Cf. cette note de 1899 : « Amitié, c’est pouvoir être faibles ensemble. Bêtes même » (C.I.809).

95. Cf. la Soirée (voir p. 1016) : « Je l’ai entendu désigner un objet matériel par un groupe de mots abstraits et de noms propres. »

96. Cf. le mot de Valéry à Pierre Louÿs, le 30 août 1890 : « Je suis plusieurs. »

97. Sur le « robinsonisme » de Valéry, voir p. 19, la Préface de cette édition, mais aussi L’Idée fixe (t. 2 de cette édition, p. 118 et la note 1). Valéry écrit d’ailleurs dans sa préface (voir p. 1012) : « Je m’étais fait une île intérieure que je perdais mon temps à reconnaître et à fortifier… » On notera qu’il a entrepris en 1923 un « Robinson » qui prendra place dans les Histoires brisées (t. 3 de cette édition, p. 1336-1348).

98. La formule est chère à Valéry (cf., par exemple, C.III.856, C.X.730 et C.XXIX.804-805) et renvoie à sa conception du Moi pur indépendant des qualités de la personne et qui est aussi une sorte de Moi-Dieu : « L’orgueil hisse le moi à la dignité d’axe du monde. Et en vérité il l’est ; mais il l’est quel qu’il soit, sans égard à la valeur de l’homme. / Sentiment de l’unicité » (C.VII.390). Or, précisément, Mme Teste vient d’évoquer l’orgueil de son mari. Voir aussi C.XI.643 : « Mr Teste est un mystique et un physicien de la Self-conscience – pure et appliquée. »

99. Espérance qui est, comme on sait, une vertu théologale.

100. Souvenir du Montpellier de sa jeunesse évoqué dans un poème en prose de 1889, « Les vieilles ruelles » (voir p. 268 sq.). Le Jardin botanique évoqué ensuite est également celui de Montpellier, où il aimait à conduire ses amis, Gide en particulier. Voir p. 927, « Ambroise, au Jardin Botanique… ».

102. Voir Monsieur Teste, note 22.

103. Sur la genèse de ce texte, voir p. 1001, la Notice. Ces pages paraissent aussi dans le numéro de l’hiver 1925 (VI) de la revue Commerce.

104. Souvenir, peut-être, du mot de Meredith à Valéry, en 1894 : « Le cerveau a besoin du noir » (voir p. 975). Une première version beaucoup plus courte de ce poème en prose figure dans un Cahier de 1918 (Poésie perdue, p. 131 sq.).

105. « Je ne sais ce que c’est que la vie d’un coquin, je ne l’ai jamais été ; mais celle d’un honnête homme est abominable » (lettre du 22 décembre 1816 [3 janvier 1817] de Joseph de Maistre au chevalier de Saint-Réal, Œuvres complètes, Lyon, Vitte, 1886, t. XIV, p. 10).

106. Que ce fragment soit repris presque identiquement d’un Cahier de 1904 (C.III.326) montre que l’intérêt de Valéry pour cette question de la sottise est ancien : de nombreuses notes lui sont en particulier consacrées dans Tel Quel I et Tel Quel II où on lit par exemple (t. 3 de cette édition, p. 585) : « Le sot est un rudiment. Il montre des lois trop simples de combinaisons mentales. »

107. En 1926 et 1927, « Je ne suis fait ».

108. Les éditions de 1926 et 1927 ajoutent ensuite après une virgule : « rien que de relations nettes ».

110. En 1926 et 1927, ce fragment se trouve plus bas, après « En attendant, qu’importe le reste ! ».

111. Dans les Cahiers (Poésie perdue, p. 105-106), ce poème en prose de 1913, quasi identique porte le sigle PPA (à ce sujet, voir t. 3 de cette édition, p. 437).

112. En 1926 et 1927, ce fragment se trouvait après le « Poème » qui suit.

113. En 1926 et 1927, « au-dessus ».

114. C’est-à-dire traduit du langage privé, intérieur, de Valéry. Une première version de ce poème ici peu remanié figure, sous le même titre, dans un Cahier de 1918 (Poésie perdue, p. 131). Une autre version se trouve dans un cahier de brouillon consacré à Charmes (BNF, Naf 19010) et commencé en 1918. En 1926 et 1927, le texte commence, comme dans les Cahiers, par : « J’allais peut-être vous aimer » – début qui a sans doute disparu ici par inadvertance –, et le poème n’est pas en italique.

115. Une première version beaucoup plus courte de ce poème figure, sous le même titre, dans un Cahier de 1918 (Poésie perdue, p. 128 sq.). Le sigle PPA (à ce sujet, voir t. 3 de cette édition, p. 437) porté sur le Cahier manuscrit n’est pas reproduit dans l’édition du CNRS. Lors du classement de certains textes en vue d’une publication des Cahiers, Valéry a aussi placé ce texte sous la rubrique « Ego », ce qui souligne sa valeur d’autoportrait.

116. Dans les Cahiers, ce poème, ici peu remanié, a connu deux versions très proches, en 1904, puis en 1909 (voir Poésie perdue, p. 77-78 et 86).

117. Il n’est pas indifférent de noter que cette page, ici peu remaniée, mais un peu augmentée, a été écrite dans les Cahiers (C.IV.479) en 1910, à un moment de marasme intérieur où Valéry, en dépit des joies familiales, souffrait de ne plus écrire et de se considérer comme une intelligence en berne.

118. Du 21 mars au 31 mai 1924, Valéry est en Suisse, puis en Italie, enfin en Espagne.

119. Cf. ce que Valéry dit de l’art moderne dans « Léonard et les philosophes » (t. 2 de cette édition, p. 367) : « La Beauté est une sorte de morte. La nouveauté, l’intensité, l’étrangeté, en un mot, toutes les valeurs de choc l’ont supplantée. »

120. En 1926 et 1927, « trouvais ».

121. « Le démon de l’analogie » est le titre d’un poème en prose de Mallarmé.

122. Malraux fera de cette expression le titre du chapitre IX de L’Homme précaire et la littérature.

123. En 1905, Einstein établit que la lumière est constituée de grains (quanta) d’énergie. D’où l’allusion, plus bas, aux électrons qui sont des quanta d’électricité.

124. En 1926 et 1927, « mouvement inépuisable ».

126. Après une virgule, le texte de 1926 et 1927 ajoute : « d’autres pâlissaient. »

127. La phrase figure dans l’Institution oratoire (X, 1, 26). Après judicio, Valéry a omis « de tantis viris ». À la fin de sa préface à Iphigénie, Racine traduit ainsi : « Il faut être extrêmement circonspect et très retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, de peur qu’il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce que nous n’entendons pas. »

128. Sur cette question de l’obscurité en littérature, voir Très au-dessus d’une pensée secrète, p. 63-65.

129. Cf. L’Idée fixe (t. 2 de cette édition, p. 127) : « Quand on emprunte ce mot sans s’y arrêter… On passe un fossé sur une planche, et cela va. Mais il ne faudrait pas s’amuser à stationner ni se mettre à danser sur elle. »

130. Le 8 novembre 1894, Valéry déjà écrivait à Gide : « Ce qui m’a le plus frappé au monde, c’est que personne n’allait jamais jusqu’au bout. » Et vers la même époque, c’est la tâche que s’assignait le jeune écrivain : « TO GO TO THE LAST POINT. Celui au-delà duquel tout sera changé » (C.I.202).

131. Le manuscrit d’un état du texte (BNF, Naf 19025, f° 63) porte en sous-titre : « Poème du présent, de la netteté, de l’accommodation. » Les autres états ne portent pas de titre.

132. Ces dernières lignes sont très proches de la fin du « Nouveau fragment » (voir p. 1070).

133. Au-dessus, Valéry a noté au crayon : « Hasard – rencontres. »

134. « Touffus » et « interminable » sont rayés au crayon.

135. Une version un peu différente de ces deux derniers paragraphes figure dans les Cahiers (C.I.728) ; elle a été dictée à Mme Valéry durant l’été de 1900.

136. Mot barré d’un petit trait oblique qui n’est pas nécessairement une biffure.

137. À partir d’ici, les éditeurs de 1946 ont suivi un état du texte qui s’arrête à « vide singulier » ; je donne le dernier état, à la fois corrigé et allongé.

138. Trois mots rayés au crayon.

139. Dans le manuscrit, la parenthèse n’est pas refermée.

140. Mot rayé au crayon.

141. À partir de « et ma façade », il s’agit d’un ajout au crayon visiblement improvisé. D’où la bizarrerie syntaxique de la dernière phrase. Très différent de ce qui précède, ce dernier paragraphe ressemble étrangement à Agathe, en particulier à sa fin (voir p. 365).

142. On lit dans un Cahier de 1898 : « Nul n’est l’homme » (C.I.216).

144. Valéry a entouré au crayon, comme pour les souligner, les mots qui vont de « l’être » jusqu’à « durable ».

145. Phrase ajoutée au crayon, puis rayée.

146. Au-dessus, Valéry a noté au crayon : « Si l’on prend un petit collégien, etc. »

147. Depuis « faisant agir », le manuscrit est barré d’une croix au crayon.

148. Mot rayé au crayon.

149. Idem.

150. On lit dans un Cahier de 1898, période où s’ébauche ce texte : « L’hypothèse de la science est que le monde est mal connu » (C.I.229).

151. Mot rayé au crayon.

152. Trois mots rayés au crayon.

153. Ces lignes, et celles qui suivent, figurent déjà dans le premier état du texte, écrit durant l’affaire Dreyfus, et elles font clairement écho aux idées du Valéry de 1898 qui notera en 1931 : « Pas “méchant” – c’est-à-dire souffrant de voir souffrir, – toutefois je me sens un cœur brusquement impitoyable à l’égard de celui qui spécule sur mon apitoiement – ou qui veut parvenir à ses fins en usant d’invocations à la Justice, à l’Humanité etc. Tellement que, même ses adjurations aux Idoles fondées, – je m’établis dans l’Injustice et me retranche dans le dégoût de cette comédie, dont j’ai vu maint exemple. Ceci m’explique mon attitude dans l’affaire célèbre » (C.XV.421).

154. On lit dans un Cahier de 1898 : « Entre hommes logique ou guerre » (C.I.255).

155. On lit dans un Cahier de 1898 : « La politesse, c’est faire la preuve » (C.I.247). Dans la Soirée, Teste disait déjà : « Celui qui me parle, s’il ne prouve pas, – c’est un ennemi » (voir p. 1028).

156. Selon ce que Valéry théorise sous le nom de Fiducia, un certain nombre de mots qui ne sont que des noms tirent leur sens de la seule confiance qu’on leur accorde.

157. Valéry a mis cette phrase entre crochets droits et noté « supprimer ». Cette dernière page a été omise dans l’édition de 1946. La rupture de ton avec ce qui précède s’explique par le fait que l’on passe du f° 7, selon la pagination de Valéry, au f° 9, le f° 8 étant perdu. Jusqu’à « qui les enlève », le haut du feuillet est barré d’un discret trait de crayon oblique.

158. Mot rayé à l’encre.

159. À partir d’ici, Valéry a placé cette fin de paragraphe entre crochets et noté en marge « refaire ».

160. Ces dernières lignes sont très proches d’un fragment de la « Promenade » (voir p. 1063).

161. Phrase ajoutée tardivement à l’encre rouge.

162. Le titre est porté au crayon, en haut de cette première page (BNF, Naf 19026, f° 140). Tous les manuscrits des fragments qui suivent n’ont pas été conservés.

163. On songe à L’Idée fixe (t. 2 de cette édition, p. 100) où Valéry évoque un possible article dans la revue médicale L’Encéphale : « Je vois cela : Edmond T… 50 ans. Pas d’antécédents connus. Instruction moyenne. Âge mental ? Combien me donnez-vous ? » De manière fort intéressante, dans la marge du premier feuillet qui est le seul à être dactylographié (f° 140), il a noté à la main : « Les Documents / Lettre de Mlle X / Examen du Dr W / Récit de / Mss [Manuscrit] trouvé dans une cervelle. »

164. Note manuscrite en bas de la page : « Entre le rêve et la veille, le génie et la folie, l’attention et la distraction, l’idiot et le joueur d’échecs, le mystique et l’être quasi animal, que de degrés et surtout que de niveau[x] du même au même, au point que le même ne signifie qu’une approximation grossière. »

165. L’abbé disait déjà (voir p. 1038) : « Les visages de Monsieur votre mari sont innombrables ! » Les notes qui vont jusqu’à « etc. » sont consignées au verso d’un programme de radio du 12 avril 1937.

166. C’est le sens du mot latin testis, qui apparaît un peu plus bas. Sur le choix de ce nom de Teste par Valéry, voir p. 164.

167. Le « doux sein ».

168. Ce passage a été omis par les éditeurs de 1946.

169. Cf. la fin de la Soirée (voir p. 1026) : « Tout à coup, il se tut. Il souffrit. »

170. En marge de cette phrase : « Je m’accomplis. »

171. Le petit paragraphe suivant a été omis par les éditeurs de 1946.

172. C’est naturellement Valéry qui se projette ici en Teste, et d’ailleurs ce paragraphe et le suivant sont repris d’un Cahier de 1927 (C.XII.345). Cf. la lettre à Gide du 18 mars 1908, après l’expérience douloureuse d’une lecture : « Imagine ce que c’est que de trouver, en plein travail, deux ou trois idées les plus chères, les plus originales, les plus centrales – découvertes à peu près par autrui, utilisées largement. »

173. La formule est récurrente (C.III.239, C.IV.360 et C.XII.345), et figure aussi dans « Fragments des mémoires d’un poème » (t. 3 de cette édition, p. 787), ainsi que dans Tel Quel I (t. 3 de cette édition, p. 197). En 1922, Valéry note : « Ma devise fut : Cache ton Dieu. Et encore ce dernier mot est une hérésie, car il me vient d’autrui » (C.VIII.611).

174. Jusqu’à « distinctions vivantes », ce passage est repris d’un Cahier de 1929 (C.XIII.468).

175. Cette idée du dressage de son propre esprit est chère à Valéry qui la développe dans ses Cahiers sous la rubrique « Gladiator », du nom d’un célèbre cheval de course.

176. Voir p. 1005, la Notice. Cette phrase et le paragraphe suivant, ici un peu remaniés, figurent dans un Cahier de novembre 1934 (C.XVII.711).

177. Le mot latin a un sens assez large : art, mais aussi talent, habileté, métier, connaissances techniques…

178. L’Antiquité attribuait à Pythagore l’idée que le fonctionnement harmonieux du cosmos produit la musique des sphères, inaudible aux mortels.

179. Le manuscrit de ces pensées est perdu et le titre n’est sans doute pas de Valéry.

180. Cette parenthèse montre que ces pages ne sont qu’une esquisse d’un texte à venir, puisque ce sont ses propres pensées les plus liées à l’idée qu’il se fait de son personnage que Valéry consigne ici en vue de les mettre ultérieurement en relation plus étroite avec lui, ce que finalement il n’a pas fait.

181. Cf. le « robinsonisme » ou l’insularité intellectuelle de Valéry qu’évoquent bien des notes des Cahiers, la « Lettre » d’Émilie (voir Monsieur Teste note 97), mais aussi par exemple L’Idée fixe (t. 2 de cette édition, p. 118).

182. Malebranche considérait que la diversité des couleurs procède des vibrations plus ou moins rapides des vorticules – ou petits tourbillons – qui composent la lumière.

183. L’expression latine ne traduit pas tout à fait la phrase qui précède et signifie plutôt : « Il ne faut pas se soucier des personnalités / des caractères. »

184. Un peu différents, cette phrase et le paragraphe suivant se trouvent dans un Cahier de 1942 (C.XXV.584). Au-dessus, Valéry a écrit : « Faust III ? [c’est-à-dire « Mon Faust »] ou Teste ? »

186. Au-dessous du titre « Fin de M. Teste » (BNF, Naf 19025, f° 115) et au-dessus de cette ligne, Valéry a noté de la même encre : « en tête : maintenant va finir un certain devoir. » Le manuscrit de ce qui précède cette phrase est perdu.

187. Phrase qui bien sûr semble anticiper sur le projet d’Apocalypte Teste (voir p. 1003, la Notice).

*1. Cette préface a été écrite pour la deuxième traduction en anglais de la Soirée avec M. Teste [voir p. 997, la Notice. Elle est également publiée dans le numéro du printemps 1925 (IV) de la revue Commerce].

*2. Quelques bons esprits ayant admis, quoique sans preuves matérielles, que cette lettre avait été adressée à M. Teste par un écrivain de ses amis, on a cru la devoir joindre à ce recueil qui pouvait se passer d’elle, comme elle de lui. [Cette note apparaît dès l’édition de 1926. Sur la genèse de ce texte, voir p. 999.]

*3. Voir le Centaure : vol. II : Une [sic] soirée avec Mr Teste par P. V.