CINÉMA [Grande-Bretagne]
Si les femmes ont été actives dès l’origine dans différents secteurs de l’industrie cinématographique britannique, et en particulier dans les activités considérées comme « féminines », c’est surtout à partir des années 1970 que l’on voit apparaître des réalisatrices, bien que la recherche féministe sur le cinéma ait fait émerger les pionnières (Dinah Shurey et Ethyle Batley). Bénéficiant pendant la Seconde Guerre mondiale d’un accès facilité par l’absence des hommes, les femmes travaillant dans le monde du cinéma perdront cet avantage durant les décennies qui suivront la fin de la guerre. Le domaine de la réalisation néanmoins, tout comme celui de la production et, dans une moindre mesure, de la direction artistique, est une sphère qui, sans être totalement non mixte, reste longtemps très majoritairement masculine. Malgré l’exemple de Muriel Box*, scénariste ayant fait tous les petits métiers du cinéma avant de commencer à tourner des films grâce à l’aide de la maison de production créée par son mari, et à qui la période spécifique de la guerre a été plus bénéfique qu’à d’autres, réaliser se conjugue fort peu au féminin. Dans la décennie suivante, la danseuse et chorégraphe Wendy Toye* (1917-2010) est l’une des rares à accéder à la réalisation. Les années 1970, période d’intense foisonnement culturel en Grande-Bretagne, verront cependant une légère augmentation du nombre de réalisatrices, mais aussi, ce qui est lié, de réseaux, structures et institutions féministes grâce auxquels des femmes vont pouvoir tourner des films de style plutôt expérimental et d’avant-garde. La frustration des créatrices face à la culture grand public les mène souvent à des choix plus radicaux dans le contenu et dans la forme : les films de Sally Potter* sont un bon exemple d’une telle démarche esthétique. Citons aussi sa cadette Antonia Bird (née en 1959), issue de la télévision comme la plupart des réalisatrices britanniques contemporaines.
Aujourd’hui encore, et malgré des changements notables au sein de l’industrie cinématographique (en particulier en ce qui concerne le financement depuis 1994) les femmes restent ultraminoritaires dans la réalisation, partagées pour certaines entre une volonté de changement et une démarche plus consensuelle. On peut citer le travail de Beeban Kidron (née en 1961), passée également par la télévision et révélée par Oranges Are Not the Only Fruit (1990, adaptation du roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits, de Jeanette Winterson*). Sa carrière est aujourd’hui plus commerciale, notamment avec Bridget Jones : l’âge de raison (Bridget Jones : The Edge of Reason, 2004). L’accès à la réalisation de femmes issues des minorités ethniques représente un autre phénomène important. Ainsi l’Indo-Britannique Gurinder Chadha (née en 1960), issue elle aussi de la télévision, rompt la tradition d’un cinéma ethniquement très homogène et apporte un autre regard sur les communautés indienne et pakistanaise vivant en Grande-Bretagne aujourd’hui. Avec Bhaji, une balade à Blackpool (Bhaji on the Beach, 1993), puis Joue-la comme Beckham (Bend It Like Beckham, 2002) et Coup de foudre à Bollywood (Bride and Prejudice, 2004), notamment, elle conjugue les questions sociales, ethniques et sexuelles dans le registre de la comédie. Sa contemporaine Pratibha Parmar réalise en 2006 son premier long-métrage, Les Délices de Nina (Nina’s Heavenly Delights), après divers documentaires où elle aborde la question de l’homosexualité et du féminisme dans un contexte anglo-indien.
Brigitte ROLLET
■ HARPER S., Women in British Cinema, Londres/New York, Continuum, 2000.
CINÉMA [Hollywood]
La première réalisatrice aux États-Unis a sans doute été la Française Alice Guy*, qui avait ouvert un studio dans le New Jersey en 1910 et produit des centaines de films avant son retour en France au début des années 1920. L’une de ses protégées, l’actrice Lois Weber*, est devenue ensuite l’une des plus importantes cinéastes de son temps. Outre les réalisatrices indépendantes, telles Nell Shipman* et quelques Afro-Américaines comme Zora Neale Hurston*, d’autres exerçaient souvent aussi le métier d’actrice : Ruth Ann Baldwin, Grace Cunard, Cleo Madison, Mabel Normand, Ida May Park et Ruth Stonehouse. Le cinéma des premiers temps offrait de nombreuses possibilités aux femmes, dans les domaines de la réalisation comme du scénario. Selon les archives relatives aux droits d’auteur de la Library of Congress des États-Unis, les femmes ont écrit près de la moitié des scénarios entre 1912 et 1925. L’installation à Los Angeles ainsi que le développement du système des studios a eu un impact négatif sur le travail des femmes dans l’industrie filmique. Côté réalisation, seules Dorothy Arzner* et Ida Lupino* sont parvenues à émerger et à survivre. Côté scénario, en revanche, la plupart ont poursuivi leur carrière, comme Anita Loos*, Jeanie Macpherson, June Mathis* et Frances Marion*. Ainsi, les quelques réalisatrices à avoir tourné des films à gros budget dans la période post-studios (Elaine May, puis Nora Ephron* et Nancy Meyers*) ont toutes débuté comme scénaristes, un rôle historiquement ouvert aux femmes, même pendant l’ère classique hollywoodienne. Avec la chute du système des studios, la situation des femmes à Hollywood n’a fait qu’empirer. La création des compagnies de distribution indépendantes, comme First Run Features en 1979, a offert à quelques-unes les moyens de distribuer leurs films ; à la fin des années 1980 et au début de la décennie suivante, les frontières entre production indépendante et production de studio s’estompent et des réalisatrices indépendantes issues d’écoles d’art ou de cinéma (Lizzie Borden*, Martha Coolidge, Amy Heckerling, Susan Seidelman*, Penelope Spheeris et Kathryn Bigelow*) entrent dans la production commerciale, avec plus ou moins de succès. Qu’il s’agisse d’une actrice de télévision devenue cinéaste (Penny Marshall) ou d’une star de cinéma passant derrière la caméra (Barbara Streisand*), des femmes tournent avec succès des films populaires pour femmes. Cette tendance se prolonge durant les années 1990, avec des scénaristes ou productrices qui deviennent réalisatrices (N. Ephron et N. Meyers), mais gardent leurs précédentes fonctions d’écriture et de production de leurs propres films. Le récent succès de K. Bigelow, première femme à recevoir le Prix du meilleur réalisateur lors de la 63e cérémonie des British Academy Film Awards en février 2010, couplé avec celui du meilleur film – performance confirmée le mois suivant par une nouvelle moisson aux Oscars, avec les Prix du meilleur réalisateur, du meilleur scénario original et du meilleur film pour Démineurs (2009), chronique consacrée à la guerre en Irak –, pourrait laisser croire que les femmes ont retrouvé leur place à Hollywood. L’opinion est cependant divisée à ce sujet, les plus critiques soulignant la rareté des réalisatrices et des films de femme pour des femmes et déclarant que, contrairement à ses illustres prédécesseures de la période du muet, le succès de K. Bigelow vient surtout de ce qu’elle fait des films comme un homme, pour les hommes. Son dernier long-métrage, Zero Dark Thirty (2012), dans la lignée de ses films d’action et d’histoire, retrace la traque de Ben Laden, suscitant encore une polémique…
Hilary RADNER
■ BEAUCHAMP C., « The women behind the camera in early Hollywood », in LUMME H., MANNINEN M., Great Women of Film, New York, Billboard Books, 2002 ; LANE C., Feminist Hollywood : From Born in Flames to Point Break, Detroit, Wayne State University Press, 2000 ; LANT A., PERIZ I., Red Velvet Sea : Women’s Writing on the First Fifty Years of Cinema, Londres/NewYork, Verso, 2006 ; SEGER L., When Women Call the Shots : The Developing Power and Influence of Women in Television and Film (1996), New York, iUniverse, 2003.
CINÉMA [Hongkong et Taïwan]
Sous autorité britannique depuis le milieu du XIXe siècle, Hongkong ne peut se prévaloir d’aucune tradition artistique : l’hybridation entre la population indigène et l’occupant britannique s’est faite rapidement et sans problème. La question d’une identité culturelle spécifique n’a été formulée qu’à l’approche de 1997, date de la rétrocession à la Chine. C’est alors seulement que les Britanniques se sont résolus à léguer une part importante de la culture occidentale (réformes démocratiques, amélioration de la condition féminine). Pékin a finalement accepté de ne pas toucher au statut particulier du territoire pendant cinquante années supplémentaires, repoussant le rattachement complet et définitif à 2047.
Le poids très faible de la censure qui caractérise Hongkong par rapport à la Chine continentale – avant et après 1949 – explique l’essor des films de sabre, dans la tradition des romans qui ont connu un regain de popularité en Chine continentale depuis le début du XXe siècle. Le cinéma de Hongkong cultive cette veine, en laissant une part non négligeable aux intrigues centrées sur les femmes et sur l’ambiguïté sexuelle des personnages, et en exploitant la tradition de l’opéra cantonais qui permet aux femmes de jouer, et même d’interpréter des rôles masculins (la place de la femme dans le sud de la Chine est bien moins stricte que dans le nord). Ce cinéma commercial se caractérise par le côté tape-à-l’œil de ses effets spéciaux, ses scènes d’action au montage court, proche du clip ; les scènes d’amour n’y sont pas traitées avec la pruderie caractéristique des films communistes. À la différence de la Chine continentale et de Taïwan, des femmes ont pu, à Hongkong, jouer un rôle majeur dans la création cinématographique, mais seulement à partir des années 1970. Auparavant, on peut toutefois mentionner Wu Dip Yin, célèbre actrice aux idées progressistes, amie des cinéastes ayant fui Shanghai au moment de la guerre contre le Japon en 1937. En 1940, elle produit Two Southern Sisters, dans lequel elle interprète les deux sœurs dont le point de vue construit le film. On suppose qu’elle est intervenue dans le scénario et qu’elle a choisi les réalisateurs (Leung Bun et Leung Sum). Elle se retire ensuite du cinéma. Dans les années 1970, Tang* Shuxuan (dont les films sont maintenant invisibles) joue un rôle considérable en préparant l’avènement de la nouvelle vague hongkongaise qui émerge, en 1979, avec Feng Jie (The Secret) d’Ann Hui*, réalisatrice dont les films accordent une place privilégiée aux femmes. Au milieu des années 1980 apparaît une deuxième nouvelle vague, composée notamment de Mabel Cheung*, de Clara Law et de l’actrice et réalisatrice Sylvia Chang*. Notons que les réalisatrices sont souvent associées à leur mari, rares sont celles qui ont réussi à se faire un nom sans cet appui.
Depuis la rétrocession, le principe « un pays, deux systèmes » se trouve appliqué au cinéma ; ainsi les cinéastes préfèrent-ils soumettre leur film à la censure de Hongkong, plus tolérante que celle de Pékin – cas d’Emily Tang* pour Wang mei sheng huo (Perfect Life, 2008-2009). Cependant, la rétrocession a déjà eu des effets néfastes : exode de plusieurs centaines de milliers d’habitants, fuite aux États-Unis de certains réalisateurs et acteurs (John Woo, Wong Kar Wai, par exemple). Si les femmes à Hongkong ont eu plus de facilités à s’exprimer par le cinéma qu’en Chine et qu’à Taïwan, on peut se demander si la fuite qui touche les vedettes masculines va aussi les affecter, ou si, plus que les hommes, elles vont se résigner.
Comme à Hongkong, et pour des raisons proches (la colonisation), se pose à Taïwan la question de l’identité culturelle. La place très réduite des femmes dans le cinéma taïwanais est liée à l’histoire politique de l’île, faite d’occupations successives qui ont empêché la constitution d’une identité propre : avec chaque nouvel occupant (les Japonais pendant près de cinquante ans, puis les nationalistes chinois), il a fallu apprendre une langue étrangère, oublier sa propre langue, ne pas avoir accès à son histoire, confondre ce qui vient de la tradition et ce qui a été imposé par l’occupant. Ainsi les nationalistes chinois ont-ils apporté dans leur fuite tous les trésors de la grande culture chinoise – dont ils se proclament les seuls héritiers –, mais aussi l’idéologie confucianiste, qui fait de la femme une éternelle soumise.
Le seul nom de créatrice un peu familier du public occidental est celui de Chu* Tien Wen, une écrivaine du courant hsiang-t’u (défenseur d’une spécificité taïwanaise), qui a collaboré à de nombreux scénarios de Hou Hsiao Hsien. De façon exemplaire, dans La Cité des douleurs (Beijing cheng shi, 1989), qu’elle a coécrit, les protagonistes sont une femme et son mari sourd-muet, un photographe, l’intellectuel de la famille. Le handicap fait de cet homme l’équivalent de la femme, dont il partage la position exclue et dominée : une métaphore de tous les Taïwanais sous le joug des nationalistes chinois. On peut mentionner aussi Peggy Chiao, ancienne critique devenue productrice, qui contribue activement à faire connaître le cinéma taïwanais à l’étranger.
Jean-Paul AUBERT
■ FU P., DESSER D., The Cinema of Hong Kong : History, Arts, Identity, Cambridge (RU), Cambridge University Press, 2002 ; TEO S., Hong Kong, the Extra Dimensions, Londres, British Film Institute, London, 1997 ; YIP J., Envisioning Taïwan. Fiction, Cinema and the Nation in the Cultural Imaginary, Durham, Duke University Press, 2004.
CINÉMA [Hongrie depuis la fin des années 1950]
Jusqu’en 1989, à la fin de la période communiste, les scénarios sont encadrés par des contraintes que les cinéastes s’efforcent de détourner avec finesse. À la fin des années 1950, décennie que l’on peut assimiler à la naissance du cinéma hongrois (malgré quelques précurseurs isolés), après une période marquée par l’expressionnisme et la critique sociale, le renforcement de la répression idéologique pousse les créateurs à se consacrer aux adaptations littéraires d’œuvres nationales. C’est le début d’une forte tradition, qui ne cesse de se développer dans les années 1960 et 1970, parallèlement à la conquête des spectateurs par la télévision. La carrière la plus longue est peut-être celle d’Éva Zsurzs (1925-1997), qui a donné quelques chefs-d’œuvre mémorables et réalisé une cinquantaine d’adaptations littéraires entre 1959 et 2003, dont Abigél (1978) d’après le roman de Magda Szabó*. Krisztina Deák (1953) semble aujourd’hui suivre cette piste en choisissant, pour ses mises en scène au cinéma comme au théâtre, des œuvres littéraires présentant des destinées féminines racontées par des hommes : Jadviga párnája (« l’oreiller de Jadviga », 1999), d’après le roman éponyme de Pál Závada, ou Störr kapitány (« le capitaine Störr »), adaptation de l’Histoire de ma femme de Milán Füst. À la télévision, la domination masculine a été relativisée sans que soit pour autant mis en œuvre un véritable égalitarisme ou que puissent s’exprimer les tendances féministes. La direction de quelques départements est néanmoins confiée à des femmes : elles peuvent ainsi réaliser leurs propres films, comme Ilona Katkics (1925), qui a excellé dans l’adaptation de nombreux contes ou romans pour la jeunesse. La télévision représente aussi un tremplin pour les documentaristes (dont un grand nombre de femmes) en leur assurant la possibilité de travailler en permanence : Ilona Kolonits (1922-2002) a ainsi signé près de 500 reportages sur des sujets d’actualité, dont Ovis Olimpia (1979), récompensé par le Comité international olympique. Dans ces mêmes années 1960 et 1970, le genre du film d’actualités ramène les réalisatrices au grand écran : il n’y a pas de projection sans journal en images dans les cinémas de Hongrie.
Les années 1960 sont caractérisées par une certaine liberté dans la création cinématographique, dans le cadre des concessions limitées octroyées après la répression. C’est ainsi que le studio Béla Balázs (BBS), l’atelier le plus important du jeune cinéma expérimental et indépendant, fondé en 1959, commence à produire des films avec une nouvelle génération de cinéastes, dont Zoltán Huszárik et Judit Elek (1937), qui osent teinter leurs productions d’un coloris lyrique et très personnel ou y introduire un peu d’humour grotesque. Entre 1962 et 2002, J. Elek réalise 16 films, avec des figures centrales féminines pour la plupart, entre autres Meddig él az ember ? (« où finit la vie ? », 1967), qui a obtenu le Prix spécial du jury à Locarno et été projeté au Festival de Cannes comme trois autres de ses œuvres : Sziget a szárazföldön (« la dame de Constantinople », 1969), Mária-nap (« la fête de Maria », 1983) et Dire l’indicible : la quête d’Elie Wiesel (1996).
La promotion suivante du BBS et, en général, les réalisateurs des années 1970 se tournent vers les histoires très personnelles (notamment par précaution sous le régime de János Kádár). L’école de Budapest naissante produit une série de documentaires fictifs ou de fictions documentaires, où des personnages réels sont plongés dans des situations fictives ou reconstruites ; la méthode du « cinéma direct » utilisée pour ces productions les dote d’une authenticité frappante. Judit Ember (1935-2007), par exemple, essaie de représenter les traumatismes de sa génération en esquissant des paraboles à partir de destinées que l’histoire a fait dérailler : dans Fagyöngyök (« guis », 1977), elle analyse les conséquences psychologiques de la tentative de suicide d’une adolescente ; dans Pócspetri (1982), elle va jusqu’à réhabiliter les victimes d’une procédure sommaire à la fin des années 1940. Elle est la cinéaste qui peut se vanter d’avoir tourné le plus de films interdits par les autorités. Une autre grande documentariste, Lívia Gyarmathy (1932), débute en 1969 avec un long-métrage, Ismeri a szandi mandit ? (« connaissez-vous Sunday-Monday ? ») où la satire s’associe à l’authenticité sociographique. En 1989, elle inscrit son nom dans l’histoire du cinéma mondial grâce à son documentaire sur le camp de Recsk : elle y raconte, de manière poignante, l’histoire du goulag hongrois entre 1950 et 1953.
Le début des années 1980 est marqué par le retour de la narration à l’écran, mais les films qui évoquent, souvent avec une ironie critique, les années 1950 et 1960 se servent encore des coulisses de l’histoire pour souligner la responsabilité de l’individu quant à son propre sort. En témoignent les « journaux » de Márta Mészáros*, dont Journal à mes enfants (1982) et Journal à mes amours (1987), ou les premiers courts-métrages d’Ildikó Enyedi*. Le BBS a toujours soutenu des créateurs considérés comme dilettantes par les milieux « professionnels », tels György Szomjas et Ferenc Grunwalsky, qui traitent avec un humour cru et sarcastique la thématique de la marginalité et de la précarité sociales dans les banlieues. Ibolya Fekete*, qui mène une carrière digne d’intérêt, a commencé par écrire quelques-uns de leurs scénarios.
Malgré la démocratisation générale après 1989, faire du cinéma n’est pas toujours facile, les difficultés économiques se substituant aux problèmes politiques. Nombreux sont les réalisateurs qui doivent beaucoup à la cinéaste Jolán Árvai (1947-2001), qui a produit une dizaine de films entre 1990 et 2000, dont Simon le Mage d’I. Enyedi. Aujourd’hui, la Semaine du film hongrois, manifestation annuelle, est presque la seule occasion de présenter les nouvelles productions : en 1993, Gyerekgyilkosságok (« meurtrier d’enfants »), d’Ildikó Szabó (1951), obtient le Grand Prix et remporte la même année le prix Fipresci à Cannes. Nombre d’autres sont projetés dans des festivals internationaux : Paramicha (1993) de Júlia Szederkényi (1963), les documentaires et courts-métrages de Diana Groó (1973) ou le premier long-métrage d’Ágnes Kocsis (1971), Friss levegő (« air frais », 2006). Le cinéma populaire hongrois a enfin retrouvé une « héroïne » avec Krisztina Goda (1968), dont les films remplissent les salles depuis le succès de Csak szex és más semmi (« du sexe et rien d’autre », 2005).
Zsófia MOLNÁR
■ FEIGELSEN K., VALKOLA J. (dir.), Cinéma hongrois. Le Temps et l’Histoire, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2003.
CINÉMA [Inde]
Alors que le premier long-métrage indien, Raja Harishchandra (de Dhundiraj Govind Phalke) date de 1913, force est de constater que la place des femmes cinéastes reste réduite en Inde, plus encore qu’ailleurs. Il est vrai que la relation des Indiennes et du cinéma commence sous de mauvais auspices : la présence féminine à l’écran étant assimilée, comme pour la danse et le théâtre, à la prostitution, aucune femme n’accepte de tourner pour les pionniers du cinéma, et les héroïnes (telle l’épouse du roi Harishchandra dans le film cité) sont interprétées par des hommes travestis. La mascarade ne dure cependant qu’un temps et les années 1920 voient arriver les premières stars féminines, telle Seeta Devi dans La Lumière de l’Asie (Prem Sanyas, Franz Osten, 1925).
Le passage derrière la caméra s’avère toutefois très ardu pour les femmes. La plus importante pionnière restée en mémoire, Jaddanbai, ne commence sa fulgurante carrière qu’au milieu des années 1930. Cette jeune chanteuse bengali devient la première compositrice du cinéma indien et l’une des premières cinéastes : elle réalise et produit quatre films en 1936-1937, et compose la musique de quatre autres. Elle donne naissance à l’une des plus grandes lignées de stars bollywoodiennes, avec sa fille Nargis* et son petit-fils Sanjay Dutt. Des raisons sociologiques peuvent expliquer la rareté des femmes cinéastes et les difficultés qu’elles rencontrent : dans un pays où les filles sont encore tuées à la naissance et où les femmes mariées ne sont pas censées exercer un métier, comment pourraient-elles s’imposer autrement que par leur joli minois ou dans des emplois de l’ombre ? Ainsi, les débuts du cinéma parlant voient des femmes devenir costumières, maquilleuses, chorégraphes, danseuses, monteuses, les comédiennes tenant le haut du pavé. Signalons le succès imprévu, dans les années 1930, de la jeune Anglo-Indienne Fearless Nadia (de son vrai nom Mary Evans), qui s’improvise cascadeuse et justicière masquée, mettant des dizaines d’hommes hors d’état de nuire. Les années 1950 voient l’éclosion de grandes stars, dont Nargis est la principale, parfois créditée au générique avant ses partenaires masculins. Mais les actrices continuent d’être moins payées que leurs confrères. Un seul domaine échappe à la prédominance des hommes : la chanson. Le cinéma populaire indien s’est en effet spécialisé dès l’arrivée du parlant dans les comédies musicales fleuves. Les métiers de comédien et de chanteur se sont progressivement séparés jusqu’à ce que, au début des années 1950, tous les acteurs et actrices soient doublés. Deux femmes vont alors imposer leur exceptionnel talent, du début des années 1940 à aujourd’hui : Lata Mangeshkar et sa sœur Asha Bhosle, qui détiennent à elles seules le record mondial de participation à des films (plus de 1 000 pour L. Mangeshkar et plus de 1 100 pour A. Bhosle). La naissance du cinéma d’auteur, ou « cinéma parallèle », dans les années 1960, moins coûteux et commercialement moins exigeant que le cinéma populaire, permet à de nombreuses comédiennes apprenties cinéastes de faire leurs armes derrière la caméra. En 1967, Arundhati Devi réalise son premier long-métrage, Chhuti. En 1974, c’est au tour de Sai Pranje, venue de l’Uttar Pradesh, qui tournera 16 films. Kalpana Lazmi, nièce du grand cinéaste Guru Dutt, entame sa carrière en 1983, tout comme Prema Karanth, venue de Bangalore. Elles ont profité de l’éclosion des cinémas régionaux, soutenus par leurs États respectifs contre la mainmise des grands centres de Bollywood et Kollywood (industrie tamoul du sud de l’Inde). Leurs noms sont restés confidentiels. Un unique nom a vraiment émergé : celui d’Aparna Sen*, grande cinéaste bengali, qui s’est imposée à travers une œuvre riche et un univers singulier, récompensés par de nombreux prix nationaux et internationaux (Mr and Mrs Iyer, par exemple, a été très remarqué au Festival de Locarno 2002).
La situation des femmes créatrices en Inde semble s’améliorer. Le pays s’ouvre de plus en plus aux influences extérieures, et « la plus grande démocratie du monde » semble vouloir devenir l’un des chantres de la parité. Les femmes sont maintenant présentes dans tous les métiers de la création cinématographique, du maquillage à la production. Bhanu Athaiya, costumière respectée qui a collaboré avec les plus grands (par exemple, G. Dutt, Ashutosh Gowariker, Raj Kapoor), a obtenu en 1983 un Oscar pour Gandhi, de Richard Attenborough. À l’étranger, parmi les non-resident Indians, les femmes se distinguent davantage que les hommes : Vanitha Rangaraju, technicienne lumière sur le film d’animation Shrek (Andrew Adamson et Vicky Jenson) a reçu un Oscar en 2001. Trois réalisatrices, Deepa Mehta*, Mira Nair* et Gurinder Chadha, installées respectivement au Canada, en Afrique du Sud et en Angleterre, sont internationalement connues, alors que la cinématographie indienne reste largement ignorée. Elles n’ont pas pour autant oublié leurs origines et consacrent à la femme indienne des comédies – Joue-la comme Beckham (Blend it like Beckham, G. Chadha, 2002) ; Coup de foudre à Bollywood (Bride & Prejudice, id., 2004) ; Le Mariage des moussons (Monsoon Wedding, M. Nair, 2001) – ou des drames sociaux – Water (D. Metha, 2005) ; Un nom pour un autre (The Namesake, M. Nair, 2006) –, alors que, dans leur pays natal, les personnages féminins restent essentiellement objets du désir masculin.
En Inde même, le cinéma ne comporte plus vraiment de domaine réservé. À Bollywood, Farah Khan a profité de son expérience de chorégraphe renommée pour écrire et réaliser en 2004 le blockbuster Main Hoon Na (« je suis là »), produit par une femme, Gauri Khan, et qui lui a valu le Filmfare Award (équivalent indien des Oscars) de la meilleure réalisation – pour la première fois attribué à une femme. En 2007, elle décroche l’un des plus gros succès du box-office indien avec Om Shanti Om, dédié à son producteur et comédien principal, la star Shahrukh Khan. D’autres poursuivent dans cette voie, comme la jeune réalisatrice Reema Kagti, détentrice d’un beau succès en 2007 avec sa comédie chorale Honeymoon Travels Pvd Ltd. Le cinéma d’auteur, le cinéma expérimental et même le cinéma lesbien fourmillent de jeunes femmes dynamiques et cultivées qui tentent de profiter des possibilités qu’offrent l’ouverture des mentalités et la baisse du coût de production des films en numérique. Les années 2000 représentent l’aube d’un espoir pour les créatrices indiennes, à l’image du Women’s International Film Festival qui a tenu sa quatrième édition à New Delhi en 2008, présentant des films venus de l’Inde et de tous les pays.
Les critiques et théoriciennes ne sont pas en reste. Alors que le cinéma indien commence à se faire connaître mondialement et à être analysé un peu partout, de jeunes journalistes comme Meenakshi Shedde (critique au Times of India et correspondante des Cahiers du cinéma), des directrices de festival comme Aruna Vasudev (également rédactrice en chef de la revue Cinemaya), ou des programmatrices comme Nasreen Munni Kabir (collaboratrice de la BBC et auteure de nombreux ouvrages sur le cinéma indien) s’emparent du sujet.
Le chemin reste cependant épineux : les stars masculines continuent d’avoir la priorité (salariale et décisionnelle), et les films réalisés par des femmes ne représentent guère plus de 5 % d’une production pourtant gigantesque.
Ophélie WIEL
CINÉMA [Indonésie]
Pendant le régime autoritaire du président Suharto (1965-1998), rares étaient les femmes occupant une autre fonction que celle d’actrice. La plupart des films grand public avaient tendance à accentuer les normes patriarcales de répartition des rôles sexués en conformité avec la politique du régime, selon laquelle les femmes n’étaient considérées que comme épouses et mères aussi bien par les institutions qu’à travers la censure de films. Quelques rares femmes ont pu cependant accéder à la production et à la réalisation, telles Ida Farida, Citra Dewi et Sofia W. D. Le film d’I. Farida, Perawan-Perawan (« les vierges », 1981), qui s’intéresse au désir lesbien et remet en question la subordination des femmes, fait figure d’exception.
La fin de la dictature en 1998 a permis l’ouverture politique et davantage de liberté d’expression dans les arts et la culture. L’apprentissage auprès d’un cinéaste expérimenté, considéré jusque-là comme indispensable à tout futur cinéaste, a également été détrôné par le développement du numérique qui a facilité l’accès à la réalisation. Les femmes ont ainsi pu entrer dans l’industrie cinématographique comme cinéastes, productrices et scénaristes. Quatre cinéastes ont collaboré pour réaliser Kuldesak (« cul-de-sac », 1999), premier film indépendant révolutionnaire. L’une d’entre elles, la cinéaste féministe Nan Triveni Achnas, a été primée pour Pasir Berbisik (Whispering Sands, « le chuchotement des sables », 2001) et The Photograph (2007), notamment aux Festivals de Berlin et d’Asie-Pacifique. Une autre, Mira Lesmana, est devenue une productrice prolifique développant des films sur la jeunesse et sur le genre. D’autres réalisatrices se sont bientôt lancées à leur suite, abordant avec leur propre subjectivité et sensibilité les thèmes de la sexualité, de la maternité, de l’avortement, de la religion et de l’appartenance ethnique au sein de la culture indonésienne, ainsi Nia Dinata*, Sekar Ayu Asmara, Upi Avianto, Lola Amaria, Djenar Maesa Ayu*, Lasja Fauziah, Viva Westi et Mouly Surya. D’autres encore, telles les réalisatrices de courts Lulu Ratna et Ariani Darmawan, mais aussi des scénaristes, des productrices et des organisatrices de festival comme Prima Rusdi, Shanty Harmayn et Rayya Makarim, ont créé un espace pour l’expression des femmes au cinéma à tous les stades de la production et de la diffusion. Les œuvres des réalisatrices indonésiennes sont très diverses, tant dans les sujets que dans les codes narratifs mis en œuvre. Certains des films de N. T. Achnas, influencés par le néoréalisme, ont recours aux plans longs, pour évoquer la façon dont les personnages féminins perçoivent la réalité. S. A. Asmara choisit des éclairages modérés, une image sombre, en relation avec les thrillers et les drames psychologiques qu’elle affectionne. U. Avianto, quant à elle, s’attache à la culture des jeunes urbains, privilégiant la musique et les histoires « rock’n’roll ». Les films de Nia Dinata – qui mélangent réalisme, comédie et montage de type hollywoodien auquel le public local est habitué – sont sans doute les plus populaires dans le pays. Son film Berbagi Suami (« partage mari », 2006), qui met en perspective des problèmes de polygamie dans un pays majoritairement musulman, a attiré l’attention hors du pays, notamment au Festival de Tribeca. Lorsqu’elles réalisent des mélodrames, les cinéastes indonésiennes le font hors du cadre traditionnel. Perempuan Punya Cerita (« ce que les femmes ont à dire », 2008), issu de la collaboration de quatre femmes – Nia Dinata, U. Avianto, L. Fauziah et Fatimah Tobing Rony – illustre la façon dont le mélodrame peut exprimer des questions de femmes, comme l’avortement, la grossesse des adolescentes, le trafic de femmes et le VIH/sida.
Intan PARAMADITHA
■ SEN K., Indonesian Cinema : Framing the New Order, Londres, Zed Books, 1994.
CINÉMA [Iran]
Si le cinéma arrive en Iran par la cour du shah en 1900 et qu’une industrie nationale se développe à partir des années 1950 sous un régime impérial modernisateur et occidentalisé, c’est paradoxalement sous la République islamique que la création cinématographique se conjugue pleinement au féminin.
Les premières salles de cinéma projettent de façon régulière des films (à un public masculin et très occidentalisé) à partir de 1907, déclenchant la hargne des religieux. Ceux-ci condamnent le cinéma, non pas au titre de la prétendue interdiction des images en islam, mais parce qu’il véhiculerait des fantasmes venus d’Occident, en projetant notamment des images de femmes « dévêtues » dans un espace collectif, hors du cercle familial régenté par les règles traditionnelles de pudeur. Contrôle des mœurs et cinéma commencent leur longue relation conflictuelle. Khan Baba Mo’tazedi ouvre la première salle acceptant un public féminin en 1917 mais, après un an de fonctionnement et un lourd échec économique, celle-ci doit fermer. Il faut attendre 1928 pour qu’un balcon soit réservé aux femmes et que cette pratique se généralise, même si le public restera toujours très majoritairement masculin. En 1933, Asia Qostanian, élève de l’école de cinéma fondée en 1930 par Ovanes Ohanian, joue le premier rôle incarné par une femme dans le premier film de fiction iranien : Haji Aqs aktor-e sinema (« Haji Aqa, acteur de cinéma »), du même Ohanian. Dès les années 1950, avec le triomphe du film farsi (mélodrame inspiré du cinéma indien et égyptien), se multiplient les personnages de femmes égarées et séductrices, souvent réduites à des faire-valoir des héros masculins qui, en général, les ramènent dans le droit chemin. Seules quatre réalisatrices, dont Forough Farrokhzad*, parviennent à signer des films, et Shahla Riahi*, seule productrice, reste très isolée. Toute femme travaillant dans le cinéma (actrice, scripte, directrice artistique, monteuse) est alors considérée comme une prostituée.
La révolution de 1979, vite monopolisée par la faction islamiste, bâillonne la tendance féministe pourtant très active. Dès 1981-1982, la présence physique des femmes est régentée dans l’espace public par un code vestimentaire étroit (imposition du port du foulard et du manteau islamiques), une interdiction de toute mixité, et par un contrôle des mœurs sévère jusque dans l’espace privé. Parallèlement, la politique d’islamisation du cinéma, qui vise à relancer une industrie cinématographique désorganisée et à réorienter la production vers un genre inédit, « le cinéma islamique », encadre la présence des femmes à l’écran avec un degré de précision qu’aucun code de censure n’avait jamais atteint – les interdits concernent en effet tous les aspects de l’objet filmique : du sujet traité au dialogue, du cadrage au montage, des contacts physiques entre comédiens et comédiennes en passant par la coiffure et les accessoires. Rien ne doit contrevenir aux règles établies pour l’espace public, même si l’intrigue du film se passe dans la sphère privée. Cette politique a cependant des effets inattendus, dont l’essor de la place des femmes non seulement devant mais aussi derrière la caméra. Il est très probable qu’aucun des dirigeants culturels n’ait envisagé de telles conséquences lors de l’élaboration des règles. Confrontés à un code de censure de plus en plus précis, les réalisateurs ont pu se remettre à filmer des femmes, connaissant (à peu près) les limites à ne pas franchir. Si contraignante qu’ait été la censure, les femmes ont en définitive pu regagner les écrans, avec dans un premier temps des rôles forcément positifs d’épouse fidèle, de mère courage, de sœur exemplaire, renvoyant ainsi souvent les personnages masculins aux rôles négatifs. Par ailleurs, si l’image et le scénario ont dû se conformer à cette « islamisation » du cinéma, les autorités ont également considéré qu’un film ne pouvait être islamique qu’à la condition que son élaboration (son tournage) et sa réception en salle (exploitation) soient également réalisées dans des conditions répondant à ces normes et soient donc étroitement contrôlées. L’étendue de ce contrôle a eu entre autres conséquences de faire de ce secteur un parangon de vertu islamique, permettant alors aux femmes d’y travailler sans être taxée de « dépravation morale », mais en payant souvent un prix élevé dans le contrôle de leur vie privée.
Même si la direction de la photo reste essentiellement masculine, les femmes se retrouvent depuis les années 1980 à chaque étape de la création et de la vie d’un film, du scénario au montage, en passant par la direction artistique, la production, la distribution ou la critique, tant dans les entreprises publiques du cinéma que dans des sociétés privées. Des réalisatrices comme Rakhshan Bani-Etemad*, Tahmineh Milani, Puran Derakhshandeh, Marzieh Boromand se sont même vite imposées comme les figures de ce nouveau cinéma iranien, recueillant, telle Samira Makhmalbaf*, une moisson de prix à l’étranger. L’actrice la plus populaire du cinéma post-révolutionnaire, Niki Karimi, est devenue cinéaste en 2005, signant des films très exigeants, loin des mélodrames colorés auxquels le public l’avait assimilée. Explorant différents genres, du cinéma de guerre au drame social en passant par la comédie ou le cinéma d’animation, les réalisatrices iraniennes (plus d’une quinzaine officiellement dans le long-métrage de fiction et une cinquantaine avec les documentaristes et réalisatrices de courts-métrages) témoignent d’une grande liberté dans leurs choix narratifs et esthétiques.
La profession reste cependant majoritairement masculine et les places dans les lieux symboliques – comme les remises de prix ou les jurys de festival – demeurent verrouillées par des hommes. S’il n’y a pas de festival consacré spécifiquement aux femmes ni de Prix de réalisation féminine, c’est peut-être parce que ces créatrices ont su éviter de s’enfermer dans le piège du « film de femme » dans lequel les dirigeants culturels auraient pu les conduire, dans le but d’offrir à la République islamique un bel alibi sur la condition féminine du régime. Leur plus belle victoire serait-elle d’affirmer qu’il n’existe pas plus de genre dans le cinéma iranien que dans la langue persane ?
Agnès DEVICTOR
■ DEVICTOR A., Politique du cinéma iranien, de l’ayatollah Khomeyni au président Khatami, Paris, CNRS éditions, 2004 ; GAFFARY F., « Coup d’œil sur les 35 premières années du cinéma iranien », in RICHARD Y. (dir.), Entre l’Iran et l’Occident, adaptation et assimilation des idées et techniques occidentales en Iran, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989.
CINÉMA [Japon]
Les appareils cinématographiques – ceux des frères Lumière comme ceux d’Edison ‑ sont adoptés par le Japon de l’ère Meiji dès 1896-1897, mais le cinéma reste considéré comme du théâtre filmé, donc interdit aux femmes, bannies des arts théâtraux depuis le XVIe siècle. Comme au théâtre, les personnages féminins sont joués par les onnagata, hommes spécialisés dans ce genre de rôles. Au cours des années 1910, de jeunes réalisateurs ayant étudié le cinéma aux États-Unis et tenants de la modernité parviennent à convaincre les producteurs que davantage de réalisme est nécessaire pour exporter les films japonais, et que cela passe par l’emploi d’actrices. Les femmes sont donc autorisées à apparaître à l’écran au début des années 1920, mais leur statut équivaut alors à celui des prostituées. Certaines jeunes femmes relèvent pourtant ce défi, dont Hayanagi* Harumi, première actrice du cinéma japonais, Kurishima* Sumiko, première star, et d’autres qui, chacune à leur façon, marquent le septième art nippon : Izawa Ranja (1889-1928), Kamada Yoshiko (1895-1970), Hanabusa Yuriko (1900-1970), Natsukaza Shizue (1909-1999), ou Tanaka* Kinuyo qui connaît l’une des carrières les plus longues et les plus riches du cinéma japonais. À partir des années 1930-1940, la star féminine devient aussi importante que la star masculine et prend la même dimension « iconique » qu’aux États-Unis ou en Europe. Cependant, les autres métiers du cinéma restent fermés aux femmes : pas de scénariste ni de réalisatrice, ni même de scripte, costumière ou décoratrice. Il faut attendre 1953 pour qu’émerge une première cinéaste : l’actrice Tanaka Kinuyo. Le tournant des années 1970 marque ensuite le Japon comme les autres pays industrialisés, et le Mouvement de libération des femmes s’étend à l’archipel. Le documentaire, moyen d’expression politique et de revendication, devient la voie privilégiée de certaines Japonaises des années 1970-1980 pour prendre la parole et s’extraire des stéréotypes véhiculés par les réalisateurs ; citons les noms de Fujiwara* Tomoko et de Haneda Sumiko (1926). Dans le domaine de la fiction, où les résistances du système sont plus fortes, les réalisatrices apparaissent plus tardivement, mais quelques-unes réussissent à s’imposer, surtout à partir de la fin des années 1990. Il est possible d’en dresser une liste quasi exhaustive, tant elles sont peu nombreuses : Otowa Nobuko (1924), Takamine Hideko (1924), Hidari Sachiko (1930), Matsui* Hisako, Matsuura* Masako, Tokieda Toshie (1929), Takayama* Yukiko, Kawase* Naomi, Ogigami* Naoko, Shindo* Kaze. En ce qui concerne les autres métiers du cinéma, quelques femmes sont parvenues à y accéder, mais rarement de façon durable. On peut mentionner la monteuse Kaneko Reiko, qui débute en 1959 et monte des films de science-fiction avant de travailler sur plusieurs films de Kurosawa Akira, puis de revenir au film fantastique en 1979 ; la costumière Wada Emi (1937), récompensée d’un Oscar pour ses costumes sur Ran (Kurosawa, 1985), ou encore Suzuki Miyuki, costumière sur trois films de Kurosawa, notamment Dodeskaden (1970), mais dont on perd la trace par la suite. Du côté des actrices, l’âge d’or des années 1950 montre un changement, avant celui de la nouvelle vague japonaise des années 1970-1980. Ozu Yasujiro et Mizoguchi Kenji, notamment, offrent à leurs comédiennes fétiches des années 1950-1960 – Hara* Setsuko, Tanaka Kinuyo, Yamada Isuzu (1917), Machiko Kyo (1924), Wakao Ayako (1933) – des rôles complexes et forts. Cette tendance continue de s’affirmer ensuite. Okada* Mariko en est un exemple, qui interprète souvent des personnages indépendants, entre autres dans les films de son mari, Yoshida Kijû. Elle est d’ailleurs devenue l’une des premières productrices japonaises, en finançant de nombreux films de Yoshida. L’industrie cinématographique semble un peu plus ouverte aux femmes depuis la fin des années 1990, du fait des succès publics et commerciaux obtenus par les réalisatrices de la jeune génération, souvent scénaristes de leurs œuvres. Les figures les plus marquantes en sont Kawase Naomi, lauréate de deux prix au Festival de Cannes, et Ogigami Naoko, elle aussi lauréate de nombreuses distinctions internationales et dont les comédies épurées sont régulièrement plébiscitées par les spectateurs. Comme leurs prédécesseurs des années 1950 – Ozu, Mizoguchi, Kurosawa –, les réalisatrices des années 2000 se voient reconnues dans leur pays parce que d’abord reconnues à l’étranger pour la qualité de leurs créations.
Olivier AMMOUR-MAYEUR
■ MCDONALD K. I., Reading a Japanese Film : Cinema in Context, Honolulu, University of Hawaii Press, 2006 ; PINON-KAWATAKE J., « La révolution des actrices dans le cinéma japonais des années vingt », in TSCHUDIN J.-J., HAMON C., La Modernité à l’horizon, la culture populaire dans le Japon des années vingt, Arles, Ph. Picquier, 2004 ; RICHIE D., A Hundred Years of Japanese Film (2005), Oxford, Oxford University Press, 2012 ; TESSIER M., Images du cinéma japonais, Paris, H. Veyrier, 1990.
CINÉMA [Malaisie]
Le premier film malaisien, Laila Majnun, dirigé par l’Indien B. S. Rajhans, est sorti dans le pays en 1933. Cinq ans plus tard, les frères Shaw de Shanghai créent une unité de films à Singapour, avec des scénarios inspirés d’histoires chinoises. Une certaine Miss Yen et un Mr. Wan Hai Ling de Shanghai y ont travaillé comme cinéastes pour les films réalisés entre 1938 et 1942. Plus tard, les frères Brothers, propriétaires de la maison de production malaise pendant l’âge d’or du cinéma (1955-1965), ont recruté des réalisateurs indiens, philippins, puis finalement malais. Aucune femme n’a travaillé avant 1979 dans les deux principaux studios (Malay Film Productions et Cathay-Keris), malgré les 252 films produits, jusqu’au déclin des années 1970. Aujourd’hui, une vingtaine de films seulement sortent par an et ces chiffres se maintiennent grâce à l’accessibilité financière de la réalisation numérique. La plupart des films en 35 mm visent un marché local, bien qu’existe également un cinéma indépendant (grâce en particulier au numérique) dont les films d’art et les documentaires circulent dans des lieux alternatifs, sont achetés par les chaînes de télévision ou sont vendus en ligne comme DVD. Le terme de « cinéaste » en Malaisie recouvre parfois l’auteur(e) d’un seul film. Dans une industrie aussi limitée, la réalisation est une profession ni suffisamment lucrative ni durable, et nombreux sont celles et ceux qui travaillent aussi pour la télévision, le théâtre, la publicité et les maisons de production. Ceritaku Ceritamu (« mon histoire, ton histoire », 1979) est le premier film réalisé par une femme, l’actrice Saadiah, après la chute du système des studios. Ce sera son seul scénario et son unique réalisation. Dans les années 1980, les femmes ont tourné six films sur 102, auxquels il faut ajouter ceux qu’ont produits les actrices Sarimah et Rosnani Jamil. Les réalisatrices malaisiennes partagent certains problèmes avec leurs collègues masculins : absence de formation aux techniques et à la critique cinématographiques, taille restreinte de l’industrie filmique et manque constant d’audaces novatrices dans les styles et les récits qui s’y rapportent. Shuhaimi Baba a été la première à être formée en Grande-Bretagne dans les années 1990. Durant cette même décennie, des réalisatrices comme elle et Erma Fatima ont tourné des films socialement plus engagés, posant des questions auxquelles sont confrontées les femmes malaises des classes moyennes. Depuis le début du millénaire toutes deux réalisent des films plus populaires auprès du public que des critiques.
Les femmes sont de loin beaucoup plus nombreuses devant que derrière la caméra. Celles qui travaillent dans la production gravitent autour du montage, du maquillage et des accessoires. Les lieux de formation sont aujourd’hui plus nombreux, et les femmes constituent parfois entre un et deux tiers du recrutement. Malgré les préjugés, les étudiantes sont parfois encouragées par leurs professeurs à s’orienter vers la production plutôt que vers la réalisation. Depuis 2000, elles sont plus nombreuses à travailler dans la production, non seulement dans l’industrie de films grand public, mais aussi, grâce à l’apport du numérique et des nouvelles technologies, dans le cinéma d’art et essai, les documentaires, la télévision ainsi que l’animation. Le cinéma indépendant leur offre désormais la possibilité de prendre en charge la production, l’écriture, la réalisation, et même la distribution de leurs films. Ainsi les réalisatrices indépendantes Yasmin Ahmad et Tan Chui Mui ont-elles été primées à Berlin, Pusan et Tokyo.
De manière générale, le cinéma est avant tout perçu comme un divertissement et fort peu comme une matière universitaire : la seule critique, Sujiah Salleh – qui écrivait sous le pseudonyme de Seri Bintang pour le magazine The Star dans les années 1990 –, en est la parfaite illustration. Il n’existe pas de revues universitaires sur le cinéma et encore moins sur le cinéma fait par des femmes, et ces dernières sont absentes des blogs de cinéma et de la critique filmique.
Cependant, les mentalités évoluent. Aujourd’hui, les réalisatrices et certains de leurs collègues masculins mettent en scène des personnages féminins forts et intéressants, ou des problématiques féministes.
KHOO GAIK CHENG
■ KHOO G. C., Reclaiming Adat : Contemporary Malaysian Film and Literature, Vancouver/Singapour, University of British Columbia Press/Singapore University Press, 2006.
■ KHOO G. C., « Just do-it-(yourself) : independent filmmaking in Malaysia », in Inter-Asia Cultural Studies, vol. 8, no 2, 2007 ; ID., « The politics of love : introducing independent malaysian filmmaker Yasmin Ahmad », in Metro, no 155, 2007.
CINÉMA [Maroc]
Des trois pays du Maghreb, c’est de loin au Maroc que le cinéma montre la plus grande vitalité en termes de production (une vingtaine de films par an aujourd’hui), d’équipement, d’investissement et de publics. Très structurées, la production, la distribution et l’exploitation sont organisées et gérées par le Centre cinématographique marocain (CCM) créé en 1944. Développé sur le modèle du CNC en France, le CCM est doté d’un complexe cinématographique (laboratoire et auditorium), il gère un fonds d’aide important, une cinémathèque, un centre de documentation. Avec une cinquantaine de salles dans le pays, dont deux multiplexes, l’exploitation des films en salles survit et les films marocains sont appréciés du public national. Ils représentaient plus d’un quart du box-office en 2009, une année exceptionnelle. En outre, la société de Nabil Ayouch, Ali’n Productions, en partenariat avec la Société nationale de Radiodiffusion et Télévision (SNRT), a lancé en 2004 la Film Industry - Made in Morocco, un vaste programme de production de films de genre tournés en HD, pour certains exploités en salles, et diffusés en DVD et à la télévision. De ce projet, qui est également conçu comme un lieu de formation du personnel, sont sortis une trentaine de films. Le Maroc a également une culture du festival, on en dénombre une bonne cinquantaine, dont le jeune et fragile Festival international du film de femmes de Salé qui, depuis 2004, a connu six éditions.
Les réalisatrices ont été longtemps très peu nombreuses : en 2012, le CCM en recense 12 contre 93 réalisateurs. Elles sont auteures de 18 longs-métrages de fiction qui représentent moins de 10 % de la production. Les réalisatrices de la première génération, Farida Bourquia* et Farida Benlyazid*, ont été formées à l’étranger, en URSS et en France, et vivent et travaillent dans l’industrie du cinéma et pour la télévision au Maroc. La seconde génération, formée en Belgique ou en France, est engagée dans un va-et-vient entre le Maroc et l’Europe, le plus souvent la France. Relevant du film d’auteur, avec des écritures filmiques très personnelles, leurs fictions, qui ont souvent recours à la fable comme au film de genre, plus rarement à l’adaptation littéraire, n’en sont pas moins ancrées dans des milieux sociaux, des univers et des périodes de l’histoire divers. Les travers de la domination masculine sont souvent évoqués à travers des comédies ironiques qui transforment le regard des hommes, par exemple Ruses de femmes (1999), de F. Benlyazid, ou Number One (2008), de Zakia Tahiri*. En revanche, les effets de la mondialisation et les rapports de domination économiques, sociaux et sexués implacables qu’ils engendrent donnent lieu à des fictions plus sombres. Yasmina Kassari* évoque ainsi les contradictions d’un monde rural traditionnel sans clichés confronté aux effets déstructurants des migrations économiques, tandis que Leïla Kilani* dans Sur la Planche (2011) pose un regard brut sur l’exploitation industrielle en filmant pas à pas des jeunes femmes prêtes à tout pour sortir de leur condition. Dans un registre très différent, Laïla Marrakchi (née à Casablanca en 1975) met en scène dans son premier long-métrage, Marock (2004), la jeunesse aisée et désœuvrée de la capitale, jamais représentée ainsi dans les films avec, comme référence implicite, La Fureur de vivre de Nicholas Ray (1955). Plus récemment, dans La Cinquième Corde (2011), Selma Bargach (née à Casablanca en 1966) explore à travers un récit d’apprentissage classique la confrontation entre un jeune musicien doué et son oncle tyrannique.
L’enjeu de l’histoire qui reste diffus dans les fictions apparaît dans le documentaire auquel s’adonnent de nombreuses réalisatrices. Izza Génini* travaille sans relâche à la constitution d’un patrimoine culturel, principalement musical. Lieu d’un travail sur la forme, le documentaire constitue une alternative aux représentations dominantes et pose la question de la place et du rôle des réalisateurs dans la culture, de la place des images dans la construction de soi, du rapport à l’autre. Les femmes ont pu accéder par ce biais à une grande liberté de création tout en affirmant souvent aspirer à la fiction. Les films de L. Kilani sur les tabous de l’histoire nationale et ceux de Dalila Ennadre* qui retracent des parcours de femmes dans le Maroc d’aujourd’hui et d’hier sont, à ce titre, assez marquants. Notons une œuvre singulière, Dans la maison de mon père (In het Huis van mijn Vader, 1997) de la cinéaste et journaliste Fatima Jebli Ouazzani (née à Meknès en 1959). Le film entremêle récit autobiographique et fiction pour explorer le tabou de la virginité dans une démarche esthétique où l’expression de l’intime s’incarne dans la couleur et la lumière.
Le numérique représente également pour les réalisatrices un enjeu important dans la mutation culturelle, sociale et économique en cours. Il permet déjà à certaines, qui n’avaient pas nécessairement accès aux structures de production, de travailler à une recherche sur les formes et à la construction de nouveaux rapports à l’image. À ce titre, le travail de Bouchra Khalili (née à Casablanca en 1975) qui explore les limites entre cinéma et arts plastiques acquiert une dimension transnationale.
Patricia CAILLÉ
■ HILLAUER R., Encyclopedia of Arab Women Filmmakers, Le Caire/New York, The American University in Cairo Press, 2005.
CINÉMA [Mexique]
Jusque dans les années 1990, les cinéastes mexicaines étaient confrontées à de grandes difficultés, tant au niveau de leur accès à la formation que dans l’exercice de leur activité professionnelle. Les femmes ont ensuite progressivement acquis une certaine visibilité dans l’industrie cinématographique, en même temps que se produisait un changement de perception par rapport à l’existence même de femmes réalisatrices. La féminisation du milieu est une tendance importante du cinéma contemporain, visible dans l’augmentation du nombre de femmes aux postes de réalisation, de scénario et de postproduction. Plusieurs facteurs importants ont contribué de manière significative au succès du cinéma fait par des femmes au Mexique. L’un d’eux est l’apparition d’une pensée féministe dans le pays durant les années 1960, mouvement qui s’est prolongé tout au long des deux décennies suivantes. Cette prise de conscience croissante dans la société mexicaine est en partie liée à l’augmentation de la main-d’œuvre féminine, perçue comme la conséquence des crises économiques récurrentes dans le pays durant les vingt dernières années du XXe siècle. Outre cette augmentation du travail féminin pendant les années 1960 et 1970, le nombre d’étudiantes s’est accru lui aussi, comme celui des femmes diplômées occupant, dans les industries (y compris l’industrie cinématographique) et les institutions, des postes précédemment monopolisés par les hommes. De même, la popularité croissante des deux écoles de cinéma du Mexique – le Centro universitario de estudios cinematográficos (Cuec) et le Centro de capacitación cinematográfica (CCC) – a attiré un grand nombre d’étudiantes et permis l’émergence d’une génération de réalisatrices. Le succès de ces écoles était tel que de 1970 à 1980 le pourcentage de filles dans chacune a presque triplé, à tel point que vers la fin des années 1980, la plupart des personnes inscrites aux cours du CCC étaient des femmes. Celles-ci ont pu bénéficier de l’expérience et du savoir de certaines des personnalités clés du cinéma mexicain, appartenant pour beaucoup à la génération de 1968. Outre ces changements sociaux, l’effondrement de l’un des plus puissants syndicats de la profession a également contribué à une augmentation du nombre de femmes cinéastes : la restructuration a en effet provoqué la fin de la discrimination délibérée propre à la corporation. Traditionnellement, les règlements des syndicats de films comportaient des clauses d’exclusion interdisant aux femmes de travailler comme assistantes, entravant ainsi le processus d’apprentissage, reconnu par de nombreux réalisateurs comme indispensable pour mener à bien une carrière. La fin de ce que María Novaro* considérait comme « la plus machiste de toutes les institutions imaginables » est donc primordiale dans l’augmentation phénoménale du nombre de réalisatrices mexicaines ces dernières années.
Une fois qualifiées et libérées des clauses restrictives du syndicat de leurs prédécesseurs, les réalisatrices des années 1990 étaient prêtes à imprimer sur la pellicule leurs visions diverses et variées du pays et de sa société. Plusieurs de leurs récits se focalisent ainsi sur des histoires de femmes dans le Mexique contemporain, comme les films de Maryse Sistach – Los pasos de Ana (« le voyage d’Ana », 1988), Parfum de violettes (Perfume de violetas, 2001) – ou les cinq longs-métrages de M. Novaro. D’autres, telles que Busi Cortés et Matilde Landeta (1910-1999), se tournent vers le passé pour revisiter, d’un point de vue de femme, des événements historiques importants. D’autres, enfin, choisissent plutôt d’explorer la vie de femmes vivant dans des communautés marginalisées au Mexique, comme Dana Rotberg avec Ange de feu (Ángel de fuego, 1992) et Guita Schyfter dans Novia que te vea (« comme une jeune mariée », 1993). Un autre élément déterminant du travail des cinéastes mexicaines est leur capacité à s’impliquer dans les diverses phases de production et de postproduction : certaines écrivent leurs propres scénarios, cherchent les financements et participent aux activités promotionnelles et de négociation des droits. Elles travaillent tout à la fois dans le champ de la fiction et du documentaire, telles M. Novaro, D. Rotberg et son Elvira Luz Cruz, pena máxima (« Elvira Luz Cruz, peine maximale », 1985), G. Schyfter avec Xochimilco, historia de un paisaje (« Xochimilco, histoire d’un paysage », 1989), ou encore le projet que M. Sistach a codirigé avec son mari, José Buil, La Línea paterna (« la ligne paternelle », 1995). Ces récits, définis comme « cinéma féminin » par les critiques, offrent ainsi un point de vue manquant jusque-là dans le cinéma national. Le succès de ce mouvement s’est traduit dans les années 1990 par un grand nombre de grosses productions plusieurs fois primées, distribuées nationalement et internationalement, autour des thèmes de la nation et des femmes mexicaines, au passé comme au présent. Les récits de réalisatrices comme D. Rotberg et M. Novaro s’engagent à offrir une perspective de femme sur des questions de la société mexicaine contemporaine, qu’il s’agisse des crises économiques nationales et de leurs répercussions ou de la notion complexe d’identité féminine dans la sphère domestique. À bien des égards, les personnages féminins de ces films reflètent les multiples facettes de la société mexicaine, elle-même pensée par rapport aux notions d’identité nationale. Ainsi, de nombreuses réalisatrices ont-elles choisi la figure du métis, mais d’une manière bien différente de celle des films de la période de l’âge d’or des années 1950, lorsque l’Indien symbolisait la « mexicanité ». D’autres, comme G. Schyfter (Novia que te vea) et D. Rotberg, introduisent le judaïsme dans la construction de l’identité catholique-indienne traditionnelle qui caractérise la nation mexicaine.
Enfin, des cinéastes examinent la société mexicaine contemporaine et les femmes qui y vivent à travers les conséquences des désastres naturels et économiques. La protagoniste de M. Novaro dans Lola, par exemple, se trouve dans les décombres du tremblement de terre de 1985. D. Rotberg, quant à elle, s’attache à montrer la situation critique de nombreux enfants mexicains, personnifiés par Alma, « l’ange de feu », qui erre dans les rues de la capitale, crachant du feu contre quelques pièces. Ici les deux récits ont lieu avant les crises monétaires qui vont défier l’économie nationale et sa stabilité. Chacune observe comment la situation critique de ces femmes vivant dans les espaces urbains du Mexico des marginaux est affectée par les questions de maternité, de pauvreté, de malnutrition et d’isolement social. Aucune de ces deux réalisatrices ne fait le choix de représentations glorifiantes ou avilissantes : elles optent au contraire pour des portraits de femmes à la fois autonomes et déterminées, même si elles connaissent une fin tragique en raison de l’indifférence sociale.
Miriam HADDU
■ HERSHFIELD J., MACIEL D. R., Mexico’s Cinema : A Century of Film and Filmmakers, Wilmington (Del)/Londres, Scholarly Resources/Eurospan, 1999 ; MILLÁN M., Derivas de un cine en femenino, Mexico, Miguel Angel Porrúa Grupo Editorial, 1999 ; RASHKIN E. J., Women Filmmakers in Mexico : The Country of Which We Dream, Austin, University of Texas Press, 2001.
CINÉMA [Nouvelle-Zélande]
Les débuts des femmes dans le cinéma néo-zélandais remontent à l’entrée d’Hilda Hayward* dans la profession de cinéaste, dans les années 1920. Entre 1950 et 1970, davantage de femmes contribuent à la création cinématographique, dont les documentaristes Kathleen O’Brien et la monteuse Carole Stewart. La vague féministe des années 1970 marque un tournant dans le cinéma néo-zélandais et, en 1975, Année internationale des femmes, un documentaire indépendant a été commandé sur leur situation dans la société néo-zélandaise. Dirigé par Deirdre McCartin et monté par C. Stewart, Some of My Best Friends Are Women (1975) a été projeté lors d’un festival international de films de femmes, à côté d’œuvres d’Alice Guy*, de Maya Deren* et d’Agnès Varda*. Le film raconte les histoires individuelles de trois Néo-Zélandaises « ordinaires », parlant à la caméra de problématiques féminines. Entre 1976 et 1981, huit autres documentaires ont été produits et diffusés, parmi lesquels : Women, série en six parties, dont l’une très controversée porte sur l’effet du mariage sur la santé mentale des femmes ; Nga Wahine Maori I Roto Te Ao Pakeha se penche sur la vie des femmes maori ; I Want to Be Joan (1978), une enquête de Stephanie Beth, traite des névroses urbaines ; et Irene 59 (1981), une étude poétique et en gros plans de Shereen Maloney, consacrée à sa mère. S. Maloney et S. Beth se sont formées en cinéma dans des écoles d’art, puisque, jusque dans les années 1990, il n’y a pas d’écoles de cinéma en Nouvelle-Zélande, ce qui explique pourquoi Jane Campion*, diplômée en anthropologie, est partie étudier le cinéma à l’Australian Film and Television School (1981-1984) de Sydney, pour s’installer ensuite dans cette ville. Les mouvements féministes ont insufflé une énergie vitale au cinéma fait par des femmes, offrant des objectifs et des perspectives pour les courts et les longs-métrages dramatiques. The Silent One (1984), d’Yvonne Mackay, adaptation du roman de Joy Cowley*, est le premier long-métrage néo-zélandais dirigé par une femme. En 1984-1985, en réaction au film suscité par Psychose (Psycho, Alfred Hitchcock, 1960) et au nombre limité de rôles stéréotypés réservés aux femmes dans les films faits par les hommes, Melanie Read avec Trial Run et Gaylene Preston* dans Mr. Wrong réalisent des thrillers dans lesquels de rusées pakeha (« femmes d’origine européenne ») surmontent leurs craintes et leurs persécuteurs. C’est aussi durant cette décennie qu’émerge Merata Mita*, première réalisatrice maori de longs-métrages.
Ces nouveaux films ont été défendus par des journalistes, ainsi que par les critiques du magazine féministe Broadsheet et de la revue de cinéma Illusions. Cependant une recherche publiée en 2000 montre une tendance à limiter les femmes – réalisatrices et membres d’équipe de tournage – à des rôles de soutien. Les femmes continuent ainsi de devoir se battre pour réaliser des longs-métrages : sur les 139 films sortis entre 1940 et 2000, les femmes n’en ont dirigé que 18 ; depuis 2003, 4 seulement sur 53. Dans la section documentaire, la situation est tout aussi décourageante, avec 29 femmes sur 103 films et 3 équipes mixtes. La multitude des tâches qui leur incombent explique ce handicap. La plupart des pionnières n’étaient pas mariées et n’avaient pas d’enfants.
Dans d’autres domaines de création, la scénariste Fran Walsh est à l’origine de Créatures célestes (Heavenly Creatures, 1994), coécrit avec son mari, Peter Jackson, film qui relate, d’après un fait divers, la dérive meurtrière de deux jeunes écolières de Christchurch. Toujours avec P. Jackson et avec Philippa Boyens, elle coécrit également la trilogie Le Seigneur des anneaux (Lord of the Rings, 2001-2003) ; King Kong (2005) ; et Lovely Bones (The Lovely Bones, 2009, d’après un roman d’Alice Sebold).
Un autre domaine reste difficile d’accès pour les femmes : la direction de la photographie. Mairi Gunn, la plus grande directrice de la photographie néo-zélandaise, travaille depuis trente ans principalement pour les documentaires et les courts-métrages. L’association Wift (Women in Film and Television) l’a récompensée en lui décernant le Prix 2006 de « l’héroïne inconnue de l’industrie filmique néo-zélandaise ». M. Gunn a travaillé comme directrice de la photographie sur le film Sheilas : 28 Years On, coréalisé en 2004 par Annie Goldson et Dawn Hutchesson.
Le court-métrage est souvent choisi par les femmes, parce qu’il permet à la fois d’expérimenter le médium et de commencer une carrière de cinéaste. Celui d’Alison Maclean, Kitchen Sink (1989), est une fable en noir et blanc qui rappelle les films de M. Deren ou Un chien andalou de Buñuel : une femme devant son évier accouche d’un fœtus qui devient rapidement un homme adulte, pour la plus grande joie de la génitrice. Sélectionné au Festival de Cannes, ce court a ouvert à A. Maclean la voie pour son premier long-métrage, Crush (1992), ainsi que la suite de sa carrière à New York. De même, les courts-métrages expérimentaux de fin d’études réalisés par Niki Caro lui ont permis de tourner son premier long-métrage, Memory and Desire (1997), ainsi que le suivant : Paï, l’élue d’un peuple nouveau (Whale Rider, 2002) ; tiré d’une histoire maori écrite par Witi Ihimaera, ce film a touché une corde sensible auprès des publics du monde entier, séduits par l’interprétation féministe du récit et l’éloge d’une culture indigène. Ce succès a entraîné celui du film suivant de N. Caro, Vintner’s Luck (2009, adapté du roman d’Elizabeth Knox*), sur la rencontre entre un vigneron français et un ange. De même, le travail photographique étonnant de Christine Jeffs dans son court-métrage Mirage a conduit cette créatrice à un remarquable premier long-métrage, Rain (2001). Après ce portrait dérangeant et onirique d’une mère alcoolique et de sa fille désorientée, C. Jeffs a pu réaliser Sylvia (2003), production britannique sur l’histoire d’amour malheureuse de l’écrivaine américaine Sylvia Plath* et du poète anglais Ted Hughes.
Le féminisme continue d’influencer les documentaires faits par des femmes, dont ceux de Gaylene Preston*, qui manifeste un grand talent pour raconter (ou faire raconter) les histoires passées sous silence. G. Preston a ainsi aidé A. Goldson à réaliser son film Punitive Damage (1999), rapportant le combat juridique d’une mère dont le fils est mort au Timor-Oriental, ou encore Brita McVeigh, dont le documentaire Coffee, Tea or Me (2002) traite du sexisme dans les compagnies aériennes. Shirley et Roger Horrocks ont réalisé, quant à eux, des films sur des artistes néo-zélandais reconnus : Pleasures and Dangers (1991), Flip and Two Twisters (1995) sur le cinéaste innovant Len Lye ; ou encore Marti : the Passionate Eye (2004) sur le photographe Marti Friedlander. Différemment, le premier documentaire de Briar March, Allie Eagle and Me (2004), a apporté une intensité nouvelle au genre, par son exploration réfléchie des tableaux d’une artiste plus âgée et l’analyse de la relation qui s’établit entre ces deux créatrices.
En ce début de millénaire, les voix multiculturelles du Pacifique deviennent plus importantes avec la scénariste Athina Tsoulis et ses œuvres couplées : A Bitter Song (1990) et Revelations (1993), sur son enfance dans une famille grecque. Annalise Patterson a exploré pour sa part, dans The Road Back (1996), le terrible sentiment de perte éprouvé par sa grand-mère yougoslave à son arrivée en Nouvelle-Zélande dans les années 1920, à partir de la nouvelle de l’écrivaine dalmatienne Amelia Batistich. La même année, le court-métrage de Mandrika Rupa, Naya Zamana (« les temps modernes », 1996), étudiait la pratique indienne des mariages arrangés vue par une jeune lesbienne indienne. En 2008, une équipe multiculturelle féminine composée de la scénariste indienne Shuchi Kothari, de Dianne Taylor et de la cinéaste Sima Urale, originaire de Samoa (et première réalisatrice samoane), a présenté Apron Strings, premier long-métrage « mixte » pakeha-indien. S. Urale a étudié à la Swinburne Film and Television School de Melbourne et a reçu le Prix du meilleur court-métrage au Festival de Venise en 1997 pour The Children (O Tamaiti, 1997). Ce film en noir et blanc, visuellement époustouflant, raconte la tragédie qui affecte une famille de jeunes et courageux Samoans qui prennent soin les uns des autres pendant que leurs parents s’échinent en horaires décalés. Dans Velvet Dreams (1998), S. Urale traite de manière ironique les origines du stéréotype de la « sirène à la peau sombre » ; elle s’appuie sur la danse de hula rythmée par l’ukulélé et la recherche d’un peintre sur velours noir pour apporter à son film une sophistication décalée. La cinéaste Justine Simei-Barton, originaire de Samoa mais née en Nouvelle-Zélande, présente elle aussi une révision postcoloniale de la « sirène à la peau sombre ». Les jeunes filles de ses films sont urbaines et d’élocution facile. Sa maison de production, Tala Pasifika, est engagée dans l’aide aux jeunes insulaires du Pacifique dans les domaines de la production, de l’écriture et de la réalisation de films sur les peuples de la région. Il est cependant encore difficile pour une femme de réaliser un long-métrage. A. Tsoulis a autofinancé son second long-métrage à petit budget, Jinx Sister (2008), après l’échec de deux projets, et recruté ses étudiants en cinéma pour composer son équipe. Le portrait cathartique de deux sœurs tentant de résoudre un traumatisme familial, filmé au ralenti, est un exemple de films sur des femmes que le cinéma peut offrir.
Deborah SHEPARD
■ SHEPARD D., Reframing Women : A History of New Zealand Film, Auckland, Harper Collins Publishers, 2000 ; ID., « Feminist perspectives in women’s film in Aotearoa New Zealand », in Barton C., Lawler-Dormer D. (dir.), Alter/Image : Feminism and Representation in New Zealand Art, Auckland/Wellington, City Art Gallery, 1993.
■ « She through he : images of women in New Zealand feature film », in Alternative Cinema, été 1983-1984.
CINÉMA [Pays-Bas]
La première réalisatrice hollandaise est Caroline Van Dommelen (1874-1957) avec De Bannelingen (« les exilés », 1911), qu’elle écrit, codirige et interprète. L’industrie néerlandaise du film, considérable à l’époque, est dominée par le studio Filmfabriek Hollandia (1912-1923), dont l’actrice principale, Annie Bos (1886-1975), devient la première star du cinéma hollandais. Au cours des années 1920, Adrienne Solser (1873-1943), déjà vedette au théâtre de variétés, fonde la compagnie Eureka (1924-1928) pour produire et codiriger ses propres films, des comédies burlesques comme Bet, koningin van de Jordaan (« Bet, reine du Jordaan », 1924), où elle joue une femme du peuple d’un quartier pauvre d’Amsterdam. A. Solser fait souvent le « boniment » lors des projections : explications, commentaires et chansons en direct.
Il faut attendre près de quarante ans pour qu’apparaisse une autre cinéaste : Nouchka Van Brakel (1940), première diplômée de l’Académie du film et de la télévision néerlandaise, fondée en1958. Après plusieurs documentaires et deux courts-métrages de fiction dans les années 1960, elle remporte d’importants succès dans les années 1970, avec Premier secret (Het Debuut, 1977) et Een vrouw als Eva (« une femme comme Ève », 1979), repères importants dans l’émancipation des femmes et des témoignages sur l’époque. Ce dernier film est interprété par Monique Van de Ven (1952), qui passera elle-même à la réalisation en 2008 avec Zomerhitte (« chaleur d’été »). Parmi les œuvres suivantes de N. Van Brakel : Van de Koele Meren des Doods (« les lacs frais de la mort », 1982, d’après un roman de Frederik van Eeden), où Renée Soutendijk (1957) joue le personnage tragique de Hedwig Marga de Fontayne ; Aletta Jacobs, het hoogste streven (« Aletta Jacobs, la plus haute ambition », 1995) sur la féministe A. Jacobs, première Hollandaise admise au lycée, puis à l’université, et première femme médecin du pays ; un documentaire sur la Vierge Marie, Ave Maria (2006). À partir des années 1970 et surtout 1980, une génération d’auteures-réalisatrices commence à modifier le paysage cinématographique, obtenant une reconnaissance nationale et internationale. Marleen Gorris* (1948) reçoit en 1982 le Veau d’or (récompense du meilleur film aux Pays-Bas) pour son controversé Le Silence autour de Christine M. (De stilte rond Christine M.) et remporte en 1996 l’Oscar du meilleur film étranger pour Antonia et ses filles (Antonia, 1995), portrait de trois générations de femmes indépendantes. Le rôle-titre y est tenu par Willeke Van Ammelrooy (1944), qui mène une solide carrière depuis Mira (F. Rademaker, 1971) et s’est tournée vers la réalisation en 1994 avec De vlinder tilt de kat op (« le papillon soulève le chat ») et des téléfilms. M. Gorris continue son parcours de réalisatrice en partie à Hollywood, où elle a dirigé des épisodes de la série The L-World (2007). Au sein de cette première vague de cinéastes, citons : Heddy Honigmann, née en 1951 au Pérou et installée aux Pays-Bas depuis 1978, où elle a réalisé, notamment, les fictions Hersenschimmen (« ombres de l’esprit », 1988), Au revoir (Tot ziens, 1995), et les documentaires Metaal en Melancholie (« métal et mélancolie », 1994), L’Orchestre souterrain (Het ondergronds orkest, 1998) et Le Cimetière du Père-Lachaise (Forever, 2006) ; Digna Sinke (1949) et Annette Apon (1949), qui conjuguent elles aussi avec talent documentaires et fictions. A. Apon a adapté Les Vagues de Virginia Woolf* : Golven (1982) ; D. Sinke a réalisé Belle Van Zuylen (1993), un film sur la vie de cette écrivaine du XVIIIe siècle connue en France sous le nom de Madame de Charrière*.
Les années 1990 voient émerger une nouvelle génération de réalisatrices. Frouke Fokkema (1952) se distingue avec Kracht (« vigueur », Veau d’or 1990) et Le printemps n’existe plus (Wildgroei, 1994). Elle écrit également le scénario de Suzy Q (1999), début remarqué du cinéaste M. Koolhoven et de l’actrice Carice Van Houten (1967), devenue célèbre avec Black Book (P. Verhoeven, 2006). Mijke de Jong (1959) réalise In Krakende Welstand (Squatters Delight) en 1990, puis le marquant Hartverscheurend (Love Hurts, 1993). Son travail est largement primé, notamment L’Oiseau bleu (Bluebird, 2004), sur un scénario de Helena Van der Meulen (1957), et Bilan provisoire (Tussenstand, 2007). Maria Peters (1958) et Esmé Lammers (1958) créent d’excellents films pour enfants, respectivement De Tasjesdief (« l’arracheur de sac », 1995) et Lang Leve de Koningin (« vive la reine », 1995). Ineke Smits (1960) tourne des documentaires et des fictions comme Magonia (2001), un succès international. Dans les années 1990 également, la télévision hollandaise produit des téléfilms thématiques à petit budget, permettant l’émergence de nouveaux talents. Beaucoup de réalisatrices se font ainsi remarquer : Coma (1994), première réalisation TV de Paula Van der Oest (1965) remporte un Veau d’or ‒ P. Van der Oest est nommée plus tard aux Oscars pour Hotel Paraiso (Zus & Zo, 2001) ; Ochtendzwemmers (« les nageurs du matin » 2001), scénario de M. de Jong (1957), est une comédie musicale de Nicole Van Kilsdonk (1965) ; Profond (Diep, 2005), de Simone Van Dusseldorp (1967), adopte le point de vue subjectif d’une adolescente perturbée par la découverte de sa sexualité. Ces réalisatrices continuent de travailler pour la télévision et le cinéma. Citons aussi Nanouk Leopold (1968), qui réalise Guernsey, film récompensé et sélectionné à Cannes en 2005 ; Eugenie Jansen (1965), avec Calimucho (2008), grand succès public et critique ; Dana Nechustan (1970), qui adapte notamment pour le cinéma (2008) une série qu’elle avait réalisée pour la télévision : Dunya And Desi (2002), interprété par les comédiennes de la série ; Maryam Hassouni et Eva Van de Wijdeven, nées en 1985.
Les actrices ont une place déterminante dans le cinéma hollandais contemporain. Parmi elles, Monic Hendrickx (1966), très remarquée dans Nynke de P. Verhoeff (2001, sur la vie de l’écrivaine Nynke Van Hichtum), Rifka Lodeizen (1972), Ricky Koolen (1972), Halina Reijn (1975), Thekla Reuten (1975), Katja Schuurman (1975), Tamar Van den Dop (1970), également réalisatrice (Blind, 2007), et Kim Van Kooten (1974) par ailleurs scénariste réputée, à qui l’on doit le scénario de Alles is Liefde (Love is All, J. Lürsen, 2007).
Dans le domaine de l’expérimental : Barbara Meter (1939), Babeth Van Loo (1948), Moniek Toebosch (1948), Marijke Van Warmerdam (1959), Clara Van Gool (1960) et Fiona Tan (1966). Esther Rots (1972) réalise les courts-métrages Play With Me (Speel Met Me, 2001) et Ik ontspruit (« je germe », 2003), sélectionnés à Cannes, puis un premier long-métrage, Can Go Through Skin (Kan door huid heen, 2009). On peut citer les documentaristes Aliona Van der Horst (1970), Loup d’argent au Festival international du documentaire d’Amsterdam (Idfa) pour Boris Ryzhy (2008), Sunny Bergman (1973), auteure du très discuté Beperkt Houdbaar (« date limite de consommation », 2007, une enquête choc sur l’industrie américaine de la chirurgie esthétique et la retouche photographique des modèles, qui dictent d’invraisemblables canons de beauté) et Jiska Rickels (1977), dont le poétique 4 Elements a ouvert l’Idfa en 2006 et a reçu un accueil enthousiaste.
Durant les années 1970-1980, les cinéastes hollandaises sont portées par un esprit véritablement pionnier, souvent marqué par le féminisme militant de cette époque, dont N. Van Brakel et M. Gorris sont les plus représentatives. Les générations suivantes ont su élargir ces avancées, abordant des sujets aujourd’hui très divers – pas nécessairement politiques. Nachtrit (2006) s’attache à un chauffeur de taxi à Amsterdam en 2000 ; Boris Ryzhy (2008) retrace la vie tragique d’un poète russe et peint la génération de la perestroïka ; 4 Elements (2006) explore le monde viril de ceux qui luttent contre les éléments (pompiers de Sibérie, pêcheurs d’Alaska, mineurs d’Allemagne et cosmonautes russes).
Ainsi, malgré des financements réduits et souvent difficiles à rassembler, la création cinématographique actuelle des femmes aux Pays-Bas s’avère d’une remarquable vitalité.
Patricia PISTERS
■ AMSBERG K., STEENHUIS A., Een Branding van Beelden : Gesprekken met Vrouwelijke Filmregisseurs, Amsterdam/Antwerpen, Contact, 1996 ; COWIE P., Dutch Cinema : An Illustrated History, Londres, The Tantivy Press, 1979 ; GRAVELAND M. et al., De Broertjes van Zusje : De Nieuwe Nederlandse Film 1995-2005, Amsterdam, Uitgeverij International Theatre and Film Books, 2006 ; SCHOOTS H., Van Fanfare tot Spetters : Een cultuurgeschiedenis van de jaren zestig en zeventig, Amsterdam, Bas Lubberhuizen/Filmmuseum, 2004.
■ FÖRSTER A., « Adriënne Solser, Koningin der Kluchten », in Tijdschrift voor Mediageschiedenis, vol. 10, no 1, 2007.
CINÉMA [Pays scandinaves]
La Suède, la Norvège et le Danemark ont beaucoup de points communs : une même région géographique et culturelle, des histoires et des langues similaires, et une même domination par le cinéma américain – ce qui rend nécessaire, dans chacun de ces pays, un soutien gouvernemental sous forme de subventions. La coopération nordique et les coproductions contribuent également à augmenter la quantité des films scandinaves. La Suède compte des réalisatrices pionnières dès l’époque du cinéma muet. C’est ainsi qu’Anna Hoffman-Uddgren réalise le film policier Systrama (« les sœurs ») en 1912. En 1934, Alice O’Frederick produit son premier film au Danemark, suivie de Bodil Ipsen. La première réalisatrice norvégienne, Edith Carlmar, crée dix longs-métrages très populaires entre 1949 et 1959. Aujourd’hui, des récompenses très cotées en Scandinavie portent les noms de B. Ipsen et de E. Carlmar, perpétuant ainsi leur mémoire. La création des instituts cinématographiques et le développement des écoles de cinéma, dès les années 1960, vont permettre aux réalisatrices nordiques d’affirmer leur présence et de travailler aux côtés de cinéastes expérimentés, en dépit du machisme ambiant. Un autre moyen de passer derrière la caméra consiste à commencer devant, à l’instar de la Suédoise Mai Zetterling* ou de la Norvégienne Liv Ullmann*, actrice fétiche d’Ingmar Bergman, avant de faire ses débuts de cinéaste en 1992. Dans les années 1980, des festivals de cinéma féministes et des alliances comme Svenska Kvinnors Filmförbund (SKFF) en Suède attirent l’attention du public. Si ces festivals ont aujourd’hui perdu en grande partie leur signification politique – en raison d’une intégration et d’une diffusion plus grandes –, créatrices et spectatrices éprouvent toujours le besoin de se rencontrer. L’année 2004 verra la création du Femmina Internasjonale Filmfestival de Verdal en Norvège ; 2006, celle de l’International Female Film Festival de Malmö (Ifema) en Suède. Au début des années 2000, après moult débats et négociations, la Suède et la Norvège avaient fini par adopter un système de quotas en faveur de la parité hommes-femmes. L’organisation internationale Women in Film and Television (Wift) s’est montrée très active en Suède, où le réseau Doris Film a publié un manifeste et impulsé une série de courts-métrages avec des femmes à tous les postes importants. En 2006, un projet similaire, Signature K, est lancé par l’Institut cinématographique de Norvège. En Suède et en Norvège, le pourcentage de réalisatrices oscille entre 20 et 25 %. Néanmoins, bien que le Danemark soit dépourvu de tout système de quotas, les Danoises ont davantage progressé ; elles réalisent 25 à 30 % de la production cinématographique.
Les réalisatrices scandinaves abordent souvent des sujets féministes dans leurs films, telles Anja Breien *en Norvège, Jytte Rex et Helle Ryslinge au Danemark. En Suède, Christina Olofsson a exploré la hiérarchisation des métiers artistiques dans un documentaire sur quelques femmes chefs d’orchestre, Dirigenterna (« elles sont chefs d’orchestre », 1987). La crise de la famille traditionnelle amène certaines d’entre elles, comme Susanne Bier*, à critiquer les tendances hétéronormatives dominantes au profit d’une conscience sociale plus nuancée. Dans le documentaire Ne t’inquiète pas, cela devrait passer (Du ska nog se att det går över, 2003), Cecilia Neant-Falk suit trois filles qui racontent ce que signifie être lesbienne en Suède. Dans En kort en lang (« un court un long », 2001), la Danoise Hella Joof décrit tous les problèmes qui surgissent quand la petite amie du beau-frère tombe enceinte d’un de ses amants. Quelques comédies dramatiques traitent de couples homosexuels. Dans Les Joies de la famille (Patrik 1, 5, 2008), la Suédoise Ella Lemhagen raconte les surprises de deux hommes qui, voulant adopter un bébé d’un an et demi pour former une « vraie famille », découvrent qu’il s’agit en fait d’un voyou homophobe de 15 ans. Le même type de problèmes avec les autorités et les voisins surgit quand un musicien au chômage essaie d’adopter une petite immigrée orpheline dans Förortsungar (« les enfants de la banlieue », 2006), de Catti Edfeldt et Ylva Gustafsson. Moralité : l’amour et le respect sont beaucoup plus importants que l’étiquette homo/hétéro.
Après 1990, l’esprit de communauté revient sur les écrans teinté d’ironie. Carin Mannheimer, en Suède, expose la force collective des femmes dans sa satire Rika barn leka bäst (« enfants terribles », 1997). Mises au chômage, ses héroïnes se décident à ouvrir un bordel de luxe et suscitent, par leur esprit d’initiative, l’admiration de leurs anciens patrons. Dans Mars & Venus (2007), la Norvégienne Eva Dahr évoque la guerre économique entre une femme qui fait carrière et son mari qui, sans le lui dire, achète un bateau trop cher. Dans un film très populaire issu du Dogme 95 – combinant règles strictes au niveau esthétique et budgets limités –, la Danoise Lone Scherfig dépeint dans Italian for Beginners (Italiensk for begyndere, 2000) le besoin de faire partie d’une communauté sociale extérieure à la famille. Six personnes suivent le même cours du soir, chacune cherchant des relations plus solides et rêvant d’amour. Cette comédie romantique finira dans l’euphorie d’une Italie chaleureuse et fantasmée. Dans Oh Happy Day ! (H. Joof, 2004), un chanteur de gospel venu des États-Unis aide les membres d’une chorale locale à se reconnecter avec leurs émotions et à renforcer leur foi en l’amour, ce que ne peut pas faire la famille nucléaire. Quelques films traitent également de l’irresponsabilité parentale. Dans Falla vackert (« une belle chute », 2004) de la Suédoise Lena Hanno-Clyne, où deux adultes égocentriques essaient de gagner de l’argent en braquant une banque, c’est leur fille adolescente qui va sauver ses parents de la prison. Le point de départ de Seuls à la maison (Når mor kommer hjem, 1998) de L. Scherfig produit un choc : à Copenhague, une mère divorcée est mise en prison pour vol. Ses trois enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes dans l’appartement, mais arrivent à se défendre contre les adultes qui veulent les placer dans un orphelinat.
Pour retrouver des rêves d’amour sans distance critique, il faut chercher en Norvège du côté des films pour enfants. Dans Frida – med hjertet i hånden (« Frida, avec son cœur sur la main », 1991) de Berit Nesheim, une fille de 13 ans veut trouver un homme pour sa mère célibataire. Dans Ikke naken (« pas nu », 2004) de Torun Lian, Selma se consacre aux sciences physiques au lieu de s’intéresser aux garçons, mais finit par avouer qu’elle est amoureuse d’un de ses copains d’école.
Les films pour la jeunesse sont souvent tout à la fois divertissants et éducatifs. Le fondement des amitiés féminines est menacé quand on commence à s’intéresser à l’amour et à la sexualité. Dans des films suédois comme Hip Hip Hora (The Ketchup Effect, Teresa Fabik, 2004), Linas kvällsbok (« le journal intime de Lina », H. Joof, 2007) et Supervoksen (« défis entre copines », Christina Rosendahl, 2007), le désir et la vie adulte fascinent les adolescentes. Tous ces films se terminent sur une promesse d’amour, mais le message clé est de rester fidèle à soi-même et à ses amies.
Karolina WESTLING
■ NESTINGEN A., ELKINGTON T. G., Transnational Cinema in a Global North : Nordic Cinema in Transition, Detroit, Wayne State University Press, 2005 ; HJORT M., BONDEBJERG I., Danish Directors : Dialogues on a Contemporary National Cinema, Bristol, Intellect, 2003 ; SOILA T., SÖDERBERGH WIDDING A., IVERSEN G., Nordic National Cinemas (1998), Londres/New York, Routledge, 2005.
CINÉMA [Pologne]
Nina Niovilla (de son vrai nom Nina Petrykiewicz) est la première réalisatrice polonaise. Elle réalise son premier film, Tamara, en 1919, suivi par trois autres entre 1920 et 1923, pour la plupart des mélodrames aux nuances patriotiques, dont elle écrit elle-même les scénarios. Elle a en outre fondé une société de production, Niovillafilm, productrice de son dernier film, Młodość zwycięża (« la jeunesse gagne », 1923), ainsi qu’une école de cinéma formant des acteurs pour ses films. Dans la période du cinéma parlant, cette femme ingénieuse est suivie par un grand nombre de femmes. L’une d’elles est l’actrice et réalisatrice Marta Flantz, qui tourne deux mélodrames dans les années 1930, dont Prokurator Alicja Horn (« la procureure Alicja Horn », 1933), codirigé avec Michał Waszyński, le cinéaste polonais le plus populaire de l’entre-deux-guerres.
Wanda Jakubowska* (1907-1998) et Franciszka Themerson (1907-1988) commencent leur carrière avant la Seconde Guerre mondiale. Leurs débuts sont facilités par le fait qu’elles travaillent avec des cinéastes masculins et dans les limites du cinéma d’avant-garde. Bien que les films de W. Jakubowska soient centrés sur des femmes, le terme « cinéma de femme » a surtout été utilisé pour qualifier le travail de deux réalisatrices ayant débuté dans les années 1970 : Agnieszka Holland (1948) et Barbara Sass (1936), que l’on range aussi dans la catégorie du « cinéma de préoccupation morale ». Leurs films mettent l’accent sur les difficultés que rencontrent les femmes dans la Pologne du « vrai socialisme » : Bez milosci (« sans amour », B. Sass, 1980) et Kobieta samotna (« une femme seule », A. Holland, 1981). Ce dernier titre, récit de la vie d’une mère seule travaillant comme factrice et essayant désespérément d’échapper à sa situation misérable, est considéré comme l’un des films les plus sombres jamais réalisé en Pologne. B. Sass, restée fidèle au thème de la lutte des femmes, a réalisé une série de films mémorables avec Dorota Stalinska, puis Magdalena Cielecka. L’œuvre d’A. Holland est plus diversifiée : on y trouve des films comme Europa, Europa (1990), l’histoire d’un jeune Juif qui intègre les jeunesses hitlériennes durant la Seconde Guerre mondiale, et Le Jardin secret (The Secret Garden, 1993), adapté du classique pour enfant de Frances Hodgson Burnett.
Les femmes cinéastes de la nouvelle génération, qui ont fait leurs débuts après la chute du communisme (Dorota Kedzierzawska, Malgorzata Szumowska et Anna Jadowska), délaissent la narration traditionnelle au profit de formes narratives plus libres, mélangent les genres cinématographiques et établissent une distance avec le public. Et elles n’hésitent pas à aborder des sujets tabous, comme l’avortement dans Nic (« rien », D. Kedzierzawska, 1998). Si la critique reçoit très favorablement leurs films, aucune de ces artistes n’a pourtant réussi à toucher un large public.
Pendant des décennies, les questions de genre sont restées marginales dans l’histoire et la critique cinématographique polonaises, éclipsées par les questions de l’identité nationale. Cependant, dans les années 1990, elles ont gagné du terrain et de nombreux livres et articles ont été consacrés en grande partie à la représentation des femmes dans le cinéma. L’intérêt pour ces questions a paradoxalement été provoqué par une vague de films misogynes ayant envahi les écrans polonais dans les années 1990, et dont le plus célèbre est Psy (« des chiens », Wladyslaw Pasikowski, 1992).
Ewa MAZIERSKA
CINÉMA [Portugal]
En 1946, Trois jours sans Dieu (Três dias sem Deus), de Bárbara Virgínia, premier film réalisé par une femme dans le pays, a représenté le Portugal lors du premier Festival de Cannes. Il fallut attendre ensuite deux décennies pour que des femmes accèdent de nouveau à la réalisation, si l’on excepte le documentaire sur la région viticole de Douro réalisé par Maria Emília Castelo Branco, icône du cinéma muet. Ce fut au moment de l’émergence du Cinema novo, dans les années 1960, mouvement politique, artistique et social, synthèse du néo-réalisme italien et de la Nouvelle Vague française, avec des pratiques filmiques plus modernes, moins attachées au récit traditionnel, un cinéma plus « intellectuel » et abstrait. La création du Centro Português de Cinema en 1970 a ensuite favorisé l’émergence d’une dizaine de réalisatrices, dont la carrière a été malheureusement courte pour la plupart d’entre elles. La période démocratique et révolutionnaire des années 1970 a été cependant faste pour les femmes souhaitant accéder à la réalisation. La plupart des films alors produits étaient des documentaires, réalisés dans un système de création collective incluant des projets expérimentaux ancrés dans des problématiques politiques et sociales. Les réalisatrices des années 1960 et 1970 étaient, pour la plupart, déjà intégrées dans les cercles artistiques lisboètes. Noémia Delgado, par exemple, mariée au poète Alexandre O’Neill, était l’une des monteuses et cinéastes les plus productives. Elle a dirigé 20 films (courts et longs-métrages, dont un grand nombre pour la télévision), parmi lesquels Máscaras (« masques », 1976) est le plus connu. Également sculptrice, peintre et graphiste, elle accordait une grande importance à l’esthétique de ses plans. Une de ses contemporaines, Margarida Cordeiro, a travaillé sur divers projets avec son époux António Reis, lui-même cinéaste. Après Jaime (1974), sur lequel M. Cordeiro était assistante, tous deux ont codirigé trois films, Trás-os-Montes (« à travers les montagnes », 1976), Ana (1982) et La Rose des sables (Rosa de Areia, 1989). Leur cinéma, sensible et intimiste, était généralement produit avec des fonds très limités. La plupart des femmes devaient d’ailleurs lutter pour parvenir à financer leurs films, une partie écrasante du financement public (qui reste aujourd’hui encore la seule source du cinéma portugais) allant aux hommes. Le groupe des cinéastes pionnières du cinéma portugais – dont faisaient partie N. Delgado et M. Cordeiro –, inclut bon nombre de femmes étrangères, telles Monique Rutler et Solveig Nordlung, la distributrice de films Renée Gagnon et l’ingénieure du son Paola Porru, arrivées après la révolution des œillets de 1974, dans un pays qui voyait converger de nombreux artistes désireux d’y développer leurs utopies créatives.
Aujourd’hui, le cinéma portugais a bien changé, les sujets se sont considérablement enrichis, tout comme se sont développées les écoles et universités enseignant le cinéma. Le Conservatório Nacional est la seule institution publique permettant d’obtenir un diplôme et reste « la » référence pour la formation des cinéastes, même s’il a perdu son rôle de centre culturel, lieu de rencontre d’artistes de différentes disciplines (écrivains, scénaristes, techniciens). Le rôle de la fondation Calouste-Gulbenkian a également changé : il était prépondérant, dans les années 1960 et 1970, dans le financement de nombreux projets de pointe, alors que ses activités dans ce domaine ne représentent plus aujourd’hui qu’une très faible part du financement global du cinéma national.
L’opposition entre le cinéma d’auteur (limité en termes de revenus) et l’investissement dans un cinéma plus commercial, qui n’a pas encore de public au Portugal, est au cœur du débat théorique actuel sur le cinéma portugais. À cela s’ajoute une conjoncture défavorable marquée par une chute des entrées, une baisse de la publicité – source du budget de l’Instituto do Cinema e do Audiovisual (Ica) – et l’absence de sources de financement privées. Malgré une identité nationale forte et une reconnaissance dans les arts et les réseaux de distribution, le cinéma portugais manque de visibilité internationale, si l’on excepte Manuel de Oliveira. Cet environnement défavorable n’a cependant pas découragé les réalisatrices. Les pionnières S. Nordlung et Rita Azevedo Gomes continuent de tourner tandis que travaillent également les cinéastes ayant débuté dans les années 1980, telles Margarida Gil ou Rosa Coutinho Cabral.
Les obstacles à l’accès des femmes à la réalisation sont moins nombreux aujourd’hui qu’il y a trente ans, même si les maisons de production restent à une écrasante majorité gérées et dominées par les hommes – Antónia Seabra, Rosi Burguete et Maria João Mayer constituent à cet égard une exception. Si quelques domaines techniques (direction artistique, son) demeurent encore ultramasculins, la réalisation rassemble un grand nombre de femmes aux parcours et aux styles très variés. Margarida Cardoso, Teresa Villaverde Cabral, Catarina Ruivo, Catarina Mourão, Fátima Ribeiro, Jeanne Waltz, Claúdia Varejão, Raquel Freire, Inês Oliveira ainsi que les actrices-cinéastes Inês de Medeiros et Maria de Medeiros sont des exemples de réalisatrices portugaises dont les films sortent régulièrement et ont été sélectionnés dans des nombreux festivals de films étrangers prestigieux. La diversité de leurs films est telle qu’il serait difficile d’identifier des marqueurs de genre dans leurs pratiques cinématographiques.
Carla BAPTISTA et Ana PRATA
■ CASTRO I., Cineastas portuguesas, 1874-1956, Lisbonne, Câmara municipal de Lisboa, 2000.
CINÉMA [Proche-Orient]
L’histoire du cinéma israélien se confond avec l’histoire de la création de l’État hébreu, et le cinéma de Palestine suit lui aussi les voies de l’histoire. Marqué à l’origine d’un côté par l’effervescence du mouvement sioniste et son apogée en 1948, de l’autre par la Naqbah (la « catastrophe ») que représente la création d’Israël pour les Palestiniens, les cinémas de ces deux terres inextricablement liées sont indissociables. Création et destruction, enracinement et déracinement, fin d’errance et début d’exil, le mouvement de balancier de part et d’autre des frontières entre Israël et les Territoires palestiniens se reflète dans le cinéma. On peut distinguer plusieurs périodes, auxquelles les femmes – qu’elles soient d’Israël, de Palestine ou de la diaspora – ont à chaque fois pris part, et ce dès les débuts du cinéma au Proche-Orient. Une dernière période, amorcée depuis une vingtaine d’années, se dessine plus nettement en ce début de millénaire, dans laquelle les femmes cinéastes commencent à prendre une place significative.
L’histoire du cinéma dans la région débute en 1896, quand les frères Lumière envoient un cameraman filmer des scènes bibliques et exotiques en Terre sainte. Durant la période d’expansion du sionisme jusqu’à la création de l’État hébreu en 1948, les productions cinématographiques accompagnent essentiellement le mouvement théorisé par Théodore Herzl : il s’agit de travailler à bâtir une nation, une communauté, à mettre en valeur la Terre promise et l’idéologie des kibboutz. Les femmes participent à ce mouvement, mais restent des actrices assez interchangeables. Les années 1960-1970 voient surgir d’autres préoccupations, plus sociales, et s’attachent à dépeindre les contradictions et fractures de la société israélienne : relations entre ashkénazes et sépharades, entre anciens et nouveaux immigrants, tensions entre l’individu et la société. Émergent aussi de plus en plus les questions des relations entre Juifs et Arabes et de la création d’un État palestinien. Des femmes commencent à s’affirmer, souvent formées à l’étranger, telle Gila Almagor (1940), qui étudie à New York avant de revenir en Israël et de jouer dès les années 1960 au théâtre, au cinéma et à la télévision. Elle sera aussi, ponctuellement, scénariste et productrice. Nurith Aviv (née en 1945), la première femme directrice de la photographie officiellement reconnue en France, a travaillé sur une centaine de films. Depuis 1989, elle a réalisé neuf documentaires portant essentiellement sur Israël. Mais jusqu’aux années 2000 la place des femmes reste principalement devant la caméra.
Les femmes cinéastes en Israël n’ont ainsi vraiment émergé que depuis une petite dizaine d’années, depuis que le cinéma israélien jouit d’un regain d’intérêt fulgurant, en Israël comme ailleurs. Ce renouveau est lié à l’adoption en 2000 de la « loi cinéma », qui alloue à ce secteur un budget annuel de 10 millions d’euros, garantie d’une stabilité de production permettant le financement d’une moyenne annuelle de 20 longs-métrages de fiction et d’une centaine de documentaires. Une jeune génération de cinéastes a donc pu s’appuyer sur de nouvelles structures de production nationales pour se faire connaître et passer plus rapidement du court au long-métrage. Les femmes y sont nombreuses, dont beaucoup dans le documentaire, comme Ruth Walk (née en 1965), auteure du célèbre Les Colons (The Settlers, 2002), ou encore Rachel Schwartz, auteure du documentaire Kibboutz. Au sein de cette nouvelle vague israélienne, ce n’est plus seulement l’« essence » d’Israël qui se trouve mise en avant, mais des préoccupations beaucoup plus universelles, voire une remise en question des fondations de l’État juif – que, paradoxalement, les financements publics n’entravent pas. Les films des femmes comportent souvent des critiques très virulentes, mais reposant sur des histoires individuelles. Ainsi Une jeunesse comme aucune autre (Karov la Bayit, 2005) de Dalia Hager et Vidi Bilu, histoire de deux jeunes soldates chargées d’interpeller les passants arabes lors de la seconde Intifada, met en avant leur quotidien, leurs peurs, leurs amours, pour dénoncer l’absurdité d’un état de guerre permanent. Cette production féminine dessine un univers intime et sensuel faisant transparaître un discours politique moins frontal que par le passé. Les réalisatrices s’emparent davantage que leurs confrères de préoccupations sociales et d’itinéraires individuels, abandonnant le thème du conflit israélo-palestinien. Keren Yedaya dans Mon trésor (Or, Caméra d’or au Festival de Cannes 2004) construit, avec une mise en scène minimaliste, un huis clos entre une mère prostituée (Ronit Elkabetz*) et sa fille dans un minuscule appartement. Encore plus original dans sa forme, Les Méduses (Meduzot, Caméra d’or au Festival de Cannes 2007), de Shira Geffen (née en 1971), coréalisé avec son mari, l’écrivain Etgar Keret, draine un univers singulier par son ton onirique et son rythme lent. Comme dans de nombreux films israéliens contemporains, la toile de fond historique est ici évacuée au profit d’une étude subtile de personnages féminins inédits.
« Images d’une nation errante »… Les mots de l’historien du cinéma Yves Thoraval (2003) renvoient au voisinage des Palestiniens avec « le peuple errant ». Exil et lutte pour la création d’un État deviennent ainsi, naturellement, les thèmes récurrents du cinéma palestinien, surtout chez les femmes cinéastes. La plus grande difficulté vient du manque de structures et de moyens : après 1948, les Palestiniens ne bénéficient plus d’aucune infrastructure pour la production de films. Cependant, après la création de l’OLP en 1964, une unité de production de documentaires voit le jour en 1967-1968 sous la supervision du Fatah, l’Unité du cinéma de la Palestine, aux moyens très réduits, transférée à Beyrouth en 1971. Le Liban devient ainsi le pays où sont produits la plupart des films palestiniens (comme les nombreux documentaires de Maï Masri*). L’appropriation de la cause palestinienne par des producteurs arabes et surtout le manque de moyens expliquent la quasi-inexistence de films de fiction proprement palestiniens. Quant aux réalisatrices, réunir les fonds, les moyens techniques et humains n’est souvent possible que pour des cinéastes palestiniennes de la diaspora, telles Annemarie Jacir*, formée aux États-Unis, ou Hiam Abbass*, actrice arabe israélienne, représentante la plus connue de son pays à l’étranger. À l’intérieur des Territoires palestiniens, l’actuelle Autorité reste démunie de structures de production, et semble avoir d’autres priorités que de financer de coûteux longs-métrages de fiction.
Sarah ELKAÏM
■ KRONISH A. W., World Cinema : Israël, Wiltshire (GB)/Cranbury (USA), Flicks Books/Associated University Presses, 1996 ; SCHWEITZER A., Le Cinéma israélien de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1997 ; THORAVAL Y., Les Écrans du Croissant fertile : Irak, Liban, Palestine, Syrie, Paris, Séguier, 2003.
CINÉMA [Québec]
La première réalisatrice francophone au Canada est Dorothée Brisson. Elle entre en 1950 au Service de cinéphotographie du Québec, où elle met en scène des courts-métrages documentaires, à commencer par Camp Marie-Victorin (1956). Suzanne Caron coréalise avec elle plusieurs documentaires, dont Au printemps (1958).
Au début des années 1960, l’Office national du film du Canada (ONF) crée enfin une section de production française. Monique Fortier y réalise À l’heure de la décolonisation (1963) et La Beauté même (1964) avant de se consacrer au montage. Anne Claire Poirier signe un court-métrage documentaire en 1963 (30 minutes, Mister Plummer) et un court-métrage de fiction en 1964 (La Fin des étés). Pionnière du cinéma féministe, elle commence à s’orienter vers ces thèmes, avec son premier long-métrage documentaire, De mère en fille (1968). Toujours dans la section française de l’ONF, A. C. Poirier lutte pour la création du programme « En tant que femmes » et en assume la direction en 1971. Ce programme de films faits par des femmes produit six docu-fictions entre 1972 et 1975, parmi lesquels Les Filles du roi (1974, réalisé par A. C. Poirier), qui met en évidence le rôle des femmes dans l’histoire québécoise. D’autres documentaires suivent au cours des années 1970, dont Quelques féministes américaines (1977) de Luce Guilbeault, Nicole Brossard* et Margaret Wescott ; Les Servantes du Bon Dieu (1978), film indépendant de Diane Létourneau-Tremblay ; et Mourir à tue-tête (1979) d’A. C. Poirier, docu-fiction contesté sur le viol. Mais « En tant que femmes » suscite aussi des longs-métrages de fiction. Dans La Vie rêvée (1972), Mireille Dansereau décrit deux jeunes femmes qui fantasment sur l’homme idéal avant de comprendre qu’il n’existe pas. En 1975, Brigitte Sauriol signe L’Absence, tandis qu’A. C. Poirier, dans Le Temps de l’avant, aborde la question de l’avortement. Paule Baillargeon et Frédérique Collin coréalisent La Cuisine rouge (1980), qui raconte un mariage où les hommes boivent en attendant que les femmes cuisinent, ce qu’elles refusent de faire. D’abord actrice (comme P. Baillargeon et F. Collin), Micheline Lanctôt met en scène la comédie romantique L’Homme à tout faire (1980) et le film acclamé Sonatine (1984), portrait de deux adolescentes qui concluent un pacte de suicide. M. Dansereau, P. Baillargeon et M. Lanctôt continuent de tourner des films de fiction et des documentaires.
La cinéaste québécoise la plus reconnue, Léa Pool, quitte son pays natal, la Suisse, pour s’installer à Montréal en 1978. Ses films abordent souvent les thèmes de l’identité féminine, de la solitude et de l’amour lesbien. Parmi ses longs-métrages de fiction, il convient de retenir La Femme de l’hôtel (1984), Anne Trister (1986) et Emporte-moi (1999), portrait semi-autobiographique d’une adolescente des années 1960. Quant au programme « Regards de femmes » (1986-1996), créé à l’ONF sous la direction de Josée Beaudet et aujourd’hui supprimé, il a produit entre autres Qui va chercher Giselle à 3 h 45 ? (1989), de Sylvie Groulx.
D’autres Québécoises signent des films de fiction dans les années 1980 et 1990. Parmi elles, Louise Carré (Ça peut pas être l’hiver, on n’a même pas eu d’été, 1980), Marquise Lepage (Marie s’en va-t-en ville, 1987) et Denise Filiatrault* (C’t’à ton tour, Laura Cadieux, 1998). À noter, parmi la nouvelle génération de cinéastes au Québec : Catherine Martin (Mariages, 2001), Manon Briand (La Turbulence des fluides, 2002), Ghyslaine Côté (Elles étaient cinq, 2004) et Louise Archambault (Familia, 2005). Dans le premier long-métrage de Patricia Rozema, Le Chant des sirènes (I’ve Heard the Mermaids Singing, 1987), une femme commence à travailler dans une galerie d’art, mais sa naïveté et sa maladresse l’entraîneront dans un piège. Les autres films de P. Rozema incluent Quand tombe la nuit (When Night is Falling, 1995), histoire d’amour entre deux femmes, et Lettres de Mansfield Park (Mansfield Park, 1999), adaptation audacieuse du roman de Jane Austen*.
Le Québec organise de nombreux festivals de films de femmes. Parmi ceux toujours actifs, citons : le Festival international de films et vidéos de femmes, parfois appelé « Silence, elles tournent », à Montréal (depuis 1985) ; la Mondiale de films et vidéos réalisés par des femmes, à Québec ; l’International Women’s Film Festival de St. John’s. Les organismes suivants sont également liés aux femmes cinéastes : Vidéo Femmes, à Québec ; Femmes du cinéma, de la télévision et des nouveaux médias, à Montréal. Depuis 1974, quatre films de femmes ont remporté le Prix du long-métrage de l’Association québécoise des critiques de cinéma (AQCC) : Le Fabuleux Gang des sept (The Company of Strangers, 1990, docu-fiction de Cynthia Scott) ; Deux actrices (M. Lanctôt, 1993) ; Tu as crié Let Me Go ! (A. C. Poirier, 1996) ; et Mariages (C. Martin, 2001). Enfin, le prix Jutra du meilleur film québécois (prix créé en 1999) a récompensé un documentaire, deux films d’animation ainsi que deux courts et moyens-métrages réalisés par des femmes.
Margaret FULFORD
■ CARRIÈRE L., Femmes et cinéma québécois, Montréal, Boréal Express, 1983.
CINÉMA [Roumanie]
En Roumanie, le statut des femmes cinéastes (avant 1989) a été façonné par deux éléments contradictoires : d’un côté, l’idée, jamais explicitement formulée, que certains métiers du cinéma (réalisateur, scénariste, opérateur) sont en priorité et même en exclusivité des professions masculines ; de l’autre, l’impératif plus qu’explicite, imposé par la politique du Parti-État, de promouvoir les femmes dans tous les domaines. Bien que les premières projections aient eu lieu en Roumanie en 1896 et que le premier long-métrage de fiction, Independenta Romaniei (« l’indépendance de la Roumanie », Aristide Demetriade), date de 1912, le cinéma est resté pendant des décennies une activité sporadique, menée par des passionnés. À l’exception de Marioara Voiculescu (1884-1976), on ne peut pas parler de présence féminine dans le cinéma avant 1950, moment de son institutionnalisation. M. Voiculescu, l’une des grandes actrices de la scène roumaine dans la première moitié du XXe siècle, interprète et réalise en 1913 cinq films. Aujourd’hui perdus, ils ne dépassent pas trois ou quatre bobines, et leurs titres sont éloquents : Amorurile unei prinţese (« les amours d’une princesse »), Detectivul (« le détective »), Spionul (« l’espion »), Dragostea marinarului (« les amours d’un matelot »), Viorica sau femeia ingrată (« Viorica ou la femme ingrate »).
Quant aux femmes qui figurent au générique des premiers films de fiction après 1950, elles viennent du théâtre : Marieta Sadova (1897-1981), coréalisatrice de Mitrea Cocor (1952) et Sorana Coroama (1921-2007), scénariste de L’Affaire Protar (Afacerea Protar, Haralambie Boros, 1957, présenté au Festival de Cannes en 1956). La fondation, en octobre 1950, de l’Institut d’art théâtral et cinématographique, à Bucarest, permet de voir apparaître des réalisatrices. Le nom le plus connu de la première promotion est celui d’Elisabeta Bostan (1931). Directrice du département réalisation, elle a été la doyenne de l’Institut dans les années 1990. Son choix de réaliser des films avec, sur et pour les enfants – Amintiri din copilărie (« souvenirs d’enfance », 1965) ; Veronica (1973) ; Saltimbancii (« les saltimbanques », 1981) – a été récompensé par de nombreux prix dans des festivals internationaux comme Gijón, Moscou, Téhéran, Mar del Plata. La plupart de ses œuvres sont le fruit de sa collaboration avec la scénariste Vasilica Istrate (1934-2002). Une autre personnalité éminente des années 1970-1990 est Malvina Ursianu (1927). Diplômée en histoire et théorie de l’art, douée d’un sens esthétique particulier et d’une science certaine de la rigueur dramatique, elle est sa propre scénariste. Intellectuelle de gauche, elle privilégie les sujets d’inspiration sociale et politique, expurgés de tout sentimentalisme, qu’elle traite avec une sobriété parfois voisine de l’ascèse : Gioconda fără surâs (« la Joconde sans sourire », 1967) ; Trecătoarele iubiri (« amours éphémères », 1973) ; Pe malul stâng al Dunării albastre (« sur larive gauche du Danube bleu », 1983).
Plus accessible, le documentaire permet aux femmes de mieux s’exprimer et de s’approprier des domaines thématiques : Nina Behar (1930-1989) se spécialise dans le film sur l’art ; Dona Barta (1931-1977), dans le documentaire scientifique ; Florica Holban (1928-1996) explore le social ; Paula Popescu-Doreanu (1930-2003) se consacre au documentaire ethno-folklorique ; Paula Segal (1929) investit l’univers des enfants et des adolescents. Dans la génération des jeunes cinéastes apparus dans les années 1970, on remarque Ada Pistiner (1938) pour son langage moderne, loin du conformisme de ses prédécesseurs, qui se traduit autant dans des documentaires que dans son unique long-métrage de fiction, Stop-cadru la masă (« arrêt sur image au cours d’un dîner en famille », 1980). Après 2000, la jeune documentariste Adina Pintilie (1980) fait une entrée remarquée dans le cinéma international (Grand Prix à Leipzig, 2007) avec Nu te supara, dar… (« pardonnez-moi, mais… »), sur la vie des pensionnaires d’un asile d’aliénés.
Jusqu’en 1989, les films d’animation offrent aux femmes un domaine d’élection. Qu’elles proposent de nouveaux procédés, comme Isabela Petraşincu (1931), qui anime ingénieusement des poupées en pelotes de laine, qu’elles inventent des personnages d’une candeur adorable, tel le Pim-Pim de Luminiţa Cazacu (1940-2011) ou qu’elles créent des univers de contes de fées et de poésie, comme Liana Petruţiu (1940-2011) ou Tatiana Apahideanu (1939-2012), leur public reste celui des enfants.
Si les femmes ont du mal à s’affirmer comme réalisatrices – y compris les diplômées de l’Institut ‑, elles détiennent une suprématie dans d’autres métiers du cinéma : le montage, par exemple, au point que certains réalisateurs s’en remettent entièrement à elles pour convertir en films les kilomètres de pellicule tournée. Lucia Anton (1915-2007) est la pionnière, avec le montage de O noapte furtunoasă (« une nuit orageuse », Jean Georgescu, 1943), un film marquant de l’histoire du cinéma roumain. Certaines monteuses ont fait des études de filmologie, comme Margareta Anescu (1925-2008), qui a collaboré avec des réalisateurs confirmés dans les années 1960. D’autres ont une formation littéraire, comme Cristina Ionescu (1943), monteuse fétiche de la génération 1970. Le flambeau sera repris par Melania Oproiu (1952) et Nita Chivulescu (1953), qui sont « les bonnes fées » des jeunes réalisateurs des années 1980-1990, alors que Dana Bunescu (1969) lie son nom à deux grands succès internationaux, La Mort de Dante Lazarescu (Moartea demnului Lazarescu, 2005) de Cristi Puiu et 4 mois, 3 semaines et 2 jours (4 luni, 3 săptămâni şi 2 zile, 2007) de Cristian Mungiu.
La création des costumes est aussi un domaine exclusivement féminin : pendant quatre décennies, Hortensia Georgescu (1909-1996) y exerce une maîtrise incontestée, pour des films historiques principalement. S’y ajoutent Nely Merola (1926), Florina Tomescu (1927), Lidia Luludis (1928), Andreea Hasnaş (1949), Svetlana Mihăilescu (1951). Sans oublier Doina Levinţa (1939) : connue surtout comme créatrice de mode, elle n’a jamais abandonné le théâtre ni le cinéma. Dans les décors, en revanche, les femmes sont largement minoritaires ; on peut toutefois mentionner Adriana Păun (1940) et Magdalena Mărăşescu (1948). Dans certaines professions, la présence féminine est si rare qu’elle tient du miracle : Cornelia Tăutu (1938) a écrit la musique de films remarqués dans les années 1970-1980 ; pour ce qui est de l’image, le nom de Anca Damian (1962) s’impose. Après quelques documentaires et deux longs-métrages de fiction, elle quitte la prise de vue pour se consacrer à la réalisation – Întâlniri încrucişate (« rencontres croisées », 2008), Le Voyage de Monsieur Croulic, 2012 (Crulic – drumul spre dincolo, 2011).
Après 2000, le cinéma roumain voit arriver les premières productrices. Énergiques et entreprenantes, elles s’avèrent capables de concilier impératifs artistiques et contraintes financières. Velvet Moraru (1956) et sa Fondation d’arts visuels, Oana Giurgiu (1975), de Libra Film, Ada Solomon (1968), de Hi Film, ont courageusement ouvert la voie. Ces deux dernières s’impliquent aussi dans l’organisation de deux festivals internationaux : Transilvania, à Cluj ; Next (courts et moyens-métrages), à Bucarest.
Cristina CORCIOVESCU
CINÉMA [Russie depuis 1919]
En 1917, le régime tsariste s’effondre, renversé par la révolution bolchevique qui vise à abolir toutes les inégalités. Ce bouleversement a eu un impact considérable sur la vie des femmes, qui ont pu alors accéder à l’indépendance économique et exercer les mêmes fonctions que les hommes. Les visionnaires soviétiques ayant besoin d’un média pour promouvoir leur conception du monde, le cinéma est rapidement devenu un outil de propagande. Sa relative nouveauté s’adaptait parfaitement à un État qui prônait l’instauration du socialisme. En 1919, la première école de cinéma, le VGIK (Institut national de la cinématographie), a ouvert ses portes aux deux sexes. Dès le milieu des années 1920, l’URSS possède une industrie cinématographique respectée, composée d’hommes et de femmes, réalisant ainsi le souhait d’une égalité entre les sexes. L’Ukrainienne Esther Choub* (1894-1959) devient l’une des plus importantes réalisatrices de cette nouvelle ère. Produit de la révolution, sans formation préalable, elle commence à travailler directement comme monteuse pour Goskino, une entreprise publique. Ses réalisations très marquantes lui ont valu, plus encore que cette activité, les louanges unanimes de ses contemporains. Son premier film, Romanov Padenie dinastii Romanovykh (« la chute de la dynastie Romanov », 1927) – commande destinée à célébrer le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre –, montre l’enchaînement des événements. Par ce qu’elle nommera le « montage idéologique », E. Choub recontextualise des images pour créer une posture politique prorévolutionnaire à partir de séquences filmiques clairement antirévolutionnaires, créant ainsi un sous-genre distinct au sein du mouvement documentaire soviétique. L’autre présence féminine importante de l’époque est Olga Preobrazhenskaya (1881-1971). Née à Moscou, elle dirige son premier film en 1916, Baryshnya-krestyanka (« mademoiselle paysanne »), devenant ainsi la première réalisatrice du pays. La révolution lui a permis de devenir une figure majeure au VGIK bien que, préférant les styles et récits traditionnels, elle ait représenté pour beaucoup la vieille garde. En 1927, elle tourne Le Village du péché (Baby ryazanskie), souvent considéré comme le premier « film de femme » soviétique. Ses héroïnes représentent le peuple dans toute son authenticité, sans être réduites aux images de la propagande nationale de l’URSS. Dès les années 1930, le cinéma soviétique s’oriente vers le réalisme socialiste imposé par le régime à tous les artistes, et les récits qui célèbrent l’avènement d’une société sans classe sont la norme. Le modernisme occidental était considéré comme décadent. À cette époque, les femmes cinéastes ont été nombreuses et actives, même si leurs films se sont limités, le plus souvent, à des histoires pour enfants. Margarita Barskaya (1903-1938) est un exemple intéressant à cet égard. Née en Azerbaïdjan, elle réalise son premier film, Rvanye bashmaki (« les souliers percés »), en 1933. En 1930, elle crée le Laboratoire du cinéma pour enfants, puis, en 1936, Soyuzdetfilm, un studio ne produisant que des films pour enfants. Son dernier long-métrage, Otets i Syn (« père et fils », 1937), ayant été considéré comme une attaque contre la société soviétique, elle est arrêtée et envoyée dans un camp de travail, dont elle ne sortira pas vivante.
La Seconde Guerre mondiale ajoute à l’activité cinématographique des risques supplémentaires. Le gouvernement ayant décidé d’encourager les documentaires, nombreuses furent les documentaristes qui périrent en filmant la guerre. Les cinéastes soviétiques ont enregistré plus de trois millions de mètres de pellicules et un(e) cadreur(se) sur cinq est mort(e) au combat. La guerre n’a pas non plus épargné les civils, et il a fallu attendre les années 1950 pour que l’industrie cinématographique se rétablisse. Cette décennie a vu l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes bénéficiant d’une plus grande liberté de ton, notamment durant la période de déstalinisation. Les films ne montraient plus seulement des images types des Soviétiques hommes et femmes, mais aussi des portraits plus intimes de la société. De nombreuses réalisatrices, ne se limitant plus aux films pour enfants, se sont rapprochées de leurs homologues masculins – ce qui eut pour effet de retarder d’autant l’émergence d’une authentique voix de femme. Née en 1924 à Moscou où elle a étudié au VGIK à partir de 1945, Tatiana Lioznova est sans doute la plus connue d’entre elles. Son premier film, Pamyat serdtsa (« la mémoire du cœur »), est sorti en 1958. Bien que son œuvre, souvent étiquetée « drame social », ne brille ni par son importance ni par son originalité, elle incarne cependant une femme cinéaste ayant réussi à survivre aux grands changements politiques de son pays, avant de s’éteindre à Moscou, le 29 septembre 2011. Kira Mouratova* (née en 1934) est, quant à elle, la plus respectée des cinéastes russes. Au moment où ses films sortent de l’oubli, une autre femme est célébrée en URSS et à l’étranger : l’Ukrainienne Larissa Chepitko (1939-1979), qui a reçu l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1977 pour son dernier film, Voskhozhdeniye (« l’ascension »). Avec la perestroïka, dès le milieu des années 1980, la restructuration de l’industrie cinématographique soviétique a conduit à délaisser les films non viables financièrement. Malgré ces conditions moins favorables, les femmes ont continué à s’illustrer. Lana Gogoberidze (née en Géorgie en 1928) est sans doute la plus importante : Quelques interviews sur des questions personnelles (Ramdenime interviu pirad sakitkhebze, 1977) lui a valu une notoriété internationale. Ce film, qui montre des femmes fortes, intelligentes et indépendantes, est considéré comme un « film de femme » majeur. En 1984, Dges game utenebia (« le jour est plus long que la nuit ») a été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. L. Gogoberidze a reçu le Prix de la meilleure réalisation au Festival de Tokyo en 1987. D’autres femmes seront lauréates de prix internationaux durant la même décennie, telles Mariya Khmelik pour son scénario La Petite Vera (Malenkaya Vera, 1988, prix Felix de l’Académie européenne de cinéma du meilleur scénario), K. Mouratova, ou encore Lidia Bobrova*.
Aujourd’hui, plus de vingt ans après la chute de l’Empire soviétique, les femmes russes restent très présentes dans l’industrie filmique et y occupent toutes les fonctions, beaucoup considérant qu’elles ont atteint l’égalité avec les hommes : en 2008, l’un des deux longs-métrages sélectionnés pour le Festival international du film de Moscou était écrit et dirigé par une femme, Katia Shagalova. En 2008, une théoricienne et critique renommée, Maya Turovskaya, a été récompensée pour son travail en faveur de la recherche cinématographique.
Pour autant, l’entrée au VGIK (rebaptisée « Université d’État de toutes les Russies » en 2008), l’école la plus réputée de l’ancienne URSS, reste très compétitive et la proportion de femmes y est assez similaire à celle d’autres pays : c’est-à-dire minime. Les cours sont majoritairement dispensés par des hommes. On retrouve cette tendance au niveau de l’exportation : sur les 200 films réalisés par an, seuls 12 % obtiennent une distribution internationale, ce qui laisse peu de chances aux femmes, pourtant cette situation n’est pas très remarquée dans une société qui prône l’égalité entre les sexes depuis près d’un siècle. Si les festivals sont nombreux en Russie, rares sont ceux spécifiquement consacrés aux femmes ; même constat pour les publications qui traitent du septième art. Néanmoins, les femmes ont joué un rôle fondamental dans l’histoire du cinéma soviétique et russe et continuent d’œuvrer au cœur d’une industrie qui a su les promouvoir.
Cara DELEON
■ ATTWOOD L., Red Women on the Silver Screen, Londres, Pandora Press, 1993 ; HORTON A, BRASHINSKY M., The Zero Hour : Glasnost and Soviet Cinema in Transition, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1992 ; YOUNGBLOOD D. J., Soviet Cinema in the Silent Era 1918-1935, Austin, University of Texas Press, 1991 ; ZORKAYA N., The Illustrated History of the Soviet Cinema, New York, Hippocrene Books, 1989.
CINÉMA [Sénégal]
Comparée aux pays voisins, l’industrie cinématographique est assez développée au Sénégal, avec environ 50 compagnies de production et au moins deux studios. Le côté financier y demeure cependant problématique. La plupart des compagnies de production sont créées par des réalisateurs, ce qui leur confère une certaine liberté. Mais la majorité des fonds viennent de France, d’où une dépendance à l’origine de nombreux problèmes idéologiques, logistiques et financiers. Safi Faye*, la plus célèbre des cinéastes sénégalaises, a dû se former en Europe, comme la majorité des réalisateurs. Le Média Centre de Dakar (MCD) a aujourd’hui mission d’élargir l’apprentissage de l’audiovisuel ; dans cette optique, il accepte chaque année 12 hommes et 12 femmes. Plusieurs nouvelles réalisatrices en sont sorties (Angèle Diabang Brener, Fatou Bâ, Coumba Diagne). On trouve aussi des programmes de courte durée, tels que « Imagine », « Filmer à tout prix » et « Africadoc », et des réalisateurs animent de temps à autre des ateliers de cinéma.
Les films des Sénégalaises, y compris ceux de S. Faye, sont malheureusement peu connus en Afrique et mieux distribués en Europe et aux États-Unis. Deux festivals locaux en décembre donnent aux réalisatrices l’occasion de montrer leurs films et d’en parler, bien que peu y soient diffusés : le Festival international du film de quartier (FIFQ), fondé en 1999 par le MCD, et le Festival du film de Dakar, prolongement du FIFQ. En 2006 a eu lieu un Festival de films sur la violence contre les femmes, et en 2007 un Festival du documentaire où des films de réalisatrices ont été projetés.
Sarah Beth TIEDE BUCHANAN
CINÉMA [Tchécoslovaquie, République tchèque, Slovaquie]
La contribution des femmes aux débuts du cinéma tchécoslovaque reste peu connue compte tenu du peu de recherches sur cette période. La première figure féminine importante du cinéma tchèque des premiers temps (avant la création de la Tchécoslovaquie en 1918) est Anna Sedláčková (1887-1967), comédienne célèbre du Théâtre national, et surnommée à l’époque « la Sarah Bernhardt* tchèque ». Avec son mari, l’architecte Max Urban, elle fonde en 1912 la société cinématographique Asum, qui produira près d’une vingtaine de films, certains écrits et interprétés par elle-même.
Pendant les années 1920, la production de films augmente et plusieurs femmes scénaristes émergent. Des auteures dont les noms apparaissent dans les génériques des films, comme Olga Rautenkranzová ou Hedvika Raabeová, restent méconnues. Deux réalisatrices importantes apparaissent au cours des années 1920 : Thea Červenková (1882-1961), surtout connue pour son adaptation novatrice du roman classique Babička (« grand-mère », écrit en 1854 par Božena Němcová*, la plus importante romancière tchèque), et Zdena Smolová (1896-1956). Comédienne et scénariste, peintre et poétesse, cette dernière réalise des films d’avant-garde sous le nom de Zet Molas et publie des textes théoriques dans sa revue Český filmový Svĕt au milieu des années 1920. Cependant, le cinéma féminin reste marginal dans la production tchécoslovaque de la première moitié du siècle. Ce n’est qu’avec l’apparition de la Nouvelle Vague, au milieu des années 1960, que les films de femmes ont plus d’impact, avec en particulier le travail provocateur du tandem constitué par la réalisatrice Vĕra Chytilová* et l’écrivaine et créatrice de costumes et de décors Ester Krumbachová (1923-1996), aboutissant à des explorations féministes comme Les Petites Marguerites (Sedmikrásky, 1966) qui va très largement circuler en Europe grâce au mouvement des femmes, et Le Fruit du paradis (Ovoce stromu rajských jíme, 1969). Autre cinéaste importante de ce renouveau, Drahomíra Vihanová (née en 1930) tourne Zabitá neděle (« un dimanche perdu ») en 1969. La période dite de « normalisation » qui enterre les espoirs du printemps de Prague, à la fin de la décennie, signe assez logiquement la mise au ban de ces auteures subversives (V. Chytilová ne tournera pas pendant sept ans). Il faut attendre la fin des années 1980 et la révolution de velours pour voir l’éclosion d’une nouvelle génération de cinéastes qui change le cours du cinéma tchèque. Irena Pavlásková (née en 1960) propose avec Čas sluhů (« le temps des larbins », 1989) un regard neuf sur les relations corrompues entre les sexes pendant le régime socialiste.
Durant l’époque socialiste, le pourcentage de femmes cinéastes était significativement plus élevé dans les films documentaires (citons par exemple Helena Třeštíková, née en 1949) et les films d’animation (où s’était illustrée la « grand-mère » de l’animation tchèque, Hermína Týrlová, 1900-1993). Les fictions pour enfants étaient presque vues comme un travail féminin ; Věra Plívová-Šimková (1934) et Marie Poledňáková (1941) ont joué un rôle essentiel dans ce secteur. Après 1992, la partition de la Tchécoslovaquie a entraîné un changement radical de situation.
Dans le cinéma slovaque, où, après la privatisation du Koliba film studio, rares sont les cinéastes réalisant plus de un film, Eva Borušovičová (née en 1970) paraît extraordinairement productive avec ses deux téléfilms et ses deux longs-métrages, Modré z neba (« le bleu du ciel », 1997) et Vadí nevadí (« action ou vérité », 2001). Elle a ensuite écrit pour Agnieszka Holland le scénario de Jánošík : Pravdivá história (« Janosik, une histoire vraie », 2009). Plusieurs femmes scénaristes se sont orientées vers la réalisation : Laura Siváková, avec Quartétto (2002) ; Katarína Šulajová (née en 1975), avec O dve slabiky pozadu (« deux syllabes en retard », 2004) ; Zuzana Liová (née en 1977), avec Ticho (Silence, 2005, pour la télévision) et Dom (« la maison », 2001). L’actrice Zita Furková (née en 1940) a réalisé Jesenná (zato) silná láska (« amour d’automne [mais] fort », 2003). Après le succès de leurs courts-métrages et de leurs films de fin d’études, Mira Fornayová (née en 1977) et Mariana Čengel-Solčanská (née en 1978) ont chacune tourné leur premier long-métrage. La documentariste Daniela Rusnoková (née en 1980) a choisi une approche multiculturelle ; son film O Soni a jej rodine (« Sonia et sa famille », 2006) est un dialogue intime, la confession d’une femme Rom. Zuzana Piussi (née en 1971), connue comme graphiste et actrice de l’une des premières scènes underground de Bratislava, a réalisé plusieurs films portant sur des questions sensibles comme l’homosexualité ou le rôle des intellectuels slovaques dans la société contemporaine.
Du côté du cinéma tchèque actuel, le pourcentage de cinéastes femmes est significativement moins élevé. Paradoxalement, à plus de 80 ans, V. Chytilová reste toujours la réalisatrice la plus provocatrice et la plus productive, la seule aussi qui puisse être qualifiée de féministe ‒ c’est évident dans son dernier film à ce jour, Hezké chvilky bez záruky (Pleasant Moments, 2006). Michaela Pavlátová (née en 1961) a commencé dans l’animation ; Olga Dabrowská (1968), Alice Nellis (1971) ou Karin Babinská (1974) créent des « études de l’âme féminine », avec des résultats souvent variés. Erika Hníková (née en 1976) a connu un grand succès avec son documentaire Ženy pro měny (The Beauty Exchange, 2004), qui questionne le culte de la beauté. Il n’existe ni en République tchèque ni en Slovaquie de publications centrées sur les femmes et le cinéma. Les questions dites de genre, intégrées à la recherche universitaire, ne touchent pas encore le grand public.
La République tchèque a un petit festival de films de femmes indépendant, Femina Film, dont la quatrième édition a eu lieu en 2008 et, depuis 1999, Mezipatra, festival du cinéma gay et lesbien.
Petra HANÁKOVÁ et Jana DUDKOVÁ
CINÉMA [Thaïlande]
Les femmes ont tôt commencé à compter dans le cinéma thaïlandais. Dès les débuts du cinéma muet et l’avènement du cinéma parlant dans le royaume, chaque fiction cinématographique devait comprendre une figure d’héroïne (nang ek) jouée par une actrice incarnant des valeurs de beauté et de grandeur morale. Plusieurs actrices ont ainsi fait le succès de films réalisés avant les années 1960, de Mom Luang Sutjit Itsarangkun (Double chance, 1927) et Manee Sumonat (Douce mélodie, 1932), toutes deux associées à la société de production pionnière Sri Krung, à Wilaiwan Watanaphanit, première actrice à avoir reçu le trophée national de la meilleure actrice en 1957, en passant par Amara Asawanan, l’« Elizabeth Taylor de la Thaïlande », première Thaïlandaise à avoir participé au concours de Miss Univers. Ces figures de femmes étaient cependant essentiellement présentes dans le récit en tant que corrélat nécessaire de la figure du héros.
Ce ne fut qu’à partir de la fin des années 1950 que des actrices, devenues iconiques, dépassèrent le rôle autrefois assigné à la figure d’héroïne, assumèrent des fonctions traditionnellement attribuées aux hommes et devinrent des figures fortes au parcours singulier. Beaucoup d’entre elles ont marqué la mémoire du public des années 1960 à 1980 et contribué à l’évolution thématique et esthétique des films réalisés durant cette époque de production prolifique : Petchara Chaowarat, principale partenaire de l’acteur Mit Chaibancha dans plus de 150 films, a plusieurs fois brillé dans des rôles de garçonnes insaisissables comme l’air (Nok Noi, réalisé par Dok Din Kaniaman en 1964) ; Phitsamai Wilaisak, dont le talent pour la danse classique thaïlandaise a souvent été exalté par les cinéastes (Norah, réalisé par Cherd Songsri en 1966), et qui a ensuite poursuivi sa carrière dans de nombreux drames télévisés ; Arania Namwong, actrice en décalage constant avec les représentations normatives inhérentes aux films des décennies précédentes (Thon, réalisé par Piak Poster en 1970), et, dans leur sillon, Wiyada Umarin, Naowarat Yukatanan, Phawana Chanachit, Pattarawadee Sitrairat-Brady. Plusieurs femmes ont excellé dans d’autres registres et contribué à des succès populaires, comme Chusri Meesomon, une actrice comique venant du théâtre, et célèbre pour ses rôles de personnages secondaires au caractère impétueux. Les doubleuses professionnelles, Maratsi Itsarangkun Na Ayuthaya et Juree Osiri en tête, eurent également une part indispensable dans la construction du mythe de ces actrices en leur donnant leur voix, au point de former avec elles une alliance indissociable aux yeux du public.
L’industrie cinématographique thaïlandaise a également ses productrices avec, dès 1938, Mom Ubon Yukhon Na Ayuthaya au sein de Lavo Phaphayon, ou Daonoi Sibunrueang, dont la société de production a par exemple produit Bonjour professeur en 1977 et lancé la carrière de la jeune actrice Jarunee Suksawat. La société de production de Chirawan Kampanatsaenyakon, Chira Bantheung Film, a produit la première adaptation cinématographique de Khu Kam en 1973. Duangkamol Limcharoen a cofondé Cinemasia avec le réalisateur Nonzee Nimibutr et encouragé de meilleurs rapports de collaboration avec d’autres studios de cinéma en Asie, avant sa disparition prématurée en 2003. Apiradee Iamphungphorn, fille du fondateur de la Five Star Production (créée en 1973), est en 2013 membre de son comité directeur.
Si l’histoire du cinéma thaïlandais compte peu de réalisatrices, un certain nombre de femmes ont œuvré dans l’ombre de réalisateurs notoires en tant qu’assistantes, sans pour autant revendiquer la reconnaissance de ce geste de création en tant que tel. Figure fondatrice du cinéma thaïlandais, Suphan Buranaphim est une actrice devenue réalisatrice pour le cinéma et la télévision (Le Spectre, film politique signé sous le pseudonyme de Num 22). De jeunes réalisatrices, comme Anocha Suwichakornpong ou Pimpaka Towira, se sont fait un nom dans le cinéma expérimental thaïlandais : la première a réalisé Mundane History, en 2009 ; la seconde, après un long-métrage introduisant un regard féministe sur la condition de la femme en Thaïlande (One Night Husband, 2003), a ensuite réalisé le documentaire politique The Truth Be Told : The Cases Against Supinya Klangnarong (2007) consacré à une activiste ayant pris parti contre Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre. Enfin, l’historiographie du cinéma thaïlandais peut s’appuyer sur le travail de femmes œuvrant pour la préservation de cet héritage visuel : Chalida Uabumrungjit est la présidente de la Thai Film Foundation ; Anchalee Chaiworaporn est chercheuse, journaliste et critique de cinéma ; May Adadol Ingawanji est professeure d’études cinématographiques à Londres et membre du comité d’organisation de la conférence annuelle New Southeast Asian Cinemas.
Aliosha HERRERA
CINÉMA [Togo]
Le Togo compte très peu de réalisateurs. C’est un pays où l’intérêt pour le cinéma s’étiole, malgré la présence de quelques compagnies de production et le soutien de plusieurs associations, parmi lesquelles l’Association de journalistes critiques cinématographiques (AJCC-Togo) dont une femme, Sitou Estelle Ayité, est membre fondatrice, la Direction nationale de la cinématographie (DNC) du Togo, le Service du cinéma et des activités audiovisuelles (Cineato) et le Cinéma itinérant du Togo. En novembre 2006, l’École supérieure des études cinématographiques (Esec) a ouvert les portes à Lomé : elle a pour but de développer l’industrie filmique et accepte des candidatures mixtes.
Malgré tout, le Togo compte dans le monde du cinéma, car Anne-Laure Folly*, l’une des premières réalisatrices africaines, en est originaire. Une autre Togolaise commence à se faire un nom : Sanni Adjiké Assouma. Elle réalise des films pour son émission télévisée Femmes et développement. Comme A.-L. Folly, elle est documentariste, mais là où A.-L. Folly analyse les grandes tendances africaines, S. A. Assouma traite les problèmes quotidiens des Togolaises : citons L’Eau potable d’Anazive (1992) ; Vivre du poisson (1993) ; Le Savon de l’espoir (1993) ; L’Eau sacrée (1993) ; Le Dilemme d’Eya (2002) ; Togoville : entre l’ombre et la lumière (2006).
Sarah Beth TIEDE BUCHANAN
■ PALLISTER J. L., HOTTELL R. A., Francophone Women Film Directors : A New Guide, Madison (NJ), Fairleigh Dickinson University Press, 2005 ; THACKWAY M., Africa Shoots Back : Alternative Perspectives in Sub-Saharan Francophone African Film (2003), Bloomington, Indiana University Press, 2007.
CINÉMA [Tunisie]
Créée un an après l’indépendance, dotée d’un laboratoire à partir de 1967, la Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique (Satpec) a organisé l’activité de l’industrie, y compris l’importation de films, jusqu’à sa disparition en 1992. Le cinéma en Tunisie se fonde sur une culture cinéphilique forte, développée depuis les années 1950 au sein de la Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC) qui survit difficilement aujourd’hui, et sur une Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA) qui a constitué un vivier pour les réalisateurs et réalisatrices. Certains déplorent l’effritement de ces liens entre cinéastes amateurs et réalisateurs professionnels, mais le développement des écoles de cinéma a profondément transformé la formation. Depuis 1966, les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) sont l’un des deux grands rendez-vous cinématographiques en Afrique, mais il ne subsiste actuellement qu’une quinzaine de salles dans le pays, dont certaines revendiquent une approche art et essai, ce qui est très peu, d’autant que la télévision tunisienne a toujours été frileuse. L’industrie du cinéma traverse depuis plus de dix ans une grave crise, mais la révolution de janvier 2011 a engendré une réorganisation importante des associations, la création de l’Association des réalisateurs de films tunisiens (ARFT) en 2011 et du Centre national du cinéma et de l’image
Sur une centaine de longs-métrages de fiction réalisés pendant la période post-indépendance, 15 l’ont été par des femmes. La majorité des femmes tunisiennes dans l’industrie du cinéma ont des trajectoires complexes, passant d’un poste à l’autre, d’un pays à l’autre, de la technique à la création, puis à la production, du documentaire à la fiction. Pour la première génération de réalisatrices, nées dans les années 1940 (Selma Baccar*, Nejia Ben Mabrouk, Kalthoum Bornaz*, Moufida Tlatli*), les films sur la condition des femmes racontent un combat qui fait écho à leur propre histoire. On peut citer, dans un registre différent, le travail de Fatma Skandrani (née à Tunis en 1940), qui produit des émissions de radio et réalise des films pour enfants, dont des adaptations des contes d’Andersen, et des documentaires sur la culture tunisienne et la peinture. Sophie Ferchiou (née en 1931), anthropologue et directrice de recherche au CNRS, a quant à elle utilisé le cinéma pour documenter la condition des femmes. La deuxième génération (Nadia el-Fani*) est plus distante vis-à-vis de la critique de cette condition. Les réalisatrices s’attachent à des parcours singuliers, ainsi Raja Amari* ou Nadia Fares Anliker (née à Berne en 1973, formée aux États-Unis) lorsqu’elle réalise Miel et cendres (1996), un long-métrage dans lequel une femme choisit la prostitution.
Nombreuses sont celles qui incarnent un possible renouveau, comme en témoigne le nombre important de courts-métrages qui ont circulé dans des festivals en Tunisie et au-delà depuis les années 1990. Mounira Bhar (Kenz, 1993 ; Trésor, 1993 ; Itinéraire, 1993 ; Couplouètes, 1998) et Molka Mahdaoui (Khmissa, 2000) ne sont pas passées au long-métrage. Leyla Bouzid a déjà réalisé plusieurs courts-métrages, dont Sbeh el-Khir (2006, avec Walid Mattar) et Soubresauts (2011) ; tout comme Meriem Riveill, auteure de Les Beaux Jours (2005) et de Tabou (2010) ; ou Kaouther Ben Hnia, auteure de La Brèche (2004) et de Ma sœur, la chose et moi (2006). Réalisatrice de télévision, Najwa Slama explore dans une comédie douce-amère, Tiraillement (2010), le rapport ambigu qu’entretient un jeune homme avec deux sœurs. Dans Le Rendez-vous (2006), Sarra Abidi (née à Gabès en 1972) conte le rêve d’un beau mariage d’une jeune vendeuse ; dans Le Dernier Wagon (2009), elle nous fait entrer dans l’univers très singulier et sombre d’une écrivaine pour qui le succès vient à contretemps. Sonia Chamkhi (née à La Marsa en 1968), universitaire, romancière et auteure de deux ouvrages sur le cinéma tunisien, a également réalisé Normal (Nesma wa rih, 2002) avec Lassaad Dkhili, puis Borderline (2008), deux portraits de femmes qui assument leurs choix. Puis elle se tourne vers le documentaire, avec L’Art du mezoued (2010), qui explore un patrimoine musical oublié, et Militantes (2012), qui suit pas à pas les femmes faisant campagne pour l’élection à l’Assemblée constituante tout en évoquant celles de la génération précédente dont les archives ont perdu la trace. Elle prépare actuellement le tournage de son premier long-métrage de fiction, Ma liberté, je m’en charge.
On peut enfin souligner l’action de Dora Bouchoucha, productrice, directrice des JCC en 2008 et 2010, et présidente du Fonds Sud depuis 2010. En créant Nomadis Images, en 1995, elle a permis la production de nombreux films tunisiens remarqués, entre autres ceux de R. Amari.
Patricia CAILLÉ
■ GABOUS A., Silence, elles tournent ! les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Cérès/Crédif, 1998 ; MARTIN F., Veils and Screens : Maghrebi Women’s Transvergent Cinema, Bloomington, Indiana University Press, 2011.
CINÉMA [Uruguay]
Le cinéma en Uruguay constitue un petit marché écrasé dès sa naissance par la géante industrie cinématographique argentine de Buenos Aires. Les femmes y ont été très tôt présentes, mais cantonnées dans des postes administratifs ou techniques. Une chanteuse d’opéra, Rina Massardi, avec ¿Vocación ? (1938), a signé le premier film réalisé par une femme en Uruguay, qui est aussi le premier film latino-américain lyrique. Le film a été présenté au Festival de Venise en 1939. Mais le film ayant été produit durant la dictature fasciste de Terra (1931-1938), R. Massardi ne fut jamais reconnue comme pionnière ni comme la première cinéaste d’Uruguay.
L’industrie cinématographique s’est développée en Uruguay après la Seconde Guerre mondiale, et la Cinemateca uruguaya, dont la bibliothèque constitue aujourd’hui le meilleur centre de ressources disponible à Montevideo, a été fondée en 1952. Au cours des années 1960 et au début des années 1970, de nombreux films politiques ont été réalisés avec des budgets extrêmement réduits puis, pendant la décennie 1973-1983, la plupart des réalisateurs ont dû s’exiler pour éviter les persécutions d’une nouvelle dictature, ce qui a laminé cette industrie naissante. Néanmoins, c’est durant ces années de répression qu’une femme, l’Argentine Eva Landeck, réalisa un second film dans le pays, El lugar del humo (« le lieu du feu », 1979), coproduit en Uruguay. Le film fut un énorme échec financier, en partie dû, selon les producteurs, aux changements qu’avait imposés le gouvernement militaire. Avec la fin de la dictature, le cinéma – dans lequel les femmes ont commencé à jouer un rôle de plus en plus important – a bénéficié de l’explosion de créativité dans les arts.
En 1993 Beatriz Flores Silva* a réalisé le premier long-métrage à succès fait par une femme, La historia casi verdadera de Pepita la Pistolera (« l’histoire presque vraie de Pepita la braqueuse »). Son deuxième film, En la puta vida (« putain de vie », 2001), le plus cher jamais réalisé dans le pays (près d’un million de dollars), fut aussi, avec 140 000 entrées, le plus gros succès au box-office de l’histoire du cinéma uruguayen. Grâce à ce succès, B. Flores Silva est devenue l’une des rares cinéastes capables de rassembler des fonds à l’étranger pour produire ses films. Son dernier film, Polvo nuestro que estás en los cielos (« notre poussière qui êtes aux cieux », 2008), est encore une réussite. Cette réalisatrice a énormément contribué à améliorer l’image du cinéma en Uruguay, non seulement par ses films, mais aussi grâce à l’Escuela de cine de Uruguay (Ecu), un département au sein de la Cinemateca, première et unique école de cinéma du pays qu’elle a créée à son retour d’exil en 1995. Simone Maccari, enseignante de montage et de production à l’Ecu, a été une inspiratrice pour de nombreuses réalisatrices.
Les femmes ont grandement bénéficié de l’aide gouvernementale pour le cinéma en Uruguay où elles excellent désormais. Deux des trois grandes maisons de production, Laroux Cine et Lavorágine, sont gérées par des femmes, Elena Roux et Natacha López. Elles sont également nombreuses parmi les monteuses et les directrices artistiques. À partir de la fin des années 1990, plusieurs femmes ont réalisé des longs-métrages de fiction et des documentaires, ces derniers étant le genre le plus prisé. Citons Luis Batlle Berres (1998) de Eliana Delisante et Claude Frison ; Por esos ojos (1998) de Virginia Martínez* et Gonzalo Arijón ; Acratas (2000) et Memoria de mujeres (2005) de V. Martínez ; El regalo (1999) et Fan (2005) de Gabriela Guillermo ; Mala racha (2000) de Daniela Speranza ; Vientos de octubre (2004) d’Adriana Nartallo et Daniel Amorin ; Crónica de un sueño (2005) de Viviana Viñoles et Stefano Tononi – lauréats du Prix du meilleur documentaire de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) – ; Yo pregunto a los presentes (2007) de Alejandra Guzzo ; Hit (2008) de Claudia Abend et Adriana Loeff ; Memoria en construcción (2008) de Lucía Piquinela d’Elía*. Certaines réalisatrices regrettent cependant que seul un cercle restreint de personnes puissent bénéficier des fonds, généralement celles ayant déjà des liens avec la profession (en l’occurrence des hommes). Quelques-unes, comme Paz Encina*, trouvent un financement à l’étranger. Il est particulièrement difficile de financer les premiers films, ce qui vaut d’ailleurs pour les deux sexes. En 2008, le gouvernement a voté une loi attendue depuis longtemps, qui devrait permettre de promouvoir l’industrie du cinéma. Un million de dollars par an lui est attribué et il existe une catégorie spéciale pour les premières œuvres. Cette initiative encourage plus de femmes à postuler.
Les réalisatrices uruguayennes sont encore peu nombreuses dans le pays, mais la qualité de leurs films en fait des modèles d’inspiration pour les générations de femmes à venir. Alors que les films réalisés par des hommes privilégient la quête de l’essence du mâle uruguayen et sa nature mélancolique, les femmes se sont intéressées aux droits humains, à la justice sociale, s’attaquant à de dures questions sociales, politiques et culturelles.
Estela VALVERDE
■ ALVAREZ J. C., Breve historia del cine uruguayo, Montevideo, Cinemateca uruguaya, 1957 ; HINTZ E., DACOSTA G. et al. (dir.), Historia y Filmografía del cine uruguayo, Montevideo, Ediciones de la Plaza, 1988 ; MARTÍNEZ CARRI M., ZAPIOLA G., La historia no oficial del cine uruguayo (1898-2002), Montevideo, Banda oriental/Cinemateca uruguya, 2002.
CINÉMA – ACCÈS À LA RÉALISATION
Quels que soient les continents, les pays, les arts ou les époques, les femmes ont toujours créé, et le cinéma ne fait pas exception. La différence repose cependant sur la nature du médium : contrairement aux autres arts, le cinéma est à la fois le fruit d’une technologie, ce qui en fait une création coûteuse, et le résultat d’un travail d’équipe. Le rôle de cinéaste implique ainsi des savoirs et des savoir-faire, une capacité à diriger une équipe et donc une forme d’autorité, ainsi qu’une aptitude à convaincre des financiers de sa propre valeur et du bien-fondé du projet pour lequel on les sollicite. Quelle que soit la qualité envisagée, indispensable pour permettre la réalisation – technicité, autorité et gestion –, aucune n’est privilégiée dans l’éducation des filles, auxquelles on prête au contraire des aptitudes « naturelles » qui leur seraient opposées. De là à considérer que la réalisation est un « métier d’homme », il n’y a qu’un pas, franchi dès les prémices du cinéma.
Si le premier réalisateur de tous les temps est une femme (Alice Guy*), d’autres très tôt, très vite, vont lui emboîter le pas. Lorsqu’elles sont devant la caméra, les femmes sont plus souvent modelées par un créateur mâle que créatrices (voir Rita Hayworth*, entre autres) et, lorsqu’elles sont derrière la caméra, ce sont les « petites mains » parfois invisibles, « oubliées » dans les génériques, les historiographies et les rétrospectives, même si leur travail et leur talent sont avérés ailleurs. Malgré les variations historiques, sociales et politiques d’un pays, d’un continent et d’une décennie à l’autre, ces créatrices ont de nombreux points communs qu’une patiente collecte permet de mettre au jour. Ainsi rares sont celles qui ne doivent pas faire preuve d’un courage et d’une énergie acharnés pour parvenir à tourner leurs films : obstacles financiers, idéologiques, familiaux, sexuels, leur chemin est semé d’embûches que les pionnières parviennent progressivement à contourner, détourner, ouvrant la voix/voie pour les suivantes qui ignorent pourtant parfois jusqu’à leur existence. Car le fait d’être invisibles est une autre ressemblance entre les créatrices, et le cinéma la partage avec tous les autres arts : les génériques et les archives ne sont pas seuls à « oublier » la contribution des femmes. Les historiographes tendent également à privilégier les créateurs au détriment de leurs homologues féminins, malgré les succès et la reconnaissance dont certaines jouissent de leur vivant (ce qu’illustre parfaitement Jacqueline Audry*).
Tant que le cinéma n’est pas encore un art pour lequel on se forme – la création des écoles pour futur(e)s cinéastes se fait, selon les pays, bien longtemps après la naissance du septième art (voir par exemple Jane Campion*, contrainte comme ses collègues de Nouvelle-Zélande d’aller étudier en Australie), la question de l’apprentissage se pose différemment pour les hommes et les femmes. Les premiers passent souvent par l’assistanat, qui n’est pas toujours ouvert aux secondes (cette voie est interdite aux Mexicaines jusqu’aux années 1980), ce qui implique pour ces dernières d’autres tracés, souvent moins directs, parfois plus longs pour l’accès à la création. Dès lors qu’elles peuvent intégrer les mêmes formations, le nombre d’étudiantes croît, parfois de manière exponentielle, comme au Mexique ces dernières années où elles dépassent leurs camarades masculins. Ceci n’empêche cependant pas une stagnation du nombre de films réalisés par des femmes, que ce soit dans les pays dotés de vieilles cinématographies (Europe, Amérique du Nord) ou dans ceux dotés de plus jeunes (pays africains issus des indépendances, il y a un demi-siècle). Plafond de verre ou barrière du fatidique « quart », le pourcentage de films faits par des femmes reste bien en deçà des données démographiques et de la parité quasiment atteinte dans les écoles de cinéma.
Les stratégies de résistance se ressemblent, et nombreuses sont les cinéastes qui, très rapidement, créent leur maison de production, soucieuses d’une autonomie qu’autorisent peu l’industrie du film et le système des studios (Hollywood). Leurs structures sont petites, quasi familiales (les sœurs McDonagh en Australie, par exemple) et produisent principalement leurs propres films. Il y a les « épouses de » – les exemples ne manquent pas de l’Égypte à l’Uruguay en passant par les antipodes –, les « sœurs de » (Marie Epstein*), celles qui travaillent en couple ou en solo, avec une ou plusieurs « casquettes » (actrice, scénariste et productrice, entre autres). D’autres optent pour le cinéma expérimental et d’avant-garde, qui semble plus « accueillant » pour les créatrices.
Faire du cinéma quand on est une femme et que l’accès à ce médium est le fruit d’une lutte, c’est-à-dire quand son appartenance sexuelle a un impact non négligeable, signifie-t-il pour autant une autre manière de faire des films, de nouveaux personnages, des histoires inédites ? Loin s’en faut et la notion d’un cinéma de femmes, ou féminin, recouvre des réalités multiples et variées : les femmes ont cependant en commun une tendance à exprimer une opposition plus ou moins forte et marquée aux normes, un détournement des lois du genre, un regard décalé ou encore une transgression directe et sans ambages des règles textuelles et sexuelles. Le développement massif d’un cinéma fait par des femmes étant souvent fortement lié aux mouvements politiques, anticolonialistes et/ou aux mouvements des femmes des années 1960 et 1970, une génération, au moins, a intégré dans ses œuvres cette dimension de la lutte, de l’opposition, de la revendication, se servant de la caméra comme d’une arme pour faire entendre une autre voix. Depuis, ce qui pouvait encore distinguer un « film d’homme » d’un « film de femme » est plus ténu, l’intériorisation des normes dominantes sexuelles et textuelles étant plus marquée et les alternatives rares. Certains bastions narratifs masculins (animation, science-fiction, films de guerre) sont désormais tombés, les femmes, même minoritaires, investissant tous les genres cinématographiques. Si les motivations pour passer derrière la caméra ont changé, si faire du cinéma est aujourd’hui pour les femmes un métier pour lequel elles peuvent intégrer les lieux de formation idoines et mixtes, certains réflexes ont la vie dure et l’égalité d’accès n’est pas encore atteinte.
Brigitte ROLLET
CINÉMA – MUSIDORA [France depuis 1973]
Les années 1970, marquées par l’effervescence du mouvement des femmes en France et au plan international, représentent un moment clé dans l’histoire des créatrices au cinéma. C’est en octobre 1973 qu’est créée l’association Musidora, en hommage à Musidora*, la célèbre actrice du muet qui, ayant elle aussi connu des difficultés lorsqu’elle avait voulu se lancer dans la réalisation, avait choisi pour être plus indépendante de créer en 1917 sa propre maison de production, la Société des films Musidora. L’Association a pour objectif de promouvoir la création et la distribution de films et de vidéos réalisés par des femmes. Elle encourage aussi la recherche sur les représentations des femmes dans le cinéma, masculin et féminin. Musidora va également permettre de faire sortir de l’oubli les réalisatrices absentes des encyclopédies et autres ouvrages sur le cinéma, et contribuer ainsi à la sauvegarde des archives, dans un pays où la participation des femmes dans ce domaine date des débuts même du septième art. Ainsi c’est grâce à Musidora que l’autobiographie d’Alice Guy* sera publiée, à titre posthume, en 1976. L’Association est aussi à l’origine du premier Festival de films de femmes – précurseur du Festival de Créteil* –, dont la première édition, non mixte, aura lieu en 1974 à Sceaux.
Brigitte ROLLET
■ COLLECTIF (femmes de Musidora), Paroles, elles tournent ! , Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1976.