ARCHITECTES [Autriche depuis le début du XXe siècle]
Pratiques architecturales
En 2009, on recense pour la première fois plus d’étudiantes que d’étudiants dans le département d’architecture de l’Université technique (TU) de Vienne, mais encore seulement 184 femmes sur les 1997 professionnels enregistrés à la Chambre des architectes et des ingénieurs. Les femmes ont été admises à l’École supérieure technique, aujourd’hui TU de Vienne, à partir de 1919. Aux pionnières, comme Helene Roth (1904), Hedwig Gollob (1895-1983) ou Leonie Pilewski (1897), aujourd’hui oubliées, a succédé une génération d’architectes qui, nées dans les années 1950, ont réussi à s’imposer, à développer une expression architecturale et se manifestent par une présence internationale à travers conférences et enseignement. Margarethe Cufer (1951), installée à son compte en 1987, s’est spécialisée dans la réalisation de logements ; elle a été professeure invitée à Buenos Aires en 1989. Irmgard Frank (1953) est professeure au TU de Graz, après avoir enseigné de 1988 à 1992 à l’École polytechnique de Zurich ; elle s’inscrit dans la tradition viennoise, par ses aménagements intérieurs et sa production de meubles. Sonja Gasparin (1952), installée avec Benny Meier à Villach, a lancé de nombreux projets urbains de places et centres communaux. Martha Schreieck (1954), associée avec Dieter Henk, s’est fait un nom dans la construction scolaire ; en 2004, elle est responsable de la contribution autrichienne à la Biennale de Venise. Laura Spinadel (1958) dirige le collectif d’architecture BUSarchitektur fondé avec Claudio José Blazica (1956-2002) et est responsable, depuis 2008, du projet du nouvel ensemble de l’université d’économie de Vienne. Elle a enseigné à Buenos Aires et a été invitée en Espagne, en Allemagne, en Hongrie et au Mexique. Ulrike Tischler, qui enseigne à l’université de Graz, conçoit l’architecture comme un défi social et politique et s’est particulièrement fait remarquer par la création d’un foyer pour femmes à Kapfenberg (2003). Franziska Ullmann a une agence à Vienne, à laquelle collabore Peter Ebner (1968). Ses réalisations embrassent le logement, les bâtiments de santé et la scénographie d’expositions. Elle est actuellement professeure à l’université de Stuttgart.
Le nombre de femmes réussissant dans ce métier est allé grandissant, tandis que leurs pratiques se sont diversifiées. Celles qui sont nées durant les années 1960 sont remarquables par la diversité de leurs positions. Elles envisagent l’architecture de façon conceptuelle, analytique ou sociale et l’approchent par l’art ou la recherche. Elles se distinguent par une formation et une expérience internationales. Certaines ont choisi de s’associer à un mari ou à un collègue et créé des structures à l’envergure parfois internationale. Bettina Götz (1962) collabore depuis 1985 avec Richard Manahl (1955) au sein de l’agence viennoise Artec, dont les projets originaux ont été primés à plusieurs reprises. Elle est, depuis 2006, professeure aux Beaux-Arts de Berlin. Elke Delugan-Meissl et son mari, Roman Delugan, sont depuis 1990 à la tête d’une agence prospère. Parmi leurs nombreuses œuvres, on peut citer : à Vienne, le loft Ray 1 installé sous les toits (2003) et la plus haute tour de logements, la Mischek Tower, ou, à Stuttgart, le musée Porsche (2008). Anna Popelka (1961) et Georg Poduschka (1967), réunis sous le sigle PPAG depuis 1995 à Vienne, ont une activité allant du meuble à l’urbanisme, ils ont réalisé de nombreux immeubles comme le Wohnhof Orasteig (2009) ou le mobilier muséal du Museumsquartier (2002). Marlies Breuss a fait ses études à Vienne et à Los Angeles et fondé en 1998, avec Michael Ogertschnig, l’agence Holodeck, qui a signé une abondante production de logements tant individuels que collectifs, d’une architecture conceptuelle et contextuelle, basée sur les nouvelles technologies, le paysage et l’analyse des usages. Sabine Pollak (1960) a créé en 1995 Köb&Pollak Architektur, et réalisé de nombreuses opérations de logements, question centrale dans ses recherches et son enseignement. Après avoir enseigné à Vienne, à Milan et aux États-Unis, elle est depuis 2009 professeure d’urbanisme à Linz. Silja Tillner (1960) a fait des études à l’Académie des beaux-arts de Vienne et à l’Université de Californie. Elle s’est intéressée, entre autres, à l’infrastructure de la ceinture viennoise dans son projet Vienna Urbion (1995-2000) et fait partie, depuis 2008, du Conseil d’urbanisme de la ville. Ulrike Hausdorf (1969), Irene Ott-Reinisch (1963) ou Patricia Zacek (1962) interviennent dans le domaine du logement et de l’aménagement intérieur.
D’autres collaborations ont donné naissance à des agences prometteuses. Anna Heidi Pretterhofer a créé en 2003, avec Dieter Spath, Arquitectos, connue pour la station de police de la Karlplatz (Vienne 2006), un nœud de circulation marqué par les problèmes de drogue. Hemma Fasch, de l’agence fasch&fuchs, s’est rendue célèbre pour le Musée pour enfants de Graz (2003) ou l’école de Schwechat (2004). Marie-Thérèse Harnoncourt (1967) conçoit depuis 2000, avec Ernst Fuchs, au sein de The next ENTERprise, une architecture expérimentale signalée par la scène de plein air sculpturale de Grafenneg (2007). Kinayeh Geiswinkler-Aziz (1964), associée à son mari, s’est fait remarquer par la conception du centre de presse du Parlement autrichien à Vienne (2005).
On citera également quelques associations de femmes à l’activité professionnelle singulière. Barbara Imhof et la designer Susmita Mohanty, toutes deux spécialisées dans l’industrie spatiale, ont constitué en 2003 l’atelier Liquifer qui a des antennes à Vienne et Bombay et travaille, entre autres, pour la NASA. Rejointes, en 2005, par Waltraut Hoheneder (1960), elles constituent depuis un groupe interdisciplinaire réunissant des professionnelles combinant différentes formations, le Liquifer Systems Group. Marlies Binder, qui a une agence à Graz, a réalisé avec Irmgard Lusser et Heide Mühlfellner, le Remisenhof, premier ensemble de logements spécifiquement adapté aux femmes à Linz (2001).
Enfin, il y a les solitaires qui travaillent souvent à la lisière de la recherche et de la pratique. Anna Heringer (1977) est exceptionnelle par son activité professionnelle non conformiste et engagée : elle collabore avec une association non gouvernementale du Bangladesh, Shanti, et a construit là-bas, en recourant aux moyens et aux techniques locales, quelques logements et deux écoles, internationalement remarquées. Considérant l’architecture comme un moyen de renforcer la confiance culturelle des exclus de la globalisation tout en soutenant l’économie locale et en respectant l’équilibre écologique, elle diffuse son expérience à travers conférences et workshops (ateliers de travail et d’échange). Christiane Feuerstein (1965) associe pratique et recherche, s’interrogeant sur les particularités architecturales des logements pour personnes âgées. Gabu Heindl (1973), à la formation internationale, enseigne depuis 2007 à l’Académie des beaux-arts de Vienne et dirige le studio Gabu Wang, dont le travail se situe à la confluence du projet, de l’expérimentation et de la recherche culturelle. De la génération des années 1970 on peut citer : Azra Akšamija (1976), qui a étudié à Graz et à Princeton, où elle travaille actuellement ; les membres du réseau d’architecture Living Rooms Franziska Schruth (1973), Veronika Köllensperger (1972), Maria Kübeck (1976) et Helena Weber (1976) ; et Isabella Straus (1972), partenaire du groupe Grid Architects dont les bureaux sont à Luxembourg et à Vienne. Toutes travaillent dans un contexte artistique translocal, entre architecture, éducation et économie.
En Autriche, l’histoire de l’architecture du logement est liée à celle des femmes. En tant qu’architectes ou en tant qu’utilisatrices, elles sont à l’origine d’agencements spécifiques.
En 1911, la défenseure des droits de la femme Auguste Fickert (1855-1910) lance l’idée d’un foyer pour accueillir femmes actives et célibataires. Cet immeuble est le symbole d’idées sociales révolutionnaires exigeantes : cuisine unique centrale, ascenseur pour les repas, aspirateurs intégrés, bibliothèque et salles communes. De la cuisine rationalisée (Frankfurter Küche) dessinée par Margarete Schütte-Lihotzky* dans l’entre-deux-guerres et produite en masse au projet de logements entrepris par S. Pollak, le genre a joué un rôle central, tantôt passé sous silence, tantôt vivement débattu. En 1991, l’exposition viennoise Wem gehört der öffentliche Raum. Frauenalltag in der Stadt (« à qui appartient l’espace public. Le quotidien des femmes dans la ville ») marque un tournant : en 1992, un Frauenbüro (« bureau des femmes ») voit le jour au sein des services municipaux de Vienne et, en 1998, le secteur Femmes de la direction municipale de l’architecture, dirigé par l’architecte Eva Kail, propose la création d’un quartier modèle adapté aux femmes, le Frauen-Werk-Stadt (« atelier de femmes »). Le concept urbain est défini par F. Ullmann, les bâtiments, par Gisela Podreka (1951), Liselotte Peretti (1951) et Elsa Prochazka *(1948), auteure également du jardin d’enfants. Pour s’émanciper de la peur, sécurité, espaces extérieurs et installations collectives définiront ce quartier dont la conception des espaces libres est due à Maria Auböck (1951). Dans la foulée, en 1999, est créé un ensemble de logements pour femmes à Salzbourg, conçu par H. Mühlfellner et Ursula Spannberger (1956) et, en 2004, un deuxième quartier à Vienne, le Frauen-Werk-Stadt II dans la Troststrasse, auquel a participé Christine Zwingl (1956). Le projet d’habitation pour femme, [ro*sa], a depuis 2006 deux groupes : [ro*sa] KalYpso, réalisé en 2009 à Kabelwerk, un nouveau quartier de Vienne et [ro*sa] Donaustadt réalisé en 2010 par S. Pollak.
Depuis les réalisations de la « Vienne rouge », le logement social a, dans cette ville, une riche tradition, forte de modèles esthétiques et économiques, comme le montrent les 70 maisons du lotissement du Werkbund conçues par 32 architectes, dont M. Schütte-Lihotzky, et les immeubles d’habitation d’Adolf Loos (1870-1933) et de Josef Hoffmann (1870-1956), qui ont tous laissé des traces dans la production ultérieure. De M. Cufer à Artec, d’E. Prochazka à Holodeck, de F. Ullmann à Delugan-Meissl, le logement joue un rôle essentiel pour tous, entre engagement social et expérience. Les ensembles viennois de M. Cufer, comme les logements en bandes de l’Othellogasse (1990-1993), le lotissement Leberberg (1994-1997), l’immeuble de la Esterhazygasse (1998-2000) ou celui de la Rudolf-Virchowstrasse (2002-2007) témoignent d’une sensibilité urbaine et d’une expression avant-gardiste. Les réalisations d’Artec, elles, sont géométriques et ascétiques, qu’il s’agisse de l’ensemble d’habitations et de commerces de Bregenz (2002-2004) ou de l’immeuble viennois Am Hundtsurm (2004). E. Prochazka a opté pour un fonctionnalisme clair dans le plan d’extension du quartier viennois de Kagran ouest, qu’elle a conçu avec Ernst Hoffmann pour 3 000 logements, dont 300 lui sont dus. Pour l’agence Holodeck, l’habitat est une chorégraphie entre public et privé qui culmine dans l’intimité. Tant l’ensemble de Wolfsberg, « 22 tops » (2002-2008) que leurs maisons de Grossweikersdorf, « Looped House » (1999-2001), et de Siegenfeld, « Floating House » (2004-2005), répondent à leur interprétation du paysage et des fonctions. F. Ullmann a construit un immeuble pour plusieurs générations, « In der Wiesen », où les locataires peuvent héberger leurs parents plus âgés. Avec leur aménagement des combles des immeubles des années 1960, Delugan-Meissl, qui tentent de révolutionner le logement communal depuis des années, se placent dans la tradition des maisons d’architectes, expériences emblématiques et technologiques.
Elke KRASNY
■ BAUER A., GUMPINGER I., KLEINDIENST E. (dir.), Frauenarchitektouren. Arbeiten von Architektinnen in Österreich, Salzbourg/Munich, A. Pustet, 2004 ; KAIL E., KLEEDORFER J., Wem gehört der öffentliche Raum ? Frauenalltag in der Stadt, Vienne, Böhlau, 1991.
ARCHITECTES [Belgique depuis la seconde moitié du XXe siècle]
Bien du temps a passé avant que les femmes architectes se fassent remarquer en Belgique. Simone Guillissen-Hoa* est présentée, à juste titre, comme l’une des pionnières. Cette situation a mis du temps à changer, l’historiographie ne mentionnant que depuis les années 1980 et 1990 une « génération » plus vaste de femmes architectes, parmi lesquelles se sont illustrées Marie-José Van Hee (1950), Hilde Daem (1950), Lut Prims (1954-2000), Barbara Van der Wee et Martine De Maeseneer.
Certaines d’entre elles ont choisi de créer une œuvre plutôt personnelle. Les projets de maisons ou de rénovations de M.-J. Van Hee sont bien connus et la plupart du temps caractérisés par une architecture sobre et sensorielle, influencée par Luis Barragán et Dom Hans Van der Laan. Elle obtient son diplôme d’architecte en 1974 à l’Institut supérieur d’architecture Saint-Luc de Gand, où elle enseigne aujourd’hui. Après avoir travaillé au sein du bureau d’architecture Groep Planning et VDVH & Assoc, elle s’est installée comme architecte indépendante, à Gand, en 1990. Sa maison personnelle (1990-1998), la pharmacie et la maison Van Backlé-De Feu, à Wemmel (1991-1995), la maison Braet-De Paepe, à Gand (1991-1995), ou le cabinet d’avocats Coppens, à Roulers (1998-1999), sont représentatifs de son œuvre. En 2000, elle est chargée de transformer en musée de la Mode un immeuble du XIXe siècle situé à Anvers (ModeNatie, 2002). Elle collabore à plusieurs reprises avec le couple d’architectes Paul Robbrecht (1950) et H. Daem, par exemple pour la maison et galerie d’art Hufkens, à Ixelles (1990-1992), et le nouvel aménagement de la place Leopold-De-Wael, à Anvers (1997-1999).
H. Daem suit un autre parcours. Après avoir également obtenu son diplôme d’architecte à l’Institut Saint-Luc de Gand, elle fréquente l’Académie royale des beaux-arts de la même ville, tout en faisant un stage chez l’architecte Francis Serck. Puis elle fonde son propre bureau avec P. Robbrecht, diplômé comme elle de Saint-Luc, en 1974. Dès leurs débuts, ils s’intéressent aux développements des arts contemporains et à leurs relations avec l’architecture. Ils sont fascinés par l’histoire de l’architecture classique, en particulier celle de la Renaissance. Dans cet esprit, ils dessinent des projets à la fois classiques et modernes, autonomes et contextuels, auxquels collaborent fréquemment des artistes. Parmi les bâtiments les plus connus figurent l’immeuble d’habitations Kanaalhuizen, à Gand (1997), la nouvelle salle de concert de Bruges (1999-2000) et l’extension du musée Boijmans-Van Beuningen, à Rotterdam (1996-2003).
L. Prims choisit, elle aussi, de collaborer avec son mari, l’architecte Ronny De Meyer. Après des études au Nationaal Hoger Instituut voor Bouwkunst en Stedebouw, à Anvers, elle travaille pour les villes de Lier (1978-1979) et Anvers (1986-1991). En 1991, elle devient professeure à l’Institut Henry-Van-de-Velde. R. De Meyer et L. Prims, qui établissent leur bureau d’architecture en 1990, se font connaître par des projets caractérisés par une organisation claire et une géométrie affirmée, bien que tempérée par une prise en compte du contexte, comme dans la transformation d’entrepôts en immeuble de lofts au Hessenplein à Anvers (2000).
À l’instar de M.-J. Van Hee, B. Van der Wee choisit d’œuvrer en solitaire. Architecte à Bruxelles, elle se spécialise dans la restauration de bâtiments Art nouveau, en particulier ceux de l’architecte Victor Horta. Elle est réputée pour ses études préparatoires approfondies et son attention à la conservation de l’authenticité des ouvrages. Elle obtient son diplôme d’architecte en 1980 à l’Institut supérieur d’architecture Saint-Luc de Bruxelles et fait un stage chez l’architecte américain Michael Graves entre 1981 et 1983. Dès cette époque, elle s’intéresse aux façons dont la connaissance du patrimoine historique peut être source d’inspiration pour le travail architectural contemporain. Elle approfondit cette réflexion au Raymond Lemaire Centre for Conservation de Louvain, où elle conclut son mastère par un mémoire sur la restauration de la maison Van Eetvelde, de Victor Horta, avant d’y devenir professeure et responsable de la restauration, depuis 1988. D’autres commandes suivent, telles que la conservation de la maison personnelle de V. Horta (1991-2000) – aujourd’hui musée Horta – ou le réaménagement de son jardin d’enfants, rue Saint-Ghislain, à Bruxelles (2000-2001). Simultanément, elle développe son œuvre propre dans un langage contemporain, sans rompre le dialogue avec le contexte historique. Ainsi construit-elle, à la demande de l’université de Louvain, des maisons pour chercheurs et étudiants dans le Grand Béguinage de Louvain (1994-1995).
M. De Maeseneer se fait un nom avec une œuvre différente. En 1985, elle obtient son diplôme d’architecte à l’Institut supérieur d’architecture Saint-Luc de Gand, où elle enseignera par la suite. En 1986-1987, elle continue ses études à la Bartlett School of Architecture de Londres et, en 1988, elle fonde à Bruxelles le bureau Martine De Maeseneer Architecten, avec Dirk Van den Brande. Au début des années 1990, l’agence produit une œuvre modeste, constituée de maisons individuelles et d’immeubles de bureaux qui se référent au déconstructivisme américain. Dans leurs projets, la sémantique revêt toujours un rôle important, comme elle l’explique dans plusieurs publications, interventions et conférences internationales. Depuis le milieu des années 1990, ils conçoivent des projets plus ambitieux, comme la reconversion d’un immeuble de bureaux à Grand-Bigard (1998-2000) et quelques constructions de logements aux Pays-Bas.
Le panorama des femmes architectes en Belgique est de plus en plus diversifié. Bien que la plupart des architectes soient toujours des hommes, l’équilibre a clairement changé. Cette évolution s’observe en particulier dans le développement de l’enseignement de l’architecture où, au cours des décennies passées, le corps enseignant tout comme la population estudiantine se sont fortement féminisés. Aussi, la question « le métier d’architecte est-il féminin ? », posée en 1964 par la revue Femmes d’aujourd’hui à l’architecte Odette Filippone* – autre pionnière –, a-t-elle perdu beaucoup de sa pertinence.
Fredie FLORÉ
■ DE MAESENEER M., Ideality-3-lost, Bruxelles, La Lettre volée, 1997 ; VAN LOO A. (dir.), Dictionnaire de l’architecture en Belgique de 1830 à 2000, Anvers, Fonds Mercator, 2003.
■ KELENN A., « Architecte… au féminin », in Femmes d’aujourd’hui, no 993, 14-5-1964.
ARCHITECTES [Chine depuis le début du XXe siècle]
Au début du XXe siècle, l’existence d’une formation spécifique pour les architectes et la professionnalisation du métier sont encore des nouveautés en Chine. À cette époque, les femmes architectes sont rares et, même si leur nombre augmente dans la seconde moitié du siècle, seul un petit nombre d’entre elles a une influence. Comme dans beaucoup d’autres domaines, la formation et la pratique architecturales connaissent une période funeste lors de la révolution culturelle (1966-1976). Les universités ne peuvent revenir à un fonctionnement normal qu’à la fin des années 1970, aussi la nouvelle génération est-elle issue des promotions diplômées au début des années 1980. Bien que les femmes soient encore peu nombreuses, on trouve néanmoins parmi elles quelques personnalités exceptionnelles.
Après avoir obtenu un diplôme en 1982, puis un master en 1984, Ding Wowo (Bengbu 1957) enseigne à Nankin, où elle a étudié, et reprend la pédagogie classique qui mêle alors influences des beaux-arts et du mouvement moderne de l’architecture occidentale. Mais, à la suite de séjours à l’École polytechnique de Zurich à partir des années 1990, elle modifie son approche. Après y avoir soutenu sa thèse, elle fonde, avec quelques collègues, un nouvel institut d’architecture à l’université de Nankin et commence à expérimenter une méthode de conception architecturale destinée à la fois à des étudiants en post-diplôme et à sa propre pratique professionnelle. En tant que directrice de cet institut durant plusieurs années, elle cherche un type de formation et de pratique permettant de dépasser les influences, encore très présentes, du fonctionnalisme, né dès le XIXe siècle, et des approches stylistiques, par la « redécouverte » des caractéristiques de l’architecture moderne européenne. Elle a publié avec ses collègues plusieurs livres qui traitent des processus de la conception architecturale capables d’engendrer des formes. Par ailleurs, elle a produit des œuvres distinguées par des prix et présentées lors d’expositions internationales. Celles des années 2000 témoignent bien de l’intérêt qu’elle porte à un développement logique de la conception, dans lequel la forme architecturale résulte de l’attention portée à la fois aux considérations fonctionnelles et aux conditions de site, tel le jardin d’enfants Wujin Luoyang de 2002. Le musée du Jardin traditionnel de Suzhou, achevé en 2007, traduit l’utilisation de cette méthode à l’occasion de la conception d’un édifice culturel situé dans un quartier historique très sensible.
Diplômée en 1982, Wang Youfen (Hangzhou 1958) révèle progressivement la force de son implication et de son talent à l’Institut d’architecture de Hangzhou. Elle y devient par la suite architecte en chef adjointe. À partir de la fin des années 1980, elle étudie les théories de la conception urbaine dans le cadre d’une thèse à l’université Tongji. Elle a, depuis, réalisé plusieurs édifices publics remarquables, la plupart situés dans sa ville natale et dans des villes voisines, une région bien connue pour sa tradition de relations harmonieuses entre l’homme et la nature. Très critique envers les développements urbains destructeurs qu’a connus la Chine de la fin du XXe siècle, elle enracine délibérément ses projets dans leur contexte historique et culturel. Ses œuvres se présentent comme des combinaisons fragmentées et complexes d’espaces fonctionnels, avec des relations organiques entre les espaces intérieurs et les cours, et une approche soignée des détails. Jamais à la recherche du spectaculaire ou du théâtral, elle pense que les architectes doivent être respectueux du patrimoine local et y puiser des connaissances, considérant que leur rôle est d’améliorer les espaces urbains existants ou l’environnement attenant. Parmi ses réalisations les plus représentatives, on peut citer la rue commerçante Xiaoxhan-Xiuyufan, réalisée en 1990, et le musée Hangzhou Wushan, en 2009. Architecte en chef de l’Institut de conception et de recherche architecturales du CUC (China United Engineering Corporation), elle rejoint en 2008 le Centre de recherche pour la théorie et la conception architecturales de l’université du Sud-Est de Nankin.
C’est dans cette même université, au sein du département d’architecture, que Chen Wei (Nankin 1961) commence en 1986 sa carrière de professeure d’histoire de l’architecture et des jardins traditionnels chinois, après y avoir achevé son master. Elle est aujourd’hui connue grâce à ses nombreuses publications universitaires, dont un ouvrage sur l’art du paysage dans le sud de la Chine (2003), primé lors du 11e Concours national de livres d’excellence, et un manuel d’histoire de l’architecture chinoise qu’elle a en partie dirigé, couronné en 2005. Mais elle exerce aussi en tant qu’architecte, et la plupart de ses projets ont trait à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine culturel. Ses connaissances spécialisées, sa compréhension approfondie de la culture traditionnelle chinoise, surtout celle des jardins, confèrent à ses projets un caractère spécifique. La planification et la conception du site historique du Palais solaire (arrondissement de Hexi, Nankin 2004) témoignent de son talent, vestiges et structures modernes intégrées mettant en valeur le palais historique et ses deux pavillons. Elle aime, comme elle le dit, « voyager dans les riches pensées des jardins traditionnels chinois » et travaille, par le dessin de l’architecture et des jardins, à restituer à la vie moderne chinoise la mémoire culturelle perdue.
Ye Qing (Hangzhou 1967) suit un master d’architecture à l’université de la province de Zhejiang et commence sa carrière professionnelle au sein de l’Institut de projets et de recherches sur l’architecture de Shenzhen au milieu des années 1990, alors que la ville connaît un essor urbain sans précédent, devenant un pôle économique majeur. Depuis 2001, elle s’intéresse à l’architecture écologique avec l’IBR (Institute for Building Research) de Shenzhen, dont elle est l’architecte en chef depuis 2006. Son objectif est « la constitution d’un cadre de vie vert, sain, économique, efficace, durable ». Elle mène son groupe d’une petite unité locale à un institut de haute technologie de niveau national. Le résultat le plus représentatif de ses recherches est le siège social d’IBR (2006-2008), d’une architecture économique et bioclimatique, pour lequel elle est parvenue à diminuer les coûts (1,5 million de yuans par an) grâce aux économies d’électricité, d’eau et de charbon, réduisant ainsi la consommation de CO2. Ce bâtiment est devenu un modèle national de consommation basse et verte. Elle dirige aussi le projet du quartier résidentiel Tiyu Xincheng (Shenzhen), qui regroupe également un stade, une école de sport et un centre d’entraînement.
Wu Jie (Yixing 1971) est diplômée en 1993 du département d’architecture de l’université Tongji de Shanghai où elle a également obtenu un master en architecture en 2005. Comme beaucoup de ses collègues de sa génération, ses premières expériences sont menées dans le cadre du très actif Institut de conception et de recherche architecturales de cette université. C’est pour celle-ci aussi qu’elle réalise, en 2004, son premier projet remarqué : l’extension et la rénovation de la bibliothèque. Le succès de cet édifice est lié à une stratégie de conception visant à l’intégration, à la fois fonctionnelle et architecturale, des divers bâtiments de la bibliothèque issus de trois périodes différentes pour répondre à un campus toujours en expansion. Les parties basses, datant des années 1960, sont conservées et la nouvelle extension comble les espaces entre celles-ci et les tours. Elle utilise une forme architecturale neutre, mais qui améliore beaucoup les relations entre les différentes parties de la bibliothèque et contribue à rétablir la lisibilité de l’architecture de chaque période. Elle réalise de nombreux projets – édifices publics, lotissements résidentiels – et porte un intérêt particulier à l’intégration réussie de l’ancien et du nouveau, manière de renouveler la ville et préoccupation de la plupart des professionnels chinois.
Xu Tiantian obtient elle aussi son diplôme d’architecture dans les années 1990, à l’université Qinghua de Pékin. Elle poursuit ses études à la Graduate School of Design de Harvard, où elle est titulaire d’un master d’architecture et d’urbanisme. Comme d’autres architectes de sa génération, elle travaille pour plusieurs agences aux États-Unis et en Europe, en particulier à Rotterdam pour l’OMA (Office for Metropolitan Architecture) de Rem Koolhaas. Active à la fois dans la pratique professionnelle et dans le champ universitaire, elle enseigne à l’Académie des beaux-arts de Pékin et est invitée, en tant que critique, par plusieurs écoles, notamment par l’université Qinghua et l’Institut de technologie de l’université japonaise de Chiba. En 2005, elle fonde sa propre agence à Pékin, DnA (Design and Architecture), où elle met en œuvre une pratique interdisciplinaire d’urbanisme et d’architecture. Les projets commencent par des débats sur le contexte, le programme et leur interaction – éléments fondamentaux selon elle pour répondre à une société multiple et complexe et générer une architecture multidimensionnelle suscitant chez ses usagers expériences et explorations nouvelles. La résidence d’artistes Songzhuang (2008 et 2009), dans l’arrondissement de Tongzhou à Pékin, forme un ensemble de 20 unités, chacune constituée par une boîte combinant un espace d’habitat et un autre de travail. L’ensemble est un empilement de volumes, situé sur un ancien terrain d’entrepôts industriels, ce qui crée des configurations et des qualités spatiales expressives. Les jeux de pleins et de vides, d’ombre et de lumière, introduisent de constantes variations de l’espace collectif extérieur, extension des ateliers et lieu d’exposition des œuvres. Le musée d’Art de Kangbashi, quartier en expansion croissante de la ville nouvelle d’Ordos en Mongolie-Intérieure (2007), est une autre belle illustration de son approche. Elle y crée un centre civique le long du lac sur une étendue de dunes ; les espaces d’exposition et de recherche sont distribués en une forme ondoyante qui s’affranchit du sol, évoquant une vipère du désert qui serpente à travers le sable. Ses œuvres révèlent sa capacité à créer des lieux variés de qualité et ont été distinguées par des prix nationaux et internationaux : en 2006 et 2008 par les WA China Architecture Awards, ou le prix Emerging Architects de l’ULI (Urban Land Institute, Washington D. C.) en 2009.
LU YONGYI
■ DING W., Beijing, Shanghai and Nanjing : Three Chinese Venues, Mendrisio, Mendrisio Academy Press, 2007 ; LUNA I., TSANG T., On the Edge. Ten Architects from China, New York, Rizzoli, 2007 ; ZHU J., Architecture of Modern China. A Historical Critique, London/New York, Routledge, 2009.
■ CHEN W., AASS A., « Heritage conservation : east and west », in ICOMOS information, no 3, juil.-sept. 1989.
ARCHITECTES [Danemark depuis le début du XXe siècle]
Les femmes dans la profession architecturale
Les études d’architecture au Danemark offrent un grand nombre de voies possibles, des arts graphiques à la planification régionale, en donnant à la qualité artistique un rôle essentiel. Toutefois, fonctions et structures restent, comme tout autre paramètre concret, inévitables. Sous l’influence des concours, la tendance favorise une approche basée sur la recherche et les nouvelles connaissances afin de faire évoluer les projets hors des sentiers battus et réaliser des constructions qui enrichissent les usages et la qualité de vie qu’elles permettent. Cela a contribué à lancer de très jeunes architectes.
Les femmes font entendre leur voix dans toutes les branches de la profession. Pourtant, si elles représentent 56 % des étudiants en 2012, cela fait à peine cent ans qu’elles ont accès à l’École d’architecture de l’Académie royale des beaux-arts. Elles sont peu nombreuses à achever leurs études et à développer leurs potentiels professionnels au début du XXe siècle, beaucoup choisissant le mariage, gérant maison et famille et aidant en même temps leur mari architecte à l’agence. Aux premières professionnelles établies ont été laissées des tâches spécifiques d’aménagement intérieur, de conception des cuisines et des salles de bains. Quelques-unes comme Tutti Lütken* et Anne Marie Rubin* commencent, dans les années 1950 et 1960, à travailler à leur compte dans des domaines souvent périphériques – aménagement urbain, architecture scolaire, en particulier celle des maternelles, design (meubles, porcelaine, ustensiles de cuisine) et graphisme. La construction de logements reste dans les mains des hommes, à l’exception des résidences secondaires et des maisons individuelles. À mesure que la société a besoin de main-d’œuvre, les femmes entrent sur le marché du travail dans toutes les branches et à tous les niveaux, et elles contribuent à la formation comme à l’activité professionnelle. Pourtant il est encore courant de voir les postes de chefs d’agence ou de département et de professeurs occupés par des hommes, même s’il existe des exceptions marquantes. À travers leur interprétation des programmes et leur confrontation aux défis contemporains, elles ont su créer des concepts qui ont fait avancer les choses et contribué à faire évoluer l’espace, à la fois de vie et de travail, de manière inspirée pour les utilisateurs. Quelques-unes, telles Hanne Kjærholm*, Lene Tranberg (1956) et Dorte Mandrup (1961), ont obtenu la récompense la plus prestigieuse que peuvent recevoir les architectes au Danemark : la médaille C. F. Hansen. Elles apportent aussi dans la gestion quotidienne de nouvelles valeurs de communication, car elles n’ont pas peur de reconnaître leurs erreurs et sont capables d’exprimer leur reconnaissance pour la qualité des efforts et des résultats apportés par d’autres.
Certaines sont particulièrement représentatives. Karen Exner (1957), fille d’Inger Exner*, reprend l’agence fondée en 1958 par ses parents, travaillant sur la conception ou la rénovation d’édifices religieux ou culturels, de logements et d’écoles. Helle Juul (1954), associée à Flemming Frost (1952), intervient surtout dans la réhabilitation, l’aménagement urbain et la construction de logements. L. Tranberg fonde en 1984 avec Boje Lundgaard (1943-2004) une agence qui intervient dans de nombreux secteurs et réalise entre autres le Théâtre et l’Opéra de Copenhague (2005-2008). D. Mandrup a depuis 1999 sa propre agence qui réalise des constructions dans les domaines culturel, scolaire, résidentiel ou commercial. En 2009 elle agrandit le célèbre établissement Munkegårdsskolen (Gentofte 1956) construit par Arne Jabosen (1902-1971), et livre le centre communal d’Herstedlund, conçu comme un « grand arbre stylisé ». Elle travaille à plusieurs reprises avec la paysagiste Marianne Levinsen (1963), en particulier pour des ensembles de logements. Lone Wiggers (1963) fait partie, comme Anna Maria Indrio*, de l’agence C. F. Møller où elle réalise musées, immeubles, bureaux et logements. Pernille Poulsen (1962) s’intéresse à la conception de logements et œuvre également comme paysagiste. Mette Tony (1971) fonde en 2006 avec Mads Bjørn Hansen (1970) un collectif d’architecture, Praksis, au sein duquel elle réalise de nombreux projets plutôt résidentiels, culturels ou institutionnels. Kristine Jensen (1956) a créé sa propre agence et traite de la planification et des équipements urbains ainsi que de l’aménagement du paysage ; Bente Lange (1955) est spécialisée dans la restauration d’édifices comme de parcs. Enfin, Mette Lange (1964) est une architecte atypique, engagée au service de projets dans les pays en développement, en particulier en Inde. Avec son mari, elle crée des écoles mobiles comme celles installées sur des plateformes flottantes de la rivière Tiracol (Goa 2005-2007).
À la suite de la révolte de la jeunesse à la fin des années 1960, de nombreux changements ont marqué la décennie suivante : accès libre aux formations et démocratisation de l’enseignement, progression de l’écologie, des mouvements féministes, ou encore participation des citoyens aux processus décisionnels. L’architecture connaît, elle aussi, un changement radical dans ses formes. La programmation et la planification, en particulier celles des grands ensembles, sont l’objet de vives réactions. Si de grands bâtiments publics et d’habitation sont encore construits, ils provoquent la critique des usagers, auxquels de nouveaux processus décisionnels ont donné la parole. C’est en 1971 que naît la ville libre de Christiania, implantée sur une ancienne zone militaire au centre de Copenhague et caractérisée par sa vocation résidentielle, mais aussi écologique et sociale. Les femmes architectes ont participé à cette évolution, et certaines se sont impliquées dans des projets novateurs. Ainsi, en 1971, Karen Kristiansen (1942) réalise l’ensemble de Sofiegården, un campus pour les jeunes au cœur de la vieille ville. Dans la colonie estivale de Thy (Thylejren), typique de cette période avec ses espaces offerts à la libération du corps et de la sexualité, Susanne Ussing* participe à un projet d’autoconstruction. C’est elle aussi qui conçoit, pour un concours en 1974, le projet qui donne naissance à Facadeattrap (1977), modèle grandeur nature présenté à l’exposition Alternativ arkitektur (« architecture alternative ») du musée d’art moderne Louisiana, illustrant comment concevoir soi-même son logement dans un immeuble de plusieurs étages. Prémonitoire du célèbre lotissement résidentiel de Tinggården (1978), constitué de bâtiments denses et bas, à distance des voies de circulation, où les habitants disposent de locaux collectifs et sont libres de donner leur propre style à leur logement et leurs espaces extérieurs, l’ensemble de Galgebakken (1973-1974) est réalisé par Hanne Marcussen* et Anne Ørum-Nielsen*.
Mais la particularité de ces années apparaît surtout à travers l’interprétation architecturale de principes considérés comme féminins : « l’usage plutôt que le design », « l’ergonomique plutôt que le monumental », « le fonctionnel plutôt que le formel ». Des femmes marquent alors le paysage professionnel par la création d’agences uniquement féminines, comme Thyra et Kvisten. Les thèmes de prédilection d’alors se révèlent tout à fait durables, même pour la construction de logements sociaux. Les nombreuses communautés d’habitation qui apparaissent contribuent à une répartition plus équitable des tâches ménagères et familiales, tout en permettant aux enfants de grandir dans un environnement plus riche. Les solutions rapides et efficaces sont remisées pour laisser la priorité à la santé et à la construction communautaire.
Karen ZAHLE
■ BAY H., PEPKE L., RATHJE D. Women in Danish Architecture, Copenhague, Arkitektens forlag, 1991 ; DIRCKINCK-HOLMFELD K., Guide to Danish Architecture 1960-1995, Copenhague, Arkitektens forlag, 1995 ; LUNDBLAD H., BENDIX E., La Femme danoise : d’hier à demain, Copenhague, Ministère des Affaires culturelles au Danemark, 1976.
■ DIRCKINCK-HOLMFELD K., « About Christiania », in Arkitektur, no 7, 2004.
ARCHITECTES [Espagne depuis les années 1970]
En Espagne, les femmes rejoignent la profession d’architecte à partir des années 1970. Faible au début, leur nombre excède par la suite largement celui des hommes dans les universités. Mais si elles représentent 46 % des étudiants dans les écoles d’architecture, elles ne sont que 26 % dans les organisations professionnelles. La génération qui a émergé dans les années 1980 est marquée par un caractère plus international que la précédente, par son investissement dans l’enseignement et au sein d’agences pluridisciplinaires, par sa passion du détail et de la précision constructive, et par sa sensibilité aux lieux et aux paysages. Les femmes travaillent rarement seules, plus généralement en équipe et souvent avec des collaborateurs hommes qui sont parfois leur époux. Les principales écoles d’architecture espagnoles sont celle de Barcelone, qui accueille 60 % des étudiants, et celle de Madrid.
À Barcelone, les deux femmes les plus connues sont liées à l’agence du défunt Enric Miralles. Carme Pinós (1954) collabore avec E. Miralles, son mari, de 1982 à 1991, signant des chantiers de renommée internationale, comme le cimetière d’Igualada (1991), l’école Hogar de Morella (1994) ou le centre sportif de Huesca (1993). Après leur séparation, elle poursuit sa carrière avec élégance et professionnalisme. Son parcours est marqué d’œuvres significatives telles que la tour Cube à Guadalajara, au Mexique (2002-2005) ou le parc de Torreblanca à Alicante (2000-2009). Son architecture dialogue avec l’environnement de manière inhabituelle. Passionnée par les géométries imprécises et les espaces ambigus qui s’intègrent dans le paysage, elle l’est également par l’architecture écologique et durable. Elle a enseigné dans des écoles réputées : Columbia, Harvard, Mendrisio, Barcelone. Benedetta Tagliabue (1963), d’origine italienne, est la seconde femme et collaboratrice d’E. Miralles. Diplômée à Venise en 1989, elle s’associe peu après avec lui, en créant l’agence EMTB. Durant les neuf années de leur collaboration, ils ont conçu des édifices complexes de grandes dimensions. La mort soudaine d’E. Miralles l’a conduite à achever seule les projets en cours : l’École de musique de Hambourg (1997-2000), le parlement d’Écosse à Édimbourg (1998-2004), le campus universitaire de Vigo (1999-2003), et, à Barcelone, le parc Diagonal Mar (1997-2002), le marché Santa Caterina (1997-2005) ou les bureaux du groupe Gas natural (1999-2008). Leur architecture est caractérisée par un équilibre entre une esthétique fragmentée et explosive, et le respect du lieu et de la tradition.
Beaucoup d’autres catalanes aujourd’hui actives appartiennent à cette jeune génération. Beth Galí (1950) a créé l’agence BB+CC, présente en Espagne et en Europe, à laquelle appartiennent Jaume Benavent, Andrés Rodriguez et Ruediger Wurth, Leurs projets architecturaux et urbains visent à humaniser l’espace public. Les plus significatifs sont, à Barcelone, la bibliothèque Joan-Miró (1984-1990) et les passerelles d’accès au parc de Montjuich (1991-1992) ; et à l’étranger la restructuration du centre historique de Cork, en Irlande (1999-2004) ou le réaménagement d’un centre commercial de Bois-le-Duc aux Pays-Bas (1993-1998). En tant que designer industriel, B. Galí a obtenu du succès avec son mobilier urbain, comme le lampadaire Lamparaalta (1984). Entre 1981 et 1988, elle a été architecte municipale à Barcelone. Elle est professeure d’urbanisme à l’École de Barcelone et enseigne dans les universités de Delft, Lausanne, Zurich et Harvard. En outre, elle est la première femme à accéder à la présidence de la Promotion des arts décoratifs (Fad). Imma Jansana achève ses études d’architecture en 1977 et exerce depuis 1979, à son compte, comme paysagiste et dessinatrice de bijoux. Entre 1989 et 2001, elle a également été architecte municipale à Barcelone. Elle est couronnée deux fois par le Fad, pour l’aménagement du front de mer de Gavà (1993) et le mirador du delta de Llobregat (1994). En tant que joaillière, elle a obtenu le prix Niessing (Barcelone, 1990) et le Prix de graphisme et de communication de la Ville de Barcelone pour la collection de bijoux du musée de Gavà (1999). Elle enseigne également à Barcelone et à Venise (2007-2008). Citons encore Angeles Negre, auteure avec Felix Solagurende de l’école de la Fuliola en Catalogne ; Rosa Cotlet qui signe le jardin d’enfants de Mataró, de nombreux logements et de délicates restaurations ; Carme Fiol qui, associée depuis 1982 avec Andreu Arriola, réalise avec lui des espaces publics aussi significatifs que la place du Fossar de Les Moreres (1989), ainsi que Carmina Sanviçens.
Dans la jeune génération madrilène, on compte également d’excellentes architectes qui, à l’instar des Catalanes, travaillent généralement avec un partenaire masculin et combinent leur activité professionnelle avec celle d’enseignante. María Auxiliadora Gàlvez est une poétesse de l’espace. Elle a remporté un premier prix à l’Europan 6, en proposant à la mairie de Cordoue plusieurs types de logements au bord du Guadalquivir, explorant les liens entre paysage et espaces urbains (2001). Depuis 2003, elle est associée avec Izabela Wieczorek avec laquelle elle a construit la garderie d’enfants El Caracol à Madrid (2007). Izaskun Chinchilla défend l’existence d’une architecture conçue par les femmes. Elle gagne de nombreux concours d’architecture et obtient le deuxième prix pour le pavillon de l’Espagne à l’Exposition universelle de Shanghai (2010). Elle propose des projets pluridisciplinaires mêlant l’écologie, la sociologie et la science. Ainsi son architecture prend-elle des distances avec le discours stylistique et se recentre-t-elle sur la complexité de la vie.
Plusieurs couples forment des tandems tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Beatriz Matos et Alberto Martínez Castillo ouvrent leur agence en 1985 et sont tous deux enseignants à l’École d’architecture et à l’Université européenne de Madrid. Ils construisent notamment une usine à Oñate, un commissariat à Zamorá (1999-2003), et, à Madrid, de nombreux logements dont ceux de Vallecas (1996-1998) et Rafael-Finat (2001-2003), le parc du casino de la Reine (1999-2001) et un centre de jour (2000-2001). Ils remportent plusieurs prix européens, comme le prix Andrea-Palladio. Ils travaillent sur un système fondé sur des modèles de permutation appliqués à la conception d’auditoriums, de musées et d’espaces publics, espérant offrir ainsi une plus grande liberté créative. Fuensanta Nieto et Enrique Sobejano se sont rencontrés à l’université Columbia et ont édité pendant cinq ans la revue Arquitectura. Ils ouvrent une agence spécialisée dans les bâtiments culturels et affirment que cette proximité avec la culture leur a suggéré l’idée de « conteneur non interventionniste ». Ils ont notamment réalisé le Centre du savoir de La Rioja à Logroño, le palais des congrès à Mérida (2000-2004), la restructuration du musée San Telmo à San Sebastiàn (2007-2009), le Musée des Îles Canaries à Las Palmas (2008-2010), le palais de l’Expo 2008 à Saragosse. L’une des réalisations les plus importantes du couple d’architectes formé par José Selgas et Lucía Cano est le palais des congrès de Badajoz (1999-2006), qui met en évidence combien un usage sensible et responsable de la technologie et des matériaux modernes permet des créations enrichissantes pour la ville, non seulement pour leur fonctionnalité, mais aussi pour leur capacité symbolique et métaphorique à transcender le fait constructif. Sol Madridejos et Juan Carlos Sancho, tous les deux nés à San Sebastiàn, sont madrilènes d’adoption. Ils s’intéressent à la réflexion et à la relation entre le monde des arts plastiques, de la sculpture et de la peinture. L’optique de leurs travaux sur l’espace fait écho à celles des sculpteurs Richard Serra et Eduardo Chillida. Dans la chapelle de Valleacerón (2000-2001), par exemple, ils travaillent sur le thème du pli, donnant une forte expressivité à l’espace. María José Aranguren et José González Gallegos (1958) étudient et enseignent ensemble à l’université. Ils se spécialisent dans l’habitat et signent de nombreux projets parmi lesquels, à Madrid, l’Encinar de los Reyes (1998-1999) et Carabanchel (2000-2004), et à Carthagène 400 logements et un centre culturel (1996-1999). Ana Estirado et Fernando Magdalena réalisent, avec leur centre de domotique pour l’Université polytechnique de Madrid, un très bel édifice conçu selon des critères durables et achevé en 2008.
Nous pourrions en citer davantage encore, car il existe en Espagne une pléiade de femmes architectes dont les œuvres sont reconnues internationalement et témoignent de la vitalité de leur engagement et de la qualité de leurs créations.
Cristina GARCÍA ROSALES
■ Arquitectas, un reto profesional, jornadas internacionales de arquitectura y urbanismo desde la perspectiva de las arquitectas, Madrid, Instituto Juan Herrera, 2009 ; GARBARINO C. (dir.), 17 odiseas en el espacio, artistas plásticas y arquitectas en la provincia de Cádiz (1976-2001), Cadix, Servicio de publicaciones de la Universidad de Cádiz e de la Diputación provincial de Cádiz, 2001 ; JANSANA I., MULAZZANI M., Imma Jansana, Melfi, Casa Ed. Libr’ia, 2005 ; TORRES A. M., Carme Pinós : An Architecture of Overlay, New York, Monacelli, 2004.
■ MOLINA LEÓN M., « Recuperar la forma, la mujer que construye », in ALBERDI R. (dir.), Recuperar la forma, Madrid, Arte XXI, 2004.
ARCHITECTES [Finlande depuis la fin du XIXe siècle]
Ce n’est qu’à la toute fin du XIXe siècle que les femmes sont acceptées dans les universités finlandaises. La proportion des femmes parmi les étudiants augmente alors peu à peu et, en 1905, l’université d’Helsinki en compte plus de 200. L’Institut de technologie, par ailleurs, est ouvert depuis 1849, mais un véritable enseignement technique de niveau universitaire n’existe qu’à partir des années 1870 et c’est en 1908 que l’institut devient université. Signe Hornborg* est la première inscrite pour étudier l’architecture et, après avoir obtenu son diplôme en 1890, elle est l’une des premières au monde à avoir suivi une formation universitaire dans ce domaine. Les premières femmes acceptées à l’Institut de technologie le sont comme auditrices. À partir de 1895, elles obtiennent un véritable statut d’étudiante. De 1887 à 1908, 29 étudiantes s’inscrivent en architecture et 18 sont diplômées.
Les femmes architectes restent rares en Finlande jusque dans les années 1930 et plus rares encore sont les agences dirigées par les femmes, exceptionnelles jusque dans les années 1950. Pour les femmes architectes, le statut de fonctionnaire est une bonne solution, leur assurant un revenu fixe dans ce métier instable, même s’il ne leur permet pas de dessiner des œuvres remarquables. Aussi est-il difficile de citer les projets qu’elles ont réalisés : ce sont souvent des bâtiments publics et, plus rarement, des églises. Cependant quelques pionnières créent leurs propres agences très tôt, comme Wivi Lönn* (en 1892) et Elsi Borg*.
Le couple formé par deux architectes prévaut alors en Finlande comme forme d’exercice professionnel pour les femmes à l’époque. Elles trouvent en effet leurs compagnons parmi leurs condisciples ou leurs collègues et plusieurs couples créent ensemble une agence dirigée par le mari. Les épouses restent souvent dans l’ombre, plus proches du rôle d’inspiratrice que d’architecte à part entière et, de ce fait, souvent en retrait voire inconnues. Bien que la position des femmes soit redéfinie comme celle d’actrices indépendantes dans la nouvelle société, il faut attendre les années 1950 et 1960 pour qu’une discussion soit lancée sur le partage des tâches domestiques. Étant donné le contexte, certaines architectes font le choix de rester célibataires. Celles qui se marient ont deux rôles, d’un côté celui d’architecte professionnelle travaillant avec leur époux, de l’autre celui de femme au foyer responsable de la maison et des enfants. Les agences d’architecture communes sont souvent installées dans la maison du couple, ce qui permet aux femmes d’assurer plus facilement leur double rôle. Ainsi, tout en disant qu’il apprécie énormément les femmes indépendantes, le célèbre Alvar Aalto attachait-il de l’importance à la présence d’une mère et d’une femme à la maison. Malgré ces difficultés, plusieurs femmes architectes font une carrière remarquable avec leurs maris. On peut nommer Aino et Alvar Aalto* qui, après le décès d’Aino, se marie avec une autre femme architecte, Elissa Mäkiniemi (1922-1994) ; Reima et Raili Pietilä (1923-1993), Martta Martikainen* et Ragnar Ypyä ; Eva Kuhlefelt* et Hilding Ekelund ainsi que Heikki et Kaija Sirén (1920-2001).
Il est clair qu’il est difficile de distinguer la contribution de chacun au sein de ces agences communes. On ne peut pas décrire le rôle de la femme architecte comme celui d’une simple muse ni la mettre sur un piédestal. Pour avoir une perception juste du travail dynamique de ces couples, il faudrait le scruter, prendre en compte les différents secteurs de collaboration et l’organisation du travail, depuis les relations avec les maîtres d’ouvrages jusqu’aux implications de chacun dans la conception des projets. Comme dans certains domaines où les hommes sont majoritaires, les femmes sont en fait amenées à construire leur propre identité professionnelle sur la base du modèle masculin. En 1942 est fondée l’Architecta, une association de femmes architectes liée à l’association des architectes finlandais (Safa). Elle devient l’un des plus importants canaux du développement de l’identité des femmes architectes. Les objectifs de cette association sont de soutenir leur évolution professionnelle et de défendre leurs intérêts.
En 2012, la moitié environ des étudiants en architecture sont des femmes. Elles représentent 37 % des membres de la Safa et sont nombreuses dans les services municipaux (44 %) et dans ceux de l’État (47 %). Néanmoins, la plupart d’entre elles travaillent dans de grandes agences d’architecture, aussi sont-elles rarement connues sous leur propre nom. Il existe toutefois des couples dont l’agence porte le nom des deux partenaires, à l’instar de celle de Simo et Käpy Paavilainen (1947).
Kirsti Sivén, qui obtient le prix d’architecture de l’État en 2004, est une exception. Née à Somero en 1949, elle débute ses études d’architecture dans les années 1960 et obtient un diplôme d’architecture de l’Université de technologie d’Helsinki en 1974. Elle se spécialise en urbanisme. Sa carrière indépendante démarre avec le concours du quartier de Kampin Kolmio à Helsinki, où elle obtient la troisième place. Cela lui permet de créer sa propre agence, en 1983, qu’elle dirige par la suite avec son mari, Asko Takala. Outre Kampin Kolmio, elle réalise plusieurs projets au centre d’Helsinki et dans les quartiers de Viikki et Arabianranta. La revue d’architecture Arkkitehti en publie neuf, dont huit sont des immeubles résidentiels et le neuvième une maison de retraite. Elle conçoit également des maisons, des écoles, des crèches, un centre et un foyer paroissial. Ses réalisations, qui constituent des services de proximité, sont considérées comme un type de projet qui, par ses aspects humain et social, intéresse tout particulièrement les femmes architectes.
Anna AUTIO
■ Architects in Finland from the 1890s to the 1950s, Helsinki, Suomen Muinaismuistoyhdistyksen Aikakauskirja, 1992 ; SUOMINEN-KOKKONEN T., The Fringe of a Profession : Women as Architects in Finland from the 1890s to the 1950s, Helsinki, Suomen Muinaismuistoyhdistyksen Aikakauskirja, 1992 ; ID., Aino and Alvar Aalto – A Shared Journey, Interpretations of an Everyday Modernism, Helsinki/Jyväskylä, Alvar Aalto Foundation/Alvar Aalto Museum, 2007.
■ JALLINOJA R., « Womens Path into the Academic World », in NIKULA R., JALLINOJA R., KIVINEN P., Profiles : Pioneering Women Architects in Finland, Helsinki, Suomen Rakennustaiteen Museo, 1983 ; REINBOTH R., « Luovaa ja Kurinalaista », in Helsinki Info, janv. 2005.
ARCHITECTES [France depuis le début du XXe siècle]
Les pionnières
En France, les femmes intègrent les écoles d’architecture à la fin du XIXe siècle. Deux établissements parisiens à la réputation internationale drainent alors la majeure partie des étudiants : l’École des beaux-arts et l’École spéciale d’architecture (ESA). Leurs archives permettent d’ébaucher l’histoire des étudiantes. Ainsi il est établi que les premières sont étrangères, telles les Américaines Laura White, entrée à l’ESA en 1883, ou Julia Morgan*, qui intègre la seconde classe à l’École des beaux-arts en 1898. La première diplômée française serait Adrienne Lacourière, sortie de l’ESA en 1896. Mais ce n’est qu’après 1918 que les admissions des femmes au sein de ces institutions sont en augmentation croissante. Entre 1918 et 1945, 50 femmes intègrent l’ESA, et 82 sont entrées en seconde classe aux Beaux-Arts. Après la Seconde Guerre mondiale, les effectifs des étudiantes au sein de ces deux écoles augmentent à nouveau, mais ce phénomène est à relativiser au regard de la hausse générale des effectifs à cette période.
S’il est possible de cerner l’histoire des étudiantes, l’histoire des activités professionnelles des femmes architectes est, en revanche, très mal connue jusqu’en 1970. De plus, les pratiques architecturales couvrent un large champ d’activité, ne se limitant pas à l’exercice connu de la maîtrise d’œuvre ; si cette dernière est conditionnée, depuis le 31 décembre 1940, par l’inscription à l’Ordre des architectes, tout un ensemble de pratiques a toujours été possible sans cette formalité. Dans l’exercice de la maîtrise d’œuvre, deux générations de femmes peuvent être distinguées. Une première apparaît durant les décennies 1920 et 1930 et œuvre jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’une deuxième, plus nombreuse, est formée après.
La première compte des figures célèbres, telles Juliette Tréant-Mathé* ou Adrienne Gorska*, mais aussi d’autres femmes dont le travail reste à découvrir. Renée Bodecher, associée à d’autres architectes, conçoit de nombreux édifices à Paris dont un groupe d’immeubles, avenue Montaigne, pour le compte de la Lloyd France Vie (1936). Jeanne Besson-Surugue*, probablement la première femme diplômée des Beaux-Arts en 1923, fait une partie de sa carrière à l’étranger. Jeanne-Marie Bessirard-Fratacci (1898-1937), étudiante à l’école des arts décoratifs de Nice puis des Beaux-Arts de Paris, est diplômée en 1925 ; elle travaille aux côtés de son mari, Edmond Bessirard, de son père et de son frère à l’occasion de concours. Ces deux femmes sont membres de la Société des architectes diplômés du gouvernement (SADG) créée en 1877, ancêtre de l’actuelle Société française des architectes (SFA). En effet, certains lieux de sociabilité des architectes accueillent des femmes. Cette dernière société comptait d’ailleurs dans ses rangs deux autres femmes. Agnès Braunwald-Chaussemiche (1900-1934), fille de l’architecte François-Benjamin Chaussemiche (1864-1945), est diplômée des Beaux-Arts en 1929 et pensionnaire à Madrid de l’école française la Casa de Velázquez en 1930, où elle rencontre son futur mari, l’architecte Jean Braunwald (1901-1983). Elle est très active au sein des Congrès provinciaux et de la Caisse des secours. Marie Sapareva (née en 1898), d’origine bulgare, étudie à l’école d’architecture de Lyon, où elle est diplômée en 1929 avant de venir à Paris.
La deuxième génération de femmes maîtres d’œuvre peut être répartie en deux groupes. Certaines travaillent à des projets divers dans les années 1950 et 1960. Georgette Becker, ancienne étudiante des Beaux-Arts, travaille aux côtés d’Albert Laprade (1883-1978) à l’aménagement de la vieille ville du Mans et à la première tranche de la cité administrative de Lille. Après des études à l’ESA puis aux Beaux-Arts, Gilberte Cazes (née en 1925) collabore avec Jean Le Couteur (1916-2010) pour des réalisations variées : bureaux, résidences et un groupe scolaire. Solange d’Herbez de la Tour (1924) seconde Pierre-Édouard Lambert (1901-1985) dans le contexte de la reconstruction. D’autre part, il est possible d’identifier une seconde tendance de femmes maîtres d’œuvre qui officient plutôt dans le champ de l’urbanisme sur une période relativement longue, des années 1940 aux années 1970. Jeanne Boulfroy, formée aux Beaux-Arts et DIUUP (diplômée de l’Institut d’urbanisme de l’université de Paris), est l’auteure de nombreux plans d’urbanisme en Charente-Maritime. Formée elle aussi aux Beaux-Arts, Denise Malette (née en 1905) conçoit différents projets d’aménagement et de reconstruction dans les départements des Ardennes et du Doubs ; Antoinette Prieur (née en 1919), formée à l’ESA, mène des actions similaires dans ceux du Calvados et du Loir-et-Cher.
L’avancée des recherches ne permet pas encore de connaître la présence des femmes dans le secteur public, assurant la fonction d’architecte des Bâtiments civils et des Palais nationaux ou officiant au sein des Monuments historiques, dont Christiane Schmückle-Mollard* est en 1982 la première femme architecte en chef.
MESNAGE Stéphanie
L’architecture française au féminin se caractérise par une augmentation continue du nombre de praticiennes indépendantes, qui ne reflète pourtant que partiellement celle des diplômées. Depuis 2006, le nombre d’étudiantes a dépassé celui des étudiants. Toutefois, les femmes exerçant en leur nom restent loin de la parité avec les hommes : 6 669 femmes étaient inscrites à l’Ordre des architectes en 2009, soit 22, 1 % des effectifs ; rappelons qu’elles étaient 1 537, soit 7, 5 %, en 1983 et 0, 8 % en 1960. Plusieurs générations coexistent dans ce paysage, qui recoupe, à quelques personnalités singulières près, toutes les approches et écritures qui constituent l’architecture en France depuis quatre décennies.
Chacune à leur manière, Marie-Christine Gangneux*, Marina Devillers et Édith Girard* développent, depuis la fin des années 1970, le vocabulaire spatial et formel du Mouvement moderne. Par contraste, l’approche non dogmatique d’Éva Samuel subordonne la mise en forme des bâtiments quels qu’ils soient à une lecture à la fois concrète et conceptuelle de l’espace périurbain (aménagements de la place du Marché de Chilly-Mazarin, 1993 ; maison Granger à Orsay, 1999 ; groupe scolaire Robert-Lebon, à Villejuif, 2003). Cristina Conrad s’illustre lors de sa présidence de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, entre 2005 et 2007, par sa critique des politiques d’État en faveur des lotissements de maisons individuelles. Odile Seyler réactualise les conventions typologiques de l’architecture urbaine des faubourgs (logements à Paris, rue des Vignoles, 2001). Gaëlle Péneau, spécialisée dans les équipements hospitaliers, traite des programmes qui lui sont confiés avec un égal souci de narration plastique (immeuble d’habitation quai Panhard et Levassor, à Paris, 2003). À l’instar de son aînée Renée Gailhoustet*, Iwona Buczkowska cherche à déjouer dans l’habitat collectif l’orthogonalité et la répétitivité de la « cellule » moderne (HLM au Blanc-Mesnil, 1978-1992). Depuis sa première opération à La Courneuve en 1989 jusqu’à ses réalisations récentes à Paris et à Euralille, Catherine Furet (1954) veut favoriser les sociabilités urbaines en renouant avec l’art du logement social. Françoise-Hélène Jourda (1955), associée dans ses débuts à Gilles Perraudin, est une avocate reconnue de l’architecture dite « soutenable ». Elle construit dans cette veine dans plusieurs pays (Académie de formation de Herne-Sodingen, Allemagne, 1992-1999) et occupe depuis 1999 une chaire de professeure à l’Université technique de Vienne, en Autriche. Odile Decq (1955) exerce d’abord avec Benoît Cornette, puis en solo depuis la disparition de celui-ci en 1998, modelant des volumétries fracturées que parcourent des plans tendus comme autant d’événements plastiques (extension du musée d’Art contemporain de Rome, 2010). Elle enseigne dans diverses écoles européennes, aux États-Unis et à l’École spéciale d’architecture à Paris, qu’elle dirige depuis 2007. Nasrine Seraji (1957), diplômée de l’AA School de Londres, s’installe à Paris après son très remarqué Centre américain temporaire (1990). Revendiquant le double rôle de metteur en espace inspiré et d’« intellectuelle agissante », elle s’attache à transformer les contraintes en générateurs de solutions fonctionnelles et spatiales spécifiques, transcendées par un langage formel personnel inventif (logements à Vienne et à Paris, 2003 ; École d’architecture de Lille, 2006). Elle s’implique en outre fortement dans l’enseignement, en tant que professeure, puis directrice d’écoles internationales de renom dont, depuis 2006, l’École d’architecture de Paris-Malaquais.
Pascale Seurin (1958) est l’auteure d’équipements culturels, mais aussi d’un pont levant à Dunkerque (1994). Emmanuelle Colboc veut allier les préoccupations humanistes et les émotions spatiales du Mouvement moderne (logements à La Courneuve, 2007, Centre périnatal du CHU du Kremlin-Bicêtre, 2009). Suzel Brout adapte cet héritage en épurant ses formes (bureaux du Siaap à Valenton, 2008). Pascale Guédot (1960) installe dans les lieux des jeux de volumes simples à la présence affirmée, définis par une matérialité élégante et leur qualité de vie au quotidien (école d’infirmières à Abbeville, 2008), une approche qui, pour la médiathèque d’Oloron-Sainte-Marie, lui a valu l’Équerre d’argent en 2010. Manuelle Gautrand (1961) fonde en 1991 une firme dont l’abondante production, attentive à l’actualité des tendances internationales, privilégie la manipulation d’effets décoratifs de surface (showroom Citröen sur les Champs-Élysées à Paris, 2009) ou de volumes (Cité des affaires de Saint-Étienne, 2010). Le modernisme bien tempéré de Corinne Vezzoni (1961), lisible dans ses équipements en région PACA (lycée de Vence, 1999), peut basculer vers des résolutions plus spectaculaires, comme aux archives des Bouches-du-Rhône à Marseille (2006). Citons aussi Anne Démians, seule femme exerçant en son nom invitée en 2007 par la Ville de Paris à réfléchir à de futures tours en bord de Seine. Parmi les benjamines, Sophie Delhay est cofondatrice de la « coopérative de production » architecturale Boskop (logements expérimentaux à Nantes, 2008), puis crée sa propre agence en 2009.
Depuis une quinzaine d’années, le nombre des partenariats, duos féminins, couples, tandems ou associations mixtes a beaucoup augmenté. Les statistiques des instances professionnelles montrent leur triplement depuis 2001. Parmi les pionnières de la première catégorie, Valérie Vaudou (1955) et Laurence Allégret (1961), associées depuis 1988, se réclament d’une architecture soucieuse au premier chef de cohérence et de durabilité (bibliothèque départementale de Basse-Terre, Guadeloupe, 1996 ; logements quai de la Marne, Paris 19e, 2002). Antoinette Robain (1956) et Claire Guieyesse se distinguent par leur maniement spatial de la lumière et de la couleur (Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, avec Thierry Lacoste, 1996). Leur transformation en Centre national de la danse du vaisseau brutaliste de l’ancien centre administratif de la Ville de Pantin a été saluée par l’Équerre d’argent en 2004. Isabelle Biro (1958) et Fabienne Gérin-Jean mettent l’accent sur le confort typologique, la rigueur distributive et l’attention à l’usage de leurs logements (178, rue de Charenton, Paris, 1996) comme de leurs équipements. Catherine Frénak et Béatrice Jullien se spécialisent dans la restructuration de bâtiments anciens et la muséographie (bibliothèque dans l’ancienne prison de Coulommiers, 2004 ; musée du Familistère de Guise, 2010).
Du côté des tandems mixtes, Clotilde Barto* conçoit avec Bernard Barto des dizaines de bâtiments et d’aménagements publics à Nantes, dans une écriture subtilement graphique ancrée dans l’histoire de la ville (Hôtel La Pérouse, 1993, logements et bureaux de l’îlot Magellan, 2003, parking aérien sur l’île de Nantes, 2009). Marie-José Canonica, installée en 1976 à Bruyères, dans les Vosges, puis associée deux ans plus tard à Alain Cartignies, se dédie à l’édification de lieux à usage quotidien et à leur inscription dans leur territoire (complexe scolaire de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, 2006). Anne Lacaton (1955) et Jean-Philippe Vassal se sont rendus mondialement célèbres en revendiquant une approche de la conception architecturale à la fois minimale et maximale : d’une part, les espaces de leurs bâtiments sont réduits à des surfaces les plus indéterminées possible pour favoriser l’accueil d’activités imprévues ou changeantes ; d’autre part, l’économie ainsi réalisée sur les prestations permet de construire plus de surface pour le même coût. Ils appliquent cette conception à des programmes variés : habitat individuel (maison Latapie à Floirac, 1993) et collectif (logement sociaux à Mulhouse, 2005) ; bâtiments culturels (rénovation du Palais de Tokyo, 2001) ou universitaires (École d’architecture de Nantes, 2009). En 2008, le tandem obtient le Grand Prix national d’architecture.
Myrto Vitart (1955) rencontre Jean-Marc Ibos dans l’agence de Jean Nouvel, alors qu’elle y réalise le centre culturel Onyx à Saint-Herblain (1988). Du Palais des beaux-arts de Lille (Équerre d’argent 1997) à la médiathèque André-Malraux à Strasbourg (2008), leurs travaux se distinguent par la rigueur de géométries très graphiques relayée par des détails constructifs raffinés. Parmi celles qui exercent en partenariat, peuvent être aussi citées : Nathalie Franck (Ballot & Franck) ; Martine Weissmann (Léonard & Weissmann) ; Marie-Hélène Badia (Badia-Berger) ; Sylvia Grino (Barthélémy Grino) ; Anouk Legendre, avec Nicolas Demazières (X-TU) ; Agnès Lambot (Lambot-Barré) ; Isabelle Hérault (Hérault Arnod) ; Florence Lipsky (1960) qui, avec Pascal Rollet, cultive l’expression de « la tectonique environnementale des bâtiments », autrement dit l’étude de la compatibilité entre la construction d’un bâtiment et l’impératif écologique (bibliothèque universitaire à Orléans-La Source, Équerre d’Argent 2005 ; campus des Comtes de Champagne à Troyes, 2009) ; ou encore Anne-Mie Depuydt, qui crée en 1999 avec Éric van Daele, entre Paris et Bruxelles, la « plateforme de compétences » UAPS. Dominique Jakob (1960) modèle avec Brendan MacFarlane des formes organicistes (restaurant du centre Pompidou, 2000, Cité de la mode et du design, 2009) grâce aux technologies numériques. La bordelaise Raphaëlle Hondelatte (1967), associée à Mathieu Laporte, se fait notamment remarquer avec des maisons au cap Ferret.
Les femmes sont également présentes dans les partenariats multiples, ainsi Janine Galiano au sein de Galiano-Simon-Tenot, auteure de logements passage Goix à Paris (2005) et d’un gymnase à Saint-Jacques-de-la-Lande (2007) ou Bita Azimi, initiale centrale du trio niçois CAB. Elles participent aussi à des « collectifs » en quête d’autres modes d’exercice. Emmanuelle Marin-Trottin (1967) et Anne-Françoise Jumeau (1962) sont les figures féminines du groupe Périphériques (bâtiment Atrium de la faculté de Jussieu à Paris, 2006). Christine Edeikins est associée depuis 1995 à Olivier Arène (ESPEO à Orléans, 1999, Cnam à Saint-Denis, 2005) et leur agence appartient à une structure cogérée : Faubourg 234.
L’architecture suppose un travail collectif et, dans son exercice libéral, une organisation d’entreprise. Elle n’implique pas seulement des « auteurs » au sens conventionnel du terme. Plus que les hommes, les femmes diplômées en architecture – qu’elles désirent un emploi du temps et des revenus plus stables, plus compatibles avec la vie de famille que ne le permet l’exercice libéral, ou qu’elles soient moins attachées qu’eux aux traditions « héroïques » de la profession – optent pour des manières moins codifiées de la pratiquer : comme associées dans les agences de confrères/consœurs, dans les administrations publiques de tutelle, les organismes de promotion de l’architecture, la maîtrise d’ouvrage. Certaines atteignent ainsi un niveau effectif de responsabilité et d’influence sur la transformation de l’environnement bâti égal ou supérieur à celui que confère une pratique de conceptrice dans une agence.
Françoise FROMONOT
■ MESNAGE S., Actrices de l’architecture. Les femmes dans l’exercice professionnel architectural entre 1890 et 1968, Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines, ÉNSA/Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2009 ; MOUCHEL L., Femmes architectes, une histoire à écrire, DEA, Versailles/Saint-Quentin-en Yvelines, ÉNSA/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2000.
■ CLAUSEN M., « L’École des beaux-arts : histoire et genre », in Enseignement Architecture Ville, no 15 (2009-2010) ; « Féminin », in Urbanisme, no 302, sept.-oct. 1998 ; « Ouvrages de dames : les femmes dans l’architecture et la construction », in Architecture intérieure créée, no 291, nov. 1999 ; LAPEYRE N., « Les Femmes architectes : entre créativité et gestion de la quotidienneté », in Empan no 53, janv. 2004 ; LASNIER F., « Difficile d’être une femme architecte ? », in Connaissance des arts, no 658, 2008.
ARCHITECTES [Grande-Bretagne depuis la fin du XXe siècle]
En Grande-Bretagne, les jeunes femmes architectes sont actives dans toutes les branches et formes du métier : elles sont architectes, décoratrices, designers, à la tête de projets ou d’agences. Parallèlement, elles contribuent souvent à la théorie et à l’enseignement, ainsi qu’à la promotion et au développement de la politique gouvernementale en matière d’architecture. Leur contribution est importante malgré un statut longtemps minoritaire dans la profession. En 1991, environ 8 % des architectes britanniques sont des femmes, mais leur nombre passe à 14 % en 2008, et le RIBA (Royal Institute of British Architects) élit pour la première fois une présidente, Ruth Reed, en 2009. Des initiatives médiatiques et des concours ont souligné à la fois la contribution des femmes à l’architecture britannique et les inégalités permanentes auxquelles elles sont confrontées.
Zaha Hadid* Architects est le plus grand cabinet d’architectes de Grande-Bretagne dirigé par une femme. En Allemagne le centre des sciences Phaeno (Wolfsburg 2005), aux formes saisissantes et aux techniques radicales, illustre parfaitement son approche vers une architecture de mouvement fluide et homogène. En Grande-Bretagne, Z. Hadid contribue au débat public sur l’architecture, l’aménagement de l’espace public et la position des femmes dans le domaine de l’architecture. Farshid Moussavi (1965), d’origine iranienne, dirige Foreign Office Architects (FOA), fondé en 1992 avec l’Espagnol Alejandro Zaera Polo (1963). Le terminal du ferry de Yokohama (2002) établit leur réputation d’architectes de l’interconnectivité. FOA, qui a ouvert une agence au Japon, compte à son palmarès le centre commercial Meydan (Istanbul 2007). De 1989 à 2009, Amanda Levete (1955) est associée à Jan Kaplický (1937-2009) au sein de Future Systems, réalisant une architecture extrêmement originale dans plusieurs centres-villes britanniques. L’agence Marks Barfield, créée en 1989 par Julia Barfield (1952) et David Marks (1952), dont l’architecture est associée à une ingénierie des structures innovantes, a inscrit le London Eye dans l’horizon londonien. Irena Bauman (1955), du cabinet Bauman Lyons ouvert en 1992, préconise l’architecture locale en travaillant dans un rayon de 110 kilomètres autour de son cabinet du Yorkshire et encourage les initiatives en matière d’arts et d’espaces urbains. Rab (1953) et Denise Bennetts (1953), qui collaborent depuis 1987 au sein de Bennetts Associates, conçoivent d’étonnants bureaux à faible consommation d’énergie (Wessex Water, Bath 2000).
Les agences d’architectes sont souvent à l’origine de travaux réceptifs, engagés et expérimentaux, qui constituent une source d’inspiration pour les étudiants et intéressent la presse architecturale. Les cabinets dirigés par des femmes, notamment Eva Jiricná* Architects, restent une exception. Deux de ces groupes ont commencé à redéfinir la pratique de la conception de l’espace à la lumière des études sur le genre, introduisant une approche critique : MATRIX*, collectif d’architectes qui a signé le Centre éducatif Jagonari (Londres 1984), et MUF architecture/art* dont la démarche inclut aussi une dimension artistique. Sarah Wigglesworth (1957) interprète avec subtilité, à travers les matériaux et les détails de ses édifices, la façon dont les utilisateurs occupent l’espace (Siobhan Davies Dance Company, Londres, 2005). L’architecture domestique, traditionnellement associée et effectivement limitée aux cabinets féminins, a été réinventée dans l’œuvre créative et sociale d’architectes comme Alison Brooks (1962), qui signe l’ensemble locatif Accordia (Cambridge 2007), Sarah Featherstone (1966), à travers la maison Ty Hedfan (Pontfaen, Brecon, pays de Galles 2008) et Anne Thorne (1952) Architects Partnership et ses projets écologiques, tels les logements Angell Town, Brixton, (Londres 2006). L’architecte écossaise Kathryn Findlay (1953) relance en 2009 Ushida Findlay fondé avec Eisaku Ushida (1954), poursuivant son exploration des matériaux ainsi que de l’architecture de la continuité topologique, comme avec le Pool House 2 qui allie chaume et verre (2009).
Parmi les remarquables agences dotées de partenaires ou de dirigeants féminins, on peut citer dRMM, ouverte en 1995 par Alex de Rijke (1960), Phillip Marsh (1966) et Sadie Morgan (1969), réputée pour son approche expérimentale de la construction, comme avec la Sliding House (« maison qui glisse », Suffolk 2008) ; et DSDHA fondée en 1998 par Deborah Saunt (1965), David Hills (1968) et Claire McDonald (1971). D. Saunt a promu l’architecture à la télévision, tout en réalisant des projets de réhabilitation communautaire et d’aménagement urbain. L’agence Brady Mallalieu où l’Irlandaise Angela Brady (1957), présidente du RIBA de 2011 à 2013, est connue pour son projet de brique et de verre de l’École d’architecture de l’Université métropolitaine de Londres (1997). Ash Sakula, qui depuis 1994 réunit Cany Ash (1960) et Robert Sakula (1953), possède une approche créative et non orthodoxe du design (The Hothouse Studios pour Freeform Arts Trust, Londres 2002). Wright & Wright Architects, agence fondée en 1994 par Sandy (1949) et Clare Wright (1955), a développé une démarche caractéristique basée sur un mélange de l’ancien et du nouveau ; ainsi, dans la Bibliothèque des femmes à Londres, la partie nouvelle, prépondérante, a été conçue dans un style moderne approprié à la façade de l’édifice préexistant (2002).
Mais ce sont surtout les partenariats maris et femmes qui marquent l’architecture britannique moderne. Ces associations sont favorisées par les écoles d’architecture, qui, mixtes depuis le début du XXe siècle, ont souvent donné naissance à des liens intimes et professionnels. Sadie Speight (1906-1992) et son partenaire Leslie Martin (1908-2000), ainsi que Jane Drew* qui travailla avec ses maris, tous deux architectes, pendant plus de cinquante ans, figurent parmi les premiers et les plus importants de ces couples. Ces collaborations produisent des édifices majeurs de l’architecture contemporaine britannique : l’opéra de Glyndebourne (1994) de Michael (1935) et Patty Hopkins* ; l’immeuble du magazine The Economist (Londres 1959-1964) de Peter et Alison Smithson* ; l’entrée et la tour du Festival of Britain (Londres 1951) de J. Drew et Maxwell Fry ; la British Library (Londres 1975-1997) de M. J. Long* et Colin St John Wilson ; le magasin Selfridges (Birmingham 1999) d’A. Levete et J. Kaplický ; la Tate St Ives (1990-1993) d’Eldred Evans (1938) et David Shalev (1934) ; la Bibliothèque des femmes (Londres 2002) du couple Wright ; ou le London Eye (2009), grande roue de 120 mètres de diamètre, de J. Barfield et D. Marks. Les architectes C. Ash, Joanna Van Heyningen (1945), Wendy Shillam (1955), P. Hopkins et S. Wigglesworth conçoivent, avec leur partenaire, des édifices, des espaces urbains et des paysages, dont leurs bureaux-logements, créant un lieu de travail et un environnement domestique.
Sans vouloir nier la pression ou les avantages inhérents à la situation, les équipes mixtes bénéficient d’intérêts communs, d’une synergie d’idées et de finances communes. Cependant, malgré des différences générationnelles ou individuelles, la responsabilité des enfants et des tâches domestiques incombe généralement à la partenaire. S. Wigglesworth, dont la « Maison en bottes de paille » (2001) abrite aussi les bureaux, a décrit comment la dynamique du cabinet d’architectes et ses demandes incessantes tendent à acculer le couple à un rôle traditionnel. Des femmes talentueuses et hautement qualifiées se retrouvent ainsi confrontées aux responsabilités familiales, alors que le cabinet et la reconnaissance professionnelle reviennent à leur mari. La renommée ultérieure des partenaires peut même masquer rétroactivement la contribution de chacun, comme chez Norman (1935) et Wendy Foster (1938-1989), ou Richard (1933) et Su Rogers (1940). La question des droits d’auteur est également compliquée par des présupposés culturels liés au sexe et l’inévitable revendication de la partenaire en faveur d’un partage équitable des lauriers.
Dans l’architecture, le succès vient souvent avec la maturité : les travaux de jeunes cabinets, comme AOC créé en 2003 par Daisy Froud (1974) et AIR, la même année, par Kate Cheyne (1971) et Jo Townshend (1970), révèlent leur futur potentiel.
Julia DWYER et Lynne WALKER
■ MCCORQUODALE D., RÜEDI K., WIGGLESWORTH S. (dir.), Desiring Practices. Architecture, Gender and the Interdisciplinary, Londres, Black Dog, 1996 ; TOY M. (dir.), The Architect. Women in Contemporary Architecture, New York, Watson-Guptill, 2001 ; WALKER L. (dir.), Drawing on Diversity. Women, Architecture and Practice, Londres, RIBA, 1997.
■ Architects’Journal, 2000-2010 ; Building Design, 2000-2010.
ARCHITECTES [Grèce depuis les années 1950]
Les femmes architectes grecques jouent un rôle dynamique. Si elles ne sont que 12 en 1950, elles représentent 38 % de l’ensemble des professionnels en 1993 et plus de 50 % des étudiants dans les écoles d’architecture à la fin des années 1990. Mais elles sont loin de jouir de la reconnaissance qu’elles méritent. Elles travaillent souvent en couple ou avec des partenaires. Leurs choix stylistiques et morphologiques démontrent leur volonté de donner vie à une architecture contemporaine marquée par une identité grecque. Elles n’hésitent pas à employer de nouveaux matériaux et ont notamment recours à ceux de haute technologie et au béton. À distance du fonctionnalisme, elles créent des formes géométriques plus souples. Maria Kokkinou (1955) dirige un cabinet avec son mari, l’architecte et professeur Andreas Kourkoulas (1953). Leurs projets sont souvent inspirés par l’architecture italienne et postmoderne. Leurs réalisations les plus connues sont l’immeuble de bureaux de l’entreprise Michaniki (Maroussi, Athènes 1993-1997) et le centre culturel du nouveau musée Benaki (2001-2005). Liana Nella-Potiropoulos (1959) fonde en 1989, avec son mari Dimitris Potiropoulos (1953), une agence aujourd’hui prospère qui signe de nombreux projets d’envergure dans tous les domaines, dont l’aéroport international d’Athènes, Eleftherios Venizelos (2000).
Autre association, plus rare, celle de deux femmes : Irini Sakellaridou (1955) et Morpho Papanikolaou (1955) ouvrent en 1982 l’agence Sparch à Thessalonique. Elles gagnent notamment le concours pour le siège social de la Banque nationale de Grèce, réalisé de 1999 à 2001 avec Maria Pollani (1958) et l’architecte italo-suisse Mario Botta (1943).
Il y a également celles qui dirigent seules leur propre agence avec succès. Zoe Samourkas (1962) est connue pour une résidence à Palaio Psychiko, remarquable par sa diaphanéité et son asymétrie, dont la morphologie est déterminée par l’utilisation de béton apparent (1994-1999). Katerina Tsigarida (1956) collabore avec l’Office for Metropolitan Architecture (OMA) à Londres de 1980 à 1984, puis ouvre une succursale de l’OMA à Athènes avec Elia Zenghelis (1937). En 1984, elle crée sa propre agence dans la capitale grecque avant de s’installer à Thessalonique en 1987 où elle fonde un bureau à son nom en 1996. De la « Hutte primitive » du mont Pélion en Thessalie (2000) à la maison familiale sur l’île d’Andros dans les Cyclades (2003), toutes deux distinguées et primées, ses interventions se caractérisent par la douceur, la discrétion et l’intégration dans le paysage grâce aux matériaux employés. La géométrie détermine ses plus grands projets, tels, à Thessalonique, le nouveau quartier de la Tour-Blanche (1996-2006) et le New Helexpo Gates (1999), réalisé avec Nikos Kalogirou et Alexandros Skouvaklis, et sélectionné pour le prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe en 2001. Amalia Kotsaki (1964) débute sa carrière en tant que collaboratrice de Nikos Valsamakis (1925) avant de créer sa propre agence, connue pour un grand nombre de théâtres. À l’exception de la construction d’une maison de vacances sur l’île de Kea en 2000, Aspasia Kouzoupi (1974) travaille essentiellement avec sa mère, la paysagiste et sculptrice Nella Golanda (1941) sur des projets de paysage qui valorisent les éléments préexistants, tels les aménagements d’anciennes carrières au mont Pendeli, au nord d’Athènes, et des abords de son périphérique, Attiki Odos (« la Voie attique »).
Lydia SAPOUNAKI-DRACAKI
■ BRADBURY D., Mediterranean Modern, Londres, Thames & Hudson, 2006 ; SKOUSBØLL K., Greek Architecture Now, Athènes, Studio Art Bookshop, 2006.
■ VAIOU D., LYKOGIANNIS R., « Otan o architekton einai gynaika », in Architektones, Journal of the Association of Greek Architects, no 61, janv.-fév. 2007.
ARCHITECTES [Inde depuis le début du XXe siècle]
Depuis des temps reculés, la connaissance de l’urbanisme et de l’architecture en Inde (Vastu Vidya) s’est perpétuée, du sthapati (le maître sculpteur, architecte des temples) à l’apprenti. Si les traditions orales sont peu à peu écrites et transmises au travers de textes canoniques, l’acte de construire demeure dans les mains de guildes d’artisans jusqu’à l’intervention coloniale qui remplace les savoir-faire traditionnels par des disciplines et des institutions. La profession reste toutefois l’apanage des hommes, et ce, même après l’indépendance politique de 1947. Pravina Mehta*, Gira Sarabhai*, Urmila Elie Chowdhary, Hema Sankalia* sont quelques-unes des premières femmes architectes d’importance majeure. Elles appartiennent à des familles de l’élite et possèdent de nombreuses relations. Elles suivent un enseignement professionnel et sont encouragées à poursuivre des études supérieures. Leur culture artistique touche à la littérature, à la peinture et à la musique. Elles mènent une vie non conventionnelle dans une société où les femmes se définissent traditionnellement par le mariage et la maternité. Le plus souvent éduquées en Occident, elles sont influencées par les aspirations esthétiques et utopiques du modernisme, mais aussi par un esprit nationaliste. Leur milieu social privilégié, qui leur confère une arrogance de classe et une facilité à se présenter en public, les aide sans doute à atteindre le succès. Elles luttent alors contre les bastions masculins et abattent les frontières imposées aux femmes.
L’ère de la post-indépendance en Inde est une période de transition majeure tant sur le plan économique que technologique, culturel, social ou politique. L’enseignement supérieur se démocratise chez les jeunes filles des milieux urbains. Ainsi, les décennies qui suivent sont-elles cruciales pour le développement de l’architecture indienne. On assiste à une intense recherche d’identité et d’expression, l’architecture devenant une manifestation matérielle de la jeune nation. D’un côté, prévaut la tentation du revival, conséquence de la longue et douloureuse lutte nationaliste menée par le pays, de l’autre un fort désir existe au sein du monde politique d’exprimer à travers l’architecture le « tournant moderne » du nouveau pays émergent. C’est aussi l’époque où de grands maîtres tel que Le Corbusier et Louis Kahn construisent en Inde. La première école d’architecture indienne est créée dans les années 1920, née du cours de dessin fondé en 1907 au sein du J.J. College of Art. Les premières promotions d’étudiants ne comptent alors qu’une ou deux filles, mais, dans les années 1960, elles sont cinq ou six pour trente étudiants. Brinda Somaya*, Neera Adarkar*, Revathi Kamath *et d’autres œuvrent alors dans plusieurs directions, empruntant de nouvelles voies pour créer leur propre identité et atteindre l’excellence professionnelle. Ce sont de fortes personnalités qui assument leurs responsabilités et s’engagent pleinement pour atteindre leurs objectifs. Elles doivent affronter des résistances en s’aventurant dans la sphère publique. Leur conjoint et leurs familles sont souvent leurs principaux soutiens.
Au sein de la jeune génération, de brillantes jeunes femmes explorent de nouvelles pratiques professionnelles, comme Anupama Kunddo et Abha Narain Lambah. A. Kunddo a une approche comparable à celle de R. Kamath. Installée dans la ville d’Auroville, près de Pondichéry, dans le Tamil Nadu, elle se forge une renommée en tant que praticienne de modes alternatifs, passionnée par les systèmes de construction. Elle est formée au Sir J.J. College of Architecture de l’université de Mumbaï (1984-1989) et sensibilisée au modernisme par le premier édifice de ce mouvement réalisé en Inde en 1948 par Antonin Raymond. Elle est également impressionnée par Le Corbusier et par Roger Anger, l’architecte de la ville expérimentale d’Auroville, auquel elle consacre un ouvrage. Elle aime apprendre des entrepreneurs, ingénieurs, maçons et ouvriers et cherche à maîtriser l’ensemble du processus architectural jusqu’à la construction. Elle s’efforce d’explorer et de mettre en évidence la qualité inhérente et la beauté de chaque matériau, tout en en réduisant au minimum les effets environnementaux. Construction et fabrication sont réalisées sur site. Elle expérimente des types de construction variés : l’utilisation de voûtes en corps creux de terre cuite dans la résidence Pierre-Tran, l’intégration de pots de terre cuite dans les dalles de la Wall House à Auroville (2000) ou encore la combustion intérieure de dômes de briques pour les rigidifier dans un orphelinat de Pondichéry (2008). La même année, elle soutient une thèse à Berlin sur ce dernier procédé. Elle recherche également des solutions économes en énergies et en eau, recyclant ainsi les eaux de pluie dans l’Hôtel de Ville d’Auroville (2003-2005) ou recourant à des panneaux photovoltaïques dans la Wall House. Elle aime travailler sur les détails mais participe également à l’élaboration du plan d’ensemble d’Auroville, considérant qu’il est important d’intervenir à toutes les échelles.
A. N. Lambah place sur le devant de la scène la question de la conservation architecturale à propos de laquelle, depuis 2005, les attitudes s’améliorent, des agences gouvernementales s’impliquant désormais là où jadis les actions étaient limitées aux initiatives des citoyens. Après un master spécialisé dans le domaine de la restauration et de la conservation à l’École d’urbanisme et d’architecture de Delhi, elle travaille au sein d’importantes agences avant de créer la sienne. Elle intervient sur des édifices de tous types et de toutes périodes historiques, de l’antiquité jusqu’à l’époque coloniale. Elle restaure ainsi le sanctuaire du XVe siècle dédié au Bouddha Maitreya, au Ladakh (2004-2006) ou le temple de Krishna du XVIe siècle à Hampi (2006-2007), ainsi que de nombreux édifices victoriens de Mumbaï, du néoclassique palais Tata pour la Deutsche Bank (2003-2004) aux édifices néogothiques de la J.J. School of Arts (2004-2005) ou de l’université (2005-2006). Ses clients vont de l’administration aux entreprises privées. Elle met l’accent sur l’expérience pratique et respecte l’authenticité des matériaux en s’efforçant de considérer l’édifice, le site ou le plan de manière holistique. Chaque fois que cela lui est possible, elle préfère employer des artisans et menuisiers traditionnels et des ingénieurs locaux. Ainsi son projet pour le temple de Ladakh, physiquement difficile, lui donne-t-il de nouvelles perspectives à l’échelon de la communauté locale. Bien qu’elle n’ait jamais ressenti d’obstacles liés au fait d’être une femme, elle avoue avoir été obligée de grimper parfois sur des échafaudages en bambou pour être prise au sérieux. Elle a une pratique réflexive sur sa profession et signe des ouvrages sur l’histoire et la restauration de l’architecture.
La plupart de ces femmes architectes ne se disent pas « féministes », à l’exception de N. Adarkar, pointant leur désapprobation à l’égard de tous les mots en « isme », tout en croyant fortement à l’égalité des sexes en tant que droit fondamental. Issues de la classe aisée, beaucoup ne voient pas l’impact que le mouvement féministe a eu sur leur vie. Leurs intentions se limitent au souci de leur propre non-discrimination. Bien qu’elles fassent fréquemment référence à leurs maîtres et à leurs patrons, la plupart d’entre elles répugnent à citer le nom d’un mentor.
Madhavi DESAI
■ DESAI Ma., DESAI Mi, LANG J., Architecture and Independence : the Search for Identity. India 1880 to 1980, Delhi/Oxford, Oxford University Press, 1997 ; DESAI M. (dir.), Women and the Built Environment, New Delhi, Zubaan, 2007 ; KUNDOO A., Building with Fire Baked in situ Mud Houses of India : Evolution and Analysis of Ray Meeker’s Experiments, Berlin, Université technique, 2008 ; ID., Roger Anger : Research on Beauty/Recherche sur la beauté, architecture 1953-2008, Berlin, Jovis, 2009 ; NARAIN LAMBAH A., PATEL A., The Architecture of the Indian Sultanates, Mumbaï, Marg Publications, 2006.
ARCHITECTES [Israël depuis le début du XXe siècle]
La présence de femmes architectes dans le paysage de l’architecture israélienne n’est plus ni rare ni étonnante : les étudiantes augmentent régulièrement en nombre et, en 2005, elles représentaient la majorité des diplômés. L’enseignement de l’architecture débute en 1924, lorsque le Technion, l’Institut de technologie d’Israël, a ouvert ses portes. Jusqu’au début des années 1990, il demeure le seul à délivrer des diplômes dans ce domaine. Dès 1924, la première promotion d’ingénierie et d’architecture accueille une femme parmi ses 16 étudiants.
Si la première génération de femmes architectes avait été formée en Europe et était déjà active avant l’établissement du nouvel État indépendant, la deuxième étudie au Technion au cours des années 1950 et 1960 ; quant à la troisième, elle étudie essentiellement en Israël au cours des années 1970 et 1980. Contrairement aux générations précédentes, qui s’intéressaient surtout à la planification et à l’urbanisation des villes nouvelles et des villages, cette dernière intervient majoritairement au sein d’environnements urbains existants : l’intégration est le véritable défi que se lancent ces architectes, s’opposant ainsi à la phase pionnière de l’architecture israélienne. La plupart de leurs projets impliquent des rénovations, de nouvelles planifications et la réhabilitation de complexes urbains. Beaucoup de femmes architectes soulignent la nécessité de prendre en compte l’existant, intervenant dans l’espace public avec respect et sensibilité.
Les femmes architectes gagnent alors en importance et jouent des rôles majeurs dans l’urbanisme et dans toutes les sphères du monde architectural, tant dans les secteurs privés que publics. Nombreuses sont celles qui créent leur propre agence, bien que subsistent encore dans de multiples secteurs de nombreux sujets de discrimination, notamment salariale. En 2007, pour la première fois, une exposition a réuni les œuvres de 23 d’entre elles. Plusieurs travaillent en association et ont dans leur vie professionnelle le même partenaire que dans leur vie privée. Avec son mari Michael, Bracha Chyutin fonde une agence en 1978, qui réalise des édifices publics comme le bâtiment du sénat de l’université Ben-Gourion à Beer-Sheva (1998) et le palais de justice d’Haïfa (2004), deux projets remportés sur concours. Miri Kaiser et son mari Danny ouvrent une agence en 1988, rejoints en 1990 par Ilan Lekner, avec lequel ils signent le théâtre Herzliya (2001) et les bureaux de la banque Leumi à Tel-Aviv (2003). En 1979, Michal Kimmel-Eshkolot fonde avec son mari Etan Kimmel une agence qui construit l’établissement d’enseignement privé Tel Baruch à Tel-Aviv (2003-2004) et le Davidson Center, musée situé dans la vieille ville de Jérusalem (2009). Ganit Mayslits-Kassif, associée à son mari Udi Kassif depuis 1994, remporte deux concours qui lui permettent de réaliser le centre civique Remez-Arlozorov à Tel-Aviv (1997-2009) et, dans la même ville, l’aménagement des espaces portuaires (2003-2008). Depuis 1987, Yael Moria-Klain dirige avec David Sekely une agence de paysagisme qui réalise, à Tel-Aviv, la rénovation de la rue Ibn-Gavirol (2008-2010), ainsi que la construction et l’aménagement de la piscine publique Gordon et de ses environs (2006-2010). Thea Kisselov et Liora Kisselov-Kaye travaillent avec Olesh Kaye depuis 1979 et remportent le concours lancé pour l’Hôtel de Ville d’Eilat (2009), après avoir achevé l’École d’art Kalisher à Tel-Aviv (1997). Naama Malis dirige seule l’agence qu’elle a ouverte en 1994 avec Shamei Assif. Elle a notamment signé un immeuble à Givataim (2005) et construit actuellement une tour de trente-trois étages à Tel-Aviv, la tour Yitzhak-Sadeh.
Sigal DAVIDI
■ DAVIDI S., Ha-Nokheḥut ha-nashit ba-adrikhalut ha-Yiśreʼelit : adrikhalut shel nashim be-Yiśraʼel, Tel-Aviv, Israeli Architects Association, 2009.
■ « Casa Chyutin, Mediterraneo », in Casas/Houses, mars 2002 ; JACOBSON R., « Davidson Center, Jerusalem : A Modern Museum Tells the Story of Its Site’s Transformation Across Time, Kimmel Eshkolot Architects », in Architectural Record, vol. 197, juil. 2009 ; MAYSLITS G., KASSIF U., « Tel Aviv Port Public Space Rejuvenation, Israel », in Topos, European Landscape Magazine, vol. 67, juil. 2009.
ARCHITECTES [Italie depuis le début du XXe siècle]
Les pionnières
L’histoire des femmes architectes italiennes commence au XXe siècle. Certes, Plautilla Bricci* bâtit une prestigieuse villa à Rome en 1643, mais elle représente un cas isolé et exceptionnel. En réalité, les pionnières apparaissent avec la création de la première École d’architecture, fondée à Rome en 1919. Jusqu’alors, n’existaient que l’Académie des beaux-arts et l’École des ingénieurs civils. Cependant, peu d’entre elles obtiennent leur diplôme et moins nombreuses encore sont celles qui choisissent de se consacrer à l’architecture. En 1938, l’ordre professionnel ne compte que 13 femmes, une élite distinguée par ses résultats remarquables.
Cette faible présence féminine dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme s’explique en grande partie par l’histoire de l’Italie, où la tradition catholique a longtemps cantonné la femme au seul cadre domestique. Le fascisme n’est pas en reste : le régime encourageant l’exclusion des femmes du monde du travail par des mesures législatives leur en limitant l’accès ; seul l’enseignement est toléré. De surcroît Mussolini nie leurs capacités créatrices. D’ailleurs, le fascisme n’admet pas la participation des femmes aux Littoriali, compétitions universitaires annuelles au cours desquelles les étudiants s’affrontent autour de thèmes sportifs et culturels. Et, pour pouvoir travailler à de grands travaux publics, il faut avoir ses entrées dans les sphères du pouvoir, ce qui constitue pour les femmes, également rejetées de la vie politique, un obstacle supplémentaire. Pour preuve, le cas de Maria Emma Calandra (1912-2004) : fille d’Enrico Calandra (1877-1946), professeur à la faculté où elle obtient son diplôme en 1935, elle remporte de nombreux concours mais ne voit aucun de ses projets sélectionnés se réaliser. Elle entre alors au ministère de l’Instruction publique comme employée à la protection du patrimoine architectural et artistique, puis reprend une activité d’architecte après la guerre, collaborant avec Bruno Zevi (1918-2000) à des plans de reconstruction. Malgré ces discriminations, certaines femmes passent à travers les mailles du fascisme et prêtent leurs services tant au public qu’au privé. En témoignent Elena Luzzatto Valentini* (probablement la première femme italienne diplômée en architecture en 1925), Stefania Filo Speziale*, Maria Teresa Parpagliolo*, Attilia Travaglio Vaglieri*, sans oublier les rares femmes ingénieures civiles, telles Gaetanina Calvi (1887-1964), diplômée de l’École polytechnique de Milan (EPM) en 1913, ou Maria Bortolotti Casoni (1890-1971), à Bologne en 1918.
S. Filo Speziale participe à Naples en 1937 à l’exposition des Terres d’outremer, destinée à glorifier l’empire colonial italien. M. T. Parpagliolo coopère au projet des espaces verts de l’Exposition universelle, autre manifestation prestigieuse qui aurait dû se tenir à Rome en 1942. Luisa Lovarini (1895-1980) présente à la Triennale de Milan de 1933 sa Casa del dopolavorista, modèle d’habitation rationnelle. Elvira Luisa Morassi (1900-2002), probablement la première à sortir diplômée en architecture de l’EPM en 1928, s’attire les plus vifs éloges par ses contributions dans le domaine de la décoration. Ces femmes, vivant dans les principales villes italiennes où sont établies des facultés d’architecture, viennent des classes moyennes et supérieures. Surmontant de nombreux écueils, elles parviennent à émerger, souvent grâce à la présence d’un partenaire, mari ou professeur. Ainsi, S. Filo Speziale offre ses compétences à Marcello Canino (1895-1970), son professeur à l’université de Naples. Durant l’entre-deux-guerres, tout projet confié à un groupe est placé sous la responsabilité d’un homme. Néanmoins, quelques femmes admises dans ce métier masculin ne semblent pas avoir travaillé dans l’ombre de leurs collègues, mais plutôt à leurs côtés.
L’activité des pionnières s’est prolongée jusqu’aux années 1970, s’élargissant lentement. On relève l’arrivée d’Egle Renata Trincanato*, première femme diplômée, en 1938, de l’Institut supérieur d’architecture de Venise (actuel IUAV), et d’Ada Bursi*, diplômée en 1938 de l’université de Turin. Leurs activités professionnelles ne se limitent pas à la décoration intérieure et au design, mais s’étendent aux bâtiments privés et publics (logements, écoles, marchés, bureaux, cimetières), à la restauration et aux espaces verts. Ce petit groupe hétérogène de femmes très motivées, déterminées, fortes de leur souplesse d’esprit, est particulièrement présent dans les programmes de logements sociaux, lancés au sortir de la guerre, et la réalisation de nouveaux quartiers, qui exige des compétences en urbanisme. Leurs réalisations dans le domaine de l’architecture du paysage, où se distinguent d’abord M. T. Parpagliolo puis Maria Vittoria Calzolari* (diplômée à Rome en 1949), sont novatrices. Du point de vue des solutions et du lexique adoptés, leurs projets reflètent les orientations de la période qui les a vues naître. Des années 1920 aux années 1970, la quête d’une matrice classique italienne, qui dans le cas du jardin devient baroque, se déplace vers une esthétique plus proche des exemples européens, s’inspirant du rationalisme.
Des mutations des années 1970, auxquelles le mouvement estudiantin et le féminisme apportent une contribution significative, découlent la hausse du taux de scolarisation, la revendication de formes d’égalitarisme social et l’affirmation de conduites innovantes, qui transforment la condition féminine. Une nouvelle phase s’ouvre : le nombre des diplômées de facultés traditionnellement masculines (médecine et architecture) augmente tant qu’elles sont aussi nombreuses que leurs homologues masculins. Même si une partie seulement d’entre elles embrasse la carrière d’architecte (les possibilités de travail sont toujours inégales), c’est un profond changement. On discerne cependant des traits de continuité. La génération entrée dans le monde du travail durant les années 1970, tout comme l’élite des pionnières avant elle, vise à la qualité du projet ; en témoignent ainsi l’activité de Franca Stagi* à Modène, les interventions de Laura Thermes* à Gibellina (Sicile) ou le projet et la restauration d’espaces verts de Mariachiara Pozzana (1952). L’habitude perdure de travailler en couple avec son mari ; preuve en sont les tandems constitués par Gigetta Tamaro (1931) et Luciano Semerani (1933), Nicoletta Cosentino* et Francesco Cellini (1944), L. Thermes et Franco Purini (1941), Gabriella Ioli (1945) et Massimo Carmassi (1943). Des associations se constituent pour définir et approfondir le thème de la création féminine, tel le Gruppo Vanda, laboratoire de recherches fondé en 1990 auprès de l’EPM. Les expériences effectuées dans les années 1970 mettent l’accent sur une question cruciale, qui a traversé tout le siècle : existe-t-il une spécificité du projet féminin ? Au vu de leurs activités et de leurs développements, les femmes ont une démarche qui ne diffère apparemment pas de celle des hommes. L’enceinte domestique incombe à la femme, mais pas à elle seule. La conception de l’architecture qui se dégage ne revêt aucune connotation précise de genre. Hommes et femmes se placent de la même manière face au projet. Les uns comme les autres participent à la révision critique du mouvement moderne et accordent autant d’importance au dessin et à l’analyse urbaine. Ils ne se différencient pas même par un langage expressif ou, si tel est le cas, la diversité porte sur certains aspects comme une plus grande attention aux exigences matérielles de l’usager. On ne peut cependant pas nier une prédilection des femmes pour certains secteurs d’activités, tels la restauration ou le paysage, où elles atteignent de remarquables résultats.
Si le nombre des femmes diplômées en architecture est supérieur à celui des hommes en Italie au début du XXIe siècle, un lourd chômage frappe ce secteur et la présence des femmes s’amoindrit à mesure que l’on gravit les échelons professionnels. Pour autant, un signal d’encouragement est arrivé en 2000 avec la constitution de la SIUIFA (section italienne de l’Union internationale des femmes architectes). Bien que tardive comparée à d’autres pays, cette décision traduit une plus grande conscience de genre et confère aux Italiennes une identité plus claire en matière d’architecture.
Dans un cadre plutôt fragmenté, une tendance nouvelle apparaît : la formation de groupes et d’agences d’architecture composés exclusivement de femmes. La génération née dans les années 1970 préfère travailler entre femmes. Dotées d’une grande souplesse, elles s’intéressent aux sujets les plus diversifiés et opèrent dans une dimension où la frontière entre art et architecture reste fluide. Parmi ces ateliers, on distingue le Studio.eu, fondé à Berlin en 2000, qui remporte un vif succès. Paola Cannavò (1966), Maria Ippolita Nicotera (1966) et Francesca Venier (1971) travaillent essentiellement entre l’Italie, la France et l’Allemagne. Leur jardin temporaire, réalisé à l’occasion du festival international de Jardins à Grand-Métis (Québec 2003), illustre parfaitement l’attention qu’elles accordent au rapport avec le paysage. À Rome, aQ (Architettura quotidiana), dont le nom exprime le programme engagé dans un urbanisme intégrant la participation des citadins, réunit Laura Federici (1961), Laura Negrini (1969) et Anna Lisa Lombardi (1964). Citons à son actif le bâtiment scolaire Felino (Parme 2005) et un parc de loisirs à Tarente (2004). Toujours à Rome, l’agence Officina5, créée en 2000 par Paola Gasparri (1968), Lucia Manfredonia (1970), Cristina Monti (1967) et Federica Morgia (1969), s’est spécialisée dans les projets d’architecture urbaine et de paysage ; elle participe à des concours et à des ateliers de travail internationaux. La requalification du village de Torre Faro dans la province de Messine (2003-2008) compte parmi ses réalisations les plus prestigieuses.
La recherche d’Antonella Mari (1966), diplômée en 1994 à Rome, est fort prometteuse. En 2000, elle ouvre un cabinet à Polignano a Mare (province de Bari) et se consacre surtout aux bâtiments résidentiels, hôteliers ou commerciaux. Elle participe à de nombreux concours et reçoit de nombreux prix, notamment pour un projet de bâtiment scolaire à Bitonto (Bari 2001) et pour le nouveau musée d’Art contemporain de Castelmola, près de Taormina. Invitée à de nombreuses expositions et à plusieurs Biennales d’architecture de Venise, elle reçoit les éloges de la profession à l’édition de 2006 pour l’ensemble hospitalier d’une ville nouvelle de la plaine du Pô qui n’a pas vu le jour, Vema (empruntant son nom à Vérone et Mantoue, villes entre lesquelles elle aurait dû se situer). Laura Rocca (1969), diplômée en 1994 de l’EPM, fonde en 2000 à Monza la Roccatelier associati, qu’elle dirige. Candidate à de nombreux concours, elle remporte des prix en Italie et à l’étranger (lauréate de l’International Architecture Award en 2007). Dans la province de Milan, son projet d’école maternelle de Sesto San Giovanni (2005) et le bâtiment résidentiel, réalisé, sont des exemples particulièrement réussis.
Force est de constater que la nouvelle génération est en train de définir, bien que sporadiquement, une spécificité de genre en architecture et en urbanisme. En témoignent leur choix de former des groupes de femmes et l’attention qu’elles portent aux aspects pratiques de la vie quotidienne, fruit d’une écoute active de la part d’architectes engagées dans des groupes où des citadins participent aux projets. Doit-on s’en réjouir ou ne court-on pas le risque de voir cette tendance entraîner un mouvement de repli défensif de la part des femmes qui, reléguées dans des niches, abandonnent les grands projets à leurs collègues masculins ?
Pier Paola PENZO
■ COSSETTA K., Ragione e sentimento dell’abitare. La casa e l’architettura nel pensiero femminile tra le due guerre, Milan, F. Angeli, 2000 ; DE GRAZIA V., Le donne nel regime fascista, Venise, Marsilio, 1993 ; FIORILLO C., Discorso sulla donna e l’architettura, Naples, Ulisse & Calipso, 1990 ; GALBANI A. (dir.), Donne politecniche, Milan, Scheiwiller, 2001.
■ FABRIS L. M. F. (dir.), « Architetti Under Quaranta. Antonella Mari. Ristorante a Polignano a Mare (Bari) », in Costruire, no 269, 2005.
ARCHITECTES [Japon depuis le milieu du XXe siècle]
L’université de Tokyo, fondée en 1873, est la première à ouvrir un département d’architecture au Japon, qui demeure le principal lieu d’enseignement dans ce domaine. Après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des départements ouvrent leurs portes aux femmes, dans les universités privées comme publiques. Bien que peu nombreuses encore dans les années 1970, les étudiantes représentent en 2000 plus de 20 % des diplômés en architecture, et leur nombre continue de croître. Du côté de la profession, sur les 4 680 membres que compte l’Institut japonais des architectes en 2010, 4,5 % sont des femmes, et, parmi ceux qui ont obtenu une licence d’exercice, leur pourcentage s’élève à plus de 22 %.
Sejima Kazuyo (1956) est l’architecte la plus influente de la nouvelle génération. Avec ses réalisations translucides, elle s’impose comme l’un des chefs de file de l’architecture du XXIe siècle. Ses œuvres se caractérisent par la transparence et la légèreté de leurs structures. Usant de formes simples, elle démantèle la hiérarchie fonctionnelle de l’espace qu’elle traite de manière uniforme. Sortie avec une licence d’architecture de l’Université des femmes du Japon, en 1981, elle commence par travailler pour le bureau d’Ito Toyo (1941). En 1987 elle fonde sa propre agence, Sejima Kazuyo & Associés, et reçoit le prix attribué par la revue d’architecture de l’Institut Kajima, SD Review, pour « Plateforme I, Maison de vacances » et « Plateforme II, Studio » l’année suivante. En 1992, elle est lauréate du Prix du jeune architecte de l’Institut d’architecture du Japon (AIJ) pour son Foyer pour femmes Saishunkan-Seiyaku.
Avec Nishizawa Ryue (1966), elle fonde SANAA (Sejima and Nishizawa and Associates) en 1995, mais continue à exercer selon ses propres méthodes. On compte parmi ses principales réalisations la maison « Dans un bosquet de pruniers » (Tokyo 2001-2003) ; le Centre social Onishi (Gunma 2003-2005) ; le pavillon de verre du musée des Beaux-Arts (Toledo, Ohio 2006) ; l’École de management et de design Zollverein (Essen 2006) ; le Rolex Learning Center de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (2009) ; et, parmi ses projets, le Louvre de Lens (2005). En 2010, elle reçoit avec Nishizawa R. la plus haute distinction architecturale, le prix Pritzker, faisant d’elle la deuxième femme à l’obtenir après Zaha Hadid*. Elle est professeure invitée de l’université Keio de Tokyo depuis 2001 et occupe la chaire Jean Labatut à l’université de Princeton.
Beaucoup de jeunes femmes architectes exercent au Japon. Il est fréquent qu’elles établissent des partenariats pour diriger un bureau de création. Parmi elles on peut citer Hirakura Naoko (1950), de Hirakura Naoko architects & Associés, qui a conçu essentiellement des logements, parmi lesquels les maisons tokyoïtes de Tokiwadai (1997) et Hamadayama (2006) ; et Kudo Kazumi (Kagoshima 1960), de Coelacanth K+H Architects, qui a réalisé plusieurs bâtiments liés à l’enseignement comme l’école primaire Utase (Chiba 1995) et la bibliothèque Kanazawa-Umimirai (Ishikawa 2011).
TANAKA ATSUKO
■ DANIELL T., After the Crash. Architecture in Post-Bubble Japan, New York, Princeton Architectural Press, 2008 ; HASEGAWA Y., Kazuyo Sejima + Ryue Nishizawa : SANAA, New York, Phaidon, 2006 ; SUMNER Y. (dir.), New architecture in Japan, New York/Londres, Merrell, 2010.
ARCHITECTES [Norvège depuis les années 1880]
Les pionnières
En Norvège, l’enseignement de l’architecture a toujours été ouvert aux femmes, mais ce n’est que dans les années 1880 que les premières d’entre elles intègrent la filière « construction » de l’École royale des arts décoratifs de Christiania (SHKS Oslo). Avec 27 femmes architectes enregistrées à l’Union des architectes norvégiens (NAL) durant les deux premières décennies du XXe siècle et 70 noms recensés avant 1940, la Norvège devance nombre de pays. Cela peut être expliqué par une particularité démographique : une proportion plus grande de femmes que d’hommes à la fin du XIXe siècle a pu faciliter leur entrée sur le marché du travail par le fait qu’elles devaient subvenir à leurs besoins. Rares cependant sont celles de la première génération à avoir laissé une production remarquable et, lorsque c’est le cas, leur œuvre est essentiellement composée de logements et d’équipements sociaux (crèches, écoles, maisons de retraites, hôpitaux). Parmi celles de la deuxième génération, plusieurs ont travaillé avec leur mari, se consacrant surtout à des aménagements intérieurs, telle Karen Berner Brochmann (1908-1988) aux côtés d’Odd Brochmann (1909-1992).
Après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de femmes architectes augmente ; elles s’imposent dans les débats, commencent à occuper des positions administratives et à enseigner. Ainsi elles étendent leurs champs d’activités de la planification urbaine aux divers genres d’architectures : églises, maisons culturelles, équipements sportifs, bureaux, industries. Des femmes architectes s’engagent dans la lutte pour l’égalité des sexes, obtenant ainsi des résultats tangibles dans les années 1970. En 1972, Helene Støren Kobbe (1915-1988) devient la première présidente de la NAL et la première directrice de la planification urbaine d’Oslo. Elle œuvre pour une structure urbaine moderne et fonctionnelle, avec un souci d’équilibre entre les banlieues satellites et le centre-ville. En 1975, Année internationale de la femme, Turid Haaland (1945) est la première lauréate de la fondation Anton Christian Houens, la plus haute distinction norvégienne en architecture. Cette même année, un quota d’étudiantes est instauré à l’École d’architecture d’Oslo. Après une première période de recrutement difficile, les femmes y dominent en nombre depuis les années 1980. C’est à ce moment que les premières agences féminines apparaissent en Norvège, telles Aasta AS (1987-1992) et 4B (1984).
Après la crise du milieu des années 1990, les agences féminines ont tendance à grandir et à s’intégrer dans la production norvégienne. Depuis, des femmes influencent l’architecture norvégienne en tant qu’enseignantes et architectes actives et innovantes. Kari Nissen Brodtkorb (1942) et Kristin Jarmund (1954) comptent parmi celles qui ont contribué à rendre les femmes visibles dans l’architecture norvégienne. Toutes deux ont été récompensées par la fondation Anton Christian Houen (en 1994 et en 2000).
Diplômée de l’École polytechnique de Norvège en 1965, K. Nissen Brodtkorb dirige son agence depuis 1971. Par une décomposition des volumes, une réinterprétation des traditions ainsi qu’une combinaison de la beauté et de la fonction qui selon elle ne font qu’un, son langage formel novateur a déjà marqué son temps. Auteure d’importants ensembles d’habitation, elle obtient des configurations dynamiques et variées par un fractionnement des masses, caractérisées par une implantation en harmonie avec la topographie (Smestad havedgård 1989 ; Hoff terrasse 1986 ; Gullkroken 1986 ; Prinsessealleen 1991 ; Kirkeveien 1998). Son œuvre majeure est le Stranden (1990), réalisé dans le cadre de la reconversion d’une zone portuaire industrielle en un nouveau quartier périphérique d’Oslo. Avec un angle aigu élancé, l’édifice est censé rappeler la proue d’un navire et, par des murs en brique rouge aux contours d’acier peints en noir, les docks anglais. Derrière des façades composites mais raffinées, l’ensemble de dix étages réunit en un seul volume 20 000 mètres carrés de boutiques et bureaux ainsi que 120 appartements. Il en résulte un ensemble évocateur dont l’esthétique est appréciée par le public. Ses bureaux, pour Gjensidige à Lysaker (1999) et pour Orkla à Skoyen (1998), sont conçus selon les mêmes principes esthétiques. Lauréate du concours pour l’extension de la gare centrale de Göteborg en Suède en 2003, elle y a créé un centre de voyageurs fonctionnel. Tout en respectant l’ancienne gare adjacente dessinée par Adolf W. Edelsvärd (1824-1919) en 1857 et aujourd’hui protégée, le nouvel édifice en béton, pierre, verre, acier et bois réunit les gares de trains et de bus, ainsi que des boutiques, un hôtel, des bureaux et des lieux de restauration.
Diplômée de l’École polytechnique de Norvège en 1979, K. Jarmund a ouvert son agence en 1985. En 1991, elle s’est fait remarquer par la construction de Fyrstikkterrassen, un grand bâtiment industriel à Oslo réinterprétant les anciens idéaux du modernisme classique dans l’esprit néerlandais De Stijl. Précurseure du néomodernisme norvégien, elle y a créé un jeu dynamique alternant lumière et ombre par des volumes asymétriques et cubiques. Dans la crèche du personnel de l’hôpital Stensby à Eidsvoll (1992-1994), elle a conçu un ensemble fonctionnel et ludique, grâce à la combinaison de la polychromie et la géométrie. Le bâtiment Justervesenet à Kjeller, laboratoire et bureaux des services norvégiens de Métrologie et d’Accréditation, a été primé pour son intégration remarquable dans le paysage et son architecture exceptionnelle par le prix d’environnement du comté de Skedsmo en 1997 et lui a valu le diplôme de la fondation Houen en 2000. Le bar-restaurant du quartier de Majorstuen à Oslo (1998) confirme son approche internationale, en associant des qualités urbaines contemporaines avec des références européennes, tels Pierre Chareau (1883-1950) ou Josep Lluís Sert (1902-1983). Dans les façades de l’école de Benterud à Lørenskog (1999), elle a combiné à nouveau des jeux de volumes avec des ouvertures asymétriques. En 2010, une exposition itinérante de dix de ses œuvres a été présentée dans divers pays.
Annonciatrice de l’architecture écologique en Norvège, Frederica Miller est diplômée de l’École d’architecture d’Oslo (1984). Elle dirige son agence depuis 1986 et est membre de Gaia Arkitekter, un groupement de quatre agences norvégiennes tournées vers l’architecture et l’urbanisme durable. Son œuvre, déjà riche, est dominée par le logement, un engagement qui vient d’être récompensé par la ville d’Oslo (2010). Dans sa Kretsloppshus, maison conçue en accord avec le cycle de la nature, le cadre architectural et humain est en équilibre avec les ressources naturelles par une adaptation de l’apport d’air, d’eau, de lumière et d’énergie au climat, à la topographie, aux ressources et aux techniques. Dans ce même esprit, elle réalise également des ensembles importants tels un foyer de vacances à Fagerstrand pour le syndicat des ouvriers maçons, les écoles Steiner de Brumunddal et de Jevnaker ainsi qu’un établissement agricole à Hvisten. Solveig Thoresen, diplômée de l’École polytechnique de Norvège en 1989, dirige son agence à Alta, Atrium, depuis 1992. Dans son œuvre riche et variée, le contexte prime et influence des solutions formelles. Elle construit des résidences pour des personnes âgées, des bureaux, des crèches, des écoles et des aéroports dans le nord de la Norvège. L’aéroport de Båtsfjord (1997) combine tradition et modernité dans une structure dense et basse, enveloppée d’un lambris de bois naturel horizontal, intégré dans le paysage par des murs habillés de pierres.
Si, au début du XXIe siècle, un tiers des architectes norvégiens sont des femmes, seulement 1,5 à 2,5 % des agences dont la production est importante sont dirigées par des femmes. Un trait commun à l’œuvre de ces Norvégiennes, toutes générations confondues, est la volonté d’améliorer plutôt que de renouveler les formes et d’accorder la primauté au fonctionnel plutôt qu’au visuel, cherchant la simplification.
Linnéa ROLLENHAGEN TILLY
■ FINDAL W., Mindretallets mangfold. Kvinner i norsk arkitekturhistorie, Oslo, Abstrakt, 2004 ; FRAMPTON K., MANING P., SAND B., Kristin Jarmund Arkitekter, Oslo, Pax, 2008 ; HJALMARSSO Å., « Ny byggnad på rätt spar », in 5 söker : essäer om arkitektur, SLU, 2007.
ARCHITECTES [Nouvelle-Zélande depuis le début du XXe siècle]
À partir des années 1910, les femmes tentent de se faire une place dans la profession d’architecte, suivant l’exemple de leurs homologues australiennes, comme Florence Taylor*. En 1914, Lucy A. Greenish est la première à être élue membre de l’Institut des architectes de Nouvelle-Zélande (NZIA). Margaret Munro est la première femme architecte de Canterbury et Nancy Northcroft la première urbaniste. Diplômée en architecture à Auckland en 1940, elle étudie les politiques du logement moderne à Londres, puis devient officier en chef de l’urbanisme de Christchurch. Elle y conçoit, en 1959, un plan régional visant à limiter l’étalement urbain et à préserver les zones vertes, puis, en 1962, un schéma directeur des transports qui inspire ceux de plusieurs autres villes.
Parmi les architectes néo-zélandaises émigrées en Angleterre qui contribuent de manière significative à l’architecture moderne britannique, on distinguera Alison Shepherd. Après des études à l’École d’art puis à l’École d’ingénieurs du Canterbury College de Christchurch, elle poursuit sa formation à l’Architectural Association de Londres. Elle passe le reste de sa vie en Angleterre et est la première architecte néo-zélandaise à devenir membre du Royal Institute of British Architects (Riba), en 1928. Elle contribue, avec son mari Jock Shepherd, à la conception et à la réalisation du Shakespeare Memorial Theatre à Stratford-sur-Avon (1927-1932), en partenariat à cette occasion avec Elisabeth Scott*. Elle est aussi connue pour ses dessins au trait, en particulier ceux qui illustrent le livre de référence de John Summerson : Georgian London (1945).
Lillian J. Chrystal est l’une des rares pionnières dont l’activité professionnelle continue encore en 2010. Après des études d’architecture à Auckland à la fin des années 1940, elle travaille en Europe pour deux éminents architectes modernes, Ernö Goldfinger (1902-1987) à Londres, puis André Sive (1899-1958) à Paris, avant de fonder sa propre agence à Auckland, en 1954. Pendant une dizaine d’années, elle se consacre surtout à l’architecture commerciale. En 1963, un immeuble de bureaux pour Lincoln Industries lui vaut un prix du NZIA. Si ses travaux postérieurs sont plutôt des projets domestiques, comme la maison Yock à Remuera, récompensée en 1967 par la Médaille de bronze du NZIA, son œuvre comprend aussi quelques projets sociaux et civiques tels qu’un dispensaire ou une maison de retraite et, plus tardivement, la rénovation complète d’une église datant de 1897.
Françoise FROMONOT
■ CLARK J., WALKER P., Looking for the Local : Architecture and the New Zealand Modern, Wellington, Victoria University Press, 2000 ; SHAW P., MORRISON R., MCCREDIE P., A History of New Zealand Architecture (1997), Auckland, Hodder Moa Beckett, 2003.
■ GATLEY J., « Alison Shepherd (née Sleigh), Ariba : “Success of a New Zealand Lady Student” Revisited », in Fabrications, vol. 17, no 1, 2007.
ARCHITECTES [Pays-Bas depuis la fin du XXe siècle]
Aux Pays-Bas, les jeunes concepteurs d’espace peuvent se faire un nom rapidement et mener leur carrière avec succès. Ils ne sont pas obligés d’apprendre le métier pendant des années au sein de l’agence d’un architecte, d’un designer ou d’un urbaniste expérimenté et préfèrent fonder leur propre structure peu après la fin de leurs études. Dans plusieurs disciplines, de jeunes créatrices jouent un rôle de premier plan, de la graphiste Hella Jongerius *(1963), dont la reconnaissance est internationale et dont certains travaux sont exposés au musée Vitra Design à Bâle, à l’architecte Marlies Rohmer, connue pour ses projets innovants d’édifices d’enseignement et qui a exprimé sa vision sociale engagée dans une publication kaléidoscopique : Bouwen voor de next génération (« construire pour la génération suivante », 2007).
Plusieurs ouvrages traitant des courants dominants de la culture créative mettent en exergue des conceptrices hollandaises. L’ouvrage Superdutch New Architecture in the Netherlands (« Superdutch, nouvelle architecture aux Pays-Bas », 2000) de Bart Lootsma définit une tendance générale de la génération d’architectes des années 1990, dans laquelle des agences comme MVRDV et Mecanoo constituent une nouvelle phase de l’architecture moderniste. D’autres soulignent leur mode de travail, souvent collectif, comme celui du groupe de designers d’intérieur Droog Design dont fait partie H. Jongerius. Ces ouvrages insistent aussi sur des œuvres individuelles fortes et des projets surprenants en architecture. En revanche, ce qu’éditent les agences elles-mêmes traitent peu des ressemblances architecturales, se concentrant plutôt sur des œuvres uniques, comme les volumineuses publications de l’agence MVRDV qui lui valent une part de sa notoriété et dont Farmax, Excursions on Density (1999) et Metacity, Datatown (1999) sont les plus connues.
Plusieurs femmes architectes développent une œuvre propre tout en travaillant au sein d’une agence. Ainsi, Francien Houben (1955), qui travaille chez Mecanoo, donne un nouvel élan à l’architecture scolaire, jusque-là plutôt aride et simple, avec le projet de l’Isala College à Silvolde (1990-1995). Erna Van Sambeek élabore des projets contextuels au sein du bureau Van Sambeek & Van Veen qu’elle a fondé en 1986. Certaines se distinguent par des missions importantes de conseil. Nathalie De Vries (1965), cofondatrice de MVRDV en 1991, est conseillère pour la compagnie nationale des chemins de fer de 2005 à 2008. Liesbeth Van der Pol (1959), de DOK Architecten, devient en 2008 architecte du gouvernement, avec une mission de conseil en architecture de trois ans.
Dans le domaine de l’urbanisme et du paysage, des femmes produisent des projets marquants sur des thèmes actuels, comme le renforcement des caractéristiques paysagères ou la revitalisation d’anciens parcs urbains. Il en est fait mention dans le Jaarboek landschapsarchitectuur en stedenbouw (« annuaire du paysage et de l’urbanisme »), pour lequel un groupe de rédacteurs spécialisés sélectionne les projets les plus remarquables de chaque année. Le projet de Marlies Van Diest pour le réaménagement du boulevard à Katwijk aan Zee (2003-2008) renforce le caractère spécifique de cette ville balnéaire. Les paysagistes Karres et Brands, une agence fondée par Sylvia Karres (1976) et Bart Brands en 1997, démontrent avec leur réaménagement du parc de la ville de Groningue (2003-2005) que le métier s’élargit de la définition d’un simple plan à l’élaboration d’une vision globale sous la forme d’un projet de développement définissant des cadres.
Quelques femmes renforcent l’aspect professionnel des bureaux de conception en se situant à la croisée de plusieurs disciplines. Ainsi, l’historienne d’art Caroline Bos (1959) livre des contributions conceptuelles aux projets de l’agence d’architecture UNStudio qu’elle crée en 1988 avec Ben van Berkel. Un autre exemple significatif est le travail de Lidewij Edelkoort (1950), styliste et designer de formation, mais connue comme observatrice, et même gourou, des nouvelles tendances. Directrice du Design Academy d’Eindhoven jusqu’en 2008, elle n’ambitionne pas seulement d’améliorer l’enseignement de cette école d’art, mais de la transformer en une marque, de manière que chaque diplômé quittant l’école soit porteur de grands espoirs.
Dolf BROEKHUIZEN
■ HARSEMA H. (dir), Landschapsarchitectuur en stedenbouw in Nederland 2003-2007, Wageningen, Uitgeverij Blauwdruk, 2007 ; IBELINGS H. (dir), Architecten in Nederland. Van Cuypers tot Koolhaas, Amsterdam/Gent, Ludion, 2005 ; LOOTSMA B., Superdutch : de tweede modeniteit van de Nederlandse architectuur, Nijmegen, Sun, 2000 ; RIJKS T. de (dir), Designers in Nederland, een eeuw productvormgeving, Amsterdam/Gent, Ludion, 2003 ; ROHMER M., Bouwen voor de next generation, Rotterdam, NAI Witgervers, 2007.
ARCHITECTES [Pologne depuis le XVIIIe siècle]
Les femmes jouent un rôle culturel de premier plan lorsque, à la fin du XVIIIe siècle, la Pologne perd son indépendance et voit son territoire partagé. Pour les aristocrates préoccupés de l’avenir du pays, il est essentiel de préserver les valeurs polonaises qui ont contribué à l’histoire de l’Europe. Les réalisations environnementales deviennent alors un moyen de signifier la survie de l’élite sociale polonaise, à quoi les femmes contribueront tout particulièrement. Helena Radziwiłł (1753-1821) et Izabela Czartoryska (1746-1835) se distinguent comme créatrices de célèbres jardins. La première a conçu un vaste parc romantique dans la propriété familiale, Arcadia (1778-1785), non loin de Nieborów, et signé un guide des visiteurs ; la deuxième a vu son nom associé au parc Powązki à Varsovie (1771, aujourd’hui disparu) et au parc romantique de Puławy (1790-1831), récemment reconstruit – deux œuvres clés de l’histoire de l’architecture du paysage en Pologne.
Avec l’indépendance et la reconstitution de l’État en 1918 s’ouvre un nouveau chapitre de l’histoire polonaise et de celle des femmes, qui obtiennent le droit de vote la même année. La reconstruction du pays est l’une des tâches les plus urgentes et coïncide avec celle d’autres pays européens, également affectés par la Grande Guerre, où de nouvelles idées architecturales voient alors le jour et sont diffusées en Pologne, y jetant les bases de la pensée moderne. À l’origine de ces échanges, Katarzyna Kobro* notamment introduit les idées avant-gardistes russes, en particulier celles de Kasimir Malevitch, et cofonde en 1926 Praesens, groupement d’artistes et d’architectes engagés dans la modernité, inspiré par la Russie soviétique et l’Europe occidentale. Parmi les femmes architectes qui rejoignent le mouvement moderne, on relève les noms de Barbara Brukalska* et Helena Syrkus*. Le nombre de femmes étudiant l’architecture augmente alors, même si elles sont surtout considérées comme les futures assistantes de leurs maris. C’est en effet la perspective professionnelle des étudiantes ayant choisi de rejoindre l’école privée d’architecture pour femmes Stanisław-Noakowski, fondée à Varsovie en 1926 par Władysław Jastrzębski, auparavant enseignant d’architecture dans le deuxième Institut polytechnique pour femmes de Saint-Pétersbourg. L’École de Varsovie, qui poursuivait les mêmes buts éducatifs que celle de Saint-Pétersbourg, est d’ailleurs surnommée « l’école des femmes ».
La Seconde Guerre mondiale change radicalement les conditions de vie. Toutes les institutions d’enseignement supérieur ferment, à l’exception des écoles professionnelles, comme celle d’architecture pour femmes qui continue à fonctionner de 1940 à 1944 ; pour rouvrir en 1957 et devenir mixte en 1993. Pendant la guerre, les étudiantes peuvent suivre des cours clandestins organisés par le département d’architecture de l’École polytechnique de Varsovie et se qualifier ainsi juste après la guerre, lorsque la demande d’architectes est particulièrement forte en raison des destructions. Le déséquilibre démographique engendré par la guerre entraîne également une augmentation de la proportion des femmes parmi les architectes. Ces deux facteurs, associés au fait que le nouveau système politique et social les conduit à assumer des responsabilités habituellement réservées aux hommes, expliquent qu’elles sont en majorité certaines années. Toutefois, les conditions d’exercice de la profession diffèrent radicalement de celles des pays occidentaux. Le nouveau système imposé et la nationalisation de la propriété privée entraînent la disparition de l’exercice indépendant du métier d’architecte, l’État devenant le seul employeur. Le bureau de reconstruction de la capitale (BOS) joue un rôle essentiel. Sous le joug du dogme imposé aux pays satellites de l’Union soviétique en 1949, il devient impossible de concevoir dans un style autre que le réalisme socialiste. Pour la génération formée aux principes de l’architecture moderne, c’est souvent une source de conflits professionnels, sinon personnels, et ce n’est qu’après le « dégel » politique de 1956 que des efforts sont entrepris pour compenser cette perte intellectuelle et professionnelle. La chute du communisme en 1989 offre de nouvelles occasions de développement de la profession d’architecte, y compris la possibilité d’exercer le métier à titre individuel.
Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI
■ BARUCKI T., Architektura Polski, Varsovie, Arkady, 1985 ; CIOŁEK G., Ogrody Polskie, Varsovie, Arkady, 1978 ; CZERNER O., WEHRLIN F. (dir.), Avant-garde polonaise. Urbanisme, architecture 1918-1939, Varsovie/Paris, Interpress/Moniteur, 1981 ; WISŁOCKA I., Awangardowa Architektura Polska 1918-1939, Varsovie, Arkady, 1968.
ARCHITECTES [Portugal depuis le début du XXe siècle]
L’entrée des femmes dans le monde de l’architecture au Portugal ne se fait que très lentement et assez tardivement. Maria José Estanco* est la première à obtenir, en 1943, un diplôme d’architecte d’une institution portugaise, à Lisbonne. Mais à l’exception de petits projets de maisons réalisés au profit de parents, elle ne peut réellement se dédier à cette profession. Maria José Marques da Silva* est la deuxième à obtenir ce diplôme, en 1943 à Porto, et la première à intégrer le syndicat des architectes la même année. Durant la décennie 1940, deux autres femmes adhéreront au syndicat : Maria Helena Guedes Vaz Sant’Ana de Porto, en 1948, et, un an plus tard, Celeste Ribeiro de Lisbonne.
Lors du premier Congrès national d’architecture, tenu en 1948, on compte, parmi les 210 participants inscrits, 70 simples accompagnateurs ou participants non architectes. Le nombre élevé de femmes inscrites en tant que « membres agrégés », 40 au total, reflète leur intérêt pour le programme social intensif du Congrès. Les architectes inscrites en tant que « membres effectifs » sont quatre : toutes celles qui étaient inscrites au Syndicat à la fin des années 1940, à l’exception de M. J. Estanco. Aux trois autres, M. J. Marques da Silva, C. Ribeiro et M. H. Sant’Ana se joint la sœur de cette dernière, Maria Stela Guedes Vaz Sant’Ana. Aucune d’entre elles n’est l’auteure d’une des 30 thèses et communications du congrès.
En 1966, Luz Valente Pereira (1934) est la première femme architecte à intégrer le Laboratoire national d’ingénierie civile, institution renommée tant au niveau national qu’international, où l’architecture n’a gagné ses lettres de noblesse comme discipline autonome et objet de recherche que vers la fin de cette décennie. Conjointement à l’arrivée de femmes dans les agences et les diverses institutions, on note une augmentation du nombre d’architectes professionnelles. Durant les années 1960, les femmes architectes représentent 8 % des nouvelles inscriptions au sein de l’association professionnelle. Lors de la décennie suivante, la transition démocratique de 1974 et la massification de l’enseignement font évoluer ce taux vers 19 %. La dernière décennie, elle, enregistre un nombre équivalent d’inscriptions de la part des hommes et des femmes, celles-ci représentant aujourd’hui environ 30 % des architectes ayant le droit d’exercer la profession. Cette féminisation de la profession est toutefois loin de signifier une égalité de chances : selon les données officielles relatives à l’année 2008, elles représentent 40 % des architectes salariés dans des agences d’architecture privées, mais perçoivent un salaire inférieur de près de 15 % en moyenne à celui de leurs collègues masculins. Elles accèdent néanmoins à de nouvelles responsabilités. C’est ainsi que l’ordre des architectes compte deux femmes présidentes lors des deux dernières décennies : Olga Quintanilha (1942), de 1999 à 2001, et Helena Roseta (1947) de 2001 à 2007.
Dans le panorama de l’architecture actuelle, les femmes nées dans les années 1960 ont déjà fait sentir leur présence, et leur visibilité grandissante force à reconnaître l’importance de leur œuvre. Rares sont celles qui possèdent leur propre agence, telle Inês Lobo ; la plupart ont choisi de travailler en équipe, en s’associant avec un collègue masculin, comme Fátima Fernandes (1961), de Cannata & Fernandes, Cristina Veríssimo (1964), de CVDB, Cristina Guedes (1964), de Guedes+DeCampos, Maximina Almeida (1967), de Mxt Studio, ou Célia Gomes (1972), de a.s* Atelier de Santos.
Patrícia SANTOS PEDROSA
■ PEDROSA P. S., Habitar em Portugal nos anos 1960, ruptura e continuidade. Um caminho pelo interior do discurso, Barcelone, Universitat politècnica de Catalunya, 2010.
ARCHITECTES [Russie depuis le début du XXe siècle]
À première vue, il est très difficile de repérer des femmes architectes qui auraient exercé une influence sur le développement de l’architecture russe et soviétique. Cependant certaines méritent une attention particulière. On peut même distinguer trois étapes dans leur histoire, étroitement liées à celle de l’évolution politique du pays. La période prérévolutionnaire est marquée par l’affirmation du statut de femmes architectes. Durant la période soviétique apparaissent d’abord, dans les années 1930, des tandems de créateurs, puis, avec la stagnation des années 1960-1970, la majorité des femmes devient exécutante. Elles sont cependant si présentes dans les structures de l’État qu’aucun projet ne peut être réalisé sans leur participation. Enfin, durant la période postsoviétique, elles peuvent créer leurs propres agences et affirmer leur personnalité et leur créativité.
Les connaissances portant sur la place de la femme en architecture sont quasi inexistantes pour la période prérévolutionnaire. On peut seulement rappeler le nom de la première femme officiellement reconnue en tant qu’architecte : Nina Novakovskaia*. Entre 1903, date d’ouverture aux femmes des concours de la faculté d’architecture de l’Académie des beaux-arts, et 1917, quelques femmes sont diplômées, mais essentiellement des exécutantes, perçues comme des exceptions.
Les années 1930 constituent une période intéressante, car c’est à cette époque que les thèses sur l’égalité des droits entre les sexes sont appliquées, bien davantage qu’ultérieurement. L’Institut d’État à la conception architecturale n’est pas encore développé, et les projets réalisés dans les ateliers conservent la marque personnelle de l’auteur. Mais, alors que les femmes travaillent sur un pied d’égalité en binôme avec un mari ou un collègue et qu’elles jouent un rôle de créatrice, la paternité des projets revient, dans les faits, aux hommes. Il y a pourtant moins de femmes exécutantes et davantage de premiers violons auprès d’un époux chef d’orchestre, comme Lioubov Zalesskaia (1906-1979), Zinaida Tchernychova (1909-1984), Nadezda Bykova* ou Elena Novikova*, qui laissent toutes une marque individuelle.
Au cours des années suivantes, celles de la dépersonnalisation de l’architecture et de l’effacement de la marque distinctive des ateliers, les femmes sont de nouveau massivement exécutantes. À quelques rares exceptions près, comme Rimma Aldonina* qui dirige pendant plusieurs années l’Atelier architectural d’État, elles tiennent rarement le premier rôle. Mais dans tout bon atelier la deuxième main est souvent féminine. En outre, le statut spécifique de l’architecte en Union soviétique est tel qu’en tant qu’employé de la fonction publique sa vie et son œuvre sont réglées sur la politique d’État. Les biographies de N. Bykova, E. Novikova et R. Aldonina peuvent, à ce titre, servir d’illustrations. En dépit de la thèse sur l’égalité des sexes, les femmes consacrent beaucoup de temps à l’éducation des enfants et à l’organisation de la vie familiale, en particulier dans le contexte de pénurie de logement et de produits d’alimentation.
La période la plus difficile pour l’architecture soviétique est celle de la stagnation brejnévienne durant laquelle plus aucun espace n’est laissé à la création architecturale. La situation est d’autant plus bloquée que l’architecture privée est pour ainsi dire inexistante et que l’architecte, occupant une place dans une structure d’État, ne dispose d’aucune liberté créatrice. Toute l’architecture de la période brejnévienne est ainsi limitée à une somme de règles, de restrictions, d’éléments standardisés et de décisions types. Autrement dit, la création est réduite au dépassement habile des barrières administratives, de la bureaucratie et des normes du colosse faisant office de système architectural et constructif. Deux profils apparaissent alors chez les femmes architectes : celui de « l’architecte exécutante » et celui de la « scientifique, chercheuse ou professeure ». Les noms de celles qui se consacrent à la recherche ne sont pas connus du grand public, mais le sont dans le milieu des architectes et des critiques d’architecture : Tatiana Savarenskaïa*, Evguenia Kiritchenko*, Irina Kokkinaki (1934-2004), Zoya Yargina (1928), Natalya Douchkina (1954) ou encore Vigdaria Khazanova*.
La situation change profondément dans les années postsoviétiques avec l’apparition de commanditaires particuliers et donc d’une architecture privée. La méfiance envers les femmes s’estompe progressivement : elles peuvent, à l’égal des hommes, diriger une agence d’architecture et avoir un style et une écriture personnels. L’exemple brillant en est l’atelier de Svetlana Golovina (1964) ; un autre, tout aussi remarquable, est celui de Nariné Tiutcheva (1967), à la tête de l’agence d’architecture Rozdestvenka spécialisée dans la restauration, la reconstruction et la réhabilitation de bâtiments du centre historique de Moscou. Elle est en 2012 la seule femme architecte élue au Conseil d’administration de l’Union des architectes de Russie. Il est plus courant de rencontrer des tandems, formés avec un époux ou des collègues, comme l’agence Atrium de Vera Boutko (1965) et son mari Anton Nadtochij ; ARCH-4, dirigé par le couple Natalia Lobanova (1964) et Ivan Tchouvelev ; Meganom, créé par Alexandra Pavlova (1964) et son condisciple Iouri Grigorian ; ADN, association de trois personnalités sous le patronage de Natalia Sidorova (1971). L’impact des femmes sur l’évolution architecturale s’accroît ; ainsi, à l’Institut d’architecture de Moscou, principal lieu de formation du pays, ce sont les étudiantes qui prédominent depuis les années 2000. D’après les données de l’Agence professionnelle d’offres d’emploi spécialisées en architecture, il y a une fois et demie plus de candidatures féminines que masculines à Moscou. Si le domaine de la construction reste réservé aux hommes, la femme est devenue compétitive dans celui de la conception.
Vlada TRAVEN
■ MEEROVIČ M., Gosudarstvennaja organizacija professii arxitektora v SSSR (1917-1941), Irkoutsk, izd. IrGTU, 2002.
ARCHITECTES [Suède depuis la fin du XIXe siècle]
C’est par un engagement social que s’esquisse l’influence féminine sur l’habitation et l’architecture suédoises, à la fin du XIXe siècle. En tant qu’enseignante et philanthrope, Agnes Lagerstedt (1850-1939) combat les taudis en formulant un programme de logement ouvrier de qualité. Tandis que d’autres femmes œuvrent pour la création de maisons de femmes, d’hôpitaux, de modes de gardes pour les enfants et les personnes âgées. Dans les années 1890, Ellen Key (1849-1926) présente l’architecture comme un domaine naturellement féminin, considérant que la femme peut, par ses penchants pratiques, assister l’architecte masculin et rendre ainsi les logements plus fonctionnels et agréables. Cependant, il faut attendre 1921 pour qu’une femme, Brita Snellman, obtienne un diplôme d’architecte et, travaillant dans l’ombre d’hommes architectes renommés, les premières générations ont du mal à s’imposer. Néanmoins, en tant que créatrices d’œuvres architecturales peu prestigieuses, mais indispensables au quotidien (logements, institutions sociales, espaces verts), ces pionnières comptent aujourd’hui parmi les acteurs principaux de la création du cadre de vie de qualité qui caractérise la Suède du début du XXIe siècle.
C’est dans les années 1970 que les femmes s’organisent et débattent des difficultés qu’elles ont à exercer en tant qu’architectes en Suède. La Conférence nordique de 1979, Bygga och bo pâ kvinnors villkor (« construire et habiter selon les modalités des femmes »), est suivie en 1981 par la création du Forum des femmes du bâtiment (Kvinnors Byggforum) et, en 1986, par celle d’ATHENA (Advanced Thematic Network in Activities in Women’s Studies in Europe), qui se donne pour mission d’étudier la répartition des femmes dans la société européenne. Depuis 1990, les femmes sont plus nombreuses dans les formations d’architectes (50-60 %) et de paysagistes (75-80 %) et elles représentaient 41 % des architectes suédois actifs en 2003. Quelques-unes emportent des commandes prestigieuses, telles Marianne Dahlbäck (1943) qui cosigne avec Göran Månsson (1933) le musée Vasa (Stockholm 1981-1990) et Gunilla Svensson qui réalise l’Ingvar Kamprad Designcentrum (Lund 2002). Citons enfin Mia Hägg (1970) qui, après avoir travaillé dans l’agence de Jean Nouvel (1945) et dans celle des Suisses Jacques Herzog (1950) et Pierre de Meuron (1950), où elle participe au projet du stade olympique de Pékin, ouvre en 2007 sa propre agence, Habiter autrement.
Linnéa ROLLENHAGEN TILLY
■ LUNDAHL G. (dir.), Kvinnor som banade väg. Porträtt av arkitekter, Stockholm, Statens råd för byggnadsforskning, 1992 ; SCHÉELE A. VON, LARSON B. (dir), Bygga på kvinnors kunskap, Stockholm, Kvinnors byggforum, 2004.
■ PERSSON K., « Fler kvinnor arkitekter, arbetarbarn gör annat », in Arkitekten, no 2, fév. 2003 ; LUNDAHL G., « Frågan som ingen vill ta I », in Arkitekten, nos 6-7, juin 2008.
ARCHITECTES [Suisse depuis le début du XXe siècle]
Les pionnières
La génération des architectes pionnières compte dans ses rangs des femmes d’une grande notoriété : Jeanne Bueche*, Elsa Burckhardt-Blum*, Lux Guyer*, Marie-Louise Leclerc*, Berta Rahm*, Gret Reinhard-Müller*, Claire Rufer-Eckmann*, Lisbeth Sachs*, Flora Steiger-Crawford* et Anne Torcapel*. D’autres, bien que moins connues, ont accompli un travail qu’il est aussi intéressant de signaler. Colette Oltramare (1904-1980), diplômée dessinatrice-architecte de l’École des beaux-arts de Genève en 1939, fonde son agence la même année à Genève. Elle construit principalement des maisons particulières, mais restaure aussi des édifices, telle l’église protestante de Champel, et réalise des aménagements intérieurs. Beate Billeter-Oesterle (1912-1986), diplômée de l’École polytechnique fédérale de Zurich en 1936, ouvre une agence aux côtés de son mari, Maurice Billeter, en 1940 à Neuchâtel. Ensemble, ils travaillent principalement sur des logements à l’exception d’un petit théâtre expérimental réalisé en 1964 dans le pavillon de la recherche de Max Bill à l’Exposition nationale de Lausanne. B. Billeter-Oesterle s’illustre aussi dans la vie politique, en tant que membre puis présidente du conseil général du canton de Neuchâtel, entre 1968 et 1969. Silvia Witmer-Ferri (1907-1993) travaille elle aussi avec son mari, Hans Witmer-Ferri (1907-1986) ; ensemble ils s’établissent à Milan. Ils construisent la Casa d’appartamenti Rotonda (Lugano 1934-1936) ; représentative du rationalisme tessinois. Dans les années 1950, ils réalisent des logements de tendance néorationaliste. Après s’être séparée de son mari, S. Witmer-Ferri poursuit ses recherches personnelles concernant, entre autres, le dessin d’espaces minimaux sous l’angle de la fonction, de la géométrie et de la lumière.
Beaucoup de ces pionnières sont diplômées de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ, Eidgenössische Technische Hochschule Zürich) qui, depuis sa fondation en 1855, est ouverte aux deux sexes. Dès 1900, l’école accueille une Américaine, dont l’histoire n’a pas retenu le nom, et F. Steiger-Crawford en est la première femme diplômée en 1923. Cette institution joue un rôle important dans l’établissement des femmes au sein du milieu de l’architecture. En outre, les deux premières expositions de la SAFFA (Schweizerische Austellung für Frauenarbeit, « exposition suisse du travail féminin »), organisées successivement en 1928 et en 1958, permettent d’illustrer leurs compétences en matière d’architecture, puis d’en développer les expressions spécifiques.
Stéphanie MESNAGE
En 2010, près de 31 % des étudiants, et, plus précisément, 45 % des diplômés de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) sont des femmes, chiffres en constante augmentation, et parmi elles seulement 12 % s’affichent comme architectes professionnelles. Et, sur les 41 professeurs du département d’architecture, il n’y a que trois femmes en 2009, alors qu’elles représentent 40 % des assistants. Les femmes peinent à s’installer à leur propre compte, mais certaines d’entre elles, issues des générations nées entre 1945 et 1970, réussissent malgré tout à s’imposer dans cette profession, souvent en association avec un partenaire.
Marianne Burkhalter (1947) ouvre en 1984, une agence avec Christian Sumi (1950). Après un apprentissage dans l’agence zurichoise Hubacher & Issler, elle suit des études d’architecture à Princeton et à Florence. Après dix années à l’étranger, elle est assistante à l’ETHZ. Durant les années 1990, elle conçoit au sein de l’agence des architectures contemporaines en bois, construisant plusieurs ateliers forestiers dans le canton de Zurich. Le bois restera sa matière de prédilection dans ses réalisations ultérieures de logement et d’hôtellerie, comme, à Zurich, dans les transformations ou les créations pour les hôtels Zürichberg (1995-2006) et Rigiblick (2004), ou encore les lotissements Wehrenbachhalde (2002) et Am Eulachpark (Winterthur 2006). Regina Gonthier (1949) soutient un diplôme sous la direction de Dolf Schnebli (1928-2009) à l’ETHZ, puis y reste deux ans en tant qu’assistante. En 1986, elle crée, avec son mari Alain Gonthier (1948), une agence à Berne. Ils réalisent des logements d’étudiants (Zurich 1988-1991) ou, à Berne, l’ensemble Baufelder 8+9 (2004-2009) et des bâtiments pour la petite enfance, comme la crèche Come West (2010). Marie-Claude Bétrix (1953) travaille également avec son mari le Tessinois Eraldo Consolascio (1948). Leurs premiers projets concernent des halles industrielles : l’agrandissement d’une fabrique proche de Neuenburg, un bâtiment à Uster (1981-1982). Par la suite, ils réalisent des édifices publics et sportifs : un gymnase à triple fonction (Zoug 2001), la centrale thermique Mitte (Salzbourg 1995-2002), la maternité de l’université à Berne ou le stade Letzigrund à Zurich. Leur pratique professionnelle embrasse ainsi des œuvres de tailles, de fonctions et de formes très diverses, de la maison au grand équipement, avec, au centre de leur réflexion, l’équilibre des proportions entre bâtiment et être humain. Rita Schiess (1953) hésite entre hôtellerie et architecture avant d’entreprendre elle aussi des études à l’ETHZ. Son diplôme en poche, elle fonde un bureau avec Thomas Pfister (1949), devenu depuis Pfister Schiess Tropeano & Partner. Au-delà de la rénovation de stades et de l’hôtel de ville de Zurich (2000-2010), ils réalisent divers projets d’habitat, allant d’immeubles à Küsnacht à un lotissement pour retraités (Coire 2008-2012). Une des compétences de R. Schiess est l’intervention sur des sites historiques significatifs, telle la réhabilitation du bâtiment du Bauhaus (Dessau 1998-2006). Inès Lamunière (1954) vient d’une famille d’artistes, elle est la fille de l’architecte Jean-Marc Lamunière (1925). Depuis 1983, elle est associée à Patrick Devanthéry (1954) et parvient à conjuguer enseignement et gestion d’une agence d’une trentaine de collaborateurs très active en Suisse francophone. Leurs réalisations sont de tout genre : maisons individuelles dans les banlieues genevoises, clinique psychiatrique (Yverdon 2003), aménagement de la gare Cornavin (Genève 1991-1993) ou construction du siège de Philip Morris International (Lausanne 2002-2007). Les travaux qu’elle mène avec ses étudiants de l’École polytechnique de Lausanne (EPFL) sur le traitement des paysages naturels sont très proches de ses propres recherches urbanistiques. Dans ses créations transparaît sa position critique vis-à-vis des modes architecturales comme son goût du ludique. Récusant la mention de son sexe dans un contexte professionnel, Annette Gigon (1959) ne considère pas son œuvre comme une production féminine, mais comme partie prenante de l’architecture suisse. Depuis 1989, elle collabore avec Mike Guyer (1958). Leurs projets se placent à un niveau muséographique international, avec les musées Kirchner (Davos 1989-1992) et Liner (Appenzell 1996-1998) ou le centre des visiteurs du musée Kalkriese (Osnabrück 1998-2002). Outre des immeubles à Zurich, Küsnacht ou Schlieren, il faut mentionner la Prime Tower (2004-2011), plus haute construction de Suisse avec ses 126 mètres. Doris Wälchli (1963) dirige depuis 1990, avec Ueli Brauen (1954), une agence à Lausanne. Originaires du canton de Berne, ils ont tous deux été élèves de l’EPFL et obtenu leurs premiers succès avec le centre d’enseignement professionnel d’Yverdon (1994-1998) et une halle d’entretien des trains (Berne 1995-1998). On leur doit quelques bâtiments remarquables, comme le parking du Centre (Lausanne 1999-2000), couronné par l’European Parking Award. Après des études d’histoire de l’art à l’université de Zurich, Gabrielle Hächler (1958) s’oriente vers l’architecture. Après son diplôme en 1988, elle y reste quatre ans en tant qu’assistante tout en gérant sa propre agence et en coopérant avec d’autres architectes ou artistes. Depuis 1995, elle est associée à Andreas Fuhrimann et a signé avec lui plusieurs maisons pour artistes et architectes (Zurich 2003), à Lenzburg et la maison Presenhuber (Vnà, Grisons 2007). Depuis 2009, elle enseigne à l’ETHZ. Sandra Maccagnan (1975) a suivi le même chemin que ses aînées. Elle ouvre en 2000 une agence à Bex avec son partenaire Pascal Fournier (1972). En dehors de maisons individuelles, leurs projets se situent dans le secteur social et public : une piscine couverte (Bassins 2003-2004), une école (Prilly 2003-2004), une structure d’accueil (Corcelles 2007-2010), une clinique psychiatrique (Bru 2004-2009) et des établissements médico-sociaux (Épalinges et Bru 2004-2010).
Il existe toutefois quelques femmes qui travaillent en solo, telle Pia Schmid (1954), qui s’est fait un nom dans l’hôtellerie. Elle est connue comme une perfectionniste d’une grande sensibilité. Ses réalisations, en grande partie des agencements intérieurs, comme l’hôtel Saratz (Pontresina, Saint-Moritz 1996-2007), le palace Bellevue (Berne 2002), ou le Waldhaus (Flims 2000-2005) sont harmonieuses ; ses restaurants zurichois (Kaufleuten 1998-2006, la Terrasse 1999-2007) sont devenus des lieux branchés. Elle travaille hors des chemins battus, de façon directe et sans compromis, ce qui lui vaut un succès international : elle a signé l’aménagement d’un bateau de croisière sur le Nil (2006) et d’un hôtel sur l’île de Sylt, au large du Danemark (2004-2009). Gret Loewensberg (1943) gère elle aussi depuis trente ans sa propre agence, travaillant parfois en association. Une grande partie de ses projets résulte de concours gagnés comme des immeubles d’habitations construits à Zurich et dans ses environs, une résidence pour personnes âgées à Zurich (2007-2009) ou le centre culturel Laurana (Kriens 2006-2007).
Enfin, les associations de deux architectes femmes sont rares, mais on peut citer celle de Barbara Neff (1966) et de Bettina Neumann (1967) qui ont toutes deux fait leurs études à l’ETHZ. Depuis 1997, elles gèrent ensemble leur agence et se sont fait connaître par leurs projets d’habitations pour handicapés (Reinach 2003-2005) et l’immeuble Rheinresidenz (Bâle 2002-2006).
Anna SCHINDLER
■ BECKEL I., VOLLMER G. (dir.), Terraingewinn. Aspekte zum Schaffen von Schweizer Architektinnen von der SAFFA 1928 bis 2003, Berne/Wettingen, eFeF, 2004 ; HUBER D., RUCKI I., Architektenlexikon der Schweiz 19./20. Jahrhundert, Bâle/Boston/Berlin, Birkhäuser, 1998 ; LANG È., Les Premières Femmes architectes de Suisse, Lausanne, École polytechnique fédérale de Lausanne, 1992 ; SCHUMACHER C., Zur Untervertretung von Frauen im Architekturberuf, Aarau, SKBF, 2004.
ARCHITECTES [Tchécoslovaquie depuis 1909]
Seule une cinquantaine de femmes ont fait des études d’architecture en Tchécoslovaquie avant 1948. En 1909, l’Université technique de Prague permet aux femmes d’étudier l’architecture et la majorité y obtient effectivement son diplôme ; la première étant Milada Petříková-Pavlíková* en 1921. Mais seule une quinzaine d’entre elles, actives pendant la période de l’entre-deux-guerres, nous sont connues.
Répondant aux conditions du marché du travail, les architectes tchécoslovaques suivent la voie stéréotypée pour les femmes : l’étude de l’espace domestique. Bien que leurs études portent sur toutes sortes de questions architecturales, leur première spécialisation est toujours l’habitat. Elles accueillent favorablement la réforme du logement inspirée par les idées fonctionnalistes, y voyant un accès privilégié vers une politique d’émancipation et considérant que l’application du taylorisme dans l’organisation de la vie domestique est une façon d’approuver la politique de modernisation de l’État. Toutes les classes sociales sont visées par cette approche. Hana Kučerova-Záveská* se fait l’avocate de la rationalisation, auprès de la grande bourgeoisie en particulier, et Elly Sonnenschein-Oehler (1905-1953) introduit une écriture moderne dans l’environnement de l’élite industrielle. D’autre part, Jarmila Liskova (née en 1902), Emanuela Kittrichová-Mazancová (1909-1989) et Božena Krchová (née en 1901) travaillent sur la conception du logement social, et la dernière conçoit, entre 1928 et 1931, deux variantes de cuisine que l’on peut sans doute considérer en Tchécoslovaquie comme les plus avancées en matière de rationalisation et qui a beaucoup séduit.
La façon dont les femmes architectes tchécoslovaques envisagent les problèmes du logement est aussi influencée par les théories de la collectivisation. En dehors de la libérale M. Petříková-Pavlíková, qui n’y a jamais adhéré, ces idées sont approfondies, surtout par le groupe d’architectes de gauche radicale mené par le théoricien majeur de cette époque, Karel Teige (1900-1951), lui-même basé à Prague. Augusta Machoňová-Müllerová (1906-1984) soutient son programme – selon lequel l’architecture doit être une science fondée sur l’enseignement sociologique de Karl Marx, les modèles soviétiques d’émancipation des femmes et le logement collectif. Ces projets ne peuvent aboutir avant la Seconde Guerre mondiale, mais à la fin des années 1940 Vlasta Suková-Štursová (1912-1982), l’une des auteures du projet de lotissement Solidarité à Prague, est parvenue à en donner une première expression.
Entre 1939 et 1945, dans un contexte politique hostile à toute revendication de la modernité, l’avant-garde tchèque poursuit sa réflexion sur la redéfinition du fonctionnalisme. En 1946, Edvard Beneš, président de la République nouvellement reconstituée, reçoit les membres du BAPS (Bloc des associations architecturales progressistes), actif depuis 1934. Malgré l’engagement de femmes architectes dans le programme de la reconstruction, peu de noms sont connus du grand public. Membres de l’avant-garde, A. Machoňová-Müllerová et V. Suková-Štursová travaillent essentiellement sur des questions de planification territoriale, tout comme J. Liskova. Durant cette période, leur activité se situe dans une perspective de changement profond de la société. Le fonctionnalisme va jusqu’à promouvoir un nouveau type d’habitat, fondé sur des rapports égalitaires. En 1946, est lancé le premier grand concours à Litvinov, sur un site industriel en plein développement ; il s’agit alors d’expérimenter la « Maison commune ». C’est V. Suková-Stursová, épouse de l’architecte Jiří Štursa, qui est chargée de présenter cette réalisation à Paris en 1947. Dès 1946, E. Kittrichová-Mazancová travaille, elle aussi avec son mari, au sein d’une équipe chargée de projets de logements collectifs, avant de se concentrer sur des questions d’aménagement intérieur. En 1949, le lancement d’un plan quinquennal marque le début de l’édification du socialisme. Désormais, les architectes sont mobilisés par l’industrialisation et la construction massive de logements. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les ateliers d’État, mais leur responsabilité reste limitée, à l’exception de Vĕra Machoninová (1928) et Alena Šrámková (1929) à Prague, et de Mária Krukovská (1930) à Bratislava. En 1948, les échanges internationaux, particulièrement intenses depuis la fin de la guerre, deviennent difficiles, et jusqu’en 1989 la longue parenthèse du rideau de fer coupe Prague des autres grandes capitales européennes. Cette période socialiste est marquée par l’absence de projets urbains, une production massive de logements préfabriqués en périphérie des villes, un désintérêt porté au second œuvre et un manque d’ouvriers qualifiés.
Après la rupture de 1989, la scène architecturale tchécoslovaque se positionne essentiellement en réaction à cette période et se tourne vers la modernité, une évolution liée aux nouvelles conditions professionnelles. Il devient désormais possible de travailler à son compte. Toutefois, il faut attendre plusieurs années pour voir des femmes architectes prendre ce risque et diriger elles-mêmes une agence. C’est le cas d’A. Sramková et d’Eva Jiřičná*, qui travaillent respectivement à Prague et à Londres. Durant ces années, deux préoccupations récurrentes émergent, véritables principes fondateurs de cette nouvelle architecture. La première repose sur l’idée de « construire un lieu » : l’intervention prend son sens dans sa relation au site – principalement urbain, dense et décousu, dans des quartiers délaissés, populaires ou industriels –, auquel il convient de redonner une importance, à travers un travail de réhabilitation, voire de transfiguration. Si les réponses sont variées, elles sont toutes motivées par une même volonté d’innovation et d’audace. La seconde préoccupation réside dans le souci du détail et le soin donné aux finitions. Si la recherche technologique et son application aux techniques du bâtiment ont toujours été présentes, même pendant l’époque de l’édification du socialisme, le dessin des moindres détails, le traitement des matériaux et des couleurs ainsi que la finition constituent un élément à part entière de cette architecture. Ici, on voit nettement se profiler la singularité de cette nouvelle architecture construite à partir de la tradition moderne des années 1920 et 1930. Cependant, peu de femmes architectes de la nouvelle génération s’illustrent par des projets majeurs. Malgré une période économique favorable à la nouvelle architecture, il ne faut pas sous-estimer les résistances au changement que connaît l’organisation du travail. Quant à la scission de la Tchécoslovaquie le 1er janvier 1993, si importante soit-elle au plan politique, elle ne modifie pas de façon radicale l’architecture ni les conditions de travail des architectes.
Alena KUBOVA et Hubert GUZIK
■ KUBOVA A., L’Avant-garde architecturale en Tchécoslovaquie 1918-1939, Liège, Mardaga, 1992 ; MACHONIN J. (dir.), Povolání : architekt[ka] = Profession : [woman] architect, Prague, Kruh, 2003.
■ GUZIK H., « Jak projít uchem jehly ? Emancipace žen v architektonických povolaních 1918-1948. », in Umení, vol. 56, no 5, 2008.
ARCHITECTES [Turquie depuis le début du XXe siècle]
Le développement d’institutions dédiées à la formation d’architectes en Turquie débute pendant la période ottomane, avec l’ouverture en 1882 à Istanbul de l’École impériale des beaux-arts, Mekteb-i Sanayi-i Nefise-i Şahane, dont l’accès est exclusivement réservé aux hommes. En 1914 est créée une école homologue pour les femmes, İnas Mekteb-i Sanayi-i Nefise-i Şahane, qui comprend des départements de peinture et de sculpture, mais pas d’architecture. Aussi, pendant les périodes ottomane et pré-ottomane, la contribution des femmes à l’architecture prend surtout la forme du mécénat, phénomène qui n’a pas encore fait l’objet d’études approfondies. Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’elles accèdent à une formation architecturale, lors de la réunion des deux écoles mentionnées et de la création de l’Académie des beaux-arts, à la suite de la dissolution de l’Empire ottoman et de la fondation de la République turque en 1923. Leman Cevad Tomsu (1913-1988) et Münevver Belen Gözeler, diplômées par l’Académie en 1934, puis Şekure Üçer Niltuna et Leyla Asim Turgut (1919-1988), respectivement en 1936 et 1939, constituent ainsi la première génération de femmes architectes turques.
Afin de répondre aux besoins de l’État turc récemment constitué, une campagne intensive de construction est lancée, à laquelle les premières femmes architectes participent de façon active. Pendant la première période républicaine, l’État est le principal maître d’œuvre, par le biais des bureaux de construction du ministère de Travaux publics et d’autres de ses institutions, invitant souvent des architectes étrangers en tant que conseillers. Parmi eux se trouve une femme, l’Autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky*, qui travaille au sein du ministère de l’Éducation à la fin des années 1930. Le rôle dominant des services de l’État rend difficile la participation d’agences privées à la construction publique. La construction privée est de son côté limitée par les conditions sévères imposées par l’État et concentrée en grande partie dans les mains de non-architectes, ingénieurs ou entrepreneurs. Les femmes architectes travaillent ainsi pour l’État, surtout pendant les premières décennies de la République, concevant de nombreux équipements gouvernementaux pour l’administration, la justice ou la gestion, tels que des maisons de gouverneurs, des cours de justice, des sièges de partis politiques, des bureaux de poste, des écoles ou des banques.
Il n’y eut que quatre étudiantes diplômées en architecture en Turquie jusqu’en 1940 et, jusqu’en 1950, les femmes ne représentent que 5 % des diplômés dans ce domaine. Toutefois, ces chiffres reflètent mal le rôle indéniable qu’elles jouent dans la modernisation de la nouvelle République turque et leur engagement pour l’architecture, en dépit de conditions difficiles. Mualla Eyüboğlu Anhegger (1919-2009) est l’une de ces battantes : après son diplôme, elle travaille pour les instituts de village (Köy enstitüleri), une expérience unique et efficace de collectivités éducatives pour les enfants et les jeunes dans la Turquie rurale des années 1940. Plus tard, elle est restauratrice à la Direction générale des antiquités et des musées où, avec les deux autres premières restauratrices, Cahide Tamer (1915-2005) et Selma Emler, elle contribue à divers projets, dont certains de grande envergure, tels que les restaurations du palais de Topkapi ou de la basilique Sainte-Sophie.
À partir des années 1950, des femmes architectes continuent à travailler, surtout dans les bureaux de l’État, y compris ceux de la planification qui ont d’importantes responsabilités face à l’urbanisation rapide. Le nombre d’architectes augmente avec la création de nouvelles écoles : 125 femmes sont ainsi diplômées avant 1960. Le nombre d’agences privées, souvent créées sous la forme de partenariats, augmente. De Harika Alpar Söylemezoğlu, dans les années 1940 et 1950, à Şaziment Arolat (1935), Altuğ Çinici (1932-2011), Filiz Erkal et Sevinç Hadi (1934), dans les années 1960 et suivantes, la plupart de celles qui pratiquent en libéral choisissent de travailler avec leur mari et sont le plus souvent reconnues non pas individuellement, mais en tant qu’associées.
Il est possible de suivre l’évolution de l’activité des femmes architectes exerçant en libéral à travers les projets qu’elles proposent dans le cadre de concours. Entre l’établissement de la République dans les années 1920 et les années 1980, le plus important mécène en matière de construction en Turquie est toujours resté l’État. Les concours organisés à travers le pays pour des édifices publics, grands et petits, constituent l’un des domaines majeurs où la présence de femmes architectes est continue. Plus de la moitié des membres des premières générations ont participé à ces concours et sont, dès la fin des années 1930, distinguées par des récompenses. Les projets de L. Cevad Tomsu et M. Belen Gözeler pour les Maisons du peuple (Halkevleri) en sont de bons exemples. Ce type d’édifice républicain est destiné à la formation du grand public, selon l’idéologie moderniste de l’époque, et comprend souvent une bibliothèque, un musée et un théâtre, permettant ainsi des activités culturelles, artistiques ou sportives. M. Belen Gözeler gagne le prestigieux concours de la Maison du peuple de Bursa en 1938. Neriman Birce, diplômée durant les années 1940, est, elle aussi, primée à plusieurs reprises, comme lors du concours lancé par la banque immobilière de l’État, Emlak Bankası, en 1950, pour des habitations à bon marché, témoignant de l’émergence du logement de masse dans la période d’après-guerre. Pendant les années 1960, les associés Ş. et Neşet Arolat gagnent plusieurs premiers prix pour la construction d’hôpitaux, alors très courante dans tout le pays. Güner Acar, l’une des rares femmes à travailler en solo, remporte en 1962, avec ses partenaires Yılmaz Sanlı et Yılmaz Tuncer, le prestigieux concours pour l’hôpital de l’Académie militaire de médecine (Gata) à Ankara. L’agence d’A. et Behruz Çinici gagne en 1961 le concours du campus de l’Université technique du Moyen-Orient à Ankara. Construite au milieu des années 1950, elle est la première implantée en dehors d’Istanbul et est suivie par plusieurs autres qui nécessitent à nouveau concours et projets pour la conception de l’aménagement des campus et des divers édifices qui les composent.
Depuis le début des années 1980, l’approche libérale devient progressivement dominante dans l’économie turque, entraînant une croissance du rôle du secteur privé dans la construction. L’édifice de la compagnie d’assurance Milli Reasürans Binası, réunissant des bureaux et une rue commerciale intérieure, conçu par les associés S. et Şandor Hadi en 1985, suite à un concours fermé, constitue un exemple précoce et sans prétention de l’implication croissante du secteur privé dans la formation de l’environnement urbain, tout en témoignant de l’activité persistante des femmes architectes des premières générations. Nos connaissances actuelles sur les premières générations de femmes architectes en Turquie concernent ainsi surtout leur travail dans le cadre des administrations publiques et leur participation à des concours. Beaucoup reste encore à faire pour donner une vision complète du travail des femmes architectes en Turquie.
Elvan ALTAN ERGUT et Belgin TURAN ÖZKAYA
■ Mimarlık ve Kadın Kimliği, Istanbul, Boyut Yayınları, 2002 ; BOZDOĞAN S., Modernism and Nation Building : Turkish Architectural Culture in the Early Republic, Seattle, University of Washington Press, 2001 ; DOSTOĞLU N. (dir.), Cumhuriyet Döneminde Kadın ve Mimarlık, Ankara, Mimarlar Odası Yayını, 2005.
■ ALTAN ERGUT E., TURAN ÖZKAYA B. (dir.), « Cinsiyet ve Mimarlık », in Dosya, no 19, TMMOB Mimarlar Odası Ankara Şubesi Yayını, avr. 2010.